Espèce de suite au préliminaire mais qui s’emboîte parfaitement bien ; vous allez le voir.

Ce que je viens de vous relater a eu lieu hier, c’est-à-dire il y a bientôt cinq minutes. A présent, comme il faut bien vieillir pour faire une fin, il est minuit passé (et chrétien).

J’arrive dans ma chambre du « Thalerdünbrank-Palace ». A vrai dire, il s’agit d’une suite, car les mecs du Nobel font bien les choses. Un petit salon, une grande chambre (véritable champ de manœuvre pour tringleurs réunis), une salle de bains à peine plus petite que la piscine Molitor, mais plus élégante ; vous mordez le genre de la crèche ? C’est neuf au point qu’on dirait que c’est à vendre et qu’on pisserait presque par la fenêtre pour ne point rompre le papier sanitaire enveloppant les chiches. Comme de bien entendu, cette suite est pourvue d’un réfrigérateur bourré jusqu’à la lampe de choses buvables plus ou moins alcoolisées.

Ma blonde et généreuse compagne entre d’une démarche qu’on pourrait qualifier de délibérée sans se faire reprendre par mon camarade Emile Littré, lexicographe de son état.

Elle se jette dans un fauteuil Knoll, croise ses jambes sur un accoudoir et s’étire.

A la lumière orangée de l’abat-jour, elle est encore plus belle que dans le bar où, du reste, je ne pouvais pratiquement la contempler que de profil.

C’est la souris nordique dans toute son apothéose.

Une espèce d’aurore boréale avec un dargif qui ferait bander un arc de cercle arctique.

En toute grande modestie, je peux vous assurer que c’est la première fois qu’une frangine me talbine pour bavouiller. Vous assistez à une grande première, les gars.

Naturellement, je me propose de lui restituer son artiche après la séance, mais si je disais que ça me picote les roustifs, un truc pareil ! En amour, les stimulants te viennent bizarrement.

C’est pas fatalement les bottes noires et la cravache qui t’embrasent la crémaillère. Suffit parfois d’une magistrale pensée bien aiguë, acuponctueuse.

— Un drink ?

— Volontiers. Vous me mettrez moitié akvavit, moitié crème d’abricot, avec quelques gouttes de citron.

Tandis que je confectionne sa saloperie, une réflexion m’échappe :

— Il est rare qu’une entraîneuse paie pour faire l’amour.

Je regrette mon étourderie. J’ai tort, car elle ne s’émeut pas.

— Je ne suis pas entraîneuse.

— Ah bon ? J’ai cru…

— Je suis la fille du propriétaire de l’hôtel !

— Excusez-moi.

— C’est sans importance. Mon nom est Eggkafte Téquïst. Vous trouvez anormal, vous, qu’on paie pour obtenir ce dont on a envie ?

— C’est-à-dire qu’en France…

Elle hausse les épaules.

— Nous sommes en Suède !

Je lui apporte son verre et lui caresse la joue d’un revers de main.

— Ainsi tu as envie de moi, ma gosse ?

Elle chope le drink, l’écluse en catastrophe, et déclare :

— Pas tellement, mon vieux. Ce dont j’ai envie surtout, c’est de jouir avec un Prix Nobel. Mon dada, depuis la puberté ! J’ai failli m’en offrir un, il y a quatre ans : un Nobel de physique, je crois. Mais c’était un vieux type qu’il a fallu mâchouiller toute la nuit sans résultat. J’espère que vous, vous fonctionnez, non ?

— On va voir.

— Voyons !

Elle a l’air pressée. Voilà qu’elle envoie ses jolies mains pareilles à des zoizeaux dans son dos et qu’elle se met à dégrafer sa robe.

— Stop ! hurlé-je.

Ses bras retombent comme les ailes d’un moulin à vent qu’une fée transformerait en éventail.

— Vous ne voulez plus ?

— Au contraire. Mais nous ne sommes pas dans une ville de garnison, que je sache, ma jolie, et vous avez le temps que je prenne le mien, non ?

Elle essaie de remettre ma phrase dans le sens des aiguilles d’une montre. Pendant qu’elle trémulse des méninges, je biberonne un petit coup de scotch, un dernier, pour dire de me mettre toute velléité de pudeur en hibernation.

L’amour à la Nobel, elle souhaite ?

Bouge pas, mignonne, on va te fignoler ça.

