A propos de deux singuliers personnages et de quelques gadgets.

Pour la troisième fois on pompe l’air de cette plaine forestière pour le déguiser en vitesse. Cette vitesse se transforme automatiquement en distance. Au bout du compte, on se paie une chouette panoplie de kilomètres qui nous amènent à l’orée d’un village composé seulement de quelques maisons et d’une petite église de bois.

Eggkarte qui nous précède, mais sans chercher à nous semer, cette fois, vire brusquement derrière l’église, là que des petits monticules nous annoncent un cimetière. Je l’imite.

On coupe les gaz et les loupiotes. Je cours rejoindre la jeune fille.

— En voilà un cinoche, mon chou. A quoi rime-t-il ?

Elle met un doigt sur ses lèvres et me fait signe d’attendre. Ce que je.

Une, deux, trois, quatre minutes s’écoulent. Plus une vingtaine de secondes et de la petite monnaie. Enfin, une tornade éclate, qui secoue le villaget. Deux motards de la police déferlent devant l’église, et continuent leur route.

— Ça y est ! fait-elle.

— Mais qu’est-ce qui se passe, bonté divine ? Je ne pige rien à votre conduite, ma gosse.

Elle me coule un sourire éperdument tendre.

— Tout à l’heure, pendant qu’on filait sur Milsabör, j’ai branché la radio.

— Alors ?

— On a découvert la mort de l’hôtelière. Notre signalement a été donné et on annonçait que la police patrouillait la ville et ses environs. En entendant ça, j’ai craint que des barrages fussent dressés et qu’on nous arrête.

— Alors ?

— J’ai foncé en avant pour me rendre compte. Bien m’en a pris puisqu’à dix kilomètres de Milsabör environ, j’ai aperçu un barrage. Immédiatement, j’ai fait demi-tour. Des motards se sont lancés à mes trousses. Heureusement que sur la neige, une voiture munie de chaînes est plus rapide qu’une motocyclette parce que beaucoup plus stable.

Brave gosse, va. Je la serre sur mon cœur. Et moi qui l’avais suspectée de désertion en présence de l’ennemi !

La galoche de la reconnaissance ayant été roulée, je lui demande pourquoi elle vient de stopper dans ce patelin.

— Pour deux raisons, répond cette jeune fille hardie : primo parce que le niveau de ma jauge d’essence était presque à zéro, secundo parce que la neige a cessé depuis quelques kilomètres. Donc, nos traces ne sont plus apparentes et ces idiots doivent foncer en direction du Cap Nord comme des perdus.

— Toujours est-il que nous ne pouvons pas rebrousser chemin une nouvelle fois pour rentrer en ville ?

— Hélas non. Nous nous ferions arrêter.

Je me tais, saisi.

Tu crois aux fantômes, toi ?

Moi aussi, à cet instant. Magine-toi, ô mon sinistre frère, que ça se met à remuer dans le cimetière. Car, je t’ai dit que nous avions stoppé en bordure d’un funèbre enclos ?

L’un des monticules révélant une tombe éclate silencieusement et deux formes blafardes se dressent.

Me faut un temps de stupéfîance avant de piger qu’il s’agit de deux hommes à poil, mais alors entièrement.

Sauf l’un d’eux dont le sexe s’abrite à l’intérieur de l’autre.

— Bon Dieu, de quoi s’agit-il ? balbutié-je.

— Deux nécrosexuels, sans doute, me répond Eggkarte. Beaucoup de Suédois se livrent à ce sport d’endurance qui consiste à s’accoupler sous la neige et à y demeurer immobile, après l’assouvissement, jusqu’à ce que leur ardeur revienne. Il faut être très aguerri pour pratiquer cet exercice.

M’ayant expliqué, elle crie joyeusement :

— Hello ! aux deux protagonistes.

— Hello ! répondent-ils en chœur.

Ensuite de quoi, ils refont une partie de « contre vents et diarrhées. »

Expresse. Tagadagada, tsoin, tsoin ! En quelques coups de cuiller à pot. Le premier éternue de l’inducteur, puis se porte en avant pour prendre la place du second, car, en matière de comptabilité, l’actif et le passif doivent rigoureusement s’équilibrer. Très peu de temps suffit au deuxième lancier pour faire cul sec (si je puis ainsi dire).

