Chapitre 5

Manuscrit H (suite)

Lord Carnarvon et sa fille quittèrent le Caire pour l’Angleterre le quatre décembre. Ramsès se trouva être à Louxor pour des affaires personnelles et il put apercevoir leur royale procession à travers la ville avec toute la fanfare, entourés d’admirateurs et suivis par la presse. Carnarvon le dépassa sans un regard. Peutêtre ne m’a-t-il pas vu, pensa charitablement Ramsès. Carter le vit. Il leva la main en un demisalut sans s’arrêter.

Carter suivit son employeur au Caire deux jours après. Selon Daoud, il avait été attristé par la perte de son oiseau mais il refusait de comprendre les implications qui paraissaient évidentes à tout individu sensé.

— Bah, dit Emerson. Ce n’était qu’un oiseau et les cobras ne sont pas rares.

 

— Mais l’augure de l’oiseau doré était vrai, répliqua Daoud. La tombe dorée a été trouvée. Et le cobra n’est-il pas le symbole du pharaon ?

 

— Il vous a eu, Père, dit Ramsès.

 

— Aussi, nous pouvons rendre grâce à Dieu que vous ne soyez pas celui qui a trouvé la tombe, dit Daoud avec sincérité.

Il leur adressa ensuite un aurevoir solennel et s’éloigna avec une certaine hâte. C’était presque l’heure des prières du soir. Et Ramsès était certain que toute la famille Emerson serait comprise dans ces prières.

— Nous avons bien fait de ne pas lui raconter que nous avons pénétré dans cette sacrée— excusez-moi, Mère— tombe, dit-il.

— Non seulement dans la tombe, mais dans la chambre funéraire elle-même, souligna sa mère. Ne sousestimez pas Daoud. Je parierais qu’il le sait. Il doit espérer que nous n’y sommes pas restés assez longtemps pour encourir la colère royale.

L’après -midi même, ils reçurent la visite d’Herbert Winlock et George Barton. Leurs amis étaient toujours les bienvenus pour le thé, mais il y avait déjà un certain temps qu’aucun membre de l’équipe du Metropolitan ne s’était présenté. Winlock faisait partie de ceux qu’Emerson appelait : la nouvelle génération des égyptologues. Il avait à peu près l’âge de Ramsès, même si sa calvitie précoce le faisait paraître plus vieux. C’était un excavateur brillant et un hôte accueillant quand les Américains recevaient dans leur quartier général. Il les salua sans timidité particulière, mais Ramsès remarqua que Barton semblait un peu mal à l’aise. Cet homme maladroit et exubérant avait développé ce que sa mère appelait un béguin pour Nefret, et il avait tendance à la fixer avec une admiration parfois gênante.

Une fois que sa mère eut servi le thé, Winlock les interrogea sur leur travail à la Vallée Ouest, puis il en vint au motif de sa visite :

— J’ai entendu dire que vous étiez brouillés avec Carter et Carnarvon.
— Qui vous a raconté cela ? demanda Emerson.
— Carnarvon.
— Vous a-til dit qu’il était dans la Vallée cette nuit-là ?

— Il nie y être allé. Il prétend que vous avez inventé toute cette histoire pour justifier votre intrusion illégale dans la tombe où vous y auriez dérobé plusieurs objets de valeur.

 

— «Qui s’excuse s’accuse* » (en français dans le texte) murmura Ramsès.

 

— Ou plutôt il accuse les autres pour cacher ses propres vilénies, dit sa mère, raidie d’indignation. Quel misérable !

— Nous n’avons jamais cru cela, m’dam, dit Barton en se tortillant. Je veux dire, nous savons bien que vous étiez dans la Vallée cette nuit-là. Depuis les Gournaouis ne cessent de se moquer des ibn Simsah qui se sont laissés attraper par le professeur, et Farhat a préféré aller se cacher. Mais nous savons tous que vous n’auriez jamais fait quelque chose de mal. Je veux dire, zut, vous pourriez même avoir empêché que la tombe soit pillée. Je veux dire, c’est sacrément — euh — drôlement ingrat de la part de sa Seigneurie de ne pas vous en avoir remercié.

— Prenez une autre tasse de thé, dit la mère de Ramsès avec un sourire amical. Et un biscuit aussi, avant que les enfants n’arrivent pour les finir.

 

— Étaient-ils vraiment là-bas ? demanda Barton en rassemblant son courage.

 

— Contrairement à sa Seigneurie, nous n’accusons pas autrui, dit Emerson noblement. Je n’en dirai pas plus.

— Bravo, dit Winlock. George a raison, professeur. Personne ne pourra jamais croire que vous vous soyez conduit de façon déshonorante. Mais — hum — vous devez comprendre dans quelle situation nous sommes.

— Ainsi, dit Emerson en sortant sa pipe, il est exact que Carter vous a demandé de rejoindre ses excavations ?

— Pour l’instant, rien n’est fixé. Mais je crois qu’il a câblé à New-York à Lythgoe pour avoir une permission officielle. Vous voyez que nous ne pouvons pas nous permettre d’être mêlés à vos disputes avec Carnarvon. Mais, ajouta Winlock énergiquement, personne, même pas le président des EtatsUnis, ne peut me dire comment choisir mes amis.

Emerson parut touché par cette déclaration mais, une fois leurs invités partis, il remarqua : — L’amitié est une belle chose, mais Winlock ne la laissera jamais interférer dans ses af faires. * * *

 

*

 

— Je dois parler à Daoud, dit Emerson. C’est le troisième jour consécutif qu’il est en retard.

Nous avions terminé nos excavations dans la tombe d’Ay et déplacé la majeure partie de notre équipe dans deux autres tombes non terminées, les numéros 24 et 25. Les seuls à rester en arrière étaient Suzanne, qui avait commencé à copier les peintures de la chambre funéraire, et Bertie qui en faisait le plan final. Cet arrangement plaisait à Jumana parce qu’une équipe artistique avait moins d’importance sur l’échelle professionnelle qu’un excavateur. Elle avait tendance à prendre des airs.

— Daoud n’est pas un tire-au-flanc, dis-je. Et il a entièrement le droit de prendre le temps dont il a besoin.

 

— Mais il ne répond pas quand je le questionne, se plaignit Emerson. Cela ne lui ressemble pas. Nom d’un chien, cela devient de l’insubordination.

 

— Peut-être tente-til de prendre des mesures pour conjurer la malédiction de l’oiseau doré ? suggéra Nefret.

— Quelles mesures ? demanda Emerson
— Des prières, gloussa Nefret.
— Il prie diablement trop, grommela Emerson.

Suzanne émergea de l’entrée de la tombe, son bloc à dessin à la main. Ses cheveux blonds humides pendaient autour de son visage et son joli chemisier était marqué de transpiration. Avec un murmure de remerciement, elle accepta le verre de thé glacé que Nefret lui tendait.

— Vous ne devriez pas rester si longtemps à l’intérieur, lui dit cette dernière avec une inquiétude dans la voix. Vous n’êtes pas habituée à la chaleur.

 

— Aucune importance, répondit vaillamment Suzanne. L’ennui est que la transpiration goutte sur le papier. La peinture en garde des traces.

Tristement, elle étudia son carnet. Le dessin était incontestablement tâché.
— Prenez un des hommes pour vous essuyer le front, suggérai-je.

— Je me sentirais idiote, dit Suzanne qui sembla pourtant trouver l’idée amusante. Mais je peux faire un essai.

 

— Venez me voir si vous ne vous sentez pas bien, lui dit Nefret. Je vous prescrirai un jour de repos.

 

— Ce serait gentil. Peut-être que Mr Carterme laissera voir la tombe quand il reviendra et qu’elle sera rouverte. Ce que j’en ai aperçu pour l’instant n’était guère excitant.

 

— Aucun de nous n’ira là-bas, dit Emerson.

 

— Vous pouvez faire ce que vous voulez, Emerson, mais vous n’avez pas à dicter aux autres comment occuper leurs jours de congé, dis-je.

 

— Aije bien compris cette rumeur qui parle d’une malédiction ? demanda Suzanne devançant ce qui aurait été une réponse véhémente d’Emerson. Les hommes en parlent beaucoup. — Il n’y a pas de malédiction, asséna Emerson autant de force que Jéhovah dictant un commandement.

 

Mais non, certainement pas*. Mais c’était une bonne histoire, dit-elle en frissonnant pour simuler une frayeur avant de se mettre à rire.

 

— Qu’y a-t-il de si amusant ? demanda Cyrus en rejoignant le groupe. J’aurais bien besoin de rire aussi.

— Je parlais de la malédiction, expliqua Suzanne. Celle de l’oiseau doré.
Elle émit un autre éclat de rire. Cyrus lui sourit gentiment, puis il secoua la tête. — Certaines personnes prennent cela très au sérieux, ma chère.
— Je pense que c’est le cas du professeur. Il a dit que nous ne devions pas aller près de la tombe.

Elle lança à Emerson un regard inquisiteur, les yeux encore plus écarquillés que d’ordinaire. Emerson la toisa avec la même expression hautaine que le Grand Chat de Ré quand Amira lui faisait de plaisantes approches.

Daoud se présenta au petitdéjeuner le matin suivant. Il le faisait souvent parce qu’il appréciait la cuisine de Maaman mais je pouvais dire cette fois qu’il avait une raison plus importante pour être là. En premier lieu, sa joue gauche était devenue verte. Je reconnus le fameux onguent vert de Khadija, celui qu’elle appliquait toujours en cas de blessure.

— Il y a eu un problème ? demandai-je.

