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CONSCIENCE

Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998

« La mauvaise conscience est rare ; si rare qu’elle est, en somme, à peine une expérience psychologique ; la mauvaise conscience est plutôt une limite métempirique*, et le consciencieux n’atteint cette limite que dans la tangence de l’instant, tangence aussitôt interrompue par la complaisance de la bonne conscience... C’est pourquoi la crise aiguë du remords est inséparable de la tension tragique. En dehors de Boris Godounov et de Macbeth, tout le monde a en général bonne conscience. Personne ne se reconnaît de torts, cela est assez connu, ni ne s’estime le moins du monde coupable ; chacun est convaincu de son bon droit, et de l’injustice des autres à son égard. Méchants ou non, les égoïstes sont en général bien contents, très satisfaits de ce qu’ils font, et ils jouissent le plus souvent d’un excellent sommeil ; ils ne regrettent jamais leurs mesquineries... Malgré son caractère ambigu, la mauvaise conscience, conscience honteuse d’elle-même, est une exaltation de la conscience en général. »

< La Mauvaise Conscience, p.41 >

* métempirique : qui ne peut être objet d’expérience, pour quelque raison que ce soit, et qui, par suite, ne relève pas de la science positive. (A. Lalande / Vocabulaire technique et critique de la philosophie / 12e ed.

1976)

Georges BERNANOS / La France contre les robots (1946) / Essais et écrits de combats II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1995

« Il n’y a pas de conscience collective. Une collectivité n’a pas de conscience. Lorsqu’elle paraît en avoir une, c’est qu’il y subsiste le nombre indispensable de consciences réfractaires, c’est-à-dire d’hommes assez indisciplinés pour ne pas reconnaître à l’État-Dieu le droit de définir le Bien et le Mal. »

< p.1035 >

Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7

« Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique, nous sommes programmés depuis l’œuf fécondé pour cette seule fin, et toute structure vivante n’a pas d’autre raison d’être, que d’être. Mais pour être elle n’a pas d’autres moyens à utiliser que le programme génétique de son espèce. Or, ce programme génétique chez l’Homme aboutit à un système nerveux, instrument de ses rapports avec l’environnement inanimé et animé, instrument de ses rapports sociaux, de ses rapports avec les autres individus de la même espèce peuplant la niche où il va naître et se développer. Dès lors, il se trouvera soumis entièrement à l’organisation de cette dernière. Mais cette niche ne pénétrera et ne se fixera dans son système nerveux que suivant les caractéristiques structurales de celui-ci. Or, ce système nerveux répond d’abord aux nécessités urgentes, qui permettent le maintien de la structure d’ensemble de l’organisme. Ce faisant, il répond à ce que nous appelons les pulsions, le principe de plaisir, la recherche de l’équilibre biologique, encore que la notion d’équilibre soit une notion qui demande à être précisée. Il permet ensuite, du fait de ses possibilités de mémorisation, donc d’apprentissage, de connaître ce qui est favorable ou non à l’expression de ces pulsions, compte tenu du code imposé par la structure sociale qui le gratifie, suivant ses actes, par une promotion hiérarchique. Les motivations pulsionnelles, transformées par le contrôle social qui résulte de l’apprentissage des automatismes socio-culturels, contrôle social qui fournit une expression nouvelle à la gratification, au plaisir, seront enfin à l’origine aussi de la mise en jeu de l’imaginaire. Imaginaire, fonction spécifiquement humaine qui permet à l’Homme contrairement aux autres espèces animales, d’ajouter de l’information, de transformer le monde qui l’entoure. Imaginaire, seul mécanisme de fuite, d’évitement de l’aliénation environnementale, sociologique en particulier, utilisé aussi bien par le drogué, le psychotique, que par le créateur artistique ou scientifique. Imaginaire dont l’antagonisme fonctionnel avec les automatismes et les pulsions, phénomènes inconscients, est sans doute à l’origine du phénomène de conscience. »

< p.12-13 >

François JACOB / Le jeu des possibles / Fayard 1981

« Il est bien difficile de décider à quel stade de l’évolution on peut déceler un début de conscience de soi.

Peut-être en trouve-t-on une indication dans la capacité de se reconnaître dans un miroir. Et cette capacité, on ne la voit apparaître qu’à un certain niveau de complexité dans l’évolution des primates. Quand elle est combinée avec le pouvoir de former des images de la "réalité", de les recombiner, de se former ainsi par l’imagination une représentation de mondes possibles, la conscience de soi donne à l’être humain le CONSEIL

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pouvoir de reconnaître l’existence d’un passé, d’un avant sa propre vie. Elle lui permet aussi d’imaginer des lendemains, d’inventer un avenir qui contient sa propre mort et même un après sa mort. Elle lui permet de s’arracher à l’actuel pour créer un possible. »

< p.115-116 >

François CAVANNA / Lettre ouverte aux culs-bénits / Albin Michel 1994

« L’Univers roulait ses sphères, roulait, roulait, la vie naissait et mourrait, naissait et mourait, et nul ne s’en doutait, nul capable de s’en douter n’existait, et la matière diffuse se condensait, les volcans surgissaient, les torrents bondissaient, les herbes fleurissaient, se fanaient, fleurissaient de nouveau, les bêtes naissaient, grandissaient et mourraient, et ça ne gênait personne, n’angoissait personne.

Il a fallu que survienne cette saloperie : la conscience. Et maintenant il y a quelqu’un pour contempler l’Univers, il y a quelqu’un qui sait qu’il est là, qu’il vit, qu’il vit très provisoirement, et qu’il va mourir : moi. La conscience est là, je ne peux pas faire qu’elle n’y soit pas, je ne peux pas faire comme si elle n’y était pas, je ne peux pas redevenir singe, ou chien, ou limace, ou caillou... La conscience est là, c’est à dire l’angoisse, en pleine gueule.

Heureux les croyants, ils ont réponse à ça. Ils ont réponse à tout. Ils ont leur morphine.

Heureux les croyants, mais je préfère mon angoisse et ses yeux grands ouverts. »

< p.63 >

Emil CIORAN / Des larmes et des saints (1937) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« "La souffrance est l’unique cause de la conscience" (Dostoïevski). Les hommes se partagent en deux catégories : ceux qui ont compris cela, et les autres. »

< p.323 >

Emil CIORAN / Le crépuscule des pensées (1940) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« La lucidité : avoir des sensations à la troisième personne. »

< p.418 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« Tout ce qui nous gêne nous permet de nous définir. Sans infirmités, point de conscience de soi. »

< p.134 >

« Le cheval ne sait pas qu’il est cheval. — Et puis après?

On ne voit pas ce que l’homme a gagné à savoir qu’il est homme. »

< 5 juin 1969 p.738 >

CONSEIL

LIE-TSEU / Le Vrai Classique du vide parfait / Philosophes taoïstes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961

Un conseil intéressé :

« Un homme possédait un arbre desséché. Le père de son voisin dit : "Un arbre sec est de mauvaise augure."

L’autre l’abattit bien vite. Alors le père du voisin le pria de lui céder le bois comme combustible. L’homme, alors, s’irrita et dit : "Le père du voisin n’avait pas d’autres intentions, quand il m’a conseillé, que d’avoir du bois à brûler. C’est pourquoi il m’a poussé à l’abattre. Mon voisin est un danger. Que faire maintenant?" »

< p.606 >

MACHIAVEL / Le Prince / Le livre de poche / Librairie Générale Française 1983

« Certains s’imaginent que les princes qui ont une réputation de sagesse la doivent seulement à leurs conseillers, non à leurs qualités naturelles, mais ils se trompent. Car voici une règle infaillible : un prince qui manque de sagesse ne sera jamais sagement conseillé, à moins qu’il ne s’en remette complètement au choix du hasard, et que le hasard désigne un sage second. En ce cas, on pourrait bien évoquer la sagesse du prince, mais elle serait de courte durée, car ce gouverneur lui ravirait son État. S’il écoute les conseils de plusieurs, ce même seigneur dépourvu de sagesse recevra toujours des avis contradictoires, et de lui-même 98

CONSEIL

ne saura point les mettre en accord ; en fait, chaque conseiller pensera seulement à son intérêt personnel, et lui ne saura ni les juger, ni les corriger. Les choses ne peuvent aller autrement, car les hommes finiront toujours par mal te servir, si aucune nécessité ne les oblige au bien. C’est pourquoi je conclus que les bons conseils, d’où qu’ils viennent, procèdent toujours de la sagesse du prince, et non la sagesse du prince de ces bons conseils. »

< p.126 >

François des RUES / Les Marguerites françaises (1595) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont -

Bouquins 1992

« Le chemin est long par les préceptes et court par les exemples. »

< p.16 >

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples. »

< M 93 p.28 >

« On ne donne rien si libéralement que ses conseils. »

< M 110 p.31 >

Cardinal de RETZ / La Conjuration du comte de Fiesque / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1984

« Il est vrai que la plupart de ces hommes extraordinaires que les autres vont consulter comme des oracles, et qui pénètrent si vivement dans l’avenir sur les intérêts qui leur sont indifférents, deviennent presque toujours aveugles sur ceux qui leur importent davantage. Ils sont en cela plus malheureux que les autres, qu’ils ne sauraient se conduire ni par leur raison ni par celle de leurs amis. »

< p.31 >

Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (6) / Paris, C.Barbin 1684

« On dit souvent aux autres sans nécessité ce qui serait important de se dire à soi-même. »

< Pensées sur des sujets différents, p.95 >

Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (12) / Paris, C.Barbin 1693

« Il faut bien autant de discrétion pour donner conseil que de docilité pour le suivre. »

< Maximes, XXXVIII, p.233 >

« Il ne faut pas rejeter tous les méchants conseils, de peur de rebuter les personnes qui pourraient nous en donner de bons. »

< Maximes, XL, p.234 >

Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000

«

Ne faut-il que délibérer,

La Cour en conseillers foisonne ;

Est-il besoin d’exécuter,

L’on ne rencontre plus personne.

»

< Livre deuxième II Conseil tenu par les rats p.93 > Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX / Œuvres / Art Poétique / Société des Belles Lettres 1939

«

Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue.

»

< Chant I v.191 p.87 >

CONSEIL

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Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Le conseil, si nécessaire pour les affaires, est quelquefois dans la société nuisible à qui le donne, et inutile à celui à qui il est donné. Sur les mœurs, vous faites remarquer des défauts ou que l’on n’avoue pas, ou que l’on estime des vertus ; sur les ouvrages, vous rayez les endroits qui paraissent admirables à leur auteur, où il se complaît davantage, où il croit s’être surpassé lui-même. Vous perdez ainsi la confiance de vos amis, sans les avoir rendus meilleurs ni plus habiles. »

< p.167 V (64) >

« Il y a dans les meilleurs conseils de quoi déplaire ; ils viennent d’ailleurs que de notre esprit, c’est assez pour être rejetés d’abord par présomption et par humeur, et suivis seulement par nécessité, ou par réflexion. »

< p.368 XIII (76) >

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« Dans le fond, un homme qui demande un conseil montre un esprit borné, et celui qui le donne, de la prétention. On ne devrait donner un conseil que dans les affaires sur lesquelles on peut avoir personnellement de l’influence. Si quelqu’un me demande un conseil, je lui dis bien que je suis prêt à le lui donner, mais à condition qu’il promettra de ne pas agir en conséquence. »

< Réflexions sur la littérature, la poésie, etc. p.245 > JEAN-PAUL / Pensées de Jean-Paul / Paris, Firmin Didot 1829 [BnF]

« On demande conseil le plus communément, non qu’on ignore ce qu’on doit faire, mais parce qu’on le fait avec peine et que l’on espère que le conseiller viendra au secours de notre penchant en souffrance. »

< p.69 >

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« Il y avait un vieil étudiant de quinzième année appelé Lequeux. Ce pauvre diable avait du cœur et de l’esprit ; il eût pu avoir de l’avenir ; il le noya dans le vin. Il mourut à trente-six ans. Quelque temps avant sa mort, il donnait, dans le café où il passait ses journées, des conseils aux jeunes gens, de bons conseils de travail et de persévérance, et il ajoutait tristement : — Je suis un cadran d’horloge sur la façade d’une maison qui montre l’heure à tout le monde, excepté à celui qui est dans la maison. »

< p.641-642 >

« Quand un homme est placé en haut, regardez ce qui est autour de lui. Il y a deux sortes d’hommes puissants, et il n’y en a que deux : ceux qui s’entourent de gens qui leur sont supérieurs, et ceux qui s’entourent de gens qui leur sont inférieurs. Le goût du grand et le goût du médiocre ; la haute et la basse nature. Les premiers trouvent difficilement qui vaille mieux qu’eux ; les derniers trouvent difficilement qui vaille moins. Cependant, comme c’est un instinct qui les guide, les uns et les autres réussissent également à se procurer ce qu’ils cherchent, les uns des génies, les autres des laquais. »

< 1845 p.876 >

Victor HUGO / Philosophie prose / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Un méchant peut donner un bon avis ; une chandelle pue, mais éclaire. »

< 1840 p.60 >

STENDHAL / Journal / Œuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981

« Lorsque Milan [= Napoléon] voulut rétablir la religion en France, il gardait encore quelques ménagements avec les gens éclairés dont il avait voulu fortifier son gouvernement. Il fit donc venir Volney dans son cabinet et lui dit que le peuple français lui demandait la religion, qu’il croyait devoir à son bonheur de la lui rendre.

" Mais, citoyen consul, si vous écoutez le peuple il vous demandera aussi un Bourbon."

Là-dessus, Milan se mit dans une colère épouvantable, appela ses gens, le fit mettre dehors de chez lui, lui donna même des coups de pied, à ce qu’on dit et lui défendit de plus revenir chez lui. Voilà bien le ridicule du demandeur de conseils développé. »

< 15-17 janvier 1805 p.184 >

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CONSEIL

Maurice JOLY / Recherches sur l’art de parvenir / Paris Amyot 1868 [BnF Cote LB56-1958]

Comment être (et rester) un bon conseiller politique :

« Le mérite d’un conseil ne consiste pas dans sa valeur intrinsèque. Théoriquement un conseil ne vaut rien, ne signifie rien s’il n’est à la portée de celui qui le reçoit et de ses moyens d’exécution.

