Epilogue
Novembre 2005
De violentes bourrasques soulevaient les
feuilles mortes qui virevoltaient dans l'air humide. Le vent
glacial annonçait les prémisses de l'hiver par un gémissement
plaintif et mélancolique. Les quelques rares passants, les épaules
recroquevillées comme si elles supportaient toute la détresse du
monde, la tête penchée, les yeux rivés sur le macadam, passaient
rapidement sans s'attarder, pressés de rentrer chez eux. Seul, un
couple de lycéens amoureux semblait trouver ce temps exécrable pour
le moins idyllique. La jeune adolescente, à la peau visiblement
soumise aux assauts sournois de l'acné, partait d'un immense éclat
de rire gras à chaque fois que son galant lui susurrait un mot dans
le creux de l'oreille.
Gilles, lui, n'avait pas spécialement envie de
rire. Comme tous les jours, d'ailleurs.
Il déambulait au hasard des rues, s'imprégnant
du temps maussade qui convenait parfaitement à ses sombres idées.
C'était une des raisons qui lui faisait aimer l'hiver, l'automne,
la pluie et la nuit. On eut dit que ces tristes soirées
automnales étaient la peinture exacte de ses humeurs, une
représentation physique de ses pensées.
Il marchait sans but précis comme à chaque fois, empruntant la
première rue qui se présentait à lui. Il n'avait vraiment pas hâte
de rentrer chez lui. Personne ne l'attendait. Ses parents, qui
travaillaient dans la même entreprise, devaient encore assister à
une de ces passionnantes réunions où l'on causait chiffre
d'affaires, marketing, rentabilité, plan-media, bref, tout
l'arsenal pour plumer le plus facilement possible le client,
entourés de tous les cadres encore dynamiques de l'entreprise
malgré les centaines de litres de café ingurgités, les dizaines de
Gurozan engloutis, les milliers de cigarettes fumées, sans parler
de produits nettement moins licites mais tout autant
destructeurs.
Gilles n'aimait pas ses parents. D'ailleurs, en y
réfléchissant bien, on pouvait dire que, du haut de ses quinze ans,
il n'aimait pas grand monde. Solitaire et renfermé, il évitait
autant que faire se peut la compagnie des autres êtres humains
qu'il considérait comme hypocrites, lâches et veuls. Ce qui
l'amusait beaucoup, était que, malgré la distance qu'il s'évertuait
à mettre entre lui et les autres, tout le monde le considérait
comme un gentil garçon juste un peu timide et renfermé alors qu'au
fond de lui, il ressentait une haine incommensurable, démesurée
envers l'humanité toute entière. Une haine capable de tout ravager
sur son passage. Gilles était bien plus qu'un adolescent qu'une
crisepassagère rendait réservé et complexé : c'était une
véritable bombe à retardement.
Il s'arrêta de marcher. Il se tourna alors vers un
magasin qu'il n'avait encore jamais vu. Il eut soudainement
l'impression d'être électrisé. Une nouvelle boutique, supposa-t-il.
Une de celles qui éclosaient un beau jour sans publicité aucune et
qui fermaient quelques mois plus tard, faute de clients, dans
l'indifférence quasi-générale. Mais cette petite boutique était
fichtrement différente. Oui, fichtrement différente.
Offrant à la vue des quidams une devanture chichement éclairée par
quelques loupiotes électriques en forme de candélabres à l'allure
sinistre, elle dégageait une impressionnante aura de mystère que
venait renforcer l'enseigne au nom évocateur : La
librairie des secrets révélés.
Il s'approcha doucement, presque timidement de la
boutique, mi-attiré, mi-épouvanté par l'étrange sensation qui
s'était emparée de lui, comme s'il était dans un champ magnétique
dont le modeste magasin était le centre et qui l'entraînait
irrésistiblement vers lui. Il lui semblait qu'il faisait un
excellent trip tant il marchait dans une sorte d'état second, un
autre état de conscience agréable et terriblement relaxant. Il
avait l'impression que son destin se jouait en cet instant et en ce
lieu précis même s'il aurait été bien incapable de trouver une
explication logique et cohérente si on le lui avait demandé.
C'était comme cela,voilà tout.
Sur le présentoir de la devanture étaient étalés une
bonne vingtaine de livres traitant tous de sujets différents mais
qui avaient pourtant tous un point commun : les sciences
parallèles. Au beau milieu d'ouvrages que Gilles jugeait à peine
dignes de servir de papier hygiénique, comme ce livre sur
l'astrologie chinoise, ce recueil de poèmes sur les anges ou encore
cet almanach regroupant quelques prières de guérison, il vit un
livre sur la magie noire. La magie noire. Promesses d'un monde
inconnu qui lui tendait les bras. Promesses de pouvoirs fabuleux.