Lors, ces deux personnages, libérés de tourments immédiats, s’approchent de nous la Beethoven. Ils sont grands, maigres, quadragénaires, blonds, avec des mentons en tiroir et des airs glacials qu’on ne saurait leur reprocher, compte tenu du stage qu’il viennent d’effectuer dans la neige du cimetière.

— Vous n’êtes pas d’ici ? demande l’un d’eux en français, nous ayant entendu manœuvrer cette superbe langue.

— Touristes, réponds-je.

— Ne seriez-vous pas les meurtriers de cette hôtelière de Milsabör dont a parlé la radio, dans la soirée ?

— Si fait, dis-je en leur montrant mon revolver. Vous habitez le quartier, mes bons messieurs ?

Le mec nous désigne sa maison, la plus proche, une jolie construction de briques et de bois, avec du vitrage en abondance.

— Allons-y, fais-je ! j’espère que vous possédez également un grand garage.

Tout s’effectue dans la passivité la plus complète, si bien que nous voilà installés chez ces deux messieurs, nos bagnoles dûment planquées.

Borg Borïgm et sa nana sont une fois de plus saucissonnés et remisés sous un canapé.

Béru disparaît dans la cuisine des deux messieurs, Eggkarte, les nécrosexuels et moi-même prenons place devant un grand feu de boulets rouges.

Chose étonnante, les deux messieurs n’ont pas des attitudes de gens dont on a investi de force la maison. Ils se comportent davantage en hôtes qu’en otages. Ils parlent volontiers, sans y être contraints, ne vous posent aucune question, et nous racontent leur vie avec cette complaisance qu’apportent à une telle narration des gens satisfaits de leur existence.

Ils s’appelaient Tuppud et Dukku.

Ils s’étaient rencontrés en Grèce au cours des dernières vacances. A cette époque, ils étaient l’un et l’autre mariés à des juments tristes dont ils divorcèrent sitôt qu’ils eurent la certitude de leur amour. Une fois réglées les basses questions matérielles avec ces femelles de rebut et la progéniture en ayant découlé, Dukku et Tuppud mirent leurs biens en commun et vinrent s’installer en cette localité de Tringglatouvâ qui offre la particularité de n’être habitée que par des ménages masculins. Quelque chose comme un village de tantes, en somme.

— Vous tombez bien, déclara soudain Tuppud, lequel s’exprimait dans un français attachant, quoique alourdi de stalactites. Vous serez nos témoins.

— Comment cela, vos témoins ! m’exclamé-je, en manifestant une légitime surprise.

— Ne nous refusez point ce plaisir, supplia le coïteur-tombal après un bref échange de vue avec son compagnon ; nous nous marions demain matin.

— Hein ?

— Le pasteur Bôchibrock consent à nous unir moyennant un prix forfaitaire qui englobe la bénédiction et la remise d’une bible imprimée sur vergé numéroté. Car nous tenons à régulariser notre situation.

Je les félicitai quant à la pureté de leurs sentiments et établis un programme concernant la fin de cette nuit tumultueuse. Il fut décidé que nous bivouaquerions tous dans ce salon et que nous établirions un tour de veille, Bérurier et moi-même, manière de surveiller ces gens. Le Gros, repu de poissons séchés, comme un phoque savant un dimanche soir, lorsqu’il a eu deux matinées et une soirée, clignait de la paupière. Je m’offris de commencer la garde. C’était la prudence la plus élémentaire.

Quand Tuppud et Dukku se furent allongés sur un matelas, dans l’angle le plus éloigné de la porte (dont je pris soin d’empocher la clé), je tamisai les lumières, me plaçai à califourchon sur un siège et entrepris la tâche délicate de laisser couler du temps sans m’endormir.