De même qu’il n’est pas utile de dire des choses sensées, mais de les dire avec agrément, de même il n’est pas utile de donner de bons conseils, mais de les donner avec talent.

Un mauvais conseil bien présenté, vaut mieux qu’un bon conseil mal déduit.

L’intérêt à venir doit toujours être sacrifié à l’intérêt présent lorsqu’ils sont en opposition.

Le langage des passions doit toujours être préféré à celui de la raison.

On doit conseiller des expédients toujours, et des solutions le moins possible. »

< p.164 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Il y a des gens qui donnent un conseil comme on donne un coup de poing. On en saigne un peu, et on riposte en ne le suivant pas. »

< 21 octobre 1889 p.30 >

« On ne demande conseil que pour raconter ses ennuis. »

< 5 mai 1901 p.521 >

« On est si heureux de donner un conseil à quelqu’un qu’il peut arriver, après tout, qu’on le lui donne dans son intérêt. »

< 17 décembre 1901 p.562 >

Jerome K. JEROME / Arrière-pensées d’un paresseux (1898) / Arléa 1998

« Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si seulement tout le monde suivait nos conseils. Je me demande si Jérusalem aurait été la cité impeccable qu’on nous décrit si, au lieu de s’occuper à balayer devant sa pauvre petite porte, chaque citoyen était sorti dans la rue pour adresser à tous les autres habitants de l’endroit d’éloquents sermons sur le chapitre de l’hygiène et du système sanitaire. »

< p.227 >

Eugène MARBEAU / Remarques et pensées / Paris Ollendorf 1901 [BnF]

« Que de fois nous demandons un conseil dans l’espoir d’être autorisé à faire ce dont notre conscience nous engage tout bas à nous abstenir ! »

< p.28 >

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« Ne conseiller personne, ne rien révéler, indiquer à personne. Pourquoi hâter et favoriser le développement d’autrui? »

< 14 mars 1897 I p.15 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Les maximes générales sont surtout bonnes contre les peines et les erreurs du voisin. Mais contre une fureur d’amour trompé ou d’ambition, ou d’envie, que pourrait une maxime ? Autant vaudrait, contre la fièvre, lire l’ordonnance du médecin. »

< 19 décembre 1910 p.94 >

Auguste DETŒUF / Propos de O. L. Barenton, confiseur (1938) / Éditions d’Organisation 1982

« CONSULTER.— Façon respectueuse de demander à quelqu’un d’être de votre avis. »

< p.36 >

Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001

« On n’aime que les mauvais conseils. »

< 5 janvier 1969, p.127 >

CONVERSATION

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COLUCHE / Pensées et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1995

« Ma mère me disait : "Si tu sors dans la rue, fais bien attention qu’il ne t’arrive rien." Mais s’il ne t’arrive rien, c’est ce qui peut arriver de pire quand t’es môme. »

< p.171 >

Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997

« Trop de choses se font en ce bas monde sans qu’on me demande mon avis. »

< p.73 >

CONVERSATION

Diogène LAËRCE / Vies et doctrines des philosophes illustres / La Pochothèque LdP 1999

« On raconte qu’au beau milieu d’un entretien avec Cratès, [Stilpon] courut acheter du poisson. À Cratès qui essayait de le retenir et qui disait : "Tu laisses tomber la discussion ?", Stilpon dit : "Moi, pas du tout ; la discussion je la garde, mais c’est toi que je laisse tomber ; car si la discussion, elle, peut attendre, le poisson, lui, va être vendu". »

< II 119 Stilpon p.330 >

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« Une des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c’est qu’il n’y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu’il veut dire qu’à répondre précisément à ce qu’on lui dit. Les plus habiles et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine attentive, au même temps que l’on voit dans leurs yeux et dans leur esprit un égarement pour ce qu’on leur dit, et une précipitation pour retourner à ce qu’ils veulent dire ; au lieu de considérer que c’est un mauvais moyen de plaire aux autres ou de les persuader, que de chercher si fort à se plaire à soi-même, et que bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir dans la conversation. »

< M 139 p.37 >

Abbé d’AILLY / Pensées diverses (1678) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Le secret de plaire dans les conversations est de ne pas trop expliquer les choses, les dire à demi, et les laisser un peu deviner ; c’est une marque de la bonne opinion qu’on a des autres, et rien ne flatte tant leur amour-propre. »

< 57 p.268 >

Chevalier de MÉRÉ / Maximes, sentences et réflexions morales et politiques / Paris, E. du Castin 1687

[BnF]

« Peu de gens sont exempts de dire des fadaises, et le malheur est qu’on les veut dire agréablement. »

< 334 p.147 >

Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000

« Il ne faut jamais dire aux gens :

"Écoutez un bon mot, oyez une merveille."

Savez-vous si les écoutants

En feront une estime à la vôtre pareille? »

< Livre onzième, IX Les souris et le chat-huant p.666 > Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« L’esprit de la conversation consiste bien moins à en montrer beaucoup qu’à en faire trouver aux autres : celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit, l’est de vous parfaitement. Les hommes n’aiment point à vous admirer, ils veulent plaire ; ils cherchent moins à être instruits, et même réjouis, qu’à être goûtés et applaudis ; et le plaisir le plus délicat est de faire celui d’autrui. »

< p.155 V (16) >

102

CONVERSATION

« C’est une grande misère que de n’avoir pas assez d’esprit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire. Voilà le principe de toute impertinence. »

< p.156 V (18) >

« Sans une grande roideur et une continuelle attention à toutes ses paroles, on est exposé à dire en moins d’une heure le oui et le non sur une même chose ou sur une même personne, déterminé seulement par un esprit de société et de commerce qui entraîne naturellement à ne pas contredire celui-ci et celui-là qui en parlent différemment. »

< p.356 XIII (39) >

MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949

« Les inconvénients dans lesquels on a coutume de tomber dans les conversations sont sentis de presque tout le monde. Je dirai seulement que nous devons nous mettre dans l’esprit trois choses : La première, que nous parlons devant des gens qui ont de la vanité, tout comme nous, et que la leur souffre à mesure que la nôtre se satisfait ;

La seconde, qu’il y a peu de vérités assez importantes pour qu’il vaille la peine de mortifier quelqu’un et le reprendre pour ne les avoir pas connues ;

Et enfin, que tout homme qui s’empare de toutes les conversations est un sot ou un homme qui seroit heureux de l’être. »

< 626 p.1148 >

CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968

« Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu’on sait par des gens qui les ignorent. »

< 261 p.106 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Le bavard est celui qui parle plus qu’il ne pense. Celui qui pense beaucoup et qui parle beaucoup ne passe point pour un bavard. »

< 1 décembre 1809 t.2 p.301 >

« Écumer son esprit, l’écumer tous les jours. C’est une opération qui se fait à Paris facilement par la conversation, et qui se fait comme l’autre par une sorte d’ébullition que produit à coup sûr le commerce des gens d’esprit. Écumer son esprit, c’est épurer son goût. »

< 12 mai 1812 t.2 p.349 >

JEAN-PAUL / Pensées de Jean-Paul / Paris, Firmin Didot 1829 [BnF]

« Un homme que l’on interrompt peut plaisanter, mais il ne lui devient plus possible de rien démontrer : le Socrate de Platon, qui ne permettait à aucun sophiste de parler autant qu’il le voulait, était lui-même à cause de cela un sophiste. En Angleterre, où l’on tolère encore les systèmes le verre à la main, un homme peut s’étendre comme une feuille de papier royal. En France, où l’esprit éclate en mille saillies, on doit être aussi laconique qu’un billet de visite. Le sage se tait cent fois devant les sots, parce qu’il a besoin de vingt-trois feuilles pour dire son opinion : les sots n’ont besoin que de quelques lignes ; leurs opinions ressemblent à des îles flottantes, et ne tiennent à rien, si ce n’est à leur vanité. »

< p.45 >

Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Riposteurs (1893) / Berger-Levrault 1893

« C’était chez Mme A... Les diners sont des séances littéraires que la maitresse de maison préside ; on parle à son tour.

Un jour que M. Jules Simon développait une théorie sociale, M. Renan ouvrit la bouche comme pour parler.

Mme A... s’en aperçut et courut au-devant du scandale : "Tout à l’heure, nous serons bien heureux de vous entendre".

M. Renan resta coi. Le service continua, et M. Jules Simon aussi. Enfin il cessa.

- Je crois, Monsieur Renan, dit alors Mme A... que vous vouliez bien dire quelque chose?

- Oui, Madame, c’était tout à l’heure..., je voulais redemander des haricots ! »

< p.241 >

CONVERSATION

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Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« L’art de plaire semble bien simple. Il consiste simplement en deux choses : ne point parler de soi aux autres et leur parler toujours d’eux-mêmes. »

< 4 mars 1860 p.540 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Dans une société, on reconnaît les gens élevés à une chose assez simple : ils vous parlent de ce qui vous intéresse. »

< 13 mai 1884 p.1073 >

Alphonse KARR / Une poignée de vérités / M. Lévy frères 1866

« Je sais telle personne que j’ai vue tous les jours pendant douze ans, et qui, grâce à une charmante vivacité d’esprit, ne m’a jamais laissé terminer une phrase. — Les personnes de ce caractère croient qu’elles devinent aux premiers mots ce que vous voulez dire ; alors, sans attendre plus longtemps, elles vous coupent la parole, et répondent avec ardeur et véhémence à ce que vous n’avez ni dit, ni voulu dire, ni pensé. »

< p.268 >

Oscar WILDE / Quelques maximes / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996

« Il ne faut jamais écouter. Écouter est une marque d’indifférence vis-à-vis de vos auditeurs. »

< p.968 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Quand au sceptique "pourquoi?" le "parce que" crédule a répondu, la discussion est close. »

< 18 décembre 1889 p.15 >

« Faire tous les frais de la conversation, c’est encore le meilleur moyen de ne pas s’apercevoir que les autres sont des imbéciles. »

< 1 avril 1890 p.48 >

« Quand on commet une indiscrétion, l’on se croit quitte en recommandant à la personne d’être... plus discrète qu’on ne l’a été soi-même. »

< 21 avril 1890 p.50 >

« Aujourd’hui on ne sait plus parler, parce qu’on ne sait plus écouter. Rien ne sert de parler bien : il faut parler vite, afin d’arriver avant la réponse, on n’arrive jamais. On peut dire n’importe quoi n’importe comment : c’est toujours coupé. La conversation est un jeu de sécateur, où chacun taille la voix du voisin aussitôt qu’elle pousse. »

< 29 janvier 1893 p.121 >

« Il faut, pour soutenir une conversation en société, savoir une foule de choses inutiles. Il faut se tenir au courant. Je ne sais pas courir. Reste donc chez toi. »

< 20 février 1893 p.122 >

« Chaque fois que je viens de parler un peu trop longtemps à quelqu’un, je suis comme un homme qui s’est grisé et qui, tout honteux, ne sait où se fourrer. »

< 7 décembre 1893 p.151 >

« Je n’aime à parler qu’avec les gens plus grands que moi et dont la bouche me dépasse, parce qu’ainsi les odeurs montent. »

< 24 février 1895 p.208 >

« À la fin d’une longue discussion, nous arrivâmes à conclure qu’au fond il n’y a rien de plus particulier qu’une idée générale. »

< 26 décembre 1893 p.153 >

104

CONVERSATION

« — Comment vous portez-vous? dis-je.

— Oh ! je vais mieux.

— Vous avez donc été malade?

Et voilà qu’il faut avoir l’air de s’intéresser à la santé d’une personne qui se porte bien, quand on serait à peine touché par la nouvelle de sa mort. »

< 15 novembre 1900 p.479 >

« Les discussions les plus passionnées, il faudrait toujours les terminer par ces mots : "Et puis, nous allons bientôt mourir." »

< 17 novembre 1901 p.554 >

« Il y a des gens qui retirent volontiers ce qu’ils ont dit, comme on retire une épée du ventre de son adversaire. »

< 11 décembre 1901 p.560 >

« Quand un homme ne parle que de ce qu’il sait, il a toujours l’air plus savant que nous. »

< 22 juillet 1903 p.659 >

Oscar WILDE / Intentions / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996

« La conversation doit tout aborder mais ne rien approfondir. »

< p.862 >

Eugène MARBEAU / Remarques et pensées / Paris Ollendorf 1901 [BnF]

« Dire du mal de soi est le seul moyen de parler de soi sans ennuyer les autres. »

< p.139 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Conversation n. Foire où chacun propose ses petits articles mentaux, chaque exposant étant trop préoccupé par l’arrangement de ses propres marchandises pour s’intéresser à celles de ses voisins. »

< p.61 >

« Raseur n. Personne qui vous parle quand vous souhaitez qu’elle écoute. »

< p.234 >

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« On parle bien plus volontiers de ce qu’on ignore. Car c’est à quoi l’on pense. Le travail de l’esprit se porte là, et ne peut se porter que là. »

< p.643 >

Paul VALÉRY / Monsieur Teste / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Quand il parlait, il ne levait jamais un bras ni un doigt : il avait tué la marionnette. »

< p.17 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Le meilleur moyen pour amener autrui à "partager" votre conviction, n’est pas toujours de proclamer celle-ci. »

< 2 octobre 1927 p.850 >

« Il faut en prendre son parti : plutôt que de demeurer renfrogné, consentir à débiter quelques banalités, quelques bêtises. Et puis cela met l’autre à son aise. »

< 8 novembre 1927 p.860 >

CONVERSATION

105

ALAIN / 81 chapitres sur l’esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade

/ nrf Gallimard 1960

« Il y a une forte raison de ne pas dire au premier arrivant ce qui vient à l’esprit, c’est qu’on ne le pense point ; aussi n’y a-t-il rien de plus trompeur que cette sincérité de premier mouvement. Il faut plus de précautions dans le jeu des paroles, d’où dépend souvent l’avenir des autres et de soi. Il n’y a rien de plus commun que de s’obstiner sur ce que l’on a dit par fantaisie ; mais quand on saurait pardonner à soi-même, et, mieux encore faire oublier ce qui fut mal dit et mal pensé, on ne saurait toujours pas l’effacer dans la mémoire de l’autre ; car on dit trop que les hommes croient aisément ce qui les flatte ; mais je dirais bien qu’ils croient plus aisément encore ce qui les blesse. »

< p.1226 >

Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« La conversation n’est féconde qu’entre esprits attachés à consolider leurs perplexités. »

< p.1494 >

Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996

« Si on ne dit pas ce qu’on pense au moment où on le pense, on ne pensera plus ce qu’on dit au moment où on le dira. »

< p.80 >

Sacha GUITRY / Mémoires d’un tricheur / Théâtre & Mémoires d’un tricheur / Omnibus Presses de la Cité 1991

« Dans la conversation, sois optimiste, indulgent, paradoxal et cruel. Si tu as de l’esprit, sois féroce, impitoyable. Un "mot", c’est sacré. Tu dois le faire contre ta sœur, contre ta femme, s’il le faut — pourvu que le mot soit drôle. On n’a pas le droit de garder pour soi un mot drôle. Il y a des mots mortels. Tant pis ! Les mots qui sont mortels font vivre du moins ceux qui les font. »

< p.28 >

Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001

« — Je me suis laissé dire... — Vous avez eu tort. »

< 10 novembre 1969, p.291 >

Antoine BLONDIN / Ma vie entre des lignes / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1991

« Comme de nombreux bègues, j’ai toujours beaucoup aimé la nuit. Le temps ralenti s’y accorde à notre discours, lorsque nous hésitons ou en tire une accélération qui ne semble due qu’à notre débit précipité.

