CINQUIÈME PARTIE

1

 

L’incendie avait éclaté non loin du commissariat de police d’Elgin Street. Tous trois prirent leur temps pour s’en approcher, ils sursautaient en apercevant des ombres, en entendant le bruissement de vieux journaux soulevés par une soudaine rafale de vent. Des rats les observaient depuis des tas d’immondices. La nuit était remplie d’un mélange d’odeurs de pourriture, d’une saveur métallique, et de fumée. Il y avait un bruit dans l’air, cela commença comme un bourdonnement d’insectes et devint une sorte de musique. Légère et imprécise, pleine de menace. Elle les pénétra insidieusement, les amena à marcher groupés.

Les murs des immeubles qu’ils longeaient étaient couverts de graffitis. La plupart n’étaient que des variantes de ce qu’ils avaient déjà vu. Violents. Obscènes. Mais, ici et là, la peinture paraissait si fraîche qu’elle avait été forcément appliquée récemment et il y avait cette phrase répétée à n’en plus finir sur les feuilles de papier dans la salle des inspecteurs.

 ne me faites plus souffrir…

— Pourquoi maintenant ? dit Grier soudainement, tandis qu’ils faisaient halte à proximité du coin de Gladstone et de Bank.

Ils se trouvaient à huit cents mètres environ du commissariat, et juste à deux rues de l’incendie. Ils voyaient distinctement le feu, maintenant. Sa lueur illuminait la sombre colonne de fumée qui s’élevait du bâtiment en train de brûler.

— Pourquoi les choses ont-elles changé maintenant ? poursuivit Grier. Ce putain d’endroit donne l’impression d’exister depuis toujours. Alors pourquoi tout ce bordel a-t-il éclaté maintenant, et pas plus tôt ?

— Cela a un rapport avec Baker, répondit Ned. Quelque chose qu’il faisait – pas seulement ce qu’il a fait à cette fille – autre chose qui a déclenché tout ça.

— La musique, dit Anna.

Alors qu’ils s’approchaient du lieu de l’incendie, la musique avait augmenté de volume. Des voix synthétisées saisies dans un moment d’angoisse, prises au piège dans une musique qui exprimait toutes les souffrances, tout le mal que des hommes et des femmes s’étaient infligés entre eux. Maintenant qu’ils s’étaient arrêtés au coin de la rue, la musique continuait de prendre de l’ampleur.

Anna pensa à Jack, parti pour toujours, attiré dans cette toile de sons, puis vomi sur Elgin Street, le corps calciné. Elle pensa à Baker et à ce qu’on avait trouvé dans cette pièce secrète au sous-sol. Jack le lui avait dit. Combien de fois s’était-elle trouvée dans le studio d’enregistrement de Baker – séparée par une simple cloison de cet endroit ? Est-ce que des victimes avaient été prises au piège dans l’obscurité de cette pièce, suppliant pour qu’on mette fin à leurs souffrances, tandis qu’elle se penchait vers un micro dans la pièce voisine, et chantait avec d’autres choristes, participant à l’enregistrement de la maquette d’un nouveau groupe ?

Elle frissonna et prit la main gauche de Ned, serra ses doigts avec force.

— Tu tiens le coup ? lui demanda-t-il à voix basse.

— Je… ça va. Je réfléchissais. Tu te souviens du premier échec de Jack, cette fille ?

Ned hocha la tête. Jack essayait de retrouver une jeune fugueuse, et on l’avait finalement découverte flottant sur la rivière. Jack n’avait jamais rien vu de plus atroce. Anna lui avait téléphoné et Ned était allé de bar en bar, à la recherche de son frère. Il l’avait finalement trouvé, se soûlant à mort dans un bouge, à Vanier.

— Cette fois-là, j’ai bien cru qu’il allait perdre complètement la boule, dit-il.

— Cela a bien failli lui arriver, murmura Anna. Mais ensuite il a compris qu’il devait continuer. Pour tous les gosses qu’il ne parvenait pas à sauver, il y en avait tellement d’autres qu’il pouvait encore aider. S’il laissait tomber maintenant, ils risquaient de finir de la même façon que cette pauvre fille.