 

— C’est la dame, dit Daoud, son honnête visage tout contrit. Mais ne craignez rien, Sitt Hakim. Je l’ai gardée saine et sauve.

 

***

Margaret était saine et sauve mais, à en juger les égratignures sur le visage de Daoud, pas de très bonne humeur. Celle d’Emerson n’était guère meilleure. Il frappa la table du poing avec tant de force que la vaisselle s’entrechoqua :

— Ainsi, cria-til, c’est cela que vous maniganciez ! Comment osez-vous suborner mes employés et comploter derrière mon dos, Peabody ?

 

— Quelqu’un devait bien faire quelque chose, répondis-je en anticipant une agréable dispute. Aucun de vous ne semble s’être le moins du monde soucié de sa sécurité de Margaret. Sethos baissa la tête et évita mon regard accusateur. Emerson prit l’air presque aussi coupable. Les yeux de Nefrets’écarquillèrent tandis qu’elle commençait à comprendre :

 

— Margaret est ici ? Depuis quand ? Comment ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

— C’est très simple, ma chère, répondis-je. Je savais que Margaret arriverait dès qu’elle entendrait parler de la tombe, et je savais qu’elle passerait au Caire sans même s’y arrêter. Il n’y avait donc pas beaucoup de risque qu’elle soit interceptée, par nous ou qui que ce soit d’autre, pendant qu’elle était là-bas. J’ai présumé que nos adversaires étaient aussi intelligents que moi, et j’ai donc tenu pour certain qu’ils l’attendraient à son arrivée à Louxor. Daoud l’attendait aussi. En suivant mes instructions, ajoutai-je avec un regard provocant envers Emerson.

Il émettait des bruits curieux, comme une bouilloire sur le feu.
— Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ? crachota-t-il.

— Quand on souhaite vraiment garder un secret, Emerson, on le confie au moins de personnes possibles.

 

— Humph, dit-il. Oh. Bien.

 

J’invitai Daoud à s’asseoir et à nous raconter son histoire. Sans se faire prier, il accepta de Fatima une assiette d’œufs et de pain grillé.

— Je l’ai reconnue tout de suite, Sitt Hakim, et elle m’a reconnu aussi. Elle a d’abord été contente de me voir. Mais elle a dit qu’elle voulait aller à l’hôtel et alors j’ai dit non, et qu’elle devait venir avec moi et porter la habara que vous m’aviez demandé d’apporter. Mais elle a dit non, qu’elle irait vous voir plus tard, après avoir pris une chambre à l’hôtel. J’ai dit qu’il n’y avait plus de chambres et elle a dit qu’elle en trouverait une. Et elle a dit qu’est-ce que— un gros mot, Sitt Hakim— j’espérais faire ? Alors je l’ai attrapée, très doucement, Sitt, et elle… (Il leva la main à sa joue.)

— Mais c’est scandaleux, Daoud ! s’exclama Nefret. Qu’avez-vous fait ? Vous l’avez attachée, bâillonnée, serrée dans la habara et emportée ?

— La Sitt Hakim a dit que la dame ne devait surtout pas être reconnue, protesta Daoud. (Il avait les yeux pleins de larmes comme un enfant grondé. Il n’était pas habitué à tant de rudesse de la part de Nefret.)

— Ne le réprimandez pas, Nefret, dis-je. Il a fait exactement ce que je lui avais demandé. Je craignais qu’elle n’obéisse pas à un ordre direct.

 

— Elle ne le fait jamais, dit Sethos. Merci, Daoud. Vous avez bien agi.

 

— Il faut l’espérer, dit Ramsès d’un air sombre. Combien de gens vous ont vu transporter une femme enveloppée comme un paquet, Daoud ?

 

— Beaucoup. Quand ils m’ont interrogé, j’ai répondu ce que la Sitt Hakim m’avait demandé de dire. Que c’était une jeune cousine qui avait tenté d’échapper à son père pour faire un mariage ridicule. — Pas mal, admit Sethos. Où est-elle ?

Daoud l’avait emmenée chez lui et remise aux mains douces mais puissantes de Khadija. Ainsi il n’y avait aucune hâte à avoir. Je pus finir mon petit-déjeuner avant d’aller me changer pour revêtir mon costume de travail.

Tout le monde voulait venir avec moi, (bien que l’offre de Sethos soit quelque peu indifférente) mais il ne me fallut pas longtemps pour les convaincre qu’une descente en force ne ferait qu’attirer inutilement l’attention. Ramsès se retira donc dans sa pièce de travail, Daoud partit avec les autres à la Vallée Ouest et je me rendis seule à Gourna— en laissant Sethos finir calmement son café.

Khadija m’attendait.
— Je suis désolée de vous avoir causé des ennuis, commençai-je.
Bras croisés, elle haussa ses puissantes épaules.

— Il n’y a pas eu d’ennuis, Sitt Hakim. Sauf pour Daoud ajouta-telle avec l’un de ses rares sourires. (Khadija avait beaucoup d’admiration pour les femmes de caractère.)

Elle avait en fermé Margaret dans l’une des pièces réservées aux visiteurs. Il n’y avait qu’une étroite fenêtre, et haute, mais la chambre était plutôt agréable avec un joli petit lit, une bassine de toilette et des bouteilles d’eau et de limonade. J’avais apporté plusieurs accessoires pour rendre une captivité plus agréable, y compris une lampe de chevet et plusieurs livres récents. Margaret était assise sur une pile de coussins lorsque nous entrâmes. Elle me regarda et se releva.

Beaucoup de gens, y compris mon époux, prétendent que Margaret et moi nous nous ressemblons. Je ne l’ai jamais pensé, bien que ses cheveux, comme les miens soient noirs et épais. Elle avait plusieurs centimètres de plus que moi (ma taille atteint presque un mètre soixante) et sa silhouette n’était pas aussi pleine, particulièrement au niveau de la poitrine. Son visage était aussi plus marqué, avec d’épais sourcils et un menton proéminent.

— Vous ne voudriez pas prendre une chaise ? demandaije en remarquant qu’elle avait quelques difficultés à se remettre sur ses pieds.

 

— Je voudrais surtout une explication, ditelle en s’asseyant sur le lit et en croisant les mains. — Vous le prenez bien, disje. Daoud dit que vous avez arrêté de vous débattre dès qu’il vous a mise sur son épaule.

 

— J’ai accepté la futilité d’un tel acte avec un homme de la force de Daoud.

 

— Vous savez qu’il a agi sur mes ordres.

 

— Je l’ai bien pensé. Mais vous ne pouvez pas me garder prisonnière, Mrs Emerson. (Un feu ardent couvait dans ses yeux sombres.) Je sortirai d’ici d’un moyen ou d’un autre.

 

Je n’étais plus « Amelia » pour elle. Mais je ne pouvais pas le lui reprocher.

 

— Quand je me serai expliquée, vous comprendrez pourquoi j’ai dû agir ainsi. Etes-vous au courant que votre mari court un danger mortel ?

— Ce n’est pas nouveau.
— Vous ne vous en souciez pas ?
Le feu ne couvait plus dans ses yeux, il les faisait étinceler de rage.

— Il m’avait promis avant notre mariage qu’il abandonnerait sa carrière, si l’on peut nommer cela ainsi. Il m’a menti. C’est son choix. Je ne peux pas passer le reste de ma vie à m’inquiéter pour un homme qui se soucie si peu de moi qu’il ne…

La voix lui manqua, et elle se mordit les lèvres. Ainsi elle se souciait toujours de lui. J’en étais certaine. Leur relation avait été tumultueuse. Cependant, un couple qui dure ne se base pas uniquement sur la passion mais également sur un respect mutuel. Je dois avouer que Sethos n’en avait pas beaucoup montré envers elle.

Malgré tout, ce n’était pas le moment de régler leurs difficultés maritales. Je m’en o ccuperai plus tard. Sans plus tergiverser je lui expliquai la situation actuelle de Sethos. Je ne lui cachai rien, parce qu’il y avait une chance qu’elle puisse avoir une idée utile.

— Le danger qui vous menace ne peut être ignoré, conclus-je. Les gens qui sont après lui peuvent connaître sa véritable identité et dans ce cas, ils savent aussi que vous êtes sa femme.

Une des qualités de Margaret — et je crois que je peux prétendre la posséder également — est sa rapidité à intégrer les ramifications. Elle avait immédiatement compris que j’avais agi pour la protéger, et son visage s’adoucit un peu.

— C’est un problème intéressant, concéda-telle. L’agression contre cet infortuné jeune homme — Nadji— et le commentaire qu’il a entendu suggèrent certainement qu’ils l’ont confondu avec mon mari. Ses adversaires ne sont pas très intelligents cependant, parce que les deux hommes n’ont pas les mêmes caractéristiques physiques. Cela signifie-til qu’ils ne possèdent pas sa description exacte ?

— J’y ai pensé aussi, bien entendu. Il me semble plutôt qu’ils ne savent pas à quoi il ressemble actuellement, mais j’avoue que je ne comprends pas l’agression contre Nadji.

 

— J’aimerais vous aider mais, dit Margaret en haussant les épaules, je ne sais rien de ses dernières activités. Doisje rester ici jusqu’à ce que le cas soit résolu — d’une façon ou d’une autre ? Je ne fus pas absolument certaine de ce qu’elle entendait par là, mais je préférai ne pas poser la question.

 

— Oh, il sera résolu. Et vous ne pouvez certainement pas rester ici indéfiniment. Je trouverai quelque chose.

 

— Je dois l’accepter, je suppose. En attendant…

 

— Je vous apporterai une chaise, promis-je, heureuse de la trouver si raisonnable. Que voulezvous d’autre ?

