"Être heureux comme un roi", dit le peuple hébété :
Hélas ! pour le bonheur que fait la majesté?
En vain sur ses grandeurs un monarque s’appuie ;
Il gémit quelquefois, et bien souvent s’ennuie.
»
< p.212 >
MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Remarquez bien que la plupart des choses qui nous font plaisir sont déraisonnables. »
< 990 p.1266 >
« Le bonheur consiste plus dans une disposition générale de l’esprit et du cœur, qui s’ouvre au bonheur que la nature de l’Homme peut prêter, que dans la multiplicité de certains moments heureux dans la vie.
Il consiste plus dans une certaine capacité de recevoir ces moments heureux. Il ne consiste point dans le plaisir, mais dans une capacité aisée de recevoir le plaisir, dans une espérance bien fondée de le trouver quand on voudra, dans une expérience que l’on n’a point un certain dégoût général pour les choses qui font la félicité des autres. »
< 1002 p.1269 >
64
BONHEUR
« Si on ne vouloit être qu’heureux, cela seroit bientôt fait. Mais on veut être plus heureux que les autres, et cela est presque toujours difficile, parce que nous croyons les autres plus heureux qu’ils ne sont. »
< 1003 p.1269 >
Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le Barbier de Séville (1775) / Œuvres complètes /
Firmin-Didot 1865
« En toute espèce de biens, posséder est peu de chose ; c’est jouir qui rend heureux ; »
< Acte IV scène i p.102 >
Paul Henri Dietrich baron d’HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776
[BnF cote 1070]
« Le bonheur consiste à ne désirer que ce qu’on peut obtenir. »
< I v p.57 >
« Qu’il y aurait peu d’envieux si l’on réfléchissait combien il y a peu d’hommes vraiment heureux ou dignes d’être enviés ! »
< III vi p.298 >
Jean-Pierre Claris de FLORIAN / Fables (1792) / Paris, P.Didot l’aîné 1792 [BnF]
« Pour vivre heureux vivons caché. »
< Le Grillon, p.94 >
Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892
« Mlle DE LESPINASSE .
Comme on parlait devant elle du vrai bonheur, elle finit par s’écrier :
"Qui est-ce qui est heureux?.. . des misérables !..."
On attribue cette réflexion à d’Alembert, son ami.
Béranger devait la paraphraser plus tard dans sa chanson : Les gueux sont des gens heureux. »
< p.57 >
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« Le souverain bonheur consiste à posséder ce que l’on aime, et à aimer ce qu’on possède. »
< 30, p.6 >
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Comme l’homme vivrait heureux s’il s’occupait aussi peu des affaires d’autrui que des siennes ! »
< G 75 p.347 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Une impression agréable, lorsqu’elle est courte, c’est plaisir ; lorsqu’elle est longue, c’est volupté ; lorsqu’elle est permanente, c’est le bonheur. Un bonheur causé par des impressions douces, flatteuses, que rien n’interrompt ni ne trouble, c’est félicité. »
< juin 1783 t.1 p.70 >
« N’est pas heureux qui ne veut l’être. »
< 28 avril 1802 t.1 p.480 >
« Oui, il entre inévitablement dans la composition de tout bonheur parfait l’idée de l’avoir mérité. »
< 24 février 1803 t.1 p.517 >
« Les mouvements de l’esprit, quand ils sont seuls, ne mesurent rien. Les battements du pouls mesurent le temps, les battements du cœur mesurent la vie ; mais la paix seule et les mouvements de notre âme mesurent le bonheur. »
< 18 mai 1806 t.2 p.119 >
BONHEUR
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« Pour être tragiques, il faut que les malheurs soient rares. »
< 28 janvier 1808 t.2 p.243 >
« Le plaisir n’est que le bonheur d’un point du corps. Le vrai bonheur, le seul bonheur, tout le bonheur est dans le bien-être de toute l’âme. »
< 12 mars 1818 t.2 p.556 >
« Ne vous exagérez pas les maux de la vie et n’en méconnaissez pas les biens, si vous cherchez à vivre heureux. »
< t.2 p.623 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Quand on soutient que les gens les moins sensibles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me rappelle le proverbe indien : "Il vaut mieux être assis que debout, être couché qu’assis ; mais il vaut mieux être mort que tout cela." »
< 155 p.81 >
« Celui qui veut trop faire dépendre son bonheur de la raison, qui le soumet à l’examen, qui chicane, pour ainsi dire, ses jouissances, et n’admet que des plaisirs délicats, finit par n’en plus avoir. C’est un homme qui, à force de faire carder son matelas, le voit diminuer, et finit par coucher sur la dure. »
< 170 p.84 >
« Je conseillerais à quelqu’un qui veut obtenir une grâce d’un ministre de l’aborder d’un air triste, plutôt que d’un air riant. On n’aime pas à voir plus heureux que soi. »
< 203 p.94 >
STENDHAL / Journal / Œuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981
« Il est difficile de ne pas s’exagérer le bonheur dont on ne jouit pas. »
< 11 mars 1806 p.396 >
Anthelme BRILLAT-SAVARIN / Physiologie du goût / Charpentier, Paris 1839 [BnF]
« La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile. »
< Aphorisme IX, p.12 >
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.1) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« La pensée est une maladie. L’être heureux, c’est l’idiot, le gâteux. — Non, l’être heureux par excellence serait celui qui aurait juste assez d’intelligence pour apprécier ses jouissances matérielles, être heureux de digérer. »
< juin 1859 p.465 >
Alphonse KARR / Les Guêpes (troisième série) / Calmann Lévy 1888
« Des malheurs évités le bonheur se compose ! »
< Janvier 1842, p.188 >
Alphonse KARR / Les Guêpes (quatrième série) / Calmann Lévy 1885
« Le malheur veille et cherche ; — cachez votre bonheur, soyez heureux tout bas. »
< Juillet 1842, p.53 >
Alphonse KARR / Sous les orangers / M. Lévy frères 1859
« On appelle volontiers meilleur ce qu’on n’a pas. L’homme a adroitement placé son bonheur dans des choses impossibles et son malheur dans des choses inévitables. »
< p.22 >
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BONHEUR
Alphonse KARR / Une poignée de vérités / M. Lévy frères 1866
« On recommande souvent de respecter le malheur ; — et le bonheur donc ! c’est lui qui est rare, c’est lui qui est fragile, c’est lui qui a besoin d’être respecté. »
< p.284 >
Friedrich NIETZSCHE / Aurore. (1881) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« À l’individu, dans la mesure où il recherche son bonheur, il ne faut donner aucun précepte sur le chemin qui mène au bonheur : car le bonheur individuel jaillit selon ses lois propres, inconnues de tous, il ne peut être qu’entravé et arrêté par des préceptes qui viennent du dehors. »
< 108 p.1030 >
Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Le bonheur est un mensonge dont la recherche cause toutes les calamités de la vie, mais il y a des paix sereines qui l’imitent, et qui sont supérieures peut-être. »
< À Louise Colet, octobre 1847 p.476 >
Gustave FLAUBERT / Dictionnaire des idées reçues / Bouvard et Pécuchet / Garnier-Flammarion 1966
« HEUREUX. - En parlant d’un homme heureux : "Il est né coiffé." On ne sait pas ce que ça signifie, et l’interlocuteur non plus. »
< p.358 >
Pierre-Marie QUITARD / Dictionnaire des proverbes et des locutions proverbiales / Paris, P. Bertrand 1842
Pour ne pas mourir idiot :
« — Il est né coiffé.
Cette expression s’applique à une personne constamment heureuse, par allusion à la membrane appelée coiffe qui enveloppe la tête de quelques enfants, au moment de leur naissance, et qui a été regardée, dans tous les temps et chez presque tous les peuples, comme un présage de bonheur. Les Grecs tiraient de cette coiffe, nommée amnion dans leur langue, l’augure favorable de l’ amniomancie. Les sages-femmes de Rome, dit Lampride, la vendaient très cher aux avocats, persuadés qu’en la portant sur eux comme une amulette ils seraient doués d’une éloquence irrésistible qui leur ferait gagner les causes les plus difficiles.
Nos pères pensaient qu’elle était une marque visible de la protection céleste. »
< p.246 >
Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Pour vivre, je ne dis pas heureux (ce but est une illusion funeste), mais tranquille, il faut se créer en dehors de l’existence visible, commune et générale à tous, une autre exigence interne et inaccessible à ce qui rentre dans le domaine du contingent, comme disent les philosophes. Heureux les gens qui ont passé leurs jours à piquer des insectes sur des feuilles de liège ou à contempler avec une loupe les médailles rouillées des empereurs romains ! Quand il se mêle à cela un peu de poésie ou d’entrain, on doit remercier le ciel de vous avoir fait ainsi naître. »
< À Emmanuel Vasse de Saint-Ouen, 4 juin 1846 p.270 >
Oscar WILDE / Formules et maximes / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« On ne devrait vivre que pour le plaisir. Rien ne vieillit comme le bonheur. »
< p.969 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Chacun trouve son plaisir où il le prend. »
< 15 juin 1887 p.4 >
« Le vrai bonheur serait de se souvenir du présent. »
< 9 octobre 1891 p.78 >
BONHEUR
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« Il ne suffit pas d’être heureux : il faut encore que les autres ne le soient pas. »
< 16 mai 1894 p.176 >
« La gloire d’hier ne compte plus ; celle d’aujourd’hui est trop fade, et je ne désire que celle de demain. »
< 20 mars 1894 p.166 >
« Le bonheur que les autres vous croient ajoute à notre détresse de savoir que nous ne sommes pas heureux. »
< 16 novembre 1900 p.479 >
« Le bonheur ne rend pas bon. C’est une remarque qu’on fait sur le bonheur des autres. »
< 1 mars 1901 p.506 >
« J’ai toujours vu les gens heureux, mais qui le sont à trop grands frais, envier le petit bonheur limité, dans un coin. »
< 17 novembre 1901 p.554 >
« Être heureux, c’est être envié. Or, il y a toujours quelqu’un qui nous envie. Il s’agit de le connaître. »
< 1 juillet 1906 p.835 >
« Le bonheur, c’est d’être heureux ; ce n’est pas de faire croire aux autres qu’on l’est. »
< 19 octobre 1906 p.852 >
« Il faut être discret quand on parle de son bonheur, et l’avouer comme si l’on se confessait d’un vol. »
< 10 décembre 1906 p.862 >
Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000
« Quand le malheur ne serait bon
Qu’à mettre un sot à la raison
Toujours serait-ce à juste cause
Qu’on le dit bon à quelque chose. »
< Livre sixième VII Le mulet se vantant de sa généalogie p.333 > Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« A quelque chose malheur est bon.
Le malheur des autres, cela va sans dire. Il n’y a même que cela de bon. Il est assez difficile de se figurer une chose heureuse arrivant à un voisin de campagne par exemple, et dont on puisse tirer parti. La preuve, c’est que le bonheur des uns ne fait pas le bonheur des autres, comme le dit fort exactement un autre Lieu Commun presque identique. »
< p.144 >
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Bonheur n. Agréable sensation qui naît de la contemplation de la misère d’autrui. »
< p.33 >
Paul-Jean TOULET / Le carnet de monsieur du Paur / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Il vient un âge où le bonheur semble se retirer de la vie, comme ces lacs qu’un été trop long rétrécit entre leurs rives. »
< p.285 >
Anatole FRANCE / La Révolte des anges (1914) / Au tournant du siècle / Omnibus 2000
« On meurt en plein bonheur de son malheur passé. »
< p.839 >
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BONHEUR
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Le bonheur se serait peut-être d’avoir de l’argent, une valise avec cinq ou six livres et ses vêtements, et de vivre tantôt ici, tantôt ailleurs, en changeant sans cesse de gens, de paysages, d’idées, sans aucun attachement, et en prenant des notes partout et surtout. On mourrait un jour ou l’autre, où l’on pourrait. Le moindre sentiment, la moindre affection, la moindre chose qu’on possède est une chaîne. »
< 17 janvier 1904 I p.106 >
« Quand on pense à des choses de ce genre : le mariage, la guerre, la prison, les estropiés nés, les tordus, les contrefaits, les idiots, les fous, les syphilitiques, on sent le prix du bonheur d’y avoir échappé - jusqu’ici, du moins. »
< 16 octobre 1932 II p.1103 >
« Toute révolution prétend travailler pour le bien universel et veut propager sa doctrine dans le monde entier. En 1792, toute l’Europe était contre la Révolution française. Aujourd’hui, toute l’Europe est contre la Révolution russe. Il n’y a pas à s’échauffer. Il faut seulement se méfier des gens qui veulent le bonheur de l’humanité, d’où qu’ils soient. Les juges de l’Inquisition eux aussi, voulaient faire le bonheur de leurs victimes. »
< 4 novembre 1932 II p.1118 >
Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988
« C’est une constatation que sont obligés de faire quelquefois certains hommes : que de sots ont facilement ce qu’ils n’ont pas. »
< p.194 >
Sigmund FREUD / Le malaise dans la culture (1930) / Quadrige PUF 1995
« Ce qu’on appelle bonheur au sens le plus strict découle de la satisfaction plutôt subite de besoins fortement mis en stase et, d’après sa nature, n’est possible que comme phénomène épisodique. Toute persistance d’une situation désirée par le principe de plaisir ne donne qu’un sentiment d’aise assez tiède ; nos dispositifs sont tels que nous ne pouvons jouir intensément que de ce qui est contraste, et ne pouvons jouir que très peu de ce qui est état. Ainsi donc nos possibilités de bonheur sont limitées déjà par notre constitution.
