- «a va prendre du temps, annonça Bergstrand. D'une part, vous cherchez une information qui remonte à trois ans. D'autre part, le groupe a traversé de nombreux changements depuis lors. Mais je leur ai expliqué que c'était important. Ils font leur possible.
- Nous attendrons, dit Wallander.
Bergstrand ne semblait pas enchanté de la présence des deux policiers dans son bureau. Mais il n'ajouta rien.
- Du café, dit Birch. L'une des spécialités des wagons-lits. Peut-on y go˚ter en dehors de vos voitures-bars ?
Bergstrand disparut à nouveau.
- «a m'étonnerait qu'il ait l'habitude de faire le service, dit Birch avec satisfaction.
Wallander ne répondit pas. Bergstrand revint quelques instants plus tard avec un plateau. Puis il s'excusa en prétextant une réunion. Ils restèrent seuls. Wallander but son café en sentant croître son impatience. Il pensa à
Hansson et se demanda s'il ne devait pas laisser Birch attendre seul, le temps que la serveuse soit identifiée. Il décida de s'attarder une demi-heure. Pas davantage.
513
- J'ai essayé de me plonger dans le dossier, dit soudain Birch. Je dois dire que je n'ai jamais rien vu de pareil. Est-ce vraiment possible qu'une femme ait fait ça?
- «a paraît difficile à croire, je sais.
Wallander ressentit aussitôt le sentiment familier. La peur d'avoir enlisé
toute l'enquête dans un terrain parsemé de pièges, o˘ le sol pouvait se dérober sous leurs pieds à n'importe quel moment.
- Une meurtrière en série, dit Birch après un silence. On en connaît à peine, dans ce pays.
- On n'en connaît pas, je crois. En plus, nous ne savons pas si c'est elle qui a exécuté les actes. Notre piste conduit soit à elle, et à elle seule.
Soit à quelqu'un qui se cache
derrière elle.
- Et tu crois donc que le reste du temps elle sert le café dans les trains entre Stockholm et Malmô?
Le ton de Birch était dubitatif.
- Non, répliqua Wallander. Je ne crois pas qu'elle serve le café. La serveuse ne représente sans doute que le quatrième maillon.
Birch ne posa pas d'autres questions. Wallander consulta sa montre et se demanda s'il n'allait pas rappeler Hansson. Cela ferait bientôt une demi-heure qu'ils attendaient. Berg-strand était toujours retenu par sa réunion.
Birch lisait une brochure consacrée à l'excellence des chemins de fer suédois.
La demi-heure finit de s'écouler. L'impatience de Wallander commençait à se muer en exaspération.
Bergstrand apparut à la porte.
- On est sur la bonne voie, dit-il d'un air encourageant. Mais on n'y est pas encore.
- Combien de temps ?
Wallander ne chercha pas à dissimuler son irritation. Il sentait bien qu'elle était injustifiée. Mais c'était plus fort que lui.
- Une demi-heure peut-être. Ils sont en train d'imprimer toutes les listes de personnel. «a prend du temps.
Wallander hocha la tête sans rien dire.
L'attente se poursuivit. Birch reposa la brochure et ferma 514
les yeux. Wallander s'approcha d'une fenêtre et contempla distraitement la ville. Il aperçut le terminal des hydroglisseurs, sur sa droite, et repensa aux occasions o˘ il y avait accueilli Baiba. Combien de fois, jusqu'à
présent? Deux. Pourtant, il avait le sentiment qu'il y en avait eu davantage. Il se rassit et rappela Hansson. Ils n'avaient toujours rien trouvé. Les fouilles allaient prendre du temps. Hansson l'informa aussi qu'il s'était mis à pleuvoir. Wallander imaginait sans peine le tableau. Il raccrocha sur cette vision lugubre.
C'est n'importe quoi, pensa-t-il soudain. J'ai mené toute cette enquête à
sa perte.
Birch se mit à ronfler. Wallander ne cessait de regarder sa montre.
Birch se réveilla en sursaut lorsque Bergstrand réapparut, un papier à la main.
- Margareta Nystedt, dit-il. C'est sans doute la personne que vous cherchez. Elle s'occupait seule de la voiture-bar ce matin-là.
Wallander se leva d'un bond.
- O˘ est-elle maintenant?
- ¿ vrai dire, je n'en sais rien. Elle a cessé de travailler pour nous il y a un an environ.
- Merde!
- Mais nous avons son adresse, poursuivit Bergstrand. Elle n'a pas forcément déménagé sous prétexte qu'elle a cessé de travailler pour les wagons-lits.
Wallander lui arracha le papier des mains. C'était une adresse à Malmô.
- Cari Gustafs vàg. C'est o˘?
- Du côté de Pildammsparken, répondit Bergstrand. Wallander vit qu'il y avait aussi un numéro de téléphone.
Mais il décida de ne pas s'en servir. Il voulait se rendre directement chez elle.
- Merci, dit-il. Je peux me fier à vos renseignements, n'est-ce pas ? C'est vraiment elle qui était de service ce matin-là ?
- Les chemins de fer sont connus pour leur sérieux, répondit Bergstrand.
Cela signifie entre autres que les renseigne-
515
ments concernant nos employés sont fiables, y compris au niveau des filiales.
Wallander ne voyait pas le rapport. Mais il n'avait pas le temps de poser des questions. Il se tourna vers Birch.
- Alors on y va, dit-il.
Ils ressortirent de la gare. Birch laissa sa voiture et monta dans celle de Wallander. Il leur fallut moins de dix minutes pour trouver l'adresse.
C'était un immeuble de cinq étages. Margareta Nystedt habitait au quatrième. Wallander sonna à la porte avant même que Birch f˚t sorti de l'ascenseur. Il attendit. Sonna de nouveau. Aucune réaction. Il jura intérieurement. Puis il se décida et sonna à la porte voisine. Un vieux monsieur ouvrit presque aussitôt et considéra Wallander avec sévérité. Son ventre dépassait de sa chemise déboutonnée et il tenait à la main un coupon de jeu à moitié rempli. Wallander crut voir qu'il s'agissait de courses de chevaux. Il lui montra sa carte de police.
- Nous cherchons Margareta Nystedt, dit-il.
- qu'est-ce qu'elle a fait? C'est une jeune femme très aimable. Son mari aussi.
- Nous avons juste besoin de quelques renseignements, dit Wallander. Elle n'est pas chez elle. Vous ne sauriez pas par hasard o˘ nous pourrions la trouver?
- Elle travaille pour les hydroglisseurs, dit l'homme. Elle est serveuse.
Wallander et Birch échangèrent un regard.
- Merci pour votre aide, dit Wallander. Bonne chance pour les courses.
Dix minutes plus tard, ils freinaient devant le terminal des hydroglisseurs.
- Je ne pense pas qu'on ait le droit de se garer ici, dit Birch.
- On s'en fout.
Wallander avait le sentiment de courir. S'il s'arrêtait, tout s'écroulerait.
Il ne leur fallut que quelques minutes pour apprendre que Margareta Nystedt travaillait ce matin-là à bord du Sprinter. Celui-ci venait de quitter Copenhague et était attendu à Malmô dans une demi-heure. Wallander en profita
516
pour déplacer sa voiture. Birch s'assit sur un banc dans le hall des départs et se plongea dans la lecture d'un journal déchiré. Le responsable du terminal vint leur dire qu'ils pouvaient attendre dans une salle réservée au personnel et leur demanda s'il devait prendre contact avec le bateau.
- De combien de temps dispose-t-elle avant le prochain départ ? demanda Wallander.
- En principe, elle repart directement pour Copenhague
- C'est impossible.
L'homme était serviable. Il promit de faire en sorte que Margareta Nystedt puisse rester à terre. Wallander l'avait assuré qu'elle n'était soupçonnée de rien.
¿ l'approche du bateau, il sortit sur le quai balayé par le vent. Lorsque les passagers commencèrent à franchir la passerelle, Wallander s'étonna de voir que tant de gens traversaient le détroit en milieu de semaine. Il était très impatient. Le dernier passager était un homme qui marchait avec des béquilles. Peu après, une femme en uniforme apparut sur le pont. Le responsable qui avait accueilli Wallander un peu plus tôt était à ses côtés et lui parlait en montrant Wallander du doigt. Margareta Nystedt s'engagea sur la passerelle. Elle était blonde, les cheveux coupés très courts, et plus jeune que Wallander ne s'y attendait. Elle s'immobilisa devant lui et croisa les bras. Elle avait froid.
- Vous vouliez me parler ? demanda-t-elle.
- Margareta Nystedt ?
- C'est moi.
- Je propose qu'on aille à l'intérieur. Ce n'est pas la peine de prendre froid ici.
- Je n'ai pas beaucoup de temps.
- Plus que vous ne le pensez. Vous ne ferez pas la prochaine traversée.
Elle s'immobilisa de surprise.
- Pourquoi donc ? qui l'a décidé ?
- J'ai besoin de vous parler. Mais ne vous inquiétez pas.
Il eut soudain le sentiment qu'elle avait peur. Un court instant, il commença à croire qu'il s'était trompé. que c'était elle qu'ils attendaient. qu'il se trouvait déjà en présence de 517
la cinquième femme, sans avoir eu à passer par la quatrième.
Puis il se rendit compte tout aussi vite que c'était invraisemblable.
Margareta Nystedt était jeune et menue. Elle aurait été physiquement incapable d'exécuter les actes nécessaires. Il suffisait de la regarder pour comprendre que ce n'était pas la femme qu'ils cherchaient.
Ils entrèrent dans le b‚timent du terminal o˘ les attendait Birch. Ils allèrent dans la salle réservée au personnel et prirent place dans de vieux fauteuils en plastique. Ils étaient seuls. Birch se présenta et elle lui serra la main. Sa main à elle était frêle. Comme une patte d'oiseau, pensa Wallander confusément.
Il considéra son visage. Elle pouvait avoir vingt-sept ou vingt-huit ans.
Jupe courte. De belles jambes. Visage très maquillé. Comme si, pensa Wallander, elle cherchait à effacer quelque chose, dans ses traits, qui ne lui plaisait pas. Elle était inquiète.
- Je regrette que nous soyons obligés de prendre contact avec vous de cette manière, dit Wallander. Mais il y a parfois des choses qui ne peuvent pas attendre.
- Mon bateau, par exemple.
Sa voix avait une dureté imprévue. Wallander ne s'y attendait pas. Il ne savait pas au juste à quoi il s'attendait.
- Il n'y a pas de problème, dit-il. J'ai parlé avec l'un de vos chefs.
- qu'est-ce que j'ai fait?
Wallander la considéra pensivement. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'ils lui voulaient. Aucun doute là-dessus
II sentit la trappe grincer sous ses pieds.
Son hésitation était très forte.
Elle répéta sa question : qu'avait-elle fait?
