Ma mission est remplie jusqu’à ras bord, mais provoque la surprise de ma vie.

Les villes de froidures, de plus en plus, leur tendance c’est de se terrer, l’hiver. Des marmottes ! L’hibernation gagne. Je vois Montréal, par exemple, dont le centre désormais est souterrain ; climatisé. Tu baguenaudes de terrier en terrier, à faire du lèche-vitrine, ton pardingue sur le bras, sans te soucier de la maison Fahrenheit. Chouette, non ? Ben, à Stockholm, ça vient aussi, mon pote. Je sais un coin, tu déboules avec ta tire dans un vaste parkinge sous terre, et tu peux déambuler, en polo si ça te chante, dans un complexe commercial.

Nous deux, Eggkarte et moi, on pénètre dans le garde-tires par le coin boutiques. Y a de la musique pope, mieux qu’à Athènes, des lumières déliquescentes, de la foule surchoix truffée de belles filles haut-bottées. Le Chat Botté ? Tiens, fume !

Au parkinge, tout est automatique. Tu glisses ta fiche dans un ordinateur. Un cadran t’annonce la somme à douiller. T’enfiles ta morniflette dans la tirelire et une rondelle te déboule qui te permettra l’ouverture du portillon quand tu déhoteras avec ta Volvo. Suppression de main-d’œuvre, comme un peu partout, sauf dans le tiers monde où la vie ressemble encore à quelque chose, de même que la cuisine de pauvre est la dernière qui reste valable car elle nécessite davantage de temps que de produits rares.

Ainsi, pour tout le parkinge, si tu veux savoir, y a qu’un seul et unique préposé. Et ce préposé, c’est une préposée, alors tu vois.

Son rôle ? Faire de la mornifle aux gens qui en manquent.

Installée dans un box vitré, très élégante dans son uniforme jaune vif d’hôtesse, la môme lit « Play-boy » en écoutant les vociférations de son transistor. Je carillonne à son guichet.

Qu’elle ouvre d’un geste automatique. Déjà sa main s’avance vers un casier où des pièces sont alignées dans des gorges calibrées.

— Non, non, je fais. Je voudrais seulement savoir ce qui se passe lorsqu’on a perdu son ticket de parking, jolie miss ?

Elle me regarde avant de me répondre.

Me trouve avenant et me le certifie d’un sourire qui me produit l’effet d’une plume de paon lentement promenée sur la partie inférieure de mes burnes par une hawaïenne de dix-sept ans parfumée à l’orchidée pourpre.

— C’est le jour, répond-elle.

Ce qui, comme de bien tu penses, me tracaorte le grommeleur.

— Ah, vraiment ? fais-je.

— Une vieille dame sort d’ici, il lui était arrivé la même mésaventure. C’est très simple, vous me conduisez à votre voiture et vous me montrez les papiers de l’auto. Je vous donne alors un disque de sortie dont le prix correspond à la journée complète.

Musique céleste, divine, suave. Goût suave de Synge. God save the singe. C’est beau, fascinant comme une crotte de nez qu’on roule et pétrit, et modèle infiniment.

Je l’aime. Je voudrais goûter sa langue. Lui donner la mienne. La sanctifier. La fructifier, l’empétarder dans son uniforme cossu. Lui mettre en vers le carré de l’hypoténuse. En vers et en contre tout. En tout bien tout tonneur. Je voudrais tonner, l’étonner, l’éternuer. La lécher, tiens ; en commençant par l’artichaut.

Je la remercie. L’assure de sa beauté, de mes sentiments gros comme ça avec du poil autour. Je lui chante la marche lorraine. La sacre gaulliste honoris caudal. Lui promets mon zémerveil pour très vite ; par-devant, par-derrière, partout où y a de la place pour lui. Je l’ennoblis. Jure que je la ferai entrer à l’Uhénère. Par la grande porte ! Elle prendra des bains de champagne, de lait d’ânesse, de foule ; tiens, que c’est si bon pour l’appeau, tous les présidents te le diront.