D’ailleurs, à partir de 4 heures du matin, tout le monde bégaie. »

< p.1150 >

Michel AUDIARD / Audiard par Audiard / Ed. René Chateau 1995

« On pardonne aux jolies femmes de se regarder dans les glaces... et on blâme un homme intelligent de s’écouter parler... Pourquoi? »

< Les Lions sont lâchés, p.15 >

Georges PICARD / Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison / José Corti 1999

« Seuls, les naïfs peuvent croire qu’une discussion vise à résoudre un problème ou à éclaircir une question difficile. En réalité, sa seule justification est d’éprouver la capacité des participants à désarçonner leur adversaire. L’enjeu n’est pas de vérité, mais d’amour-propre. Le beau parleur l’emporte sur le bafouilleur, le téméraire sur le timide, le fonceur sur le scrupuleux. Être de bonne foi équivaut à additionner les handicaps, le scrupule s’ajoutant à la circonspection pour alourdir la langue. Qu’est-ce que la bonne foi? Une conduite d’échec, un véritable suicide... »

< p.33 >

106

COURAGE

COQUETTERIE

Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892

« Je prends le récit suivant dans les Mémoires dits de Bachaumont, à la date du 30 mars 1778.

L’autre jour, Mme de la Villemenue, vieille coquette qui désire encore plaire, a voulu essayer ses charmes surannés sur le philosophe ; elle s’est présentée à lui dans tout son étalage et, prenant occasion de quelque phrase galante qu’il lui disait et de quelques regards qu’il jetait en même temps sur sa gorge fort découverte :

— Comment, s’écria-t-elle, Monsieur de Voltaire, est-ce que vous songeriez encore à ces petits coquins-là?

— Petits coquins, reprend avec vivacité le malin vieillard, petits coquins, Madame ! ce sont bien de grands pendards ! »

< p.193 >

Paul-Jean TOULET / Notes de littérature / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986

« Il faut bien l’avouer, le soin de la parure est chez la femme beaucoup plus fort que celui de se vêtir ; outre qu’il n’y a que trois choses de son corps qu’elle aime à masquer, ses pieds, ses mains et son visage ; et si, comme elles font de leurs épaules, elles découvraient leur pensée, nous apprendrions que l’on peut se vêtir très bien avec des gants, deux ou trois bracelets, une paire de bottines à hauts talons, et un grand, grand chapeau à plumes. »

< p.965 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Il n’est point d’homme qui soit tout à fait indifférent aux raffinements et aux grâces de la parure chez la femme qui lui tient le bras ; signe qu’il est heureux de l’approbation des autres ; vanité certainement.

Or j’ai fait une remarque qui étonnera les hommes tout à fait jeunes ; c’est que la femme, même la plus élégante et la plus attentive aux modes, ne fait jamais attention au vêtement d’un homme qui lui plaît. Il n’y aurait donc point de vanité du tout dans l’amour féminin ? C’est trop dire. Mais enfin ne soyez pas dupe de ceci que les femmes sont plus parées et ornées que les hommes, et n’allez pas en conclure que ce sont les femmes qui tiennent aux ornements extérieurs ; si cela était, on verrait les hommes en dentelles, en soie, en chapeaux à plume. Et c’est la vanité des hommes qui explique la parure des femmes. »

< 9 mars 1912 p.131 >

COURAGE

PLUTARQUE / Les Vies des hommes illustres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Et Solon, qui était déjà fort vieux, et n’avait personne qui le secondât, s’en alla néanmoins encore sur la place, où il parla aux citoyens qu’il y trouva, leur reprochant leur bêtise et leur lâcheté de cœur, et les encourageant de ne laisser pas perdre leur liberté. Ce fut lors qu’il dit un propos qui depuis a bien été recueilli et bien renommé : "Auparavant, dit-il, il vous était plus facile d’empêcher que cette tyrannie ne se formât ; mais maintenant qu’elle est toute formée, ce vous sera plus de gloire de l’abolir et exterminer." »

< Vie de Solon, LXIII p.209 >

Baltasar GRACIÁN / Maximes / Paris, Rollin fils 1730

« Il ne convient point de se former une si grande idée des hommes, que leur présence doive faire trembler, quels qu’ils soient. Que le courage ne plie jamais sous l’imagination. »

< Maxime CLXXXII Il est d’une prudence nécessaire au mérite d’avoir un peu de hardiesse, p.216 > Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000

« La vraie épreuve du courage

N’est que dans le danger que l’on touche du doigt. »

< Livre sixième II Le lion et le chasseur p.320 > COURAGE

107

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Le courageux a du courage et le brave aime à le montrer. »

< 16 janvier 1791 t.1 p.129 >

Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987

« Nul ne brave mieux le danger que celui qui le dédaigne ; nul ne le dédaigne mieux que celui qui l’ignore.

Dans les temps de crise, ceux-là surtout font la force d’une nation qui ne croient pas à ses périls. »

< p.992 >

Isidore DUCASSE (LAUTRÉAMONT) / Poésies (1870) / GF 528 - Flammarion 1990

« Les hommes qui ne se battent pas en duel croient que les hommes qui se battent au duel à mort sont courageux. »

< II p.351 >

Léon BLOY / Le mendiant ingrat / Journal I / Robert Laffont - Bouquins 1999

« Le Duel, selon moi, est une saleté ridicule, inventée par des saltimbanques. Je le remplace volontiers par des coups de pied dans le derrière des autres... »

< 13 avril 1894, p.82 >

Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Il faut avoir le courage de préférer l’homme intelligent à l’homme très gentil. »

< 13 décembre 1899 p.436 >

« N’écoutant que son courage, qui ne lui disait rien, il se garda d’intervenir. »

< 18 octobre 1908 p.950 >

Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968

« On ne se refait pas. C’est un mot de phénix découragé. Les joueurs le disent aussi quelquefois, mais sans conviction. »

< p.40 >

André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« Il n’est pas de vertus humaines que je prise autant ou aussi peu, suivant les cas, que le courage.

"Le vrai courage, disait Napoléon, c’est celui de trois heures du matin." Il voulait dire par là, sans doute, que le courage auquel il accordait estime était celui d’où toute griserie, toute vanité, toute émulation fussent exclues. Un courage sans témoins, sans complices ; un courage à froid et à jeun. »

< p.1279 >

Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986

« Ce matin, dans les journaux, cette nouvelle : "Hier en Méditerranée, un bâtiment pétrolier a sombré dans la tempête. Son capitaine, sur le pont, s’est englouti avec lui." Celui-là, pour le coup, un simple imbécile.

La mort de Péguy, par exemple, telle qu’on l’a racontée, restant debout devant les balles, alors que tous ses hommes lui criaient : "Couchez-vous, lieutenant, couchez-vous !" et restant debout, droit comme un i. Que veut-on que me fasse la mort de cet homme ? Il eût mieux servi son pays en se conservant vivant. Son acte est imbécile. "L’héroïsme", est souvent cela. »

< 22 décembre 1939 II p.2148 >

Léon DAUDET / Souvenirs / Robert Laffont - Bouquins 1992

« C’est un stoïque des grandes circonstances, que désemparent facilement les petits tracas de la vie courante. »

< p.100 >

108

COURAGE

ALAIN / Souvenirs de guerre / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Un peu plus tard, et quand j’étais remonté aux batteries, le capitaine fut blessé à la tête, et revint après un petit mois d’hôpital. "Je fus blessé, me dit-il, par ma bêtise. Je sors au matin de mon abri, portant ma cuvette. Il y avait un tir sur la batterie à côté ; quelques éclats volaient jusqu’à moi ; je remportai ma cuvette ; mais alors je me dis que je subissais la volonté de l’ennemi, ce qui est se reconnaître vaincu. Je sortis de nouveau, portant ma cuvette, et c’est alors que j’eus ce coup sur la tête. Vous qui écrivez sur le courage, retenez cela." »

< p.520 >

ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« La peur est ce qui gronde dans le courage ; la peur est ce qui pousse le courage au delà du but. Car l’homme ne pense qu’à cette victoire sur soi poltron, et ne la voit jamais gagnée, puisque l’homme peut avoir peur de ses propres actions, à seulement y penser, et même de son propre courage. C’est pourquoi il n’écoute point conseil. Je le vois plutôt qui tient conseil entre les parties de lui-même, méditant contre les conspirateurs et les traîtres, qui lui sont intimes et quelquefois impudemment. Qui n’a pas palpé sa propre peur, en vue de la démasquer, de la traîner nue, de l’injurier? »

< p.165 >

ALAIN / Propos II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1970

« Qu’il est difficile d’être courageux sans se faire méchant ! »

< 4 mai 1913, p.299 >

Jerome K. JEROME / Arrière-pensées d’un paresseux (1898) / Arléa 1998

« Alors comme ça, ce voyou de Tom a reçu la Victoria Cross. Il s’est précipité sous une pluie de projectiles pour sauver le drapeau en lambeaux. Qui l’aurait cru ? On aurait pourtant juré que le troquet du village était le but suprême de toutes ses ambitions. Le hasard vient trouver Tom et nous le découvrons. Pour Harry, le sort s’est montré moins clément. Harry a toujours été un vaurien. Il buvait et on dit même qu’il battait sa femme. Qu’on l’enterre, bon débarras, il n’était bon à rien. En sommes-nous bien sûrs? »

< p.189 >

Louis-Ferdinand CÉLINE / Voyage au bout de la nuit (1932) / Romans (1) / Bibliothèque de la Pléiade

/ nrf Gallimard 1997

« On dirait qu’on peut toujours trouver pour n’importe quel homme une sorte de chose pour laquelle il est prêt à mourir et tout de suite et bien content encore. Seulement son occasion ne se présente pas toujours de mourir joliment, l’occasion qui lui plairait. Alors il s’en va mourir comme il peut, quelque part... Il reste là l’homme sur la terre avec l’air d’un couillon en plus et d’un lâche pour tout le monde, pas convaincu seulement, voilà tout. C’est seulement en apparence la lâcheté. »

< p.329 >

Antoine de SAINT-EXUPÉRY / Terre des hommes / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1959

« Seul l’inconnu épouvante les hommes. Mais, pour quiconque l’affronte, il n’est déjà plus l’inconnu. »

< II ii p.166 >

Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997

« La lâcheté rend subtil. »

< 1 juin 1968 p.577 >

COUTUME

109

Antoine BLONDIN / Ma vie entre des lignes / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1991

« L’homme se distingue de l’animal en ceci qu’il est doué d’arrière-pensées. Ayez confiance en lui : on peut exiger à l’intérieur ce que l’on ne voit pas à la devanture. Quand Guillaumet en détresse dans la cordillère des Andes déclare : "Ce que j’ai fait, une bête ne l’aurait pas fait", nous le croyons d’autant plus que ses actes sont chargés de sens et de prix. La signification est un des privilèges de l’espèce. »

< p.1015 >

Jean-François DENIAU / Ce que je crois / Grasset (LdP) 1992

« Je suis frappé de voir à quel point le moindre risque physique ou naturel devient une excuse. ("Je ne suis pas venu, la météo annonçait du verglas...") À quel point nous laissons se développer une sorte de peur collective de tout ce qui pourrait être une menace ou même un changement. Le moindre excès de pluie ou de neige, de vent, de froid ou de chaleur, provoque une sorte de réaction apeurée qu’entretiennent les médias. Certes les catastrophes font de bons titres, mais certains jours la dramatisation est abusive pour 40

centimètres de montée des rivières ou 6 degrés de température en trop ou en moins ! Elle habitue le public à l’idée qu’il est normal de ne plus rien supporter.

Je m’en inquiète parce que la lâcheté physique précède la lâcheté morale et y conduit. Mettre sur le même plan le brouillard qui bloque une autoroute un jour de départ en vacances scolaires et l’évocation de la déroute de juin 40 entraîne à l’esprit de déroute. »

< p.52-53 >

« Ce qui m’étonne le plus dans le courage humain est celui que l’on pourrait appeler du dernier message.