— Je m’en souviens, dit Ned.

— C’est ce qui me donne la force de continuer. Savoir que nous pouvons faire quelque chose maintenant qui empêchera peut-être que ce qui est arrivé à Jack n’arrive à quelqu’un d’autre.

Tout en les écoutant, Grier se passa la langue sur les lèvres et scruta la rue.

— Vous pensez vraiment que nous pouvons faire quelque chose ? demanda-t-il.

Il n’avait aucunement l’intention de leur faire faux bond. C’était son boulot – une affaire foutrement bizarre, d’accord, mais c’était néanmoins son boulot. La ville le payait pour veiller sur ses concitoyens, mais ce n’était pas seulement l’argent qui le faisait rester dans la police, lui et chaque autre flic digne de son insigne. Il avait prêté serment. Aider. Protéger. Bien sûr, vous étiez vanné. Ou vous en en aviez plein le dos. Ou vous aviez peur. Mais vous alliez de l’avant et faisiez votre boulot, coûte que coûte. Parce que cela faisait parfois une différence. Pas toujours. Mais suffisamment souvent.

La seule chose qui pouvait faire flancher Grier, c’était que cela ne serait peut-être plus le cas, un jour. S’il n’obtenait plus de résultats. Même infimes.

— Toutes les fois que nous intervenons, dit Ned doucement, nous obtenons des résultats. Même au prix de notre vie.

— Okay, allons-y.

Ils se regardèrent. Anna serra la main de Ned à nouveau, puis ils s’avancèrent dans Bank Street, se dirigeant vers le lieu de l’incendie.

Anna marchait à nouveau au milieu, encadrée par les deux hommes. L’air était maintenant épaissi par l’odeur du feu.

Arrivés au bloc suivant, ils sentirent la chaleur qui provenait du bâtiment en flammes. La lueur leur blessait les yeux.

— Nom de Dieu, murmura Grier.

Tous trois avaient conscience de l’étrangeté de la situation, tandis qu’ils regardaient le vaste bâtiment à un étage dévoré par les flammes. Ils s’étaient presque habitués à la désolation de la ville. Mais ici, dans la nuit, alors qu’ils auraient dû voir des sapeurs-pompiers, des gyrophares, des groupes de curieux en quête de sensations fortes, cette étrangeté semblait plus forte que jamais.

Ils s’approchèrent. Un demi-bloc plus loin, ils furent obligés de s’arrêter à cause de la chaleur. Un pan du toit s’effondra, et ils sursautèrent tous les trois, reculant de deux pas en même temps. Ils surveillaient attentivement les immeubles avoisinants, scrutaient la rue dans les deux sens, mais le feu continuait d’attirer leurs regards.

Comme des papillons de nuit attirés par une flamme, songea Anna. C’était l’effet que cela leur faisait. C’était pour cette raison que les gens étaient toujours attirés par les catastrophes. Ce n’étaient pas forcément des charognards. C’était un rappel que, sans la grâce de Dieu…

Grier détourna la tête et inspecta à nouveau la rue.

— Il n’y a personne dans les parages, murmura-t-il. Aucun signe de l’auteur de cet incendie. Mais j’ai la sensation d’une présence.

Ned et Anna acquiescèrent. Ils avaient la même sensation. Ce qui était responsable des morts, de cet incendie, était tout près. Ils continuèrent de scruter les immeubles et la rue. Lorsqu’un mouvement se produisit finalement, aucun d’eux ne s’attendait à ce qu’il allait voir.

Elle sortit des flammes en flottant dans l’air, pâle et spectrale. Sa longue chevelure décolorée ruisselait sur ses épaules. Sa robe miroitait dans la chaleur. Son visage attira leurs regards, tel un aimant. Sa beauté leur coupa le souffle. Durant un long moment, tous trois la virent sous la même forme – l’ange de Jack, belle à fendre l’âme – mais ensuite ses traits se transformèrent et…

Ned voyait le visage meurtri et contusionné de la petite fille qu’il avait trouvée, après qu’on l’eut appelé pour régler une banale querelle de ménage, lors de sa première année dans la police.