Et puis, tout de même, comme on est pas là pour se faire cuire des moules ni éplucher des salsifis, je me renseigne sur « la dame ».

Il a enfin eu son grain de sable, Borg Borïgm.

Le ticket de parking dans la soutane. Une babiole. Du banal. T’oserais même pas imprimer ça dans un baveux de faits divers. Et pourtant…

Le rouage du destin. Son signe. Son cygne.

Je te passe sur l’étonnement de miss Parking devant mes questions. Sur l’intervention d’Eggkarte. Sur ma carte de police. San-Antonio ! Prix Nobel ! Elle veut un autographe. J’y donne. Elle me dit qu’elle a lu toute mon œuvre traduite en scandinavet : « Les Trois Moustiquaires », « Notre-Dame de Parisis », « La Trame aux Camélias », « La Peau de Chalgrin », « Les Confusions d’un Enfant du Siècle », « Le Voyage au Bout de l’Ennui », tout, je te dis. Elle humecte d’en causer. Elle me félicite de séjourner en Suède.

Habituellement ces vaches de lauréats, ils décambutent comme des lavements, à peine que primés. Par ici la fraîche et le gentil diplôme ! Coudes aux corps sur l’aéroport pour les Scandinavion-airline. Y en a même qui viennent pas eux-mêmes, qu’envoient leur concierge chercher le prix, comme Michel Audiard, par exemple, ce malappris qui s’est fait excuser afin de ne pas avoir à serrer la main du roi Pilaf sous prétexte qu’il est inscrit au Parti Communiste (pas Audiard : le roi). Que ça m’en fait honte pour la France, des manières pareilles. Et tiens, encore : Sergent Chreiber, son Nobel de la paix qu’il a endossé à l’ordre du Canuet. Tu trouves que ce sont des procédés, toi ?

Enfin, brèfle, l’essentiel est que la parkingeuse (son frère a la maladie de parking’son) puisse m’affranchir dûment et pour pas trop cher à propos de « la vieille ».

L’auto, son numéro finit par 69, elle se rappelle très bien, et elle est immatriculée dans la province de Milsaböor, au nord-ouest du pays, non loin du lac Kéköneri. Le nom de la dame ? Elle l’ignore, car celui qui était porté sur la carte grise appartenait à un monsieur, quèquechose dans le style Stönéschaarden. Prénom Frédérik. Bon, je note le tout. V’là qu’est précieux… Dis donc, l’aminche, comment que je sus en train de l’introduire à la police suédiche, pardon ! J’avance à pas de géant, moi.

Des années qu’ils étaient sur cette piste évanouie, les archers à Pilaf III. Et pis v’là le Sana qui se la radine et dans les pas longtemps, le personnage est redressé. Une vieille damuche. Province de Milsabör. L’auto au nom de Frédérik Stöneschaarden. Merci, miss Parkinge ! Merci très beaucoup. Vous êtes un ange descendu aux enfers.

Figure-toi qu’elle chuchote en pouffant un truc à Eggkarte.

— Que dit cette douce enfant ?

— Qu’elle aimerait bien vous embrasser, répond ma copine (de zèbre).

Elle trouve cette requête poilante, la môme Tequïst. Ici, on a des mœurs très extrêmement libres. L’esprit large, le reste aussi. La bouillave fait partie de la vie. Tu brosses comme tu bouffes un sandwich : sans te gêner. Au vu et à la suce-me-le de tout le monde.

J’ouvre d’autorité la porte vitrée et me penche sur la gosse.

Cette pelle, Mistounette !

La pelle de Stockholm que parlait l’Huma, jadis. Elle a une menteuse de caméléon, la parking-girl. Dont l’extrémité me chatouille la luette. Ah ! luette, ah ! luette, je te plumerai ! Elle me la plume tant que pour un peu, j’irais au refile dans son corsage. Nez en moins, ça me produit l’effet court-circuiteur que tu devines. V’là que je la soulève de son siège. Retrousse sa jupe d’uniforme. Elle a eu raison de pas mettre de culotte, c’est un gain de temps appréciable par l’étang qui court.