Il y a beaucoup moins de difficultés à faire l’expérience du malheur. »
< p.18 >
Jean COCTEAU / Journal (1942-1945) / Gallimard 1989
« Le bonheur exige du talent. Le malheur pas. On se laisse aller. On s’enfonce. C’est pourquoi le malheur plaît et le bonheur effraye la foule. »
< 9 décembre 1944, p.586 >
Sacha GUITRY / Jusqu’à nouvel ordre / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Il arrive chaque jour entre la place de l’Étoile et la place de la Concorde un nombre d’accidents qui ne varie guère. Donc chaque accident arrivé à autrui est un accident évité par vous.
Le nombre des maladies et des larmes est équilibré de la même façon - et chaque fois qu’un homme meurt, ce n’est pas vous. »
< p.22 >
Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Dès longtemps j’avais décelé chez mes amis les plus intimes comme un secret espoir de me voir malheureux dans mon propre intérêt. »
< p.69 >
« Vos amis qui vous prédisent des malheurs en arrivent bien vite à vous les souhaiter - et ils les provoque-raient au besoin pour conserver votre confiance. »
< p.76 >
BONHEUR
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Sacha GUITRY / Les Femmes et l’Amour / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Il y a assez de gens qui s’occupent des malheureux, des disgraciés, des déshérités, pour que je défende un peu le bonheur, la grâce et la beauté.
Il n’y a pas que des malheureux.
Il n’y a pas que des gens laids.
Or, sous le prétexte magnifique de favoriser les gens malheureux, vous risquez de faire du mal à ceux qui ne le sont pas. C’est très grave. »
< p.125 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Vous avez trouvé le bonheur, dites-vous. Prenez garde ! Car c’est l’oasis, et Pégase ne va pas plus loin vous porter. »
< p.345 >
« Non s’efforcer vers le plaisir mais trouver son plaisir dans l’effort même, c’est le secret de mon bonheur. »
< p.902 >
« Le besoin qu’a Pascal de désespérer l’homme et de saper ses joies, à seule fin de précipiter sa conversion, cette systématique dépréciation du jeu, de l’art ("quelle vanité que la peinture..."), de tout ce qui distrait l’homme de la nécessité de la mort - me paraît beaucoup plus vain que le plaisir même ; et combien me paraît plus sage la boutade de Hebel : "Que peut faire de mieux le rat pris au piège ? - C’est de manger le lard." »
< 9 août 1937 p.1268 >
ALAIN / 81 chapitres sur l’esprit et les passions / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade
/ nrf Gallimard 1960
« On dit communément que tous les hommes poursuivent le bonheur. Je dirais plutôt qu’ils le désirent, et encore en paroles, d’après l’opinion d’autrui. Car le bonheur n’est pas quelque chose que l’on poursuit, mais quelque chose que l’on a. Hors de cette possession il n’est qu’un mot. Mais il est ordinaire que l’on attache beaucoup de prix aux objets et trop peu de prix à soi. Aussi l’un voudrait se réjouir de la richesse, l’autre de la musique, l’autre des sciences. Mais c’est le commerçant qui aime la richesse, et le musicien la musique, et le savant la science. En acte, comme Aristote disait si bien. En sorte qu’il n’est point de chose qui plaise, si on la reçoit, et qu’il n’en est presque point qui ne plaise, si on la fait, même de donner et recevoir des coups. Ainsi toutes les peines peuvent faire partie du bonheur, si seulement on les cherche en vue d’une action réglée et difficile, comme de dompter un cheval. Un jardin ne plaît pas si on ne l’a pas fait. Une femme ne plaît pas, si on ne l’a conquise. Même le pouvoir ennuie celui qui l’a reçu sans peine.
Le gymnaste a du bonheur à sauter, et le coureur à courir ; le spectateur n’a que du plaisir. »
< p.1192 >
ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Il est proverbial que c’est dans le malheur qu’on apprend à connaître ses amis. Ce n’est point qu’un malheureux éloigne par les services qu’il attend ; les hommes aiment à rendre service ; seulement ils n’aiment point les visages malheureux. C’est en ces passages que l’amuseur connaît les amertumes de son métier. »
< p.184 >
« Il n’y a pas de bonheur au monde si l’on attend au lieu de faire, et ce qui plaît sans peine ne plaît pas longtemps. Faire ce qu’on veut, ce n’est qu’une ombre. Etre ce qu’on veut, ombre encore. Mais il faut vouloir ce qu’on fait. Il n’est pas un métier qui ne fasse regretter de l’avoir choisi, car lorsqu’on le choisissait on le voyait autre ; aussi le monde humain est rempli de plaintes. N’employez point la volonté à bien choisir, mais à faire que tout choix soit bon. »
< p.279 >
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BONHEUR
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Les sages d’autrefois cherchaient le bonheur ; non pas le bonheur du voisin, mais leur bonheur propre. Les sages d’aujourd’hui s’accordent à enseigner que le bonheur propre n’est pas une noble chose à chercher, les uns s’exerçant à dire que la vertu méprise le bonheur, et cela n’est pas difficile à dire ; les autres enseignant que le commun bonheur est la vraie source du bonheur propre, ce qui est sans doute l’opinion la plus creuse de toutes, car il n’y a point d’occupation plus vaine que de verser du bonheur dans les gens autour comme dans des outres percées ; j’ai observé que ceux qui s’ennuient d’eux-mêmes, on ne peut point les amuser ; et au contraire, à ceux qui ne mendient point, c’est à ceux-là que l’on peut donner quelque chose, par exemple la musique à celui qui s’est fait musicien. Bref il ne sert point de semer dans le sable ; et je crois avoir compris, en y pensant assez, la célèbre parabole du semeur, qui juge incapables de recevoir ceux qui manquent de tout. Qui est puissant et heureux par soi sera donc heureux et puissant par les autres encore en plus. »
< 6 novembre 1922 p.442 >
Vladimir JANKÉLÉVITCH / Philosophie morale / Mille&UnePages Flammarion 1998
« Au lieu de prétendre avec le pessimisme qu’il n’y a pas de plaisir sans mélange, il faudrait plutôt s’exprimer ainsi : tous les plaisirs enveloppent leur douleur, c’est-à-dire une possibilité de conscience qui les empoisonnera, les rendra fragiles, défiants, soupçonneux ; à peine avons-nous commencé de les vivres qu’ils projettent déjà une ombre d’eux-mêmes, infiniment légère et fugitive, et cette ombre est comme leur conscience élémentaire. Pour être parfaitement heureux il faudrait ne rien savoir de son bonheur ; mais y a-t-il jamais eu un seul sentiment humain, si pur soit-il, que n’effleurât quelque réflexion imperceptible ?
Voilà la vraie malédiction, la Némésis dont parle Schelling et qui, en nous proposant le savoir, trouble le clair miroir de l’innocence. Le drame antique a exprimé par de profonds symboles cette pudeur d’un bonheur qui craint d’éveiller la jalousie des dieux... Prendre conscience de son plaisir, c’est s’apercevoir qu’il n’est qu’un pauvre plaisir sans lendemain, qu’il nous laisse éternellement inquiets, désirants, faméliques.
La conscience ne se borne donc pas à faire du plaisir un objet : elle en manifeste l’insuffisance, elle apporte avec soi le premier doute qui, lentement, sournoisement, va miner notre bonheur. »
< La Mauvaise Conscience, p.55 >
Jacques PRÉVERT / Spectacle (1951) / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1992
« Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple. »
< Intermède, p.378 >
« Même si le bonheur t’oublie un peu, ne l’oublie jamais tout à fait. »
< Intermède, p.378 >
« Aujourd’hui le seul scandale c’est le bonheur.
Mais, silencieusement et sûrement, l’indifférence heureuse répond au mépris facile et grimaçant. »
< Intermède, p.379 >
Henri LABORIT / Éloge de la fuite / Robert Laffont 1976 - Gallimard folio-essais 7
« Dans toutes les espèces animales et chez l’homme, la récompense ne s’obtient que par l’action. Le bonheur ne vous tombe qu’exceptionnellement tout préparé dans les bras. Il faut aller à sa rencontre, il faut être motivé à le découvrir, à tel point qu’il perd de son acuité s’il vous est donné sans être désiré. La pulsion primitive est indispensable, celle de la recherche du plaisir, de l’équilibre biologique. »
< p.97 >
Paul WATZLAWICK / Faites vous-même votre malheur / Seuil 1984
« Il est plus que temps de mettre au rancart les contes de bonne femme qui voudraient nous faire croire que la chance, le bonheur et la satisfaction sont tout ce qu’il convient de désirer dans l’existence. Il y a trop longtemps que l’on nous dit -et que nous croyons naïvement - que la poursuite du bonheur débouche sur le bonheur.
[...]
BONHEUR
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La littérature mondiale aurait dû suffire à éveiller nos soupçons. Désastre, tragédie, catastrophe, crime, péché, démence, danger - voilà la matière première de toutes les grandes créations littéraires. L’Enfer de Dante est beaucoup plus ingénieux que son Paradis. Il en va de même du Paradis perdu de Milton, à côté duquel son Paradis retrouvé est assez insipide. Le premier Faust nous tire des larmes, le second des bâillements.
Inutile de nous raconter des histoires : que serions-nous, et où en serions-nous, sans notre malheur? J’espère que l’on me passera la vulgarité de l’expression car elle est littéralement vraie : nous en avons salement besoin. »
< p.10-11 >
« Comme le lecteur le sait probablement déjà, la devise officieuse du puritanisme est : "Fais ce que tu voudras, à condition de n’en tirer aucun plaisir." Et il existe effectivement des gens qui jugent indécent de prendre plaisir à quoi que ce soit dans un monde tel que celui où nous vivons aujourd’hui. Et, certes, il devient difficile de jouir ne serait-ce que d’un verre d’eau à l’instant où l’on sait qu’un demi-million de civils innocents sont en train de mourir de soif dans la moitié occidentale de Beyrouth. Mais, à supposer même que le bonheur mondial soit pour demain, les pessimistes calvinistes auraient encore des raisons d’espérer. Ils pourraient toujours avoir recours à la recette de Laing en reprochant à leurs interlocuteurs innocemment heureux : "Comment oses-tu t’amuser alors que le Christ est mort sur la croix pour ton salut?
Tu crois qu’il s’amusait, lui? " Le reste n’est plus que silence gêné. »
< p.80-81 >
Georges PERROS / En vue d’un éloge de la paresse - Lettre préface / Le Passeur 1995
« Les hommes recherchent furieusement le plaisir, mais ne se croiraient pas complets, dignes de vivre, s’ils ne payaient leur tribut à la souffrance. Donc il faut souffrir. La plupart s’en tirent fort bien avec les ennuis quotidiens. Pour celle-ci, c’est le ménage, la queue, la vaisselle, le retour d’âge, pour celui-ci, le bureau, le manque de tabac, la brièveté des vacances, le mal de dents. D’autres supplient quelques bonnes âmes de leur taper dessus, se nourrissent d’ennuis présumés, et ne sont pleinement satisfait que lorsque le monde entier semble acharner à les perdre. Comme s’il était nécessaire de lever le petit doigt pour avancer un tel résultat. Mais il en est qui ont lu quelque peu, qui ont une vague idée de la souffrance "poétique", et pour ceux-là quelques subtilités s’imposent. Ils trouveront à qui parler, et souffrance à leur mesure, en se jetant à corps perdu dans les femmes. Là, c’est gagner d’avance. Ils sautent sur cette possibilité de tragique avec frénésie. On s’assure quelques jours de profond chagrin. Il ne peut se faire qu’un scénario bien conditionné ne déroule pas irrévocablement sa bobine jusqu’au terme de l’histoire. Quel plaisir de se donner des airs de Christ parce qu’elle n’est pas venue au rendez-vous ! De rentrer pleurer entre nos quatre murs familiers qui en perdent leurs fades couleurs. Est-ce beau ! Est-ce assez "humain". »
< p.47-48 >
Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Le paradis n’était pas supportable, sinon le premier homme s’en serait accommodé ; ce monde ne l’est pas davantage, puisqu’on y regrette le paradis ou l’on en escompte un autre. Que faire? où aller? Ne faisons rien et n’allons nulle part, tout simplement. »
< p.1278 >
François CAVANNA / La belle fille sur le tas d’ordures / L’Archipel (LdP9667) 1991
« L’"homme" - je veux dire je, tu, il, nous tous - croit vouloir le bonheur. Il croit cela parce qu’il ne l’a pas.