L'occasion rêvée de changer une bonne fois pour toute le cours de
sa vie morne et terne. L'occasion de changer irrémédiablement son
destin. Ses dernières réserves s'envolèrent définitivement.
Il ouvrit la porte d'une main tremblante et pénétra à
l'intérieur de la boutique au son d'une clochette qui tintinnabula
joyeusement afin d'avertir le propriétaire des lieux de l'arrivée
d'un client potentiel. Les bruits aigus que Gilles trouvait
horripilants contrastaient singulièrement avec l'atmosphère feutrée
qui imprégnait le lieu pour le moment déserté de toute clientèle.
Seul le propriétaire était présent, s'affairant à ranger
consciencieusement quelques uns de ces trésors livresques sur les
rayons appropriés. Ce dernier se retourna immédiatement vers le
nouvel arrivant.
Gilles se trouva alors nez à nez avec un homme entre
deux âges, d'une stature imposante,quelque chose comme un mètre
quatre-vingt dix pour quatre-vingt dix kilos. Mais ce qui était
impressionnant chez cet homme était qu'il était entièrement vêtu de
noir. Costume chic, visiblement taillé sur mesure et noir, chemise
noire, cravate en soie noire elle aussi et chaussures en cuir
évidemment de la même couleur. De plus, l'homme était doté d'une
saisissante chevelure brune qui lui arrivait aux épaules et d'un
bouc finement taillé, d'un remarquable noir corbeau. Seuls les
yeux, qui arboraient une touche de marron, et surtout le teint de
l'homme particulièrement blafard, voire cadavérique, détonnait dans
cet ensemble plutôt sombre. Cependant, cette légère touche de
blanc renforçait la dominante noire qui se dégageait de
l'individu.
Après un moment de surprise que son vis-à-vis devait
avoir aperçu aussi nettement que si Gilles avait écrit sur son
front : « Z'êtes surprenant, vous alors! », le jeune
adolescent se détendit et se mit à sourire.
Ce mec a vraiment la gueule de l'emploi, un vrai
croque-mitaine, pensa-t-il.
- Puis-je vous être d'une quelconque utilité,
Monsieur ? demanda le commerçant d'un ton affable.
Gilles appréciait de se voir donner du Monsieur. Il
avait alors le sentiment d'être enfin quelqu'un. Quelqu'un
d'important. Quelqu'un qui comptait. En tout cas, il aimait
nettement plus cela qu'un condescendant et insupportable
« jeune homme » qui l'exaspérait à un point
inimaginable. - Et bien heu... oui... heu... j'ai vu
sur vot' devanture un bouquin qui m'plaisait pas mal heu... un truc
sur la magie noire, baragouina-t-il péniblement.
Le croque-mort se mit à le scruter avec une intensité
dérangeante.
- Vraiment, vous vous intéressez à la magie noire,
Monsieur ? Vraiment ? questionna-t-il.
- Heu, oui, vraiment.
- Pourquoi ?
La question, pourtant d'une simplicité à toute
épreuve, désarçonna totalement Gilles. C'était bien la première
fois qu'il entendait un commerçant s'enquérir auprès de ses clients
de leur motivation d'achat. Mais le pire dans tout cela était que
Gilles ne savait absolument pas quoi répondre tant il avait une
idée très vague de ses intentions.
Pourquoi ? Putain, elle est vachement bonne
ta question. M'emmerde pas et donne-moi ce putain de bouquin que
j'te file les sous et qu'on en parle plus.
- Heu, c'est à dire... le pouvoir... furent les seuls mots
qui sortirent de sa bouche en guise explication.
- Ah, le pouvoir ! Que de choses les hommes
auront faites et continueront à faire pour le détenir ne fût-ce
qu'un instant. Mais c'est une noble ambition, Monsieur, de désirer
le pouvoir. Dangereuse mais noble. Savez-vous que cela peut être
dangereux,Monsieur ?
Non, Gilles ne le savait pas du tout. Dangereux pour
les autres, cela oui, il s'en doutait, mais pour lui ? De
plus, pour être tout à fait honnête, ce genre de considérations
étaient à mille lieux de ses préoccupations.
- Heu, je m'en moque, répondit-il.
- Savez-vous que vous pouvez perdre votre
âme ? persista le vendeur qui avait décidément de biens
singulières manières.
De cela aussi, Gilles n'en avait cure.
D'toutes les façons, pour c'qu'elle doit valoir,
mon âme.
- J'm'en moque, répéta-t-il.