Sa guitoune est exiguë.

Que m’importe. On se fait le petit train polisson, très gentiment ; elle, accoudée sur son comptoir et agenouillée sur sa chaise placée en biais. Moi derrière, jouant à hue cocotte. Un touriste japonais se pointe pour toquer à la mornifle. Nous voyant en si belle posture, il braque darddard son Nikon comme la lune. C’est leur façon de baiser, aux Japs. Clic, clac ! Ils butinent l’univers à coups de zoom. La prise de Berg op zoom ! S’en tartinent des kilomètres de pellicule. Selon toi, qu’est-ce qu’ils en foutent de toutes ces photos, ces petits jaunes gens ? Doivent en avoir des pleines caisses dans leur villa de cambrousse en papier chiotte, tu ne penses pas ?

Ça leur sert à quoi ? C’est comme quand ils s’entre-flashent. En groupe. Ils font comment pour se repérer, ensuite, puisqu’ils se ressemblent tous ? P’t-être qu’ils se numérotent, non ? Le 14 c’est Yamamoto Kéodépo, le 7 c’est ma belle-mère, et le 19, c’est pas Yamavési Kadélansé, mais le boxer du restaurant…

Le Japounoche nous consacre une bobine de 36 poses, comme il se doit. Après quoi, ma partenaire lui fait la monnaie sans cesser de faire l’amour.

Eggkarte en profite pour téléphoner à l’hôtel, à ma demande expresse. Ordre au mage Nostrabérus de remballer son matériel de devin et de préparer nos valises.

On va mettre le cap sur Milsaböor.

Un cap de bonne espérance !

Au fil des kilomètres, l’hiver se fait plus blanc, plus épais, plus froid.

On aperçoit dans la campagne des attelages de caribous tirant des traîneaux fantômes.

Le silence est impressionnant. Quand on s’arrête pour licebroquer, on est aussitôt rivé au sol neigeux par un rayon de glace ambrée. Tellement qu’il est recommandé de s’envelopper Coquette dans une moufle de fourrure pour pas qu’elle casse.

On roule depuis des heures sous un ciel gris, immuable. Il ne fait ni jour ni nuit. C’est un crépuscule interminable. Des corbeaux passent au ras des arbres.

S’éloignent.

— C’est beau, la Suède, soupiré-je en contemplant l’immensité quasi désertique.

Les maisons sont rares, mais superbes. Parfois, on longe un lac gelé, horriblement romantique.

— J’y reproche qu’une chose, grommelle le Mastar, depuis la banquette arrière, c’est de pas être située en Côte-d’Ivoire. Tu la verrais sous le soleil, ç’aurait une aut’ gueule.

Un panneau indicateur nous annonce soudain que la ville de Milsabör se trouve à trente kilomètres.

Milsabör est une petite ville pimpante, vernissée, colorée, décorée. Y a des arcs de lumière dans la rue principale. Les maisons sont peintes en rouge, ou en bleu ; leurs baies vitrées à double épaisseur laissent pénétrer vos regards dans des intérieurs douillets. Les enseignes des magasins sont autant de tableaux naïfs. Des rennes halent des traîneaux (car ici c’est pas le soleil qui risquerait de les hâler !) garnis de sonnailles. Un conte de Noël.

Nous descendons au Thalerdünbrank du pays. Il fait partie de la même chaîne que l’établissement dirigé par le père d’Eggkarte. Il est plus modeste que son homologue de Stockholm, mais plus gai, et possède un petit côté pension de famille. Il sent bon la cire, le feu de bois et le haddock.

Nous sommes accueillis par une grosse dame, haute de deux mètres, qui pourrait remplacer la statue de la Liberté au bras levé, un jour que cette dernière choperait une crampe.