Sans remonter aux siècles passés, au cours de ce XXe siècle seulement, combien d’hommes et de femmes, que rien ne préparait à l’héroïsme, sont morts héroïquement. C’est un mystère. Les cas de supplications, panique, gémissements sont extrêmement peu nombreux. Non, au contraire, face au peloton ou à l’exécution de masse, les vieillards relèvent la tête, les impotents se dressent, les jeunes mûrissent, les hésitants s’affirment, les sceptiques s’assurent, les agnostiques crient leur foi. Des mots admirables jaillissent alors que leurs auteurs ne peuvent même pas être portés par le sentiment que leur dernier cri sera connu et leur survivra.

L’un des plus bouleversants est sans doute celui de ce jeune communiste fusillé par les nazis et tombant en criant : "Vive le peuple allemand !" Mais combien d’autres, partout, en tous temps, dans les guerres civiles en Amérique latine, dans les révolutions chinoises, dans les guerres européennes, ont eu à cœur, alors qu’ils savaient que c’était fini, la beauté du dernier mot, ou seulement du dernier instant. Le plus souvent en silence. »

< p.67-68 >

COUTUME

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« Les loix de la conscience, que nous disons naistre de nature, naissent de la coustume ; chacun ayant en veneration interne les opinions et mœurs approuvées et receuës autour de luy, ne s’en peut desprendre sans remors, ny s’y appliquer sans applaudissement. »

< t.1 p.121 livre I chap.XXIII >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« On dit de tel usage qu’il est grec, romain ou barbare, et moi je dis qu’il est humain, et que les hommes s’en avisent et l’inventent partout où ils en ont besoin. »

< t.1 p.148 >

Alphonse KARR / Une poignée de vérités / M. Lévy frères 1866

« Il est des tyrannies de l’usage contre lesquelles il est bon de protester. C’est l’usage n’est pas, quoi qu’on en dise, une réponse péremptoire à tout. Dans les petites choses, ou plutôt dans les choses indifférentes, vous aurez plus tôt fait de vous soumettre à l’usage que de prendre la peine de réfléchir, de discuter et de combattre ; mais, dans les choses respectables, il faut se réserver le droit d’examen, et ne pas vous rendre à 110

CREDO

ce jugement souvent sans appel dans le monde : c’est l’usage.

Demandez à quelque sauvage pourquoi il mange ses ennemis ; il vous dira : "C’est l’usage". »

< p.303 >

Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968

« Une fois n’est pas coutume.

Formule d’absolution à l’usage des bourgeois. Tout va bien si la coutume n’est pas implantée. L’essentiel c’est de ne tuer son père qu’une fois. »

< p.171 >

CREDO

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Ne pas : - Définir ce qui est connu : un bavardage. Obscurcir ce qui est clair : barbouillage. Mettre en question ce qui est en fait : mauvaise foi, ignorance. Rendre abstrait ce qui est palpable : charlatanisme. Et offrir des difficultés qui ne s’offrent pas elles-mêmes ou n’ont qu’une vaine apparence : chicane. »

< 30 juillet 1797 t.1 p.222 >

Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Il faut mettre son cœur dans l’art, son esprit dans le commun du monde, son corps où il se trouve bien, sa bourse dans sa poche, son espoir nulle part. »

< À Louise Colet, 20 décembre 1846 p.421 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.3) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« Daudet disait :

Mon père répétait : "L’homme qui se lève à quatre heure du matin... c’est fortune faite !" Mon père se levait à quatre heures du matin, et sa vie a été une suite de mauvaises affaires de catastrophes, de ruines.

Daudet ajoutait :

Ma mère répétait : "Les familles nombreuses, Dieu les bénit !" Et de ses dix-sept enfants, il n’y en a que trois de vivants ! »

< 24 juillet 1894, p.996 >

Alphonse KARR / En fumant / M. Lévy frères 1862

« Trois jocrissades que je ne suis pas honteux d’avoir trouvées : — N’ayez pas de voisins, si vous voulez vivre en paix avec eux. — J’aime mieux ne pas avoir de meubles et qu’ils soient à moi. — En politique, plus ça change, plus c’est la même chose. »

< p.54 >

Léon BLOY / Le mendiant ingrat / Journal I / Robert Laffont - Bouquins 1999

« 1° Tout ce qui arrive est adorable. — 2° Accord parfait de la liberté divine et de la liberté humaine. De toute éternité, Dieu sait que, tel jour, tel individu accomplira librement un acte nécessaire. — 3° Enfin tout ce qui n’est pas strictement, exclusivement, éperdument catholique, doit être jeté aux latrines.

En conséquence de ces trois points, je prononce que tout individu qui ne pense pas exactement comme moi est, tôt ou tard, dans la nécessité absolue de s’avouer lui-même chenapan, cafard ou imbécile ; »

< 31 juillet 1894, p.97 >

Georges COURTELINE / Philosophie / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1990

« QUELQUES AVIS QUI, ÉTANT SAGES, SONT FORCÉMENT DE NOMBRE LIMITÉ

Dis ce que tu penses.

Paye ce que tu dois.

Ne vends pas plus cher que ça ne vaut.

Méfie-toi des conseils, mais suis les bons exemples.

Laisse la clé sur le buffet si tu ne veux pas qu’on te vole.

Ne perds jamais de vue que le bon beurre est la base de la bonne cuisine, et souviens-toi que faire le malin CREDO

111

est le propre de tout imbécile.

Enfin — uti, non abuti, nous recommande la sagesse antique — , use de tout, mais n’abuse de rien. Bois

— sans excès ; fume — sans excès ; aime — sans excès ; et que, toujours, la bonne qualité de l’objet détermine ton choix et le fixe. Mieux vaut boire trop de bon vin qu’un petit peu de mauvais et pratiquer l’amour avec deux belles filles qu’avec une seule vieille femme en ruine. L’agrément y trouve son compte, et l’économie animale plus encore. »

< p.826 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Décalogue n. Ensemble de commandements, au nombre de dix — chiffre suffisant si l’on veut s’en tenir à une stricte observance, mais toutefois légèrement insuffisant si l’on préfère avoir l’embarras du choix.

Voici l’édition révisée du Décalogue, strictement ajustée à ce méridien : Tu n’adoreras pas un autre Dieu que moi :

Cela revient trop cher d’en célébrer plus d’un.

Ne feras ni d’images ni de statues sacrées,

Car les marchands du temple ont l’exclusivité.

N’utiliseras pas en vain le nom de Dieu,

Attends le bon moment où ça fait son effet

Tu ne travailleras pas la journée du Sabbat,

Ce jour est consacré aux matchs de football.

En bon fils garderas chez toi tes vieux parents ;

Ça vient en déduction de ta déclaration.

Jamais tu ne tueras, ni ne seras complice ;

D’ailleurs tu jetteras la facture du boucher.

Tu n’embrasseras pas la femme de ton voisin,

Sauf si la tienne a succombé à ses caresses.

Tu ne voleras pas. Le vol est pernicieux ;

La carambouille dans les affaires est bien plus sûre.

Tu n’apporteras jamais de faux témoignages ;

Fais-toi seulement l’écho des racontars publics.

Enfin tu cesseras de convoiter en vain

Ce que par bec et ongles tu n’as pu obtenir. »

< p.69 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Je parlerais tout à fait autrement aux jeunes lionceaux dès qu’ils commencent à aiguiser leurs griffes sur les manuels de morale, sur les catéchismes, sur toutes coutumes, sur tous barreaux. Je leur dirais : n’ayez peur de rien ; faites ce que vous voulez. N’acceptez aucun esclavage, ni chaîne dorée, ni chaîne fleurie. Seulement, mes amis, soyez rois en vous-mêmes. N’abdiquez pas. Soyez maîtres des désirs et de la colère aussi bien que de la peur. Exercez-vous à rappeler la colère comme un berger rappelle son chien.

Soyez rois sur vos désirs. Si vous avez peur, marchez tranquillement à ce qui vous fait peur. Si vous êtes paresseux, donnez-vous une tâche. Si vous êtes indolent, pliez-vous aux jeux athlétiques. Si vous êtes impatient, donnez-vous des pelotons de ficelle à démêler. Si le ragoût est brûlé, donnez-vous le luxe royal de le manger de bon appétit. Si la tristesse vous prend, décrétez la joie en vous-même. Si l’insomnie vous retourne comme une carpe sur l’herbe, exercez-vous à rester immobile, et à dormir au commandement.

Après cela, mes bons amis, puisque vous serez rois en vous, agissez royalement, et faites ce qui vous semblera bon. »

< 4 avril 1910 p.72 >

François CAVANNA / Lettre ouverte aux culs-bénits / Albin Michel 1994

« Conseils pour la route :

Pars de zéro.

Mets tout à plat.

Rejette toute tradition.

112

CRITIQUE

Méprise tout rituel

Ne respecte aucun tabou.

Tiens tout symbole pour ce qu’il est : du vent

Pisse sur le sacré.

N’écoute aucune parole "révélée".

Fuis ceux qui ont la vérité par la foi.

Crache à la gueule des charlatans du "merveilleux".

Ris de tout, pleure de tout, mais selon ton humeur.

Éduque ta raison, tu n’as rien d’autre.

N’admets pour provisoirement acceptable que ce que ta raison estime dûment démontré.

Laisse de côté les questions sans réponse.

Fuis la métaphysique.

Ne te conduis pas en fonction d’une morale transcendante.

Mais que ta morale soit faite des règles nécessaires à la vie de chacun dans une société harmonieuse et fraternelle.

... Sauf, bien sûr, si les hommes noirs prennent le pouvoir et rallument les bûchers. Dans ce cas, mon fils, fais semblant ! »

< p.117 >

Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997

« À l’égard de la propriété, de l’amour, de la fortune et du succès, j’applique "la règle des Dudu" : rien n’est dû, rien n’est durable. »

< p.234 >

CRITIQUE

Nicolas BOILEAU-DESPRÉAUX / Œuvres / Épîtres / Société des Belles Lettres 1939

« Il est de l’essence d’un bon Livre d’avoir des Censeurs : et la plus grande disgrâce qui puisse arriver à un Escrit qu’on met au jour, ce n’est pas que beaucoup de gens en disent du mal, c’est que personne n’en dise rien. »

< Préface aux Espistres Nouvelles, p.54 >

Philippe Néricault DESTOUCHES / Le Glorieux (1732) / Paris, Librairie des bibliophiles 1884 [BnF]

«

La critique est aisée et l’art est difficile.*

C’est là ce qui produit ce peuple de censeurs,

et ce qui rétrécit les talents des auteurs.

»

< Acte II, scène v p.51 >

* Ce vers est souvent attibué, à tort, à Boileau.

Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le mariage de Figaro (1784) / Œuvres complètes /

Firmin-Didot 1865

« Je lui dirais... que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes, qui redoutent les petits écrits. »

< Acte V scène iii p.162 >

Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]

« Le flambeau de la critique s’allume plus souvent pour détruire que pour éclairer. »

< 55, p.10 >

CRITIQUE

113

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Combattre les objections, ce n’est souvent détruire que des fantômes. On n’éclaire rien par là ; seulement on rend muets ceux qui obscurcissent. »

< 24 novembre 1796 t.1 p.193 >

« Toute bonne objection éclaircit la matière qui est en doute ; celle qui l’obscurcit est mauvaise, elle fait perdre l’objet de vue. — Mais celle qui montre l’objet en détruisant le système est la seule bonne. »

< 26 septembre 1800 t.1 p.383 >

« Tout critique de profession, homme médiocre par nature. »

< 16 décembre 1801 t.1 p.434 >

JEAN-PAUL / Pensées de Jean-Paul / Paris, Firmin Didot 1829 [BnF]

« Je n’ai jamais vu de critiques plus vides et moins vraies, plus partiales et moins utiles, que celles des livres que j’avais lus auparavant ; mais, en revanche, quel mérite n’ai-je pas trouvé dans la critique des ouvrages que je ne connaissais pas encore ! »

< p.51 >

Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« C’est perdre son temps que de lire des critiques. Je me fais fort de soutenir dans une thèse qu’il n’y en a pas eu une de bonne depuis qu’on en fait, que ça ne sert à rien qu’à embêter les auteurs et à abrutir le public, et enfin qu’on fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’art, de même qu’on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat. »

< À Louise Colet, 14 octobre 1846, p.390 >

Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989

« La critique est l’ennemie et la négation du génie d’un temps : Fréron avec Voltaire, Chénier avec Chateaubriand. Le journalisme est le triomphe de la critique. Cette feuille de papier d’un jour, le journal : l’ennemi instinctif du livre, comme la putain de la femme honnête. »

< juillet 1858 p.370 >

« Évidemment, les critiques n’ont été créés que le septième jour. S’ils avaient été créés le premier, qu’auraient-ils eu à faire? »

< 8 mars 1863 p.945 >

Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« On critique les morts pour les beautés et les vivants pour les défauts. »

< 1840 p.149 >

« On est stupéfait de la quantité de critique que peut contenir un imbécile. »

< 1864 p.171 >

Édouard LOCKROY / Au hasard de la vie / Paris Grasset 1913 [BnF]

« Quand un autre homme de génie, Lamartine, publia dans ses Entretiens littéraires une critique très violente et très acerbe des Misérables, je vois encore Victor Hugo montrant du doigt la brochure et disant en souriant :

— Essai de morsure par un cygne. »

< p.282 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996

« Il faut, selon moi, compter au nombre des plus grandes découvertes faites tout récemment par la raison humaine l’art de juger les livres sans les avoir lus. »

< p.56 >

114

CRITIQUE

Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]

« Rien n’est plus bête qu’un critique, si ce n’est quelquefois un auteur. »

< p.229 >

« Critiquer une renommée comme celle de Victor Hugo, c’est chercher des poux sur un lion. »

< p.231 >

Francisque SARCEY / Quarante ans de théâtre (1) / Bibliothèque des Annales politiques et littéraires 1900

« Le succès est la règle de ma critique. Ce n’est pas du tout qu’il prouve pour moi le mérite absolu de la pièce ; mais il montre évidemment qu’entre l’œuvre représentée et le goût actuel du public il y a de certains rapports secrets qu’il est curieux de découvrir. Je les cherche. Je dis la vérité du jour, car j’écris dans un journal. La mode change tous les dix ans en France, pour les ouvrages de l’esprit comme pour tout le reste. Il est clair que, dans dix années, et plus tôt peut-être, mon jugement sera faux ; mais les raisons sur lesquelles je l’ai appuyé sont encore juste. Il est vrai que personne alors ne s’en souciera : pièces et feuilletons seront tombés dans le plus profond oubli. »

< Les droits et les devoirs du critique, 16 et 23 juillet 1860, p.54 > Rémy de GOURMONT / Promenades philosophiques (1) / Mercure de France 1931

« Les poètes, les artistes créent des fantômes qui parfois deviennent immortels dans la tradition des hommes. Le critique, comme le philosophe, crée des valeurs. L’œuvre d’art ne conclut pas. Là où il y a conclusion, il y a critique. »

< p.33 >

Anatole FRANCE / L’Île des Pingouins (1908) / Au tournant du siècle / Omnibus 2000

« On observe qu’en France, le plus souvent, les critiques musicaux sont sourds et les critiques d’art aveugles. Cela leur permet le recueillement nécessaire aux idées esthétiques. »

< Préface, p.566 >

Georges COURTELINE / Philosophie / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Il n’est pas de genres inférieurs ; il n’est que des productions ratées et le bouffon qui divertit prime le tragique qui n’émeut pas.