Le commerçant décida d'arrêter son interrogatoire en
règle à la grande joie de Gilles qui se disait que, s'il n'était
pas dans ce bienheureux état de flottement qui lui coupait les
jambes et l'empêchait de penser rapidement, cela ferait belle
lurette qu'il lui aurait éclaté sa salle tronche à ce connard de
commerçant.
Le croque-mort continuait de fixer de plus en plus
intensément Gilles de son regard pénétrant, presque envoûtant qui
mettait ce dernier mal à l'aise. Chose curieuse, Gilles vit se
dessiner sur les lèvres de son interlocuteur ce qui devait être une
sorte de sourire que le jeune homme imagina fort bien affiché sur
la gueule des sauriens, en admettant toutefois que ces derniers
puissent sourire. Le commerçant semblait donc satisfait
des réponses.
- Peut-être est-ce l'Elu, murmura-t-il tout bas mais
suffisamment fort toutefois pour que Gilles pût l'entendre
distinctement.
Hein ? C'est quoi encore cette histoire
d'Elu ?
Gilles était maintenant convaincu que le propriétaire
de ce magasin avait quelques cases en moins. Il eut soudain
l'irrésistible envie de prendre ses jambes à son cou et de s'en
aller très, très loin d'ici. Mais quelque chose le retint. Quelque
chose de fort, d'impérieux. Son destin était ici. Il le sentait
encore plus intensément qu'avant. Il allait se passer quelque chose
de capital pour lui.
Et puis, de toutes les manières, pensa
Gilles, la plupart des boutiquiers spécialisés dans ce genre de
commerce devaient tous avoir une araignée au plafond.
- Dites-moi, Monsieur, croyez-vous en Satan ?
Heu, oui, un peu qu'il y croyait en Satan. Gilles se
rappelait ses parents, bons catholiques devant l'Eternel, le
menacer de l'Enfer brûlant s'il ne faisait pas ceci ou cela, s'il
n'obéissait pas comme un bon toutou, s'il ne se pliait pas aux
quatre volontés des maîtres qui avaient eu la gentillesse de le
mettre au monde après cinq minutes d'accouplement que Gilles
imaginait mécanique. Curieusement d'ailleurs, ces menaces
produisaient toujours sur lui l'effet inverse.Il désobéissait
toujours davantage et multipliait les bêtises, et cela dès son plus
jeune âge. L'enfer et Satan ne lui avaient jamais fait peur. Bien
au contraire. Après tout, Satan avait aussi désobéi à Dieu et
s'était retrouvé condamné à cause de cela. Gilles s'était donc
toujours senti proche de l'ange déchu. Bien qu'il eût grandi, il
n'avait jamais changé d'opinion. Il s'était même fait un malin
plaisir à affermir ses croyances et à les afficher comme une
provocation à la face de ses gentils proches, quand il découvrit
qu'elles n'avaient pas l'heur de plaire, qu'elles affolaient même
les braves gens. Elles étaient devenues partie intégrante de sa
personnalité. Aujourd'hui, il aurait fallu le payer très cher pour
qu'il daignât se séparer quelques jours de la Bible Satanique
d'Anton LaVey, son maître à penser en matière de satanisme.
- Oui, Monsieur, j'y crois, finit-il par répondre en
résumant très succinctement le fond de sa pensée.
- Régner en maître sur le monde, cela te
plairait-il ? demanda le vendeur.
Quelle question ! Un peu qu'cela m'plairait de
régner sur c'putain de monde de merde ! Ouais, mon vieux, et
si t'as la recette pour y arriver, ch'uis preneur. Malheureusement
ce n'est qu'un rêve.
- Heu, oui, c's'rait cool, affirma-t-il.
- Alors, j'ai peut-être mieux à te proposer que ce
livre que tu convoites. Bien mieux. Si tu es preneur,bien entendu,
chuchota le commerçant sur le ton du comploteur.
- Ben, ça coûte rien de voir, hein ? répondit
Gilles en riant grassement.
- Non, cela ne coûte pas grand chose en vérité, fit le
croque-mort en riant à l'unisson.
- J'espère que c'est pas trop cher. C'est que j'ai pas
beaucoup de fric sur moi.
- Ne t'inquiète pas pour cela, ce n'est pas cher du
tout. Mais, viens, suis-moi que je te montre.
Gilles, toujours dans cette sorte d'état second,
suivit le vendeur sans réticence. Il ne sentait pas de danger mais
avait au contraire l'impression d'être ivre. Ivre de bonheur et
d'allégresse. La tête lui tournait. Il avait du mal à suivre son
hôte. Son destin l'attendait et cela ne serait plus très long
maintenant.