Son sourire affable précède une mauvaise nouvelle. Elle « est complète ». Impossible de trouver une chambre dans Milsabör en ce moment, car s’y tient la foire aux allumettes.

Eggkarte se présente. La grosse géante éplore, pour le coup. Dans l’hostellerie, c’est comme dans la triperie de luxe : on se tient les couilledes.

— Ecoutez, fait-elle, il ne sera pas dit que je laisserai la fille d’un confrère et ses amis dehors ; si vous le voulez, nous mettrons des matelas dans ma chambre ?

Ça nous en chaut pas des plus ; mais qu’est-ce que tu fais contre mauvaise fortune, toi, l’ahuri ?

Hein ? Eh ben nous aussi, que veux-tu.

Nous acceptons donc et remercions.

— Il n’y a qu’un ennui, soupire Bérurier, c’est que votre mari est malade, hein ?

Ah oui, parce que j’oubliais de te dire que, pour la commodité de l’histoire, la dame cause mieux français que toi et presque aussi bien que moi.

Elle écarquille ses vasistas bleu azur.

— Comment le savez-vous ? glapit la géante.

Et puis son front se met à faire des plis, comme les champs beaucerons en automne.

— Seigneur Dieu ! mais je vous reconnais ! Vous êtes le fameux mage Nostrabérus, dont les journaux ont tant parlé ?

— Sifflet, sifflet, ma bonne dame, répond monseigneur Béruchol. A propos de vot’ julot, va falloir vous faire une raison : il est rincé côté calbute. Pour ce qui est du zigouigoui dans la volière, vaut mieux que vous achetassiez des bananes pas mûres. Il est diabétique au point qu’un tonneau de miel est moins sucré que lui. Vous pouvez le faire inscrire chez les rectifiés de la membrane ; même en lui plâtrant le zobinard, plus jamais y’ s’ tiendra droit. Ce sidi, sa maladie d’en ce moment n’est pas grave : une génuflexion de poitrine, ma poule. Vous y filez quèques cataplasses bien moutardés, et y pourra reprendre son turbin à la lingerie. Car c’est lui qui s’occupe de laver et de repasser le linge, pas vrai ? Ç’a toujours été un lavedu dans son genre ? Le gus qui vide les poubelles et racle la merdouille des draps, non ? Je le vois d’ici, avec sa barbiche et ses lorgnons. Y voulait faire professeur quand il vous a rencontrée ? Et puis vous lui avez démantelé le perchoir à perroquet de telle sorte qu’il est devenu vot’ val’ton, ce melon ! Y s’en tire en lisant des bouquins aux chiottes, seulement vous te lui faites la guerre, ma gredine. Faut pas ! Ce nanar, je vais vous dire, il a bon fond. C’t un timide. Son drame, ç’a été de penser et de triquer mou. On vit les poques des bandeurs, ma pauvre. C’est le gus qu’affirme de l’idée et de la couette qui s’impose de nos jours d’aujord’hui. Un mec te fait une objectance, tu cries « Ta gueule » et du déballes ton tringlard. Faut qu’ ce dernier soye bien vigoureux, menaçant, pour ainsi dire… Du chibre surchoix, avec ses belles veines bleues et son champignon anatomique. Alors, là, pour le coup, tu t’imposes dans l’irréfutable. Le rouscailleur cesse de rouscailler. La recette : un big paf ! Et puis « Ta gueule ». T’obéis à un beau membre, c’est l’atavisme.

La dame hôtelière l’écoute discourir, pâmée.

Il la fascine, Béru.

Il est arrivé dans ce nord pays tel un messager de l’au-delà, avec le Savoir.

Elle lui propose une main capable de dissimuler une omelette de douze œufs.

Le Dodu contemple l’immense dextre.

— Si c’est pour la Croix-Rouge, j’ai déjà donné à Noël, dit-il.

Mais la grande gueuse trépigne.

