Fontainebleau.
— Savez-vous bien que vous m’avez manqué ? dit à Simon la duchesse d’Étampes.
L’écuyer lui sourit d’un air indéfinissable. Depuis toujours, il avait éprouvé pour elle une certaine affection ; et le souvenir – presque interdit – de leur nuit lyonnaise avec le beau Sébastien ajoutait à cette sympathie... Seulement elle avait trahi le roi – peut-être. Trahi son frère – sûrement. Pis : elle avait conduit Gautier à vouloir mourir. Comment pardonner de telles choses ?
— Oh, je sais que vous ne m’aimez pas trop, dit-elle de telle façon que Simon, malgré lui, faillit protester du contraire. À propos...
Elle avait pour coutume de changer le cours de la conversation, pour le plaisir, non de dérouter l’autre, mais de le mener à sa guise.
— À propos, savez-vous où réside Mme de Poitiers ?
— Mais oui, madame.
— Suis-je naïve, vous êtes messager ! Eh bien, mon cher Simon... Cela vous ennuie que je vous appelle « cher Simon » ?
— Non...
— Eh bien donc, cher Simon, c’est au messager, précisément, que je m’adresse. J’aimerais que vous acceptiez d’être mon interprète auprès de votre animal de frère. Un insensé, notez-le !
L’écuyer aurait aimé lui dire, lui crier même, que l’insensé avait bien failli perdre la vie par sa faute et que, sans son intuition, à lui, elle aurait pu, en ce moment même, parler de Gautier au passé... Mais il ne dit rien de tout cela. Il se contenta d’un nouveau sourire qui, intérieurement, le couvrit de honte. La belle dame continuait.
— Vous qui, en revanche, êtes bien sensé, bien posé, il faut que vous expliquiez à cet imbécile que je n’ai, de près ou de loin, rien à voir avec cette affaire de Saint-Dizier. Du reste, si je n’étais fort endurcie par des années d’existence à la Cour, j’aurais pu me froisser qu’il ait seulement eu l’idée de m’en accuser. Vous me suivez ?
— Oui...
— Fort bien, mon ami. Je compte sur vous pour répéter cela, bien proprement, à votre frère. Vous le ferez, n’est-ce pas ?
— Je le ferai.
Alors la duchesse d’Étampes s’empara d’une lettre qui, depuis le début, se trouvait devant elle en évidence.
— Par ailleurs, dit-elle en s’efforçant de cacher sa jubilation, soyez assez aimable pour remettre ce pli à Mme de Poitiers. En mains propres, c’est important.

Diane de Poitiers s’apprêtait, lorsque Simon la surprit dans son antichambre, à descendre à la pouponnière pour y superviser le bain quotidien du petit prince François. Elle assurait au profit de la dauphine, ce discret office qu’elle avait si longtemps rempli, jadis, auprès de la reine Claude ; ce qui signifie qu’après avoir langé le père, elle pouponnait le fils.
Simon la salua poliment et lui remit sans un mot le pli confié par la duchesse.
— Eh bien, Coisay, lui dit-elle en commençant à lire, presque aimable, l’on me dit qu’à présent, vous êtes attaché à monsieur le dauphin...
— Je dois cette grâce à monsieur de Brissac, madame, et...
Il n’alla pas plus loin ; après une sorte de petit hoquet, elle bouchonna la missive pourtant marquée du sceau royal et, foudroyant le messager du regard, la lui jeta au visage.
— Disparaissez ! siffla-t-elle, soudain glaçante.
Simon mit un instant à réagir, puis il détala comme un lapin.
Il ne tarderait pas à savoir que la fameuse lettre, de la main même de Sa Majesté, enjoignait à la grande sénéchale, en termes courtois mais fermes, de quitter la Cour sur-le-champ et de n’y plus paraître jusqu’à nouvel ordre.