Il en rêve comme l’assoiffé rêve d’oasis. Il se connaît fort mal lui-même. En fait, ce qu’il veut, peut-être pas consciemment, mais en tous cas ce qu’il recherche, ce vers quoi toute sa conduite tend éperdument, c’est exactement le contraire. Il veut risquer et vaincre, il veut avoir peur et dominer sa peur, il veut être mieux que son voisin ou avoir plus que lui, il veut être le premier, il veut dominer, il veut séduire, il veut, en un mot, non pas une vie harmonieuse, mais une vie excitante, passionnante. Il croit vouloir le bonheur mais il veut l’aventure qui, se raconte-t-il, débouchera sur le bonheur. Il se raconte des histoires.
Et tous ceux qui se sont terriblement battus, quel qu’ait été leur combat, croyaient se battre pour l’après, pour la victoire et ses fruits. Ils ne savaient pas, ils ne voulaient pas savoir, qu’ils se battaient pour se battre. Pour le combat. Les Guynemer et les Robespierre, les Napoléon et les Jeanne d’Arc, les Vincent 72
BONTÉ
de Paul et les Hitler, les conquérants et les martyrs... Leur moteur est leur tempérament même, leur bilan caractériel, leur dévorant besoin d’activité ou de dévouement. La "cause" n’est qu’affaire de circonstances.
Ils se seraient tout aussi bien battus ou sacrifiés pour n’importe quoi d’autre, et avec la même conviction. »
< p.106 >
COLUCHE / Pensées et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1995
« Tout ce qui m’intéresse, soit ça fait grossir, soit c’est immoral ! »
< p.178 >
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« La majeure partie de nos ennuis provient de la complexité de notre nature et de la longévité de l’espèce.
Mon chien qui ignore superbement l’angoisse métaphysique, la TVA, André Comte-Spongieux et la formation permanente, coule des jours paisibles et profite sans se poser de vaines questions de tout ce que la vie peut lui apporter : un rayon de soleil, un bout de côtelette, un morceau de sucre, la chienne du tripier.
Un homme disposant de possibilités identiques se préoccupe de la matité de son bronzage, du degré de cuisson de la viande, de la valeur calorique du sucre et de la moralité de sa partenaire. C’est l’intelligence qui, sécrétant plus d’arrière-pensées que de pensées, dénature les joies simples qui n’ont nul besoin d’ana-lyse. »
< p.123 >
« Le bonheur c’est aussi souvent de ne plus faire certaines choses qu’on croyait indispensables. »
< p.251 >
Philippe BOUVARD / Journal 1997-2000 / Le cherche midi éditeur 2000
« Il n’existe pas de bonheur complet sans amnésie partielle. »
< p.13 >
Michel POLAC / Journal (1980-1998) / PUF 2000
« Le secret du bonheur, c’est de vivre juste au-dessous de ses moyens.
Le secret de la réussite sociale, c’est de vivre juste au-dessus de ses moyens. »
< 22 décembre 1992, p.318 >
BONTÉ
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« Il faut être un peu trop bon, pour l’être assez. »
< 95, p.17 >
Edmond et Jules de GONCOURT / Journal (t.2) / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Une chose, depuis hier, m’a rendu très rêveur. Nous étions au Jardin des Plantes. Il y a un hoko, qui a coursé et pouillé devant nous un oiseau plus petit que lui et cent fois plus faible que lui, une pénélope, je crois. Il l’a à peu près tué, puis est resté, dans une vigilance terrible, à côté de cette bête, qui essayait de le désarmer en faisant la morte.
Alors j’ai songé à tous ces blagueurs, qui disent que la nature est la leçon et la source de toute bonté. Que de passions mauvaises et naturelles de cette bête forte contre cette bête faible ! La bonté, mais c’est une création de l’homme, sa plus grande, sa plus merveilleuse et pour ainsi dire sa plus divine - une création contre nature ! »
< 9 septembre 1866 p.35 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Ne me demandez pas d’être bon : ne me demandez que d’agir comme si je l’étais. »
< 5 avril 1898 p.379 >
CALOMNIE
73
« La bonté n’est pas naturelle : c’est le fruit pierreux de la raison. Il faut se prendre par la peau des fesses pour se mener de force à la moindre bonne action. »
< 10 août 1904 p.716 >
Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Véritablement bon est l’homme rare qui jamais ne blâme les gens des maux qui leur arrivent. »
< p.512 >
CALOMNIE
ÉPICTÈTE / Manuel / Les Stoïciens / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1962
« Si l’on te rapporte qu’un tel dit du mal de toi, ne te défends pas contre ses propos, mais réponds : "C’est qu’il ignorait mes autres défauts ; sans quoi il ne se serait pas borné à ceux-là." »
< XXXIII (9) p.1124 >
PLUTARQUE / Les Vies des hommes illustres I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
La méthode d’Alcibiade contre la calomnie :
« Il [Alcibiade] avait un chien beau et grand à merveille, qui lui avait coûté sept cents écus ; il lui coupa la queue, qui était la plus belle partie qu’il eût ; de quoi ses familiers le tancèrent fort, disant qu’il avait donné à parler à tout le monde, et que chacun le blâmait fort d’avoir ainsi diffamé un si beau chien. Il ne s’en fit que rire, et leur dit : "C’est tout ce que je demande ; car je veux que les Athéniens aillent caquetant de cela, afin qu’ils ne disent rien pis de moi. »
< Vie d’Alcibiade, XIV p.427 >
Abbé d’AILLY / Pensées diverses (1678) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Une trop grande sensibilité à la médisance entretient la malignité du monde, qui ne cherche que cela. »
< 34 p.265 >
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« L’on me dit tant de mal de cet homme, et j’y en vois si peu, que je commence à soupçonner qu’il n’ait un mérite importun qui éteigne celui des autres. »
< p.226 VII (39) >
Charles DUFRESNY / Amusements sérieux et comiques (1698) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« On devrait punir plus rigoureusement la médisance que le larcin ; elle fait plus de tort à la société civile : et il est plus difficile de se garder d’un médisant que d’un voleur. »
< p.1013 >
Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS / Le Barbier de Séville (1775) / Œuvres complètes /
Firmin-Didot 1865
« En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l’intérêt d’autrui. »
< Acte I scène iv p.81 >
« La calomnie, monsieur ! vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville en s’y prenant bien : et nous avons ici des gens d’une adresse !... D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et, rinforzando de bouche en bouche, il va le diable ; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil. Elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait? »
< Acte II scène viii p.87 >
74
CARACTÈRE
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« La calomnie est comme la guêpe qui vous importune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à moins qu’on ne soit sûr de la tuer, sans quoi elle revient à la charge, plus furieuse que jamais. »
< 302 p.121 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Ne montrez pas le revers et l’exergue à ceux qui n’auront pas vu la médaille. C’est à dire ne parlez pas des défauts des gens de bien (et surtout de vos amis) à ceux qui ne connaissent ni leur visage, ni leur vie, ni leur mérite. »
< 2 novembre 1818 t.2 p.570 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Calomnie. - Si l’on trouve la trace d’une suspicion vraiment infamante, il ne faut jamais en chercher la source chez ses ennemis loyaux et simples ; car, si ceux-ci inventaient sur notre compte une pareille chose, étant nos ennemis, ils ne trouveraient pas créance. Mais ceux à qui nous avons été le plus utiles pendant un certain temps et qui, pour une raison quelconque, peuvent être secrètement certains de ne plus rien obtenir de nous, - ceux-là sont capables de mettre une infamie en circulation : ils trouvent créance, d’une part parce que l’on admet qu’ils n’inventeraient rien qui pourrait leur nuire personnellement, d’autre part puisqu’ils ont appris à nous connaître de plus près. - Pour se consoler, celui qui est ainsi calomnié peut se dire : les calomnies sont des maladies des autres qui éclatent sur ton propre corps ; elles démontrent que la société est un seul organisme (moral), de sorte que tu peux entreprendre sur toi la cure qui profitera aux autres. »
< 264 p.925 >
Eugène MARBEAU / Remarques et pensées / Paris Ollendorf 1901 [BnF]
« La calomnie, comme la foudre, menace les sommets. »
< p.73 >
Sacha GUITRY / Les Femmes et l’Amour / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« On s’attaque à ta vie privée?
C’est que l’on ne trouve rien à redire à tes ouvrages. »
< p.232 >
CARACTÈRE
Blaise PASCAL / Pensées / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Diseur de bons mots, mauvais caractère. »
< 14 p.1091 >
Jean de LA BRUYÈRE / Les Caractères / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Ne pouvoir supporter tous les mauvais caractères dont le monde est plein n’est pas un fort bon caractère : il faut dans le commerce des pièces d’or, et de la monnaie. »
< p.161 V (37) >
« Dans la société, c’est la raison qui plie la première. Les plus sages sont souvent menés par le plus fou et le plus bizarre : l’on étudie son faible, son humeur, ses caprices, l’on s’y accommode ; l’on évite de le heurter, tout le monde lui cède ; la moindre sérénité qui paraît sur son visage lui attire des éloges : on lui tient compte de n’être pas toujours insupportable. Il est craint, ménagé, obéi, quelquefois aimé. »
< p.162 V (41) >
« "Diseurs de bons mots, mauvais caractère" : je le dirais, s’il n’avait été dit. Ceux qui nuisent à la réputation ou à la fortune des autres, plutôt que de perdre un bon mot, méritent une peine infamante ; cela n’a pas été dit, et je l’ose dire. »
< p.241 VII (80) >
CARACTÈRE
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Philippe Néricault DESTOUCHES / Le Glorieux (1732) / Paris, Librairie des bibliophiles 1884 [BnF]
«
Je ne vous dirai pas : "changez de caractère",
car on n’en change point, je ne le sais que trop.
Chassez le naturel, il revient au galop ;*
»
< Acte III, scène v p.86 >
* Ce vers est souvent attribué, à tort, à Boileau.
Claude Michel CLUNY / Le silence de Delphes - journal littéraire 1948-1962 / SNELA La Différence 2002
« Qu’est-ce que le naturel? La cuirasse est naturelle à la tortue comme au crocodile. Nous sécrétons chacun la notre. Ce que je n’aime pas chez les photographes, c’est leur volonté de vous débusquer ; il leur faut vous trahir par un biais ou l’autre sous prétexte de naturel. Il n’y a plus de naturel ; seulement des abandons de mauvaise aloi. »
< 1961 p.191 >
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
« Le caractère est formé de nos idées et de nos sentiments : or il est très prouvé qu’on ne se donne ni sentiments ni idées ; donc notre caractère ne peut dépendre de nous.
S’il en dépendait, il n’y a personne qui ne fût parfait.
Nous ne pouvons nous donner des goûts, des talents ; pourquoi nous donnerions-nous des qualités?
Quand on ne réfléchit pas, on se croit le maître de tout ; quand on y réfléchit, on voit qu’on n’est maître de rien. »
< p.474 >
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« J’ai toujours trouvé que les personnes prétendument exécrables gagnaient à être connues de près, alors que les bonnes gens, elles, y perdaient. »
< G 67 p.346 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se montrent comme ils sont. »
< 52 p.62 >
« Il faut savoir faire les sottises que nous demande notre caractère. »
< 59 p.63 >
« Quiconque n’a pas de caractère n’est pas un homme, c’est une chose. »
< 285 p.114 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Il faut des vertus qui fassent aimer et des défauts qui fassent craindre. Probablement ce sont les défauts qui vous manquent. »
< 5 mars 1811 t.2 p.321 >
« Nous sommes tous plus ou moins échos, et nous répétons malgré nous les vertus, les défauts, les mouvements et le caractère des autres, j’entends de ceux avec qui nous vivons. »
< 30 juillet 1815 t.2 p.513 >
Victor HUGO / Moi, l’amour, la femme / Océan / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1989
« Les hommes comme moi sont impossibles jusqu’à ce qu’ils soient nécessaires. »
< 1870 p.288 >
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CARACTÈRE
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Homme de caractère. - Un homme paraît avoir du caractère beaucoup plus souvent parce qu’il suit toujours son tempérament que parce qu’il suit toujours ses principes. »
< 485 p.657 >
Friedrich NIETZSCHE / Par-delà le bien et le mal (1886) / Œuvres II / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Une fois la décision prise, rester sourd aux meilleures objections : preuve de caractère. Donc à l’occasion, vouloir être stupide... »
< 107 p.619 >
Maurice JOLY / Recherches sur l’art de parvenir / Paris Amyot 1868 [BnF Cote LB56-1958]
« Si, par une faveur d’en haut, vous aviez le pouvoir de choisir entre toutes les qualités et tous les talents, il est à présumer que, séduit par les apparences, vous opteriez pour quelqu’une de ces facultés brillantes auxquelles le monde paraît attacher un certain prix. Ce serait cependant un très-mauvais calcul ; car il est avéré que les petites qualités sont infiniment plus utiles que les grandes et que les grands talents sont loin de valoir les petits. Échangez donc beaucoup de savoir contre un peu d’habileté, beaucoup d’esprit contre un peu de sens commun, beaucoup de profondeur contre un peu de surface, quelques avantages extérieurs contre n’importe quoi. Avec quoi attire-t-on la foule sinon par de petits moyens et des artifices grossiers ?