Les parents battaient l’enfant depuis si longtemps que ses bleus étaient devenus sa couleur naturelle. Le nez brisé. Un bras cassé qui n’avait jamais été remis correctement. Une gosse de cinq ans, putain de merde, et elle servait de punching-ball à ses parents.

Il avait frappé le père, il s’était mis à le rouer de coups, puis son coéquipier était intervenu et l’avait maîtrisé. Sans lui, il se serait jeté également sur la mère. Son coéquipier l’avait couvert – l’homme avait résisté lorsqu’ils lui avaient passé les menottes, dirent-ils à leur sergent. Étant donné l’état de la fillette, Ned ne fut pas inculpé lui-même, mais il n’avait jamais oublié le visage de cette pauvre gosse. Elle ne se rétablit jamais. Elle garderait ses cicatrices pour toujours, les cicatrices physiques et celles qui restaient invisibles.

Revoir son visage maintenant, plus vieux mais toujours reconnaissable, sur les épaules de l’ange, fit resurgir en lui toute cette ancienne frustration et cette compassion, avec une telle violence qu’il en avait les larmes aux yeux et que sa poitrine lui faisait mal. Parce que, dans ses yeux, il voyait cette même détresse muette qui avait été là lorsqu’il l’avait trouvée, il y avait tellement d’années de cela. C’était comme si rien n’avait changé.

Il aurait voulu avoir son père à nouveau en face de lui. Maintenant, dans cet endroit. Avec personne pour l’empêcher de le rouer de coups. Il aurait voulu frapper cet enculé jusqu’à ce qu’il soit aussi impuissant que la pauvre gosse qu’il avait martyrisée, et puis continuer de le frapper…

Mais, accompagnant cette rage, il y avait un sentiment de honte. Parce que, tandis que cette colère légitime montait en lui, il se souvenait également de toutes les fois où il avait fait souffrir quelqu’un. Rien de grave… juste ces petites blessures que les gens s’infligent entre eux.

Se moquer d’une mauviette au lycée.

Plaquer une petite amie parce qu’elle ne faisait pas le poids avec un nouveau flirt… et être assez dégueulasse pour le lui dire.

S’en prendre à un intellectuel parce qu’il tenait de grands discours.

De petites choses. Mais si vous faisiez ça toute votre vie, elles s’additionnaient et formaient beaucoup de souffrances…

 

 

Ernie voyait le visage de Wendy Kerr.

Wendy était une camarade de lycée. Une fille vraiment jolie. Un peu indisciplinée. Elle adorait faire du stop, un jour elle monta dans la mauvaise voiture et finit dans un fossé, morte. Ce fut Ernie qui la trouva, alors qu’il avait pris son vélo à dix vitesses et faisait une balade. En passant, il entrevit une tache de couleur sur le bas-côté de la route. Il freina violemment et se retourna. Lorsqu’il la vit – le visage tuméfié, la tête formant un angle impossible, le corps nu qui n’éveilla aucun désir en lui du fait de sa situation pitoyable – il s’agenouilla sur la terre près de la route et vomit, continuant d’avoir des contractions douloureuses longtemps après avoir rendu le contenu de son estomac.

Ce fut ce jour-là qu’il comprit qu’il devait être flic, et faire tout son possible pour empêcher ce genre de chose. Et s’il n’y parvenait pas, alors il voulait s’assurer que tous ces enculés écoperaient à leur tour.

Wendy Kerr. Elle semblait un peu plus vieille, et la couleur de la chevelure de l’ange était différente de sa queue de cheval châtain roux, mais il la reconnaissait tout de même.

Il durcit sa prise sur son fusil et ses jointures blanchirent. Main gauche crispée sur la culasse mobile, index se recourbant sur la détente. En cet instant, s’il avait tenu dans sa ligne de mire le salaud qui lui avait fait ça…

La colère n’était jamais morte. Elle était aussi vivante maintenant qu’elle l’avait été alors. Mais, comme Ned, il connaissait la honte également.