Wallander jeta un regard à Birch et le surprit en train de loucher sur ses jambes.
- Katarina Taxell, dit Wallander. Vous la connaissez, n'est-ce pas?
- Je sais qui elle est. Je ne sais pas si je la connais.
- Comment l'avez-vous connue ? quelles étaient vos relations ?
Elle eut un brusque mouvement d'effroi.
518
- Il lui est arrivé quelque chose ?
- Non. Répondez à mes questions.
- Répondez à la mienne ! Je n'en ai qu'une. Pourquoi m'interrogez-vous à
son sujet?
Wallander comprit qu'il s'était montré trop impatient en voulant aller vite. Elle avait des raisons de se montrer agressive.
- Il n'est rien arrivé à Katarina. Elle n'est soupçonnée de rien. Pas plus que vous. Mais nous avons besoin de certaines informations la concernant.
C'est tout ce que je peux dire. quand vous aurez répondu à mes questions, je m'en irai d'ici. Et vous pourrez reprendre votre travail.
Elle le dévisageait en plissant les yeux. Il remarqua qu'elle commençait à
le croire.
- Vous l'avez connue il y a trois ans environ. Vous étiez à l'époque employée des wagons-lits, en tant que serveuse Elle parut étonnée de ce qu'il f˚t si bien renseigné. Wallander eut l'impression qu'elle était sur ses gardes, ce qui le poussa à son tour à
aiguiser son attention.
- C'est exact ? demanda-t-il.
- Naturellement. Je ne vais pas vous dire le contraire.
- Et vous connaissiez Katarina Taxell? -Oui.
- Comment l'avez-vous rencontrée ?
- Nous étions collègues. Wallander lui jeta un regard perplexe.
- Katarina Taxell est enseignante, non ?
- Elle avait provisoirement arrêté. Pendant un temps, elle a travaillé pour les chemins de fer.
Wallander regarda Birch, qui secoua la tête. Lui aussi ignorait ce détail.
- quand était-ce ?
- Au printemps 1991. Je ne peux pas vous répondre plus précisément.
- Et vous travailliez ensemble ?
- Pas toujours. Mais souvent.
- Et vous vous fréquentiez en dehors du travail ?
- Parfois. Mais nous n'étions pas proches. Nous nous amusions. Sans plus.
519
- quand l'avez-vous rencontrée pour la dernière fois?
- Nous nous sommes éloignées Tune de l'autre quand elle a cessé de travailler. Notre amitié n'était pas plus solide que cela. Wallander constata qu'elle disait la vérité. D'ailleurs, elle n'était plus sur la défensive.
- Katarina avait-elle un fiancé au cours de cette période ?
- Je n'en sais rien.
- Vous dites que vous travailliez ensemble et que vous vous fréquentiez en dehors du travail. N'auriez-vous pas d˚ être au courant?
- Elle n'a jamais parlé de qui que ce soit.
- Vous ne l'avez jamais vue en compagnie d'un homme ?
- Jamais.
- Avait-elle des amies, en dehors de vous ? Margareta Nystedt réfléchit.
Puis elle donna trois noms à
Wallander ; ceux qu'il connaissait déjà.
- Personne d'autre?
- Pas que je sache.
- Est-ce que le nom d'Eugen Blomberg vous dit quelque chose?
- Ce n'est pas celui qui a été assassiné ?
- Oui. Katarina Taxell vous a-t-elle jamais parlé de lui? Elle le considéra avec une gravité soudaine.
- C'est elle qui l'a tué? Wallander saisit la question au bond.
- Vous pensez qu'elle aurait été capable de tuer quelqu'un?
- Non. Katarina était quelqu'un de très pacifique. Il hésita sur la manière de poursuivre.
- Vous travailliez sur la ligne Malmo-Stockholm, dit-il. Vous aviez s˚rement beaucoup de travail. Mais il devait malgré tout vous rester pas mal de temps pour parler. tes-vous s˚re qu'elle n'a jamais mentionné une autre amie? C'est très important.
Il vit qu'elle faisait un effort de mémoire.
- Non, dit-elle ensuite. Je ne m'en souviens pas. Wallander avait perçu une hésitation infime dans sa voix,
et elle s'en rendit compte aussitôt.
520
- Peut-être que si, corrigea-t-elle. Mais j'ai du mal à me rappeler.
-quoi?
- Ce devait être un peu avant qu'elle ne quitte le service. J'avais été
malade pendant une semaine. La grippe.
- que s'est-il passé?
- quand j'ai repris le travail, elle avait changé. Wallander se tenait parfaitement immobile, tous les sens
en alerte. Birch aussi avait senti qu'il se passait quelque chose.
- Changé de quelle manière ?
- Je ne sais pas comment l'expliquer. Elle passait sans transition de l'abattement à l'exubérance et vice versa. Comme si elle avait été
transformée.
- Essayez de décrire cette transformation. C'est peut-être très important.
- D'habitude, quand on n'avait rien à faire, on s'installait dans la petite cuisine de la voiture-bar. On bavardait, on feuilletait des magazines. Mais quand je suis revenue après mon congé maladie, on ne l'a plus fait.
- que faisiez-vous à la place ?
- Elle s'en allait.
Wallander attendit une suite qui ne vint pas.
- Elle quittait la voiture-bar ? Elle ne pouvait pas quitter le train, tout de même. qu'allait-elle faire ?
- Elle ne le disait pas.
- Mais vous avez d˚ lui poser la question. Elle avait changé. Elle ne bavardait plus avec vous...
- Je lui ai peut-êne posé la question. Je ne m'en souviens pas. Mais elle if m'a pas répondu. Elle s'en allait, c'est tout.
- Systématiquement?
- Non. Tout à la fin, juste avant qu'elle ne quitte le service, elle a changé de nouveau. Comme si elle se retranchait à l'intérieur d'elle-même.
- Pensez-vous qu'elle rencontrait quelqu'un, dans le train ? Un passager qui se trouvait toujours à bord ? Cela paraît très étrange.
- Je ne sais pas si elle rencontrait quelqu'un.
521
Wallander n'avait plus de questions. Il jeta un regard à Birch, qui n'avait rien à ajouter.
L'hydroglisseur était en train de quitter le quai.
- Vous venez de gagner une pause, constata Wallander. Appelez-moi si vous vous souvenez d'autre chose. Je compte sur vous.
Il nota son nom et son numéro de téléphone sur un bout de papier et le lui tendit.
- Je ne me souviens de rien d'autre, dit-elle.
Elle se leva.
- qui Katarina pouvait-elle rencontrer à bord du train? demanda Birch après son départ. Un passager qui fait la navette entre Malmo et Stockholm? En plus, le personnel ne doit pas toujours servir à bord du même train... «a paraît complètement invraisemblable.
Wallander ne perçut que vaguement ce que lui disait Birch. Une idée venait de germer dans son esprit, et il ne voulait surtout pas la l‚cher. Ce ne pouvait pas être un passager. Ce devait être quelqu'un qui se trouvait à
bord du train pour les mêmes raisons qu'elle. Parce que c'était son métier.
Wallander leva la tête vers Birch.
- qui travaille à bord d'un train? demanda-t-il.
- Je suppose qu'il y a quelqu'un dans la locomotive.
- ¿ part ça?
- Des contrôleurs. Un ou plusieurs.
Wallander approuva de la tête. Il pensait aux conclusions d'Ann-Britt Hoglund. Le vague contour d'un emploi du temps. Avec des congés fréquents, mais irréguliers. Comme en ont, par exemple, les gens qui travaillent à
bord des trains.
Il se leva.
Il y avait aussi l'indicateur trouvé dans le tiroir secret de Katarina Taxell. - Je crois que nous allons retourner voir Karl-Henrik Bergstrand, dit-il. - Tu cherches d'autres serveuses? Wallander ne répondit pas. Il avait déjà quitté le terminal.
Le visage de Karl-Henrik Bergstrand exprima tout sauf de la joie lorsqu'il ouvrit la porte de son bureau et reconnut ses 522
visiteurs. Wallander ne marqua pas de temps d'arrêt. Il le repoussa presque à l'intérieur de son bureau et l'assit d'autorité dans son fauteuil.
- La même période, dit-il. Printemps 1991. Vous aviez à ce moment-là une employée du nom de Katarina Taxell. Vous ou la filiale qui vend le café, peu importe. Maintenant, je veux que tu me trouves le nom de tous les contrôleurs et de tous les conducteurs qui travaillaient à cette époque à
bord des mêmes trains que Katarina Taxell. Je suis surtout intéressé par une certaine semaine au cours du printemps 1991 pendant laquelle Margareta Nystedt était en congé maladie. Compris ?
- Ce n'est pas possible, répliqua Karl-Henrik Bergstrand. Ce n'est pas sérieux. 11 nous faudra des mois pour combiner toutes ces données.
- Disons que tu disposes de quelques heures, répondit Wallander aimablement. Si nécessaire, je demanderai au grand patron de la police à
Stockholm d'appeler son collègue le directeur général des chemins de fer suédois pour se plaindre de la lenteur d'un certain fonctionnaire de Malmô.
Bergstrand avait compris. Il semblait même assez excité soudain à l'idée de relever le défi.
- On va faire l'impossible, dit-il. Mais ça prendra plusieurs heures.
- Si tu fais aussi vite que tu peux, je te laisse tout le temps que tu veux, répondit Wallander.
- Vous pouvez passer la nuit dans l'une des chambres de la gare. Ou à
l'hôtel Prize, avec lequel nous avons un accord.
- Non, dit Wallander. On va faire autrement. quand tu auras obtenu les renseignements, tu les faxes directement au commissariat d'Ystad.
Il était presque dix heures et demie lorsqu'ils ressortirent de la gare.
- Tu penses que c'est quelqu'un qui travaillait pour les chemins de fer à
l'époque ?
- Oui. Il n'y a pas d'autre explication plausible. Birch mit son bonnet.
523
- Alors, il n'y a plus qu'à attendre.
- Toi à Lund et moi à Ystad. Le magnéto doit rester chez Hedwig Taxell. Il se peut que Katarina la rappelle.
Ils se séparèrent devant la gare. Wallander récupéra sa voiture et quitta la ville. S'apprêtait-il enfin à ouvrir la dernière poupée russe?
qu'allait-il découvrir? qu'elle était vide ? Il ne savait rien. Il était extrêmement inquiet.
Au dernier rond-point avant l'autoroute vers Ystad, il s'arrêta pour faire le plein d'essence. En revenant à la voiture après avoir payé, il entendit que le portable posé sur le siège du passager bourdonnait. Il s'en empara brutalement. C'était Hansson.
- O˘ es-tu ? demanda Hansson.
- En route vers Ystad.
- Je crois qu'il vaut mieux que tu viennes. Wallander faillit l‚cher l'appareil.
- Vous l'avez trouvée?
- Je crois. Wallander ne dit rien.
Puis il prit la route de Lôdinge.