Je pose mon frac et garde mon froc et mon fric. Me faut de la liberté de mouvements dans l’hémisphère nord. Tu crois qu’aux répétitions Karajan porte l’habit, toi ?

Je me plante devant elle, solide sur mes cannes écartées.

— Pourquoi me regardez-vous ? balbutie-t-elle, un rien impressionnée.

— Je mets au point le petit circuit touristique que je vais te pratiquer, môme. Laisse le penseur phosphorer en paix ; de toute manière c’est toi qui toucheras les dividendes, non ?

Elle s’abstient.

Mon regard sagace et salace l’enlace sans qu’elle s’en lasse. Je crois que je vais l’entreprendre par le coup du montreur de marionnettes. C’est généralement très apprécié et je n’ai jamais eu à déplorer la moindre réclamation. C’est une bonne entrée en matière, originale, efficace et extrêmement conditionnante. Bon, O.K. : le montreur de marionnettes. Seulement, il me faut des accessoires. Je cramponne deux fauteuils que je place dossier à dossier. Ensuite je pose un coussin à cheval sur les dossiers. D’un signe peu galant (le côté, allez ! hue !) j’enjoins à Eggkarte de s’amener. Elle souscrit. Je lui dis de s’agenouiller sur l’un des fauteuils. Elle obtempère.

En amour, la docilité, c’est quatre-vingts pour cent du succès. Quand tu tombes sur une objecteuse, une ergoteuse, une chipoteuse, t’as plus qu’à réexpédier Coquette dans ses foyers, vu que ta séance est carbonisée d’office. La galipouille ne souffre pas de discussion. Le mec qui, au fur et à mesure qu’il comporte, est obligé de justifier, voire seulement d’expliquer, voue ses entreprises à l’échec.

Donc, Eggkarte s’agenouille. J’imprime une poussée à ses épaules. Elle s’incline. Je lui préconise de croiser ses bras sur le second fauteuil. Elle consent avec un tout-ce-qu’il-y-a-de-volontiers que tu peux pas t’imaginer. J’ai été gentil de prévoir un coussin, non ? De la sorte, elle ne se meurtrit pas l’estom’ sur les deux dossiers joints. Mais l’exercice ne fait que commencer, méhames messieurs. L’artiste va réaliser devant vous un numéro absolument inédit en Suède. Je sors mon canif de poche, celui qui me sert à tailler mes plumes d’oie (car il faut vivre avec son temps pénurique maintenant). Tu parles que je n’aurais jamais décroché le Nobel si j’avais rédigé à la machine. Je relève sa jupe (j’en ai quine de dire toujours « ses » jupes, comme en 1900) jusqu’à sa taille. Tu verrais ce magistral coup de canif dans le contrat de son slip, ma doué ! D’une habileté diabolique. Je mets au défi le chirurgien le plus adroit, sans trancher un poil ni provoquer la plus petite écorchure, de pouvoir fendre un slip en presque deux, commak, vrzzzzou ! Ça l’impressionne, Eggkarte ! Elle comprend que mon Nobel, je l’ai pas eu à l’assiduité, moi. Alors elle allume ses feux de position, la gredine. Tu la verrais tanguer de l’Arcachon, de l’Aquitain, du Parisien. D’une paire de claques à faire vêler une vache pleine, j’endigue son mouvement dodelineur. Son valseur s’immobilise, mais avec des frissons piaffeurs, espère.

On dirait un fruit mûr dont la peau vient d’éclater. Je sépare les deux bords du slip. T’as déjà vu une mappemonde ? Elle repose sur un pivot, généralement, non ? Alors v’là Eggkarte médiusée. Mais en grande délicatesse. Le côté : « dites dix fois trente-trois. » Tu sais que c’est pas une tellement moche langue le suédois scanien, quand on le parle avec un doigt dans le convertisseur ? Je le trouve presque harmonieux, plein de voyelles colorées.

Eggkarte me crie des choses qui doivent être vachement sélectives. J’aimerais pouvoir lui répondre ; mais tout ce que je sais de suédois, c’est le mot « frimärke », qui signifie timbre-poste, alors va caser ça dans la converse à un moment pareil, espèce de gros malin !

