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PLUIE BATTANTE

La captivité ne dérangeait pas Tortilleuse. Elle était si jeune qu’elle avait peut-être oublié avoir jamais connu un autre mode de vie. Elle rampait sur le sol de la cage ou grimpait au filet ; elle se balançait à l’objet brillant qui soutenait ce dernier ; elle explorait avec contrition ses oreilles et ses narines.

À mesure que passaient les jours, les hommes de l’autre côté du filet étaient de moins en moins agités, mais ils ne manquaient jamais d’apporter à boire et à manger aux femmes-singes. Tortilleuse escaladait le filet et tendait la main vers eux, et les hommes la récompensaient en lui donnant des suppléments de nourriture. Fureteuse, pour sa part, était de plus en plus renfermée. Elle détestait cette prison et les étranges créatures qui l’avaient capturée. Personne ne la complimentait ni ne lui donnait des bouts de fruits en plus ; il n’y avait rien de mignon dans son attitude maussade et hostile.

La situation s’aggrava encore quand les précipitations commencèrent.

La pluie était par moments si violente que ses lourdes gouttes vous frappaient la peau comme des centaines de poings minuscules. Les femmes-singes étaient en permanence trempées, frigorifiées, et même la vive curiosité de Tortilleuse en était diminuée. Parfois, la pluie leur brûlait les mains, les pieds ou les lèvres et, quand elle leur entrait dans les yeux, elle les faisait cruellement souffrir.

Elle était chargée d’acide en raison de ce qui s’était passé de l’autre côté de la planète.

Le nouveau monde avait été assemblé à partir de fragments de l’ancien prélevés à différentes époques réparties sur deux millions d’années. Le mélange des masses d’air avait engendré le climat instable qui empoisonnait ces premiers jours après la Discontinuité. Dans les océans, aussi, les grands courants cherchaient un nouvel équilibre.

Et le sol avait été déchiqueté. Dans l’Atlantique, une chaîne de volcans sous-marins s’étirant vers le sud à partir de l’Islande marquait la position de la dorsale océanique où le fond de la mer naissait des matières en fusion remontées du cœur de la planète. Cette dorsale avait été éventrée par la Discontinuité. Le Gulf Stream, qui depuis des millénaires faisait remonter vers l’Europe les eaux chaudes de l’Atlantique sud, se heurtait maintenant à un tout nouvel obstacle, une île volcanique en passe de devenir plus vaste que l’Islande, qui détournait sa course.

Par ailleurs, la ceinture de feu du Pacifique, où de grandes plaques tectoniques entraient en collision, n’avait jamais aussi bien porté son nom. La plus grande confusion régnait le long de la côte ouest de l’Amérique du Nord, de l’Alaska à l’État de Washington : la plupart des vingt-sept volcans de la chaîne des Cascades s’étaient réveillés.

L’explosion du mont Rainier avait été la pire. La déflagration avait retenti comme un grand cri qui s’était répercuté tout autour de la planète. En Inde, elle avait résonné à la façon de lointains tirs d’artillerie, faisant se retourner dans leur sommeil les survivants des XIX et XXI siècles. Un vaste champignon de cendres et de débris s’était élevé jusqu’aux couches supérieures de l’atmosphère, se déplaçant à des vitesses dignes d’un ouragan. Les plus gros débris étaient vite retombés, mais les plus fines particules, restées en suspension, avaient occulté le soleil. Les températures avaient chuté et, en se refroidissant, l’air n’avait plus pu retenir les mêmes quantités d’eau qu’auparavant.

Sur toute la planète, la pluie était tombée. Sans discontinuer.

En un sens, tout cela était bénéfique. Tel un monstre de Frankenstein, la planète essayait de se reconstituer et un nouvel équilibre de l’air, de la mer et du roc finirait par s’établir. Mais les douloureuses convulsions du processus de guérison dévastaient tout ce qui, végétal ou animal, luttait pour sa survie.

Fureteuse n’avait pas de vision à long terme. Pour elle, seul existait le présent, et le sien était parfaitement misérable, captive de la cage cruelle des humains et trempée par la pluie acide qui s’abattait sur elle du haut des cieux. Quand les éléments étaient particulièrement déchaînés, Tortilleuse se blottissait sous sa mère qui se recroquevillait au-dessus d’elle pour lui faire de son dos un rempart contre le déluge corrosif.

L'odyssée du temps [1] L'Oeil du temps
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