Le vent soufflait de plus en plus fort. Il avait changé de direction. Il venait du nord.
35
Ils avaient trouvé un fémur. Rien de plus.
Plusieurs heures de travail furent ensuite nécessaires pour exhumer d'autres fragments de squelette. Le vent froid, soufflant par rafales, transperçait leurs vêtements et augmentait le côté déprimant de la t‚che.
Le fémur était posé sur une b‚che en plastique. Wallander pensa qu'ils avaient fait vite, malgré tout. Ils n'avaient excavé que vingt mètres carrés de terre, de manière assez superficielle, lorsqu'une bêche avait heurté l'os.
Un médecin arriva sur les lieux et examina la trouvaille en grelottant. Il fut bien obligé d'admettre qu'il s'agissait d'un os humain. Mais Wallander n'avait pas besoin de confirmations supplémentaires. Pour lui, il n'y avait aucun doute. Il s'agissait bel et bien des restes de Krista Haber-man. Le travail se poursuivrait, ils parviendraient peut-être à reconstituer le squelette entier, et ils pourraient éventuellement déterminer de quelle manière elle avait été tuée. Holger Eriksson l'avait-il étranglée ?
L'avait-il abattue d'un coup de fusil? que s'était-il passé exactement ce jour-là, vingt-sept ans plus tôt?
Wallander se sentait de plus en plus fatigué et triste à mesure qu'avançait l'interminable matinée. Le fait d'avoir eu raison ne lui était pas d'un réel réconfort. C'était comme de se . trouver confronté à une histoire d'épouvanté dont il aurait désespérément voulu détourner les yeux. Mais en même temps, il attendait fébrilement le résultat des recherches de Karl-Henrik Bergstrand. Après avoir passé quelques heures i dans la boue avec Hansson et les autres policiers, il était | retourné au commissariat.
Entre-temps, Hansson avait été
525
informé des événements de Malmo, de la rencontre avec Margareta Nystedt et de la découverte que Katarina Taxell, pendant une courte période de sa vie, avait travaillé comme serveuse de voiture-bar sur la ligne Malmo-Stockholm.
¿ un moment donné, elle avait alors rencontré quelqu'un qui avait eu sur elle une influence décisive. Wallander ne savait même pas s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Il était seulement certain que, lorsqu'ils auraient retrouvé cette personne, ils auraient aussi fait un grand pas vers le centre de cette enquête qui se dérobait depuis trop longtemps.
En arrivant au commissariat, il avait rassemblé ses collaborateurs, ceux du moins qui étaient là, pour leur répéter ce qu'il avait dit une demi-heure auparavant à Hansson. Il ne restait plus qu'à attendre l'arrivée du fax.
Pendant qu'ils étaient réunis, Hansson téléphona pour leur communiquer la découverte d'un tibia. Le malaise autour de la table était très fort.
Wallander pensa que tous attendaient à présent le moment o˘ le cr‚ne surgirait dans la boue.
L'après-midi fut interminable. La première tempête d'automne s> apprêtait à
s'abattre sur la Scanie. Les feuilles mortes tourbillonnaient sur l'asphalte du parking. Ils s'étaient tous attardés dans la salle de réunion, alors même qu'ils n'avaient pas de sujet urgent à discuter ensemble et que tous avaient différentes t‚ches qui les attendaient dans leur bureau. Mais, pensa Wallander, ce dont ils avaient surtout besoin maintenant, c'était de rassembler leurs forces. S'ils parvenaient à ouvnr une brèche dans l'enquête gr‚ce aux informations qui arriveraient tôt ou tard de Malmo, ils pouvaient être s˚rs qu'il y aurait énormément de choses à faire en peu de temps. C'est pourquoi ils se reposaient, assis ou à demi allongés dans les fauteuils autour de la table. Birch appela au cours de l'après-midi pour signaler que Hedwig Taxell n'avait jamais entendu parler de Margareta Nystedt, mais qu'elle ne comprenait pas comment elle avait pu oublier que sa fille Katarina avait à une époque de sa vie travaillé comme serveuse dans les trains. Birch souligna le fait qu'il ne mettait pas en cause sa sincérité. Martinsson ne cessait de quitter la pièce pour appeler chez lui. Wallander interrogea discrètement Ann-Britt Hoglund, qui lui dit que Terese allait déjà beaucoup mieux.
526
Martinsson n'avait pas reparlé de son projet de démission. Cela aussi, pensa Wallander, devait attendre. La vie elle-même était mise en attente lorsqu'on travaillait sur une enquête criminelle compliquée.
¿ seize heures, Hansson leur apprit qu'ils avaient trouvé un doigt. Peu après, il rappela pour annoncer la découverte du cr‚ne. Wallander lui avait demandé s'il souhaitait être relevé. Mais il préférait rester. C'était inutile que quelqu'un d'autre s'enrhume, dit-il Un malaise glacé parcourut la salle lorsque Wallander expliqua qu'on avait selon toute vraisemblance retrouvé le cr‚ne de Krista Haberman. Svedberg posa vivement le sandwich entamé qu'il tenait à la main.
Wallander le savait par expérience : un squelette ne signifiait rien tant qu'on n'avait pas trouvé le cr‚ne. Alors seulement, il devenait possible d'apprendre quelque chose sur l'être humain disparu.
Dans cette atmosphère de fatigue et d'attente, o˘ les membres de l'équipe se reposaient, éparpillés autour de la table, de brefs échanges avaient lieu de temps à autre. Différents détails étaient abordés. quelqu'un posait une question. Un autre répondait, un détail était éclairci et le silence retombait.
Svedberg évoqua soudain Svenstavik.
- Holger Eriksson devait être un homme très particulier, dit-il. D'abord, il persuade une Polonaise de l'accompagner en Scanie. Dieu sait ce qu'il lui avait promis. Le mariage? De l'argent? Devenir la reine du roi de l'automobile? Puis il l'assassine presque aussitôt. Près de trente années passent. Mais sentant approcher sa propre mort, il veut apaiser sa conscience en faisant une donation à l'église, là-haut dans le J‚mtland.
- J'ai lu ses poèmes, dit Martinsson. En partie du moins. On ne peut nier qu'il fait preuve à l'occasion d'une certaine sensibilité.
- Vis-à-vis des oiseaux, intervint Ann-Britt Hoglund. Pas des humains.
Wallander se rappela le chenil abandonné. Combien de temps était-il resté
vide ? Hamrén prit un téléphone et réus-
527
sit à joindre Sven Tyrén dans la cabine de son camion-citerne. Ce fut ainsi qu'ils obtinrent la réponse. Le dernier chien de Holger Eriksson avait été
retrouvé mort un matin dans son chenil. Cela s'était passé quelques semaines avant l'assassinat de Holger Eriksson. Tyrén l'avait appris par sa femme, qui tenait l'information du facteur. Il ne savait pas de quoi le chien était mort. Mais il était assez ‚gé. Wallan-der pensa en silence que quelqu'un avait tué le chien pour éviter qu'il donne l'alerte. Et cette personne ne pouvait être que celle qu'ils recherchaient à présent.
Ils avaient obtenu un éclaircissement supplémentaire. Mais il leur manquait encore les connexions principales. Rien n'était encore vraiment élucidé.
¿ seize heures trente, Wallander téléphona à Malmô. Karl-Henrik Bergstrand prit la communication. Ils étaient en plein travail, dit-il. Ils pourraient bientôt leur transmettre les noms et les autres renseignements demandés par Wallander.
L'attente se poursuivit. Ils eurent un appel d'un journaliste qui voulait savoir ce qu'ils recherchaient sur les terres de Holger Eriksson. Wallander prétexta des raisons techniques liées à l'enquête. Mais il demeura courtois, aussi aimable que le lui permettait la fatigue. Lisa Holgersson resta avec eux pendant la plus grande partie de leur longue attente, s'absentant uniquement pour une visite à Lôdinge en compagnie de Per
¬keson. Mais, contrairement à leur ancien chef Bjôrk, elle ne dit pas grand-chose. Wallander songea qu'ils étaient très différents. Bjôrk aurait profité de l'occasion pour se plaindre du dernier mémo de la direction centrale. D'une manière ou d'une autre, il aurait réussi à le relier à
l'investigation en cours. Lisa Holgersson réagissait différemment.
Wallander pensa distraitement qu'ils étaient bien tous les deux, chacun à
sa manière.
Hamrén jouait au morpion sur un coin de table, Svedberg t‚tait sa calvitie à la recherche de cheveux rescapés, et Ann-Britt Hôglund avait fermé les yeux. Wallander se levait de temps à autre et allait faire un tour dans le couloir. Il se sentait très fatigué. Il se demanda si le silence de Katarina Taxell signifiait quelque chose. Devaient-ils malgré tout lancer un avis de recherche? Il hésitait. Il craignait d'alar-528
mer la femme, de la pousser à la fuite. Il entendit le téléphone sonner dans la salle de réunion et se dépêcha de revenir sur ses pas. Il s'immobilisa à la porte. Svedberg avait décroché. Wallander forma le mot Malmô avec les lèvres. Svedberg fit non de la tête. C'était à nouveau Hansson.
- Une côte cette fois, dit Svedberg après avoir raccroché. Il n'est peut-
être pas obligé de téléphoner chaque fois qu'ils trouvent un os ?
Wallander se rassit. Le téléphone sonna à nouveau. Svedberg décrocha une fois de plus. Il écouta brièvement avant de tendre le combiné à Wallander.
- «a va arriver dans quelques minutes sur votre fax, dit Karl-Henrik Bergstrand. Je crois qu'on a tous les renseignements.
- Dans ce cas, vous avez bien travaillé. Si on a besoin d'explications ou d'informations complémentaires, je te rappelle.
- Je n'en doute pas une seconde, dit Bergstrand.
Ils firent cercle autour du télécopieur. Au bout de quelques minutes, la machine se mit à crépiter. Wallander constata aussitôt que la liste comportait bien plus de noms qu'il ne s'y attendait. Ils commencèrent par arracher les pages et en faire plusieurs photocopies. De retour dans la salle de réunion, ils examinèrent les documents en silence. Wallander compta trente-deux noms. Dont dix-sept femmes contrôleurs. Il ne reconnaissait aucun d'entre eux. Les combinaisons possibles semblaient infinies. Il dut chercher longtemps avant de trouver la semaine o˘ le nom de Margareta Nystedt ne figurait pas. Pas moins de onze femmes contrôleurs avaient travaillé aux jours et aux heures o˘ Katarina Taxell servait dans la voiture-bar. D'autre part, il n'était pas s˚r d'avoir vraiment compris toutes les abréviations et les codes désignant les différentes personnes et leurs emplois du temps.
Un court instant, Wallander sentit le découragement le gagner une fois de plus. Il se força à le chasser et tambourina avec son crayon sur la table.