— Mon avenir ! Mon avenir ! Dites-moi mon avenir !

Alors, Alexandre-Benoît se penche sur cette paluche grande comme la Sibérie, y vagabonde, s’y égare, revient sur ses pas, l’air dubitatif.

— L’avenir, ma colombe ? Je vais vous dire : vous allez foncer dans votre cuisine pour nous mitonner un cuissot de renne grand veneur avec de la purée pomme-fruit. Ensuite vous descendrez à vot’ cave histoire d’y rafler quelques boutanches de pichetegorne. Du rouge ! Français, naturellement. Dans la soirée, vous administrerez un solide calmant à vot’ vieux pour qu’il s’endormisse presto. Afteur, vous mettrez des bas noirs et vous attendrez dans les pénombres la venue d’un beau mâle, solidement chibré et estrêment bien sous tous les rapports, y compris sexuels. Pour peu que vous eussiez pas pleuré le poivre dans le gigot, vous risquez de connaît’ la séance de vot’ vie, vu que les baleines c’est comme qui dirait mon violon d’Inde. Y fais l’amour au poids, moi. M’faut de la marchandise pour m’attiser la fougue. Au plus y en a, au plus ça reluit dans le landerneau. Maintenant, pour ce qu’est du futur plus futuriste, prière de vous reporter à vot’ quotidien habituel demain matin. Rompez !

Eggkarte pointe un doigt triomphant sur une page de l’annuaire téléphonique.

Je me penche, le cœur en fête, sachant déjà ce que je vais trouver sous le minuscule pétale de rose qu’est l’ongle carminé de ma belle souris.

« Stönéschaarden Frédérik ».

Suivent quelques mots qu’elle se fait un plaisir de me traduire :

« Importation. 18, rue Vidgög. Téléphone 465-11 ».

C’est ici que les San-Athéniens s’atteignirent.

Déjà ! Si vite ! Si simplement…

Note, quand je dis « simplement », qu’il a tout de même fallu que Bérurier se fasse devin pendant plusieurs jours et que Maeleström meure pour que je lève cette piste.

Chère miss Parking, dont la mémoire est aussi active que les fesses. Je lui lance à travers l’espace enneigé une escadrille de pensées reconnaissantes.

— Alors ? demande Eggkarte, très surexcitée.

Tu peux pas savoir l’effet que ça produit sur le système nerveux, une prompte réussite. Un vrai safari ! Tu es là, embusqué depuis des jours dans la brousse. T’espères plus rien. Et puis soudain, au détour de la piste, l’éléphant se présente, bien de face, s’immobilise, met sa trompe de côté pour pas gêner ton tir. Te cligne son petit œil, comme pour t’inviter à la défouraillade. T’as l’index qui paralyse sur la détente. Le raisin te bouillonne dans la raison. C’est trop beau, trop incroyable. Le gros lot ! Boum, à toi ! A toi tout seul : billet entier. Pour lors, t’as presque plus envie de le plomber, le mammouth. T’es payé de tes espoirs. Accomplir le dernier geste est superflu. Tu le fais tout de même, à cause des autres. Manière de ramener des preuves tangibles. Par souci de l’étape. Trophées ! Trophées ! Uniquement. Défense d’y voir. La grosse papatte pour en faire un porte-parapluies. T’auras qu’à me prendre le crâne quand je serai naze, pour t’en faire une boîte à dragées. L’art d’accommoder les restes. Pauvres z’éléphants ! Porte-parapluies ! Et leurs nobles ratiches ! Bateau chinois. Sampang. Coolies d’automate. Pauv’ z’éléphants, voyageurs lents et rudes que cause l’aut’ symboliste de mes deux. Pauv’ z’éléphants…

Elle répète :

— Alors ?

Eh ben alors, moi, j’sais plus. Enfin pas d’emblée. Il me faut du temps de réflexion. Gaffe aux fausses manœuvres, mon z’ ami. Achtung !

