296
MÉTIER
« Les 3/4 de la métaphysique constituent un simple chapitre de l’histoire du verbe Être. »
< Philosophie p.689 >
« Dieu sait quelles métaphysiques et géométries l’invention des miroirs et des vitres a pu engendrer chez les mouches ! »
< Sensibilité p.1187 >
Jacques PRÉVERT / Spectacle (1951) / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1992
« Il y a des gens qui dansent sans entrer en transe et il y en a d’autre qui entrent en transe sans danser. Ce phénomène s’appelle la Transcendance et dans nos régions il est fort apprécié. »
< La Transcendance, p. 217 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Si les Allemands ont excellé en métaphysique, c’est qu’ils sont de tous les peuples celui qui est le plus dénué de bon sens. »
< février 1966 p.345 >
Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972
« À l’éternelle triple question toujours demeurée sans réponse : "Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ?
Où allons-nous ?" je réponds : "En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne". »
< p.54 >
José ARTUR / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1993
« Qui suis-je?
Où vais-je?
Qu’est-ce qu’on mange à midi? »
< p.21 >
Jean YANNE / Pensées, répliques, textes et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1999
« Pour moi, la grande question n’a jamais été : "Qui suis-je? Où vais-je?" comme l’a formulé si adroitement notre ami Pascal, mais plutôt : "Comment vais-je m’en tirer?" »
< p.35 >
MÉTIER
Jean-Pierre Claris de FLORIAN / Fables (1792) / Paris, P.Didot l’aîné 1792 [BnF]
«
[...] chacun son métier,
les vaches seront bien gardées.
»
< Le vacher et le garde-chasse, p.53 >
Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995
« Pour ma part, j’ai souvent songé que, si l’on m’offrait un métier manuel qui, au moyen de quatre ou cinq heures d’occupation par jour, pût me suffire, je renoncerais pour ce métier à mon titre d’agrégé de philosophie ; car ce métier, n’occupant que mes mains, détournerait moins ma pensée que la nécessité de parler pendant deux heures de ce qui n’est pas l’objet actuel de mes réflexions. Ce seraient quatre ou cinq heures de délicieuse promenade, et j’aurais le reste du temps pour les exercices de l’esprit qui excluent toute occupation manuelle. J’acquerrais pendant ces heures de loisir les connaissances positives, je ruminerais pendant les autres ce que j’aurais acquis. Il y a certains métiers qui devraient être les métiers réservés des philosophes, comme labourer la terre, scier les pierres, pousser la navette du tisserand, et autres fonctions qui ne demandent absolument que le mouvement de la main.
MILITAIRE
297
[...]
L’enseignement est maintenant le recours presque unique de ceux qui, ayant la vocation des travaux de l’esprit, sont réduits par des nécessités de fortune à prendre une profession extérieure ; or l’enseignement est très préjudiciable aux grandes qualités de l’esprit ; l’enseignement absorbe, use, occupe infiniment plus que ne ferait un métier manuel. »
< p.409 >
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Savez-vous quelle est à l’heure présente la profession de Villiers de l’Isle-Adam ? — Non, non. — Eh bien ! il est mannequin chez un médecin de fous... Oui, mais il est le faux fou, dont le docteur dit : "Il n’est pas tout à fait guéri, mais il va mieux."
C’est Bourget qui nous raconte cela, ce soir, à la table des de Nittis. »
< 4 février 1882 p.921 >
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« Il n’y a pas de sot métier.
Pardon, il y en a un. C’est d’être tailleur et de prétendre habiller un moine. Tout le monde sait que l’habit ne fait pas le moine et que, par conséquent, il n’est pas possible d’imaginer quelque chose de plus sot que le métier qui consiste à faire un habit pour un client qui a lui-même besoin d’être fait, n’existant pas. La chose, je l’avoue, ne paraît pas très intelligible. »
< p.165 >
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Les métiers sans ennuis sont les métiers qu’on ne fait pas. »
< 15 octobre 1935 p.1287 >
Albert EINSTEIN / Pensées intimes / Éditions du Rocher 2000
« Si j’étais à nouveau un jeune homme et devais décider comment gagner ma vie, je n’essaierais pas de devenir savant, chercheur ou enseignant. Je choisirais plutôt de devenir plombier ou colporteur, afin de trouver cette modeste part d’indépendance dont on peut encore bénéficier dans les circonstances présentes. »
< Déclaration au Reporter, 18 novembre 1954 ; p.45 > MILITAIRE
Pierre-Joseph PROUDHON / Qu’est-ce que la propriété? (1840) / Paris, M. Rivière 1926
« Il est difficile qu’un homme de vingt ans gagne au séjour des casernes ; quand il ne s’y corrompt pas, il s’y déteste. Jugez en général de la moralité du soldat par la haine qu’il porte à l’uniforme : malheureux ou mauvais sujet, c’est la condition du français sous les drapeaux. Cela ne devrait pas être, mais cela est.
Interrogez cent mille hommes, et soyez sûr que pas un ne me démentira. »
< p.264 >
Anatole FRANCE / L’Île des Pingouins (1908) / Au tournant du siècle / Omnibus 2000
« [...] toutes les armées sont les premières du monde. La seconde armée du monde, s’il pouvait en exister une, se trouverait dans un état d’infériorité notoire ; elle serait assurée d’être battue. Il faudrait la licencier tout de suite. Aussi toutes les armées sont-elles les premières du monde. C’est ce que comprit, en France, l’illustre colonel Marchand quand, interrogé par des journalistes sur la guerre russo-japonaise avant le passage du Yalou, il n’hésita pas à qualifier l’armée russe de première du monde ainsi que l’armée japonaise.
Et il est à remarquer que, pour avoir essuyé les plus effroyables revers, une année ne déchoit pas de son rang de première du monde. Car, si les peuples rapportent leurs victoires à l’intelligence des généraux et au courage des soldats, ils attribuent toujours leurs défaites à une inexplicable fatalité. »
< Livre V Ch.4 p.666 >
298
MIRACLE
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Je ne sais pourquoi, je me suis rappelé un mot qu’on a prêté à Clemenceau quand il a pris en main les affaires de la guerre : "La guerre est une affaire trop sérieuse pour qu’on la confie à des militaires."
Évidemment, cela ressemble à une boutade, peut passer pour un paradoxe. Pourtant, il semble bien qu’il y ait là l’expression d’un grand bon sens, d’un jugement clairvoyant à l’égard des capacités intellectuelles du monde des officiers en général. Si on prend un garçon de vingt ans qui choisit la carrière militaire, qui entre aux Écoles par lesquelles il faut passer pour devenir officier, on peut bien dire que ce qui l’attire, ce qui lui plaît, ce qui décide de son choix, c’est l’uniforme, c’est le sabre au côté, c’est le prestige, c’est l’idée d’autorité sur d’autres, le goût du commandement, la préséance qu’il y voit dans la société, toutes raisons assez enfantines, somme toute, et qui relèvent très peu de l’intelligence vraie, critique et profonde. Un attrait de gloriole, pour tout dire. Ce n’est pas la vie militaire qui l’élèvera au-dessus de tout cela. Au contraire.
Il est connu que le monde des officiers, dans son ensemble, est composé de bien pauvres bonshommes au point de vue intellectuel. Si on renonce aux considérations de bêtise civique et patriotique, ce ne sont jamais eux qui concourent à la grandeur spirituelle (la seule qui compte, en définitive) d’aucun pays. Je pose en fait qu’un homme véritablement intelligent ne s’avise pas de vouloir être officier ou prêtre. »
< 9 novembre 1932 II p.1121 >
Louis-Ferdinand CÉLINE / Voyage au bout de la nuit (1932) / Romans (1) / Bibliothèque de la Pléiade
/ nrf Gallimard 1997
« Tant que le militaire ne tue pas, c’est un enfant. On l’amuse aisément. N’ayant pas l’habitude de penser, dès qu’on lui parle il est forcé pour essayer de vous comprendre de se résoudre à des efforts accablants. »
< p.121 >
MIRACLE
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« Il est vray semblable que le principal credit des miracles, des visions, des enchantemens et de tels effects extraordinaires, vienne de la puissance de l’imagination agissant principalement contre les ames du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi la creance qu’ils pensent voir ce qu’ils ne voyent pas. »
< t.1 p.102 livre I chap.XXI >
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
Impossibilité des miracles :
« Pourquoi Dieu ferait-il un miracle ? Pour venir à bout d’un certain dessein sur quelques êtres vivants ! Il dirait donc : "Je n’ai pu parvenir par la fabrique de l’univers, par mes décrets divins, par mes lois éternelles, à remplir un certain dessein ; je vais changer mes éternelles idées, mes lois immuables, pour tâcher d’exécuter ce que je n’ai pu faire par elles." Ce serait un aveu de sa faiblesse, et non de sa puissance. Ce serait, ce semble, dans lui la plus inconcevable contradiction. »
< p.315 >
« Nommez-moi un peuple chez lequel il ne soit pas opéré des prodiges incroyables, surtout dans des temps où l’on savait à peine lire et écrire. »
< p.316 >
« Ceux qui fortifient leurs raisonnements par la science vous diront que les Pères de l’Église ont avoué souvent eux-mêmes qu’il ne se faisait plus de miracles de leur temps. Saint Chrysostome dit expressément :
"Les dons extraordinaires de l’esprit étaient donnés même aux indignes, parce que l’Église avait besoin de miracles ; mais aujourd’hui ils ne sont pas même donnés aux dignes, parce que l’Église n’en a plus besoin."
Ensuite il avoue qu’il n’y a plus personne qui ressuscite les morts, ni même qui guérisse les malades. »
< p.318 >
« Un gouvernement théocratique ne peut être fondé que sur des miracles ; tout doit y être divin. Le grand souverain ne parle aux hommes que par des prodiges ; ce sont là ses ministres et ses lettres patentes. »
< p.581 >
MODESTIE
299
Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892
« Mme DU DEFFANT
— Nierez-vous, Madame, lui disait le cardinal de Polignac, que saint Denis décapité ait porté sa tête entre les mains pendant une lieue?
— Que me fait une lieue, dit-elle ! Il n’y a que le premier pas qui coûte. »
< p.196 >
Denis DIDEROT / Pensées philosophiques / Œuvres / t.I Philosophie / Robert Laffont - Bouquins 1994
« Tous les peuples ont de ces faits, à qui, pour être merveilleux il ne manque que d’être vrais ; avec lesquels on démontre tout, mais qu’on ne prouve point ; qu’on n’ose nier sans être impie, et qu’on ne peut croire sans être imbécile. »
< 48 p.34 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« "Ce qu’il y a de plus extraordinaire peut-être dans le besoin de l’extraordinaire, c’est que c’est, de tous les besoins de l’esprit, celui qu’on a le moins de peine à contenter." (Nodier. Ossianisme.-Examen critique des Dictionnaires.) »
< p.143 >
Michel AUDIARD / Audiard par Audiard / Ed. René Chateau 1995
« De 1858 à 1972, guérisons miraculeuses à Lourdes reconnues par les autorités médicales : trente-quatre.
Guérisons miraculeuses constatées par les autorités religieuses : soixante-douze.
Accidents mortels de circulation sur la route du pèlerinage : quatre mille deux cent soixante-douze. »
< Vive la France, p.108 >
MODESTIE
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« La modestie n’est point, ou est confondue avec une chose toute différente de soi, si on la prend pour un sentiment intérieur qui avilit l’homme à ses propres yeux, et qui est une vertu surnaturelle qu’on appelle humilité. L’homme, de sa nature, pense hautement et superbement de lui-même, et ne pense ainsi que de lui-même : la modestie ne tend qu’à faire que personne n’en souffre ; elle est une vertu du dehors, qui règle ses yeux, sa démarche, ses paroles, son ton de voix, et qui le fait agir extérieurement avec les autres comme s’il n’était pas vrai qu’il les compte pour rien. »
< p.313 XII (69) >
Charles DUFRESNY / Amusements sérieux et comiques (1698) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Cette femme s’avance ; que son air est modeste ! Elle ne lève les yeux que pour voir si les autres femmes sont aussi modestes qu’elle. »
< p.1029 >
MARIVAUX / Lettres sur les habitants de Paris (1718) / Journaux et Œuvres diverses / Classiques Garnier 1988
« [...] l’homme vraiment supérieur est celui qui sait plier les autres à lui souffrir, à lui pardonner sa supériorité : tout homme supérieur qui révolte les autres n’est pas si supérieur que l’on pense ; je dis : quand même on lui passe en secret qu’il l’est ; il lui manque au moins de voir qu’il intéresse la malice des autres à lui refuser nettement, pour le punir, ce qu’il veut emporter à force ouverte, et ce qu’il pourrait obtenir sans violence. »
< p.37 >
300
MODESTIE
LA BEAUMELLE / Mes pensées ou Le qu’en dira-t-on (1752) / Droz 1997
« Soyez toujours modeste, jamais humble. La modestie est la qualité d’un honnête homme. L’humilité est la qualité d’un lâche, d’un fourbe, d’un sot, ou la vertu d’un chrétien. »
< LIX p.53 >
« Voulez-vous être respecté ? voulez-vous monter aux premiers emplois ? voulez-vous passer pour un homme à talents ? Donnez-vous pour respectable, pour digne des premiers emplois, pour un homme à talents. La modestie soutient les grands ; mais l’effronterie les fait. »
< CCXXV p.127 >
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
« Je crois que l’humilité est la modestie de l’âme ; car la modestie extérieure n’est que la civilité. L’humilité ne peut pas constituer à se nier à soi-même la supériorité qu’on peut avoir acquise sur un autre. Un bon médecin ne peut se dissimuler qu’il en sait davantage que son malade en délire ; celui qui enseigne l’astronomie doit s’avouer qu’il est plus savant que ses disciples ; il ne peut s’empêcher de le croire, mais il ne doit pas s’en faire accroire. L’humilité n’est pas l’abjection ; elle est le correctif de l’amour-propre, comme la modestie est le correctif de l’orgueil. »
< p.84 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Il y a une modestie d’un mauvais genre, fondée sur l’ignorance, qui nuit quelquefois à certains caractères supérieurs, qui les retient dans une sorte de médiocrité : ce qui me rappelle le mot que disait à un déjeuner à des gens de la cour un homme d’un mérite reconnu : "Ah ! Messieurs, que je regrette le temps que j’ai perdu à apprendre combien je valais mieux que vous ! »
< 591 p.186 >
« M. Th... me disait un jour qu’en général, dans la société, lorsqu’on avait fait quelque action honnête et courageuse par un motif digne d’elle, c’est-à-dire très noble, il fallait que celui qui avait fait cette action lui prêtât, pour adoucir l’envie, quelque motif moins honnête et plus vulgaire. »
< 847 p.241 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Conservons un peu d’ignorance, pour conserver un peu de modestie et de déférence à autrui. »
< 15 juillet 1810 t.2 p.315 >
Alphonse KARR / Les Guêpes (deuxième série) / Calmann Lévy 1898
« On faisait, devant M. de Balzac, un éloge mérité d’un de ses ouvrages : " Ah ! mon ami, — dit le romancier à l’un de ses interlocuteurs, vous êtes bien heureux de n’en être pas l’auteur !
