Environs de Saint-Dizier.
Jamais encore, dans une carrière pourtant très riche en événements de toute sorte, Gautier de Coisay ne s’était vu confier de mission à ce point délicate. Il fallait, par ces temps de guerre, qu’il acheminât jusqu’aux lignes impériales un message dont tout – provenance, contenu et destinataire – devait demeurer secret à jamais. Du contenu, comme toujours, il n’avait pas à connaître ; le destinataire, en revanche, ne lui était pas inconnu : c’était cet agent de l’empereur, ce fameux Juan Martinez d’Ezcurra qui, quelques années plus tôt, était venu le voir au Plessis, près de Tours, de la part du roi de Navarre.
Quant à la provenance... Elle seule, en vérité, avait justifié que Gautier se chargeât d’une mission que, de tout autre, il eût purement et simplement refusée. Mais le moyen, lorsqu’on est amoureux, de refuser une demande amoureusement formulée ?
— Mon cœur, avait dit Anne de Pisseleu, pourrais-tu me rendre un très, très grand service ?
— Oui, ma beauté. Très, très volontiers...
Et voilà comment l’écuyer picard se retrouvait, par un matin d’été orageux, à sinuer périlleusement entre deux lignes d’artillerie...

Dans ce nouvel épisode de la guerre sempiternelle entre la France et l’Empire, l’empereur Charles avait d’emblée pris l’avantage. Il avait rassemblé à Metz, ville impériale, quelque quarante mille fantassins et plus de dix mille cavaliers ; puis il les avait mis en marche, et n’avait cessé de balayer les obstacles sur son passage, jusqu’au verrou stratégique de Saint-Dizier. Heureusement l’importance de cette place, la qualité de ses défenses, le nombre de ses défenseurs, rendaient les choses plus difficiles. Charles Quint savait que M. de Sancerre était là pour l’empêcher de passer.
— Gautier, avait minaudé la duchesse d’Étampes, il faut que je fasse savoir à l’empereur à quel point sa sœur, la reine Éléonore, l’amiral d’Annebault et moi-même sommes disposés, au sein du Conseil, à une trêve avec l’Empire. Il y va de centaines et de milliers de vies ; il y va surtout du sort de réformés qui, forcément, font plus que d’autres, les frais de la guerre.
Gautier ne voyait guère en quoi la lutte contre l’Espagne catholique et inquisitoriale devait inciter le roi de France à l’intolérance religieuse... Anne ne sut pas le lui expliquer, mais elle lui jura que pourtant, il en était ainsi.
— Tu connais, je crois, un certain Juan d’Ezcurra.
— C’est une vieille connaissance.
— C’est lui que tu dois trouver, pour lui remettre ceci.
Et Anne avait confié la missive, soigneusement roulée dans un cylindre scellé, à celui qu’elle n’appelait plus, depuis quelques semaines, que « mon cœur ».

Pour Gautier, ce qui aurait pu devenir la mission de tous les dangers se déroula en fait sans trop d’encombres. Il trouva Juan Martinez d’Ezcurra très en avant des positions espagnoles, exactement au lieu-dit que lui avait recommandé la duchesse – à croire que les informations dont disposait le roi de France étaient d’une grande précision...
— Je vous avais dit que nous nous reverrions, lui lança l’agent espagnol, mi-figue, mi-raisin.
— Je vous avais dit que ce ne serait pas pour parler de Jeanne, rétorqua Gautier.
— Sait-on jamais, fit l’Espagnol, toujours énigmatique. Qui sait ce qu’il y a, dans ce rouleau d’étain ?