 

— Tout ce que vous savez sur la tombe de Toutankhamon.

 

— Je vous demande pardon ? m’étonnai-je.

— Ce voyou d’O’Connell est déjà sur place, dit Margaret en sortant un crayon et un papier de la poche de sa veste. (Le feu couvait à nouveau dans ses yeux, prêt à s’enflammer.) Si je dois rester emmurée dans cette… cellule, le moins que vous puissiez faire est de m’offrir un article.

Le moins que j’avais fait était de lui sauver la vie. Mais peut -être que pour un vrai journaliste, cela n’avait pas autant de valeur qu’un article exclusif. Kevin et elle étaient rivaux depuis des années et, en tant que femme, elle avait mené un dur combat pour se faire un nom par elle-même. Une demipromesse la ferait rester tranquille et lui donnerait quelque chose à faire. Je tentais de tergiverser.

— Si vous avez lu les comptes-rendus des journaux, vous en savez déjà probablement plus que moi. Nous n’avons pas été invités à voir la tombe.

— Et pourquoi ? (La question était partie aussi vite que la balle d’un révolver.) — Je ne tiens pas à faire des spéculations.

— Moi si. (Sa bouche se fendit d’un grand sourire.) Une jalousie professionnelle ? Une querelle personnelle ? Estce que lady Evelyn a fait de l’œil à Ramsès et que Nefret l’a giflée ?

— Vraiment, Margaret, votre imagination vous égare. (Je lui tendis un livre que j’avais apporté avec moi.) Voici le second volume de L’Histoire d’Egypte d’Emerson. Pourquoi n’écririez-vous pas une jolie biographie de Toutankhamon et de son célèbre beau-père, Akhenaton ?

— Cela ferait une bonne introduction. (Elle prit le livre.) Mais j’espère recevoir des rapports journaliers de ce qui se passe dans la Vallée, Amelia. Et envoyez aussi Nefret me voir. Khadija et elle sont de bonnes copines, aussi sa visite ne créera aucun commentaire.

Je la quittai avec le sentiment que je m’en étais honorablement sortie. ‘Acérée’ était un qualificatif qui pouvait s’appliquer à Margaret. Un des qualificatifs.

 

Elle n’avait pas demandé à voir Sethos.

 

Je ne voulais pas non plus le voir. Aussi, au lieu de rentrer à la maison, j’allai droit à la Vallée Ouest. Emerson avait surveillé ma venue. Il se hâta à ma rencontre, Nefret sur ses talons.

— Et bien ? demanda-t-il.
— Comment va-telle ? s’inquiéta Nefret.

— Je présume que vos questions concernent son état d’esprit puisque vous pouvez difficilement supposer que Daoud ou Khadija lui aurait porté un tort physique.

Je laissai Emerson me faire descendre de ma selle. Il me déposa à terre avec un bruit sourd. — Ne tergiversez pas, Peabody.

— Je lui ai expliqué la situation et elle a accepté de rester où elle est pendant un certain temps. (Je pris mon mouchoir pour tapoter mon front humide et mes joues avant de continuer.) Du moins, tant que je la tiendrai informée de ce qui se passe avec la tombe.

Mains sur les hanches, tête dressée, Emerson considéra la chose. Le soleil allumait des reflets sur ses cheveux aile de corbeau parce que, bien entendu, il ne portait pas de chapeau. Finalement, il dit :

— Je dois avouer, Peabody, que votre fourberie actuelle dépasse tout ce que je pouvais espérer de vos habituels talents en la matière. Vous avez trouvé la seule excuse que je ne peux refuser pour rejoindre la Vallée Est.

— Je vous assure, Emerson, que jamais une telle idée ne m’était venue à l’esprit jusqu’à ce que Margaret…

— Humph, dit Emerson lourdement.
— Elle a aussi exigé que Nefret aille la voir.
— Exigé ?
— C’était nettement plus insistant qu’une simple demande, admis-je.

— Je n’ai pas été voir Khadija depuis un certain temps, dit Nefret. Bien entendu, je vais y aller. Margaret doit terriblement s’inquiéter à son sujet.

 

— Au premier abord, elle semblait nettement plus furieuse qu’inquiète, dis-je. Cependant, la colère n’est souvent que le signe apparent d’une profonde inquiétude s’il faut en croire…

— Elle doit espérer que vous lui parlerez plus facilement que Peabody, dit Emerson d’une voix forte. (Il devait craindre que je m’apprête à employer le mot interdit de ‘psychologie’.) Il faudra bien faire attention à ce que vous lui direz, Nefret.

— Que pourraisje lui dire ? demanda Nefret d’un air inquiet.
— Hmmm, dis-je. Nous devrons en parler avant que vous n’y alliez.

Puisque je suis favorable à la vérité chaque fois que c’est possible, je dois admettre que l’exigence/demande de Margaret était pour moi comme la réponse à une prière. Je n’aime pas rester en dehors des choses. Nous avions déjà auparavant été exclus d’intéressantes activités archéologiques (et je dois l’ajouter, pour les mêmes raisons) mais cette découverte était si extraordinaire qu’il était vraiment pénible d’être traités comme des intrus et non pas comme les professionnels que nous étions. A mon avis, lord Carnarvon avait fait montre d’étroitesse d’esprit en réagissant de façon si vindicative à quelques jurons. Comme Emerson, je n’avais pas l’intention de m’humilier devant lui pour obtenir des faveurs, mais j’avais quelques espoirs en ce qui concernait Howard — et il y en avait d’autres qui nous devaient un minimum de considération.

Malgré tout, je décidai de repousser ma visite au lendemain suivant. J’avais bon nombre de problèmes à régler avant cela. Tout d’abord, il fallait que je mette Cyrus au courant. Il m’avait harcelée de questions (c’est le moins qu’on puisse dire) au sujet de Sethos. Je m’étais arrangée pour le maintenir à l’écart jusqu’ici mais je devais maintenant une partie de la vérité à mon vieil ami, surtout en considérant le fait qu’un membre de son équipe avait été affecté par nos histoires. Il fallait aussi que je m’occupe de Sethos, et de Margaret. Je lui avais annoncé que le cas serait résolu, mais jusqu’ici je n’avais pas la plus petite idée concernant la façon de le faire.

La vie devenait un tantinet compliquée. Je gagnai un petit coin tranquille et commençai à établir une de mes petites listes.

 

*** Manuscrit H

Ramsès avait donné aux autres l’impression qu’il avait cessé ses tentatives pou r déchiffrer le message, mais il n’avait pas été capable de résister à la tentation de continuer. Les groupes de nombres offraient plusieurs combinaisons possibles, et il les essayait les unes après les autres, sans succès.

Quel secret dangereux pouvait bien contenir ce maudit papier ? Une traîtrise, une alliance secrète ou des plans de guerre ? Leur déchiffrage mettrait probablement ces plans en danger, ce qui impliquait qu’ils avaient une importance vitale. Cependant, il ne connaissait que trop bien la façon de raisonner si particulière des services secrets, et il avait connu des gens qui massacraient leurs concitoyens — et concitoyennes — pour des raisons qui resteraient à jamais incompréhensibles à un esprit normal.

Repoussant avec dégoût un exemplaire d e l’Ancien Testament hébreu, il retourna à son travail de traduction en hiératique, et il s’y concentra durant quelques heures avant de réaliser que ses oreilles restaient à l’écoute des bruits qui indiqueraient que sa mère était revenue de Gourna. S’appuyant en arrière sur sa chaise, il passa la main dans ses cheveux. Elle perdait tout bon sens. Enlever Margaret dépassait vraiment les bornes. Ses raisons pour le faire avaient sonné juste sur le coup — avec ses yeux gris acier et son ferme menton pointé, elle réussissait souvent à hypnotiser ses interlocuteurs — mais plus il y songeait, plus il considérait que sa mère avait surtout cédé à son goût du mélodrame.

Je dois lui parler, pensa-til. Qu’est-ce qui la retient si longtemps ? Peut-être avait-elle été à la Vallée Ouest, en laissant Sethos— et lui— se morfondre.

Un petit entretien avec Sethos ne serait pas une mauvaise idée non plus. Il posa son crayon sur la table et partit à la recherche de son oncle. Après avoir regardé dans le jardin, où jouaient les enfants, puis dans la véranda, il dénicha enfin Sethos dans la cour intérieure derrière la maison. Les femmes de la maisonnée y travaillaient, préparant de la nourriture, lavant le linge. Dans un coin tranquille où un hibiscus de sa mère déployait ses buissons fleuris au dessus d’un banc incurvé, Sethos était assis, mains croisées, tête baissée. Il releva les yeux en sursautant.

— C’est l’heure de déjeuner ?
— Non.

Il y avait de la place sur le banc, mais Ramsès ne souhaitait pas donner une impression de connivence. Il s’assit par terre et croisa sous lui ses longues jambes avec l’aisance d’une vieille habitude.

— Je suis désolé de déranger votre sieste, dit-il.

 

— Je ne dormais pas, dit Sethos en bâillant immédiatement comme pour contredire cette assertion.

Il essaie de m’énerver, pensa Ramsès. Et il y réussit parfaitement.
— Qu’allez-vous faire ? demanda-t-il.
— A quel sujet ? Oh — Margaret ? Votre mère s’occupe de tout. (Un autre bâillement exagéré.)

— Au sujet de la situation en général, dit Ramsès en s’efforçant de garder son calme. Nous ne pouvons pas continuer ainsi indéfiniment.

 

— Quelque chose finira bien par arriver tôt ou tard, répondit Sethos qui ajouta pensivement : J’ai un plan.

