La nuit. La deuxième, seulement. Léa a l’impression d’être coincée ici depuis une éternité. Le sucre contenu dans le jus de fruit a fait du bien à son organisme, mais n’a fait qu’attiser sa soif et prolonger son calvaire. Elle sait qu’elle ne tiendra pas une journée de plus. Que demain, dès qu’il fera trop chaud, elle fermera les yeux pour ne plus jamais les rouvrir.
La ceinture de sécurité est impossible à arracher. Plus le temps passe, plus les forces leur manquent. Marc use ses dernières cartouches à empêcher les insectes d’explorer sa peau et pomper son sang. Il y a vingt, trente intrus volants à l’intérieur de l’habitacle. L’homme a enfilé une dizaine de mouches à du fil de pêche pour en faire un collier macabre. Il lui arrive de marmonner à l’attention du collier, sans qu’elle comprenne.
Léa fixe les ombres des cimes. La lune est grosse et rousse.
Elle laisse planer un silence avant de poursuivre :
Pas de réponse. Léa entend juste le craquement du verre sous les semelles, le couinement du skaï des sièges lorsque Marc bouge un peu.
Marc contemple son horrible collier de mouches.
Elle est lasse, fatiguée, mais trouve la force d’étirer les lèvres.
Petit rire de Marc.
Dans l’obscurité, elle devine qu’il la regarde. Elle pense à ces caresses qu’il lui faisait pendant qu’il ééla croyait endormie. Des gestes de tendresse, peut-être. Ou des instincts de mâle, tout simplement.
Un silence. Il respire fort.
Il y a soudain un craquement, quelque part autour d’eux. Le bris net et précis d’un morceau de bois écrasé par quelque chose de lourd. Les bruits s’arrêtent instantanément.
Instinctivement, Léa s’écarte de la fenêtre-passager. Plus un son, et c’est sans doute le plus effrayant : un animal n’aurait-il pas continué à faire du bruit ? Qu’est-ce qui se tapit, là, autour d’eux ?
Léa pense au gamin, il a peut-être eu du remords et s’est décidé à leur venir en aide. Elle roule des yeux. Rien ne bouge sur sa droite. Des flaques d’obscurité se répandent entre les troncs immobiles qu’elle distingue à peine. Les mouches continuent à taper sur la lunette arrière dans leur bourdonnement hypnotique. Ces fichues bestioles ne dorment jamais.
D’un coup, arrive un monstrueux craquement d’os. Léa se tourne vers son voisin dans un cri et a le temps de voir l’extrémité d’une batte de base-ball disparaître dans les ténèbres. Le nez de Marc est complètement enfoncé dans son visage. Le sang a giclé partout. Son front s’écrase lourdement sur le volant.
Plus rien.
La jeune femme tombe en pleurs. Elle observe partout, se réfugie autant qu’elle peut vers le centre de l’habitacle. On peut l’attaquer de n’importe où. Face, côté.
Des bruissements, autour. Soudain, une voix jeune, celle d’un môme qui n’a peut-être même pas dix-huit ans :
Des sanglots, qui finissent par s’estomper. Le silence, des pas. Léa retient son souffle. D’un coup, la batte surgit et vient se fracasser à deux doigts de son visage. Un grognement.
La batte arrive encore dans un feulement, Léa se baisse au maximum, les jambes irradiées de douleur. Elle est prise au piège. L’ombre est au niveau de la fenêtre à présent, elle se penche. Léa a le temps de voir un visage rond, grassouillet, et deux yeux grossis par les verres de lunettes. Il essaie de frapper, mais Léa est trop loin, le montant de la portière fait obstacle et empêche l’agresseur d’armer son geste au maximum. Il grimpe sur le capot démoli, s’agenouille, arme sa batte derrière sa tête, comme s’il voulait frapper une balle. Il est face à Léa qui est parvenue à attraper le lourd croisillon en métal. D’un coup, elle le propulse devant elle et le touche en pleine mâchoire. Le gamin s’effondre juste devant elle, les bras écartés, comme un ours qu’on vient d’abattre d’une balle au beau milieu du crâne.