— Et pourquoi cela?
— Parce que vous pouvez dire tout le bien que vous en pensez, — tandis que moi — je n’ose pas." »
< Novembre 1840, p.91 >
Arthur SCHOPENHAUER / Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1851) / Collection Quadrige / PUF
1943
« La modestie est bien une vertu inventée principalement à l’usage des coquins, car elle exige que chacun parle de soi comme s’il en était un : cela établit une égalité de niveau admirable et produit la même apparence que s’il n’y avait que des coquins. »
< p.46 >
Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]
« La modestie est une charmante qualité que chacun apprécie beaucoup chez les autres. Mais on s’en garde bien pour soi-même si l’on veut arriver à quoi que ce soit. L’homme modeste est destiné à mourir misérable.
Quand avez-vous vu un homme modeste obtenir seulement une place de garde champêtre? »
< p.275 >
MODESTIE
301
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La modestie va bien aux grands hommes. C’est de n’être rien et d’être quand même modeste qui est difficile. »
< 2 décembre 1895 p.237 >
« La fausse modestie, c’est déjà très bien. »
< 24 avril 1899 p.414 >
« La modestie peut être une espèce d’orgueil qui arrive par l’escalier dérobé. »
< 2 février 1902 p.569 >
« La modestie est toujours de la fausse modestie. »
< 15 avril 1902 p.583 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Ma modestie est grande. Quand elle se hausse sur les pointes, elle arrive presque au nombril de mon orgueil. »
< Ego p.79 >
Sacha GUITRY / Jusqu’à nouvel ordre / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Les modestes, avec leurs singeries, avec leur feinte résignation à la médiocrité, avec leurs sourires désabusés, font un mauvais calcul, car nous sommes toujours disposés à ne concéder de talent à personne. Ah !
Oui, vraiment, nous ne demandons qu’à nous laisser tromper par la modestie des autres ! »
< p.7 >
Sacha GUITRY / L’Esprit / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Quelle manie, mon Dieu, de vouloir à tout prix que les autres soient modestes ! Comme si c’était une qualité, d’ailleurs, — alors que ce n’est qu’une vertu, peut-être.
Avez-vous jamais vu quelqu’un parvenant à la gloire, à la fortune, au bonheur même, à force de modestie?
Il m’apparaît plutôt que c’est l’orgueil qui nous y mène. »
< p.301 >
Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972
« La véritable modestie consiste toujours à ne jamais se prendre pour moins ni plus que ce qu’on estime qu’on croit qu’on vaut ni pour plus ni moins que ce qu’on évalue qu’on vaut qu’on croit. »
< p.44 >
Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984
« Dites franchement tout le bien que vous pensez de vous : la fausse modestie est un abus de confiance. »
< p.58 >
« La modestie est, par définition, le seul sentiment qui cesse d’exister à l’instant où on commence à l’évo-quer. »
< p.82 >
« La modestie est l’art de faire dire par d’autres tout le bien que l’on pense de soi-même. »
< p.107 >
José ARTUR / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1993
« La modestie cache souvent une médiocrité lucide. »
< p.93 >
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« La modestie est un abus de confiance si elle dissimule un vrai talent ou une erreur stratégique si elle avoue de réelles faiblesses. »
< p.74 >
302
MOI
« Rien de tel que les faiblesses des grands hommes pour rassurer les petits. »
< p.136 >
Michel POLAC / Journal (1980-1998) / PUF 2000
« J’ai le droit — le devoir — de ne pas me prendre au sérieux. Ce n’est pas une raison pour que les autres en fassent autant à mon égard. »
< 20 novembre 1989 p.215 >
Jacques DUTRONC / Pensées et répliques / Le cherche midi éditeur 2000
« La modestie est l’art de se faire louer une seconde fois. »
< p.46 >
MŒURS
MARIVAUX / Réflexions sur les hommes (1751) / Journaux et Œuvres diverses / Classiques Garnier 1988
« Il faudrait [...] pour le bonheur des hommes, qu’ils ne fussent ni trop ignorants ni trop avancés.
Trop d’ignorance leur donne des mœurs barbares ; le trop d’expérience leur en donne d’habilement scélérates.
La médiocrité de connaissance leur en donnerait de plus douces. »
< p.709 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Les mœurs et leurs victimes. - L’origine des mœurs doit être ramenée à deux idées : "la communauté a plus de valeur que l’individu", et "il faut préférer l’avantage durable à l’avantage passager" ; d’où il faut conclure que l’on doit placer, d’une façon absolue, l’avantage durable de la communauté avant l’avantage de l’individu, surtout avant son bien-être momentané, mais aussi avant son avantage durable et même avant sa survie. Que l’individu souffre d’une institution qui profite à l’ensemble de la communauté, soit que cette institution le force à s’étioler ou même qu’il en meure, peu importe, - les mœurs doivent être préservées, il faut faire le sacrifice. Mais un pareil sentiment ne prend naissance que chez ceux qui ne sont pas victimes,
- car la victime fait valoir, dans son propre cas, que l’individu peut être d’une valeur supérieure au nombre, et, de même, que la jouissance du présent, du moment paradisiaque pourrait être estimée supérieure à la médiocre perpétuation d’états sans douleur et de conditions de bien-être. La philosophie de la victime se fait cependant toujours entendre trop tard, on s’en tient donc aux mœurs et à la moralité : la moralité n’étant que le sentiment que l’on a de l’ensemble des mœurs, sous l’égide desquelles on vit et l’on a été élevé -
élevé, non en tant qu’individu, mais comme membre d’un tout, comme chiffre d’une majorité. - C’est ainsi qu’il arrive sans cesse que l’individu se majore lui-même au moyen de sa moralité. »
< 89 p.730 >
MOI
PLATON / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1950
« Allons, bienheureux jeune homme ! crois-m’en et aussi l’inscription du temple de Delphes : "connais-toi toi-même" ! »
< Alcibiade, 124b p.233 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« "Veuille être toi-même ! " - Les natures actives et couronnées de succès n’agissent pas selon l’axiome
"connais-toi toi-même", mais comme si elles voyaient se dessiner devant elles le commandement : "Veuille être toi-même et tu seras toi-même." — La destinée semble toujours leur avoir laissé le choix ; tandis que les inactifs et les contemplatifs réfléchissent, pour savoir comment ils ont fait pour choisir une fois, le jour où ils sont entrés dans le monde. »
< 366 p.818 >
MONTAIGNE
303
Albert CAMUS / Le mythe de Sisyphe (1942) / Essais / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1965
« Entre la certitude que j’ai de mon existence et le contenu que j’essaie de donner à cette assurance, le fossé ne sera jamais comblé. Pour toujours, je serai étranger à moi-même. En psychologie comme en logique, il y a des vérités mais point de vérité. Le "connais-toi toi-même" de Socrate a autant de valeur que le "sois vertueux" de nos confessionnaux. Ils révèlent une nostalgie en même temps qu’une ignorance. Ce sont des jeux stériles sur de grands sujets. Ils ne sont légitimes que dans la mesure exacte où ils sont approximatifs. »
< p.111 >
MONTAIGNE
Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Ce que Montaigne a de bon ne peut être acquis que difficilement. Ce qu’il a de mauvais, j’entends hors les mœurs, pût être corrigé en un moment, si on l’eût averti qu’il faisait trop d’histoires, et qu’il parlait trop de soi. »
< 78 p.1104 >
« Ce n’est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j’y vois. »
< 79 p.1104 >
VOLTAIRE / Lettres Philosophiques / Mélanges / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« Le charmant projet que Montaigne a eu de se peindre naïvement comme il a fait ! Car il peint la nature humaine ; et le pauvre projet de Nicole, de Malebranche, de Pascal, de décrier Montaigne ! »
< p.127 >
Denis DIDEROT / Pensées philosophiques / Œuvres / t.I Philosophie / Robert Laffont - Bouquins 1994
« L’ignorance et l’ incuriosité sont deux oreillers fort doux ; mais pour les trouver tels, il faut avoir la tête aussi bien faite que Montaigne. »
< 27 p.27 >
MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Dans la plupart des auteurs, je vois l’homme qui écrit ; dans Montaigne, l’homme qui pense. »
< 887 p.1244 >
STENDHAL / Journal / Œuvres intimes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1982
« Montaigne doutant des dogmes de la sottise ancienne, voilà un grand mérite ; il a entrevu quelques petites choses ; enfin, son charmant style sans lequel personne ne parlerait de lui. »
< septembre 1834 p.207 >
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Montaigne, c’est la philosophie des autres. »
< 19 novembre 1862 p.885 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Montaigne, c’est tout de même un peu traînard. »
< 1 octobre 1898 p.397 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« — Aveu. C’est l’an dernier, au lit, à Montrozier que j’ai ouvert un Montaigne. En peu de minutes, je l’ai renvoyé. Il m’assommait. Tout le monde peut écrire de ces choses. »
< Ego p.206 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« On a surfait même Montaigne ; il n’est pas toujours savoureux. Je remarque qu’il ne l’est jamais plus que lorsqu’il se lâche la bride, jamais moins que lorsqu’il se concerte et conduit. »
< p.354 >
304
MORALE
Rémy de GOURMONT / Promenades philosophiques (1) / Mercure de France 1931
« Le désordre de Montaigne n’a pas nui à sa gloire parce que ce désordre, tout d’apparence, est secrètement très bien ordonné. »
< p.20 >
MORALE
ÉPICURE / Sentences vaticanes / Lettres, maximes, sentences / Livre de Poche (4628) 1994
« Ne fais rien dans ta vie, qui te fasse redouter que ton voisin en prenne connaissance. »
< 70 p.218 >
SÉNÈQUE / Lettres à Lucilius / Robert Laffont - Bouquins 1993
« Je dirai une chose qui doit te permettre d’apprécier notre moralité : tu ne trouveras guère personne à qui il soit possible de vivre à portes ouvertes. Ce n’est pas l’orgueil, c’est notre conscience alarmée qui s’est fait du portier une barrière. Voilà comme nous vivons ! Être vu à l’improviste, c’est se faire prendre sur le fait.
Pourtant à quoi bon s’enfermer, éviter les yeux et les oreilles ? Une bonne conscience appelle la foule en garant ; une mauvaise est en proie, jusque dans la solitude, à l’angoisse et au tourment. Si tes actions sont honnêtes, que tout le monde les sache ; vicieuses, qu’importe que nul ne les connaisse, puisque, toi, tu les connais? Ah ! quelle est ta misère, si tu méprises ce témoin. »
< Lettre 43-4 p.698 >
ÉPICTÈTE / Entretiens / Les Stoïciens / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1962
« En général, tout savoir acquis par des gens moralement frustes et faibles offre le danger de les gonfler d’orgueil. »
< I viii p.828 >
MARC-AURÈLE / Pensées / Les Stoïciens / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1962
« Voici la morale parfaite : vivre chaque jour comme si c’était le dernier ; ne pas s’agiter, ne pas sommeiller, ne pas faire semblant. »
< VII (69) p.1199 >
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« Nos jugemens sont encores malades, et suyvent la depravation de nos meurs. Je voy la pluspart des esprits de mon temps faire les ingenieux a obscurcir la gloire des belles et genereuses actions anciennes, leur donnant quelque interpretation vile et leur controuvant des occasions et des causes vaines.
Grande subtilité ! Qu’on me donne l’action la plus excellente et pure, je m’en vois y fournir vraysembla-blement cinquante vitieuses intentions. »
< t.1 p.260 livre I chap.XXXVII >
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Un homme qui vient d’être placé ne se sert plus de sa raison et de son esprit pour régler sa conduite et ses dehors à l’égard des autres ; il emprunte sa règle de son poste et de son état : de là l’oubli, la fierté, l’arrogance, la dureté, l’ingratitude. »
< p.230 VII (51) >
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
La morale et la science ont le même fondement :
« Qui nous a donné le sentiment du juste et de l’injuste ? Dieu, qui nous a donné un cerveau et un cœur.