Personne n’était parfait. Et il avait fait du mal à des gens qui ne le méritaient pas…

Anna ressentait la même culpabilité que ses compagnons.

Des visages surgissaient dans son esprit – les visages de tous ceux qu’elle avait blessés d’une manière ou d’une autre. Mise en présence de leurs traits accusateurs, elle avait honte. Puis les souvenirs s’estompèrent. Les traits de l’ange apparurent un instant, s’effacèrent à nouveau, devinrent ceux de Beth…

Anna avait fait la connaissance de Beth alors qu’elle travaillait bénévolement dans un centre d’accueil pour femmes battues, et elle l’avait prise sous son aile, comme elle le faisait toujours avec des êtres désemparés, avec toute personne ayant besoin d’aide. Mais, dès le commencement, ce fut différent avec Beth. Ce n’était pas uniquement parce que la vie l’avait traitée si durement, trop de femmes se trouvaient dans la même situation. Ou parce qu’elle éprouvait plus de pitié pour Beth que pour les autres femmes hébergées au centre. C’était parce qu’elle se rendait compte que Beth pouvait être une fille super, mais que, pour s’épanouir vraiment, elle avait besoin d’une aide plus grande que ce que le centre pouvait lui apporter.

Les femmes qui dirigeaient le centre étaient trop prises par leur travail pour être en mesure de lui accorder cette attention supplémentaire. Pas Anna. D’autant plus que ce n’était pas la pitié qui la poussait à agir de la sorte, mais un véritable sentiment de parenté avec l’âme en peine que Beth avait été à cette époque. Une étrange impression de déjà vu… Elles avaient déjà été amies, dans d’autres vies, et seraient amies à nouveau. C’était une chose qu’elle aurait été incapable d’expliquer clairement à quiconque, et elle n’avait jamais pris la peine d’essayer. Aussi avait-elle consacré le plus clair de son temps à Beth, tout simplement.

Parfois Anna était dure avec elle. Parfois elle était tellement exaspérée par la façon dont Beth laissait la vie l’écraser, sans jamais se rebeller, qu’elle avait envie de secouer son amie comme un prunier. Pourtant, de plus en plus souvent, tandis que les souvenirs agréables s’accumulaient pour atténuer, sinon pour effacer, le passé, la véritable personnalité de Beth commençait à transparaître.

Mais ceci… les traits de Beth dans ce visage. Beth sortant des flammes dans le corps de l’ange.

Alors qu’elle la reconnaissait, le choc paralysa Anna.

Pas Beth.

C’était impossible, Beth n’avait pas pu tuer tous ces hommes…

(Jack !)

… d’une façon aussi atroce.

Là-bas, je contrôlais mon existence. J’avais le sentiment que personne ne pouvait me faire du mal… que personne ne pouvait même me toucher.

Pas toi, Beth, dit Anna. Tu n’as pas tué Jack. Je t’en prie, dis-moi que tu n’as pas fait ça. Jack ne t’avait jamais fait de mal… Il n’avait jamais fait de mal à quiconque. Comment… comment pourrais-tu faire ça ?

Tu ne sais pas ce que j’ai enduré. Tout le monde m’a toujours exploitée, s’est servi de moi…

Une torpeur amère gagna l’esprit d’Anna. Si elle n’avait pas hébergé Beth, Jack serait toujours en vie.

 ne me faites plus souffrir…

Je voulais seulement t’aider.

 ne me faites plus souffrir…

La musique continuait de prendre de l’ampleur… la musique de Baker. Son concerto dédié à la peine. À la souffrance.

 ne me faites plus souffrir…

Anna comprenait presque la nécessité de la mort de Baker. Les souffrances qu’il avait causées. Mais Jack…

 ne me faites plus souffrir…

La colère qui voila les yeux d’Anna, telle une brume rouge, lui était étrangère. Le besoin de saisir le pistolet de Ned et de le vider sur la femme était tout aussi inconnu. Mais la main d’Anna se crispa à son côté, désirant l’arme néanmoins. Parce que, lorsqu’elle pensait à Jack…

 ne me faites plus souffrir…

Elle n’avait qu’un seul désir… faire disparaître Beth de la surface du globe.