Arrivés dans une remise sombre et humide, le
commerçant enclencha un interrupteur et une petite lumière
blanchâtre éclaira parcimonieusement la pièce. Le propriétaire des
lieux se retourna vivement vers Gilles. Le regard n'avait jamais
été aussi intense mais il se parait maintenant des ombres d'une
passion proche d'une certaine folie et qui imprégna tous les mots
du discours qu'il prononça.
- Vois-tu, mon jeune ami – tu permets que je t'appelle
mon jeune ami, n'est-ce pas ? - vois-tu, reprit-il avec
emphase sans attendre que Gilles n'ait répondu,l'humanité attend
depuis des lustres la venue de l'Antéchrist. La plupart des gens
pensent que ce dernier sera une sorte de monstre inhumain à faire
peur, que tout le monde pourra le voir et savoir instantanément qui
il est. Peut-être pensent-ils qu'il apparaîtra sous la forme d'une
sorte d'hybride à sept têtes, va savoir avec les bonnes âmes issues
de la culture judéo-chrétienne. Mais, je puis te l'assurer, ils ont
tout faux. L'Antéchrist sera un homme comme tous les autres. Rien
ne pourra le distinguer physiquement d'un autre homme. La seule
différence, et elle est de taille, c'est que cet homme sera investi
des pouvoirs de Satan en personne. Il sera l'allié ultime de Satan.
Il sera son fils. De la même manière que Jésus, en recevant
l'Esprit de Dieu lors de son baptême dans le Jourdain, devint le
Fils de Dieu. Quand les puissances démoniaques le décideront, elles
choisiront un homme, lui enseigneront tout ce qu'elles savent,
puis, lors d'une cérémonie particulière, cet homme recevra alors
l'esprit de Satan, dans le plus grand secret. L'ère de l'Antéchrist
pourra alors commencer. Mais en vérité, je te le dis, l'ère de
l'Antéchrist a déjà commencé.
L'homme en noir marqua une pause dans son discours
afin de juger de l'effet que cette annonce avait produit sur le
jeune récepteur, et peut-être aussi afin de reprendre son souffle.
Gilles, lui, restait sans voix. Satisfait, le vendeur reprit la
parole.
- Oui, mon jeune ami, l'ère de l'Antéchrist a déjà
commencé et depuis quelques années,depuis juillet 1999, en fait.
Cela te surprend, n'est-ce pas ?
Cela, oui, on pouvait dire que cela surprenait
énormément Gilles. Il hocha la tête en guise d'assentiment.
- Depuis les premiers chrétiens, ils sont
nombreux les prophètes qui ont eu des visions de l'Antéchrist mais
il ne nous a jamais été permis de définir avec exactitude quand son
règne débuterait. C'est l'un des plus illustres voyants ayant
jamais existé qui nous livre la clef du mystère :
Nostradamus lui-même. Tu as déjà entendu parler des centuries et du
fameux quatrain X-72 ? Ce quatrain dit ceci :
L'an mil neuf cent nonante neuf sept mois,
Du ciel viendra un grand roy d'effrayeur:
Ressusciter le grand Roy d'Angolmois,
Avant après Mars régner par bonheur
Nostradamus annonce, ni plus, ni moins,
l'arrivée de l'Antéchrist pour le mois de juillet1999. Oui, le
grand roi d'effrayeur, c'est comme cela que Nostradamus appelle
l'Antéchrist. Il nous dit aussi que l'Antéchrist viendra
d'Angoulême. Oui, notre bonne vieille ville d'Angoulême !En
fait, c'est un tout petit peu plus compliqué que cela : ce
grand « roy d'effrayeur » dont parle ce grand voyant ne
désigne pas spécialement un être humain mais la venue sur la terre
de l'esprit du Mal qui se réincarnera dans autant d'hommes et de
femmes qu'il le faudra jusqu'à l'Apocalypse et l'ultime
affrontement entre les forces du bien et les forces du mal. Depuis
quelque temps, un homme ou une femme a dû être enseigné par des
entités démoniaques avant de participer à la cérémonie qui aurait
dû avoir lieu en juillet 99. Malheureusement, ce Fils du Mal n'a
donné aucun signe de sa présence aux adorateurs occultes, dont j'ai
l'insigne honneur de faire partie. Il aurait dû le faire. Peut-être
est-il mort, peut-être a-t-il échoué dans sa mission ? Aucun
de nous ne sait avec exactitude. Mais il est grand temps de le
remplacer par un autre jeune homme ou une autre jeune femme qui
reprendra le flambeau. Et il me semble que tu as toutes les
qualités requises, mon garçon. Mais il te faut passer un petit test
pour que l'on soit vraiment certain.