Mais quand votre raison vous apprend-elle qu’il y a vice et vertu ? Quand elle nous apprend que deux et deux font quatre. »
< p.269 >
MORALE
305
« Redisons tous les jours à tous les hommes : "La morale est une, elle vient de Dieu ; les dogmes sont différents, ils viennent de nous". »
< p.270 >
Origine du mal.
« On dit à un soldat pour l’encourager : "Songe que tu es du régiment de Champagne." On devrait dire à chaque individu : "Souviens-toi de ta dignité d’homme."
Et en effet, malgré qu’on en ait, on en revient toujours là ; car que veut dire ce mot si fréquemment employé chez toutes les nations, rentrez en vous-même ? Si vous étiez né enfant du diable, si votre origine était criminelle, si votre sang était formé d’une liqueur infernale, ce mot rentrez en vous-même signifierait : consultez, suivez votre nature diabolique, soyez imposteur, voleur, assassin, c’est la loi de votre père.
L’homme n’est point né méchant ; il le devient, comme il devient malade. Des médecins se présentent et lui disent : "vous êtes né malade." Il est bien sûr que ces médecins, quelque chose qu’ils disent et qu’ils fassent, ne le guériront pas si sa maladie est inhérente à sa nature ; et ces raisonneurs sont très malades eux-mêmes. »
< p.301-302 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Il y a des gens qui n’ont de la morale qu’en pièce. C’est une étoffe dont ils ne se font jamais d’habits. »
< 21 mars 1796 t.1 p.177 >
« Ôtez le beau, vous ôtez la moitié de la morale ; la moitié de ses règles. On n’a plus qu’un critérium ; avec le beau, on en a deux : le bien et lui. »
< 18 avril 1815 t.2 p.502 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà, je crois, toute la morale. »
< 319 p.123 >
STENDHAL / Journal / Œuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981
« L’homme qui cherche habituellement des vérités morales et qui est sans cesse occupé à faire des raisonnements sur cet objet, prend l’habitude d’un style vrai et naturel qui, porté dans la société, y produit beaucoup de désordres. Il blesse les vanités, les convenances, etc. Une plaisanterie amusante a plus de prix si l’on voit qu’elle est dite dans l’intention de vous plaire que si elle est faite naturellement. »
< 30 mars 1810 p.559 >
Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995
« Il y a dans l’humanité une faculté ou un besoin, une capacité en un mot qui est comblée de nos jours par la morale, et qui l’a toujours été et le sera toujours par quelque chose d’analogue. Je conçois de même pour l’avenir que le mot morale devienne impropre et soit remplacé par un autre. Pour mon usage particulier, j’y substitue de préférence le nom d’esthétique. En face d’une action, je me demande plutôt si elle est belle ou laide, que bonne ou mauvaise, et je crois avoir là un bon critérium ; car avec la simple morale qui fait l’honnête homme, on peut encore mener une assez mesquine vie. »
< p.224 >
« Je vis un jour dans un bois un essaim de vilains petits insectes, qui avaient entouré de leurs filets une jeune plante et suçaient ses pousses vertes avec un si laid caractère de parasitisme que cela faisait répugnance.
J’eus un instant l’idée de les détruire. Puis je me dis : "Ce n’est pas leur faute s’ils sont laids ; c’est une façon de vivre". Il est d’un petit esprit, me disais-je de moraliser la nature et de lui imposer nos jugements.
Mais maintenant je vois que j’eus tort ; j’aurais dû les tuer ; car la mission de l’homme dans la nature, c’est de réformer le laid et l’immoral. »
< note 182 p.523 >
306
MORALE
Anatole FRANCE / Le Mannequin d’osier (1897) / Au tournant du siècle / Omnibus 2000
« Nos idées morales ne sont pas le produit de la réflexion, mais la suite de l’usage. Comme à l’adoption de ces idées sont attachées des notes d’honneur et à leur répudiation des notes d’infamie, personne n’ose les remuer ouvertement. Elles sont admises sans examen par la communauté tout entière, indépendamment des croyances religieuses et des opinions philosophiques, et elles ne sont pas plus fortement soutenues par ceux qui s’astreignent à les mettre en pratique que par ceux qui n’y conforment pas leurs actes. L’origine de ces idées est seule en discussion. Tandis que les esprits qui se disent libres croient retrouver dans la nature les règles de leur conduite, les âmes pieuses tirent de la religion les règles de la leur, et ces règles se trouvent être les mêmes, à peu de chose près, non parce qu’elles sont universelles, à la fois divines et naturelles, comme on se plaît à le dire, mais, au contraire, parce qu’elles sont propres au temps et au lieu, tirées des mêmes habitudes, déduites des mêmes préjugés. Chaque époque a sa morale dominante, qui ne résulte ni de la religion ni de la philosophie, mais de l’habitude, seule force capable de réunir les hommes dans un même sentiment, car tout ce qui est sujet au raisonnement les divise ; et l’humanité ne subsiste qu’à la condition de ne point réfléchir sur ce qui est essentiel à son existence. La morale domine les croyances, qui sont sujettes à dispute, tandis qu’elle n’est jamais examinée. »
< 17, p.235 >
Anatole FRANCE / L’Île des Pingouins (1908) / Au tournant du siècle / Omnibus 2000
« La loi morale [...] oblige les hommes qui sont des bêtes à vivre autrement que des bêtes, ce qui les contrarie sans doute, mais aussi les flatte et les rassure ; et, comme ils sont orgueilleux, poltrons et avides de joie, ils se soumettent volontiers à des contraintes dont ils tirent vanité et sur lesquelles ils fondent et leur sécurité présente et l’espoir de leur félicité future. Tel est le principe de toute morale... »
< Livre II, 1, p.593 >
Rémy de GOURMONT / Épilogues (2) / Mercure de France 1923
« La morale est personnelle ; elle est dictée à chacun par sa propre sensibilité. Et qu’on ne dise pas : par sa propre conscience. La conscience morale n’est, le plus souvent, qu’un instrument acquis par l’habitude, imposé par l’autorité. N’ayant pas été fait spécialement pour nous, il ne sert qu’à nous troubler : c’est un grand hasard que les lunettes de mon voisin puissent convenir à mes yeux.
La base de la morale des mœurs doit donc être la liberté ; et la législation des mœurs, le laisser faire. »
< juillet 1900, p.164 >
Charles BAUDELAIRE / Mon cœur mis à nu / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975
« Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots : "immoral, immoralité, moralité dans l’art" et autres bêtises, me font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui m’accompagnant une fois au Louvre, où elle n’était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, et me tirant à chaque instant par la manche, me demandait, devant les statues et les tableaux immortels, comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences. »
< p.707 >
Charles BAUDELAIRE / Le Spleen de Paris / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975
« On n’est jamais excusable d’être méchant, mais il y a quelque mérite à savoir qu’on l’est ; et le plus irréparable des vices est de faire le mal par bêtise. »
< p.324 >
Oscar WILDE / Formules et maximes / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« L’immoralité est un mythe inventé par les honnêtes gens pour expliquer la curieuse attirance qu’exercent les autres. »
< p.969 >
MORALE
307
Gustave FLAUBERT / Dictionnaire des idées reçues / Bouvard et Pécuchet / Garnier-Flammarion 1966
« MATINAL. - L’être, preuve de moralité. Si l’on se couche à 4 heures du matin et qu’on se lève à 8, on est paresseux, mais si l’on se met au lit à 9 heures du soir pour en sortir le lendemain à 5, on est actif. »
< p.367 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La bête en nous veut être trompée ; la morale est un mensonge nécessaire, pour que nous n’en soyons pas déchirés. Sans les erreurs qui résident dans les postulats de la morale, l’homme serait resté animal. Mais de cette façon il s’est pris pour quelque chose de supérieur et s’est imposé des lois plus sévères. Il a par là de la haine pour les degrés restés plus voisins de l’animalité ; c’est par cette raison qu’il faut expliquer l’antique mépris de l’esclave, considéré comme l’être qui n’est pas un homme, comme une chose. »
< 40 p.470 >
« Il y a un acharnement envers soi-même, aux manifestations les plus sublimes duquel appartiennent nombre de formes de l’ascétisme.
[...]
Ainsi l’homme s’élève par des chemins dangereux aux plus hautes cimes, pour se rire de son angoisse et de ses genoux vacillants ; ainsi le philosophe professe des opinions d’ascétisme, d’humilité, de sainteté, dans l’éclat desquelles sa propre figure est enlaidie de la façon la plus odieuse. Cette torture de soi-même, cette raillerie de sa propre nature, ce spernere se sperni, à quoi les religions ont donné tant d’importance, est proprement un très haut degré de vanité. Toute la morale du Sermon sur la Montagne en relève : l’homme éprouve une véritable volupté à se faire violence par des exigences excessives et à déifier ensuite ce quelque chose qui commande tyranniquement dans son âme. Dans toute morale ascétique, l’homme adore une partie de soi comme une divinité et doit pour cela nécessairement rendre les autres parties diaboliques. »
< 137 p.518 >
« Offenser et être offensé. - Il est plus agréable d’offenser et de demander pardon ensuite que d’être offensé et d’accorder le pardon. Celui qui fait le premier donne une marque de puissance, et après, de bonté de caractère. L’autre, s’il ne veut pas passer pour inhumain est obligé déjà de pardonner ; la jouissance que procure l’humiliation d’autrui est très réduite par cette obligation. »
< 348 p.606 >
« Sort de la moralité. - La servitude des esprits étant en train de diminuer, il est certain que la moralité (c’est-
à-dire la façon d’agir héréditaire, traditionnelle et instinctive, conformément à des sentiments moraux) diminue également ; mais non point les vertus particulières, la modération, la justice, la tranquillité d’âme,
- car la plus grande liberté pousse involontairement l’esprit conscient à ces vertus et les recommande aussi à cause de leur utilité. »
< 212 p.909 >
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Qu’on me pardonne d’avoir découvert que toutes les philosophies morales ont été jusqu’à ce jour ennuyeuses et de vrais soporifiques ; que rien n’a fait à mes yeux plus de tort à la "vertu" que l’ ennui répandu par ses avocats, — dont je ne méconnais pourtant pas l’utilité générale. Il est très important qu’aussi peu de gens que possibles réfléchissent à la morale, il est donc très important que la morale n’aille pas devenir un jour intéressante ! Mais on peut dormir tranquille : il en est aujourd’hui comme il en a toujours été : je ne vois personne en Europe qui soupçonne ou laisse soupçonner que réfléchir sur la morale puisse être quelque chose de dangereux, de captieux, d’insidieusement séduisant, et qu’il puisse s’y cacher quelque fatalité. »
< 228 p.674 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Du talent, tu en as assez. Maintenant, perfectionne un peu ta morale. »
< 25 mars 1894 p.167 >
308
MORALE
« Tu as jeté les pierres de ton jardin dans le jardin des autres,et, pour y ajouter, tu as démoli un peu de ton mur. »
< 26 mai 1896 p.264 >
« La morale est dans les faits, pas dans les sentiments. Si je soigne mon père, je peux m’amuser à désirer sa mort. »
< 1 octobre 1898 p.397 >
« Les jeunes filles n’ont pas le droit de tout lire, mais elles peuvent passer leur après-midi, au Jardin d’acclimatation, à regarder les singes. »
< 26 janvier 1903 p.632 >
« Les moralistes qui vantent le travail me font penser à ces badauds qui ont été attrapés dans une baraque de foire et qui tâchent tout de même d’y faire entrer les autres. »
< 11 mars 1904 p.701 >
« Prenez à toutes les morales ce qui en fait la valeur, à la morale chrétienne ce qu’elle a de bon. Jésus-Christ était un homme supérieur et modeste : il ne criera pas au voleur. »
< 13 mars 1906 p.820 >
Émile DURKHEIM / L’éducation morale (1903) / Quadrige / PUF 1963
Nécessité de la morale :
« L’ensemble des règles morales forme vraiment autour de chaque homme une sorte de barrière idéale, au pied de laquelle le flot des passions humaines vient mourir, sans pouvoir aller plus loin. Et, par cela même qu’elles sont contenues, il devient possible de les satisfaire. Aussi, que, sur un point quelconque, cette barrière vienne à faiblir, et aussitôt, par la brèche ouverte, les forces humaines jusque-là contenues se précipitent tumultueusement ; mais, une fois lâchées, elles ne peuvent plus trouver de terme où elles s’arrêtent ; elles ne peuvent que se tendre douloureusement dans la poursuite d’un but qui leur échappe toujours. Que, par exemple, les règles de la morale conjugale perdent de leur autorité, que les devoirs auxquels les époux sont tenus l’un envers l’autre soient moins respectés, et les passions, les appétits que cette partie de la morale contient et réglemente se déchaîneront, se dérégleront, s’exaspéreront par ce dérèglement même ; et, impuissantes à s’apaiser parce qu’elles se seront affranchies de toutes limites, elles détermineront un désenchantement, qui se traduira d’une manière visible dans la statistique des suicides. »
< p.36 >
Sigmund FREUD / Essais de psychanalyse / Petite Bibliothèque Payot (44) 1973
« Devant le cadavre de la personne aimée prirent naissance non seulement la doctrine des âmes, la croyance à l’immortalité, mais aussi, avec le sentiment de culpabilité humaine, qui ne tarda pas à pousser une puissante racine, les premiers commandements moraux. Le premier et le plus important commandement qui ait jailli de la conscience à peine éveillée était : tu ne tueras point. Il exprimait une réaction contre le sentiment de satisfaction haineuse qu’à côté de la tristesse on éprouvait devant le cadavre de la personne aimée et s’est étendu peu à peu aux étrangers indifférents et même aux ennemis détestés. »
< Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, 1915 p.261 > Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Les moralistes sont toujours bouffons, et souvent comiques quand on regarde ce qu’ils sont eux-mêmes. »
< 14 Octobre 1942 III p.717 >
Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988
« On a inventé les chemins de fer. On a trouvé l’électricité, la télégraphie sans fil, la circulation aérienne et sous-marine, les canons à grande portée et la poudre sans fumée. On voyage plus vite. On a mis de l’air dans les rues et dans les maisons. On se nourrit mieux. Il y a plus de gens qui lisent comme plus de gens qui écrivent (la qualité valait mieux que la quantité). Les malades sont mieux soignés. On ne brûle plus les impies ni les libertins (encore qu’il y ait l’antisémitisme et le lynchage des nègres). Le progrès s’arrête là.