Au bout d’une demi-heure, sans doute bercé par les ronronnements des dormeurs, je sentis qu’une méchante torpeur me gagnait. C’est là une notion imprécise à laquelle un homme d’action se doit de réagir immédiatement. Attendre, c’est laisser le sommeil s’engouffrer en vous. Attendre, c’est s’abandonner au trop tard. Ainsi, en voiture le conducteur qui dodeline est-il promis aux tonneaux ou au platane s’il ne réagit pas immédiatement. Je me levai, et accomplis quelques mouvements dits d’assouplissement, mais qui me firent craquer. Ils eurent toutefois l’avantage de me permettre une fugitive vision de mes deux prisonniers. Borïgm et sa souris ne dormaient pas. Ils ne cherchaient point à s’évader en se débarrassant de leurs liens, et pourtant, ils se livraient à un curieux manège qui m’intrigua. Figurez-vous qu’à force de reptations silencieuses, ils étaient parvenus à se placer tête-bêche. Et savez-vous quel bizarre agissement était celui de la gonzesse ? Vous amuserait-il de le deviner ? Que non pas ? Soit ! Mais je suis certain de vous surprendre. La jeune beauté en blue-jean à fourrure était en train de manger la semelle d’une botte de Borg Borïgm.

A belles, à très belles dents !

Quand j’avance qu’elle la mangeait, j’exagère 12 . En réalité, elle se contentait de la déchiqueter à l’aide de ses incisives. Elle recrachait les morceaux le plus silencieusement possible. Il n’empêche que ce furent ses petits « pepst » répétés qui durent attirer mon attention.

Ce genre de pratique est fort peu usité, fût-ce en Suède. Il est rarissime qu’une jeune fille ravissante déchiquette la semelle de la botte droite d’un individu, en dehors, s’entend, d’un asile psychiatrique. Aussi me dis-je qu’une pareille manœuvre devait avoir un mobile dont j’aspirais à connaître. Que fis-je ? Eh bien, vous l’avez deviné, bouffis : je me penchai, écartai miss Mystère de son repas et retirai la chaussure de Borg Borïgm.

Malgré la pénombre, je crus le voir pâlir à mon initiative. Son regard s’emplit de panique, de crainte aussi. Puis il détourna la tête pour s’abandonner aux morosités de son destin.

Moi, content comme un jeune chiot cherchant à se donner carrière et qui confond pantoufle avec lièvre, j’emportai ma proie jusqu’à la table, m’installai commodément et, armé d’un couteau à lame d’acier suédois (l’acier de l’élite !), j’entrepris d’ôter la semelle de crêpe de la botte. Ce fut un divorce malaisé, l’adhésion ayant été admirablement réalisée. J’y parvins, à force de persévérance et de curiosité. J’aperçus alors, noyée dans la crêpe qu’il affleurait au point de collage, un flacon plat, de la dimension de ceux qui contiennent du pré ou de l’after shave. La petite bouteille était en acier et fermée par un bouchon à pas de vis.

J’eus la tentation de l’ouvrir, mais un sentiment de prudence l’emporta sur mon esprit de conquête et je me contentai de l’empocher, remettant à plus tard l’examen de son contenu. D’ailleurs, y en avait-il un ? Quand on l’agitait, le flacon ne produisait aucun bruit, aucun floc-floc. Il était dense et lourd et l’on devait boitiller les premiers temps qu’on l’emportait à la semelle de son soulier.

Du temps passa. Je n’avais pas sommeil, cet incident ayant provoqué un survoltage de mes nerfs. Je supputai à perte de matière grise à propos du cas Borg Borïgm. Personnage parfaitement ahurissant. Sadique meurtrier, épris de sciences occultes, superstitieux, prompt dans ses décisions homicides, et possédant, outre des armes traditionnelles, certains petits gadgets tels que la poudre de perlimpinpin qui solidifie l’eau instantanément. Mais pour moi, ce qu’il avait de plus énigmatique, je te le vais vous dire carrément, c’était l’intérêt que le Vieux lui portait.

