Epilogue

Il semble que Mrs Emerson considère que les citations de son poème favori (NdT : Le mythe d’Ulysse de Tennyson) suffisent à conclure de façon appropriée ce volume de son journal— ou peutêtre pense-telle que d’autres écrivains pourront décrire les autres évènements de cette saison qui n’affectèrent pas en particulier sa famille. Des milliers de mots ont été écrits pour décrire en détail la découverte de la tombe de Toutankhamon. Les récits divergent de plusieurs façons, certains sont importants, d’autres pas. On pourrait s’attendre à ce que le plus authentique soit celui d’Howard Carter luimême mais, comme de récentes investigations l’ont démontré, il ne l’était pas tant que cela. Quelques témoignages de soi-disant témoins ont été écrits bien après les évènements eux-mêmes et donc influencés par l’imperfection des mémoires. L’éditeur pense qu’elle doit à ses lecteurs de rétablir certaines contradictions.

L’histoire bien connue — comme quoi Carnarvon annonça à Carter au cours de l’été 1922 qu’il avait décidé de ne plus financerd’autres excavations dans la Vallée mais qu’il fut persuadé de continuer au moins un an par Carter qui offrit de payer lui-même le travail— repose sur des ouï-dire répandus par le fils du célèbre archéologue américain Breasted. Charles Breasted a toujours affirmé tenir l’histoire de Carter lui-même mais jamais ce dernier ne l’a personnellement mentionnée. L’intervention inopportune d’Emerson prendrait alors un sens encore plus déterminant et l’on comprend que ni Carter ni Carnarvon n’ait jamais voulu le reconnaître.

Le journal tenu au jour-le-jour des évènements depuis le moment où Carter vit pour la première fois la chambre remplie d’or à travers le trou de la porte extérieure a été bien documenté et il correspond en général à la description qu’en donne Mrs Emerson. Les mots prononcés par Carter à cette occasion mémorable en réponse aux questions angoissées de Carnarvon resteront toujours soumis à un doute. « Des choses merveilleuses » est devenu la version officielle qui est rapportée dans le compte-rendu personnel de Carter. Selon un rapport écrit par Carnarvon quelques jours après, Carter aurait dit : « Il y a des choses merveilleuses làdedans. » Selon l’éditeur, la version de Mrs Emerson — comme quoi Carter aurait d’abord été tellement frappé qu’il était incapable de parler — correspond mieux à la vérité psychologique.

La plus grave accusation portée contre Carter et Carnarvon est qu’ils seraient entrés pour explorer la tombe en secret, avant son ouverture officielle. Un autre point donne foi à ce fait, en plus de la version de Mrs Emerson. Selon elle, l’intrusion illégale a eu lieu le soir du vingt-six novembre et non pas, comme certains l’ont suggéré, deux jours après. Sa version semble plus probable aux yeux de l’éditeur. L’avidité des excavateurs avait alors été exacerbée par ce qu’ils avaient vu par la petite ouverture et, comme Mrs Emerson le reconnaît, seuls des hommes de fer auraient été capables d’attendre plus longtemps. De plus, l’inspecteur chef Rex Engelbach était attendu pour visiter la tombe le jour suivant, et il aurait pu remarquer tout désordre commis ultérieurement. L’accusation qu’ils auraient emporté certains bijoux n’a jamais été prouvée, mais les collections privées des deux hommes contenaient bien des objets qui auraient pu appartenir au jeune roi. Tout lecteur intéressé trouvera ces hypothèses en détail dans les nombreux volumes consacrés à la tombe. La rencontre nocturne avec un Emerson enragé expliquerait aussi l’animosité persistante que Carnarvon garda contre la famille Emerson et le fait qu’aucun d’eux n’ait jamais été autorisé à participer à l’aventure.

La chambre funéraire ne fut officiellement ouverte que le 17 février de l’année suivante. Les Emerson ne sont pas mentionnés dans la liste des personnalités invitées à cette occasion. En avril, lord Carnarvon mourrait d’une piqure de moustique négligée qui s’était infectée. Sa mort réveilla la légende de la malédiction des pharaons, en dépit du fait que sa santé était mauvaise depuis longtemps. Quelques personnes sensées soulignèrent que la soi-disant malédiction inscrite sur la tombe de Toutankhamon était une invention journalistique et que la plupart des gens qui avaient directement travaillé dans la tombe— y compris Carter lui-même— vécurent jusqu’à un âge avancé. Mais comme Mrs Emerson le dit souvent, le bon sens ne sied pas aux superstitieux. A l’évidence, elle réussit à ne pas ébruiter la malédiction qu’Emerson avait jetée à Carnarvon mais il aurait été intéressant d’apprendre comment le Maître des Imprécations réagit au décès de Carnarvon. C’était un homme sensé, aussi espérons seulement qu’il n’avait pas pris l’affaire trop à cœur.

Il fallut huit ans à Carter pour terminer de dégager la tombe de Toutankhamon. Seul le sarcophage, le tout dernier cercueil et la momie du roi restèrent en place, où ils sont encore toujours. Ces années furent difficiles pour Carter. Bon nombres de gens fustigèrent son comportement autocratique et son manque de tact, qui créa de violentes confrontations avec les autorités égyptiennes. Carter futmême à un moment renvoyé du chantier, mais il finit par obtenir l’autorisation de le terminer. Le résultat final fut catastrophique pour les autres expéditions étrangères qui avaient travaillé sur le site. Les règles de partage se durcirent et le contenu entier de la tombe revint au musée du Caire.

On peut malgré tout accorder à Carter qu’il mena à bien une tâche difficile, encore compliquée par de nombreuses demandes de toutes parts. Même Emerson finit par admettre que peu d’excavateurs auraient pu faire m ieux.