Exiger simplement et strictement des choses les qualités qu’elles ont la prétention d’avoir : tout le sens critique tient là-dedans. »

< p.830 >

Jerome K. JEROME / Arrière-pensées d’un paresseux (1898) / Arléa 1998

« Un jour, dans un club littéraire, je prenais le café avec un romancier qui se trouvait être un garçon athlétique, aux larges épaules. Un autre membre se joignit à nous et dit au romancier : "Je viens de terminer votre dernier livre et je vais vous dire franchement ce que j’en pense." Et mon ami de répondre du tac au tac : "Je vous préviens en toute honnêteté que si vous le faites, je vous casse la figure." Eh bien, nous n’avons jamais su ce qu’il en pensait franchement. »

< p.225 >

Raymond RADIGUET / Œuvres / La Pochothèque LdP 2001

« On ne demande beaucoup qu’aux artistes qu’on n’aime pas. »

< Art poétique (1922) p.199 >

Emil CIORAN / Syllogismes de l’amertume (1952) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Tout commentaire d’une œuvre est mauvais ou inutile, car tout ce qui n’est pas direct est nul. »

< p.751 >

CROYANCE

115

Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001

« Je ne dirai pas de mal de Sainte-Beuve, parce que, quand on dit du mal de lui, tous les critiques se sentent atteints. »

< 5 janvier 1969, p.128 >

Michel POLAC / Journal (1980-1998) / PUF 2000

« Ce n’est pas qu’on me critique que je ne supporte pas, c’est qu’on admire les autres. »

< août 1980, p.34 >

Jean-François REVEL / La cabale des dévots / Robert Laffont - Bouquins 1997

« Qu’est donc affirmer et qu’est-ce que nier? Qu’est-ce que construire (puisqu’on nous rebat les oreilles de la nécessité d’être "constructifs", efficaces, voire "efficients") et détruire ? Que faut-il entendre exactement par négation? Dans quels cas peut-on parler d’ouvrage négatif, d’esprit négatif, de propos négatif?

Ces expressions sont couramment employées pour désigner deux opérations opposées : 1. Détruire quelque chose de positif ;

2. Décrire quelque chose de négatif.

La pensée conservatrice a naturellement intérêt à confondre la seconde opération avec la première, autrement dit à postuler ce qui est précisément en question, à savoir le caractère positif des conceptions visées par la critique.

Or, dans l’ordre intellectuel, détruire quelque chose de positif par la seule critique est impossible : il y faut d’autres moyens, tels que la censure, ou ces formes indirectes de censure que sont le protectionnisme de l’enseignement officiel, les pressions exercées sur les maisons d’édition, sur les revues et les journaux, le discrédit moral jeté sur la "mentalité" du critiqueur, sur ses mobiles supposés et remplaçant la discussion des preuves ; bref, les freins mis à l’information. »

< p.506 >

CROYANCE

Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962

« Le vray champ et subject de l’imposture sont les choses inconnuës. D’autant qu’en premier lieu l’estran-geté mesme donne credit ; et puis, n’estant point subjectes à nos discours ordinaires, elles nous ostent le moyen de les combattre. A cette cause, dict Platon, est-il bien plus aisé de satisfaire parlant de la nature des Dieux que de la nature des hommes, par ce que l’ignorance des auditeurs preste une belle et large carrière et toute liberté au maniement d’une matière cachée.

Il advient de là qu’il n’est rien creu si fermement que ce qu’on sçait le moins, ny gens si asseurez que ceux qui nous content des fables, comme Alchimistes, Prognostiqueurs, Judiciaires, Chiromantiens, Medecins,

" id genus omne". »

< t.1 p.245 livre I chap.XXXII >

LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967

« Ce qui nous fait croire si facilement que les autres ont des défauts, c’est la facilité que l’on a de croire ce qu’on souhaite. »

< MP 25 p.166 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Crédulité. Plus difficile à dissuader qu’à persuader, et plus facile à tromper qu’à détromper. »

< 8 avril 1799 t.1 p.290 >

Oscar WILDE / Intentions / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996

« L’homme peut croire l’impossible mais jamais il ne pourra croire à l’improbable. »

< p.802 >

116

CROYANCE

Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]

« Mythologie. — Luxe de croyance. »

< p.161 >

Arthur SCHOPENHAUER / Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1851) / Collection Quadrige / PUF

1943

« Ne combattez l’opinion de personne ; songez que, si l’on voulait dissuader les gens de toutes les absurdités auxquelles ils croient, on n’en aurait pas fini, quand on atteindrait l’âge de Mathusalem. »

< p.142 >

Maurice JOLY / Recherches sur l’art de parvenir / Paris Amyot 1868 [BnF Cote LB56-1958]

« Croire à son étoile, à sa prédestination, s’imaginer qu’on entre comme un élément nécessaire dans l’ordre universel, est-ce autre chose qu’une superstition grossière, quand on sait comment la nature se joue de la poussière humaine ? Cependant ce sentiment, qui n’est qu’un acte de déraison, a fait la principale force de presque tous les grands joueurs politiques. »

< p.119 >

Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995

« Il est [...] possible que la ruine des croyances idéalistes soit destinée à suivre la ruine des croyances surnaturelles, et qu’un abaissement réel du moral de l’humanité date du jour où elle a vu la réalité des choses. À force de chimères, on avait réussi à obtenir du bon gorille un effort moral surprenant ; ôtées les chimères, une partie de l’énergie factice qu’elles éveillaient disparaîtra. Même la gloire, comme force de traction, suppose à quelques égards l’immortalité, le fruit n’en devant d’ordinaire être touché qu’après la mort. Supprimez l’alcool au travailleur dont il fait la force, mais ne lui demandez plus la même somme de travail. »

< p.75 >

Alphonse KARR / Une poignée de vérités / M. Lévy frères 1866

« D’où vient la bizarrerie du goût qu’ont les hommes de grande taille pour de petites femmes qui ne peuvent pas leur donner le bras? D’où vient le goût des hommes de petite stature pour des femmes énormes? D’une prévoyance de la Providence. En effet, si, comme il serait plus naturel de s’y attendre, les hommes de grande taille aimaient les grandes femmes, si un petit homme recherchait une petite femme, il y a longtemps qu’il y aurait sur la terre deux races distinctes — une race de géants et une race de nains, dont l’une opprimerait et peut-être détruirait l’autre. Je parie pour les nains. »

< p.35 >

Rémy de GOURMONT / Épilogues (3) / Mercure de France 1923

« La croyance en une cause unique est certainement la plus dangereuse superstition dans laquelle l’humanité puisse tomber. Tout le raisonnement en est faussé ; la vue du monde en est viciée ; on ne peut rien comprendre à la vie, ni même aimer la vie. Il est très probable que la notion de la providence est le mensonge qui a fait le plus de mal aux hommes. Quand on croit à la providence, on n’a pas le droit de rire de la plus grossière pratique fétichiste ; la providence est un fétiche près duquel tous les autres sont raisonnables. »

< septembre 1903, p.199 >

Sigmund FREUD / Essais de psychanalyse / Petite Bibliothèque Payot (44) 1973

« Seuls les croyants qui demandent à la science de leur remplacer le catéchisme auquel ils ont renoncé, verront d’un mauvais œil qu’un savant poursuive et développe ou même qu’il modifie ses idées. »

< Au-delà du principe du plaisir, 1920 p.81 >

CROYANCE

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André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

« On se persuade de tout et l’on croit ce que l’on veut croire. Puis on appelle "réalité supérieure" cette construction de l’esprit. Comment ne serait-elle pas supérieure à tout, dès qu’on y croit ? Et comment y pourrait-on croire, sinon en la croyant supérieure à tout...?

Et si "la perle de grand prix" pour la possession de laquelle un homme laisse tous ses biens, se découvre une perle fausse?...

- Qu’importe? Si celui qui la possède ne le sait pas. »

< 4 février 1930 p.967-8 >

« Ces idées dont on croit d’abord ne point pouvoir se passer. D’où grand danger d’installer son confort moral sur des idées fausses. Contrôlons, vérifions d’abord. Naguère le soleil tournait autour de la terre ; celle-ci, point fixe, demeurait le centre du monde, foyer d’attention du bon Dieu... Et puis non ! C’est la terre qui tourne. Mais alors, tout chavire ! Tout est perdu !... Pourtant rien n’est changé que la croyance.

L’homme doit apprendre à s’en passer. De l’une, puis de l’autre, il se délivre. Se passer de la Providence : l’homme est sevré.

Nous n’en sommes pas là. Nous n’en sommes pas encore là. Cet état d’athéisme complet, il faut beaucoup de vertu pour y atteindre ; plus encore pour s’y maintenir. Le "croyant" n’y verra sans doute qu’invite à la licence. S’il en allait ainsi : vive Dieu ! Vive le sacré mensonge qui préserverait l’humanité de la faillite, du désastre. Mais l’homme ne peut-il apprendre à exiger de soi, par vertu, ce qu’il croit exigé par Dieu ? Il faudrait bien pourtant qu’il y parvienne ; que quelques-uns, du moins, d’abord ; faute de quoi la partie serait perdue. Elle ne sera gagnée, cette étrange partie que voici que nous jouons sur terre (sans le vouloir, sans le savoir, et souvent à cœur défendant), que si c’est à la vertu que l’idée de Dieu, en se retirant, cède la place ; que si c’est la vertu de l’homme, sa dignité, qui remplace et supplante Dieu. Dieu n’est plus qu’en vertu de l’homme. Et eritis sicut dei. (C’est ainsi que je veux comprendre cette vieille parole du Tentateur - lequel, ainsi que Dieu, n’a d’existence qu’en notre esprit - et voir dans cette offre, qu’on nous a dite fallacieuse, une possibilité de salut.) »

< 1947 p.310 >

ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« Le conteur, qui veut faire paraître des choses absentes, y réussit bien mieux par le frisson de la peur que par une suite raisonnable de causes et d’effets ; les membres sanglants d’un homme tombant par la cheminée dans la poêle à frire, cela se passe de preuves, par l’épouvante ; tout se trouve lié dans l’imagination par l’impression forte, dès que l’expérience réelle est impossible, ou n’est point faite. Ce qui est indifférent n’est jamais cru, si vraisemblable qu’il soit ; ce qui touche violemment est toujours cru, et l’absurde est bien loin d’y faire obstacle, puisque l’absurde lui-même épouvante. »

< p.215 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Croire est agréable. C’est une ivresse dont il faut se priver. Ou alors dites adieu à liberté, à justice, à paix. Il est naturel et il est délicieux de croire que la république nous donnera tous ces biens ; ou, si la république ne peut, on veut croire que coopération, socialisme, communisme ou quelque autre constitution nous permettra quelque jour de nous fier au jugement d’autrui, enfin de dormir les yeux ouverts comme font les bêtes. Mais non. La fonction de penser ne se délègue point. Dès que la tête humaine reprend son antique mouvement de haut en bas, pour dire oui, aussitôt les tyrans reviennent. »

< 5 mai 1931 p.1014 >

Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998

« Où allons-nous si les gens commencent à croire vraiment ce qu’on leur dit — et qui est fait pour n’être pas cru ! Qui sait si, au lieu du mensonge, il ne faudra pas finir par leur dire un jour la vérité? »

< Du mensonge, p.258 >

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CRYPTOGRAPHIE

Emil CIORAN / Syllogismes de l’amertume (1952) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« Toute croyance rend insolent ; nouvellement acquise, elle avive les mauvais instincts ; ceux qui ne la partagent pas font figure de vaincus et d’incapables, ne méritant que pitié et mépris. Observez les néophytes en politique et surtout en religion, tous ceux qui ont réussi à intéresser Dieu à leurs combines, les convertis, les nouveaux riches de l’Absolu. Confrontez leur impertinence avec la modestie et les bonnes manières de ceux qui sont en train de perdre leur foi et leurs convictions... »

< p.792 >

Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995

« N’a de convictions que celui qui n’a rien approfondi. »

< p.1353 >

Alfred SAUVY / Mythologie de notre temps / Petite Bibliothèque Payot (191) 1971

« La croyance en la fortune est une marque d’orgueil et, de ce fait, est antiscientifique. Les dieux ont les yeux fixés sur moi. Ils me veulent du bien... ou bien ils me veulent du mal ; en tout cas, je ne passe pas inaperçu. »

< p.26 >

Robert DANTZER / L’illusion psychosomatique / Seuil Ed Odile Jacob 1989

Croyance et maladie :

« Dès qu’on ne cerne pas bien les causes d’une maladie, on a tendance à invoquer la logique de déséquilibre, c’est à dire les facteurs psychosociaux. Les maladies dans lesquelles l’intervention de tels facteurs est postulée ont le plus souvent une étiologie inconnue ou mal établie et les possibilités d’intervention thérapeutique sont habituellement limitées voire inexistantes. Face à une telle incertitude, le modèle de causalité linéaire dans lequel il suffit qu’un événement en précède un autre pour qu’il en soit une cause possible devient prépondérant. Le caractère spectaculaire de la cause postulée suffit à la rendre crédible, surtout si sa possibilité d’intervention est entretenue par la culture ambiante. À partir du moment où la croyance s’est établie, elle s’entretient d’elle-même par l’attention sélective accordée aux autres cas venant renforcer la possibilité d’intervention des facteurs psychiques. La croyance est antinomique du sens critique. »

< p.44-45 >

Jean-François REVEL / Mémoires / Plon 1997

« Ce qui m’intéresse rétrospectivement, dans ma mésaventure gurdjieffienne, c’est l’expérience que je fis sur mon propre cas de l’aptitude des hommes à se persuader de la vérité de n’importe quelle théorie, de bâtir dans leur tête un attirail justificatif de n’importe quel système, fût-ce le plus extravagant, sans que l’intelligence et la culture puissent entraver cette intoxication idéologique. »

< p.155 >

Jean-François REVEL / La grande parade / Plon 2000

« Je suis toujours un peu inquiet quand j’entends quelqu’un faire l’éloge d’une personnalité politique en disant d’elle, sans préciser : "C’est un homme ou une femme de conviction." Laquelle? ou lesquelles? Tout est là, me semble-t-il. Hitler aussi était un homme de convictions, hélas ! Comme on aurait préféré qu’il ne crût à rien ! »

< p.24 >

CRYPTOGRAPHIE

PLUTARQUE / Les Vies des hommes illustres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951

Le premier procédé de chiffrement militaire connu : la scytale des Lacédémoniens (Ve siècle av. J.-C.)