- «a fait beaucoup de monde, dit-il. Si je ne me trompe pas du tout au tout, nous devons commencer par nous intéresser à onze contrôleurs et responsables féminins. S'ajoutent
529
à cela quatorze hommes. Mais je veux que nous commencions par les femmes.
Reconnaissez-vous un nom parmi ceux qui figurent sur cette liste ?
Ils se penchèrent à nouveau sur leurs papiers. Personne ne put établir de rapprochement avec de précédentes étapes de l'enquête. Wallander regrettait l'absence de Hansson, qui possédait la meilleure mémoire du groupe. Il demanda à l'un des policiers de Malmb de faire une copie de la liste et de veiller à ce que quelqu'un l'apporte à Hansson.
- Allons-y, dit-il lorsque le policier eut quitté la pièce. Onze femmes. Il faut se renseigner sur chacune d'entre elles. ¿ un moment donné, avec un peu de chance, nous trouverons un point de recoupement avec l'enquête. On se les partage. Et on commence tout de suite. La soirée risque d'être longue.
Ils se répartirent les noms et quittèrent la salle de réunion. Le court instant d'impuissance ressenti par Wallander avait disparu. Il sentait que la chasse venait de commencer. La longue attente touchait à sa fin.
Vers vingt-trois heures, Wallander sentit le découragement le gagner à
nouveau. Pour tout résultat, ils avaient réussi à éliminer deux noms de la liste. Une femme était décédée dans un accident de la route longtemps avant que Holger Eriksson ne soit retrouvé mort dans son fossé. La seconde figurait sur la liste par erreur; à l'époque, elle travaillait déjà dans les services administratifs, à Malmo. C'était Karl-Henrik Bergstrand qui avait découvert l'erreur et l'avait aussitôt signalée à Wallander.
Ils étaient à la recherche d'éventuels points de recoupement, sans en trouver un seul. Ann-Britt Hôglund entra dans le bureau de Wallander.
- qu'est-ce que je fais de celle-ci ? demanda-t-elle en agitant un papier.
-qui?
- Anneli Olsson, trente-neuf ans, mère de quatre enfants. Vit à ¿ngelholm, mariée à un pasteur presbytérien. Elle travaillait auparavant comme préposée au buffet dans un hôtel d'¿ngelholm. Puis, ne me demande pas pourquoi, elle s'est
530
recyclée. Si j'ai bien compris, elle est très croyante. Elle travaille à
bord des trains, s'occupe de sa famille et consacre ses rares loisirs à des travaux d'aiguille au profit des missions. qu'est-ce que j'en fais? Je la convoque pour interrogatoire ? Je lui demande si elle a tué trois hommes au cours du mois écoulé et si elle sait o˘ trouver Katarina Taxell et son nourrisson ?
- Laisse tomber, dit Wallander
Hansson était revenu de Lôdinge vers vingt heures, au moment o˘ la pluie et le vent rendaient impossible la poursuite du travail. Il les informa qu'il aurait besoin de renforts s'il devait continuer à creuser. Puis il se plongea sans transition dans les recherches concernant les neuf femmes qui restaient sur la liste. Wallander avait en vain tenté de le renvoyer chez lui, pour qu'il se change, au moins. Mais Hansson avait refusé. Wallander devina qu'il voulait oublier le plus vite possible la journée désagréable qu'il venait de vivre.
Peu après vingt-trois heures, Wallander était au téléphone et tentait de retrouver la trace d'un proche susceptible de lui donner des informations sur une contrôleuse du nom de Wevin, qui avait changé cinq fois d'adresse au cours de l'année écoulée. Elle sortait d'une procédure de divorce compliquée et se trouvait la plupart du temps en congé maladie. Il était sur le point de composer une fois de plus le numéro des renseignements lorsque Martinsson apparut à la porte. En voyant son expression, Wallander reposa immédiatement le combiné.
- Je crois que je l'ai trouvée, dit Martinsson lentement. Yvonne Ander.
quarante-sept ans.
- qu'est-ce qui te fait penser que c'est elle ?
- D'abord le fait qu'elle habite ici, à Ystad. Dans Lirega-tan.
- quoi d'autre ?
- Elle paraît étrange, pour plusieurs raisons. Fuyante. Comme toute cette enquête. Mais son passé devrait nous intéresser. Elle a été aide-soignante, et aussi ambulancière.
Wallander le dévisagea un court instant en silence. Puis il i se leva.
531
- Va chercher les autres, dit-il. Maintenant, tout de suite. quelques instants plus tard, ils étaient à nouveau rassemblés dans la salle de réunion.
- Martinsson l'a peut-être trouvée, dit Wallander. Et elle habite ici, à
Ystad.
Martinsson leur communiqua tous les renseignements qu'il avait réussi à
obtenir sur Yvonne Ander.
- Elle a donc quarante-sept ans. Elle est née à Stockholm. Il semblerait qu'elle soit arrivée en Scanie il y a quinze ans. Les premières années, elle vivait à Malmô, puis elle a déménagé pour venir ici, à Ystad. Elle travaille pour les chemins de fer depuis dix ans. Mais avant cela, probablement dans sa jeunesse, elle a passé un diplôme d'aide-soignante et elle a longtemps travaillé dans les hôpitaux. J'ignore évidemment pourquoi elle a tout à coup changé d'orientation. Elle a aussi été assistante ambulancière. Et elle est restée pendant de longues périodes sans emploi.
- qu'a-t-elle fait pendant ce temps-là? demanda Wallander.
- Il y a beaucoup de lacunes.
- Elle est mariée ?
- Non. Elle vit seule.
- Divorcée ?
- Je ne sais pas. Elle n'a pas d'enfants. Je ne pense pas qu'elle ait jamais été mariée. Mais ses horaires coÔncident avec ceux de Katarina Taxell.
Martinsson posa son bloc-notes.
- Autre chose, dit-il ensuite. Ce qui m'a fait réagir en tout premier lieu, c'est qu'elle est membre de l'association sportive des chemins de fer à
Malmô. «a n'a rien d'extraordinaire en soi. Ce qui m'a surpris, c'est qu'elle a choisi la musculation.
Un grand silence se fit autour de la table.
- En d'autres termes, poursuivit Martinsson, elle devrait être plutôt athlétique. N'est-ce pas une femme d'une force physique inhabituelle que nous recherchons ?
Wallander évalua rapidement la situation. Se pouvait-il que ce soit elle ?
Puis il se décida.
- Nous laissons de côté tous les autres noms jusqu'à nou-532
vel ordre, dit-il. Tout le monde se concentre sur Yvonne Ander. Reprends tout depuis le début. Lentement.
Martinsson répéta ce qu'il venait de dire et ils posèrent de nouvelles questions. Il manquait beaucoup d'informations. Wallander jeta un coup d'oil à sa montre. Il était minuit moins le quart.
- Je crois que nous allons lui parler dès ce soir.
- Si elle ne travaille pas, dit Ann-Britt Hôglund. Si on regarde les listes, on constate qu'elle est parfois de service la nuit. Ce qui paraît curieux. Il semblerait que les autres contrôleurs travaillent soit de jour, soit de nuit, pas les deux. Mais je me trompe peut-être...
- De toute façon, dit Wallander, soit elle est chez elle, soit elle ne l'est pas.
- De quoi allons-nous lui parler?
La question venait de Hamrén. Elle était justifiée.
- Cela ne me paraît pas invraisemblable de penser que Katarina Taxell est là-bas, dit Wallander. Même si ce n'est pas le cas, ça peut nous servir de prétexte. Sa mère est inquiète. Commençons par là. Nous n'avons aucune preuve contre elle. Nous n'avons rien. Je voudrais obtenir des empreintes digitales.
- Pas d'intervention en force, autrement dit, conclut Svedberg.
Wallander désigna Ann-Britt Hôglund d'un mouvement de tête.
- Je pensais que nous pourrions y aller à deux, avec une autre voiture pour nous épauler en cas de besoin.
- quel besoin ? demanda Martinsson.
- Je ne sais pas.
- N'est-ce pas un peu irresponsable ? demanda Svedberg. Nous la soupçonnons malgré tout d'actes assez violents.
- On sera armés, bien s˚r, répondit Wallander.
Ils furent interrompus par quelqu'un du central, qui frappa à la porte entreb‚illée.
- On a un message d'un médecin de Lund, dit-il. Il a fait un examen préliminaire des restes de squelette que vous avez trouvés. Il pense qu'ils proviennent d'une femme. Et qu'ils sont en terre depuis longtemps.
533
- Bien, dit Wallander. «a fait une question de moins. ¿ défaut d'autre chose, nous sommes en passe d'élucider une disparition qui remonte à vingt-sept ans.
Le policier quitta la pièce. Wallander reprit le fil de la discussion.
- Je ne pense pas qu'il y ait de danger.
- que dirons-nous si jamais Katarina Taxell n'est pas là? Nous avons malgré
tout l'intention de frapper à sa porte en
pleine nuit.
- Nous l'interrogerons à propos de Katarina. Nous sommes à sa recherche.
Rien d'autre.
- Et si elle n'est pas chez elle ? Wallander n'eut pas besoin de réfléchir.
- Dans ce cas, dit-il, on entre. La deuxième voiture nous prévient si quelqu'un arrive. On évite de débrancher les portables. Pendant ce temps, je veux que les autres attendent ici. Je sais qu'il est tard. Mais on n'y peut rien.
Personne n'avait d'objection à formuler
Peu après minuit, ils quittaient le commissariat. Le vent avait atteint force de tempête. Ils prirent la voiture d'Ann-Britt Hoglund ; Martinsson et Svedberg les suivaient. La rue qu'ils cherchaient, Liregatan, était située en plein centre. Ils se garèrent un p‚té de maisons plus loin. La ville était déserte. Ils n'avaient croisé qu'une seule voiture, et c'était une patrouille de police. Wallander se demanda fugitivement si les nouveaux commandos à bicyclette qu'on leur annonçait seraient en mesure d'intervenir en cas de tempête.
Yvonne Ander habitait une ancienne maison à colombages restaurée, divisée en trois appartements, le sien étant celui du milieu. Sa porte donnait directement sur la rue. Ils contemplèrent la façade depuis le trottoir opposé. En dehors d'une fenêtre éclairée, à gauche, la maison était plongée dans l'obscurité.
- Ou bien elle dort, dit Wallander, ou bien elle n'est pas chez elle. Mais nous devons partir de l'idée qu'elle y est.
Il était minuit vingt. Le vent soufflait fort.
- C'est elle? demanda Ann-Britt Hoglund. Wallander constata qu'elle avait froid et qu'elle paraissait
534
mal assurée. …tait-ce parce qu'ils étaient à la recherche d'une femme?
- Oui, répondit-il. Bien s˚r que c'est elle.