Que faut-il pour s’enrichir? un peu d’ordre ; pour être protégé? un peu de souplesse ; pour avoir des amis?
un peu de gaieté ; pour agréer aux femmes? un certain genre ; pas plus.
Le charlatanisme est la moitié du savoir faire. »
< p.43 >
« Il y a des défauts qui font merveille. Si par exemple vous êtes impertinent, on vous subira ; orgueilleux, on vous estimera ; méchant, on vous craindra ; irascible, on vous cédera ; artificieux, on vous aidera ; menteur, on vous croira. »
< p.47 >
Désiré NISARD / Ægri somnia - Pensées et caractères / Calmann Lévy 1889
« Je ne sais pas de meilleur moyen, pour avoir la vie commode, que d’incommoder les autres. Qui donc, dans une famille, est moins contredit que l’esprit faux, plus ménagé que le mauvais caractère, plus obéi que le violent, moins interrompu que le bavard ? Il n’est tel, pour se faire faire place dans la rue, qu’un maçon qui revient, tout blanc de plâtre, de son ouvrage. Nous imposons plus facilement nos défauts que nous ne faisons accepter nos qualités. »
< p.5 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Un homme de caractère n’a pas bon caractère. »
< 2 janvier 1907 p.865 >
« La vie est ce que notre caractère veut qu’elle soit. Nous la façonnons, comme un escargot sa coquille. »
< 3 février 1908 p.914 >
Sacha GUITRY / Toutes réflexions faites / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Nous sommes loin de nous douter des services que pourraient nous rendre nos défauts - si nous savions les mettre en œuvre. »
< p.82 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Le meilleur moyen pour apprendre à se connaître, c’est de chercher à comprendre autrui. »
< 10 février 1922 p.730 >
CAUSALITÉ
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ALAIN / Les idées et les âges / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« C’est selon l’ordre des affections que le caractère se forme ; c’est dans le cercle de la famille et des amitiés qu’il se fixe ; par les jugements ; cela se voit ; cela saute aux yeux. On se demande si l’effet des reproches, et même leur fin, n’est pas de nous rappeler à notre caractère, et de nous mettre en demeure de faire exactement ce mélange de bien et de mal que l’on attend de nous. Votre jeu est de mentir, et je vous le rappelle en annonçant que je ne vais pas croire un mot de ce que vous direz. Mais l’autre, par sa manière de dire le vrai comme si c’était faux, me somme à son tour d’être défiant. On fuit le brutal ; cela attire les coups, et en quelque façon les aspire, par ce vide promptement fait. Il est presque impossible que celui qui est réputé paresseux s’élance pour rendre service, car l’espace lui manque ; tout est fermé autour de lui ; nul n’attend rien de lui. Il ne trouve point passage. Il se heurte, il importune, dans le moment où il devrait servir. "Toujours le même, dit-on de lui ; les autres ne sont rien pour lui." Il le croit, il se le prouve, par la peur de se l’entendre dire. »
< p.266 >
« Avoir du caractère n’est point le même qu’avoir un caractère. Mais le double sens du mot doit nous avertir.
Avoir du caractère, c’est accepter sa propre apparence et s’en faire une arme. Comme de bégayer, ou d’avoir la vue basse, ou d’un grand nez faire commandement ; aussi bien d’un petit. On fait autorité d’une voix forte, mais d’une voix faible aussi, d’un nasillement. Un boiteux peut être péremptoire ; on attend qu’il le soit. Le ridicule n’est que l’absence d’une pensée derrière ces signes impérieux. Toutefois si l’on se trouvait pourvu d’équilibre, et de bel aspect, sans aucun ridicule, il ne faudrait pas encore désespérer. Socrate usait indiscrètement de ce nez camus ; le beau Platon dut chercher d’autres moyens. Un orateur ne cache point ses défauts ; il les jette devant lui. J’ai souvenir d’un avocat sifflotant, et tout à fait ridicule ; mais il était redouté. Ses adversaires se moquaient de lui, et, par cela même, l’admiraient. On ne cite guère d’hommes puissants et libres qui n’aient conservé et composé ces mouvements de nature, de façon à s’ouvrir d’abord un chemin parmi les sots. Il n’y a qu’affectation au monde ; et cela est ridicule si l’on imite ; puissant au contraire, et respecté, et redouté, celui qui affecte selon sa nature. "Il t’est naturel d’être simple, disait quelqu’un, et tu affectes d’être simple. C’est très fort." »
< p.269 >
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« On n’est soi qu’en mobilisant tous ses travers, qu’en se solidarisant avec ses faiblesses, qu’en suivant sa "pente". Dès qu’on cherche son "chemin", et qu’on s’impose quelque modèle noble, on se sabote, on s’égare... »
< p.1492 >
Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984
« Dans notre société, on dit que quelqu’un a du caractère lorsqu’il accorde plus d’importance à ses propres opinions qu’à celles d’autrui. »
< p.21 >
Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996
« Il est préférable d’avoir de très gros défauts que de toutes petites qualités. »
< p.85 >
CAUSALITÉ
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
« Ce système de la nécessité et de la fatalité a été inventé de nos jours par Leibniz, à ce qu’il dit, sous le nom de raison suffisante ; il est pourtant fort ancien : ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que souvent la plus petite cause produit les plus grands effets.
...
Mais il me semble qu’on abuse étrangement de la vérité de ce principe. On en conclut qu’il n’y a si petit 78
CAUSALITÉ
atome dont le mouvement n’ait influé dans l’arrangement actuel du monde entier ; qu’il n’y a si petit accident, soit parmi les hommes, soit parmi les animaux, qui ne soit un chaînon essentiel de la grande chaîne du destin.
...
Tous les événements sont produits les uns par les autres, je l’avoue ; si le passé est accouché du présent, le présent accouche du futur ; tout a des pères, mais tout n’a pas toujours d’enfants. Il en est ici précisément comme d’un arbre généalogique : chaque maison remonte, comme on sait, à Adam, mais dans la famille il y a bien des gens qui sont morts sans laisser de postérité. »
< p.103-104 >
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« Nous devons croire que tout a une cause, comme l’araignée tisse sa toile afin d’attraper des mouches, et le fait bien avant de savoir qu’en ce monde il existe des mouches. »
< H 25 p.369 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Ce n’est pas parce qu’il y a une rose sur le rosier que l’oiseau s’y pose : c’est parce qu’il y a des puce-rons. »
< 9 juin 1897 p.326 >
Ludwig WITTGENSTEIN / Tractatus logico-philosophicus (1918) / Idées 264 nrf Gallimard 1961
« Nous ne pouvons inférer les événements de l’avenir des événements présents.
La croyance au rapport de cause à effet est la superstition. »
< 5.1361 p.109 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Quand on dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets, on ne dit rien. Car les mêmes choses ne se reproduisent jamais — et d’ailleurs on ne peut jamais connaître toutes les causes. »
< Philosophie p.649 >
« Cause — Si l’on dit que le coup de mer a ruiné une jetée. Tout ici est homo — Coup — et l’emploi du verbe actif comme l’idée de ruine ou de désordre — qui est relative à notre ordre. Et l’on néglige la modification réciproque de la mer. On ne dit pas : la jetée a vomi ses pierres sur la mer, a transformé, dissipé, l’énergie de la lame.
Mais quoi qu’on fasse, c’est toujours un homme qui observe. »
< Philosophie p.673 >
André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« La science, il est vrai, ne progresse qu’en remplaçant partout le pourquoi par le comment ; mais, si reculé qu’il soit, un point reste toujours où les deux interrogations se rejoignent et se confondent. Obtenir l’homme... des milliards de siècles n’y auraient pu suffire, par la seule contribution du hasard. Si antifina-liste que l’on soit, que l’on puisse être, on se heurte là à de l’inadmissible, à de l’impensable ; et l’esprit ne peut s’en tirer qu’il n’admette une propension, une pente, qui favorise le tâtonnant, confus et inconscient acheminement de la matière vers la vie, vers la conscience ; puis, à travers l’homme, vers Dieu. »
< 8 juin 1942 p.123 >
Robert MUSIL / L’homme sans qualités / Editions du Seuil - Points 1956
Le Principe de Raison Insuffisante !
« Étant philosophe, vous devez savoir ce que l’on entend par principe de raison suffisante. Malheureusement, pour tout ce qui le concerne directement, l’homme y fait toujours exception ; dans notre vie réelle, je veux dire notre vie personnelle, comme dans notre vie historique et publique, ne se produit jamais que ce qui n’a pas de raison valable. »
< T 1 p.168 >
CERTITUDE
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CERTITUDE
LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967
« Les querelles ne dureraient pas longtemps, si le tort n’était que d’un côté. »
< M 496 p.112 >
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
« Il n’y a nulle certitude, dès qu’il est physiquement ou moralement possible que la chose soit autrement.
Quoi ! Il faut une démonstration pour oser assurer que la surface d’une sphère est égale à quatre fois l’aire de son grand cercle, et il n’en faudra pas pour arracher la vie à un citoyen par un supplice affreux ! »
< p.478 >
Gustave FLAUBERT / Dictionnaire des idées reçues / Bouvard et Pécuchet / Garnier-Flammarion 1966
« ÉVIDENCE. - Vous aveugle, quand elle ne crève pas les yeux. »
< p.350 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« L’amour de la vérité n’est pas le besoin de certitude et il est bien imprudent de confondre l’un avec l’autre. »
< 21 octobre 1929 p.946 >
Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984
« Je préfère donner du "Monseigneur" au chef de la branche bonapartiste plutôt qu’à l’évêque.
Dame ! Je sais que l’empereur a existé, alors que pour Dieu, je doute toujours. »
< p.23 >
CERVEAU
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« Mylord Marlborough étant à la tranchée avec un de ses amis et un de ses neveux, un coup de canon fit sauter la cervelle à cet ami et en recouvrit le visage du jeune homme, qui recula avec effroi. Marlborough lui dit intrépidement : "Eh ! quoi monsieur, vous paraissez étonné? - Oui, dit le jeune homme en s’essuyant la figure, je le suis qu’un homme qui a autant de cervelle restât exposé gratuitement à un danger inutile." »
< 643 p.197 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« J’ai vu, monsieur, sur une table de boucher, des cervelles pareilles à la vôtre. »
< 16 octobre 1891 p.79 >
Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Il y a des cases dans le cerveau, avec inscriptions : A étudier au jour favorable. — A n’y penser jamais. —
Inutile à approfondir. — Contenu non examiné. — Affaire sans issue. — Trésor connu et qui ne pourrait être attaqué que dans une seconde existence. — Urgent. — Dangereux. — Délicat. — Impossible. —
Abandonné. — Réservé. — A d’autres ! — Mon fort. — Difficile, etc. »
< p.793 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Un philosophe disait : vous aurez beau explorer le cerveau, vous n’y verrez nulle pensée. Vous visiterez cette machine, vous y verrez des roues, des leviers, des pignons, des mouvements — pas la pensée.
On peut lui répondre : visitez la pensée, même la vôtre — et vous n’y verrez pas trace de — pensée. Vous y verrez des images, des sensations aussi closes, aussi positives, aussi impénétrables qu’un morceau de fer, des résonances, des chocs et des déclenchements, — — des engrenages comme dans la machine, et des hasards comme dans la rue.
Cette pensée insaisissable, serait-elle une illusion d’optique, tenant à un certain point d’où l’on se voit? »
< Philosophie p.525 >
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CIRCONSTANCES
CIRCONSTANCES
LIE-TSEU / Le Vrai Classique du vide parfait / Philosophes taoïstes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1961
« LE JEU DES CIRCONSTANCES
A Lou vivait un homme du nom de Che. Il avait deux fils. L’un aimait l’étude, l’autre aimait le métier des armes. Celui qui était porté, aux études offrit ces services au prince de Ts’i. Ce dernier accepta et le fit précepteur de tous ses fils. Celui qui était habile au maniement des armes s’adressa au roi de Tch’ou et offrit ses services. Le roi s’en réjouit et en fit son général. Grâce aux revenus des deux frères, toute la famille s’enrichit et, par leur rang, ils faisaient honneur à leurs parents.
Che avait un voisin qui s’appelait Mong. Ce dernier avait aussi deux fils qui étaient également l’un un lettré, l’autre un soldat et ils vivaient dans une grande pauvreté. Mong fut pris du désir de posséder autant que la famille Che. C’est pourquoi il s’adressa à Che en s’enquérant des moyens d’une si rapide ascension. Les deux fils de Che lui contèrent tout conformément à la vérité.
Sur quoi, un des fils de Mong fit une démarche à Ts’in pour offrir ses services comme lettré au roi de ce pays. Le roi de Ts’in dit : "Par les temps qui courent, les princes mettent toutes leurs forces dans la guerre.
Leur intérêt se porte tout entier sur les armes et sur les approvisionnements. Si je cherchais à gouverner mon pays au moyen de l’amour et de la justice, ce serait là prendre la voie la plus appropriée pour trouver la ruine et la mort" Cela dit, il fit châtier le solliciteur, puis le relâcha peu après.