— On va repérer le coin, dis-je évasivement.

Béru se pointe de la cave, en compagnie de la géante. Cette dernière a des toiles d’araignée dans le dos. Le Gros me virgule une œillade lubrique et brandit quatre flacons estimables, puisque deux proviennent de Saint-Émilion et deux de Pommard.

— Voilà, voilà : le plan hors sec est en place, me dit-il.

— Il va en ce cas falloir penser au nôtre. Toi qui lis dans l’avenir, tu n’as pas idée de ce qui va se passer ?

Il ferme les yeux…

Hoche la tête, rigole.

— Quoi donc, mon père ?

— Tu sais ce que je vois ?

— Accouche !

— La mère Caty (elle s’appelle Caty) prisonnière d’un bloc de plastique, tu sais, comme ces machins qu’on se sert de presse-papier et dans lesquels y a des insectes ou un objet ?

— Faudrait un tout grand bloc !

— Tu parles !

Je lui dis qu’on a retrouvé le propriétaire de l’auto dont s’est servi Borg Borïgm.

— Alors on tient le bon bout, lapalisse-t-il. Faut aller emballer le client d’urgence.

— Pour en faire quoi, gros malin ?

— Ben…

Ma question le dépourve. Il renifle les poils de son nez en me regardant de son air le plus glandeux.

— Le vioque a dit qu’une fois qu’on l’aurait retrouvé, il faudrait le prévenir. Pas d’autres instructions. Donc, nous devons nous assurer de la présence de Borg ici et alerter le Dirlo.

— Donc, oui, convient le cher homme.

Tout est question de prétextes, dans l’existence.

Faut toujours en trouver de crédibles, n’importe s’ils sont vrais. La vérité, c’est ce que croient les autres et non ce qui est réellement. Une grande partie de notre civilisation est bâtie sur des mensonges admis.

Apercevant un carnet de billets de loterie, sur le comptoir de l’hôtel, je l’emprunte à la mère Caty (qui n’a rien à nous refuser) et nous v’là partis pour la rue Vidgög à travers les neigures.

On stoppe la bagnole à quelques encablures du 18. Bérurier reste à l’arrière pendant qu’Eggkarte et moi allons sonner au 16.

La rue Vidgög est une voie tranquille, cossue, aux maisons confortables.

Une grosse bonniche de cinquante ans vient nous ouvrir. Elle a le teint rouge vermillon, de grands yeux fixes de poupée. Nous lui proposons des billets pour la loterie. Du moins, c’est Eggkarte qui les lui offre. L’autre tourte pas cuite secoue la tête en silence, sans cesser de nous regarder. Elle attend qu’on gerbe. Comme on n’en a rien à branler, on lui dit bonsoir et on traverse la rue pour aller carillonner au 15. Là, on a affaire à une jolie jeune femme pleine de gosses blonds, elle en a même un en chantier. Contente de la vie et de sa progéniture, la pondeuse nous achète le numéro 18914, tirage après-demain, gros lot : une Volvo familiale justement.

Après quoi, on re-traverse pour carillonner au 16. J’ sais pas si c’est une idée que je me fais, mais cette maison est plus rupine encore que les autres. Un instant passe. On voit se soulever un coin de rideau à une fenêtre. Le rideau retombe et la lourde s’ouvre sur un type d’une quarantaine d’années, très soigné, dans les blond cendré, portant des lunettes à monture d’écaille authentique.

Je lui virgule un gracieux god afton, manière de lui laisser entendre que je jacte couramment le suédois, et Eggkarte se grouille de dire le reste.