Ils traversèrent la rue. La voiture de Martinsson et Svedberg se trouvait sur leur gauche, lumières éteintes. Ann-Britt Hoglund sonna. Wallander colla son oreille contre la porte et perçut l'écho de la sonnerie à
l'intérieur de l'appartement. Ils attendirent dans un état de tension extrême. Il lui fit signe de sonner à nouveau. Puis une troisième fois.
- Elle dort ? demanda Ann-Britt.
- Non. Je crois qu'elle n'est pas là.
Il essaya d'ouvrir la porte. Elle était fermée à clé. Il recula et fit un signe en direction de la voiture. Martinsson descendit. C'était le meilleur de l'équipe lorsqu'il s'agissait d'ouvrir les portes sans recourir à la force. Il avait emporté une lampe de poche et plusieurs outils. Wallander lui tint la lampe pendant qu'il travaillait. Il lui fallut plus de dix minutes pour faire jouer la serrure. Il récupéra sa lampe et retourna à la voiture. Wallander jeta un regard circulaire. La rue était déserte. Il entra, suivi d'Ann-Britt Hoglund. Ils s'immobilisèrent et tendirent l'oreille. Il n'y avait apparemment pas de fenêtre dans l'entrée. Wallander alluma. ¿ gauche, une salle de séjour basse de plafond, à droite une cuisine. Un escalier étroit, devant eux, conduisait au premier étage. Les marches grincèrent sous leurs pas. Il y avait trois chambres à coucher là-haut. Toutes les trois étaient vides. Il n'y avait personne dans l'appartement.
Il essaya d'évaluer la situation. Il était près d'une heure du matin. …
tait-il probable que la femme qui vivait là revienne au cours de la nuit?
Peu d'arguments penchaient en faveur de cette hypothèse. Par exemple, le fait qu'elle se trouvait en compagnie de Katarina Taxell et d'un nourrisson. Allait-elle les déplacer en pleine nuit ?
Wallander s'approcha d'une porte vitrée dans l'une des chambres et découvrit qu'elle donnait sur un balcon. Celui-ci était presque entièrement occupé par de grands pots de fleurs. Mais les pots étaient vides. Aucune fleur. Rien que de la terre. L'image du balcon et des pots vides le mit brus-535
quement mal à l'aise. Il se h‚ta de quitter la chambre et ils redescendirent dans le hall d'entrée.
- Va chercher Martinsson, dit-il. Et demande à Svedberg de retourner au commissariat. Je crois qu'Yvonne Ander a un autre lieu de résidence, probablement une maison. Il faut la trouver.
- On ne surveille pas la rue ?
- Elle ne reviendra pas cette nuit. Mais on maintient la surveillance, bien s˚r. Demande à Svedberg de s'en occuper.
Ann-Britt Hb'glund s'apprêtait à partir lorsqu'il la rappela. Il regarda autour de lui, alla à la cuisine et alluma la lumière au-dessus de l'évier o˘ traînaient deux tasses pas encore lavées. Il les enveloppa dans un torchon et les lui tendit.
- Empreintes, dit-il. Donne-les à Svedberg, pour qu'il les passe à Nyberg.
«a peut être décisif.
Il remonta au premier étage. Entendant le bruit du verrou, en bas, il resta quelques instants immobile dans la pénombre. Puis ce qu'il fit le prit lui-même au dépourvu. Il alla à la salle de bains, saisit une serviette et la renifla. Il sentit vaguement la trace d'un parfum inhabituel.
Mais l'odeur lui rappela aussi brusquement autre chose.
Il essaya de se rappeler de quoi il s'agissait. Le souvenir d'une odeur. Il la respira à nouveau. Sans résultat. Pourtant, il la reconnaissait.
Il avait déjà senti cette odeur quelque part. ¿ une autre occasion. O˘ et quand? C'était tout récemment.
Il sursauta en entendant la porte du rez-de-chaussée s'ou vrir. L'instant d'après, Martinsson et Ann-Britt Hoglund apparurent dans l'escalier.
- Alors on commence, dit Wallander. Nous ne sommes pas seulement à la recherche de tout ce qui pourrait l'associer aux meurtres. Nous cherchons aussi une indication qu'elle possède réellement un autre lieu de résidence.
Je veux savoir o˘.
- Pourquoi aurait-elle une deuxième résidence ? demanda Martinsson.
Ils parlaient à voix basse, comme si la personne qu'ils cherchaient se trouvait tout près d'eux et pouvait les entendre.
536
- Katarina Taxell dit Wallander. Le nourrisson. De plus, nous avons toujours émis l'hypothèse que Costa Runfeldt avait été séquestré pendant trois semaines. J'ai la quasi-certitude que ce n'était pas ici, dans le centre d'Ystad.
Martinsson et Ann-Britt Hoglund restèrent au premier étage, pendant que Wallander redescendait au rez-de-chaussée. Il ferma les rideaux du séjour et alluma quelques lampes. Puis il se posta au milieu de la pièce et tourna lentement sur lui-même en regardant autour de lui. La femme qui vivait là
avait de beaux meubles. Et elle fumait. Il considéra un cendrier posé sur une petite table à côté d'un canapé en cuir. Il n'y avait pas de mégots.
Mais des traces de cendre. Des tableaux et des photographies ornaient les murs. Il s'approcha et examina certaines toiles. Des natures mortes et des bouquets de fleurs, d'une facture assez médiocre. En bas à droite, une signature. Anna Ander-58. Une parente, donc. Il songea qu'Ander était un nom inhabituel. qui figurait d'ailleurs dans les annales criminelles suédoises, même si le contexte lui échappait pour l'instant. Il contempla l'une des photographies encadrées. Une ferme de Scanie, prise en plongée.
Wallander devina que le photographe avait grimpé sur un toit ou une grande échelle. Il fit le tour de la pièce. Essaya de sentir la présence de cette femme. Pourquoi était-ce si difficile ? Tout donne une impression d'abandon, pensa-t-il. Un abandon méticuleux, ordonné. Elle n'est pas souvent là. Elle passe son temps ailleurs.
Il avança jusqu'au secrétaire, placé contre le mur. Par la fente des rideaux, il entrevit une petite cour. La fenêtre était mal calfeutrée. Il sentit le courant d'air froid. Il tira la chaise, s'assit et essaya d'ouvrir le plus grand tiroir. Il n'était pas fermé à clé. Une voiture passa dans la rue. Wallander vit la lumière des phares se refléter dans une vitre avant de disparaître. Puis le silence retomba, troublé par le seul bruit du vent. Le tiroir était rempli de lettres. Il chercha ses lunettes et prit la première enveloppe qui lui tombait sous la main. L'expéditeur était A. Ander. Une adresse en Espagne. Il sortit la lettre et la lut rapidement. Anna Ander était sa mère. Cela apparaissait immédiatement. Elle décrivait un voyage. ¿ la dernière page, elle mentionnait son 537
intention de se rendre en Algérie. La lettre était datée du mois d'avril 1993. Il la reposa à l'endroit o˘ il l'avait prise. Le plancher grinçait au premier étage. Il t‚ta le fond du tiroir. Rien. Il commença à examiner le contenu des autres tiroirs. Même des papiers, pensa-t-il, peuvent donner l'impression d'avoir été abandonnés. Rien ne retint son attention. C'était trop vide pour être naturel. ¿ présent, il était convaincu qu'elle vivait ailleurs. Il continua d'explorer les
tiroirs.
Le plancher grinçait à l'étage. Il était une heure trente du matin.
*
Elle conduisait dans la nuit, avec un sentiment de grande fatigue. Katarina s'était montrée inquiète, et il avait fallu l'écouter pendant plusieurs heures. Elle s'interrogeait souvent sur la faiblesse de ces femmes, qui se laissaient maltraiter, torturer, tuer... Si elles en réchappaient, elles passaient ensuite leurs nuits à se plaindre. Elle ne les comprenait pas.Là, au volant de sa voiture, en pleine nuit, elle se dit qu'au fond elle les méprisait. Parce qu'elles n'opposaient
aucune résistance.
Il était une heure du matin. Normalement, elle aurait d˚ dormir. Elle commençait son service tôt le lendemain. Au départ, elle avait eu l'intention de passer la nuit à Vollsjo, mais finalement, elle avait osé
laisser Katarina seule avec le bébé. Elle l'avait convaincue de rester.
Encore quelques jours, peut-être une semaine. Elles allaient rappeler sa mère le lendemain soir. Katarina lui parlerait. Elle serait à ses côtés.
Elle ne pensait pas que Katarina commettrait un impair. Mais elle voulait être présente malgré tout. Il était une heure dix lorsqu'elle arriva à
Ystad. En tournant au coin de Liregatan, elle sentit instinctivement le danger. La voiture en stationnement, phares éteints. Elle ne pouvait pas faire demi-tour. Elle devait continuer. Au passage, elle jeta un rapide coup d'oil à la voiture et vit qu'il y avait deux hommes à l'avant. Elle devina aussi que la lumière était allumée dans son appartement. La rage la fit
538
appuyer sur l'accélérateur. La voiture bondit. Elle freina tout aussi brutalement après avoir tourné au coin de la rue. Ils l'avaient donc trouvée. Ceux qui surveillaient l'immeuble de Katarina Taxell. Maintenant, ils étaient chez elle. Elle sentit monter le vertige. Mais ce n'était pas de la peur. Rien dans l'appartement ne pouvait les conduire jusqu'à
Vollsjo. Rien ne trahissait qui elle était. Rien d'autre que son nom.
Elle resta assise immobile. Le vent sifflait autour de la voiture. Elle avait coupé le moteur et éteint les phares. Elle était obligée de retourner à Vollsjo. Elle comprenait à présent pourquoi elle en était partie : pour vérifier si les hommes qui la poursuivaient avaient pénétré dans sa maison.
Elle avait encore beaucoup d'avance. Ils ne la rattraperaient jamais. Elle continuerait de déplier ses petits papiers tant qu'il y aurait des noms sur la liste. Jusqu'au dernier.
Elle remit le contact. Décida de repasser devant sa maison.
La voiture était toujours là. Elle freina à une vingtaine de mètres de chez elle. Malgré la distance et l'étroitesse de l'angle, elle put voir que les rideaux de son appartement étaient fermés. Ceux qui se trouvaient à
l'intérieur avaient allumé la lumière. Ils fouillaient à présent. Mais ils ne trouveraient rien.
Elle accéléra. S'obligea à le faire discrètement, non pas sur les chapeaux de roues, comme elle en avait l'habitude.
Lorsqu'elle arriva à Vollsjo, Katarina Taxell et son enfant dormaient. Il n'arriverait rien. Tout continuerait conformément à ses plans.
Wallander était à nouveau penché sur les liasses de lettres lorsqu'il entendit des pas rapides dans l'escalier. Il se leva. C'était Martinsson, suivi d'Ann-Britt Hoglund.
- Je crois que tu devrais jeter un coup d'oil à ça, dit Martinsson.