 

— Que vous ne comptez pas partager avec moi, je suppose.

Sethos se gratta le menton. Il ne s’était pas rasé ce matin, et maintenant que Ramsès le regardait plus attentivement, il distinguait d’autres signes de tension — les yeux creux, de nouvelles rides sur le visage. Mais le vieux sourire moqueur incurvait toujours la bouche mobile.

— Ce n’est pas encore un plan très défini, Ramsès. Restez en dehors de cela.
— Je suis déjà dedans, grâce à vous. Et tout le reste de la famille également.
— J’ai fait une erreur, admit Sethos. Je n’aurais jamais dû venir ici. Mais quand le vin est tiré...

L’adage était incontestablement exact, mais selon Ramsès inadapté. Il comprit cependant que son oncle s’était approché d’une excuse autant qu’il lui était possible de le faire. Sethos continua gaiement :

— Je peux au moins vous faire part d’une partie de mon plan. Je vais quitter la réclusion et devenir plus visible.

 

— Pour attirer l’attention sur vous et la détourner de nous ? dit Ramsès en relevant les sourcils d’un air sceptique. Que c’est noble à vous !

— Pas du tout. Il est temps que jem’intéresse à cette tombe.
***
Ramsès rapporta cette phrase à sa mère quand elle revint de la Vallée. Sa seule réponse fut un bref :
— Nous en discuterons plus tard.

Son visage était rouge et poussiéreux, et il savait qu’elle était impatiente de retrouver le réconfort de sa ‘jolie petite baignoire’ mais il la retint cependant :

— Mère, vous estil venu à l’idée que nous n’avions que la parole de Sethos pour confirmer qu’il courait un danger ? De plus, les agressions sur Père et moi, ou sur Nadji, portaient sa signature — très mélodramatiques et peu dangereuses. Elles ont pu être menées pour soutenir sa thèse qu’il était en danger mortel. La seule tragédie a été la mort du vieil homme, qui n’a peut-être pas été intentionnelle. Chaque incident aurait pu être monté par lui, et son prétendu code pourrait être un faux.

Elle enleva son chapeau et repoussa ses cheveux noirs humides de son visage.
— Pourquoi aurait-il élaboré un plan aussi compliqué ?
— Il est après la tombe de Carter.
— Naturellement, cette idée m’était déjà venue à l’esprit.
Ramsès eut du mal à ne pas jurer. En observant son expression, sa mère sourit.

— Mon cher garçon, je sais que j’ai tendance à prétendre avoir prévu les choses une fois qu’elles sont arrivées. Dans ce cas, pourtant, je n’exagère pas. La coïncidence d’une riche découverte et de la visite inattendue d’un ancien voleur d’antiquités ne pouvait qu’éveiller les soupçons. Certains faits cependant jettent un doute sur cette théorie — la synchronisation par exemple. L’attaque sur votre père et vous a eu lieu avant la découverte d’Howard.

— Sethos a ses sources, dit Ramsès. Puisque Père suspectait que cette tombe se trouvait là, Sethos pouvait également l’avoir fait.

— La crise de malaria ne pouvait pas avoir été préparée.
— Elle est bien tombée, mais il aurait pu trouver une autre excuse pour débarquer ici.

— Vos arguments sont irréfutables, dit-elle en lui tapotant le bras. Maintenant, excusez-moi mais je dois me rafraîchir un peu. Cyrus vient prendre le thé avec nous.

— Allez-vous lui faire part de tout ceci ?
— Il est grand temps que je le fasse, ne pensez-vous pas ?

Quand son père et Cyrus arrivèrent, Suzanne les accompagnait. Ramsès eut la distincte impression que sa mère n’avait pas inclus la fille dans son invitation, mais elle accueillit cet hôte inattendu et importun avec une courtoisie sans faille, et suggéra à Suzanne d’aller se ‘rafraîchir un peu’ avant le thé.

— J’en aurais bien besoin aussi, dit Nefret avec un sourire contrit. Venez avec moi, Suzanne. Vous ne connaissez pas encore notre maison, je crois.

 

— Ramenez les petits avec vous en revenant, ordonna Emerson. (Il s’installa dans un fauteuil rembourré de coussins et étala ses jambes.) Oubliez le thé, Peabody. Je veux un whisky soda.

Elle leva les sourcils mais s’avança vers l a porte pour appeler Fatima. La gouvernante apparut avec le plateau à thé, si rapidement que Ramsès réalisa qu’elle avait dû être cachée derrière la porte. Elle le faisait souvent quand Sethos faisait partie des invités.

Assis modestement un peu à l’écart des autres, il était l’image même du parfait employé subalterne, un sourire avenant aux lèvres, les yeux fixés sur Emerson comme s’il attendait un ordre.

— J’en prendrai bien un aussi, dit Cyrus. Mais sans soda. Qu’y a-t-il encore, Amelia ? Vous vous êtes clairement débarrassée de Suzanne — qui s’est plus ou moins invitée d’ailleurs. Parlez avant qu’elle ne revienne.

Elle sortit une de ses petites listes de la poche de sa jupe.
— Par où commencer ? hésita-t-elle en la parcourant.

— Peut-être devriez-vous me laisser commencer, dit Sethos. (Il avait abandonné son rôle subalterne.) Cyrus sait qui je suis. Il ne sera pas surpris d’apprendre que j’ai rencontré quelques petits problèmes au cours de ma dernière mission. J’ai — hum— emprunté un certain document qui semble intéresser bon nombre de gens. Ils sont sur ma piste depuis.

Cyrus hocha la tête. Ses yeux bleu pâle étaient fixés sur Sethos et son expression n’était guère amicale.

 

— Ils ont confondu le pauvre Nadji avec vous, je le pensais bien. Qu’est-ce au juste que ce foutu document ?

 

— C’est bien le problème, dit Sethos. Il est codé. Je ne peux pas le lire.

 

— Et vous êtes venu ici, avec une bande d’assassins aux trousses. (Cyrus prit le verre qu’Emerson lui tendait.) C’est un sale coup à jouer à des amis.

 

— Il avait la malaria, dit aussitôt Ramsès en se demandant pourquoi diable il prenait la défense de son oncle. Et quels que soient ces gens, ils seraient venus le chercher ici de toute façon.

— Ramsès a raison, Cyrus, dit sa mère qui avait dû guetter une ouverture pour intervenir. Ces gens connaissaient la vraie identité de Sethos, et cela veut dire qu’ils savaient aussi qui sont ses amis. Et qui est sa femme, ajouta-telle d’un ton solennel.

— Mon Dieu, s’exclama Sethos. Elle serait un parfait otage, n’est-ce pas ? Où est cette dame ? Comme attirés par un aimant, tous les yeux se tournèrent vers la mère de Ramsès. Elle s’éclaircit la voix :

 

— Dans un endroit sûr, Cyrus. Je l’ai vue ce matin…

 

— Elle est ici ? (Cyrus était habituée aux coutumes étranges des Emerson mais la nouvelle l’avait manifestement estomaqué.) Où ? Comment ? Quand estelle…

 

— Je vous en prie, Cyrus, laissezmoi continuer. Certains n’ont pas entendu parler de mon entrevue avec Margaret et si vous me permettez de…

 

— Ca va prendre un bon moment, dit Emerson avec un grognement outré. (Il remplit son verre.) Cyrus, vous connaissez le style narratif de Peabody. Vous devriez aussi prendre un autre whisky. — Je vais le faire, dit son frère.

 

Sethos— à qui Emerson n’avait pas encore offert de verre — se leva, alla jusqu’à la table, et se servit ainsi que Cyrus.

— Comment se porte mon épouse bien-aimée, Amelia ?
— Elle est parfaitement bien installée et d’une humeur déplorable.
— Contre moi ? demanda Sethos.

— Contre tout le monde, et contre vous en particulier. Cependant elle a accepté de rester où elle est aussi longtemps que je la tiendrai informée des progrès de l’excavation de la tombe de Toutankhamon.

— Ainsi c’est bien ce qui l’a fait venir, marmonna Sethos.

— C’est ce que vous pensiez, n’est-ce pas ? Quand avez-vous vu Margaret manquer une histoire importante ? Elle sait que Kevin est à Louxor et compte sur nous pour lui offrir des articles en exclusivité.

— Humph, dit Emerson. Elle va être déçue alors. Nous n’avons aucune information ‘en exclusivité’.

 

— C’est ce que j’espère obtenir demain, dit sa femme d’un ton doucereux. Cyrus et moi, Nefret et Ramsès…

 

— Les voilà, coupa Ramsès.

Les autres avaient entendu aussi. Seul un mort aurait pu ne pas entendre. Les aboiements frénétiques de la chienne et les hurlements des enfants se mêlaient aux gloussements haut-perchés de Suzanne.

— Oubliez un peu cette sacr… cette satanée tombe, dit rapidement Cyrus. Comment allez-vous sortir de cette histoire ?

 

— Si vous avez une suggestion à faire, nous serions heureux de l’entendre, dit Emerson. — Pourquoi ne pas donner le message à déchiffrer à un expert ? demanda Cyrus. Si j’ai bien compris, c’est ce que ces types voudraient éviter.

La mâchoire d’Emerson en tomba. C’était une solution si évidente qu’aucun d’eux n’y avait pensé — sauf Ramsès. Tristement conscient de son manque de technique, il n’avait cependant pas osé proposer cette alternative. Son père et sa mère auraient été offusqués à l’idée que la famille ne pouvait pas tout résoudre, y compris un meurtre,sans avoir besoin d’une aide extérieure.