L’autre fils se rendit à Wei pour offrir ses services au prince de la région. Ce dernier s’exprima ainsi : "Mon pays est faible, il est entouré par de grands États et j’aide les petits États : je suis ainsi la voie de la paix.
Si je voulais me fier à la force de mes armes, je n’aurais pas à attendre longtemps pour consommer ma ruine. D’autre part, si je laisse partir cet homme indemne, il s’adressera au prince d’un autre royaume et me causera bien des ennuis" Sur quoi, il fit couper les pieds du solliciteur et on le transporta à Lou.
Là, le père Mong et ses fils se frappaient la poitrine et accablaient de reproches le père Che. Ce dernier finit par dire : "Quand les circonstances sont favorables, on réussit. Dans le cas contraire, c’est la ruine. La voie que vous avez prise était la même que la nôtre, cependant l’issue en est différente. Cela provient de ce que vous n’avez pas trouvé le moment favorable, et non pas que vous l’avez manqué de votre propre chef. En outre, il n’existe pas dans le monde de principe qui soit valable en toutes circonstances, pas un acte qui soit mauvais dans tous les cas. Ce qui fut jadis en usage est peut-être rejeté aujourd’hui. Ce qu’on rejette aujourd’hui sera peut-être en usage plus tard. L’usage et le non-usage ne suivent pas de règle fixe.
Comment exploiter une occasion, trouver le moment opportun, se plier aux circonstances, voilà ce qui ne dépend d’aucune recette. Il s’agit ici d’une certaine habileté. Si vous n’avez pas cette habileté, auriez-vous l’immense savoir de K’ong K’iou et l’adresse d’un Liu Chang, où que vous alliez, vous échouerez." »
< p.574-575 >
ÉPICTÈTE / Entretiens / Les Stoïciens / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1962
« Les occasions sont indifférentes, l’usage qu’on en fait ne l’est pas. Comment conserver, avec le calme et l’équilibre, une attention sans abandon et sans nonchalance ? En imitant les joueurs de dés : les cailloux sont indifférents, les dés aussi ; comment saurais-je ce qui va tomber ? Profiter avec réflexion et selon les règles des points tombés, voilà quelle est mon affaire. Ainsi, dans la vie, voici l’essentiel de ce que tu as à faire : divise et distingue bien les choses ; dis : les choses extérieures ne dépendent pas de moi ; ma volonté dépend de moi. Où chercher le bien et le mal ? En moi- même, dans ce qui est mien. Quant aux choses qui te sont étrangères, ne prononce jamais à leur propos les noms de bien et de mal, d’utilité et de dommage, ni rien de pareil. »
< II v p.890 >
MACHIAVEL / Le Prince / Le livre de poche / Librairie Générale Française 1983
« Chaque homme vise aux mêmes buts, qui sont les honneurs et la richesse ; mais ils emploient pour les atteindre des moyens variés : l’un la prudence, l’autre la fougue ; l’un la violence, l’autre l’astuce ; celui-ci la patience, cet autre la promptitude ; et toutes ces méthodes sont bonnes en soi. Et l’on voit encore de deux prudents l’un réussir et l’autre échouer ; et à l’inverse deux homme également prospères qui emploient des moyens opposés. Tout s’explique par les seules circonstances qui conviennent ou non à leurs procédés. De là résulte ce que j’ai dit précédemment : des façons de faire différentes produisent un même effet, et de CIRCONSTANCES
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deux conduites toutes pareilles l’une atteint son but, l’autre fait fiasco.
...
Si tu savais changer de nature quand changent les circonstances, ta fortune ne changerait point. »
< p.132 >
MACHIAVEL / Discours sur la première Décade de Tite-Live / Œuvres complètes / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1952
« Deux choses s’opposent à ce que nous puissions changer : d’abord nous ne pouvons pas résister au penchant de notre nature ; ensuite un homme à qui une certaine façon d’agir a toujours parfaitement réussi, n’admettra jamais qu’il doit agir autrement. C’est de là que viennent pour nous les inégalités de la fortune : les temps changent et nous ne voulons pas changer. »
< III ix p.642 >
MONTESQUIEU / Mes pensées / Œuvres complètes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1949
« Les sots qui marchent dans le chemin de la fortune prennent toujours les routes battues. Un précepteur du Roi est-il devenu premier ministre ? Tous les petits ecclésiastiques veulent être précepteurs du Roi, pour être premiers ministres. Les gens d’esprit se font des routes particulières : ils ont des chemins cachés, nouveaux ; ils marchent là où personne n’a encore été. Le monde est nouveau. »
< 1188 p.1299 >
Jean de LA FONTAINE / Fables / La Pochothèque LdP 2000
« Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras :
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas. »
< Livre cinquième III Le petit poisson et le pêcheur p.272 > Charles de SAINT-ÉVREMOND / Œuvres mêlées (12) / Paris, C.Barbin 1693
« Les occasions ne rendent pas un homme faible mais elles font découvrir sa faiblesse. »
< Maximes, LXIII, p.241 >
Georg Christoph LICHTENBERG / Le miroir de l’âme / Domaine romantique José Corti 1997
« L’homme est doué de talents que n’éveillent jamais que des circonstances fortuites. »
< D 131 p.206 >
CHAMFORT / Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes / Garnier-Flammarion 1968
« L’Ecluse, celui qui a été à la tête des Variétés amusantes, racontait que, tout jeune et sans fortune, il arriva à Lunéville, où il obtint la place de dentiste du roi Stanislas, précisément le jour où le roi perdit sa dernière dent. »
< 751 p.215 >
STENDHAL / Journal / Œuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981
« Les héros ont leurs accès de crainte, les poltrons des instants de bravoure, et les femmes vertueuses leurs instants de faiblesse.
C’est un grand art que de savoir juger et saisir ces moments. »
< 10 décembre 1801 p.31 >
NAPOLÉON Ier / Maximes de guerre et pensées / J. Dumaine Ed., Paris 1863
« Il faut, à la guerre, profiter de toutes les occasions, car la fortune est femme ; si vous la manquez aujourd’hui, ne vous attendez pas à la retrouver demain. »
< 10 p.216 >
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CIRCONSTANCES
Pierre François LACENAIRE / Mémoires / José Corti 1991
« Si j’eusse été à même de fournir la carrière de ce qu’on appelle honnête homme, j’eusse été bonapartiste sous Bonaparte, carliste sous Charles X, et philippiste aujourd’hui, et cela consciencieusement sans penser être girouette. Mais pourquoi ? direz-vous ; parce que j’ai toujours pensé que dans les commotions politiques le mal était toujours au-dessus du bien, parce qu’une révolution ne profite qu’à quelques intrigants, et qu’il y a toujours beaucoup de victimes, parce que les hommes sont toujours les hommes, et qu’ils ne peuvent trouver leur bonheur que dans le fond de leur cœur et nullement dans la chimère d’une liberté politique. Il est beau certes le principe de la liberté et de l’égalité ; mais prouvez-moi qu’elles ont régné un seul jour, je dis un seul jour sur la terre, et je vous excuserai de courir après. Vous qui me stigmatisez du nom de scélérat, dites-moi si cette chimère, si longtemps poursuivie et jamais atteinte, vaut le sang qu’elle a déjà coûté. »
< p.133 >
Adolphe THIERS / Discours parlementaires (tome 15) / Paris, Calmann Lévy 1883 [BnF]
« J’ai pour maxime qu’il faut tout prendre au sérieux, mais rien au tragique. »
< Assemblée nationale le 24 mai 1873, p.217 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Le bon champ. - Tout refus et toute négation témoignent d’un manque de fécondité : au fond, si nous étions un bon champ de labour, nous ne devrions rien laisser périr sans l’utiliser et nous verrions en toute chose, dans les événements et dans les hommes, de l’utile fumier, de la pluie et du soleil. »
< 332 p.811 >
Lorédan LARCHEY / L’Esprit de tout le monde - Joueurs de mots (1891) / Berger-Levrault 1892
« Le Duc de MORNY
Ce soir-là il s’était rendu à la première représentation du Château de Barbe-Bleue, à l’Opéra-Comique.
Après une visite à plusieurs loges, il se présente dans celle de Mme Liadières qui lui parle des bruits de la journée :
— On annonce que le Président va balayer la Chambre. Que comptez-vous faire, Monsieur de Morny?
— Madame, s’il y a un coup de balai, je tâcherai de me mettre du côté du manche.
Le mot est devenu proverbial. »
< p.101 >
Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Les circonstances font plus de la moitié du génie. Un maçon de village en figure de têtard, velu et jeté au hasard des batailles : ce qui sort de la fournaise, une espèce de lion au mufle étonnant, c’est Kléber. »
< 174 p.182 >
Paul-Jean TOULET / Le carnet de monsieur du Paur / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Quand tourne le vent on accuse les girouettes. »
< p.286 >
Paul VALÉRY / Tel Quel / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Soi.
Nous ne connaissons de nous-mêmes que celui que les circonstances nous ont donné à connaître (j’ignorais bien des choses de moi). Le reste est induction, probabilité : Robespierre n’avait jamais imaginé qu’il guillotinerait à ce point ; ni tel autre, qu’il aimerait à la folie. »
< p.503 >
CITATION
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Louis-Ferdinand CÉLINE / Voyage au bout de la nuit (1932) / Romans (1) / Bibliothèque de la Pléiade
/ nrf Gallimard 1997
« Trahir, qu’on dit, c’est vite dit. Faut encore saisir l’occasion. C’est comme d’ouvrir une fenêtre dans une prison, trahir. Tout le monde en a envie, mais c’est rare qu’on puisse. »
< p.344 >
Paul LÉAUTAUD / Passe-temps / Œuvres / Mercure de France 1988
« Un nommé Hamard assassine une vieille femme dans sa cave. Il met la main sur le magot : 1.200.000
francs en espèces, pas moins. Personne ne le soupçonne. Au lieu de se tenir tranquille, il se lance dans la grande vie, dépense fastueusement : automobile de luxe, deux chauffeurs, 40.000 francs à une fille ici, 50.000 francs à une autre là, le reste à l’avenant. Il se fait si bien remarquer qu’on le pince et le voilà maintenant avec le bagne ou la guillotine en perspective.
Dire que c’est toujours à de pareils imbéciles que tombent de si belles occasions ! »
< p.262 >
Emil CIORAN / Des larmes et des saints (1937) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Je ne crois pas avoir raté une seule occasion d’être triste. (Ma vocation d’homme.) »
< p.324 >
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Prendre ce que la vie vous offre, car elle ne l’offre jamais deux fois. »
< 19 août 1972, p.766 >
Antoine BLONDIN / Ma vie entre des lignes / Œuvres / Robert Laffont - Bouquins 1991
« "Qu’ai-je fait de ma vie? ..." Pour ce qui me concerne, c’est une façon très optimiste de poser la question.
Peut-être conviendrait-il plutôt de me demander ce que la vie a fait de moi. Je me suis, en effet, rarement dérobé aux tentations qui s’offraient de part et d’autre de mon chemin, si bien qu’en me donnant l’illusion de mener mon existence à ma guise, je n’ai fait que la plier aux sollicitations des circonstances. De grandes libertés m’ont réduit en esclavage. Je me suis beaucoup abandonné en route... »
< p.1110 >
CITATION
SÉNÈQUE / Lettres à Lucilius / Robert Laffont - Bouquins 1993
« "Zénon a dit ceci." Et toi, que dis-tu? "Cléanthe pense ainsi." Et toi, que penses-tu ? Marches-tu toujours sous les ordres d’autrui ? Sois un chef ; prononce des paroles qui puissent se graver dans les mémoires.
Produis quelque chose de ton fonds. »
< IV Lettre 33-7 p.682 >
Michel de MONTAIGNE / Essais / Garnier 1962
« Nous sçavons dire : "Cicero dit ainsi ; voilà les meurs de Platon ; ce sont les mots mesmes d’Aristote."