À ce moment, les traits de l’ange commencèrent à se transformer. La peau se desquama et tomba, des crocs poussèrent, le nez disparut, laissant un trou au milieu de ce visage jusqu’alors parfait. La bouche s’ouvrit toute grande, les mâchoires se désarticulèrent comme celles d’un serpent. Des douzaines de langues se tordaient dans cette gueule sombre.

Maintenant ce n’était plus un ange, mais une furie.

La musique s’amplifia. Anna sentit que les deux hommes à ses côtés se raidissaient, levaient leurs armes. Ses doigts continuaient de se contracter, désiraient une arme également. Et puis elle vit autre chose.

Derrière les traits monstrueux de la créature, elle voyait un scintillement de visages. Ils défilaient si vite qu’elle avait à peine le temps de les distinguer les uns des autres. Et pourtant elle les reconnaissait.

Des victimes.

Des femmes battues, des enfants maltraités et violés.

C’étaient des visages qu’elle avait vus sur des photos dans les journaux, et dans ce centre pour femmes battues. Des visages sur les instantanés que Jack emportait lorsqu’il travaillait sur une affaire… les gosses qu’il recherchait.

Des victimes.

Leurs visages continuaient de défiler. Il y en avait tellement.

Des centaines.

Ce n’était pas Beth, comprit-elle. Elle entendait la voix de Jack, chuchotant au-dessous de la plainte de la musique.

C’est ici que les victimes attendent pour se venger, Anna.

Cette furie n’était pas seulement Beth. Elle était tous ces êtres. Tous ces êtres blessés que personne n’avait aidés, par manque de temps.

Le problème, c’est que tu apportes tes propres souffrances ici, et cela change également les choses.

Le bruit des culasses mobiles introduisant des cartouches dans les chambres des fusils, de part et d’autre d’Anna, fut violent – même avec le grondement des flammes et la musique.

Ma souffrance est la mort de Jack, pensa Anna. Je l’ai apportée ici. De même que Ned et Ernie ont apporté leurs propres souffrances. Les injustices commises envers eux. Ici nous voulons nous venger. Nous voulons agir, être forts. Avoir notre propre justice.

Ici ce sont les faibles qui sont forts. C’est ici qu’ils se vengent de tout ce qui leur a fait du mal.

Mais ceci n’est pas notre endroit. Si nous apportons notre colère ici, notre besoin de justice, nous appelons seulement cette chose pour qu’elle fonde sur nous.

La créature s’éloigna des flammes, flottant dans l’air, et vint vers eux. Ned et Grier brandirent leurs armes.

— Non ! cria Anna.

Elle tendit les mains vers la gauche et la droite, fit dévier les canons des fusils de leur cible.

— Jetez-les par terre, dit-elle. Toutes vos armes… jetez-les par terre !

— Nom de Dieu, Anna ! hurla Ned. Merde, qu’est-ce qui te prend ?

La créature s’était approchée. C’était difficile de regarder l’horreur de ses traits et de penser à des victimes. De ne pas riposter. Oh, Seigneur, si elle se trompait…

(Jack !)

Elle se tourna vers Ned.

— Fais-le, je t’en prie, ne discute pas, fais-le !

Puis elle fit face à la créature et s’avança vers elle. Elle tendit les mains devant elle, paumes tournées vers le ciel, et composa son visage pour ne laisser transparaître aucune colère, aucune peur. Elle avait des nausées. Les sonorités discordantes de la musique lui donnaient la migraine. Elle fit deux autres pas en avant.

— Beth… ? appela-t-elle.

— Anna ! cria Ned.

— Aie confiance en moi, lui lança-t-elle sans se retourner. Je t’en prie, Ned.

Elle continua de s’approcher de la créature qui s’avançait.

— Je sais que tu es là, Beth. C’est Anna. Je désire t’aider.