Environs de Boulogne.

Entre deux escarmouches, la guerre de position menée par le maréchal du Biez devant Boulogne offrait de grands loisirs aux assiégeants. Aussi le jeune prince Charles, dont le sang bouillant s’accommodait mal de l’attente et de l’oisiveté des camps, avait-il institué des chevauchées quotidiennes avec quelques amis, dont Enghien et Nevers.

Par une matinée radieuse du début de septembre, les jeunes gens galopaient ainsi, riant et criant dans le soleil, sous un ciel vaste et bleu semé de nuages découpés en monstres marins, quand l’un d’eux, avisant une chaumière isolée, proposa de s’arrêter un moment pour s’y mettre à l’ombre.

— N’entrons pas là ! dit le comte d’Enghien. La porte est marquée.

Une croix faite à la chaux indiquait, en effet, que la masure avait été touchée par quelque peste2 plus ou moins récente. Elle paraissait d’ailleurs vide de tout occupant.

— La peste ? Bah ! La peste... soit des poltrons ! fanfaronna Charles en sautant de cheval.

Une colonie de pigeons, délogée par les intrus, s’égailla dans un soudain froissement d’ailes.

— Après tout, se ravisa Enghien, si la maison est bonne pour des oiseaux...

Plusieurs jeunes cavaliers avaient déjà suivi le prince et, forçant aisément porte et fenêtres, entrèrent dans la chaumière et s’y livrèrent, dans une poussière effroyable, aux chamailleries d’usage. La razzia était d’autant plus amusante que tout, à l’intérieur, paraissait intact. Orléans avait enjambé quatre à quatre les degrés de l’échelle menant au galetas et, sautant d’un lit à l’autre comme un enfant, faisait déjà provision d’oreillers et de polochons. Il en asséna de grands coups sur les premiers qui l’avaient suivi, éventrant les matelas, ouvrant les édredons, faisant voler partout les plumes et le duvet, au point que les jeunes gens, bientôt pliés en deux par la toux et les rires, crurent étouffer.

Cette bataille de potaches dura tout un moment, jusqu’à ce que le comte d’Enghien, décidément plus méfiant que les autres – ou moins inexpérimenté – découvrît, dans un coin du cellier, le cadavre d’un chien gonflé par la vermine, littéralement couvert de mouches.

— Ah, l’infection ! hurla Charles en époussetant ses cheveux roux.

Il était toujours prompt à détaler au premier désagrément. Tout le monde se remit en selle, et après un quart d’heure, au plus, l’humble masure fut rendue à son abandon.

Mais le mal était fait.

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Deux ou trois jours plus tard, alors que le roi et ses fils séjournaient au sud de Boulogne, à l’abbaye de Forestmontiers, non loin du Crotoy, l’on s’avisa que plusieurs des gentilshommes de la suite d’Orléans avaient dû s’aliter sous le coup d’une poussée de fièvre...

Mais alors que la plupart étaient sur pied en quarante-huit heures, il s’avéra que le prince Charles, lui, demeurait cloué à son lit. L’état du pauvre Orléans s’aggravait même d’heure en heure.

Après cinq jours, les médecins ne se prononcèrent plus sur ses chances d’en réchapper. À croire qu’une fragilité spéciale affectait les Fils de France – à moins qu’une malédiction ne pesât sur leur fratrie.

Les Fils de France
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