De temps à autre, j’allais mirer le bonhomme. Ne lui trouvai rien d’exceptionnel, sinon une gueule antipathique, ce qui, convenez vite-z’en, ne constitue pas une particularité dans cet univers de puants, de mous de la tronche, de va de la gueule, de tristes sires et autres fumiers de bas étage. Un salaud comme les autres. Un désaxé sexuel comme tout le monde. Un meurtrier comme tant. Un type, sa gueule, qu’est-ce qu’elle prouve ? Elle montre quoi, au second degré ? Balle-peau ! Mire Hitler par exemple. Bon, sale frime d’hurluberlu. Mais à part ça ? Tu trouves le vrai monstre sous ces traits engourdis d’illuminé pour noces et banquets ? J’ai connu une dame qui l’a vu à ses débuts, quand il commençait ses gesticulations et ses gutturances munichoises. Il prenait le thé à son hôtel avec une bande de brunâtres. Le personnel se foutait de sa gueule, riait sous cape, l’appelait le dingue. Personne pigeait. Seulement tu les aurais vus, les laquais, quelques années plus tard. Ein, zwei ! Achtung ! Heil Hitler. Comment que ça y allait, au pas Kamarade, au pas… de l’oie. Les contes de ma mère Adolf ! Et schnell, encore !

Mein führer qui fait fureur ! Le führer sachant fourrer. Et fourrer profond !

Une gueule, non, franchement, tu peux pas t’en méfier suffisamment. Celle de Borg Borïgm ne me dit rien qui vaille, mais rien de plus.

M’sieur Tuppud se réveille.

Besoin de licebroquer. Il a surmené de la zézette et la vessie en pâtit. Je secoue Béru, lui demande de me relever. Sa Majesté bâille grand comme le tunnel sous le mont Blanc et cherche des choses valables à boire. Lorsqu’il est équipé, je sors en compagnie de notre hôte.

Franchement, il a l’air d’un gentil mec, Tuppud. Il n’a pas bien les pieds sur la terre, sauf quand il se laisse miser. Affable, il me fait l’honneur de sa maison. Puis il me parle de son job (avec un j, et non pas un « z » comme t’as l’air de sous-entendre). Dukku et lui sont représentants en godemichets.

Paraît qu’en Scandinavie c’est un travail rémunérateur. Ils font du porte à porte. De la démonstration. Chez les veuves, les vieilles filles surtout. Dans les clubs de partouzes également, leur commission d’achat, aux clubs, passent commande pour des cinq six godes à la fois. Faut dire qu’ils ont du choix, les duettistes. Tuppud insiste pour me montrer sa valise-exposition. Elle se déroule kif kif une trousse de mécanicien. Madoué, tous ces godes ! Tu peux pas croire la richesse de la collection. Des godes africains, mastars et sculptés ! Des godes sud-américains, garnis de poils de mulet pour la chatouille urbi et orbi. Des godes japonouilles, minces et flexibles, en ivoire articulé. Des godes russes, en cuir repoussé, façon moujik. Y a des godes suisses, à musique et qui font coucou. Des godes en caoutchouc, qu’on peut dilater à volonté par injection d’air comprimé. Des godes britanniques, en pâte à modeler, que t’introduis avec une corne à chaussures et qui donnent franc aux dames angliches l’impression de se faire calcer par un ressortissant de Sa Majestueuse Majesté. Y a des godes à ressort. Des godes à suspension télescopique. Des godes avec rétroviseur. D’autres qu’ont une sirène à déclenchement orgasmique. Des godes qui font moulin à poivre. D’autres avec le Sacré-Cœur de Montmartre en couleurs peint dessus. Des godes que ça représente la tour Eiffel. Et puis des très jolis, avec des fleurettes en relief tout autour, style Mimi Pinson. Mais le plus étonnant, j’te jure, le plus gadget du lot, c’est celui qui ressemble tellement à une bite que t’irais quasiment à la pissotière avec.