Purement matériel. Rien de moral. On n’a pas amélioré les hommes, qui sont ce qu’ils ont toujours été et seront toujours. »
< p.229 >
MORALE
309
« Je n’ai jamais été capable des grands sentiments : ils me font rire. »
< p.260 >
Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« En cherchant bien, l’on trouverait à la plupart des bonnes actions des circonstances atténuantes. »
< p.79 >
Sacha GUITRY / Elles et Toi / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Les honnêtes femmes sont inconsolables des fautes qu’elles n’ont pas commises. »
< p.112 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Les lois et les morales sont essentiellement éducatrices, et par cela même provisoire. Toute éducation bien entendue tend à pouvoir se passer d’elles. Toute éducation tend à ce nier d’elle-même. Les lois et les morales sont pour l’état d’enfance : l’éducation est une émancipation. Une cité, un État parfaitement sage vivrait, jugerait sans lois, les normes étant dans l’esprit de son aréopage. L’homme sage vit sans morale, selon sa sagesse. Nous devons essayer d’arriver à l’immoralité supérieure. »
< p.55 >
« C’est toujours la même histoire dans la vie : il y a des gens sur qui l’on compte, et dont on a besoin, qui ne font pas leur devoir ; de sorte que ceux qui continuent de faire le leur font figure de poires et paraissent être joués.
Il faut placer son enjeu plus haut. »
< p.648 >
Hermann HESSE / Le Jeu des Perles de Verre / Romans et nouvelles / La Pochothèque LdP 1999
« On le sait, ou on le soupçonne : quand la pensée manque de pureté et de vigilance, et que le respect de l’esprit n’a plus cours, les navires et les automobiles ne tardent pas non plus à mal marcher, la règle à calcul de l’ingénieur comme la mathématique des banques et des bourses voient leur valeur et leur autorité chanceler, et c’est alors le chaos. Il fallut pourtant longtemps pour qu’on admît que les formes extérieures de la civilisation, la technique, l’industrie, le commerce, etc., avaient besoin, elles aussi, de cette base commune de morale et de probité intellectuelles. »
< p.1468 >
Louis-Ambroise de BONALD / Œuvres complètes t.3 / Paris, J-P Migne 1859
« Celui qui n’aurait pas à combattre contre ses penchants serait innocent plutôt que vertueux. »
< Pensées, p.1351 >
Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Morale.
Si les principes d’une morale étaient si bien inculqués que ses exigences les plus héroïques soient obéies par automatisme ; que l’homme ne puisse voir un pauvre sans se dénuder et le vêtir, presque inconsciemment ; une belle personne, sans dégoûts ; un lépreux, sans appétit de ses croûtes... je doute que le moraliste soit content.
Le moraliste est un amateur difficile. Il lui faut des combats et même des chutes. Une morale sans déchirements, sans périls, sans troubles, sans remords, sans nausées, cela n’a pas de saveur. Le désagréable, le tourment, le labeur, le vent contraire, sont essentiels à la perfection de cet art. Le mérite importe, et non la conformité seule. C’est l’énergie dépensée à contre-pente qui compte.
Sa morale se réduit donc à l’orgueil de contrarier. Il en résulterait aisément qu’un être naturellement moral se forçant à l’immoralité vaut un être immoral qui se force à la moralité. »
< p.510 >
« "Je suis un honnête homme, dit-il, — je veux dire que j’approuve la plupart de mes actions." »
< p.645 >
310
MORT
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Quand nous disons quelque vérité désagréable, avec une voix aigre et le sang au visage, ce n’est qu’un mouvement d’humeur, ce n’est qu’une courte maladie que nous ne savons pas soigner ; en vain nous voulons ensuite y avoir mis du courage ; cela est douteux, si nous n’avons pas risqué beaucoup, et, d’abord, si nous n’avons pas délibéré. D’où je tirerais ce principe de morale : "Ne sois jamais insolent que par volonté délibérée, et seulement à l’égard d’un homme plus puissant que toi." Mais sans doute vaut-il mieux dire le vrai sans forcer le ton, et même, dans le vrai, choisir ce qui est louable. »
< 8 mars 1911 p.102 >
Louis-Ferdinand CÉLINE / Voyage au bout de la nuit (1932) / Romans (1) / Bibliothèque de la Pléiade
/ nrf Gallimard 1997
« Si les gens sont si méchants, c’est peut-être seulement parce qu’ils souffrent, mais le temps est long qui sépare le moment où ils ont cessé de souffrir de celui où ils deviennent un peu meilleurs. »
< p.74 >
Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998
« Agis de telle sorte que tes arrangements puissent être pensés publics sans scandale, c’est-à-dire de façon à pouvoir les professer sans en rougir : telle est la maxime cardinale de la franchise. Peux-tu vouloir que le pacte honteux supporte l’épreuve du grand jour ? S’il devient indéfendable aussitôt qu’on l’énonce à haute voix, c’est qu’il ne mérite pas d’exister, c’est qu’il est un expédient immoral et malhonnête ; il dénonce, publié en majuscules, sa propre pauvreté et risibilité. »
< Du mensonge, p.285 >
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Certes, saint Mathieu a dit : " Malheur à l’homme par qui le scandale arrive * " ; mais la phrase précédant ce mot historique n’est pas moins importante : " Car c’est une nécessité qu’il arrive des scandales." »
< 7 mai 1969 p.194 >
* Matthieu 18-7.
André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994
« Pourquoi parle-t-on aujourd’hui si souvent d’"éthique" et si peu de "morale" ? C’est que la morale est une éthique que l’on ne compose pas soi-même et que l’on ne peut pas changer tous les jours, alors que l’éthique est une morale que l’on met en discussion. »
< p.137 >
Jean-François REVEL / Mémoires / Plon 1997
« C’est un des principaux arts humains que d’inventer des mobiles moraux à des actes malhonnêtes. »
< p.130 >
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« La malhonnêteté a davantage de classe quand elle sert à acheter des signes de respectabilité. »
< p.125 >
MORT
ÉPICURE / Sentences vaticanes / Lettres, maximes, sentences / Livre de Poche (4628) 1994
« La mort n’a aucun rapport avec nous ; car ce qui est dissous est insensible, et ce qui est insensible n’a aucun rapport avec nous. »
< 2 p.209 >
MORT
311
SÉNÈQUE / Lettres à Lucilius / Robert Laffont - Bouquins 1993
« "Exerce-toi à mourir." C’est me dire : exerce-toi à être libre. Qui sait mourir ne sait plus être esclave : il s’établit au-dessus, du moins en dehors de tout despotisme. Que lui font le cachot, les gardes, les verrous ?
Il a toujours porte libre. Une seule chaîne nous tient à l’attache : l’amour de la vie. Sans rejeter trop loin cette passion, il est bon de la réduire assez pour que, si la circonstance l’exige, rien ne nous retienne ni ne nous empêche d’être prêts à faire sur l’heure ce qu’il faudra faire tôt ou tard. »
< III Lettre 26-10 p.667 >
« Si je ne m’abuse, Lucilius, notre erreur est de croire que la mort ne vient qu’après la vie, alors qu’elle a précédé, comme elle suivra. Tout ce qui fut avant nous, c’est la mort. Qu’importe, en effet, de ne point commencer ou de finir, puisque l’un et l’autre a pour aboutissant l’état de non-être? »
< VI Lettre 54-5 p.725 >
« [...] il est plus beau pour l’homme d’apprendre à mourir qu’à tuer. »
< VIII Lettre 70-26 p.784 >
LIE-TSEU / Le Vrai Classique du vide parfait / Philosophes taoïstes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« Tseu-Kong, fatigué de l’étude, dit à Tchong-ni : "Je désire trouver le repos." Tchong-ni dit : "La vie ne connaît pas de repos." L’autre reprit : "Alors, il n’y a pas de repos pour moi ? - Certes oui, dit Tchong-ni, regardes là dans ce champ ces tombeaux, et reconnais où se trouve le repos."
Tseu-kong dit : "Grande est la mort, repos de l’homme supérieur, soumission des médiocres !" Tchong-ni ajouta : "Sseu, tu parles bien. Les hommes, en général, n’aiment parler de la vie qu’en termes de plaisir et ils oublient son amertume. Ils savent que la vieillesse est décrépitude, et ils oublient qu’elle apporte aussi la paix. Ils reconnaissent la tristesse de la mort et ils oublient qu’elle donne la paix." »
< p.374 >
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« Il est incertain où la mort nous attende, attendons la partout. La premeditation de la mort est premeditation de la liberté. Qui a apris à mourir, il a desapris à servir. Le sçavoir mourir nous afranchit de toute subjection et contrainte. Il n’y a rien de mal en la vie pour celuy qui a bien comprins que la privation de la vie n’est pas mal. »
< t.1 p.88 livre I chap.XX >
« Quelle resverie est-ce de s’attendre de mourir d’une defaillance de forces que l’extreme vieillesse apporte, et de se proposer ce but à nostre durée, veu que c’est l’espece de mort la plus rare de toutes et la moins en usage ? Nous l’appellons seule naturelle, comme si c’estoit contre nature de voir un homme se rompre le col d’une cheute, s’estoufer d’un naufrage, se laisser surprendre à la peste ou à une pleuresie, et comme si nostre condition ordinaire ne nous presentoit à tous ces inconvenients. Ne nous flatons pas de ces beaux mots : on doit, à l’aventure, appeller plustost naturel ce qui est general, commun et universel. Mourir de vieillesse, c’est une mort rare, singuliere et extraordinaire, et d’autant moins naturelle que les autres ; c’est la derniere et extreme sorte de mourir ; plus elle est esloignée de nous, d’autant est elle moins esperable ; c’est bien la borne au delà de laquelle nous n’irons pas, et que la loy de nature a prescript pour n’estre poinct outrepassée ; mais c’est un sien rare privilege de nous faire durer jusques là. »
< t.1 p.360 livre I chap.LVII >
LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967
« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. »
< M 26 p.13 >
« Après avoir parlé de la fausseté de tant de vertus apparentes, il est raisonnable de dire quelque chose de la fausseté du mépris de la mort. J’entends parler de ce mépris de la mort que les païens se vantent de tirer de leurs propres forces, sans l’espérance d’une meilleure vie. Il y a différence entre souffrir la mort constamment, et la mépriser. Le premier est assez ordinaire ; mais je crois que l’autre n’est jamais sincère. On a écrit néanmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mort n’est point un mal ; et les 312
MORT
hommes les plus faibles aussi bien que les héros ont donné mille exemples célèbres pour établir cette opinion. Cependant je doute que personne de bon sens l’ait jamais cru ; et la peine que l’on prend pour le persuader aux autres et à soi-même fait assez voir que cette entreprise n’est pas aisée. On peut avoir divers sujets de dégoût dans la vie, mais on n’a jamais raison de mépriser la mort ; ceux mêmes qui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour si peu de chose, et ils s’en étonnent et la rejettent comme les autres, lorsqu’elle vient à eux par une autre voie que celle qu’ils ont choisie. L’inégalité que l’on remarque dans le courage d’un nombre infini de vaillants hommes vient de ce que la mort se découvre différemment à leur imagination, et y paraît plus présente en un temps qu’en un autre. Ainsi il arrive qu’après avoir méprisé ce qu’ils ne connaissent pas, ils craignent enfin ce qu’ils connaissent. Il faut éviter de l’envisager avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire qu’elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour empêcher de la considérer. Mais tout homme qui la sait voir telle qu’elle est, trouve que c’est une chose épouvantable.
La nécessité de mourir faisait toute la constance des philosophes. Ils croyaient qu’il fallait aller de bonne grâce où l’on ne saurait s’empêcher d’aller ; et, ne pouvant éterniser leur vie, il n’y avait rien qu’ils ne fissent pour éterniser leur réputation, et sauver du naufrage ce qui n’en peut être garanti. Contentons-nous pour faire bonne mine de ne nous pas dire à nous-mêmes tout ce que nous en pensons, et espérons plus de notre tempérament que de ces faibles raisonnements qui nous font croire que nous pouvons approcher de la mort avec indifférence. La gloire de mourir avec fermeté, l’espérance d’être regretté, le désir de laisser une belle réputation, l’assurance d’être affranchi des misères de la vie, et de ne dépendre plus des caprices de la fortune, sont des remèdes qu’on ne doit pas rejeter. Mais on ne doit pas croire aussi qu’ils soient infaillibles. »
< M 504 p.113 >
Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais. »
< 227 p.1148 >
Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000
« Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d’où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes. »
< Livre premier XVI La mort et le bûcheron p.70 > Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Toute plaisanterie dans un homme mourant est hors de sa place ; si elle roule sur de certains chapitres, elle est funeste. C’est une extrême misère que de donner à ses dépens à ceux que l’on laisse le plaisir d’un bon mot. »
< p.451 XVII (8) >
MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Il faut bien prendre garde d’inspirer aux hommes trop de mépris de la mort : par là, ils échapperoient au Législateur. »
< 1736 p.1416 >
« Quelle idée pour un prince mourant de penser que son malheur va faire la félicité publique !