Il était p‚le et s'exprimait d'une voix mal assurée. Il posa sur la table un carnet usé à la reliure noire. Wallander mit ses lunettes, ouvrit le carnet et vit une liste de noms. Chacun était assorti d'un numéro en marge.
Il fronça les sourcils.
I
539
- Feuillette-le, dit Martinsson. quelques pages. Wallander obéit. La liste de noms, encore. Les flèches et
les ratures évoquaient un brouillon.
- Encore quelques pages, dit Martinsson. Il était manifestement secoué.
La liste des noms revenait. Cette fois, les changements et les flèches étaient moins nombreux.
Ce fut alors qu'il l'aperçut.
Le premier nom familier. Gôsta Runfeldt. Puis les autres, Holger Eriksson et Eugen Blomberg. En face de leur nom, une date.
Celle de leur mort.
Wallander leva la tête vers Martinsson et Ann-Britt Hôglund. Ils étaient tous deux très p‚les.
Il n'y avait plus aucun doute. Ils avaient trouvé.
- Il y a plus de quarante noms dans ce carnet, dit Wallander. A-t-elle l'intention de les tuer tous?
- Nous pouvons en tout cas deviner qui est le prochain, dit Ann-Britt.
Elle l'indiqua du doigt.
Tore Grundén. Son nom était assorti d'un point d'exclamation rouge. Mais aucune date n'était inscrite dans la
marge de droite.
- Il y a une feuille volante à la fin, ajouta-t-elle. Wallander la prit avec précaution. C'était une série de
notes rédigées avec un soin minutieux. Wallander pensa de façon fugitive que l'écriture lui rappelait celle de son ex-femme, Mona. Les lettres étaient arrondies, les lignes régulières, sans ratures ni modifications.
Mais le contenu était difficile à interpréter. que signifiaient ces notes ?
Des chiffres, la ville de Hàssleholm, une date, quelque chose qui pouvait ressembler à un horaire. 07.50. La date était celle du lendemain : samedi 22 octobre.
- qu'est-ce que c'est censé signifier? demanda Wallan der. Tore Grundén va descendre à Hàssleholm à sept heures
cinquante ?
- Il doit peut-être prendre un train, dit Ann-Britt Hôglund Wallander comprit. Il n'eut pas besoin de réfléchir davantage.
540
- Appelle Birch à Lund. Il a le numéro de quelqu'un qui s'appelle Karl-Henrik Bergstrand à Malmô. Il faut qu'il réveille Bergstrand pour qu'il réponde à une question. Yvonne Ander est-elle de service à bord du train qui s'arrête ou qui part de Hàssleholm à sept heures cinquante demain matin ?
Martinsson sortit son téléphone portable. Wallander regardait fixement le carnet de notes ouvert.
- O˘ est-elle? demanda Ann-Britt. Maintenant? Nous savons o˘ elle sera probablement demain matin...
Wallander leva la tête vers elle. ¿ l'arrière-plan, il entrevoyait les tableaux. Soudain, il comprit. Il aurait d˚ le voh immédiatement. Il s'approcha du mur et décrocha la photographie encadrée de la ferme. La retourna. Hamg‚rden à Vollsjô. 1965. quelqu'un avait noté le nom de la ferme à l'encre.
- C'est là qu'elle vit, dit-il. Et c'est probablement là qu'elle se trouve en ce moment.
- qu'est-ce qu'on fait?
- On y va et on l'arrête, répliqua Wallandei. Martinsson avait réussi à
joindre Birch. L'entretien fut
bref.
- Il va réveiller Bergstrand, dit Martinsson Wallander tenait le carnet de notes à la main
- Alors on y va, dit-il. On prend les autres au passage.
- Est-ce qu'on sait o˘ se trouve cette ferme? demanda Ann-Britt.
- On la trouvera dans notre registre immobilier, dit Martinsson. «a va me prendre dix minutes au maximum.
Ils étaient très pressés. ¿ deux heures cinq, ils étaient de retour au commissariat. Ils rassemblèrent leurs collègues fatigués, et Martinsson chercha la ferme de Hansg‚rden dans ses ordinateurs. Cela lui demanda plus de temps que prévu. Il n'était pas loin de trois heures lorsqu'il obtint la réponse. Ils cherchèrent l'endroit sur la carte. La ferme se trouvait un peu en dehors de l'agglomération.
- On prend nos armes "> demanda Svedberg.
Oui, dit Wallandei. Mais n'oublions pas que Katanna Taxeil est là. Avec le bébé
Nyberg surgit au même moment dans la salle de réunion. Il avait les cheveux en pagaille et les yeux injectés de sang.
- On a trouvé ce qu'on cherchait, dit-il. Sur l'une des deux tasses.
L'empreinte correspond. La même que sur la valise. La même que sur le mégot. Comme ce n'est pas un pouce, je ne peux pas affirmer avec certitude que c'est la même que sur la balustrade de la tour d'observation. La chose étrange, c'est qu'on dirait que l'empreinte de la tour est plus récente.
Comme si elle était retournée là-bas. ¿ supposer que ce soit elle. Mais il faut croire que oui. qui c'est?
- Yvonne Ander, dit Wallander. Et maintenant on va aller la chercher. On attend juste des nouvelles de Bergstrand.
- Est-ce vraiment nécessaire ? demanda Martinsson.
- Une demi-heure. Pas davantage.
Ils attendirent. Martinsson quitta la pièce pour vénfier qut l'appartement de Liregatan était toujours sous surveillance.
Le téléphone sonna après vingt-deux minutes. C'était Bergstrand.
- Yvonne Ander est de service à bord du train qui part de Malmô demain matin en direction du nord, dit-il.
- «a fait une incertitude en moins, répondit Wallander, laconique.
Il était quatre heures moins le quart lorsqu'ils quittèrent Ystad. La tempête avait atteint son point culminant.
La dernière chose que fit Wallander fut de passer encore deux coups de fil.
L'un à Lisa Holgersson, l'autre à Per
¬keson.
Ni l'un ni l'autre n'avait d'objection à formuler. Ils devaient l'arrêter le plus vite possible.
36
Peu après cinq heures, ils étaient regroupés autour de la ferme de Hansg
‚rden. Il soufflait un vent de tempête, et ils étaient tous frigorifiés. Au terme d'une courte discussion, il avait été décidé que Wallander et Ann-Britt Hoglund entreraient seuls. Les autres avaient pris position de manière à encercler le b‚timent tout en gardant un contact rapproché avec au moins un collègue.
Ils avaient laissé les voitures assez loin et s'étaient approchés de la ferme à pied. Wallander avait immédiatement repéré la Golf rouge garée devant la maison. Au cours du trajet depuis Ystad, il s'était inquiété à
l'idée qu'Yvonne Ander serait peut-être déjà partie. Mais sa voiture était là. Elle était donc encore chez elle. La maison était silencieuse, plongée dans le noir. Rien ne bougeait. Et il n'y avait apparemment pas de chiens de garde.
Tout s'était passé très vite. Une fois le dispositif en place, Wallander demanda à Ann-Britt Hoglund de prévenir les autres par talkie-walkie qu'ils allaient attendre quelques minutes avant d'entrer.
Attendre quoi ? Elle n'avait pas compris. Wallander ne lui donna aucune explication. Avait-il besoin de se préparer? D'achever une mise au point intérieure? De suspendre le cours des événements pendant quelques instants pour réfléchir à tout ce qui s'était passé? Il se tenait immobile dans l'obscurité. Il avait froid. Tout lui paraissait irréel. Pendant un mois, ils avaient traqué une ombre étrange qui ne cessait de se dérober.
Maintenant, enfin, ils touchaient au but. ¿ la battue qui mettrait un terme à la cnasse. Il devait se libérei du sentiment d'irréalité qu'il éprouvait encore. En particulier vis-à-vis de la femme qui se trouvait dans cette maison et qu'ils s'apprêtaient à arrêter. Il lui fallait un trou d'air. C'était pour cela qu'il leur avait demandé d'attendre.
Il se tenait avec Ann-Britt Hôglund contre une grange délabrée, à l'abri du vent. La porte d'entrée de la maison était à vingt-cinq mètres environ. Le temps passait. L'aube serait bientôt là. Ils ne pouvaient plus repousser l'échéance.
Ils étaient armés, à la demande de Wallander. Mais il avait spécifié que tout devait se passer dans le calme. ¿ cause notamment de la présence de Katarina Taxell et de son bébé.
Rien ne devait mal tourner. Le plus important, c'était qu'ils gardent leur calme.
- On y va, dit-il. Transmets.
Elle parla à voix basse dans le talkie-walkie et obtint une série de confirmations que le message était reçu. Puis elle sortit son arme.
Wallander secoua la tête.
- Non, dit-il. Mais souviens-toi dans quelle poche tu l'as mise.
La maison était toujours aussi silencieuse. Aucun mouve ment. Wallander marchait devant, couvert par Ann Britt Hôglund. Le vent soufflait encore très fort. Wallander jeta de nouveau un regard à sa montre. Cinq heures dix-neuf. Yvonne Ander devait être levée si elle voulait prendre son service à bord du train. Ils s'immobilisèrent devant la porte. Wallander prit une profonde inspiration, frappa et recula d'un pas en serrant l'arme dans la poche droite de sa veste. Rien. Il avança et frappa à nouveau, en même temps qu'il tournait la poignée. La porte était verrouillée de l'intérieur. Il frappa à nouveau. Soudain, il sentit l'inquiétude le gagner. Il cogna à la porte. Aucune réaction. quelque chose clochait.
- On entre en force, dit-il. Transmets. qui a le pied-de-biche? Pourquoi n'est-ce pas nous?
Ann-Britt Hôglund s'exprima avec autorité dans le talkie-walkie, en se plaçant de manière à avoir le vent dans le dos. Wallander surveillait constamment les fenêtres de part et d'autre de la porte. Svedberg arriva en courant avec le pied-de-biche. Wallander lui demanda de reprendre immédiatement sa position. Puis il inséra l'outil et appuya de tout son poids. La porte s'ouvrit, serrure arrachée. La lumière était allumée dans le vestibule. Sans réfléchir, Wallander tira son arme. Ann-Britt Hôglund le suivait de très près. Il se baissa et entra pendant qu'elle le couvrait. Tout était silencieux.
- Police ! cria Wallander. Nous cherchons Yvonne Ander.
Aucune réaction. Il cria à nouveau, tout en avançant lentement vers la pièce située droit devant eux. Ann-Britt Hôglund le suivait, en le couvrant toujours. Le sentiment d'irréalité revint. Wallander fit irruption dans la pièce en brandissant son arme dans un geste circulaire. Il n'y avait personne. Il laissa retomber son bras. Ann-Britt Hôglund était restée dans l'encadrement de la porte. La pièce était vaste, spacieuse. Des lampes étaient allumées. Un four à pain de forme étrange longeait l'un des murs.