Ce qu’ils vont inventer, de nos jours, vrai ! Y en a qu’ont l’imagination en surchauffe, biscornue. Leur esprit bat la chamade. Jadis, t’inventais le contre-écrou, le fil à couper le beurre ou le laser. Eh ben maintenant, c’est le gode hyper-réaliste. Plus vrai que nature dans les tons bistres et praline, veiné, superbe, turgescent ! Le gode en matière plastique souple et nerveuse, dans la consistance camionneur, si tu vois ? Tu vois ? Bon ! Un tanti-soit peu arqué, avec une tronche belle comme celle du général Massu, appétissante, énergique. Le gode vaillant, pas feignasse, décidé à avoir sa place au soleil (ou dans la lune, à défaut). Tuppud me montre la toute suprêmement nouvelle invention : le double gode. Primé au salon du Chibre de Copenhague cette année. Il est à deux usages simultanés, pour dame à double cratère préhensible. Et réglable, attention ! Monté sur tige flexible. La partie avant est mycoforme tandis que la partie arrière, plus modeste, revêt les apparences et dimensions d’un médius moyen. De toute beauté. D’ailleurs il est présenté à part, dans un écrin, livré avec lubrifiants, carnet d’entretien. Garantie d’un an. Aspirfoutrincorporé, le brevet ! Label de qualité ! Attestation de la reine d’Angleterre ! Tout, quoi ! The invention of the century, faut reconnaître. Jusqu’où le génie de l’homme va se loger, hein ?

Tuppud remise sa panoplie. Je lui présente mes excuses pour notre intrusion forcée. Je l’affirme que nous ne sommes pas des canailles et qu’il n’a rien à redouter, mais il m’arrête.

— De grâce, cher monsieur, ne cherchez pas à me rassurer. Vous nous apportez le frisson, et c’est délectable. Si même vous pouviez nous terroriser un peu, il s’ensuivrait pour nous des contractions rectales dont nous aurions à profiter.

Je lui promets de faire l’impossible pour lui donner satisfaction et la nuit s’achève dans une ambiance de rêve mou, d’insomnie doucereuse. On a l’impression de veiller un mort. Tu sais ? Lorsque les minutes se traînent, que tu évoques le disparu dans des océans de peine, et puis que tu recommences d’espérer en la vie, en la tienne, of course. T’attends le matin pour t’arracher aux tentacules du chagrin.

Il arrive sans peine, la nuit n’ayant pas été franchement la nuit. Eggkarte et ces messieurs Tuppud et Dukku confectionnent des œufs au lard pour tout le monde. Quand on a briffé notre brique-faste, je libère un bras de chacun de nos prisonniers pour qu’ils puissent s’alimenter sous surveillance. La fille au jean demande les toilettes à Eggkarte. Bien qu’étant un homme admirablement élevé, je les escorte dans la salle de bains. Une fois dans cette pièce exiguë, la fille se met à parler à ma compagne, avec volubilité. Elle semble en transes. Il y a soudain quelque chose de pathétique chez cette ravissante créature.

— Que dit-elle ? m’enquiers-je.

— Elle a un remède à prendre dans leur voiture et me demande d’aller le lui chercher. Elle souffre d’une maladie cardiaque et ce médicament lui est indispensable.

— Où se trouve-t-il ? Je vais aller le lui chercher.

Blabla suédiche.

— Dans un compartiment logé sous le volant, il y a une petite trousse de plastique, ses pilules sont à l’intérieur.

J’hésite, pris entre mon sens de l’humanité et les bas calculs. Un malade auquel tu refuses sa potion salvatrice est prêt à bien des compromissions pour l’obtenir. Ce peut devenir une bath monnaie d’échange. Nous ramenons la fille dans le livinge et je décide d’aller lui chercher son remède, quitte à la « taquiner » un chouille avant de le lui donner.

Nos tutures sont placardées serrées dans le garage des deux follingues. Je repte pour atteindre celle de Borïgm. M’enquille dedans par une portière arrière et enjambe le dossier de la banquette avant. J’aperçois le coin de la pochette de plastique dans le vide-poches disposé sous le volant.

J’avance la main pour m’en emparer. Mais voilà que quelque chose se produit.

En moi.

Mon petit lutin intime, tu sais ?

Il me chuchote j’ignore quoi dans le creux des baffes. Ça ressemble à un conseil. Mais quel conseil ? Il pourrait se montrer plus explicite, le fripon ! Causer français comme tout le monde.