Mais nous, que disons nous nous mesmes ? que jugeons nous ? que faisons-nous ? Autant en diroit bien un perroquet. »
< t.1 p.146 livre I chap.XXV >
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
« Je n’aime point à citer ; c’est d’ordinaire une besogne épineuse : on néglige ce qui précède et ce qui suit l’endroit qu’on cite, et on s’expose à mille querelles. »
< p.55 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« Il est des esprits voyageurs qui aiment à parcourir les livres et en rapportent le souvenir de tout ce qu’ils ont lu. Ceux-là doivent, comme Bayle, composer des dictionnaires, des recueils, etc. »
< t.I p.183 >
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CITATION
« Ce mot qui finirait très bien un chapitre le commence mal. C’est que, par sa nature, il est la dernière et non pas la première expression de la pensée. À sa place, il est beau. Hors de sa place, il a de la recherche et de l’affectation. C’est, pour le dire en passant, ce qui dans les citations fait paraître ridicules en les isolant et en les déplaçant, des expressions qui étaient très belles dans le lieu où leur auteur les avait mises. Un chapiteau, un ornement doit terminer et non commencer un édifice. »
< 6 août 1804 t.1 p.644 >
Johann Wolfgang von GOETHE / Maximes et réflexions / Paris, Brokhauss et Avenarius 1842 [BnF]
« Une collection d’anecdotes et de maximes est pour l’homme du monde le plus grand trésor, lorsqu’il sait semer les premières avec habileté dans la conversation et se rappeler les dernières à propos. »
< p.60 >
Jules RENARD / Journal / Robert Laffont - Bouquins 1990
« J’aime les hommes plus ou moins, selon que j’en tire plus ou moins de notes. »
< 25 novembre 1889 p.39 >
« Achille et Don Quichotte sont, Dieu merci, assez connus, pour que nous nous dispensions de lire Homère et Cervantès. »
< 13 février 1895 p.208 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« "Livresque", c’est un reproche que l’on me fait souvent ; j’y donne prise par cette habitude que j’ai de citer toujours ceux à qui ma pensée s’apparente. On croit que j’ai pris d’eux cette pensée ; c’est faux, cette pensée est venue à moi d’elle-même ; mais j’ai plaisir, et plus elle est hardie, à penser qu’elle habita déjà d’autres esprits. »
< 10 janvier 1923 p.752 >
« Il est aussi naturel à celui qui emprunte à autrui sa pensée d’en cacher la source, qu’à celui qui retrouve en autrui sa pensée, de proclamer cette rencontre. »
< juin 1927 p.842 >
André GIDE / Journal 1939-1949 Souvenirs / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1954
« Je me reproche de n’avoir pas, au jour le jour, transcrit sur un carnet spécial les phrases glanées au cours de mes lectures, qui méritaient de retenir l’attention, dont je voudrais me souvenir pour pouvoir les citer au besoin ; »
< 25 décembre 1942 p.157 >
Ambrose BIERCE / Le Dictionnaire du Diable (1911) / Éditions Rivages 1989
« Citation n. Répétition erronée d’une déclaration d’autrui. Extrait repris avec des erreurs. »
< p.51 >
Sacha GUITRY / Les Femmes et l’Amour / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Tous les hommes de valeur : écrivains, savants, artistes, devraient publier chaque année non pas un livre d’eux, mais un livre de pensées, de pensées des autres qu’ils auraient choisies et qui seraient annuellement un portrait d’eux cent fois plus ressemblant qu’aucun autre.
Car citer les pensées des autres, c’est souvent regretter de ne pas les avoir eues soi-même et c’est en prendre un peu la responsabilité ! »
< p.153 >
Emil CIORAN / Aveux et anathèmes (1987) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Bribes, pensées fugitives, dites-vous. Peut-on les appeler fugitives lorsqu’il s’agit d’obsessions, donc de pensées dont le propre est justement de ne pas fuir ? »
< p.1649 >
COLÈRE
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« Quiconque nous cite de mémoire est un saboteur qu’il faudrait traduire en justice. Une citation estropiée équivaut à une trahison, une injure, un préjudice d’autant plus grave qu’on a voulu nous rendre service. »
< p.1701 >
« Se méfier des penseurs dont l’esprit ne fonctionne qu’à partir d’une citation. »
< p.1703 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Un auteur trop souvent cité, on finit par ne plus avoir envie de le lire. Son nom est profané à force de circuler. On préfère lire quelqu’un de moins connu et même de moindre talent, ne serait-ce que parce qu’il n’appartient pas à tous. »
< 9 novembre 1966 p.445 >
Michel POLAC / Journal (1980-1998) / PUF 2000
« Développer une idée m’a toujours paru indécent, c’est pourquoi j’aime l’aphorisme. Développer une idée, c’est prendre le lecteur pour un imbécile : il ne comprendra que si on lui répète de mille manières ce qu’on veut lui faire entendre. »
< 22 juillet 1984, p.105 >
François NOURISSIER / À défaut de génie / nrf Gallimard 2000
« À quoi tient le pouvoir des citations placées en épigraphe? Grâce à elles on se sent moins seul. On marche dans le noir avec moins d’angoisse, on fanfaronne. »
< p.104 >
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Les citations sont les béquilles des écrivains infirmes. »
< 2 août 1968, p.39 >
Jean DUTOURD / Dutouriana / Plon 2002
« Ce qui est désespérant avec les journalistes, c’est que, quand ils reproduisent vos propos dans leur gazette, ils vous font parler comme eux. Moyennant quoi, on a toujours l’air d’un imbécile. »
< p.29 >
COLÈRE
Arthur SCHOPENHAUER / Aphorismes sur la sagesse dans la vie (1851) / Collection Quadrige / PUF
1943
« Montrer de la colère ou de la haine dans ses paroles ou dans ses traits est inutile, est dangereux, imprudent, ridicule, vulgaire. On ne doit donc témoigner de colère ou de haine que par des actes. La seconde manière réussira d’autant plus sûrement qu’on se sera mieux gardé de la première. Les animaux à sang froid sont les seuls venimeux. »
< p.144 >
ALAIN / Mars ou la guerre jugée / Les Passions et la Sagesse / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« La colère est la forme commune des passions dans leur paroxysme ; de toutes, même de la peur. Et c’est là qu’on peut voir comment l’homme arrive vite à oublier son intérêt prudemment calculé, et même sa propre conservation. Il est ordinaire qu’une colère, même née de petites causes, nous porte à des actes extravagants, comme de frapper, de briser, et même d’injurier des choses. Et j’ose dire que le plus profond de la colère est la colère d’être en colère, et de savoir qu’on s’y jettera, et de la sentir monter en soi comme une tempête physique. Le mot irritation en son double sens, explique assez cela, si l’on y pense avec suite.
L’enfant crie de plus en plus fort principalement parce qu’il s’irrite de crier, comme d’autres s’irritent de tousser. »
< p.584 >
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COMMUNISME
Sacha GUITRY / Elles et Toi / Cinquante ans d’occupations / Omnibus Presses de la Cité 1993
« Quand nous en avons par-dessus la tête, nous allons jusqu’à leur reprocher cette facilité avec laquelle nous les avons eues - dont nous avions été pourtant si fier ! »
< p.115 >
André GIDE / Journal 1889-1939 / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« Courses de taureaux.
Qu’on tue quelqu’un parce qu’il est en colère, c’est bien ; mais qu’on mette en colère quelqu’un pour le tuer, cela est absolument criminel. »
< p.33 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« Après une bonne querelle, on se sent plus léger et plus généreux qu’avant. »
< 1961 p.68 >
COMÉDIE
Charles-Augustin SAINTE-BEUVE / Mes Poisons / Collection Romantique / José Corti 1988
« Ne croyez pas (hors des cas très rares) à l’improvisation : tout ce qui est bien a dû être prévu et réfléchi.
Démosthène méditait ses harangues et faisait provision d’exordes ; M. de Talleyrand prévoyait à l’avance ses bons mots, que la circonstance lui tirait ensuite à l’impromptu ; si Bonaparte, dans les revues, savait nommer chaque soldat par son nom, c’est qu’il s’était couché la veille en étudiant à fond ce qu’on appelle les Cadres de l’armée.
Tout est comédie, et toute comédie a eu sa répétition. »
< p.240 >
STENDHAL / Journal / Œuvres intimes I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1981
« La comédie a un grand avantage sur la tragédie : c’est de peindre les caractères ; la tragédie ne peint que les passions. »
< 6 juin 1804 p.81 >
COMMUNISME
Jules SIMON / La Liberté civile / Hachette 1867
« Celui qui étudierait avec soin toutes les doctrines communistes depuis Platon jusqu’à Babeuf, et depuis les esséniens jusqu’aux mormons, y trouverait toujours, à travers les différences introduites par le génie des créateurs et le caractère des peuples et des époques, cette grande et fondamentale analogie, qu’elles aboutissent à la négation la plus absolue de la liberté. La raison en est toute simple : on commence par réduire l’individu à ses propres forces en le dépouillant ; et la seule société possible pour lui dans cet état, c’est une société où il joue le rôle d’esclave. »
< p.88 >
Victor HUGO / Choses vues / Histoire / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1987
« Le terrorisme et le communisme, combinés et se prêtant un mutuel appui, ne sont autre chose que l’antique attentat contre les personnes et contre les propriétés. Quand on plonge au plus profond de ces théories, quand on creuse le fond des choses, on descend même au-delà de Marat et du père Duchesne, et il se trouve que le communisme s’appelle Cartouche et que le terrorisme s’appelle Mandrin. »
< p.1040 >
COMMUNISME
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Georges DARIEN / La Belle France (1900) / Voleurs ! / Omnibus Presses de la Cité 1994
« Le Socialisme s’est constitué en parti, en religion ; a codifié ses formules, promulgué son évangile. Il a placé sur le lit de Procuste le matelas de théories filandreuses cardé par Marx, et invite l’humanité à s’y étendre. Les Socialistes scientifiques, pleins d’eux-mêmes et le nez collé aux pages moisies du Capital, s’étonnent que l’humanité ne réponde point à leur appel et ne se hâte point, au sortir du régiment, de s’engouffrer dans leur caserne. Leur science... cochonne de science ! Autant, n’est-ce pas? n’en pas parler.
Leurs théories ne méritent pas la discussion. Leurs pontifes sont au-dessous de l’insulte. On ne peut cependant s’empêcher de considérer comme monstrueux, dans ce pays de France qui vit éclore, et qui voit éclore tous les jours, tant d’idées hautes et simples, l’accaparement d’une partie de l’intelligence populaire par les doctrines du collectivisme. Ces doctrines ne sont pas seulement imbéciles ; elles sont infâmes. Si elles étaient réalisables, elles mèneraient directement, ainsi que l’a démontré Herbert Spencer, à une nouvelle forme d’esclavage, plus hideuse que toute celles qui firent jusqu’ici gémir l’humanité. »
< p.1320 >
Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« La bassesse du socialisme, c’est de poursuivre, non pas le plus grand bien, mais le moindre mal. »
< 227 p.192 >
Simone WEIL / Œuvres / Quarto Gallimard 1999
« [...] quand je pense que les grands chefs bolcheviks prétendaient créer une classe ouvrière libre et qu’aucun d’eux — Trotsky sûrement pas, Lénine je ne crois pas non plus — n’avait sans doute mis le pied dans une usine et par suite n’avait la plus faible idée des conditions réelles qui déterminent la servitude ou la liberté pour les ouvriers — la politique m’apparaît comme une sinistre rigolade. »
< Lettre à Albertine Thévenon, février 1935, p.142 > André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994
« Tout le monde sait que la terre, chose bizarre, produit dix fois moins lorsque ceux qui la travaillent n’ont aucun droit sur elle. »
< p.86 >
« "Plutôt rouge que mort", disent les pacifistes allemands, qui semblent oublier qu’un homard n’est jamais aussi rouge que lorsqu’il est mort.
Mais renoncer à sa liberté, faire taire sa conscience, tricher avec soi-même pour sauver sa vie, c’est cela, la perdre. »
< p.92 >
Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992
« Les anticommunistes sont terriblement désœuvrés. »
< p.172 >
François NOURISSIER / À défaut de génie / nrf Gallimard 2000
« Un jour, au terme d’une de ces conversations sauvagement anticommunistes comme en avaient vers 1956
les intellectuels exclus du PCF ou qui l’avaient abandonné, Clara Malraux constata sur un ton de superbe tristesse : "On aura beau dire, c’est nous qui avons eu la plus grande espérance..." Qui n’a pas compris cela
— et nos cadets sont mal placés pour le comprendre — ne saisira jamais ce qui a interdit au moins à deux générations de Français d’expédier le communisme aux oubliettes, fût-ce sous le nom de stalinisme. On a beau avoir été escroqué, on a beau avoir été escroc, on n’efface pas d’un haussement d’épaule cette grande espérance dont parlait Clara, le rêve aux yeux. »
< p.334 >
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COMPASSION
COMPASSION
LA ROCHEFOUCAULD / Maximes / Garnier 1967
« La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui. C’est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber ; nous donnons du secours aux autres pour les engager à nous en donner en de semblables occasions ; et ces services que nous leur rendons sont à proprement parler des biens que nous nous faisons à nous-mêmes par avance. »
< M 264 p.67 >
Madame de SABLÉ / Maximes (1678) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« On aime tellement toutes les choses nouvelles et les choses extraordinaires qu’on a même quelque plaisir secret par la vue des plus tristes et des plus terribles événements, à cause de leur nouveauté et de la malignité naturelle qui est en nous. »
< 18 p.248 >
Lorédan LARCHEY / Gens Singuliers (1867) / Plein chant 1993
« Si Malherbe imposait l’aumône aux autres, il ne paraît pas avoir prêché d’exemple. Quand un pauvre lui demandait quelque charité en disant : "Je prierai Dieu pour vous".