Cette idée fait si bien le désespoir des tyrans que plusieurs, pour empêcher que le jour de leur mort ne fût un jour de joie, ont ordonné que l’on exterminât, ce jour-là, une partie de leur peuple, afin d’empêcher que l’autre ne pût se réjouir. »
< 1856 p.1442 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Pourquoi les hommes sont-ils si sots, si subjugués par la coutume ou par la crainte de faire un testament, en un mot, si imbéciles, qu’après eux ils laissent aller leurs biens à ceux qui rient de leur mort plutôt qu’à MORT
313
ceux qui la pleurent? »
< 75 p.65 >
« Vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les 16 heures. C’est un palliatif. La mort est le remède. »
< 113 p.75 >
« Une femme âgée de 90 ans disait à M. de Fontenelle, âgé de 95 : "La mort nous a oubliés. - Chut !" lui répondit M. de Fontenelle, en mettant le doigt sur sa bouche. »
< 925 p.258 >
« On demandait à M. de Fontenelle mourant : "Comment cela va-t-il ? - Cela ne va pas, dit-il ; cela s’en va. »
< 937 p.260 >
Charles BAUDELAIRE / Le Spleen de Paris / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1975
« [...] il y a toujours dans le deuil du pauvre quelque chose qui manque, une absence d’harmonie qui le rend plus navrant. Il est contraint de lésiner sur sa douleur. Le riche porte la sienne au grand complet. »
< p.293 >
Isidore DUCASSE (LAUTRÉAMONT) / Poésies (1870) / GF 528 - Flammarion 1990
« Le charme de la mort n’existe que pour les courageux. »
< II p.347 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Il est indifférent comment on meurt. - La manière dont un homme pense à la mort, à l’apogée de sa vie et pendant qu’il possède la plénitude de sa force, est très parlante et significative pour ce que l’on appelle son caractère ; mais l’heure de sa mort par elle-même, son attitude sur le lit d’agonie, n’entrent presque pas en ligne de compte. L’épuisement de la vie qui décline, surtout quand ce sont des vieilles gens qui meurent, l’alimentation irrégulière et insuffisante du cerveau pendant cette dernière époque, ce qu’il y a parfois de très violent dans les douleurs, la nouveauté de cet état maladif dont on n’a pas encore l’expérience, et trop fréquemment un accès de crainte, un retour à des impulsions superstitieuses, comme si la mort avait une grande importance et s’il fallait franchir des ponts d’espèce très épouvantable, - tout cela ne permet pas d’utiliser la mort comme un témoignage sur le vivant. Aussi n’est-il point vrai que, d’une façon générale, le mourant soit plus sincère que le vivant : au contraire, presque chacun est poussé par l’attitude solennelle de son entourage, les effusions sentimentales, les larmes contenues ou répandues, à une comédie de vanité, tantôt consciente, tantôt inconsciente. »
< 88 p.731 >
Thomas HOBBES / Léviathan (1651) / Dalloz 1999
« [...] la compétition dans la poursuite des éloges incline à révérer l’antiquité : car on rivalise avec les vivants, non avec les morts ; à ceux-ci, on attribue plus que leur dû, afin de pouvoir mieux obscurcir la gloire de ceux-là. »
< Partie I ch.xi De la variété des mœurs, p.96 > Désiré NISARD / Ægri somnia - Pensées et caractères / Calmann Lévy 1889
« On ne se souvient guère des morts que pour en incommoder les vivants. »
< p.2 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Il est aussi utile à un peuple de craindre la guerre qu’à un individu, la mort. »
< 13 mars 1890 p.45 >
314
MORT
« La mort des autres nous aide à vivre. »
< 5 octobre 1892 p.110 >
« Soyez tranquille ! Nous qui avons peur de la mort, nous mettons toute notre coquetterie à bien mourir. »
< 3 janvier 1894 p.154 >
« Et puis, il y a la mort. Vous ne songez donc jamais à la mort, et que nous allons tous pourrir? »
< 25 janvier 1894 p.158 >
« Il ne faut pas sournoisement respecter les morts. Il faut traiter leurs images en amies et aimer tous les souvenirs qui nous viennent d’eux. Il faut les aimer pour eux-mêmes et pour nous, dût-on déplaire aux autres. »
< 22 juillet 1894 p.188 >
« Quand on croit qu’il y aura beaucoup de monde à un enterrement, on y va, et ça finit par faire beaucoup de monde. »
< 17 novembre 1897 p.345 >
« Comme le souvenir que laisse un mort est supérieur à sa vie ! Il n’y a pas de déchets. »
< 12 juillet 1898 p.389 >
« C’est commode un enterrement. On peut avoir l’air maussade avec les gens : ils prennent cela pour de la tristesse. »
< 30 décembre 1899 p.440 >
« Ceux qui ont le mieux parlé de la mort sont morts. »
< 9 août 1900 p.469 >
« Il y a des enterrements de première classe comme si on allait au Paradis par le chemin de fer. »
< 10 septembre 1903 p.669 >
« La mort est mal faite. Il faudrait que nos morts, à notre appel, reviennent, de temps en temps, causer un quart d’heure avec nous. Il y a tant de chose que nous ne leur avons pas dites quand ils étaient là ! »
< 10 octobre 1903 p.678 >
« Tous les matins, en se levant, on devrait dire : "Chic ! je ne suis pas encore mort !" »
< 5 décembre 1903 p.685 >
« Héritage. La mort nous prend un parent, mais elle le paie, et il ne nous faut pas beaucoup d’argent pour qu’elle se fasse pardonner. »
< 30 mai 1901 p.524 >
« Mourir, c’est éteindre le monde. »
< 6 août 1906 p.837 >
Anatole FRANCE / L’Île des Pingouins (1908) / Au tournant du siècle / Omnibus 2000
« Les morts n’ont de vie que celle que leur prêtent les vivants. »
< Livre III Ch.6 p.642 >
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
On doit le respect aux morts.
« Il est inutile de respecter les vivants, à moins qu’ils ne soient les plus forts. Dans ce cas, l’expérience conseille plutôt de lécher leurs bottes, fussent-elles merdeuses. Mais les morts doivent être respectés. »
< p.85 >
Les morts ne peuvent pas se défendre.
« Quelle bêtise ou quelle hypocrisie ! Comment donc ! mais ils se défendent précisément par le respect qui leur est dû et qui ne permet pas qu’on les touche. Imagine-t-on une meilleure défense ? Elle est d’autant plus sûre qu’une incertitude continuelle plane sur eux. Ils ont si souvent, je ne me lasse pas de le répéter, l’air de vivre, et on les enterre d’une si drôle de façon !... Essayez, par exemple, de pisser contre la statue de MORT
315
Gambetta et vous verrez sur-le-champ s’épaissir, se coaguler, se condenser et finalement apparaître, sous la forme de la répression la plus exaltée, toutes les sales ombres intéressées au prestige de cette abominable charogne. J’appelle ça se défendre. »
< p.86 >
Pas de nouvelles, bonnes nouvelles.
« Voilà qui est clair et il faut renoncer à l’exercice de la raison ou conclure de bonne foi que tout va bien du côté des morts, puisqu’ils ne donnent jamais de leurs nouvelles. »
< p.268 >
Mourir de sa belle mort.
« Le plus savant des dictionnaires nous affirme que cela signifie mourir de mort naturelle. Nous voilà bien avancés ! Cela implique simplement qu’il peut y avoir des cas de mort surnaturelle, mais il paraît difficile de les préciser, surtout dans la société bourgeoise où je n’ai jamais eu l’occasion d’en observer.
On y meurt ordinairement de maladie et jusqu’à l’abolition du sens des mots, je croirai que toute maladie physique est naturelle. Le choléra, la fièvre jaune, l’apoplexie, la rage, et, sans exception, toutes les maladies pouvant provoquer la mort sont parfaitement naturelles. De même, si vous êtes écrasé par un autobus ou qu’une cheminée vous tombe sur la tête, il est naturel que la mort s’ensuive. De même encore si vous êtes empoisonné, revolvérisé, poignardé, noyé ou guillotiné. Impossible de s’exprimer autrement. »
< p.273-274 >
Voir la mort en face.
« Tous les héros de roman-feuilleton sont habitués à voir la mort en face. Faut-il croire qu’aucun d’eux ne l’a jamais vue de profil? C’est peut-être plus effrayant. »
< p.298 >
« Le cimetière est un jardin où l’on vient apporter des fleurs une fois par an. »
< p.298 >
Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Si tu as peur de la mort, n’écoute pas ton cœur battre la nuit. »
< 300 p.202 >
Sigmund FREUD / Essais de psychanalyse / Petite Bibliothèque Payot (44) 1973
« Rappelons-nous le vieil adage : si vis pacem, para bellum. Si tu veux maintenir la paix, sois toujours prêt à la guerre.
Il serait temps de modifier cet adage et de dire : si vis vitam, para mortem. Si tu veux pouvoir supporter la vie, soit prêt à accepter la mort. »
< Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, 1915 p.267 > Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Les méditations sur la mort (genre Pascal) sont le fait d’hommes qui n’ont pas à lutter pour leur vie, à gagner leur pain, à soutenir des enfants.
L’éternité occupe ceux qui ont du temps à perdre. Elle est une forme du loisir. »
< p.841 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Perdre la vie — c’est-à-dire perdre l’avenir.
— N’es-tu pas l’avenir de tous les souvenirs qui sont en toi? l’avenir d’un passé? »
< p.1318 >
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Peut-on se plaire aux idées dont Barrès s’est fait le champion, dont il s’est fait, pour parler plus justement, un tremplin, ces dernières années ? La leçon des morts, l’enseignement des morts, l’obéissance aux morts, la terre et les morts, la petite patrie, etc. Idées inintelligentes, philosophie d’esclave. L’enseignement des morts ! N’est-ce pas assez de les subir en soi forcément, sans encore se plier volontairement à eux? Je pense 316
MORT
au mot de Gœthe : "En avant, par-delà les tombeaux." Véritable cri d’un homme qui voulait être et savait être un homme. Mes morts à moi-même ne m’intéressent déjà pas. Je veux dire celui que j’étais hier, que j’ai été auparavant. Ce n’est pas pour me soumettre aux morts réels. Je doute de l’intelligence d’un homme, d’inventer des niaiseries pareilles. »
< 16 janvier 1907 I p.369 >
« Valéry m’a raconté un bien beau mot, un mot vraiment admirable du père de M. Édouard Lebey, le premier Lebey, le fondateur de la fortune. Mot d’un homme habitué à pouvoir tout payer, tout acheter.
Malade, et sentant que la fin arrivait, il se mit à dire : "Quel dommage qu’il faille mourir soi-même !" Il aurait voulu que là aussi on pût payer quelqu’un pour se faire remplacer. »
< 11 septembre 1915 I p.965 >
« Nous parlions ce soir, Valette et moi, de ce mouvement de gratter leur drap avec les mains qu’ont tous les moribonds, ou presque tous. Je lui disais que les animaux font de même, au moins les chiens et les chats, dont j’ai vu mourir un grand nombre. Un chien, un chat, à la minute de la mort, s’ils sont sur le sol d’un jardin, grattent le sol de leurs pattes de devant, s’ils sont sur le sol d’un jardin, grattent le parquet, s’ils sont sur un lit, grattent l’étoffe sur laquelle ils sont. Que signifie ce geste, ce mouvement, qu’ont ainsi les humains et les animaux? Il a sûrement la même origine animale, purement instinctive. »
< 23 mai 1927 I p.1955 >
Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988
« Le chagrin pour les morts est une niaiserie. Une illusion également. C’est sur nous-mêmes que nous pleurons, sur le vide ou la privation qu’ils nous laissent. Eux, ils sont morts, c’est-à-dire : ils ne sont plus rien. Pleurer sur eux ne rime à rien. »
< p.218 >
Paul LÉAUTAUD / Propos d’un jour / Œuvres / Mercure de France 1988
« Quel dommage que la mort soit d’abord le non-être, et ensuite le répugnant phénomène physique qu’elle est ! Enfermé tranquillement, douillettement, dans cette boîte, sans besoins, sans soucis, sans désirs, dans un éternel farniente, une rêverie sans fin, à se représenter tous ces imbéciles qui s’agitent au-dessus ? Ce serait délicieux ! »
< p.371 >
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« C’était dans le haut du village, d’où l’on aperçoit la mer à travers les ormeaux et les pommiers. Au vieux marin que je rencontrai, je fis la politesse de dire que je me sentais bien dans cet air-là, et c’était vrai. Mais lui reprit cette idée comme un homme qui cause, et qui laisse là le reste. Sa manière était de me quitter en tournant la tête vers moi, et puis de revenir, comme ayant encore une dernière chose à dire. "Vous êtes donc, me dit-il, comme ce sacristain de Paris, si fâché de s’en retourner, et qui disait qu’avec cet iode dans les poumons, cet iode de la mer, on se sent rajeuni." Ici quelque remous écarta l’homme ; puis il revint, tout confident : "Il me disait qu’on ne peut mourir ici ; je lui répondis qu’on meurt partout." Nouvelle feinte de départ, mais le conteur regardait ici et là, comme pour chercher des témoins. Toute la scène allait jouer sur ce mouvement de partir et de revenir. Ce fut bref. "Vous savez ce que disait le terrien ; il disait au marin :
"Où donc sont morts tes grands-parents et tes parents ?" — "Ils sont morts en mer, dit le marin." — "Et tu oses t’embarquer ! dit le terrien." Une fausse sortie. Là-dessus le marin hausse les épaules et va s’en aller ; mais il revient et demande : "Et toi, terrien, où sont donc morts tes grands-parents et tes parents?" Le terrien répond qu’ils sont morts dans leur lit "Et, dit le marin, tu oses te coucher !" II s’en alla, cette fois, sans autre commentaire. »
< 1 octobre 1935 p.1282 >
Sacha GUITRY / Si j’ai bonne mémoire / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Nous avions un parent pour lequel mon père avait peu d’amitié. Le pauvre homme mourut un jour —
et nous l’avons accompagné jusqu’à sa dernière demeure qui était extrêmement éloignée de la précédente.