« Cette scytale est une telle chose : quand les éphores* envoient à la guerre un général, ou un amiral, ils font accoutrer deux petits bâtons ronds, et les font entièrement égaler en grandeur et en grosseur, desquels deux bâtons ils en retiennent l’un par devers eux, et donnent l’autre à celui qu’ils envoient. Ils appellent ces deux petits bâtons scytales, et quand ils veulent faire secrètement entendre quelque chose de conséquence à CULTURE

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leurs capitaines, ils prennent un bandeau de parchemin long et étroit comme une courroie qu’ils entortillent à l’entour de leur bâton rond, sans laisser rien d’espace vide entre les bords du bandeau ; puis quand ils sont ainsi bien joints, alors ils écrivent sur le parchemin ainsi roulé ce qu’ils veulent ; et quand ils ont achevé d’écrire, ils développent le parchemin et l’envoient à leur capitaine, lequel n’y saurait autrement rien lire ni connaître, parce que les lettres n’ont point de suite ni de liaison continuée, mais sont écartées, l’une çà, l’autre là, jusques à ce que prenant le petit rouleau de bois qu’on lui a baillé à son partement, il étend la courroie de parchemin qu’il a reçue tout à l’entour, tellement que, le tour et le pli du parchemin venant à se retrouver en la même couche qu’il avait été plié premièrement, les lettres aussi viennent à se rencontrer en la suite continuée qu’elles doivent être. Ce petit rouleau de parchemin s’appelle aussi bien scytale comme le rouleau de bois, ni plus ni moins que nous voyons ailleurs ordinairement, que la chose mesurée s’appelle du même nom que fait celle qui mesure. »

< Vie de Lysandre XXXVI p.1001 >

* Éphore : Magistrats lacédémoniens au nombre de cinq établis pour contre-balancer l’autorité des rois et du sénat et qu’on renouvelait tous les ans. Ils étaient élus par le peuple. (Littré) SUÉTONE / Vies des Douze Césars / GF-Flammarion (553) 1990

Le chiffre de Jules César :

« On possède [...] de César des lettres à Cicéron, et sa correspondance avec ses amis sur ses affaires domestiques. Il y employait, pour les choses tout à fait secrètes, une espèce de chiffre (les lettres étant disposées de manière à ne pouvoir jamais former un mot), et qui consistait, je le dis pour ceux qui voudront les déchiffrer, à changer le rang des lettres, à écrire la quatrième pour la première, comme le d pour l’ a, et ainsi des autres. »

< C. J. César LVI p.63 >

CULTURE

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Accroissement de l’intéressant.

Au fur et à mesure que sa culture s’accroît, tout devient intéressant pour l’homme, il sait rapidement trouver le côté instructif d’une chose et saisir le point où elle peut combler une lacune de sa pensée ou confirmer une de ses idées. Ainsi disparait de jour en jour l’ennui, ainsi aussi l’excitabilité excessive du cœur. Il finit par circuler parmi les hommes comme un naturaliste parmi les plantes, et par s’observer lui-même comme un phénomène qui n’excite fortement que son instinct de connaître. »

< 254 p.577 >

Paul-Jean TOULET / Notes de littérature / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986

« Aux nouveaux riches :

Quand on vous reproche une faute de français, répondez que c’est un latinisme. »

< p.957 >

Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960

« On a trop réduit la connaissance de la langue à la simple mémoire. Faire de l’orthographe le signe de la culture, signe des temps et de sottise. »

< p.481 >

Sacha GUITRY / Elles et Toi / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Quand on dit d’une femme qu’elle est cultivée, je m’imagine qu’il lui pousse de la scarole entre les jambes et du persil dans les oreilles. »

< p.102 >

« Elle m’avait dit un jour :

- Chéri, est-ce que tu savais qu’oroscope, idrogène, ipocrite et arpie ne sont pas dans le dictionnaire? »

< p.113 >

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CULTURE

Hanns JOHST / Schlageter, Er starb für Deutschland / Berlin 1933

« Wenn ich Kultur höre ... entsichere ich meinen Browning !*

[Quand j’entends le mot "culture" ... je sors mon révolver !] »

< Acte I scène i >

* Citation préférée d’Hermann Goering.

Antoine de SAINT-EXUPÉRY / Terre des hommes / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1959

« Il se forme une piètre opinion de la culture celui qui croit qu’elle repose sur la mémoire des formules. Un mauvais élève du cours de Spéciales en sait plus long sur la nature et sur les lois que Descartes et Pascal.

Est-il capable des mêmes démarchent de l’esprit? »

< VIII iii p.255 >

Georges BERNANOS / La France contre les robots (1946) / Essais et écrits de combats II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1995

« L’intellectuel est si souvent un imbécile que nous devrions toujours le tenir pour tel, jusqu’à ce qu’il nous ait prouvé le contraire. »

< p.1042 >

Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]

« Il ne faut beaucoup lire que quand on sait beaucoup oublier. »

< 92, p.16 >

Edouard HERRIOT / Jadis - Avant la première guerre mondiale / Flammarion 1948

« Ce que j’emportais de plus précieux ne pouvait s’enfermer dans une malle. "La culture, — a dit un moraliste oriental, — c’est ce qui reste dans l’esprit quand on a tout oublié." J’avais acquis à l’École [normale supérieure] une méthode pour le travail et le goût de cet ordre qui impose la discipline de l’esprit à la confusion des choses. Aucun besoin d’agir. L’action, dont on dit communément qu’elle est une affirmation, est, en vérité, la négation de tous les possibles moins un. »

< p.104 >

Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7

« D’abord, l’homme que l’on dit cultivé est celui qui a le temps de le devenir, celui que sa vie professionnelle laisse suffisamment disponible, ou dont la vie professionnelle est elle-même inscrite dans la culture.

Dans une société marchande, être cultivé, c’est déjà appartenir à la partie favorisée de la société qui peut se permettre de le devenir. Accorder à ceux qui n’ont pas cette chance une participation à la culture, c’est en quelque sorte leur permettre une ascension sociale. C’est un moyen de les gratifier narcissiquement, d’améliorer leur standing, d’enrichir l’image qu’ils peuvent donner d’eux-mêmes aux autres. »

< p.49-50 >

Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992

« En matière de culture, je fais mon marché tout seul. Je suis le terrain, je sais ce qui pousse. »

< p.90 >

Pierre DESPROGES / Vivons heureux en attendant la mort / Ed. du Seuil 1983

« La culture, c’est comme l’amour. Il faut y aller à petits coups au début pour bien en jouir plus tard.

Du reste, "est-il vraiment indispensable d’être cultivé quand il suffit de fermer sa gueule pour briller en société", dit judicieusement La Rochefoucauld, qui ajoute : "La culture et l’intelligence, c’est comme les parachutes. Quand on n’en a pas, on s’écrase." »

< p.153 >

« Et puis quoi, qu’importe la culture? Quand il a écrit Hamlet, Molière avait-il lu Rostand? Non. »

< p.170 >

CURIOSITÉ

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Jean-François REVEL / Mémoires / Plon 1997

« Ce qu’on nomme culture consiste, pour une partie des intellectuels, à persécuter l’autre partie. Dans les sociétés totalitaires, cette persécution est institutionnalisée, elle fait corps avec l’État. Dans les sociétés ouvertes, si elle est diffuse, elle n’est pas pour autant absente. Les intellectuels s’y organisent fort adroitement pour reconstituer l’ostracisme. Le "politiquement correct" qui a sévi aux États-Unis à partir du milieu des années quatre-vingt en est un effroyable échantillon. »

< p.108 >

« Il n’y a pas de culture, il n’y a que des gens cultivés. Il n’y a pas plus de culture en général, hors les individus, qu’il n’y a d’art du piano dans l’abstrait, en l’absence de pianistes. Une culture meurt quand disparaissent ceux qui l’incarnent, non comme institution officielle, mais dans l’originalité unique de leur propre sensibilité, de leur propre intelligence. Le reste n’est que colportage. »

< p.271 >

Philippe BOUVARD / Journal 1997-2000 / Le cherche midi éditeur 2000

« La culture est bête : elle s’approprie l’intelligence des autres et elle rend inutile l’improvisation. »

< p.66 >

Bernard PIVOT / Le métier de lire / folio Gallimard 2001

« Un intellectuel, c’est d’abord quelqu’un qui réfléchit avant d’écrire et de parler, qui réfléchit avant de réfléchir, et qui réfléchit même sur l’utilité de la réflexion avant la réflexion proprement dite. »

< p.159 >

CURIOSITÉ

Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le Barbier de Séville (1775) / Œuvres complètes /

Firmin-Didot 1865

« Quelle rage a-t-on d’apprendre ce qu’on craint toujours de savoir ! »

< Acte II scène xv p.92 >

Georg Christoph LICHTENBERG / Aphorismes / Collection Corps 16 - Éditions Findakly 1996

« Regards neufs, vieux trous de serrure. »

< p.38 >

Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995

« La science restera toujours la satisfaction du plus haut désir de notre nature, la curiosité ; elle fournira à l’homme le seul moyen qu’il ait pour améliorer son sort. Elle préserve de l’erreur plutôt qu’elle ne donne la vérité ; mais c’est déjà quelque chose d’être sûr de n’être pas dupe. »

< p.75 >

Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988

« On faisait reproche à quelqu’un, devant moi, pour sa curiosité. Je me récriai : "Etre curieux ? Ne blâmez pas ! C’est une qualité. La curiosité est un côté de l’intelligence. Il n’y a que les sots, les niais, les cerveaux inertes, qui ne sont pas curieux. Il faut être curieux le plus possible. Se mêler de ce qui ne vous regarde pas, écouter aux portes, regarder aux fenêtres pour voir ce qui se passe chez les gens, suivre d’autres dans la rue pour écouter ce qu’ils disent, lire les lettres qui traînent, faire parler telle personne sur telle autre, provoquer les confidences, lire au travers des enveloppes, faire semblant de dormir dans une réunion pour amener les autres à parler plus librement, payer des domestiques pour savoir des histoires sur leurs maîtres, épier, écouter, regarder, fouiller, surprendre, découvrir, avec l’air de l’homme le plus indifférent, — le comble de l’adresse en cette matière ! — c’est ainsi qu’on apprend quelque chose dans la vie. Les gens qui ne sont pas curieux sont des sots. La curiosité, c’est le besoin de savoir. Celui qui n’est pas curieux n’apprendra jamais rien." »

< p.302 >

122

DÉMOCRATIE

Paul LÉAUTAUD / Propos d’un jour / Œuvres / Mercure de France 1988

« Il faut en convenir : un bon accident, un petit scandale, une mort, chez des gens que nous connaissons, dans le cercle de nos relations, chez l’un ou l’autre de nos collègues, si nous sommes employés, c’est une diversion agréable. Multipliez cela à l’échelle du public : vous avez les crimes, les grands accidents de chemin de fer, les scandales politiques ou financiers, sur les récits et descriptions desquels tout le monde se jette. »

< p.380 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« Cher Monsieur, vous êtes parfaitement "dénué d’intérêt" — Mais pas votre squelette — ni votre foie, ni lui-même votre cerveau — Et ni votre air bête et ni ces yeux tard venus — et toutes vos idées. Que ne puis-je seulement connaître le mécanisme d’un sot? »

< Psychologie p.915 >

Albert EINSTEIN / Pensées intimes / Éditions du Rocher 2000

« Je n’ai pas de talents particuliers. Je suis juste passionnément curieux. »

< Lettre à Carl Seelig, 11 mars 1952 ; Archives Einstein 39-013 ; p.43 > CYNISME

Friedrich NIETZSCHE / Aurore. (1881) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« Paraître toujours heureux. — Lorsque la philosophie était affaire d’émulation publique, dans la Grèce du troisième siècle, il y avait nombre de philosophes que rendait heureux l’arrière-pensée du dépit que devait exciter leur bonheur, chez ceux qui vivaient selon d’autres principes et y trouvaient leur tourment : ils pensaient réfuter ceux-ci avec le bonheur, mieux qu’avec toute autre chose, et ils croyaient que, pour atteindre ce but, il leur suffisait de paraître toujours heureux ; mais cette attitude devait, à la longue, les rendre véritablement heureux ! Ce fut par exemple le sort des cyniques. »

< 367 p.1142 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Cynique n. Grossier personnage dont la vision déformée voit les choses comme elles sont, et non comme elles devraient être. De là l’ancienne coutume scythe d’arracher les yeux d’un cynique pour améliorer sa perspective. »

< p.66 >

DÉMOCRATIE

MACHIAVEL / Discours sur la première Décade de Tite-Live / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1952

« Si l’on veut savoir ce qu’il est facile ou difficile de persuader à un peuple, il faut faire cette distinction : l’entreprise dont tu as à le persuader présente au premier abord soit un profit soit une perte, et paraît ou lâche ou magnanime. Lui apparaît-elle comme magnanime et profitable, rien de plus aisé que de le persuader même si la ruine de la république se cache sous cette apparence. Rien de si difficile au contraire s’il y voit lâcheté ou perte possible, quand bien même le salut réel de l’État en dépendrait. Ce que je dis là est appuyé sur mille exemples tirés de l’histoire des Romains et de celle des Barbares, pris chez les anciens et chez les modernes. »

< I liii p.492 >

Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]

« Le peuple donne sa faveur, jamais sa confiance. »

< Politique p.45 >

DÉMOCRATIE

123

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Isocrate, ce grand ennemi de la démocratie, donne la préférence à la monarchie "parce que (dit-il) les meilleurs y commandent" : et il ajoute : "rien n’est plus fâcheux pour ceux qui excellent que de vivre sans dignités et d’être cachés dans la foule !" Ô le méprisable lettré !