Faut dire que cette fouranche, je la lui procède en vrai diabolique. Vous allez me dire – un doigt dans l’oigne, c’est un doigt dans l’oigne ; y a pas de quoi nous en péter une soupe aux choux ! Eh ben ! détrompez-vous, les gars. Un œuf brouillé, aussi, c’est juste un œuf brouillé, seulement y a rien de plus coton à réussir, tous les cuistots vous le confirmeront. Quand tu vas dans la simplicité extrême, tu ne peux plus compter que sur tes qualités intrinsèches. T’as rien pour t’accrocher aux branches. C’est la minute de vérité, quoi ! Elle ne s’y trompe pas, ma violeuse de Nobel. J’ai la prime à la qualité, d’autor. Elle comprend qu’elle vient de s’octroyer du seigneur d’exception, côté glandulaire, et ne se tient plus de joie. Après le médius oigneur, je l’engage à placer ses ravissants genoux sur chacun des accoudoirs. Ensuite de quoi, je prends place dans le fauteuil, sous cette arche merveilleuse, et j’entonne une tyrolienne à basse fréquence qui lui fait l’effet d’un Te Deum sous-cutané.

Elle ne cause plus : elle crie. Ça me rappelle le chant des bergers grecs de l’île de Klytos. Je renforce mon hymne à la vie. Un vrai délire ! Au plus fort, j’y mets les mains. Je joue d’Eggkarte comme d’un luth. C’est forcené ce qui se passe. Elle fait la chandelle romaine. Je suis obligé de la suivre des lèvres, pour pas la désemboucher. Un travail de voltige s’ensuit. Je l’ensuis féalement. Je l’enreste, même !

Elle aboie. A moins que voua voua signifie quelque chose dans la branche nordique de l’indo-européen. Si quelqu’un, parmi vous autres, jacte suédois, j’aimerais qu’il m’affranchisse. Toujours ce doute, ça t’exténue l’esprit, à force !

Le drame, c’est que mes cervicales faiblissent. La menteuse continue de caracoler, mais je biche le torticolis, moi. Quand t’assistes à un métinge aérien, au bout d’un certain temps, t’as envie de chercher des champignons, non ? Faut que je prenne d’autres mesures consécutives, sinon je vais avoir la nuque en guimauve. Je me dégage.

Et alors, qu’aperçois-ge 1 assis sur sa valise, dans l’encadrement du salon ?

Tu vas pas me croire. Attends, je te le dirai plus tard.

Pour l’heure (et pour l’heur d’Eggkarte) faut que je poursuive ma tâche – de salubrité publique. La lapée des profondeurs (comme disait Aldous Huxley) tolère pas les temps morts. Elle réclame ! Faut y aller. A ce stade de la combustion, tu peux pas laisser quimper. Ce serait sacrilège, et ça porterait atteinte à son sensoriel. Nocif tout plein.

Je fais signe à la personne assise sur la valoche de patienter. En fait, elle ne paraît pas contrainte le moins du monde. D’un geste aimable, elle m’invite à poursuivre ma brillante démonstration. Je profite de la permission pour m’agenouiller là où j’étais assis. Je lui fais le coup de l’artillerie tractée, à la môme Téquïst. Tu jonctionnes les deux attelages et c’est la partie de toutous. Un effort magistral. On s’escrime si tellement qu’on bascule de nos fauteuils. Le reste vire à l’indescriptible. Je vais tenter cependant. Nous voilà sur la moquette sans rupture des transmissions. On n’a pas déjanté. L’essieu principal a tenu bon. Pourtant c’est des coups à te faire sauter la durite, tu conviendras ? On calbute de plus chef, de rebelle, de plus belle, de rechef ! Elle marche en lonchant, Ninette. Une vraie majorette de la baisanche ! En marchant, tu juges ? Tu juches ? A quatre pattes, elle avance. Et mécolle-pâte qui lui trottine aux noix, sur les genoux. Hue cocotte ! Pas que je me laisse distancer de plus de vingt centimètres, qu’autrement sinon le contact est rompu. Je me demande vers quel itinéraire elle cavale, la fougueuse ? Ça y est, j’ai pigé : droit à la personne en attente sur la valise. Pas intimidée, pas même surprise. Une présence étrangère ne l’importune pas, mieux : on dirait que ça la stimule, cette gueuse blonde. On franchit les trois mètres qui nous séparent. La personne en question, masculine de sexe et de vocation, se dégrafe avant l’arrivée d’Eggkarte. Si bien qu’elle chope le relais dans la foulée, ma caracoleuse. La jonction est opérée ! Ah ! si tous les gars du monde voulaient se brandir la queue ! Telle que la voilà bi-branchée, la Suédoise, elle va être presque étanche, pour peu qu’on lui pince le nez.