Mais il y avait beaucoup d’objections à cette idée. Les experts en déchiffrage n’étaient pas nombreux et la plupart d’entre eux travaillaient pour les services secrets. De plus, si son hypothèse était exacte, même un expert ne pourrait pas comprendre le message sans le livre qui s’y référait.

Les jumeaux surgirent alors, réclamant du thé et offrant de partager les gâteaux avec Suzanne. Ils s’étaient pris d’un engouement pour elle, ce qui surprenait plutôt leur père. Après un désagréable incident quelques années plus tôt, Charla avait développé une profonde antipathie contre les jolies dames blondes. Suzanne devait avoir mis du sien pour gagner ainsi les deux enfants. En riant, elle les laissa la guider jusqu’à sa chaise et David John apporta son jeu d’échec.

— Laissez Mam’selle avoir d’abord son thé, dit fermement leur grand-mère. Et elle ne souhaite peut-être pas jouer aux échecs.

 

— Oh, mais j’ai promis que je le ferai. Je suis sûre qu’il gagnera.

 

Elle roula des yeux vers David John qui la fixa comme un lapin hypnotisé. Contrairement à sa sœur, il avait une faiblesse pour les jolies dames blondes.

En se tournant vers Sethos, Suzanne dit :
— David John dit que vous êtes un très bon joueur.
— Il gagne à chaque fois, dit Sethos.

Il lissa sa moustache avec un regard insistant vers la fille. Il avait toujours tendance à outrepasser son rôle. Suzanne lui retourna son sourire. Elle n’est pas vraiment jolie, pensa Ramsès en la regardant d’un œil neutre. Elle a des pommettes plates et un trop petit menton. Il admit qu’il n’était guère objectif. Pour lui, aucune femme au monde n’était comparable à la sienne.

Nefret était partie à Gourna rendre la visite promise à Khadija et à son invitée. Au moins, elle avait eu le bon sens d’y aller en plein jour au lieu d’attendre après le dîner. Il y aurait beaucoup de monde autour, et elle avait promis de demander à Daoud de la raccompagner jusqu’à la maison.

Quand il reporta son attention sur les autres, il constata que Sethos avait fait sortir Emerson de son humeur maussade au sujet de la tombe. (Le mot ne demandait plus d’adjectif, il n’y avait alors qu’une seule « tombe » en Egypte.)

— Où avez-vous entendu cela ? demanda Emerson.

 

— Je lis les journaux, professeur. Il y a dix jours, Carnarvon a envoyé une déclaration au Times en affirmant que la tombe avait été pillée durant la vingt-et-unième dynastie.

 

— Mensonges et balivernes, s’exclama Emerson. Si l’existence de cette tombe avait été connue à cette époque, elle aurait été complètement vidée. En outre…

— Nous connaissons les autres arguments, Emerson, le coupa sa femme. La tombe ne peut pas avoir été visitée après la vingtième dynastie. Les huttes d’ouvriers depuis l’époque de Ramsès VI recouvraient l’entrée et elles n’avaient pas été dérangées avant qu’Howard ne les déblaie. Pourquoi a- t-il laissé Carnarvon faire une déclaration aussi ridicule ?

— La réponse est évidente, n’est-ce pas ? demanda humblement Sethos. Une tombe intacte reviendrait entièrement au département des antiquités. La définition du mot ‘intacte’ est sujette à caution, mais si le pillage a eu lieu au cours de la période où la plupart des autres tombes royales ont été profanées, les découvreurs peuvent demander un partage de son contenu.

Emerson grommela en guise d’accord. Suzanne lança à Sethos un œil admiratif : — Brillante analyse, Mr Bissinghurst. Vous semblez bien connaître le sujet.

— Je le connais assez pour savoir que Carter et Carnarvon vont avoir des ennuis, dit Sethos en baissant la tête avec une prétendue modestie. Jusqu’ici le Times a été le seul journal à recevoir directement ses informations des excavateurs. Les autres journaux sont mécontents de devoir se contenter d’articles de seconde main et les journalistes égyptiens sont furieux d’être méprisés. Avec la montée du sentiment nationaliste… (Il secoua la tête.)

— Et Lacau ne cherche qu’une excuse pour pouvoir changer le règlement du partage des antiquités, ajouta Emerson. La concession de Carnarvon stipule que le musée conservera les momies royales, les cercueils et tout autre objet d’importance archéologique ou historique. Chaque objet de cette tombe peut tomber dans cette catégorie, et leur assemblage dans sa totalité est unique. Tout le contenu doit revenir au musée du Caire. Nous n’avions réclamé aucun objet de la tombe de Tetisheri pour nous-mêmes.

— Mais, dit sa femme en pointant le menton, nous n’avons rien de commun avec lord Carnarvon. Il n’est qu’un collectionneur.

 

— Je parie que vous pourriez en dire autant de moi, dit Cyrus d’un ton gêné. Je n’ai certainement pas refusé quand Lacau m’a offert de garder certains objets qui appartenaient aux Divines Adoratrices. — Vous les méritiez, dit Emerson Vous avez travaillé pour l’Egypte durant des années. Travaillé dur et consciencieusement.

 

Les compliments venant d’Emerson étaient rares. Le visage ridé de Cyrus en fut tout illuminé de plaisir.

— Carnarvon ne prend l’archéologie que comme un divertissement, continua Emerson. Et Carter achète des antiquités, pour son patron ou pour d’autres. Ils espèrent se faire de l’argent, d’une manière ou d’une autre.

— Voyons, Emerson, vous n’en savez rien, protesta sa femme, et vous vous montrez injuste envers Howard. Il a fait de l’excellent travail autrefois mais depuis qu’il a perdu son travail au département des antiquités, il a dû vivre des revenus de ses ventes ou du bon vouloir d’hommes riches comme Carnarvon. Pour l’amour de Dieu, ne répandez pas de telles opinions ! Et ne demandez pas à m’accompagner à la Vallée Est demain.

— Je n’ai pas l’habitude de vous demander votre permission, Peabody. De toute façon, je n’ai aucunement l’intention de m’approcher à moins de trente mètres de cette foutue tombe. J’ai perdu tout intérêt pour cette histoire, affirma-t-il, le menton dressé.

— Et moi, Amelia ? demanda Cyrus plein d’espoir.

 

— Vous serez bien entendu le bienvenu, Cyrus, mais je suis désolée de ne pouvoir accepter personne d’autre ajouta-t-elle avec un sourire affable envers Suzanne — qui referma la bouche. — Humph, dit Emerson. Hum — Ramsès, allez-vous laisser cette enfant continuer à se gaver de gâteaux ? Elle n’aura plus faim pour le dîner.

 

Ramsès éloigna sa fille de la table à thé et leurs invités qui, comprenant l’allusion, prirent congé peu après.

 

Sa mère avait une autre nouvelle explosive à leur faire partager. Agitant le panier du courrier, elle annonça :

 

— J’ai reçu un câble de David aujourd’hui. Il compte venir en Egypte, avec Sennia et Gargery pour passer avec nous les fêtes de Noël.

— Bon Dieu, dit Ramsès en tenant d’une main ferme sa fille qui se tortillait.
— Oncle David ! cria Charla avec ravissement. Et Sennia et Gargery aussi !
— C’est une très agréable nouvelle, dit David John.

— Non, c’est… Hum. Oui, dit Emerson d’une voix étranglée. Très agréable. Bon Dieu, Peabody. J’avais dit à Gargery en des termes qui ne souffraient aucune équivoque qu’il ne devait pas revenir en Egypte. Crénom, il est censé être maître d’hôtel.

— Surveillez votre langage, Emerson, dit sa femme. Gargery considère de son devoir de nous défendre quand l’occasion s’en présente. Il a souvent utilisé son gourdin pour venir à notre secours et il s’est lui-même proclamé le défenseur attitré de Sennia.

— Le vieux brigand peut à peine marcher, grogna Emerson.

 

— Il prétend que ses rhumatismes s’améliorent dans un climat chaud et sec. D’ailleurs, les opinions médicales le confirment.

 

— Et David ? Il ne souffre pas de rhumatismes, grommela Emerson. Nom d’un chien, je parie que c’est cette dam… hum — foutue tombe.

 

— Ils viennent parce qu’ils veulent être avec nous pour les fêtes, dit sa femme. Avez-vous oublié que Noël est dans quelques semaines ?

 

Sans voix pour une fois, Emerson se leva et se dirigea vers la carafe de whisky.

* * *
*
Cyrus arriva tôt le matin suivant, frais et dispos, comme il l’annonça. Il accepta un café et, à ma

demande, Nefret répéta le rapport de sa visite à Margaret.

— Elle est diablement résolue à obtenir un article exclusif, ditelle en plissant le front. Elle n’a cessé de me questionner au sujet de notre « querelle »(comme elle l’appelle) avec Carnarvon. J’ai été claire à ce sujet et j’ai nié toutes ses allégations mais nous ferions mieux de lui trouver quelque chose d’important ou bien elle ne ressortira que l’aspect scandaleux.

— Quel aspect scandaleux ? demanda Ramsès. Et quelles allégations ?
— Il vaut mieux que tu n’en saches rien, dit Nefret en lançant un regard amusé à son mari. — Mais il n’y a pas eu…

— Les journalistes sont parfaitement capables d’inventer des scandales qui n’existent pas, dis-je. Je veux que vous m’accompagniez à la Vallée Est ce matin, Nefret. Vous avez un don avec les messieurs et Carnarvon ne peux rien avoir contre vous. Vous n’étiez même pas avec nous cette nuit-là. En fait, la seule personne qu’il a exclue était Emerson.