Soudain une porte s'ouvrit en face d'eux. Wallander sursauta et leva à
nouveau son arme, Ann-Britt Hôglund mit un genou à terre. Katarina Taxell apparut, en chemise de nuit. Elle semblait avoir peur.
Wallander baissa son arme, Ann-Britt Hôglund l'imita.
Au même instant, il comprit qu'Yvonne Ander n'était pas dans la maison.
- que se passe-t-il ? demanda Katarina Taxell. Wallander l'avait déjà
rejointe.
- O˘ est Yvonne Ander?
- Elle n'est pas ici.
- O˘ est-elle ?
- Je suppose qu'elle est partie travailler.
- qui est venu la chercher?
- Elle conduit toujours elle-même.
- Sa voiture est garée devant la maison.
- Elle a deux voitures.
Tellement simple, pensa Wallander. Il n'y avait pas que la Golf rouge.
- Tu vas bien? demanda-t-il ensuite. Et l'enfant?
- Bien s˚r. Pourquoi ?
Wallander jeta un rapide coup d'oil autour de lui. Puis il demanda à Ann-Britt de faire entrer les autres. Ils n'avaient pas beaucoup de temps.
545
- Fais venir Nyberg, dit-il. Cette maison doit être fouillée de fond en comble.
Les policiers transis de froid se rassemblèrent dans la grande pièce blanche.
- Elle est partie, dit Wallander. Elle est en route vers Hàssleholm. Du moins, on n'a aucune raison d'envisager autre chose. Elle doit prendre son service là-bas. Dans le train o˘ voyage aussi un certain passager. Tore Grundén, le prochain candidat désigné sur sa liste.
- Elle a vraiment l'intention de le tuer dans le train? demanda Martinsson, incrédule.
- Nous n'en savons rien. Mais nous ne voulons pas d'un meurtre supplémentaire. Nous allons l'arrêter avant.
- Il faut prévenir les collègues de Hàssleholm, dit Hansson.
- On le fera en cours de route. Hansson et Martinsson, vous m'accompagnez.
Vous autres, occupez-vous de fouiller la maison ! Et de parler à Katarina Taxell.
Il fit un signe de tête dans sa direction. Elle se tenait contre le mur, dans la lumière grise. Elle se confondait presque avec le mur. Un être humain pouvait-il vraiment se diluer, devenir p‚le et flou au point de n'être plus visible ?
Ils partirent. Hansson conduisait. Martinsson s'apprêtait à appeler les collègues de Hàssleholm lorsque Wallander lui demanda d'attendre.
- Je crois qu'il vaut mieux que nous fassions ça nous-mêmes, dit-il. En cas de panique, on ne sait pas ce qui peut arriver. Elle peut être dangereuse.
Je comprends ça maintenant. Vraiment dangereuse, y compris pour nous.
- qu'est-ce que tu crois ? demanda Hansson, surpris. Elle a empalé un homme, elle en a étranglé un autre et noyé un troisième. Si cette femme-là
n'est pas dangereuse, alors je
ne sais plus...
- Nous ne savons même pas à quoi ressemble Grundén, dit Martinsson. qu'est-ce qu'on va faire? L'appeler par haut-parleur? Et elle? Elle a un uniforme, au moins?
- Peut-être. On verra bien en arrivant. Mets le gyrophare.
On est pressés. Hansson conduisait vite. Mais le temps était compté. Un 546
peu plus tard, Wallander calcula qu'il leur restait vingt minutes de trajet, et qu'ils arriveraient à temps.
L'un des pneus creva presque au même moment. Hansson jura et freina brutalement. Lorsqu'ils comprirent qu'il faudrait changer la roue arrière gauche, Martinsson voulut à nouveau appeler les collègues de Hàssleholm.
Ils pourraient au moins leur envoyer une voiture. Mais Wallander refusa. Il avait pris sa décision. Ils arriveraient à temps malgré tout. Ils changèrent la roue à une vitesse record, dans le vent qui semblait vouloir leur arracher les vêtements. Ils repartirent. Hansson conduisait très vite, les minutes s'égrenaient et Wallander essayait de décider ce qu'ils allaient faire en arrivant. Il avait peine à imaginer qu'Yvonne Ander allait assassiner Tore Grundén sous les yeux des passagers qui attendaient le train. Cela ne correspondait pas à ses méthodes. Il arriva à la conclusion qu'ils devaient oublier Tore Grundén pour l'instant. Ils devaient se concentrer sur elle, une femme en uniforme, et l'arrêter le plus discrètement possible.
Une fois à Hàssleholm, Hansson s'égara par pure nervosité, alors qu'il affirmait connaître le chemin. Wallander s'énerva à son tour, et le temps d'arriver à la gare, ils s'insultaient presque. Ils descendirent de voiture sans prendre la peine d'arrêter le gyrophare. Trois hommes, pensa Wallandet en un éclair, qui donnent toutes les apparences de s'apprêter à cambrioler la gare ou du moins de sauter dans un train près de partir. L'horloge indiquait qu'ils disposaient de trois minutes exactement. Il était sept heures quarante-sept. Les haut-parleurs annoncèrent l'arrivée du train.
Mais Wallander ne comprit pas s'il entrait en gare ou s'il était déjà à
quai. Il dit à Martinsson et à Hansson qu'ils devaient se calmer tous les trois et avancer lentement sur le quai, à distance les uns des autres, mais en gardant le contact en permanence. Lorsqu'ils l'auraient trouvée, ils l'encercleraient discrètement et lui demanderaient de les suivre. Wallander devinait que ce serait le moment critique. Ils ne pouvaient être s˚rs de la manière dont elle réagirait. Ils devaient se tenir prêts, mais sans leurs armes. Il souligna ce dernier point plusieurs fois. Yvonne Ander n'utilisait pas d'arme. Ils devaient être prêts à tout, mais ils devaient l'arrêter sans tirer.
547
Ils s'engagèrent sur le quai. Le vent soufflait toujours aussi fort. Le train n'était pas encore arrivé. Les voyageurs cherchaient à s'abriter du vent comme ils le pouvaient. Ils étaient étonnamment nombreux à vouloir se rendre dans le nord en ce samedi matin. Wallander marchait devant, Hans-son derrière lui, Martinsson au bord de la voie. Wallander aperçut aussitôt un contrôleur, un homme, qui fumait une cigarette. Il constata que la tension le faisait transpirer. Yvonne Ander restait invisible. Aucune femme en uniforme. Il scruta rapidement la foule, à la recherche d'un homme qui aurait pu être Tore Grundén. Mais cela n'avait évidemment aucun sens.
L'homme n'avait pas de visage. Ce n'était qu'un nom barré dans un carnet macabre. Il échangea un regard avec Hansson et Martinsson. Puis il se tourna vers le b‚timent de la gare, au cas o˘ elle viendrait de cette direction. Au même instant, le train apparut. Il comprit que quelque chose clochait. Il refusait encore de croire qu'elle avait l'intention de tuer Tore Grundén sur le quai. Mais il ne pouvait en être entièrement s˚r. Il avait vu trop de fois des gens calculateurs se mettre à agir soudain de manière incontrôlée, contraire à toutes leurs habitudes. Les gens commencèrent à s'affairer avec leurs sacs et leurs valises. Le train approchait. Le contrôleur avait jeté son mégot. Wallander comprit qu'il n'avait plus le choix. Il devait lui parler, lui demander si Yvonne Ander se trouvait déjà à bord du train, ou si son emploi du temps avait été
modifié à la dernière minute. Le train était presque à l'arrêt. Wallander dut se frayer un chemin parmi les voyageurs pressés de fuir le vent et de monter à bord. Soudain, Wallander découvrit un homme seul, un peu plus loin sur le quai, qui s'apprêtait à soulever sa valise. Une femme se tenait non loin de lui, vêtue d'un long pardessus que le vent malmenait. Un train était à l'approche de l'autre côté du quai. Wallander ne put jamais déterminer après coup s'il avait réellement saisi la situation. Il réagit cependant comme si tout était clair. Il bouscula les voyageurs qui lui bloquaient le passage. quelque part derrière lui, Hansson et Martinsson s'étaient mis à courir, alors qu'ils ignoraient ce qui se tramait.
Wallander vit la femme empoigner l'homme
548
par-derrière. Elle paraissait douée d'une force colossale. Elle le souleva presque de terre. Wallander devina plus qu'il ne comprit qu'elle avait l'intention de le jeter contre le train qui entrait en gare. Comme il était trop loin pour intervenir, il cria. Elle dut l'entendre malgré le fracas de la locomotive. Une fraction de seconde d'hésitation suffit. Elle tourna la tête vers Wallander - Martinsson et Hansson venaient de surgir à ses côtés
- et elle l‚cha l'homme. Le long manteau s'écarta sous l'effet du vent, dévoilant le bas de son uniforme. Soudain, elle leva la main et fit un geste qui brisa net l'élan de Hansson et de Martinsson. Elle s'arracha les cheveux. Le vent s'en empara aussitôt, les balayant le long du quai. Sous la perruque, elle avait les cheveux très courts. Ils se remirent à courir.
Tore Grundén ne semblait pas comprendre à quoi il venait d'échapper.
- Yvonne Ander ! cria Wallander. Police !
Martinsson était sur le point de la rattraper. Wallander le vit allonger le bras. Puis tout alla très vite. Elle le frappa - un direct du droit, dur et précis. Le coup atteignit Martinsson à la joue gauche. Il s'écroula sans un bruit sur le quai. Au même instant, Wallander entendit un cri, derrière lui. Un voyageur avait découvert ce qui se passait. Hansson, qui s'était arrêté net en voyant tomber Martinsson, fit le geste de tirer son arme.
Mais il était déjà trop tard. Elle l'empoigna par son blouson et lui balança un violent coup de genou entre les jambes. Hansson s'écroula. Un court instant, elle se pencha sur lui. Puis elle se mit à courir le long du quai, en se débarrassant de son pardessus, qui fut emporté par le vent.
Wallander s'arrêta pour voir comment allaient ses collègues. Martinsson était évanoui. Hansson gémissait ; il était blanc comme un linge. Lorsque Wallander releva la tête, elle avait disparu. Il se remit à courir le long du quai. Puis il l'aperçut de loin, courant entre les rails. Il comprit qu'il ne la rattraperait pas. En plus, il ne savait pas dans quel état était réellement Martinsson. En revenant sur ses pas, il remarqua que Tore Grundén avait disparu. Entre-temps, des employés de la gare s'étaient précipités sur les lieux. La confusion était totale. Bien entendu, personne ne comprenait ce qui venait de se produire.