Il avait fallu se lever de grand matin, il faisait extrêmement chaud et nous marchions depuis bientôt une heure, lorsque mon père se tourna vers moi et me dit, à voix basse, d’une inexprimable manière : MORT
317
— Je commence à le regretter ! »
< p.360 >
Sacha GUITRY / Mes Médecins / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Il n’y a pas de belle mort. Il y en a qui sont belles à raconter — mais, celles-là, ce sont les morts des autres.
Combien de fois l’ai-je entendue cette phrase :
— Je voudrais mourir d’un seul coup sans souffrir et sans avoir connu les infirmités de l’extrême vieillesse.
Eh ! Bien, moi, je voudrais mourir le plus tard possible — non seulement de vieillesse, mais encore avec une lenteur infinie, car n’ayant jamais eu le temps de vivre, je voudrais bien avoir du moins le temps de mourir. Oui, je réclame une mort lente et toutes les infirmités possibles. Il me faudra bien cela pour que je parte sans trop de regrets. »
< p.557 >
Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992
« La mort sans l’Église est sans grandeur. Elle a l’air un peu d’une formalité administrative, d’une opération d’arithmétique physiologique, d’une soustraction charnelle : Un tel y était. Il n’y est plus. Ça fait moins un.
À qui le tour?... »
< p.68 >
Jean COCTEAU / Le Rappel à l’ordre / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Cent ans après ma mort, je me reposerai, fortune faite. »
< p.499 >
Jean COCTEAU / La difficulté d’être / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Après la mort de Jean Giraudoux je publiai une lettre d’adieu qui se terminait par : "Je ne serai pas long à te rejoindre." On me gronda beaucoup sur cette phrase qu’on trouvait pessimiste empreinte de découragement. Il n’en était rien. Je voulais dire que si même je dois durer jusqu’à cent ans, c’est quelques minutes. Mais peu de gens veulent l’admettre, et que nous nous occupons et jouons aux cartes dans un express qui roule vers la mort. »
< p.918 >
Paul LEVY / Quelques aspects de la pensée d’un mathématicien / Albert Blanchard 1970
« Quant à la peur de la mort, elle fait partie des réflexes de défense que la nature a mis en nous. Mais est-elle logique ? Nous nous résignons à l’idée que le monde a existé sans nous jusqu’à notre naissance.
L’idée qu’il continuera après nous est-elle plus effrayante ? Je ne le crois pas. Je n’ai pas la peur abstraite de la mort, et je m’étonne de voir à quel point l’humanité est dominée par cette peur. »
< p.180 >
Pierre DAC / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1972
« La mort n’est, en définitive, que le résultat d’un défaut d’éducation puisqu’elle est la conséquence d’un manque de savoir vivre. »
< p.48 >
Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984
« Je m’étonne toujours que des êtres également menacés par la mort se fassent la vie aussi difficile. »
< p.85 >
« Ce qu’il y a de plus terrible dans la mort, c’est de ne pas pouvoir aller à ses rendez-vous du lendemain. »
< p.94 >
Pierre DESPROGES / Vivons heureux en attendant la mort / Ed. du Seuil 1983
« Qu’es-tu devenue, toi que j’aimais, qui fus pimpante et pétillante, bouche de fraise et nez coquin, qu’est-ce que tu fous sous ton cyprès? Qu’es-tu devenue? Oh je sais. Tu es devenue : azote 12 %, acide phospho-rique 17 %, sels de phosphate 31 %, âme zéro. »
< p.103 >
318
MORT
Emil CIORAN / Sur les cimes du désespoir / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Lamentable faiblesse que de vouloir vivre et mourir en société : y a-t-il une consolation possible à la dernière heure ? Il est bien préférable de mourir seul et abandonné, sans affectation ni faux-semblants. Je n’éprouve que dégoût pour ceux qui, à l’agonie, se maîtrisent et s’imposent des attitudes destinées à faire impression. Les larmes ne sont chaudes que dans la solitude. Tous ceux qui veulent s’entourer d’amis à l’heure de la mort le font par peur et incapacité d’affronter leur instant suprême. »
< p.21 >
Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Le désir de mourir n’exprime parfois qu’une subtilité de notre orgueil : nous voulons nous rendre maîtres des surprises fatales de l’avenir, ne pas tomber victimes de son désastre essentiel. »
< p.431 >
Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Pourquoi craindre le néant qui nous attend alors qu’il ne diffère pas de celui qui nous précède, cet argument des Anciens contre la peur de la mort est irrecevable en tant que consolation. Avant, on avait la chance de ne pas exister ; maintenant on existe, et c’est cette parcelle d’existence, donc d’infortune, qui redoute de disparaître. Parcelle n’est pas le mot, puisque chacun se préfère ou, tout au moins, s’égale, à l’univers. »
< p.1329 >
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Il faudrait vivre, disiez-vous, comme si l’on ne devait jamais mourir. — Ne saviez-vous donc pas que tout le monde vit ainsi, y compris les obsédés de la Mort? »
< p.1780 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« La seule utilité des enterrements, c’est de nous permettre de nous réconcilier avec nos ennemis. »
< p.104 >
« Si, pour consoler les gens en deuil, on invoque si souvent les lieux communs : tout le monde meurt, les grands comme les petits, les empires et le reste, — c’est que, comme on l’a remarqué, en dehors de ces banalités, il n’y a rien qui puisse servir de consolation. »
< p.173 >
« L’ extraordinaire argument dont Plutarque s’est servi à l’intention de sa femme après la mort de leur fille :
"Pourquoi pleurer, tu n’étais pas affligée quand tu n’avais pas encore d’enfant ; maintenant que tu n’en as plus, tu en es au même point." »
< 30 mai 1969 p.733 >
José ARTUR / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1993
« Un incinéré ne peut pas se retourner dans sa tombe. »
< p.80 >
« Pour tout croyant, la mort est une promotion. »
< p.85 >
Georges WOLINSKI / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1981
« Le premier homme qui est mort a dû être drôlement surpris. »
< p.36 >
COLUCHE / Pensées et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1995
« Si j’ai l’occasion, j’aimerais mieux mourir de mon vivant ! »
< p.171 >
MUSIQUE
319
Jacques PRÉVERT / Spectacle (1951) / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1992
« Espace vital :
Une des grandes misères de l’homme c’est de ne pas pouvoir se tenir dans un espace de quatre pieds carrés.
GLAISE PASCAL. »
< Intermède, p.379 >
Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996
« Pascal s’est aussi bien décomposé que ceux qui ne l’ont jamais lu. »
< p.183 >
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« Les incessants progrès de la chirurgie, de la médecine et de la pharmacie sont angoissants : de quoi mourra-t-on dans vingt ans? »
< p.47 >
« Le désespoir est à la mort ce que le beurre de cacao est au suppositoire : un excipient qui rend plus facile le passage. »
< p.231 >
« Les morts qu’on n’a pas vus mourir paraissent moins morts que les autres. Exemptés des souffrances de l’agonie et de la corruption du tombeau, ce sont seulement des disparus. On a parfois l’impression qu’ils n’attendent qu’une occasion pour réapparaître. »
< p.237 >
« Et si le bien qu’on dit toujours des disparus s’expliquait par la certitude qu’ils ne feront plus aucun mal? »
< p.247 >
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Mourir, c’est comme de sauter d’un train en marche ; on ne voit plus que les trois feux rouges du dernier wagon, qui s’éloigne. Ça continue sans vous, sans un instant de retard. »
< 2 septembre 1969, p.259 >
MUSIQUE
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Il est tout aussi agréable d’écouter la musique qu’il est déplaisant d’en entendre parler. »
< N 38 p.573 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Le bruit fend l’air et le son s’y soutient. Le bruit distrait, le son recueille. Le son enchante l’air, le bruit le trouble. Le son nous calme et le bruit nous agite. C’est que le bruit dérange notre situation, mais le son nous en donne une autre. Nous sommes tous des instruments que le son met d’accord, mais que le bruit désorganise. Le bruit est un son écrasé ; il est informe. »
< 5 février 1807 t.2 p.174 >
« La musique et les airs connus. Ou : il n’y a pas de musique plus agréable que les variations des airs connus. »
< 25 mars 1807 t.2 p.193 >
« Le son du tambour dissipe les pensées. C’est par cela même que cet instrument est éminemment militaire. »
< 6 avril 1808 t.2 p.261 >
320
MYSTICISME
Alfred de VIGNY / Poésies / Paris, A. Lemerre 1883 [BnF]
«
J’aime le son du cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.
»
< Livre moderne, Le Cor, p.133 >
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« La musique sert peut-être en ce qu’elle fait estimer le silence à son prix. »
< 19 août 1862 p.847 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« ... toute musique ne commence à avoir un effet magique qu’à partir du moment où nous entendons parler en elle le langage de notre propre passé : et en ce sens, pour le profane, toute musique ancienne semble devenir toujours meilleure, et toute musique récente n’avoir que peu de valeur : car elle n’éveille pas encore la "sentimentalité", qui [ ... ] est le principal élément de bonheur dans la musique, pour tout homme qui ne prend pas plaisir à cet art purement en artiste. »
< 168 p.892 >
Alphonse KARR / Une poignée de vérités / M. Lévy frères 1866
« Le plus grand inconvénient des pianos consiste, sans contredit, dans les pianistes. — S’il est douteux, souvent, que les pianistes célèbres fassent réellement plaisir, il ne l’est pas du tout que ceux qui sont en train de devenir des pianistes célèbres sont des ennemis publics. »
< p.282 >
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Clarinette n. Instrument de torture utilisé par une personne qui a du coton dans les oreilles. Il y a deux instruments qui sont pires qu’une clarinette — deux clarinettes. »
< p.52 >
« Violon n. Instrument qui titille les oreilles humaines par le frottement d’une queue de cheval sur les boyaux d’un chat. »
< p.287 >
Emil CIORAN / Syllogismes de l’amertume (1952) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« À quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde? »
< p.797 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Socrate, la veille de sa mort, était en train d’apprendre un air de flûte. "À quoi cela te servira-t-il ? lui dit-on. — À savoir cet air avant de mourir." »
< 2 septembre 1966 p.390 >
MYSTICISME
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Lu saint Augustin, saint Jérôme, etc. : une des choses qui compromettent le plus Dieu, après la religion, ce sont les livres mystiques. Sorti de la lecture de tous ces mystiques comme d’une maison de fous et d’un hôpital d’âmes. »
< septembre 1857 p. 297 >
MYTHE
321
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Explications mystiques. — Les explications mystiques sont considérées comme profondes ; en réalité il s’en faut de beaucoup qu’elles soient même superficielles. »
< 126 p.133 >
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Les obsèques du Maréchal Joffre, comme celles du même genre, cette glorification, cette apothéose, ce transport solennel d’un corps mort, cette sorte de déification de ce qui n’est plus rien, au fond c’est encore un reste des vieilles superstitions, c’est tout près des idolâtries des peuplades sauvages, cela n’a absolument rien de très relevé, au contraire. Le tombeau de Napoléon, le corps de Lénine, conservé dans un cercueil de verre et exposé à la vénération du peuple, l’exposition du corps du maréchal Joffre, la conservation de l’épée de celui-ci ou du chapeau de celui-là, tout cela se tient : c’est un mysticisme extrêmement primitif qui survit. »
< 13 janvier 1931 II p.669 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Nombreux sont ceux qui confondent mysticisme et spiritualité, et qui croient que l’homme ne peut que ramper, si la religion ne le soulève ; qui croient que seule la religion peut empêcher l’homme de ramper. »
< 4 janvier 1933 p.1153 >
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« La Magie consiste toujours à agir par des signes en des choses où le signe ne peut rien. Par exemple les faiseurs de pluie, dont Frazer, en son Rameau d’or, nous rapporte les pratiques, sont des hommes qui signifient pluie par une mimique énergique, soit qu’ils lancent ici et là des gouttelettes d’eau, soit qu’ils courent en élevant des masses de plumes qui figurent des nuages. En quoi ils ne font autre chose que parler et demander, choisissant seulement de tous les langages le plus clair et le plus pressant. Tel est le plus ancien mouvement de l’homme, par la situation de l’enfance, qui n’obtient d’abord qu’en demandant, qu’en nommant et montrant la chose désirée. Aussi il est tout à fait inutile de supposer, en la croyance du magicien, quelque relation mystique entre l’image et la chose ; il suffit de considérer les effets constants du langage dans le monde humain, puisque c’est de ce monde que nous prenons nos premières idées. Ces sorciers, donc, signifient énergiquement ce qu’ils désirent, à la manière des enfants. Comme d’après une constante expérience, ils savent que, dans le monde humain, il faut répéter le signe sans se lasser, ainsi ils se gardent de douter de leur puissance, se croyant tout près du dernier quart d’heure ; et l’événement leur donne raison , puisque la pluie finit toujours par arriver. »
< p.79-80 >
Robert DANTZER / L’illusion psychosomatique / Seuil Ed Odile Jacob 1989
« Le mysticisme est le refuge classique de ceux qui se mettent en doute et n’arrivent plus à supporter le matérialisme ambiant : le grand neurophysiologiste anglais Sir John Eccles était persuadé de pouvoir comprendre le fonctionnement du cerveau à partir de l’étude des propriétés du neurone. Malgré ses efforts, il n’a pas réussi à trouver l’esprit dans le neurone. Il en a déduit que l’esprit est immatériel et qu’il constitue un don du ciel. »
< p.282-283 >
MYTHE
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Les enfants et les esprits faibles demandent si le conte est vrai. Les esprits sains examinent s’il est moral, s’il est naïf, s’il se fait croire. »
< 9 septembre 1799 t.1 p.304 >
322
NATURE
« Qu’importe qu’un vieux récit contienne un événement fabuleux ou un événement réel, si la même autorité qui nous l’a fait adopter en l’inculquant dans notre esprit y implique une moralité qui contient des maximes vraies, utiles, nécessaires, indispensables? »
< 31 janvier 1800 t.1 p.329 >
Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971
« Après la guerre, a été créé le mythe réactionnaire et bêtifiant de la "Belle époque". Les jeunes ont été incités à croire que ce fut un temps de fêtes, autour de la place Pigalle.