— Est-ce vrai ? demanda Cyrus. Alors pourquoi avons-nous tous été si frileux comme si nous avions quelque chose à nous reprocher ?

— Précisément, disje. Je me suis laissé influencer par… Aucune importance. A partir de maintenant nous allons nous comporter comme si rien de fâcheux n’était arrivé. Et si sa Seigneurie fait des histoires, ce ne sera pas de notre faute.

Emerson avait gardé le silence, prétendant ne pas entendre les allusions, ni remarquer les regards en coin qui se dirigeaient vers lui. Il reposa violemment sa tasse de café dans sa soucoupe. — Je vais à la Vallée Ouest, annonça-t-il. Pour travailler. Il y a une zone intéressante au nord de la WV25. J’ai l’intention de mettre l’équipe à excaver au pied du soubassement.

— Bonne chance, dit Cyrus.
— Bah, répondit Emerson.

Il sortit à grands pas. Avec un claquement de langue réprobateur, Fatima débarrassa la tasse fendue et la soucoupe cassée.

Pour l’édification des lecteurs ignorants, je pourrais peut -être expliquer que le système de numérotation des tombes avait commencé dans les années 1820. Depuis, d’autres tombes avaient été ajoutées dans l’ordre chronologique de leur découverte. Celles de la Vallée Est, étaient distinguées par les initiales KV— King Valley— et celles de la Vallée Ouest par WV— West Valley. Il n’y avait que quatre de ces dernières et mon distingué époux avait toujours pensé que d’autres entrées se cachaient encore dans les falaises déchiquetées qui cernaient la vallée.

Le matin suivant, nous trouvâmes Selim dans l’écurie, sous l’automobile. A notre approche, il se releva et rajusta pudiquement les plis de sa galabieh.

 

— Je pense l’avoir réparée, Sitt, dit-il. Dois-je vous conduire à la Vallée ?

 

— Où est Emerson ? demandaije, surprise qu’il ne prêtât pas son assistance à Selim pour la réparation.

 

— Il a sellé son cheval et il est parti en toute hâte, et en jurant, marmonna Selim. Il a dit qu’il ne pouvait pas attendre.

— Je suppose que c’est aussi bien, dis-je. Il n’est pas de très bonne humeur. Nous allons tous rendre à la Vallée Est, Selim, mais vous feriez mieux d’aller retrouver Emerson à la Vallée Ouest. Et sans l’automobile.

Selim prit un air rebelle, mais il savait qu’il ne pouvait pas argumenter avec moi. — Est-ce vrai que David et le Petit Oiseau vont bientôt arriver ?

Petit Oiseau était le surnom de Sennia. Elle était adorée par toute notre famille égyptienne, ainsi que David qui était apparenté, par son grand-père Abdullah, à la plupart de ses membres.

— Gargery aussi, dis-je.
— Ah, répondit Selim.

Il aida Jamad à seller les chevaux et nous accompagna jusqu’à l’embranchement qui menait à la Vallée Ouest, où il nous laissa avec un signe d’adieu. Nous continuâmes jusqu’à l’entrée de la Vallée Est et laissâmes les chevaux au parc aux ânes avant de nous joindre au flot des touristes. Tandis que nous nous approchions de la tombe, nous fûmes accostés par un individu que j’aurais préféré ne pas voir. Fièrement attifé d’un casque colonial et d’un blouson Norfolk, Kevin O’Connell se planta sur mon chemin.

— Bonjour, Mrs E. Je pensais bien que vous viendriez rôder par ici.
— Fichez le camp, marmonnai-je en le repoussant.
Kevin émit une expression choquée, puis il sourit d’un air entendu.
— Je ne voudrais surtout pas vous couper l’herbe sous les pieds, m’dam. Je vous verrai plus tard.

De grossiers murs de soutènement avaient été érigés autour de l’entrée de l a tombe et une petite cabane— qui servirait d’entrepôt et de maison de gardien — était en construction. Howard avait au moins appris quelque chose de cette mémorable nuit qui datait déjà de quelques semaines. L’entrée de la tombe était maintenant gardée par des soldats égyptiens assistés de Mr Callender, perché sur le mur avec un fusil en travers des genoux. Quand il nous vit, il se redressa et se mit à tousser violemment. L’air était très poussiéreux.

Je le hélai avec mon habituelle bonne humeur.

 

— Bonjour, Mr Callender. Vous devriez remettre votre chapeau, vous savez.

 

Son regard passa avec méfiance de moi à Ramsès, Nefret, Cyrus et Sethos. Ne trouvant pas Emerson, il se détendit et répondit par un courtois salut.

Les déblais autour de l’entrée de la tombe avaient été dégagés mais l’escalier était encore à demi- rempli. En plein milieu de la rocaille siégeait un gros rocher peint d’un blason — celui de Carnarvon à mon avis puisqu’aucun des autres ne possédait d’armoiries.

— Aucun ennui j’espère ? demandai-jeen m’approchant plus près.
— Non, m’dam.
Une toux insistante de Sethos à mes côtés me fit ajouter :

— Je présume que vous ne connaissez pas le nouveau membre de notre équipe, Anthony Bissinghurst. Sa spécialité est le démotique, mais il est aussi une autorité en ce qui concerne la période Armana.

— C’est un plaisir de vous rencontrer, monsieur, dit Sethos avec effusion. Votre dévouement et vos talents sont devenus une légende en Egypte.

Comme moi-même, Sethos savait reconnaître les gens qui croyaient mériter les compliments les plus outranciers. Callender s’épanouit. Sans nul doute, il était ravi d’avoir de la compagnie pendant son ennuyeux travail. Il se releva.

— Excusezmoi, mesdames, de ne pas m’être levé plus tôt. Voulez-vous un— euh— un morceau de mur ?

— Nous ne voulons pas vous déranger, dit Nefret avec un sourire qui découvrit toutes ses fossettes. Nous sommes juste passés vous dire bonjour et vous apporter une bouteille de la limonade de Fatima.

La limonade avait été son idée et elle reçut une réponse enthousiaste. Callender la but d’un trait.

— C’est vraiment très gentil à vous, dit-il en s’essuyant la bouche d’un mouchoir crasseux. Et puisje vous dire, Mrs Emerson, combien vous avez l’air en forme. Il y a quelque temps que je ne vous avais pas vue.

Le discours ne s’adressait pas à moi. Aussi ce fut Nefret qui répondit :

— Nous avons eu des empêchements à venir plus tôt. Beaucoup de chose à faire… Mais nous sommes prêts et désireux de vous aider si nous le pouvons. Si vous avez besoin de soins médicaux, ce que je prie le ciel d’éviter, j’espère que vous viendrez me voir.

C’était une autre approche à laquelle je n’avais pas pensé. Tout le monde savait que Nefret était le meilleur praticien de Louxor. Mr Callender essuya les perles de transpiration de sa calvitie naissante.

— C’est très gentil à vous, m’dam. Je me sens un peu patraque.
— Ce n’est pas étonnant, en restant ainsi à la chaleur et la poussière toute la journée, dit Nefret. — Je le dois, dit Callender noblement. Pour garder ces vautours à distance.

Il adressa un froncement de sourcils menaçant à un badaud qui avait repoussé en arrière son casque colonial pour exposer des mèches d’un roux violent.

 

— Est-ce que la presse vous ennuierait ? demandai-je avec sympathie, tout en me félicitant d’avoir prévenu Kevin de garder ses distances.

 

— Surtout ce type-là. Il prétend être de vos amis.

 

— Il n’est absolument pas de nos amis, Mr Callender, dis-je avec un ricanement de dédain. Vous connaissez ces journalistes, ils raconteraient n’importe quoi pour pouvoir en prendre avantage.

— Ils perdent leur temps, dit Callender. Comme vous le voyez, il ne se passe rien d’intéressant. — Quand Mr Carter doit-il revenir du Caire ? demanda Cyrus.
— D’un jour à l’autre, répondit Callender en hésitant.
— Et ensuite, vous allez rouvrir la tombe ? insista Cyrus.

Je lui envoyai un petit coup d’ombrelle. Je savais que les questions trop directes mettaient les gens sur la défensive.

 

— Nous devons y aller, dis-je. Venez prendre le thé un jour, Mr Callender. Vous serez toujours le bienvenu. Tenez, gardez aussi ceci, ajoutaije en lui tendant mon ombrelle ouverte. J’en ai d’autres. — Quel dommage de ne pas pouvoir prendre une photographie de Callender avec votre ombrelle, dit Nefret une fois que nous nous fûmes éloignés.

 

— Flûte alors, il ne nous a pas dit grand chose, dit Cyrus dépité.

 

— Mais nous avons mis un pied dans la place et placé quelques amorces, répondis-je. En grande partie grâce à Nefret d’ailleurs. Et puis, j’ai d’autres sources d’information.

Ramsès avait gardé le silence jusqu’ici. Il le rompit enfin :
— Etaient-ce les armes de Carnarvon sur ce rocher ?
— Je le présume, répondis-je.
— C’est plutôt prétentieux, n’est-ce pas ?

— Cela ne fera pas bon effet auprès du gouvernement égyptien, agréaije. Seth… Anthony a raison malheureusement. Carnarvon va avoir des ennuis s’il continue à se comporter comme si la tombe lui appartenait.

— C’est ce que Davis faisait toujours, dit Ramsès à juste titre.

— Les temps ont changé, Ramsès. Le ressentiment contre les étrangers n’a fait qu’augmenter depuis que les négociations pour l’indépendance ont commencé. Cette découverte est précisément le genre de choses qui pourrait focaliser ce ressentiment.

— Puis-je citer vos paroles, Mrs E. ?