- Lequel ? demanda Gilles soudain, quelque
peu inquiet.
- Ne te fais pas de mauvais sang, le rassura le
ténébreux propriétaire des lieux affichant son étrange sourire
carnassier. Il n'y a rien de dangereux. Tu n'as sans doute jamais
entendu parler du Livre des Anges Libérés ? C'est un livre
extraordinairement ancien qui date de temps reculés et oubliés de
notre civilisation. C'est un livre qui fut écrit par un démon du
nom de Melesnoch et qui résiste à l'épreuve du temps par onne sait
quelle magie. Il doit y en avoir une dizaine d'exemplaires à
travers le monde et ils sont jalousement gardés par quelques
disciples de Satan triés sur le volet. J'ai l'immense chance
d'avoir un de ces exemplaires sous ma responsabilité.
Malheureusement, je ne peux guère le déchiffrer. Il est écrit dans
un langage oublié depuis des millénaires. On dit que seul celui qui
est désigné par les Démons pour être l'Antéchrist le peut.
Le croque-mort ouvrit alors un coffre-fort.
Puis, il en sortit un livre avec une extrême délicatesse.
Effectivement, ce bouquin paraissait vieux, très vieux. Gilles fut
immédiatement attiré par la couverture rouge sang. Il avait hâte de
lire ce livre et de découvrir ainsi tous les fabuleux secrets qu'il
renfermait. Il ne doutait pas un instant de pouvoir arriver à le
déchiffrer. Quelque part au fond de lui, il le savait. C'était
inscrit dans ses gênes de toute éternité. Aujourd'hui, il avait
rencontré son destin. Sa vie prenait tout son sens.
L'homme en noir posa délicatement le livre sur
une vieille table de camping, ses pupilles grandes ouvertes
laissaient transparaître toute l'admiration éperdue qu'il éprouvait
pour ce livre.
Il reprit la parole d'une voix grave,
solennelle.
- Les gens ont tort de croire toutes les
sornettes qu'on leur a débitées sur ce quatrain. Mir, les
extra-terrestres qui débarquent ou je ne sais quelle autre
explication sensationnaliste.Foutaises que tout cela ! Ils ont
tort aussi de croire que parce que rien de visible ne s'est passé,
Nostradamus s'est trompé. Ce sont eux qui se trompent. Oui, ce sont
eux qui sont dans l'erreur. Ils ont tort de se sentir soulagés
parce que la station Mir ne s'est pas écrasée sur la terre. Ce qui
va leur arriver sera bien pire. Oui, bien pire. »
L'adepte du Mal fit signe à Gilles de s'approcher, tout en
continuant à parler d'une voix plus douce où perçait une certaine
nostalgie :
- Depuis des siècles nous attendons le moment où l'Elu
se présentera à nous. Depuis 1776, exactement. Depuis qu'Adam
Weishaupf créa l'ordre des Illuminati. Tu ne connais pas Weishaupf,
mon garçon ? C'est pas grave. Si tu es l'Elu, nous
t'apprendrons tout ce qu'il faut savoir. Sache toutefois que depuis
1776, nous sommes des centaines, tapis dans l'ombre, souvent hommes
d'affaires ou puissants hommes politiques. Jour après jour, nous
préparons la venue de l'Antéchrist. Nous divisons les hommes pour
mieux les asservir. Nous les poussons à se battre. Sais-tu que nous
avons organisé les deux guerres mondiales dans l'ombre, fanatisant
les uns et les autres ? Non ? Et bien, tout cela est
vrai. Sais-tu que nous préparons la troisième guerre mondiale pour
les années à venir ? Arabes contre juifs, monde occidental
contre monde oriental, pays développés contre pays du tiers-monde.
Toujours cachés, toujours dans l'ombre, nous exaltons la haine, la
violence, le terrorisme. Pour qu'un gouvernement mondial dirigé par
l'Elu puisse naître et que tousles hommes apeurés se joignent de
gré ou de force à nous. Tout cela te dépasse ? C'est normal.
Tu as beaucoup de choses à apprendre. Avance encore, mon garçon. Si
tu es l'Elu, tu devras passer des années à t'instruire. Avant
d'être totalement prêt pour ta mission.
L'homme se tut enfin et fixa le livre
religieusement.
Gilles approcha lentement, les yeux fixés sur le
livre ancestral, comme s'il était hypnotisé par ce dernier.
Ce soir, dans une remise sombre, humide et mal
éclairée, il allait rencontrer son destin.
FIN