J’interromps la description.

Le reste ne serait que littérature pornographique, ce à quoi je me refuse énergiquement, malgré les ponts d’or qui me sont proposés.

Bref, on parvient tous les trois à destination.

Dans le désordre. L’homme à la valise fait premier et il y a photo pour la seconde place entre Eggkarte et moi.

On est un peu essoufflés.

Assis sur le sol, on reprend haleine en se défrimant. Puis on éclate d’un beau rire franc et loyal de garnements venant de remplacer les pilules de leur grande sœur par des pastilles Valda.

Alors, s’étant remisé le braczif dans la soute à bagages, Bérurier se lève, s’incline devant Eggkarte et me dit, d’une voix cérémonieuse :

— Si tu voudrais bien me présenter Mademoiselle que je pusse y faire un doigt de cour…

Eggkarte nous a quittés si rapidement que je n’ai pas songé à lui rendre sa fraîche. Ce sera pour demain.

Je mate les gestes positifs de mon Béru. Planté devant le réfrigérateur, il hume des bouteilles avec la componction de coordination d’un distillateur de parfums. Hochant la tête, il porte un goulot à ses lèvres, goûte, grimace, passe au flacon suivant.

— C’est rudement chic à toi d’être venu à Stockholm pour mon Prix, lui dis-je. Dommage que tu sois arrivé trop tard pour assister à la cérémonie. Le roi a été très bien.

Bérurier lampe une giclée de tord-tripes et, hoche la tête. Il me déclare qu       2 ce qui m’étonne de sa part, non pas tant à cause de ses opinions qu’à cause de ses mœurs.

— J’ sus t’ici sur l’ordre du Vieux, affirme le cher compagnon d’épopée. Il a un petit turbin pour nous, en Suède. Tiens, v’là une bafouille qu’il t’a écrite personnellement de sa propre main sur la machine de son bureau.

Le Confondant explore ses vagues en sacrant comme mille charretiers qui joueraient Ben Hur un jour de verglas.

Il finit par en extraire une enveloppe grise, plus froissée que du faf à train après usage et plus souillée également.

N’ayant pas de pincettes, je l’empare par un coin, l’éventre avec mon canif à slip, et retire une feuille de papier pelure déguisée en ordre de mission.

Mon cher Glorieux,

Puisque vous êtes en Suède, restez-y. Et tâchez de me retrouver un certain Borg Borïgm, criminel en fuite qui a faussé compagnie à ses juges en juin 1967. Je pense que vous trouverez sur place tous renseignements à propos du personnage. Si par bonheur vous lui mettez la main dessus, avisez-m’en, non seulement en priorité, mais aussi en toute EXCLUSIVITE. Je compte sur vous. Encore bravo pour ce Prix mérité. Vôtre attentif.

Mon attentif !

Il a des formules bien à lui, Pépère. Mon attentif, on hume de la fumée de menace dans ce terme…

Cela dit, le boulot qu’il me confie me sidère bien davantage. T’as remarqué que ça n’arrive qu’à moi, ces machins-là ? Enfin, je te fais juge, bien que tu ne sois pas assermenté.

Ni assez remonté.

Je me pointe à Stockholm pour percevoir mon Nobel, comme un grand garçon sage. J’enfouille le carbure. Je remercie Sa Majesté Pilaf III Adolphe. Quand v’là un membre du jury qui m’ happe et m’entraîne chez lui. Me bouffe de la merde au nez et me supplie de retrouver un assassin sadique en fuite. Agacé, je l’expédie chez Plumeau. Je rentre à mon hôtel où je dégauchis une friponne de pucier pour ma petite toilette de noye ; quand brusquement v’là que se pointe le Gros, porteur d’un mot du Vieux…

Ecoute, on croit rêver, je te garantis.

Moi, il commence à me passionner, ce Borg Borïgm. En quoi ce violeur et strangulateur de jouvencelles peut bien intéresser simultanément un riche personnage du Royaume, grand amateur de merde en pot (de Suède) et le Big Boss de la Rousse franchecaille ?

Survoltant, hein ?

Aussi n’y tiens-je pas une minute de mieux et décroché-je mon bigne pour tuber au Vioque, malgré l’heure tardive.