 

— Certainement pas, disje. (Je n’eus pas besoin de tourner la tête pour identifier l’interlocuteur qui était derrière moi.) Fichez le camp, Kevin.

 

— Voyons, Mrs E., quel mal cela pourrait-il faire ?

 

— Beaucoup de mal et vous le savez très bien. Mon Dieu, Kevin, n’avez-vous pas d’autres sources à exploiter que nous ?

 

***

Emerson n’avait pas réellement oublié que Noël se rapprochait. Il ne le pouvait pas. David John avait épinglé un calendrier sur le mur de leur salle de jeu et il rayait les jours un par un. Charla ne cessait de nous présenter des listes.

— Un ark et des flesse, lusje après avoir reçu l’un de ces documents. Votre prononciation est aussi répréhensible que votre demande, Charla. Vous ne pouvez pas imaginer que je vous autoriserais à posséder une arme.

— Alors je vais aller demander à Grandpapa, répondit miss Charla en me jetant un œil noir. — Il ne vous laissera pas faire non plus.

Cependant cette petite liste ma rappela que j’avais des achats à faire. Une tâche de plus parmi tant d’autres. Certains pourraient juger qu’un joyeux Noël ét ait moins important que conjurer le danger qui menaçait Sethos ou faire tenir tranquille Margaret, mais puisque je n’avais trouvé aucun moyen de résoudre ces difficultés, je décidai de me consacrer à un sujet plus gai. Ma dernière visite à Margaret avait été rien moins que satisfaisante. Elle rongeait son frein pendant sa captivité, ainsi qu’elle le disait, et elle me réprimanda de ne pas lui apporter de nouvelles informations au sujet de la tombe.

Quand j’annonçai mon intention d’aller courir à Louxor, Sethos fut le premier à se proposer pour m’accompagner.

 

— Pourquoi ? demandai-je avec suspicion.

— Je veux trouver des cadeaux aux enfants, bien entendu, dit-il en écarquillant les yeux à la Suzanne Malraux. Et vous devez avoir une escorte, ma chère Amelia. Qui sait si nos ennemis n’attendent pas qu’une occasion de vous rencontrer seule ?

— Vous devriez courir au premier ennui, dit Emerson.

 

— Je n’ai pas besoin d’escorte, dis-je fermement. Mais je serais heureuse d’avoir de la compagnie. Vous venez aussi, Nefret ?

 

— Je suppose que ce serait aussi bien. Je n’ai encore rien pour les jumeaux et j’aimerais trouver des cadeaux pour Tante Evelyn, Oncle Walter et David.

Ainsi nous partîmes tous les trois. Sethos avait l’air très fringant dans un pantalon de flanelle e t une veste en tweed marron que je reconnus provenir de la garde-robe de Ramsès. Pendant que le fils de Daoud, Sabir, était occupé à faire démarrer le moteur de son bateau, je demandai à mon beau-frère :

— Comptez-vous continuer à porter les vêtements de Ramsès ? Il n’en possède pas tant que cela, vous savez.

 

— Vous pouvez difficilement me demander d’envoyer une commande à mon tailleur au Caire, réponditil d’un ton de reproche.

— Sous quel nom vous connaît-il ? Oh, aucune importance. Je peux envoyer moi-même une commande au nom de Ramsès, je suppose. Heureusement que le magasin Davies, Bryan et Compagnie possède déjà ses mesures.

Je n’avais pas été à Louxor depuis quelques temps et mon moral s’égaya tandis que Sabir nous menait doucement à travers les eaux irisées par le soleil. Avant de partir, Ramsès m’avait prise à part pour me demander de ne pas laisser Nefret partir seule et de rester dans les zones sans risque, ce que j’avais eu l’intention de faire bien entendu. Je m’étais préparée à insister pour que Sethos reste avec nous s’il avait manifesté l’intention de s’en aller de son côté, mais il ne fit aucune tentative dans ce but. Il déambula calmement comme un touriste ordinaire, avec Nefret à un bras et moi à l’autre.

S’il avait eu l’intention de faire remarquer sa présence, il y réussit. Nous n’arrêtions pas de nous heurter à des gens que nous connaissions et la plupart d’entre eux souhaitaient s’arrêter pour bavarder. De même que beaucoup d’autres que nous ne connaissions pas. Les inévitables conversations avec ces derniers commençaient toutes de la même façon :

— Ah, Mrs Emerson, je suis sure que vous vous souvenez de moi. Miss Jones, des Jones du Berkshire. Puis-je espérer vous avoir à dîner avec votre famille un de ces prochains soirs ? Je faisais de mon mieux pour leur faire comprendre de ne pas espérer.

Nous fîmes le tour des magasins. Sethos était des plus sociables, se présentant à tout le monde, et marchandant de façon experte des bracelets en argent et des écharpes tissées. Il n’y avait pas beaucoup de variété dans ce qui pouvait être trouvé dans les magasins de Louxor — pour la plupart des souvenirs ou de fausses antiquités — mais certaines dames bienveillantes de l’école avaient commencé à encourager l’artisanat local comme le travail du bois, le tissage ou les sculptures d’albâtre. Nous terminâmes notre expédition au Winter Palace Hôtel où se trouvaient quelques établissements qui vendaient des marchandises européennes. Il était justement l’heure de déjeuner.

— Pourquoi ne pas déjeuner sur la terrasse, proposa Sethos. C’est dommage d’être enfermé par une si belle journée.

— Si nous pouvons obtenir une table dit Nefret, la terrasse semble pleine.
— Amelia peut toujours obtenir une table, affirma Sethos.

Ce qui se trouva être le cas. Après nous être installés, Nefret commença à fourrager parmi ses paquets.

 

— De la peinture et des crayons pour David John… Des colliers en argent pour Charla… Je n’ai rien trouvé pour Oncle Walter.

— Les hommes sont parfois difficiles, concédai-je.
A demi-retourné sur sa chaise pour regarder dans la rue, Sethos dit

— Je pensais faire un saut au Caire pour aller les rencontrer. Donnez-moi une liste, et je verrai ce que je peux faire.

— Pensezvous que c’est une bonne idée ? demandai-je.
— Pourquoi pas ?

— Vous savez parfaitement pourquoi. Essayezvous d’éviter Margaret ? Vous n’avez pas une seule fois été la voir.

 

— C’est vous je crois qui aviez souligné que nous ferions mieux de rester éloigné l’un de l’autre. Mais je peux peutêtre…

 

Il s’interrompit brusquement. Un homme s’était approché jusqu’à nous. Il enleva son chapeau et inclina la tête.

— Ah, sir Malcolm, disje en me demandant ce qu’il avait pu entendre. Où étiez-vous caché ? Je ne vous ai pas revu depuis que nous vous avions rencontré de façon si inattendue dans la Vallée des Rois.

Ses cheveux devaient être une perruque. Ils étaient trop blancs, et trop doux.
Sir Malcolm reçut ma pique avec un sourire.

— Ce fut une soirée intéressante, n’est-ce pas ? Puis-je me joindre à vous pour quelques minutes ?

 

— Certainement, disje. Vous vous rappelez Anthony Bissinghurst ? Vous l’avez rencontré l’année dernière, mais brièvement.

— C’est un plaisir de vous revoir, Mr Bissinghurst, dit sir Malcolm en inclinant à nouveau la tête — avec beaucoup de précaution. J’ai entendu dire que vous aviez rejoint l’équipe des Emerson, poursuivitil en fixant Sethos d’un regard perçant. Vous êtes excavateur ?

— Ma spécialité est le démotique, répondit Sethos. Je considère comme un vrai privilège de pouvoir approfondir mes connaissances avec un expert tel que Ramsès Emerson.

Le serveur vint prendre la commande et je lui demandai d’apporter une autre chaise. Sethos étudiait sir Malcolm avec, à mon avis, un intérêt professionnel, en prenant note de chaque détail. J’espérais qu’il n’avait pas l’intention de reprendre la personnalité de ce monsieur. Il l’avait brièvement fait l’année précédente et avait été assez surpris quand le vrai sir Malcolm s’était présenté devant notre porte sans avertissement. La retraite rapide de Sethos avait heureusement évité une confrontation gênante. En fait, j’aurais presque souhaité que cette confrontation ait eu lieu. J’imaginai deux sirs Malcolm face à face, également atterrés. Même Sethos n’aurait pas pu sortir d’un tel guêpier.

— Mère, dit Nefret.

 

Je réalisai quele charme de cette image mentale m’avait fait perdre le fil de la conversation. Sir Malcolm m’avait adressé une remarque.

 

— Je vous demande pardon ? dis-je.

— Laissez-moi alors le formuler plus directement, dit sir Malcolm, prenant ma distraction passagère pour de la surprise. Je crois que nous avons besoin les uns des autres, Mrs Emerson. Votre distingué époux voudrait toujours mettre la main sur cette tombe. Et je peux l’aider à le faire.

— C’est impossible, dis-je.

— Pas du tout. La folle incursion de Carnarvon dans la tombe l’a placé en position douteuse. Si Mr Lacau peut être persuadé que Carter et Carnavon ont emporté des objets de valeur, le département des antiquités aura des bases solides pour annuler leur concession.

Nefret poussa une exclamation étouffée mais elle me laissa le soin de répondre. Semblant soupeser cette outrageante proposition, je gardai le silence et sir Malcolm continua en s’échauffant :

— Les rumeurs se répandent mais pour l’instant elles ne sont pas confirmées. Si vous — ceux d’entre vous qui pouvez témoigner de ce qui s’est passé cette nuit-là— et moi allions voir Lacau et corroborer les uns les autres nos témoignages, il ne pourrait pas les ignorer. Et même s’il était tenté de le faire, une menace d’exposition publique suffirait à le faire céder. Vous avez des amis dans le monde journalistique. L’un d’entre eux a même été le témoin des actes de Carnarvon. Il serait ravi de publier cette histoire.