Il n’était pas question des 100 000 vagabonds ou mendiants qui traînaient dans Paris, de la mortalité infantile 6 fois plus forte que l’actuelle, de la semaine de 60 heures, sans congés, sans sécurité sociale, non plus que du taudis et de l’expulsion avec saisie des meubles (sauf le lit, par mesure... d’humanité). »
< p.23 >
« En matière de records, le chiffre rond paraît une barrière , une sorte de mur du son. "Le mur des 20 mètres sera-t-il franchi un jour, au poids ?", a-t-on dit longtemps, comme si ce nombre présentait une difficulté particulière. Jugement d’autant plus puéril que les Américains, seuls intéressés en ce temps, comptent en pieds. »
< p.32 >
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
« C’est probablement une exigence de l’esprit humain d’avoir une représentation du monde qui soit unifiée et cohérente. Faute de quoi apparaissent anxiété et schizophrénie. Et il faut bien reconnaître qu’en matière d’unité et de cohérence, l’explication mythique l’emporte de loin sur la scientifique. Car la science ne vise pas d’emblée à une explication complète et définitive de l’univers. Elle n’opère que localement. Elle procède par une expérimentation détaillée sur des phénomènes qu’elle parvient à circonscrire et définir. Elle se contente de réponses partielles et provisoires. Qu’ils soient magiques, mythiques ou religieux, au contraire, les autres systèmes d’explication englobent tout. Ils s’appliquent à tous les domaines. Ils répondent à toutes les questions. Ils rendent compte de l’origine, du présent et même du devenir de l’Univers. On peut refuser le type d’explication offert par les mythes ou la magie. Mais on ne peut leur dénier unité et cohérence car, sans la moindre hésitation, ils répondent à toute question et résolvent toute difficulté par un simple et unique argument a priori. »
< p.26-27 >
NATURE
ÉRASME / Éloge de la Folie / Robert Laffont - Bouquins 1992
Le mythe de l’âge d’or :
« La race simple de l’âge d’or, dépourvue de toute science, vivait sans autre guide que l’instinct de Nature.
Car quel besoin avait-on de la grammaire quand il n’y avait qu’une langue et qu’on ne demandait rien d’autre à la parole que de se faire comprendre ? Quelle aurait été l’utilité de la dialectique quand il n’y avait pas de lutte entre opinions rivales ? Quelle aurait été la place de la rhétorique quand nul ne cherchait chicane à autrui ? À quoi bon la jurisprudence en l’absence de mauvaises mœurs, d’où sont nées, sans nul doute, les bonnes lois ? Puis on était trop religieux pour scruter avec une curiosité impie les arcanes de la Nature, la dimension des astres, leurs mouvements, leurs influences, et les ressorts cachés du monde ; on estimait sacrilège qu’un mortel cherche à savoir au-dessus de sa condition. Quant à s’enquérir de ce qui est au-delà du ciel, cette démence ne venait même pas à l’esprit. Cependant, à mesure que disparaissait la pureté de l’âge d’or, les arts, comme je l’ai dit, furent d’abord inventés par de mauvais génies, mais en petit nombre et eurent peu d’adeptes. Ensuite, la superstition des Chaldéens et l’oisive frivolité des Grecs en ajoutèrent une multitude qui devinrent des tortures pour l’esprit, à telle enseigne que la grammaire à elle seule suffit bien à faire le supplice de toute une vie. »
< p.39 >
NATURE
323
« Tenez, ne voyez-vous pas que dans la totalité du règne animal les espèces les plus heureuses sont celles qui ignorent absolument toute science et ne reconnaissent d’autre maître que la nature ? Quoi de plus heureux ou de plus merveilleux que les abeilles ? Pourtant elles n’ont même pas tous les sens. L’architecture peut-elle les égaler dans la construction d’édifices? Quel philosophe a jamais fondé semblable république? »
< p.40 >
Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989
« J’aime tout de la nature, même ce qui passe pour laid et triste, même l’hiver et la tempête. Je ne me blase pas, je n’éprouve pas le besoin de critiquer, je jouis bêtement, j’admire éperdument, je n’ai pas une objection aux montagnes, je suis incapable de faire de la peine à la mer par une restriction. »
< 1860 p.54 >
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« La vraie horreur de la nature consiste à préférer sincèrement les tableaux aux paysages et les confitures aux fruits. »
< 10 juillet 1865 p. 1174 >
Henry D. THOREAU / Marcher (1862) / Désobéir / Bibliothèques 10/18 (2832) Éd. de L’Herne 1994
« Ce qui est sauvage s’accorde avec la vie et le plus vivant est aussi le plus sauvage. Libre encore du joug de l’homme, sa présence est pour lui rafraîchissante. Celui qui voudrait toujours aller de l’avant, travailler sans relâche, croître rapidement et beaucoup solliciter l’existence devrait toujours se trouver dans un pays neuf ou une nature sauvage, entouré de toutes les matières premières de la vie. Il devrait grimper sur les troncs abattus d’une forêt primitive. »
< p.101 >
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« De mon temps, la nature signifiait encore un tas de choses. - Laissez faire la nature, disait-on à tout propos, laissez agir la nature. Maintenant on ne parle plus que de microbes et la nature est remplacée par une seringue. Idole pour idole, j’aime mieux l’ancienne. Elle était agréable à voir, beaucoup moins sotte et beaucoup moins dangereuse. Elle fut adorée, surtout au dix-huitième siècle, époque où subsistait encore en France un vif sentiment du ridicule. Il est certain que notre Bourgeois a perdu ce sentiment-là. Sans doute il ne dit plus, comme au temps de Jean-Jacques Rousseau, que le retour à l’état de nature serait idéal. Un je ne sais quoi l’avertit qu’il y aurait de l’imprudence à paraître in naturalibus à son café, à se manifester brusquement à poil, dans le voisinage des sergots* ; mais il supporte et même il sollicite, entre beaucoup d’autres choses, les aventures malpropres et fabuleuses de la médecine contemporaine. »
< p.134 >
* sergot : sergent de ville, ancien nom de l’agent de police.
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La "loi de la nature", une superstition. - Si vous parlez avec tant d’enthousiasme de la conformité aux lois qui existe dans la nature, il faut que vous admettiez soit que, par une obéissance librement consentie et soumise à elle-même, les choses naturelles suivent leur loi - en quel cas vous admirez donc la moralité de la nature - ; soit que vous évoquiez l’idée d’un mécanicien créateur qui a fabriqué la pendule la plus ingénieuse en y plaçant, en guise d’ornements, les êtres vivants. - La nécessité dans la nature devient plus humaine par l’expression "conformité aux lois", c’est le dernier refuge de la rêverie mythologique. »
< 9 p.709 >
François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981
« La conception darwinienne a une conséquence inéluctable : le monde vivant aujourd’hui, tel que nous le voyons autour de nous, n’est qu’un parmi de nombreux possibles. Sa structure actuelle résulte de l’histoire de la terre. Il aurait très bien pu être différent. Il aurait même pu ne pas exister du tout ! »
< p.35-36 >
324
NIETZSCHE
Raymond DEVOS / Sens dessus dessous. (sketches) / Stock 1976 LdP5102
« Récemment, je bavardais avec un ancien officier.
Pendant la guerre, il avait été le bras droit d’un général.
Il ne lui restait plus que le bras gauche.
Au cours d’une attaque, alors qu’il avait la main dans sa poche, son bras a été emporté par un obus.
Et la main est restée dans la poche.
Il me disait :
- Ce que la nature est bien faite !
Vous ne pouvez pas savoir ce qu’il est difficile de retirer sa main de sa poche sans son bras ! »
< p.181 >
NIETZSCHE
Rémy de GOURMONT / Épilogues (2) / Mercure de France 1923
« Même dangereuses, si l’on veut, les idées de Nietzsche sont libératrices. Sa logique est un allègement pour les esprits ; elle donne au cerveau une facilité nouvelle à penser et à comprendre ; elle est, dans la série des nourritures intellectuelles, un aliment respiratoire. Non pas sans doute pour les poumons usés ou desséchés. On ne conseille pas la philosophie nietzschéenne aux personnes sensibles et qui ont besoin de croyances consolantes. Elle s’offre aux forts et non aux débiles, à ceux qui n’ont pas besoin pour vivre du lait sucré de l’espérance. Mais n’ont-ils pas, ceux-là, et les religions et toutes les douceâtres philosophies que d’habiles gens en ont extraites, à peu près comme on tire de la houille de la vanille et de l’indigo ? Ils ont le spiritisme d’Allan Kardec et le spiritualisme de M. Boutroux ; sont-ils à plaindre? »
< octobre 1900, p.189 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Nietzsche. Ce que j’en pense? C’est qu’il y a bien des lettres inutiles dans son nom. »
< 7 juillet 1906 p.835 >
Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Nietzsche est mâtiné de Slave et d’Allemand - il descendait des Nietski - et il a subi fortement l’influence des lettres françaises. J’ai étudié son cas ailleurs. Jules de Goncourt affirmait que "ce qui entend le plus de bêtise, c’est un tableau". Néanmoins, les œuvres de cet énervé de Germanie et en particulier Zarathoustra ont déchaîné un flot d’insanités. Il fut un temps ou chaque revue française, chaque périodique contenait une apologie ou un abattage du "retour éternel", de la "morale des maîtres", du "oui encore une fois" de la
"reclassification des valeurs". L’âne joue un grand rôle dans Zarathoustra, un plus grand rôle encore dans la bibliographie du nietzschéisme. Les uns lui ont reproché d’être un thuriféraire de la force, ce qui n’a positivement aucun sens ; car une application de la force est nécessaire à toutes les opérations salutaires ici-bas, et le dédain de la force mène tout bonnement les dédaigneux à l’esclavage. Il faut que la force de ceux qui ont raison l’emporte sur la force de ceux qui ont tort, voilà tout. L’imbécile, le libéral, qui croit que personne n’a tout à fait raison ni tout à fait tort, peuvent seuls se permettre de mépriser la force outil du droit. D’autres ont exalté Nietzsche à cause de ses blasphèmes et de son anticatholicisme, qui sont ce qu’il y a de plus niais, de plus inopérant dans son œuvre. Sur ce point, il est Homais II. Sa conception de la Rome papale est dérivée de celle de Fischart et des pamphlétaires allemands de la Réforme. Sa Généalogie de la morale est bête à pleurer. Sans compter le mortel ennui qui se dégage de ses plaisanteries épaisses, à la lisière de la paralysie générale. »
< p.342 >
Jean COCTEAU / Le Rappel à l’ordre / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995
« Nietzsche écrit dans Ecce Homo : "La France qui possède des psychologues comme madame Gyp, Guy de Maupassant, Jules Lemaître."
Jules Lemaître était très bon pour moi. Un jour que je lui citais la phrase et que je m’étonnais de cette nomenclature hétéroclite : "Mais, mon enfant, me dit-il, Nietzsche parle de ce qu’on trouve à la gare de NIETZSCHE
325
Sils-Maria." Ce joli mot éclaire les dangers de la solitude. »
< p.482 >
Friedrich NIETZSCHE / Ecce Homo. (1888) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
La citation exacte :
« Je ne vois pas dans quel siècle de l’histoire on pourrait réunir, par un plus beau coup de filet, des psychologues si curieux et en même temps si délicats que dans le Paris actuel : je nomme au hasard - car leur nombre est considérable - MM. Paul Bourget, Pierre Loti, Gyp, Meilhac, Anatole France, Jules Lemaître ou, pour en distinguer un autre, de ceux de la forte race, un vrai latin que j’aime particulièrement, Guy de Maupassant. »
< p.1135 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Pour la septième ou huitième fois (au moins), essayé Also sprach Zarathustra. IMPOSSIBLE. Le ton de ce livre m’est insupportable. Et toute mon admiration pour Nietzsche ne parvient pas à me le faire endurer.