Le gars nous mate d’un regard incisif, louche sur notre carnet à souches, puis décide qu’il se débarrassera plus rapidement de nous en nous achetant un billet. A la cantonade il appelle sa mère. Maman, dans le monde entier, du nord au sud et de gauche à droite, tu remarqueras que c’est la même consonance. Ça fait mmm… mmm avec du folklore autour. Se pointe alors une vieille dame, en qui je reconnais formellement Borg Borïgm, biscotte la particularité nasale et le zinzin à l’oreille. Mais il est stupéfiamment vieille dame. Je te fous mon billet (de loterie) que pas un quiconque, dans la rue ou ailleurs, ne serait à même de penser qu’il s’agit d’un julot travesti. L’assurance du personnage est telle qu’il se présente délibérément. Je « la » regarde prendre un sac à main de douairière sur une console, y puiser de l’argent qu’elle tend à son « grand garçon ».

Notre billet encaissé, on prend congé. Eggkarte avec force paroles et moi force courbettes pour remplacer les paroles.

Manière de ne pas donner l’éveil, on continue de prospecter la rue.

— Eh bien, qu’en pensez-vous ? me demande ma camarade.

— Il y a erreur, assuré-je hypocritement.

Tu sais pourquoi ? Parce que le Vieux souhaite l’exclusivité rigoureuse et qu’il faut absolument éviter le moindre risque que la rouscaille suédoise soit affranchie.

Au bout de la rue Vidgög, l’est un magasin de fourrures où l’on vend la peau de l’ours après l’avoir tué. Il est géré par un gros monsieur qui a l’accent de la rue des Rosiers (de Mme Hussein). Je prie Eggkarte de lui demander des affranchissements sur le dénommé Frédérik Stöneschaarden à toutes fins utiles. Le fourreur dit que ces gens-là sont arrivés dans le quartier voici quatre ans et qu’ils y mènent une vie discrète, ne recevant personne et fréquentant beaucoup le temple.

Satisfait de bas en haut, y compris au niveau équatorial, nous rejoignons, la bagnole d’abord, dans laquelle pionce Pilate, l’hôtel ensuite où un dîner très convenable et Mme Caty nous attendent.

Elle mange en notre compagnie. Le picrate coule à flots. Béru chante Les Matelassiers en tenant notre hôtesse par le cou. Profitant de l’euphorie, je m’esbigne sans mot dire et file dans le bureau agaçant pour appeler Paris. Quand tu penses que depuis un bled perdu comme Milsabör tu peux faire Paris au cadran, tu reprends confiance en l’homme, non ?

— Allô ! c’est vous, monsieur le directeur ?

A ma voix, il sent que j’ai du positif et devient tout frémoussant de la crapote, le Dabe.

— Mais, c’est notre Nobel ! il module.

— Je suis parvenu à nos fins, monsieur le directeur. Notre ami est à quelques centaines de mètres de moi. C’est une charmante vieille dame qui vit paisiblement dans une maison cossue en compagnie de son grand fils.

— A Stockholm ?

— Non, beaucoup plus au nord, à Milsabör. Nous sommes au Thalerdünbrank Hotel du pays, en plein bivouac.

Il jubile.

— Parfait, très bien, très très bien, San-Antonio. Si rapidement… En quelques jours, alors que nos petits camarades scandinaves… Bravo !

— J’attends la suite de vos instructions, monsieur le directeur, léché-je, d’une langue veloutée.

Il se racle.

— Essayez de louer une maison discrète dans un coin isolé, vous me comprenez ?

— Parfaitement. Vous souhaitez que j’y invite la mère et le fils ?

— Cela même, mon petit.

— Nous allons faire le nécessaire. Et ensuite ?

— Ensuite nous aviserons, car je serai là, j’arrive. Au revoir, mon cher, et encore bravo !

J’arrive !

La première fois de ma carrière que le Vioque m’annonce une nouvelle pareille ! J’arrive ! Dieu du ciel et des rois, faut-il que ce Borïgm ait de l’importance à ses yeux pour qu’il fasse le déplacement en personne.

Je vais pour m’éloigner d’une démarche de funambule somnambule, lorsqu’un fort bruit me tressaille. L’appareil téléphonique vient de chuter car, dans mon effarement, j’avais mis le combiné dans ma poche.