[...] Voici une de ses observations qui est digne d’être recueillie : "Rien de ce qui se fait par hasard (dit-il) n’est durable ni solide." Il est cependant possible qu’un peuple recouvre par hasard sa liberté et qu’il la conserve par une volonté forte et par la prudence. Le hasard est alors d’accord avec le temps, c’est à dire avec les mœurs et le caractère d’un siècle. »

< t.2 p.617 >

Alexis de TOCQUEVILLE / De la Démocratie en Amérique I (1835) / Robert Laffont - Bouquins 1986

« Dans les nations où règne le dogme de la souveraineté du peuple, chaque individu forme une portion égale du souverain, et participe également au gouvernement de l’État.

Chaque individu est donc censé aussi éclairé, aussi vertueux, aussi fort qu’aucun autre de ses semblables.

Pourquoi obéit-il à la société, et quelles sont les limites naturelles de cette obéissance?

Il obéit à la société, non point parce qu’il est inférieur à ceux qui la dirigent, ou moins capable qu’un autre homme de se gouverner lui-même ; il obéit à la société, parce que l’union avec ses semblables lui paraît utile et qu’il sait que cette union ne peut exister sans un pouvoir régulateur.

Dans tout ce qui concerne les devoirs des citoyens entre eux, il est donc devenu sujet. Dans tout ce qui ne regarde que lui-même, il est resté maître : il est libre et ne doit compte de ses actions qu’à Dieu. De là cette maxime, que l’individu est le meilleur comme le seul juge de son intérêt particulier et que la société n’a le droit de diriger ses actions que quand elle se sent lésée par son fait, ou lorsqu’elle a besoin de réclamer son concours. »

< Partie I, Ch. 5, p.89 >

François GUIZOT / De la démocratie en France / Bruxelles Wouters frères 1849 [BnF Cote 8-Lb55-118.A]

« Voici à quelles sources le mot démocratie puise sa puissance.

C’est le drapeau de toutes les espérances, de toutes les ambitions sociales de l’humanité, pures ou impures, nobles ou basses, sensées ou insensées, possibles ou chimériques. »

< p.11 >

Désiré NISARD / Ægri somnia - Pensées et caractères / Calmann Lévy 1889

« Dupin, après l’approbation du 10 décembre, disait à Louis-Napoléon :

— Eh bien, maintenant que vous voilà le maître, il faut mettre le suffrage universel de côté !

— Que me dites-vous là? que je supprime ce qui m’a fait le maître !

— Bah ! dit Dupin, on ne se sert pas de l’eau du baptême pour les usages domestiques. »

< p.145 >

Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Riposteurs (1893) / Berger-Levrault 1893

« — Vous étiez démocrate autrefois. Vous avez donc changé d’avis? disait-on à Alfieri.

— Quand j’étais démocrate, j’avais approché des grands ; je ne connaissais pas encore les petits. »

< p.94 >

Ernest RENAN / L’Avenir de la science, Pensées de 1848 (1890) / GF 765 Flammarion 1995

« Le suffrage universel ne sera légitime que quand tous auront cette part d’intelligence sans laquelle on ne mérite pas le titre d’homme, et si, avant ce temps, il doit être conservé, c’est uniquement comme pouvant servir puissamment à l’avancer. La stupidité n’a pas le droit de gouverner le monde. Comment, je vous prie, confier les destinées de l’humanité à des malheureux, ouverts par leur ignorance à toutes les captations du charlatanisme, ayant à peine le droit de compter pour des personnes morales? État déplorable que celui où, pour obtenir les suffrages d’une multitude omnipotente, il ne s’agit pas d’être vrai, savant, habile, vertueux, mais d’avoir un nom ou d’être un audacieux charlatan ! »

< p.362 >

124

DÉMOCRATIE

« Je le dis avec timidité et avec la certitude que ceux qui liront ces pages ne me prendront pas pour un séditieux, je le dis comme critique pur, en me posant devant les révolutions du présent comme nous sommes devant les révolutions de Rome, par exemple, comme on sera dans cinq cents ans vis-à-vis des nôtres : l’ insurrection triomphante est parfois un meilleur critérium du parti qui a raison que la majorité numérique.

Car la majorité est souvent formée ou du moins appuyée de gens fort nuls, inertes, soucieux de leur seul repos, qui ne méritent pas d’être comptés dans l’humanité ; au lieu qu’une opinion capable de soulever les masses, et surtout de les faire triompher, témoigne par là de sa force. Le scrutin de la bataille en vaut bien un autre ; car, à celui-là, on ne compte que les forces vives, ou plutôt on soupèse l’énergie que l’opinion prête à ses partisans : excellent critérium ! On ne se bat pas pour la mort ; ce qui passionne le plus est le plus vivant et le plus vrai. »

< p.365 >

Henry MARET / Pensées et opinions / Paris, Flammarion 1903 [BnF]

« Le rôle d’un représentant du peuple n’est pas d’obéir aux préjugés, mais de les dissiper. »

< p.183 >

Henry D. THOREAU / Résistance au gouvernement civil (1848) / Désobéir / Bibliothèques 10/18 (2832) Éd. de L’Herne 1994

« Voter équivaut toujours à jouer des jeux tels que les échecs ou le jacquet avec, en prime, une petite nuance morale ; on joue avec le bien et le mal, avec des questions morales. Il va de soi que les paris font partie du jeu. Le caractère de ceux qui votent n’entre pas en ligne de compte : d’aventure, je place mon vote selon ce que j’estime juste, mais le triomphe de la cause juste ne revêt pas une importance vitale à mes yeux et je suis tout disposé à l’abandonner à la majorité. De ce fait, son caractère obligatoire n’excède jamais le terrain de l’opportunité. Qui plus est, voter pour ce qui est juste ne revient pas à faire avancer la cause de la justice. Tout au plus est-ce exprimer faiblement, à l’intention des hommes, notre désir de la voir triompher.

Un homme sage ne consentira pas à l’abandonner aux aléas du hasard, pas plus qu’il ne se satisfera de ce qu’elle l’emporte par l’intermédiaire de la majorité. »

< p.53 >

Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988

« Le plus grand nombre est bête, il est vénal, il est haineux. C’est le plus grand nombre qui est tout. Voilà la démocratie, celle que nous avons, du moins. Et toute autre forme de régime ne vaut probablement pas mieux, pour d’autres raisons? La sagesse : supporter, sans participer. »

< p.300 >

Gustave FLAUBERT / Bouvard et Pécuchet / Garnier-Flammarion 1966

« Les six millions de voix refroidirent Pécuchet à l’encontre du Peuple, et Bouvard et lui étudièrent la question du suffrage universel.

Appartenant à tout le monde, il ne peut avoir d’intelligence. Un ambitieux le mènera toujours, les autres obéiront comme un troupeau, les électeurs n’étant pas même contraints de savoir lire : c’est pourquoi, suivant Pécuchet, il y avait eu tant de fraudes dans l’élection présidentielle.

"Aucune, reprit Bouvard ; je crois plutôt à la sottise du Peuple. Pense à tous ceux qui achètent la Reva-lescière, la pommade Dupuytren, l’eau des châtelaines, etc. Ces nigauds forment la masse électorale, et nous subissons leur volonté. Pourquoi ne peut-on se faire, avec des lapins, trois mille livres de rente? C’est qu’une agglomération trop nombreuse est une cause de mort. De même, par le fait seul de la foule, les germes de bêtise qu’elle contient se développent et il en résulte des effets incalculables.

- Ton scepticisme m’épouvante !" dit Pécuchet. »

< p.188-189 >

Paul-Jean TOULET / Le carnet de monsieur du Paur / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986

« La démocratie ne régnera que le jour où mille culs-de-jatte persuaderont le reste des hommes de se couper les jambes. Car c’est au profit d’un petit nombre qu’elle tend, — d’un vilain petit nombre. »

< p.284 >

DÉMOCRATIE

125

Anatole FRANCE / L’Île des Pingouins (1908) / Au tournant du siècle / Omnibus 2000

« Il n’y a rien que les démocraties estiment plus que la noblesse de naissance. »

< Livre VI Ch.3 p.690 >

Edouard HERRIOT / Jadis (**) D’une guerre à l’autre 1914-1936 / Flammarion 1952

« Une démocratie bien comprise n’est pas un régime qui maintienne artificiellement entre les hommes une égalité chimérique ; c’est un régime de libre sélection qui n’assigne d’autre limite à l’ascension sociale que les limites même de l’effort et de la volonté de l’individu. »

< avril 1916, p.58 >

Georges BERNANOS / Les Grands Cimetières sous la lune (1938) / Essais et écrits de combats I /

Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971

« La démocratie est l’état naturel des citoyens aptes à tout. Dès qu’ils sont en nombre, ils s’agglomèrent et forment une démocratie. Le mécanisme du suffrage universel leur convient à merveille, parce qu’il est logique que ces citoyens interchangeables finissent par s’en remettre au vote pour décider ce qu’ils seront chacun. Ils pourraient aussi bien employer le procédé de la courte paille. Il n’y a pas de démocratie populaire, une véritable démocratie du peuple est inconcevable. L’homme du peuple, n’étant pas apte à tout, ne saurait parler que de ce qu’il connaît, il comprend parfaitement que l’élection favorise les bavards. Qui bavarde sur le chantier est un fainéant. Laissé à lui-même, l’homme du peuple aurait la même conception du pouvoir que l’aristocrate — auquel il ressemble d’ailleurs par tant de traits — , le pouvoir est à qui le prend, à qui se sent la force de le prendre. »

< p.388 >

Georges BERNANOS / Lettre aux Anglais (1942) / Essais et écrits de combats II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1995

« Montesquieu a écrit que le ressort des Monarchies est l’honneur et celui des Démocraties la vertu. Je me demande si c’est bien encourager les pauvres diables à la vertu que leur donner le droit de vote et pas de pain, puisque leur vote est dès lors la seule chose qu’ils puissent vendre pour avoir du pain. »

< p.154 >

André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994

« On ne peut pas trop se fier à Jean-Jacques Rousseau. Il est le père de la démocratie moderne, c’est vrai, mais il ne s’est jamais beaucoup soucié de ses enfants. »

< p.29 >

« Ce serait une erreur de croire que les abstentionnistes ne votent pas : ils font simplement baisser le niveau de la majorité, donc ils favorisent le plus fort et votent tout de même à leur façon. »

< p.76 >

« Avec la proportionnelle, le pouvoir se trouve à la merci de ces "petits groupes charnières" qui font chanter les grandes formations et qui finissent par avoir dix fois plus d’importance que le corps électoral ne leur en a accordé. »

< p.80 >

Georges WOLINSKI / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1981

« Ce sont les circonstances qui mettent un homme providentiel au pouvoir, jamais des élections. »

< p.116 >

« La majorité n’a pas le droit d’imposer sa connerie à la minorité. »

< p.119 >

Pierre DESPROGES / La seule certidude que j’ai, c’est d’être dans le doute / Ed. du Seuil 1998

« Je ne vote pas... Je trouve que c’est un devoir civique de ne pas voter... Enfin, quand on les choix qu’on a actuellement. »

< p.59 >

126

DESTIN

Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001

« Interrogés pour quelques méfaits durant notre service aux armées, nous répondions : "On ne sait pas, on n’a pas vu." À quoi notre capitaine répondait : "On est un con." Admirable et profond. C’est tout le suffrage universel. »

< 15 novembre 1969, p.293 >

« Référendum : les référendums sont à la politique ce que les demandes d’augmentation de capital sont aux assemblées d’actionnaires ; quand une affaire marche mal, on met le peuple dans le coup. »

< 29 mars 1972, p.692 >

Philippe BOUVARD / Journal 1997-2000 / Le cherche midi éditeur 2000

« Dans les urnes, le suffrage d’une femme de ménage vaut exactement le bulletin de Mme Catherine Deneuve alors que la première en sait davantage que la seconde sur les difficultés de l’époque. »

< p.22 >

DESCARTES

Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954

« Je ne puis pardonner à Descartes : il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu ; mais il n’a pu s’empêcher de lui faire donner une chiquenaude, pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n’a plus que faire de Dieu. »

< 194 p.1137 >

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Cartésien adj. Relatif à Descartes, philosophe réputé, auteur de la célèbre proposition Cogito ergo sum

— par laquelle il se plaisait à penser qu’il avait démontré la réalité de l’existence humaine. La proposition peut être cependant améliorée de la manière suivante : Cogito cogito ergo cogito sum — "Je pense que je pense, donc je pense que je suis" ; une approche plus poussée vers la certitude que tout ce qui n’a jamais été écrit jusque-là dans toute la philosophie. »

< p.42 >

Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973

« J’aime Descartes à cause de la pureté simple et grandiose de son être, de la fermeté de sa pensée, de l’impression générale d’honnêteté et d’ordre qui paraît dans toute sa démarche.. »

< Philosophie p.601 >

Jean-François REVEL / Descartes inutile et incertain / Robert Laffont - Bouquins 1997

« Ce serait un puissant briseur de mythes, l’auteur qui parviendrait à défaire le lien établi entre l’adjectif

"cartésien" et la notion de rationalité, qui nous délivrerait de l’usage habituel de "cartésien" comme synonyme de "méthodique" et de "logiquement cohérent". Une grave erreur historique serait ainsi effacée et, d’autre part, on verrait disparaître un tic de langage bien superflu — l’invocation du patronage cartésien à propos de toute démarche impliquant apparemment quelque suite dans les idées. »

< p.723 >

DESTIN

MACHIAVEL / Le Prince / Le livre de poche / Librairie Générale Française 1983

« Je n’ignore pas cette croyance fort répandue : les affaires de ce monde sont gouvernées par la fortune et par Dieu ; les hommes ne peuvent rien y changer, si grande soit leur sagesse ; il n’existe même aucune sorte de remède ; par conséquent il est tout à fait inutile de suer sang et eau à vouloir les corriger, et il vaut mieux s’abandonner au sort. Opinion qui a gagné du poids en notre temps, à cause des grands bouleversements auxquels on assiste chaque jour, et que nul n’aurait jamais pu prévoir. Si bien qu’en y réfléchissant moi-même, il m’arrive parfois de l’accepter. Cependant, comme notre libre arbitre ne peut disparaître, j’en viens à croire que la fortune est maîtresse de la moitié de nos actions, mais qu’elle nous abandonne à peu près l’autre moitié. »

< p.130 >

DESTIN

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VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.