— Je vois que vous y avez soigneusement pensé, dis-je.

 

— L’appui du professeur est crucial, dit sir Malcolm. Sa réputation est irréprochable. Et personne ne croira que lui et moi sommes— euh…

 

— De connivence, murmuraije. C’est très juste. La façon dont il vous méprise est bien connue. Je présume que si ce petit plan venait à fonctionner, vous espérez obtenir quelque chose en retour. Les joues pâles de sir Malcolm s’enflammèrent d’une avidité fiévreuse.

 

— Vous avez vu le contenu de cette tombe. Chacun des objets qu’elle contient serait le clou de ma collection.

 

Nefret ne put se contenir plus longtemps :

 

— Comment osezvous suggérer…

— Voyons, voyons, dis-je. Sans vouloir être grossière, sir Malcolm, je crois que vous feriez mieux de partir avant que ma bellefille ne perde son calme. C’est une personne de parfaite intégrité morale, voyez-vous.

La subtile insulte fut perdue pour sir Malcolm. C’était un pur collectionneur, un fanatique dont les principes, en présumant qu’il en ait, avaient toujours été soumis à son désir de possession. Il était cependant suffisamment bon stratège pour savoir quand il fallait ne pas poursuivre une argumentation. Il se releva, fit un signe à son assistant qui patientait à ses côtés et lui tendit sa canne.

— Pensezy, Mrs Emerson, et consultez votre mari. J’espère bientôt avoir de vos nouvelles. Il claqua des doigts. Le domestique ouvrit aussitôt une ombrelle. Comme un potentat sous son baldaquin, sir Malcolm s’éloigna.

— Mère, dit Nefret indignée. Vous ne le ferez pas. Vous ne le pouvez pas.
Le serveur me présenta un plat de poulet et de riz

— Cela a l’air délicieux, dis-je. Mangez, Nefret. Vous avez besoin de garder vos forces. Bien entendu, je n’ai aucunement l’intention de participer à un plan aussi répréhensible.

 

— C’est une ingénieuse idée, murmura Sethos. Cela pourrait même marcher.

— Emerson hurlerait à cette simple suggestion, l’informai-je. Aussi ne vous mettez pas d’idées dans la tête. J’ai laissé croire à sir Malcolm que je pourrais être persuadée parce que je crois utile de laisser toutes les portes ouvertes pour récolter des informations. Il est déterminé à obtenir certains objets de cette tombe. Rien ne l’arrêtera. Si son plan ne marche pas, il essaiera quelque chose d’autre. N’importe quoi, y compris un meurtre. Nous devons à lord Carnarvon de surveiller sir Malcolm de près.

— Vous exagérez sûrement,protesta Nefret. C’est un homme sans scrupules, mais un meurtre… — Vous ne comprenez pas la force du désir d’un collectionneur, Nefret. Les objets de cette tombe pousseraient plus d’un homme aux pires extrémités.

 

— Elle a raison, dit Sethos en hochant la tête. Ce coffre peint, par exemple…

 

— Ecoutez quelqu’un qui s’y connaît, dis-je en lui lançant un regard noir.

 

***

 

J’avais espéré que Mr Callender viendrait prendre le thé mais six heures passèrent sans aucun signe de lui.

— Il viendra peut-être demain, disje à Nefret. Il n’avait pas l’air très bien.
Emerson qui avait été contraint à jouer aux échecs avec David John, leva les yeux de l’échiquier. — Vous n’avez pas versé un petit quelque chose dans sa limonade, n’est-ce pas, Peabody ? — Je ne savais même pas que Nefret lui en apporterait.
Sethos éclata de rire et Nefret lui dit sévèrement :
— Ne l’encouragez pas, voyons !

Elle était en colère contre Sethos ces derniers temps. J’étais certaine que Margaret lui avait raconté quelques histoires concernant les mensonges de Sethos depuis son mariage. En tant que femme et professionnelle sure de ses droits, Nefret sympathisait avec les autres femmes fortes et professionnelles, et en tant que mari, Sethos faisait piètre figure par rapport à Ramsès.

Daoud était pas sé un peu plus tôt avec une demande de Margaret pour que j’aille la voir avant le dîner. Je décidai que je ferais mieux d’obtempérer, bien que je ne voie rien à lui dire qui soit de nature à satisfaire son envie d’un article exclusif. Bien entendu, je ne comptais pas lui rapporter le plan ridicule de sir Malcolm, bien que ce soit certainement une nouvelle d’importance, mais si Kevin mettait la main sur l’histoire avant Margaret, elle deviendrait impossible à contrôler.

Cependant, me disje, Kevin n’oserait rien publier sans notre coopération, et il n’était pas près de l’obtenir. Il m’avait fallu deux whiskys soda pour calmer Emerson après que je lui aie rapporté la proposition de sir Malcolm. Ayant enfin admis les raisons de mon comportement, il avait tourné sa colère contre Sethos.

— Vous auriez dû lui coller une bonne raclée.

 

— Sur la terrasse du Winter Palace et devant cinquante personnes ? demanda son frère, les sourcils haut levés.

— Humph, dit Emerson — qui ajouta après un moment : Bah.
— Je vais faire un tour à Gourna, dis-je en me levant.
— Prenez votre ombrelle, dit Emerson.
— Transmettez tout mon amour à mon épouse, dit Sethos.
— Echec et mat, dit David John.

***

 

Khadija se tenait devant la porte ouverte de sa maison, bras croisés, occupée à bavarder avec ses voisines.

 

— Je vous ai apporté les médicaments que vous aviez demandés, disje à l’attention de l’auditoire qui s’attroupait toujours quand je venais au village.

 

— Merci, Sitt Hakim, dit-elle en prenant la bouteille.

 

Elle m’introduisit ensuite dans la maison où une appétissante odeur d’agneau rôti fit frémir mes narines. En le voyant, Khadija demanda :

— Voulez-vous rester manger, Sitt ?
— Il ne vaut mieux pas, Khadija. Un autre soir peut-être. Où est Daoud ?

— La dame l’a envoyé à Louxor chercher les journaux. Tout va bien, Sitt Hakim ? Si vous dites non, je ne les lui donnerai pas.

 

— Vous pouvez le faire. Comment va-t-elle ?

 

— Elle a écrit toute la journée dans son petit carnet. Elle m’a remerciée très poliment d’être gentille avec elle.

 

— Bien, dis-je. (Peut-être pourrais-je avoir en fait un entretien pacifique.)

 

— Je me sens si désolée pour elle, ajouta Khadija. Aujourd’hui, elle m’a demandé de lui apporter des fleurs. Juste quelquesunes m’a-t-elle dit, pour se rappeler combien le monde était beau au dehors. Parce que ma conscience n’était que très légèrement troublée, je dis fermement : — C’est nécessaire pour sa propre sécurité — et cela ne durera pas longtemps. (Du moins je l’espère, ajoutai-je en moi-même.)

Margaret lisait, lovée dans un confortable fauteuil que Khadija lui avait fourni. Daoud lui avait rapporté sa valise et elle arborait une robe de chambre ample, d’une morne couleur mauve — elle avait besoin de quelques conseils en manière d’habillement. Sur la table près d’elle, se trouvaient les fleurs de Khadija, des roses, des hibiscus et des marguerites joliment arrangées dans un vase.

— Je vois que vous avez de quoi vous occuper, disje en refermant la porte. (J’entendis le pas lourd de Khadija qui retournait dans la cuisine.)

 

— Ce livre ne vaut absolument rien, répondit Margaret. Vraiment Amelia, je suis surprise de voir que vous lisez de telles inepties.

— C’était de la curiosité, admis-je. Ce livre a été si populaire l’hiver passé. Il s’en est vendu un nombre d’exemplaires vraiment étonnant. J’ai juste — hum— parcouru quelques lignes de ci de là. C’est mauvais n’est-ce pas ?

— Ma chère, oui, vraiment. C’est même pire que mes propres productions en matière de publication romantique. (Elle jeta un œil sur la page ouverte devant elle et lut à voix haute.) « Il saisit ma main, ses yeux noirs étincelants de passion. "Depuis des jours, votre merveilleuse image hante mes rêves," haleta-t-il tandis que sa chaude respiration effleurait mon visage." Je ne peux plus dormir. Je ne peux plus manger. Vous êtes seule dans le désert avec moi. Personne ne peut vous entendre crier à l’aide." »

J’éclatai de rire avec elle, heureuse de la trouver de si charmante humeur

 

— Si je me rappelle bien, votre seule incursion dans la littérature fut le récit de votre première rencontre avec Sethos— et ce n’était pas de la fiction.

 

— Mais c’était très romantique, murmura Margaret d’un air pensif. Comment va-t-il ? — Il n’a rien, pour l’instant, dis-je en m’asseyant sur le lit. Nous le surveillons de près. Comme nous le faisons pour vous.

Margaret sursauta et tourna la tête.
— Il y a quelqu’un à la fenêtre ! cria-t-elle.

Je n’avais rien vu, ni rien entendu, mais elle avait l’air si inquiète que je me levai pour aller regarder. La fenêtre était haute et je dus me dresser sur la pointe des pieds. Je vis les branches des arbres, les murs des maisons voisines, le tout coloré par la chaude lumière du soleil couchant…

Puis la lumière s’éteignit d’un seul coup.