"Eh ! répondait-il, comment voulez-vous que Dieu fasse attention à vos prières ? Vous n’avez pas sur lui grand crédit. Regardez dans quel état il vous laisse." »
< p.37 >
Antoine de RIVAROL / Esprit de Rivarol [œuvres diverses] / Paris 1808 [BnF cote Z-24383]
« En général, l’indulgence pour ceux que l’on connaît, est bien plus rare que la pitié pour ceux qu’on ne connaît pas. »
< Morale p.66 >
Paul Henri Dietrich baron d’HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776
[BnF cote 1070]
« [...] la pitié est le fruit d’un esprit exercé, dans lequel l’éducation, l’expérience, la raison ont amorti cette curiosité cruelle qui pousse le commun des hommes au pied des échafauds. »
< III i p.234 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« L’anecdote racontée aujourd’hui par D’Arnaud. "D’où venez-vous, mesdemoiselles ? — Maman, nous venons de voir guillotiner ; ah mon Dieu, que ce pauvre bourreau a eu de peine." Cet horrible déplacement de la pitié peint un siècle où tout est renversé. »
< 30 juillet 1804 t.1 p.643 >
« L’indifférence donne un faux air de supériorité. »
< 2 juillet 1812 t.2 p.357 >
« Il est certain que l’attention que nous donnons aux maux d’autrui nous fait oublier les nôtres. C’est même un fait dont la cause est physique. »
< t.2 p.630 >
Gustave FLAUBERT / Correspondance I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« Quand on a un peu d’humanité on ne peut pas s’empêcher de souhaiter la mort à ceux qu’on aime ; et on dira que j’ai le cœur dur ! »
< À Louise Colet, 15 février 1847 p.439 >
Alphonse KARR / Les Guêpes (quatrième série) / Calmann Lévy 1885
« Il ne faut croire l’indulgence des gens que lorsqu’elle s’exerce dans les choses qui leur sont personnelles.
— Tel homme se prend de pitié pour un empoisonneur, — pour un assassin, — vous le croyez indulgent ;
— attendez pour le juger qu’on lui marche sur le pied dans une foule, — ou qu’on casse par maladresse une de ses tasses du Japon. »
< Juillet 1842, p.52 >
COMPASSION
89
Alphonse KARR / En fumant / M. Lévy frères 1862
« Mon ami, disait un homme à un autre qui lui demandait cinq francs, il faut savoir se priver et se contenter de ce qu’on a. Quand je ne puis pas avoir un faisan à mon dîner, je me contente d’un perdreau ; si je n’ai pas de vin de l’Ermitage, je bois tout simplement du vin de Bordeaux, pourvu qu’il soit d’un bon cru et pas trop jeune. »
< p.90 >
Pierre François LACENAIRE / Mémoires / José Corti 1991
« Voudrais-je prétendre par-là que je n’aie jamais rencontré d’hommes bons et vertueux et que je me sois cru supérieur aux autres ? Non sans doute ; j’ai rencontré souvent des hommes qui avaient de rares et précieuses qualités, des hommes honnêtes et délicats, des hommes attachés à leurs devoirs et pratiquant la vertu, ce que vous appelez la vertu vous autres du moins. Quant à moi, je ne connais qu’une seule vertu, mais elle vaut toutes les autres, c’est la sensibilité. Or, combien peu d’hommes la possèdent ! combien peu d’hommes compatissent aux misères d’autrui autrement qu’en théorie et dans de beaux livres ! chez la plupart, quelle dureté, quelle indifférence pour tous les maux qui ne les touchent pas ! combien en est-il qui n’ont d’autre aumône à donner à celui qui leur tend la main, que ces mots jetés du haut de leur morgue stoïque : Travaille, paresseux ! Il ne faut pas encourager le vice et l’oisiveté, disent-ils pour excuse. Vice tant que vous voudrez ; si le vice ne devait pas manger, seriez-vous bien certains de dîner aujourd’hui, riches si froids et si orgueilleux, qui ne savez même pas placer un bienfait sans humilier et qui le faites même à dessein pour montrer une supériorité que vous ne devez qu’à votre or? »
< p.92 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Ce qui adoucit encore beaucoup d’horreurs et d’inhumanités dans l’histoire, auxquelles l’on voudrait à peine ajouter foi, c’est cette considération que l’ordonnateur et l’exécuteur sont des personnages différents : le premier n’a pas la vue du fait, ni par conséquent la forte impression sur l’imagination, le second obéit à un supérieur et se sent irresponsable. La plupart des princes et des chefs militaires font aisément, par manque d’imagination, l’effet d’hommes cruels et durs sans l’être.
...
La souffrance d’autrui est chose qui doit s’apprendre : et jamais elle ne peut être apprise pleinement. »
< 101 p.495 >
« Les compatissants.
Les natures compatissantes, à chaque instant prêtes à secourir dans l’infortune, sont rarement en même temps les conjouissantes : dans le bonheur d’autrui, elles n’ont que faire, sont superflues, ne se sentent pas en possession de leur supériorité et montrent pour cela facilement du dépit. »
< 321 p.601 >
« Explication de la joie maligne. - La joie maligne que l’on éprouve en face du mal d’autrui provient du fait que chacun se sent mal à l’aise sous bien des rapports, qu’il éprouve, lui aussi, souci, jalousie, douleur et qu’il ne les ignore pas : le dommage qui touche l’autre fait de lui son égal, il réconcilie sa jalousie. -
S’il a des raisons momentanées pour être heureux lui-même, il n’en accumule pas moins les malheurs du prochain, dans sa mémoire, comme un capital pour le faire valoir dès que sur lui aussi le malheur se met à fondre : c’est là également une façon d’avoir une "joie maligne". »
< 27 p.844 >
« Pourquoi les mendiants survivent. - La plus grande dispensatrice d’aumônes, c’est la lâcheté. »
< 240 p.920 >
Émile BERGERAT / Les soirées de Calibangrève / Flammarion 1892 [BnF cote 8-Z-13067]
« Le malheur d’autrui ne nous paraît jamais tout à fait immérité. »
< Cinquante pensées noires, p.113 >
90
COMPASSION
Émile DURKHEIM / L’éducation morale (1903) / Quadrige / PUF 1963
« Pour que la charité puisse être pratiquée, il faut que quelques-uns acceptent de ne pas la faire, ou ne soient pas en état de la faire. C’est une vertu réservée à quelques-uns ; la morale, au contraire, par définition, doit être commune à tous, accessible à tous. On ne saurait donc voir dans le sacrifice, le dévouement inter-individuel, le type de l’acte moral. »
< p.50 >
Oscar WILDE / Intentions / Œuvres / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1996
« Que la Compassion humanitaire aille contre la Nature en assurant la survie du raté peut amener l’homme de science à abhorrer ses vertus faciles. L’économiste peut la dénoncer parce qu’elle élève l’imprévoyant au même niveau que le prévoyant et prive ainsi la vie de son incitation au travail la plus puissante, parce que la plus sordide. Mais, aux yeux du penseur, le véritable tort que cause cette compassion émotionnelle, c’est de limiter la connaissance et de nous empêcher par là de résoudre ne serait-ce qu’un seul problème social. »
< p.877 >
Georges DARIEN / La Belle France (1900) / Voleurs ! / Omnibus Presses de la Cité 1994
« Le crime le plus horrible des riches envers les pauvres est de s’être arrogé le droit de leur distribuer la justice et l’assistance, de leur faire la charité. Ce sont les misérables qui paient eux-mêmes, avec des intérêts usuraires, les frais de la justice dérisoire, de l’assistance immonde et de la charité dégradante qu’ils sont assez vils pour quémander et recevoir. Voilà le comble de la lâcheté, de la dérision et de l’hypocrisie. »
< p.1223 >
Alphonse ALLAIS / Œuvres posthumes / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Un bienfait n’est jamais perdu.
Ou, s’il est perdu, il n’est pas perdu pour tout le monde. »
< Le Chat Noir, 27 mars 1886 p.79 >
« Faire la charité, c’est bien. La faire faire par les autres, c’est mieux.
On oblige ainsi son prochain, sans se gêner soi-même. »
< Le Chat Noir, 11 janvier 1890 p.219 >
Paul-Jean TOULET / Les trois impostures / Œuvres complètes / Robert Laffont - Bouquins 1986
« Le miracle de la charité, ce fut de la faire faire par les pauvres. Cela s’appelle : mutualité. »
< 208 p.186 >
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Une fourreuse du passage Dauphine, une soixantaine d’années, à qui j’ai souvent parlé à cause de ses chiens, s’est jetée à la Seine il y a quelques jours. Inconsolable de la mort d’un fils il y a une dizaine d’années. Pertes d’argent. Mauvaises affaires. Mari toujours dehors. Le "Fléau" me parlait de cela ce soir dans mon bureau. Je me suis mis à éclater de rire. Scandalisée de cela. Me traitant de monstre, homme abominable. Je n’en riais que plus fort. C’est vrai, à la fin. Faut-il que je me désole parce que cette femme s’est jetée à l’eau ? Je m’en fiche complètement. Va-t-il falloir aussi que je m’attendrisse sur les tuberculeux, les goitreux, les borgnes, les bancals, les gens qui n’ont qu’un testicule, tous les mal bâtis d’une façon ou d’une autre. C’est agaçant, à la fin. Je m’en fiche complètement. Toutes ces jérémiades à la mode d’aujourd’hui !
C’est comme l’affaire des timbres antituberculeux. Des timbres antituberculeux ? Quel français ! J’attends qu’on vienne m’en offrir dans la rue. Car c’est devenu maintenant une sorte de quête. Je crois bien que je m’offrirai ce plaisir de répondre que je m’en fiche complètement. »
< 19 décembre 1932 II p.1149 >
« Les journaux, ce matin, annoncent que Gandhi a été assassiné par un indou [sic]. C’est bien fait. Cela lui apprendra à s’occuper du bonheur des autres. C’est une réflexion, de ce genre que Marquet, l’ancien maire de Bordeaux, a fait dans son procès en Cour de Justice : "Si je ne m’étais pas occupé de sauver la vie à 58 Bordelais que les Allemands voulaient fusiller, je ne serais pas ici." "Jésus, a-t-il ajouté, a fait la même expérience il y a longtemps." »
< 31 janvier 1948 III p.1672 >
COMPASSION
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ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Tout homme est sensible quand il est spectateur. Tout homme est insensible quand il agit. Cela explique assez les tours et retours des choses humaines, pourvu qu’on y pense. Toutefois, on n’y peut presque point penser. Car dès que j’imagine le crime d’un autre, je l’imagine en spectateur ; il me semble que le criminel a le cœur déchiré pour toujours. Et il l’aurait s’il était spectateur. On a plus d’une fois remarqué qu’au théâtre ce ne sont pas toujours les plus tendres et les plus scrupuleux qui font voir des sentiments humains et même des larmes. Mais la résolution inflexible, la précaution, la décision, la vitesse de l’homme qui agit sont incompréhensible pour celui qui le regarde. D’où ces crimes de la guerre qui passent toute mesure, et qui ne révèlent rien sur la nature de ceux qui les commettent. Cœurs secs, ou irritables, ou sensibles, dans la vie ordinaire, c’est tout un dès que l’action les emporte. Et le remords, chez les meilleurs, est certainement volontaire et tout abstrait ; ce genre de remords ne mord point du tout. Un chasseur, souvent, est un ami des bêtes ; mais, s’il est bon tireur, les perdrix ne doivent pas compter sur cet amour-là. »
< 25 mars 1922 p.384 >
Georges BERNANOS / Les Grands Cimetières sous la lune (1938) / Essais et écrits de combats I /
Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1971
« Certaines contradictions de l’histoire moderne se sont éclairées à mes yeux dès que j’ai bien voulu tenir compte d’un fait qui d’ailleurs crève les yeux : l’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible.
Comme après le Déluge la terre appartiendra peut-être demain aux monstres mous. »
< p.371 >
« Les gens du peuple ont un mot très profond lorsqu’ils s’encouragent à la sympathie. "Mettons-nous à sa place", disent-ils. On ne se met aisément qu’à la place de ses égaux. À un certain degré d’infériorité, réelle ou imaginaire, cette substitution n’est plus possible. Les délicats du XVIIe siècle ne se mettaient nullement à la place des nègres dont la traite enrichissait leurs familles. »
< p.535 >
Paul MORAND / Journal inutile 1968-1972 / nrf Gallimard 2001
« Si difficile de nettoyer la pitié de tout égoïsme, du "quand je pense que ça pourrait m’arriver". »
< 8 septembre 1968, p.49 >
André FROSSARD / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1994
« Méfions-nous des entraînements de la sensibilité ! On commence par plaindre les assassins et par un enchaînement fatal on finit par s’apitoyer sur les victimes... »
< p.142 >
Emil CIORAN / Sur les cimes du désespoir / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« La compassion n’engage à rien, d’où sa fréquence. Nul n’est jamais mort ici-bas de la souffrance d’autrui.
Quant à celui qui a prétendu mourir pour nous, il n’est pas mort : il a été mis à mort. »
< p.60 >
Emil CIORAN / De l’inconvénient d’être né (1973) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« "Celui qui est enclin à la luxure est compatissant et miséricordieux ; ceux qui sont enclins à la pureté ne le sont pas." (Saint Jean Climaque.)