Enfin il me paraît, dans son œuvre, quelque peu surérogatoire ; ne prendrait de l’importance que si les autres livres n’existaient pas. Sans cesse je l’y sens jaloux du Christ ; soucieux de donner au monde un livre qu’on puisse lire comme on lit l’Évangile. Si ce livre est devenu plus célèbre que tous les autres de Nietzsche, c’est que, au fond, c’est un roman. Mais, pour cela précisément, il s’adresse à la plus basse classe de ses lecteurs : ceux qui ont encore besoin d’un mythe. Et ce que j’aime surtout en Nietzsche, c’est sa haine de la fiction. »
< 22 juin 1930 p.990 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Nietzsche n’est pas une nourriture — c’est un excitant. »
< Philosophie p.486 >
Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« La grande chance de Nietzsche d’avoir fini comme il a fini. Dans l’euphorie ! »
< p.1284 >
« À un étudiant qui voulait savoir où j’en étais par rapport à l’auteur de Zarathoustra, je répondis que j’avais cessé de le pratiquer depuis longtemps. Pourquoi ? me demanda-t-il. — Parce que je le trouve trop naïf...
Je lui reproche ses emballements et jusqu’à ses ferveurs. Il n’a démoli des idoles que pour les remplacer par d’autres. Un faux iconoclaste, avec des côtés d’adolescent, et je ne sais quelle virginité, quelle innocence, inhérentes à sa carrière de solitaire. Il n’a observé les hommes que de loin. Les aurait-il regardés de près, jamais il n’eût pu concevoir ni prôner le surhomme, vision farfelue, risible, sinon grotesque, chimère ou lubie qui ne pouvait surgir que dans l’esprit de quelqu’un qui n’avait pas eu le temps de vieillir, de connaître le détachement, le long dégoût serein. »
< p.1323 >
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Nietzsche, fier de son "instinct", de son "flair", s’il a senti l’importance d’un Dostoïevski, combien d’erreurs en revanche, et quel engouement pour quantité d’écrivains de seconde et de troisième zone ! Ce qui est confondant, c’est qu’il ait cru lui aussi que derrière Shakespeare se cachait Bacon, le moins poète des philosophes. »
< p.1491 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Bergson avouait qu’il ne pouvait pas lire du Nietzsche ; que dirait-il aujourd’hui s’il voyait que nous ne pouvons pas lire du Bergson ? »
< juin 1966 p.373 >
326
NON
NOBLESSE
Madame de LAMBERT / Avis d’une mère à son fils / Œuvres complètes / Paris L.Collin 1808 [BnF]
« La naissance fait moins d’honneur qu’elle n’en ordonne ; et vanter sa race, c’est louer le mérite d’autrui. »
< p.6 >
Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892
« M. le baron Haussmann a publié ses mémoires ; on y remarque cette malice amusante à l’adresse de notre trop moderne noblesse.
Au temps où il était préfet de la Seine, un flatteur disait :
— On devrait vous nommer duc de Paris.
— Paris n’est qu’un comté, et son titulaire est de famille royale.
— Alors duc de la Dhuys, puisqu’on vous doit l’arrivée de ses eaux.
— Hé bien ! qu’on me nomme aque-duc. »
< p.106 >
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Le plus grand signe du noble est de parler à son domestique. L’homme qui n’est pas un peu né lui commande et ne lui parle pas. »
< 15 mars 1867 p.69 >
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Toulet avait le chic, lui, pour les généalogies. Je me rappelle qu’un jour, au café, un type, qui prétendait remonter aux Croisades, énumérait, pour nous épater, tous ses ancêtres. Quand il eut fini, Toulet lui dit, avec cet air qu’il avait : "Mais vous en oubliez un ? Et le comte Charles Henri, qui a été condamné en 1852, pour faux et usage de faux?" Le type ne savait plus ou se mettre. »
< 12 décembre 1922 I p.1261 >
Alphonse ALLAIS / Œuvres posthumes / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Être de quelque chose, ça pose un homme, comme être de garenne, ça pose un lapin. »
< Le Chat Noir, 25 janvier 1890 p.220 >
NON
Baltasar GRACIÁN / Maximes / Paris, Rollin fils 1730
« C’est un grand art que celui de savoir refuser : et c’en est un plus grand de savoir se refuser à soi-même, aux affaires, aux personnes. Il y a des occupations à nous étrangères, qui emportent un temps précieux : s’occuper ainsi mal-à-propos, c’est pis que de ne rien faire. »
< Maxime XXXIII Savoir se soustraire au-dehors, p.35 >
« On aime quelquefois mieux un Non qu’un Oui : un Non assaisonné contente plus certains caractères qu’un Oui sec. Il y a bien des gens qui ont toujours dans la bouche, non ; non est toujours la première réponse à ce qu’on leur demande : quoiqu’ils accordent après cela on ne leur en a point d’obligation, à cause du désagrément que l’on a d’abord essuyé. Il ne faut point brusquer un refus, mais disposer peu à peu à ne rien prétendre : il ne faut pas non plus refuser tout ; ce serait soustraire les gens à la dépendance. Qu’on laisse toujours quelque espérance pour l’avenir, laquelle adoucisse la tristesse d’un refus : que l’on substitue une manière honnête à la place de la chose que l’on n’accorde pas ; et que de bonnes paroles suppléent au défaut des effets. »
< Maxime LXX Savoir refuser, p.79 >
OBSCURITÉ
327
Madame de SABLÉ / Maximes (1678) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« On ne doit pas toujours accorder toutes choses, ni à tous. Il est aussi louable de refuser avec raison que de donner à propos. C’est en ceci que le non de quelques-uns plaît davantage que le oui des autres. Le refus accompagné de douceur et de civilité satisfait davantage un bon cœur qu’une grâce qu’on accorde sèchement. »
< 55 p.252 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Presque tous les hommes sont esclaves, par la raison que les Spartiates donnaient de la servitude des Perses, faute de savoir prononcer la syllabe non. Savoir prononcer ce mot et savoir vivre seul sont les deux seuls moyens de conserver sa liberté et son caractère. »
< 289 p.115 >
Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]
« Les bons prétextes ne manquent jamais aux mauvaises volontés. »
< p.255 >
OBSCURITÉ
MARIVAUX / Pensées sur différents sujets (1719) / Journaux et Œuvres diverses / Classiques Garnier 1988
« En fait d’exposition d’idées, il est un certain point de clarté au-delà duquel toute idée perd nécessairement de sa force ou de sa délicatesse. Ce point de clarté est, aux idées, ce qu’est, à certains objets, le point de distance auquel ils doivent être regardés, pour qu’ils offrent leurs beautés attachées à cette distance. Si vous approchez trop de ces objets, vous croyez l’objet rendu plus net ; il n’est rendu que plus grossier. Un auteur va-t-il au-delà du point de clarté qui convient à ses idées, il croit les rendre plus claires ; il se trompe, il prend un sens diminué pour un sens plus net. »
< p.54 >
« Il est des gens qui sont de bonne foi, et qui diront aussi d’une pensée qu’elle est obscure, mais voici pourquoi.
Cette pensée peint un sujet par des côtés extrêmement fins ; l’image de ces côtés s’aperçoit aisément ; mais elle est de difficile consistance aux yeux de l’esprit ; sa délicatesse la fait perdre de vue à cet esprit ; et ces personnes appellent obscurité ce qui ne vient que de la difficulté qu’ils ont de continuer d’apercevoir l’objet d’abord bien aperçu. »
< p.55 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Il faut du moins être clair lorsque l’on n’est pas lumineux et c’est ce qu’étoient tous les Grecs. »
< 23 octobre 1797 t.1 p.230 >
« Je n’ai jamais ouï dire que le feu fût ennemi de la lumière. »
< 6 décembre 1808 t.2 p.284 >
« Quand on peint une chose intérieure, on peint une chose enfoncée. Or l’enfoncement, quelque éclairé qu’il puisse être, ne peut jamais offrir l’uniforme et vive clarté d’une surface. »
< 10 mars 1812 t.2 p.346 >
Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]
« Le véritable obscurantisme ne consiste pas à s’opposer à la propagation des idées vraies, claires et utiles, mais à en répandre de fausses. »
< p.48 >
328
OBSCURITÉ
Albert CIM / Récréations littéraires / Hachette 1920 [BnF]
« Le dessinateur Bertall, qu’un éditeur avait chargé des illustrations de La Comédie humaine, se trouvant embarrassé, dans cette tâche, par des phrases plus ou moins ténébreuses, eut recours à l’auteur et l’interro-gea. Bertall lui-même rapporte ainsi cette conversation (Cf. le journal Le Soleil, 12 avril 1882).
"Mon cher maître, voici un passage que je ne comprends pas très bien."
Balzac prit le livre, lut l’endroit désigné et se mit à rire.
"En effet, dit-il, c’est du galimatias... Mais c’est voulu !
— Comment, voulu?
— Parfaitement. Vous entendez bien, mon cher Bertall, que si le public n’était pas arrêté de temps à autre par quelque phrase bien enchevêtrée ou quelque mot très hérissé, il se croirait aussi malin que l’auteur qu’il lit. Tout ce qui est clair lui paraît trop facile. Il se figure, le naïf, qu’il en ferait autant ! Il ignore, ce satané public, que ce qu’il y a de plus difficile, c’est d’être simple. C’est pourquoi je saupoudre quelquefois mes romans d’une bonne petite obscurité afin que le bon lecteur se prenne la tête à deux mains et se dise : Je ne comprends pas du tout !"
"Ça me dépasse ! Sapristi ! tout de même, comme ce Balzac est fort !" »
< p.181 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« La profondeur et l’eau trouble. - Le public confond facilement celui qui pêche en eau trouble avec celui qui puise en eau profonde. »
< 262 p.792 >
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« La pêche est meilleure quand l’eau est trouble. »
< 5 novembre 1972, p.820 >
Friedrich NIETZSCHE / Le Gai Savoir. (1882-1887) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Être profond et sembler profond. — Celui qui se sait profond s’efforce d’être clair ; celui qui voudrait sembler profond à la foule s’efforce d’être obscur. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut pas voir le fond : elle est si craintive, elle a si peur de se noyer ! »
< 173 p.147 >
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Quiconque a sondé le fond des choses devine sans peine quelle sagesse il y a à rester superficiel. C’est l’instinct de conservation qui apprend à être hâtif, léger et faux. »
< 59 p.608 >
Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]
« Dans le royaume des aveugles, les borgnes sont pendus. »
< p.253 >
« Le pathos, c’est la puissance des puissances, et il n’y a rien de tel pour entraîner le genre humain. La belle affaire qu’un langage clair et qui dit précisément ce qu’il veut dire ! Soyez clair vous êtes perdu.
D’abord vous mécontenterez tous ceux qui ne sont pas de votre avis, puis vous exciterez d’autant plus à la riposte que personne ne vous admirera et que chacun pensera : j’en dirais bien autant. Tandis qu’un bon amphigouri, ah ! mon ami, un bon galimatias, cela est d’une beauté inimitable. Et allez donc découvrir ce qu’il y a dessous puisqu’il n’y a rien. Semez cela de quelques mots sonores, de quelques bonnes banalités, qui aient beaucoup servi, et que tout le monde reconnaîtra au passage, et vous m’en direz des nouvelles.
L’une des grandes forces de certains hommes consiste précisément dans les sottises qu’ils débitent. L’une des plus grandes faiblesses de certains autres consiste à avoir peur d’être bêtes. Rien ne réussit mieux qu’une immense niaiserie. Malheureusement c’est un don qui ne se commande pas. »
< p.277 >
OBSCURITÉ
329
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Ésotérique adj. Parfaitement occulte et particulièrement abscons. Les anciennes philosophies étaient de deux sortes, — exotériques, que les philosophes eux-mêmes ne comprenaient qu’à moitié, et ésotériques, que personne n’a jamais comprises. Ce sont ces dernières qui ont le plus profondément marqué la pensée moderne, qui jouissent encore de nos jours d’un grand crédit. »
< p.94 >
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Chose digne de remarque, l’homme n’a pu voir loin et réellement au-delà de sa planète que la nuit ; car le jour est comme une claire coupole sans mystère aucun ; aussi l’homme n’a regardé loin qu’au moment où les objets proches étant dérobés à sa vue, l’ouïe le devant occuper tout, et le silence même l’émouvoir, juste alors se montraient les objets les plus éloignés et les mieux réglés qu’il puisse connaître. »
< p.5 >
« La parabole est comme une fable sans la morale. L’énigme est du même genre ; et il faut la tenir aussi comme une des formes les plus anciennes de la pensée. "Le matin sur quatre pattes, à midi sur deux, le soir, sur trois." Il est clair que ce n’est qu’un jeu ; mais aussi ce plaisir de trouver un sens à l’absurde ne s’use point. Il faut que l’esprit se mette d’abord dans le cas de renoncer ; c’est là qu’il renaît ; c’est sur le point de ce réveil qu’il se connaît pensant. »
< p.100-101 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Etre clair? Nous sommes si peu capables d’effort pour comprendre les autres ! »
< 11 juillet 1892 p.105 >
Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« On peut être hermétique et ne rien renfermer.
Il y a des portes sans issue - et il y a même de fausses portes.
Aimez la chose à double sens - mais assurez-vous bien d’abord qu’elle ait un sens.
Certes, ce n’est pas une raison parce que vous ne comprenez pas pour que cela ne signifie rien - mais ce n’est pas une raison non plus pour que cela signifie quelque chose.
Quand on vous assure :
- C’est profond.
Répliquez donc :
- C’est creux, peut-être.