« Ou le monde subsiste par sa propre nature, par ses lois physiques, ou un Etre suprême l’a formé suivant ses lois suprêmes : dans l’un et l’autre cas, ces lois sont immuables ; dans l’un et l’autre cas, tout est nécessaire ; les corps graves tendent vers le centre de la terre, sans pouvoir tendre à se reposer en l’air. Les poiriers ne peuvent jamais donner d’ananas. L’instinct d’un épagneul ne peut être l’instinct d’une autruche.

Tout est arrangé, engendré, limité. »

< p.164-165 >

« Il est contradictoire que ce qui fut hier n’ait pas été, que ce qui est aujourd’hui ne soit pas ; il est aussi contradictoire que ce qui doit être puisse ne pas devoir être.

Si tu pouvais déranger la destinée d’une mouche, il n’y aurait nulle raison qui pût t’empêcher de faire le destin de toutes les autres mouches, de tous les autres animaux, de tous les hommes, de toute la nature ; tu te trouverais au bout du compte plus puissant que Dieu. »

< p.165 >

Sur le raisonnement paresseux :

« Il y a des gens qui vous disent : "Ne croyez pas au fatalisme ; car alors tout vous paraissant inévitable, vous ne travaillerez à rien, vous croupirez dans l’indifférence, vous n’aimerez ni les richesses, ni les honneurs, ni les louanges ; vous ne voudrez rien acquérir, vous vous croirez sans mérite comme sans pouvoir ; aucun talent ne sera cultivé, tout périra par l’apathie."

Ne craignez rien, messieurs, nous aurons toujours des passions et des préjugés, puisque c’est notre destinée d’être soumis aux préjugés et aux passions ; nous saurons bien qu’il ne dépend pas plus de nous d’avoir beaucoup de mérite et de grands talents que d’avoir les cheveux bien plantés et la main belle ; nous serons convaincus qu’il ne faut tirer vanité de rien, et cependant nous aurons toujours de la vanité. »

< p.166-167 >

Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994

« Il faut être caillou dans le torrent, garder ses veines et rouler sans être dissous (ni dissolu). »

< 25 avril 1812 t.2 p.345 >

Victor HUGO / Faits et croyances / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989

« De certaines destinées ont deux noms. Le premier est comme la préface de l’autre. On est Poquelin avant d’être Molière, Arouet avant d’être Voltaire, et Bonaparte avant d’être Napoléon. Cela tient à ce que ces hommes ont deux aspects, valet de chambre et génie, courtisan et roi, soldat républicain et empereur. »

< 1860 p.227 >

Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990

« La prétention, ultime consolation. - Si l’on s’arrange pour voir dans un insuccès, dans son insuffisance intellectuelle ou sa maladie le sort auquel on était prédestiné, l’épreuve que l’on doit subir, ou le châtiment mystérieux d’une faute antérieure, on se rend par là son propre être plus intéressant et l’on s’élève par la pensée au-dessus de ses semblables. Le pécheur orgueilleux est une figure connue dans toutes les sectes religieuses. »

< 590 p.674 >

« Le fataliste. - Il faut que tu croies à la fatalité - la science peut t’y forcer. Ce qui naîtra alors de cette croyance - la lâcheté et la résignation ou la grandeur et la droiture - témoignera du terrain où cette semence fut jetée ; mais non point de la semence elle-même, car d’elle toutes choses peuvent sortir. »

< 363 p.817 >

Jerome K. JEROME / Arrière-pensées d’un paresseux (1898) / Arléa 1998

« Dans ma jeunesse, la question qui me préoccupait au premier chef était la suivante : "Quel genre d’homme vais-je décider d’être ?" À dix-neuf ans, c’est une question que l’on se pose. À trente-neuf, on dit : "Si seulement le destin n’avait pas fait de moi l’homme que je suis." »

< p.15 >

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DESTIN

Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989

« Destinée n. Justification du Tyran pour ses crimes, excuse de l’imbécile pour ses échecs. »

< p.73 >

Léon DAUDET / Le stupide XIXe siècle (1922) / Souvenirs et polémiques / Robert Laffont - Bouquins 1992

« Ce qu’on appelle la destinée physiologique n’est souvent qu’une mauvaise hygiène. Ce qu’on appelle la destinée psychologique n’est souvent qu’une mauvaise éducation. Ce qu’on appelle la fatalité n’est le plus souvent qu’incurie politique et légèreté. S’il est une leçon que l’âge apporte à celui qui lit et réfléchit, c’est que les possibilités de l’homme, dans le bien, sont infinies ; alors que ses possibilités dans le vice et dans le mal sont assez courtes ; c’est que sa responsabilité est entière et reste entière. »

< p.1198 >

ALAIN / 81 chapitres sur l’esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade

/ nrf Gallimard 1960

« Le fatalisme est une disposition à croire que tout ce qui arrivera dans le monde est écrit ou prédit, de façon que, quand nous le saurions, nos efforts ne feraient pas manquer la prédiction, mais au contraire, par détour imprévu, la réaliseraient. Cette doctrine est souvent présentée théologiquement, l’avenir ne pouvant pas être caché à un Dieu très clairvoyant ; il est vrai que cette belle conclusion enchaîne Dieu aussitôt ; sa puissance réclame contre la prévoyance. Mais nous avons jugé ces jeux de paroles. Bien loin qu’ils fondent jamais quelque croyance, ils ne sont supportés que parce qu’ils mettent en argument d’apparence ce qui est déjà l’objet d’une croyance ferme, et mieux fondée que sur des mots. Le fatalisme ne dérive pas de la théologie ; je dirais plutôt qu’il la fonde. Selon le naïf polythéisme, le destin est au-dessus des dieux. »

< p.1173 >

« Ces temps de destruction mécanique ont offert des exemples tragiques de cette détermination par les causes sur lesquels des millions d’hommes ont réfléchi inévitablement. Un peu moins de poudre dans la charge, l’obus allait moins loin, j’étais mort. L’accident le plus ordinaire donne lieu a des remarques du même genre ; si ce passant avait trébuché, cette ardoise ne l’aurait point tué. Ainsi se forme l’idée déterministe populaire, moins rigoureuse que la scientifique, mais tout aussi raisonnable. Seulement l’idée fataliste s’y mêle, on voit bien pourquoi, à cause des actions et des passions qui sont toujours mêlées aux événements que l’on remarque. On conclut que cet homme devait mourir là, et que c’était sa destinée, ramenant ainsi en scène cette opinion de sauvage que les précautions ne servent à rien contre le dieu, ni contre le mauvais sort. Cette confusion est cause que les hommes peu instruits acceptent volontiers l’idée déterministe ; elle répond au fatalisme, superstition bien forte et bien naturelle comme on l’a vu. »

< p.1178-1179 >

ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956

« Je vois des gens, qui, avec assez de moyens, ne sont arrivés qu’à une maigre et petite place. Mais que voulaient-ils? Leur franc parler? Ils l’ont. Ne point flatter? Ils n’ont point flatté et ne flattent point. Pouvoir par le jugement, par le conseil, par le refus ? Ils peuvent. Il n’a point d’argent ? Mais n’a-t-il pas toujours méprisé l’argent ? L’argent va à ceux qui l’honorent. Trouvez-moi seulement un homme qui ait voulu s’enrichir et qui ne l’ait point pu. Je dis qui ait voulu. Espérer ce n’est pas vouloir. Le poète espère cent mille francs ; il ne sait de qui ni comment ; il ne fait pas le moindre petit mouvement vers ces cent mille francs ; aussi ne les a-t-il point. Mais il veut faire de beaux vers. Aussi les fait-il. Beaux selon sa nature, comme le crocodile fait ses écailles et l’oiseau ses plumes. On peut appeler aussi destinée cette puissance intérieure qui finit par trouver passage ; mais il n’y a de commun que le nom entre cette vie si bien armée et composée, et cette tuile de hasard qui tua Pyrrhus. Ce que m’exprimait un sage, disant que la prédestination de Calvin ne ressemblait pas mal à la liberté elle-même. »

< 3 octobre 1923 p.542 >

Sacha GUITRY / Pensées / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993

« Je n’ai pas présente à l’esprit la définition du Fataliste par Tolstoï - j’ignore même si cette question existe dans son œuvre, mais elle en émane du moins, et je croirais volontiers que, être fataliste, ce n’est pas DÉTERMINISME

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tellement croire en Dieu. C’est bien plutôt, je pense, une sorte de lassitude, une forme du dilettantisme et un manque presque total de volonté. C’est une espèce de renoncement que l’on veut croire momentané et, tandis que la confiance en soi somnole, c’est une résignation passive et presque souriante en présence d’une volonté supérieure - que l’on suppose bienfaisante, que les uns appellent la volonté du Destin, d’autres la volonté de Dieu, et qui n’est, somme toute, en général que la volonté des autres. »

< p.50 >

Jean COCTEAU / Le Rappel à l’ordre / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995

« Que pense la toile sur laquelle on est en train de peindre un chef-d’œuvre? "On me salit. On me brutalise.

On me cache." Ainsi l’homme boude son beau destin. »

< p.448 >

Jean COCTEAU / La difficulté d’être / Romans, Poésies, Œuvres diverses / La Pochothèque LdP 1995

« De tous les problèmes qui nous embrouillent, celui du destin et du libre arbitre est le plus obscur. Quoi ?

la chose est écrite à l’avance et nous pouvons l’écrire, nous pouvons en changer la fin ? La vérité est différente. Le temps n’est pas. Il est notre pliure. Ce que nous croyons exécuter à la suite, s’exécute d’un bloc. Le temps nous le dévide. Notre œuvre est déjà faite. Il ne nous reste pas moins à la découvrir. C’est cette participation passive qui étonne. Et il y a de quoi. Elle laisse le public incrédule. Je décide et je ne décide pas. J’obéis et je dirige. C’est un grand mystère. »

< p.887 >

Robert MUSIL / L’homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956

« Alors, Ulrich se souhaita d’être un homme sans qualités. Mais les choses ne sont pas tellement différentes chez les autres hommes. Au fond, il en est peu qui sachent encore, dans le milieu de leur vie, comment ils ont bien pu en arriver à ce qu’ils sont, à leurs distractions, leur conception du monde, leur femme, leur caractère, leur profession et leurs succès ; mais ils ont le sentiment de n’y plus pouvoir changer grand-chose.

On pourrait même prétendre qu’ils ont été trompés, car on n’arrive jamais à trouver une raison suffisante pour que les choses aient tourné comme elles l’ont fait ; elles auraient aussi bien pu tourner autrement ; les événements n’ont été que rarement l’émanation des hommes, la plupart du temps ils ont dépendu de toutes sortes de circonstances, de l’humeur, de la vie et de la mort d’autres hommes, ils leur sont simplement tombés dessus à un moment donné. Dans leur jeunesse, la vie était encore devant eux comme un matin inépuisable, de toutes parts débordante de possibilités et de vide, et à midi déjà voici quelque chose devant vous qui est en droit d’être désormais votre vie, et c’est aussi surprenant que le jour où un homme est assis là tout à coup, avec qui l’on a correspondu pendant vingt ans sans le connaître, et qu’on s’était figuré tout différent. Mais le plus étrange est encore que la plupart des hommes ne s’en aperçoivent pas ; ils adoptent l’homme qui est venu à eux, dont la vie s’est acclimatée en eux, les événements de sa vie leur semblent désormais l’expression de leurs qualités, son destin est leur mérite ou leur malchance. Il leur est arrivé ce qui arrive aux mouches avec le papier tue-mouches : quelque chose s’est accroché à eux, ici agrippant un poil, là entravant leurs mouvements, quelque chose les a lentement emmaillotés jusqu’à ce qu’ils soient ensevelis dans une housse épaisse qui ne correspond plus que de très loin à leur forme primitive. Dès lors, ils ne pensent plus qu’obscurément à cette jeunesse où il y avait eu en eux une force de résistance : cette autre force qui tiraille et siffle, qui ne veut pas rester en place et déclenche une tempête de tentatives d’évasion sans but ; l’esprit moqueur de la jeunesse, son refus de l’ordre établi, sa disponibilité à toute espèce d’héroïsme, au sacrifice comme au crime, son ardente gravité et son inconstance, tout cela n’est que tentatives d’évasion. »

< T.1 p.163-164 >