L’enfant a dix ans, maximum. Il porte un beau bermuda de marque, une casquette des Dodgers, une gourde à la ceinture et un tee-shirt avec le dessin d’un gant et d’une batte de base-ball. Bronzé, cheveux blonds. Il est fige a quatre mètres de la voiture, côté conducteur, se demandant probablement s’il doit fuir ou rester. Ses yeux sont pleins d’effroi.
Léa est folle de joie. Des larmes de bonheur arrivent. Elle passe sa main ouverte par la fenêtre, doucement pour ne pas l’effrayer.
Il secoue la tête, les lèvres pincées. Léa se dit qu’elle doit être horrible à voir, et Marc, avec sa tronche de Sphinx, est dix fois pire. Les mouches, le sang, l’état des voitures... Le môme est mort de peur et c’est normal.
Il acquiesce timidement.
Il secoue la tête et pointe les hauteurs.
L’enfant se penche un peu et aperçoit Marc, qui lui fait un signe de la main.
Le gamin hésite, puis décroche la gourde en peau de sa ceinture. Un pas en avant. Il reste hors d’atteinte, renifle, plisse le visage et recule à nouveau.
Il se dandine, puis jette sa gourde à travers la fenêtre. Léa l’attrape au vol. Sans réfléchir, elle porte ses lèvres sur l’extrémité en plastique rouge et aspire goulûment. Du jus d’orange. La jeune femme boit à grosses gorgées, à la limite de s’étouffer. Marc lui arrache la gourde des mains au moment où elle prend le plus de plaisir et où, enfin, arrive l’instant où elle croit qu’elle pourra finalement vaincre sa soif.
À son tour, il aspire de toutes ses forces, pressant la poche de peau pour augmenter le débit. Il la vide intégralement. Léa lui en veut à mort, mais ce n’est certainement pas le moment d’effrayer le gamin. Elle s’efforce de sourire.
Il a parlé, enfin. Léa sait que c’est gagné, le dialogue est noué, et que d’ici une heure ou deux, elle sera saine et sauve.
Léa passe le bras par la fenêtre et désigne la berge.
Il fixe la rive. Puis, le nez glissé dans son tee-shirt, s’y dirige prudemment. Léa est heureuse. Marc lui adresse un sourire forcé.
L’enfant marche désormais sur les galets. Il regarde en direction de la voiture et hausse les épaules.
Il va, vient, puis se baisse finalement. Et lorsqu’il se redresse, il tient l’objet magique entre les mains. Il revient à proximité, mais tout en restant hors de portée.
À ton avis, ducon ? Léa ne tient plus, si elle pouvait, elle l’agripperait par le col et le secouerait de toutes ses forces pour qu’il lui donne ce fichu téléphone.
Le visage du môme se crispe.
Le choc est violent. Une véritable baffe en pleine figure. Léa tourne la tête vers Marc, qui semble tout aussi stupéfait qu’elle.
Le gamin a les yeux rivés sur le téléphone portable. Il est au bord des larmes.
Sa voix résonne soudain bizarrement aux oreilles de Léa, elle a l’impression qu’elle va tomber dans les pommes. Le ciel, les arbres tournent, elle est nauséeuse. Elle ignore combien de temps cela dure. Trente, peut-être quarante secondes. Quand ses pensées se réorganisent enfin, elle sait qu’elle a manqué une partie des explications, mais elle a parfaitement compris la suite du scénario. Le grand frère tire par accident sur la voiture de Marc. Il panique lorsqu’elle quitte la route et décide de ne pas appeler les secours. Prenant la direction pour rentrer chez lui avec son petit frère, il voit probablement le véhicule de Léa sur le bas-côté et fait le rapprochement. Alors, tous les deux, ils reviennent la nuit. Le grand veut impliquer son cadet, certainement pour qu’il se sente autant coupable et ne raconte jamais. Il va alors au bout de son délire et fait disparaître aussi la voiture, espérant qu’on ne retrouve jamais les corps ou dans très longtemps.
Léa tente le tout pour le tout. Si le petit part, ils sont cuits.
Il secoue la tête.
Cette fois, il pleure. Ses petites épaules bondissent et soulèvent sa poitrine. Il serre le portable et le jette de toutes ses forces dans l’eau.
Léa hurle. Le gamin anonyme la regarde avec reproches.
Il se retourne et disparaît comme il est arrivé, indifférent aux cris désespérés de Léa.