Toujours est-il que je suspends mon geste. Y a un brusque malaise autour de moi. Je me penche pour mater la trousse. Elle est innocente, c’est une pochette comme en vendent les parfumeurs et qui servent aux gonzesses à trimbaler leurs ustensiles à beauté. Du bout des doigts, je palpe. Elle est vide. Ma main précautionneuse s’enfonce un peu plus pour explorer le compartiment. Vide aussi. Sauf, toutefois… Oui, il s’agit d’un fil de nylon. Attends que je vérifie… Il est attaché à la boucle de la fermeture Eclair du petit réticule. Il disparaît par un trou percé au fond du vide-poches. Où qu’il va ? Je retire ma paluchette exploreuse pour palper l’extérieur du compartiment. Ça y est, v’là que je retrouve la sortie du fil. Il remonte contre l’intérieur feutré de la carrosserie. On l’y fait tenir plaqué au moyen de bouts de scotch. Je le suis toujours, il passe sous le tableau de bord, revient jusqu’à la tige de la direction. Bon Dieu ! En haut, un peu au-dessous du tableau de bord, je sens un gros machin de métal. Je gratte une allouf pour mieux mater. Une grenade, Mec ! Mahousse comme mes deux noix réunies. Elle tient avec des bandes de sparadrap. L’autre extrémité du fil de nylon est attaché à la goupille. Tu mords le topo ? Un julot qui saisit la pochette de plastique provoque le déclenchement de la grenade, soit un charmant feu d’artifice.

La voix angoissée de Béru retentit, toute proche :

— San-A. !

— Présent !

— Touche z’à rien, surtout ! Touche z’à rien, mon pote !

Je m’extrais de la tire. Le Gravos est en grande alarme sur le seuil du garage. Roulant des lotos de la dimension de ses poings.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Panosse ?

— A peine que tu fusses sorti, j’eusse une vision, Gars. Je te voyais te baisser dans la chignole, et y avait en superposition, un volcan en érection. Ça crachait feu et flammes. Je m’ai mis à te crier casse-couille par la pensée. J’hurlais de la gamberge, est-ce que t’as reçu le message ?

— En express-recommandé, ma Belle Pomme, merci.

Je lui relate.

— Pourquoi qu’elle a voulu t’effacer, cette perdrix ?

— Franchement, je ne crois pas que ce soit spécialement moi qu’elle visait, ni même l’un de nous. Ce qu’elle souhaitait, c’était l’explosion, uniquement l’explosion.

— Y pige pas, avoue le mage.

— Pour donner l’alerte. Un tel badaboum aurait fatalement provoqué la panique dans le village et attiré la police. Elle préfère l’intervention des poulagas plutôt que de demeurer dans nos mains, probable que son sort lui semblerait plus enviable chez les bourres et qu’elle redoute des trucs moches de nous. Seulement, son compagnon ignore son choix, car c’est hors de sa présence qu’elle nous a réclamé ce remède.

On rejoint le gros des troupes.

Je me penche au-dessus de miss Peau-de-Garce et lui virgule un mutin clin d’œil. Des deux mains je mime une explosion.

— Boum ! lui dis-je. Jawohl, Fräulein !

Elle comprend et rougit comme une pivoine sur le point de se faner.

Se dit que sa gaminerie ne fait qu’aggraver son cas.

Je la sermonne d’un doigt menaçant.

— Eggkarte, dites à cette jeune personne que le temps se couvre pour elle et qu’il va y avoir de l’orage dans son futur.

Ayant exprimé, je regarde l’heure.

Le Vieux doit être parvenu à Milsabör présent. J’ai hâte de lui remettre ma capture.

Je fais appeler l’hôtel par Eggkarte. On lui répond que personne n’a pu y descendre cette nuit, vu qu’il est complet. Je fais alors demander si un monsieur aussi chauve qu’une loupe n’attendrait pas au bar. On lui répond qu’effectivement. Bref, au bout d’une minute trente, j’ai Mister Dirluche au bigophone.

— Dites donc, mon petit, on dirait qu’il s’est passé de drôles de choses dans cet hôtel, s’exclame le Vénérable.

— Pas seulement dans l’hôtel, Patron. Je vous raconterai. Vous disposez d’une voiture ?

— Celle de l’ambassadeur, une grosse Mercedes noire avec chauffeur.

— Alors nous vous attendrons ; voici notre adresse.