Pour dénoncer avec une telle netteté et une telle vigueur, non pas les mensonges, mais l’essence même de la morale chrétienne, et de toute morale, il y fallait un saint, ni plus ni moins. »
< p.1345 >
Emil CIORAN / Écartèlement (1979) / Œuvres / Quarto Gallimard 1995
« Laissez donc les autres tels qu’ils sont, et ils vous en seront reconnaissants. Voulez-vous à tout prix leur bonheur? Ils se vengeront. »
< p.1492 >
92
CON
Pierre DAC / Arrière-pensées - Maximes inédites / Le cherche midi éditeur 1998
« Donner avec ostentation, ce n’est pas très joli, mais ne rien donner avec discrétion, ça ne vaut guère mieux. »
< p.34 >
Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992
« La promotion des grands sentiments engraisse les crapules. »
< p.94 >
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« On a toujours la possibilité de se défendre contre la haine, la médisance, la jalousie. On ne peut rien contre les bons sentiments. Ils paralysent les forces vives comme la glu colle les pattes des mouches trop aventureuses. Allez donc dire leur fait aux dames patronnesses, aux confits en dévotion, aux maniaques de l’altruisme, aux professionnels de la charité ! Tous ces gens-là pataugent dans le miel de la solidarité humaine. Ils sont inattaquables jusqu’au moment où l’on découvre que leur charité a commencé par eux-mêmes. »
< p.27 >
CON
MONTESQUIEU / Spicilège / Œuvres complètes II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1951
« La princesse de Portugal étant promise à Charles II, il envoya une flotte pour la chercher. On lui manda qu’elle étoit prête à s’embarquer et qu’on l’avoit fait raser. Il dit qu’il n’avoit que faire de cela et qu’il n’aimoit point le c... rasé. Les ministres, qui craignoit qu’il ne la renvoyât ou qu’il n’en eût du dégoût, ordonnèrent à l’amiral d’attendre jusqu’à ce que son poil fût revenu, et on fit la supputation combien chaque poil coûtoit à la nation. »
< p.1388 >
Paul LÉAUTAUD / Journal littéraire / Mercure de France 1986
« Un joli mot que Régnier m’a raconté cette après-midi, de M. Nisard, notre ambassadeur à Rome.
Dans un groupe, on parlait d’un absent.
— C’est un imbécile, dit l’un,
— C’est un sot, dit un autre.
— C’est un con, dit un troisième.
— Vous exagérez, dit M. Nisard. Il n’en a ni l’agrément, ni la profondeur. »
< 2 février 1909 I p.726 >
COLUCHE / Pensées et anecdotes / Le cherche midi éditeur 1995
« Le mois de l’année où le politicien dit le moins de conneries, c’est le mois de février, parce qu’il n’y a que vingt-huit jours. »
< p.50 >
Roland TOPOR / Pense-bêtes / Le cherche midi éditeur 1992
« De conin, qui signifiait lapin en vieux français, mais désignait également le sexe féminin, ne demeure que le con. On a remplacé lapin par chatte. Le sexe est devenu carnivore. »
< p.105 >
Philippe BOUVARD / Journal 1992-1996 / Le cherche midi éditeur 1997
« Gardons-nous de donner la parole aux cons. Ils ne veulent jamais la rendre. »
< p.65 >
Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996
« N’éveillez pas le con qui dort, c’est toujours ça de pris. »
< p.70 >
CONFESSION
93
CONFESSION
SÉNÈQUE / Lettres à Lucilius / Robert Laffont - Bouquins 1993
« Pourquoi nul ne confesse-t-il ses vices? C’est qu’on est encore engagé sous leur empire. Conter son rêve, c’est être revenu à l’état de veille. S’avouer ses vices est un signe de santé. »
< VI Lettre 53-8 p.723 >
VOLTAIRE / Dictionnaire philosophique / Garnier 1967.
« Louis XI, la Brinvilliers se confessaient dès qu’ils avaient commis un grand crime, et se confessaient souvent, comme les gourmands prennent médecine pour avoir plus d’appétit. »
< p.147-148 >
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Confession. - On oublie sa faute quand on l’a confessée à un autre, mais d’ordinaire l’autre ne l’oublie pas. »
< 568 p.670 >
Philippe BOUVARD / Maximes au minimum / Robert Laffont 1984
« Le fait qu’on se confesse de plus en plus à la radio et de moins en moins dans les églises semble indiquer que la publicité est plus précieuse que le pardon... »
< p.32 >
Emil CIORAN / Carnets 1957-1972 / nrf Gallimard 1997
« La confession la plus vraie est celle que nous faisons indirectement, en parlant des autres. »
< p.122 >
André COMTE-SPONVILLE / L’amour la solitude / Ed. Paroles d’Aube 1996
« On m’a rapporté qu’un jour Malraux interrogea un vieux prêtre, pour savoir ce qu’il retenait de toute une vie de confesseur, quelle leçon il tirait de cette longue familiarité avec le secret des âmes... Le vieux prêtre lui répondit : "Je vous dirai deux choses : la première, c’est que les gens sont beaucoup plus malheureux qu’on ne le croit ; la seconde, c’est qu’il n’y a pas de grandes personnes." C’est beau, non ? Le secret, c’est qu’il n’y a pas de secret. Nous sommes ces petits enfants égoïstes et malheureux, pleins de peur et de colère... »
< p.96 >
CONFIANCE
Madame de SABLÉ / Maximes (1678) / Moralistes du XVIIe siècle / Robert Laffont - Bouquins 1992
« Il est quelquefois bien utile de feindre que l’on est trompé. Car lorsque l’on fait voir à un homme artificieux qu’on reconnaît ses artifices, on lui donne sujet de les augmenter. »
< 4 p.246 >
Jean-Benjamin de LABORDE / Pensées et Maximes (1791) / Paris, Lamy 1802 [BnF]
« Dieu nous garde de ceux auxquels nous nous fions ! nous nous garderons bien de ceux dont nous nous défions. »
< 139, p.23 >
Joseph JOUBERT / Carnets / nrf Gallimard 1938-1994
« On peut à force de confiance mettre quelqu’un dans l’impossibilité de nous tromper. »
< t.I p.64 >
94
CONFORMISME
Friedrich NIETZSCHE / Humain, trop humain. (1878-1879) / Œuvres I / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Contre les familiers.
Les gens qui nous donnent leur pleine confiance croient par là avoir un droit sur la nôtre. C’est une erreur de raisonnement ; des dons ne sauraient donner un droit. »
< 311 p.600 >
ALAIN / Propos I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1956
« Les grands chefs qui se fient à leurs propres décisions, et qui se jurent, en quelque sorte, de ne s’être point trompés, ont, ce me semble, une grande vertu pour réaliser les hommes dont ils se servent. Car il est merveilleux de voir comme nous sommes incertains de nous-mêmes et déplacés aisément jusque dans notre intérieur par les changements d’opinion sur nous. Un homme ferme et même inébranlable dans son jugement sur nous nous donne force et consistance. Il est très rare que l’on trahisse celui qui fait toute confiance ; mais au rebours la défiance est une excuse et presque une raison à la tromperie. »
< 17 octobre 1934 p.1227 >
Georges WOLINSKI / Les Pensées / Le cherche midi éditeur 1981
« Je n’ai jamais eu confiance dans les gens qui veulent qu’on leur fasse confiance. »
< p.183 >
Michel AUDIARD / Audiard par Audiard / Ed. René Chateau 1995
« Depuis Adam se laissant enlever une côte, jusqu’à Napoléon attendant Grouchy, toutes les grandes affaires qui ont raté étaient basées sur la confiance... Faire confiance aux honnêtes gens, est le seul vrai risque des professions aventureuses. »
< Le Cave se rebiffe, p.73 >
CONFORMISME
Paul Henri Dietrich baron d’HOLBACH / La Morale universelle (I) / Amsterdam M.-M. Rey 1776
[BnF cote 1070]
« Il faut être comme tout le monde, est la maxime banale de tant de gens sans courage, sans principe, sans caractère, dont le monde est rempli. Voilà comment les vices se répandent, les travers se perpétuent ; et presque tous les hommes finissent par se ressembler. Voilà comment ils sont continuellement entraînés par l’exemple, par la crainte de déplaire à des êtres dépravés. »
< III xii p.379 >
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« Être comme il faut.
Règle sans exception. Les hommes dont il ne faut pas ne peuvent jamais être comme il faut. Par conséquent, exclusion, élimination immédiate et sans passe-droit de tous les gens supérieurs. Un homme comme il faut doit être, avant tout, un homme comme tout le monde. Plus on est semblable à tout le monde, plus on est comme il faut. C’est le sacre de la multitude.
Être habillé comme il faut, parler comme il faut, manger comme il faut, marcher comme il faut, vivre comme il faut, j’ai entendu cela toute ma vie. »
< p.48 >
« N’être pas le premier venu.
Le plus haut titre aux yeux du Bourgeois, c’est de n’être pas le premier venu. Il vous accablerait de son mépris, si vous lui disiez que Napoléon était le premier venu. Le soixante-dix-huitième, si vous voulez, mais pas le premier, jamais de la vie. Le dernier non plus. L’Evangile dit que les derniers seront les premiers, et le Bourgeois s’en souvient.
Ce qu’il déteste par-dessus tout, c’est qu’on soit le premier ou le dernier n’importe où, n’importe comment et n’importe quand. Il faut être dans le tas, résolument et pour toujours. »
< p.111 >
CONSCIENCE
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Alphonse ALLAIS / Œuvres posthumes / Robert Laffont - Bouquins 1990
« Je ne suis pas le premier venu, moi ! comme disait le prétentieux jeune homme qui, invité à dîner en ville, arrivait lorsque tout le monde était à table depuis un bon quart d’heure. »
< Le Journal, 3 juillet 1894 p.263 >
Louis-Sébastien MERCIER / Tableau de Paris IV / Amsterdam 1782 [BnF]
« Les extrêmes se touchent.
Les grands et la canaille se rapprochent dans leurs mœurs ; les premiers bravent les préjugés, fiers de leur crédit et de leur opulence ; la dernière classe n’ayant à perdre ni honneur ni estime, vit sans gêne et avec licence ; je trouve même que leurs esprits se ressemblent ; les harengères, au style près, ont des mots très heureux, ainsi que nos femmes de qualité ; même abondance, même tournure originale, même liberté dans l’expression et dans les images : il y a vraiment analogie pour qui sait enlever l’écorce ; l’une pue la marée, et l’autre sent le musc. »
< Chapitre 348, p.265 >
Léon BLOY / Exégèse des lieux communs / Mercure de France 1968
« Les extrêmes se touchent.
Tous les bourgeois vous diront qu’il n’y a pas l’épaisseur d’un cheveu entre les extrêmes. C’est pour cela qu’ils en ont horreur et qu’ils préconisent la médiocrité, le juste milieu, la bonne moyenne, le fil à couper le beurre, estimant, dans leur sagesse, que les taupes n’ont pas besoin de l’oculiste et que les crapauds sont moins exposés aux coups de soleil que les licornes ou les alérions. »
< p.259 >
Frédéric DARD / Les pensées de San-Antonio / Le cherche midi éditeur 1996
« Les extrêmes se touchent, les dégueulasses ! »
< p.59 >
CONSCIENCE
François René de CHATEAUBRIAND / Génie du Christianisme (1802) / Garnier-Flammarion 1966
Tuer le mandarin.
« O conscience ! ne serais-tu qu’un fantôme de l’imagination, ou la peur du châtiment des hommes ? je m’interroge ; je me fais cette question : "Si tu pouvais par un seul désir, tuer un homme à la Chine, et hériter de sa fortune en Europe, avec la conviction surnaturelle qu’on n’en saurait jamais rien, consentirais-tu à former ce désir ?" J’ai beau m’exagérer mon indigence ; j’ai beau vouloir atténuer cet homicide, en supposant que, par mon souhait, le Chinois meurt tout à coup sans douleur, qu’il n’a point d’héritier, que même à sa mort ses biens seront perdus pour l’État ; j’ai beau me figurer cet étranger comme accablé de maladies et de chagrins ; j’ai beau me dire que la mort est un bien pour lui, qu’il l’appelle lui-même, qu’il n’a plus qu’un instant à vivre : malgré mes vains subterfuges, j’entends au fond de mon cœur une voix qui crie si fortement contre la seule pensée d’une telle supposition, que je ne puis douter un instant de la réalité de la conscience. »
< Première partie, livre sixième , ch.II, tome 1 p.200 > Paul VALÉRY / Mauvaises pensées et autres / Œuvres II / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1960
« Chacun de nous est le seul être au monde qui ne soit pas toujours une mécanique. »
< p.828 >
Paul VALÉRY / Cahiers I / Bibliothèque de la Pléiade / nrf Gallimard 1973
« La conscience est soutenue par le corps, et vacille et se tient sur la pression tremblante du sang comme la coquille d’œuf sur un jet d’eau. »
< Soma et CEM p.1134 >