— Dis donc, on se caille les abats dans ce bled, déclare le Monumental en éternuant cent centimètres cubes de déchets variés, cette carne de Berthe a pas voulu que je misse mon Rasurel, soi-disant que j’allais étouffer dans l’aurore boréale ! Conclusion, j’ai le râtelier qui joue des castagnettes.

Il se rassérène en évoquant l’instant d’exception que nous venons de connaître.

— En tout cas, les Suédoises sont bien dans le ton de leur réputation : des allumeuses ! Mais qui t’éteignent. T’as vu la classe de ta souris quand elle m’a soufflé la chandelle ? Dedieu de Dieu, tu parles d’une raboteuse d’aubergine ! Elle te me manœuvrait l’étouffe-chrétien comme je croyais pas possible ! Sa double action anticalcaire, je m’en rappellerai. Charogne, elle te gloutonne l’enzyme à la pure perfection. S’il existerait un prix Nos Belles d’écrémeuse, on peut l’ lui voter à braques levés ! Elle devrait donner des cours, cette affûteuse de chibroques. C’ serait un service à rendre aux jeunes filles qu’arrivent au mariage inexpérimentées. D’accord, elles rechignent pas du prose, les jeunesses actuelles et elles couchaillent de droite et gauche, mais avec qui, tu peux m’informer, mec ? Av’c des petits bavouilleurs à la con qui tringlotent comme une raiebite 3.

« On créerait une Fac d’Amour, avec des enseigneuses comme ta souris, ce serait une bénédiction pour la paix des ménages. Tu crois que le jules à qui on joue des solos de clarinette pareils, il a envie de chercher du cheptel ailleurs, toi ? Pas si nave ! Des calumets de ce tonnage, on les garde pour soi. Si j’ te disais que j’ai les cannes qui flahutent. Et pourtant, y’a pas un gus qui surmonte une pipanche aussi vite que mézigue. A tel point que pour moi, généralement, une petite taille express, ça m’ met plutôt en appétit. J’y considère comme un amuse-gueule. Le pianisse qui s’offre une gamme avant d’attaquer dans le gras. Mais ce dont elle vient de me pratiquer, parole, c’est carrément la croisière grand large…

Il célébrerait encore le culte d’Eggkarte Tequïst, si ma communication avec Paris n’était établie à cet instant. La voix maussade du Vieux retentit. En fond sonore je perçois de la musique de danse. Doit y avoir fiesta à son hôtel particulier. Je me rends brusquement compte que mes préoccupations ne sont pas les siennes.

On pense jamais assez à son correspondant quand on tube à un gazier, surtout à des heures peu protocolaires. Egoïstement, on se le figure disponible, en quasi-attente de vous ; prêt à vous accueillir à pleines trompes d’Eustache. Tu parles !

— Qu’est-ce que c’est ? jette-t-il rudement.

— Ici San-Antonio, monsieur le directeur. J’espère que je ne vous importune pas trop ?

Son silence me glace la moelle ; un type qui ne répond pas à une question pareille, qui n’a pas la réaction banale, spontanée, de politesse, tu peux être certain que tes actions auprès de lui font du rase-mottes.

Je prends une goulée d’air climatisé et je repars.

— C’est à propos de votre ordre de mission que m’a remis Bérurier.

— Eh bien ?

— Figurez-vous que ce soir même…

Je lui bonnis l’histoire Maeleström, sans mentionner toutefois la particularité gastronomique du monsieur. Lorsque j’ai terminé, le Dirluche ne moufte pas. C’est tellement silencieux dans le combiné, que je m’y crois seulâbre.

— Allô ! Allô !

— Oui ? fait sa voix plus nordique que toute la Scandinavie.

— Que pensez-vous de ce hasard, monsieur le directeur ?

— Que deux personnes au moins ont envie de retrouver Borg Borïgm, mon vieux. C’est tout ?

Je bredouille un début de quelque chose qui peut passer soit pour une phrase en camerounais ancien, soit pour un gargarisme au citron chaud.

Le Dabe en profite pour me répondre « Bonsoir » et raccrocher.

J’en fais autant de mon côté.

Avoir le prix Nobel et se faire traiter comme un malpropre, t’admettras qu’il y a de quoi foutre sa démission, non ?

Bérurier qui vide son énième (au moins) scotch, murmure :

— Il doit être en panne de mazout, Pépère, ces temps-ci. Y a pas plus teigneux que lui.