549
Après coup, Wallander se rappellerait toujours l'heure qui suivit comme un chaos sans fin. Il avait essayé d'accomplii plusieurs choses en même temps, mais personne ne saisissait ses ordres. De plus, il était sans cesse gêné
dans ses mouvements par la foule des voyageurs. Hansson commençait lentement à récupérer, au milieu du désordre. Mais Mar-tinsson était toujours inconscient et Wallander enrageait contre l'ambulance qui n'arrivait pas. Ce ne fut que lorsque quelques policiers de Hàssleholm complètement désorientés surgirent sur le quai qu'il put enfin dominer tant bien que mal la situation. Martinsson s'était pris un sacré coup. Mais il respirait régulièrement. quand les ambulanciers arrivèrent pour l'emporter, Hansson était suffisamment remis pour les accompagner à l'hôpital.
Wallander expliqua aux policiers qu'ils avaient été sur le point d'arrêter une femme contrôleur, mais qu'elle avait réussi à s'échapper. Au même moment, Wallander constata que le train était parti. Il se demanda si Tore Grundén était à bord. Avait-il même compris qu'il venait de frôler la mort?
Wallander constata que personne n'avait la moindre idée de ce qu'il racontait. Seules sa carte de police et son autorité lui évitaient d'être pris pour un fou.
Sa seule préoccupation, en dehors de l'état de santé de Martinsson, était de savoir o˘ se trouvait Yvonne Ander. Il avait appelé Ann-Britt Hoglund, au milieu de l'agitation générale, pour lui raconter ce qui s'était passé.
Elle promit qu'ils se tiendraient prêts au cas o˘ Yvonne Ander reviendrait à Vollsjo. L'appartement d'Ystad fut immédiatement placé sous surveillance.
Mais Wallander était dubitatif. Il ne pensait pas qu'elle se manifesterait là-bas. Elle savait désormais non seulement qu'elle était surveillée, mais qu'ils la suivaient à la trace et qu'ils ne renonceraient pas avant de l'avoir retrouvée. quel choix lui restait-il? La fuite pure et simple ? Il ne pouvait ignorer cette possibilité. En même temps, quelque chose contredisait cette hypothèse. Cette femme préméditait tous ses actes. Elle avait s˚rement prévu des issues de secours. Wallander rappela Ann-Britt Hoglund et lui demanda de parler à Katarina Taxell. Une 550
seule question : Yvonne Ander avait-elle une autre cachette ? Tout le reste pouvait attendre jusqu'à nouvel ordre.
- Je crois qu'elle a un lieu de repli, dit Wallander. Elle peut avoir mentionné un endroit, une adresse, sans que Katarina ait pensé précisément à une cachette.
- Elle choisira peut-être l'appartement de Katarina Taxell àLund?
Wallander réfléchit. C'était une possibilité.
- Téléphone à Birch, dit-il. Demande-lui de s'en occuper.
- Elle a les clés de l'appartement. Katarina me l'a dit. Wallander fut conduit à l'hôpital par une voiture de police.
Hansson se sentait mal. Il était allongé sur une civière, ses testicules avaient enflé et il devait rester en observation. Martinsson était toujours inconscient. Un médecin évoqua une sérieuse commotion cérébrale.
- L'agresseur devait être un type costaud, dit-il.
- Oui, répondit Wallander. Sauf que c'était une femme. Il quitta l'hôpital.
O˘ avait-elle disparu? Une idée le
taraudait, sans qu'il puisse la formuler consciemment. Une intuition qui l'amènerait à l'endroit o˘ elle se trouvait, ou vers lequel elle se dirigeait.
Puis il comprit. Il s'immobilisa devant l'hôpital. Nyberg s'était exprimé
très clairement. Les empreintes digitales dans la tour étaient plus récentes que les autres. La possibilité existait, même si elle était infime. Yvonne Ander lui ressemblait peut-être, sur ce point. Dans les situations de crise, elle recherchait l'isolement. Un lieu d'o˘ elle pouvait dominer la réalité. Parvenir à une décision. Tous ses actes donnaient une impression de préparation minutieuse et d'horaires rigoureux.
Tout cela venait de s'effondrer pour elle.
Il décida que cela valait le coup d'essayer.
L'endroit était toujours isolé par des barrières de sécurité. Mais Hansson avait bien dit que le travail ne reprendrait que lorsqu'ils auraient obtenu les renforts demandés. Il supposait de plus que la surveillance se limitait aux patrouilles de routine. Et elle pouvait très bien venir par le chemin qu'elle avait déjà utilisé auparavant.
Wallander prit congé des policiers de Hàssleholm. Ils n'avaient toujours pas bien compris ce qui s'était passé à la
551
gare, mais Wallander leur promit qu'ils seraient informés dans le courant de la journée. C'était, en gros, une arrestation qui avait mal tourné. Mais sans conséquences sérieuses. Les deux policiers hospitalisés seraient bientôt rétablis.
Wallander monta dans sa voiture et appela Ann-Britt Hôg-lund pour la troisième fois. Il ne lui dit rien de ses intentions ; il lui demanda simplement de le retrouver à l'embranchement du chemin conduisant à la ferme de Holger Eriksson.
Il était plus de dix heures lorsque Wallander arriva à Lôdinge. Ann-Britt l'attendait. Elle monta dans la voiture de Wallander pour la dernière partie du trajet. Il s'arrêta à cent mètres de la maison. Il n'avait encore rien dit. Elle l'interrogea du regard.
- Je peux parfaitement me tromper, dit-il. Mais la possibilité existe qu'elle revienne ici. Dans la tour. Elle y est déjà
venue.
Il lui rappela ce qu'avait dit Nyberg à propos des empreintes.
- quelle raison aurait-elle de le faire ?
- Je ne sais pas. Mais elle est traquée. Elle doit prendre une décision. De plus, elle est déjà venue.
Ils descendirent de voiture. Le vent soufflait fort.
- Nous avons trouvé un uniforme d'hôpital, dit-elle. Ainsi qu'un sac en plastique contenant des caleçons. On peut supposer sans trop de risque que Costa Runfeldt a été détenu à
Vollsjô. Ils étaient parvenus à la maison d'habitation.
- qu'est-ce qu'on fait si elle est dans la tour? demanda Ann-Britt.
- On la coince. Je vais contourner la colline. Si elle est dans la tour, c'est par là qu'elle est arrivée et qu'elle a garé sa voiture. Toi, tu prends le chemin qui part de la maison. Cette fois, on ne garde pas les armes dans notre poche.
- Je ne pense pas qu'elle vienne.
Wallander ne répondit pas. Elle avait très probablement raison.
Ils se tenaient dans la cour, à l'abri du vent. Le ruban plastique du périmètre de sécurité, à l'endroit des fouilles, avait 552
été en partie arraché par le vent. La tour était abandonnée. Elle se découpait très nettement contre le ciel d'automne lumineux.
- On attend un moment, dit Wallander. Si elle a décidé de venir, elle sera bientôt là.
- L'alarme a été donnée dans tout le district.
- Si nous ne la retrouvons pas, elle sera bientôt recherchée dans tout le pays.
Ils restèrent silencieux. Le vent malmenait leurs vêtements.
- qu'est-ce qui la pousse ? demanda enfin Ann-Britt.
- Elle seule peut répondre à cette question. Mais ne peut-on pas imaginer qu'elle a été maltraitée, elle aussi ?
Ann-Britt ne répondit pas.
- Je crois qu'elle est extrêmement seule, dit Wallander. Et qu'à un moment donné, elle a perçu que le sens de sa vie tenait à une mission. qu'elle était appelée à tuer pour le compte des autres.
- Au début, nous cherchions un mercenaire. Et maintenant, nous attendons qu'une femme contrôleur surgisse dans une tour d'observation abandonnée.
- L'idée du mercenaire n'était peut-être pas si absurde, dit Wallander pensivement. Sauf que c'est une femme et qu'elle ne se fait pas payer, du moins pas à notre connaissance. Il y a tout de même des éléments qui font écho à notre hypothèse de départ, même si elle était fausse.
- Katarina Taxell a dit qu'elle avait fait sa connaissance par l'intermédiaire d'un groupe de femmes qui se réunit régulièrement à
Vollsjô. Mais leur première rencontre a eu lieu dans le train. Tu avais raison sur ce point. Elle avait apparemment interrogé Katarina Taxell sur un bleu qu'elle avait à la tempe, sans se laisser démonter par ses faux-fuyants. C'était Eugen Blomberg qui l'avait frappée. Je n'ai pas tout à
fait compris de quelle manière les choses se sont enchaînées à partir de là. Mais elle a confirmé qu'Yvonne Ander avait travaillé en milieu hospitalier, et aussi comme ambulancière. Elle a donc eu l'occasion de voir beaucoup de femmes battues, et elle a repris contact avec elles par la suite. Elle les a invitées à Vollsjô. On peut dire qu'il s'agis-55?
sait d'un groupe de crise extrêmement confidentiel. Elle a obtenu le nom des responsables. Ensuite il est arrivé quelque chose à ces hommes.
Katarina a aussi reconnu que c'était bien Yvonne Ander qui lui avait rendu visite à l'hôpital. La dernière fois, elle lui avait livré le nom du père de l'enfant. Eugen Blomberg.
- Signant ainsi son arrêt de mort... Je crois qu'Yvonne Ander s'est préparée longtemps avant de passer aux actes. Il s'est passé quelque chose, un événement qui a tout déclenché. Lequel ? Nous ne le savons pas.
- Le sait-elle elle-même ?
- Nous devons supposer que oui. Si elle n'est pas tout à
fait folle.
Ils attendirent. Le vent soufflait par rafales violentes et irrégulières.
Une voiture de police apparut à l'entrée de la ferme. Wallander leur demanda de ne pas revenir jusqu'à nouvel ordre. Il ne leur donna aucune explication. Mais il était très déterminé.
L'attente se poursuivit. Ni l'un ni l'autre n'avait grand-chose à dire.
¿ onze heures moins le quart, Wallander posa doucement la main sur l'épaule d'Ann-Britt Hoglund.
- La voilà, dit-il à voix basse.
Ann-Britt l'aperçut au même instant. Une silhouette avait surgi au pied de la colline. Ce ne pouvait être qu'Yvonne Ander. Elle regarda autour d'elle.
Puis elle commença à monter dans la tour.
- Il me faut vingt minutes pour contourner la colline, dit Wallander. Tu attends vingt minutes, et puis tu y vas. Je serai derrière si jamais elle essaie de s'enfuir.
- Et si elle m'attaque ? Il faudra que je tire.
- Je vais l'en empêcher. Je serai là.
Il courut jusqu'à sa voiture et conduisit aussi vite qu'il le put jusqu'au chemin charretier qui donnait accès à l'arrière de la colline. Il n'osait cependant pas se garer trop près. Il descendit de voiture et fit la dernière partie du trajet en marche forcée. Il était essoufflé, et constata que cela lui avait pris plus de temps que prévu. Une voiture était garée sur le chemin. Une Golf, encore. Mais celle-ci était noire 554
Le téléphone portable bourdonna dans la poche de sa veste. Il pensa que ce pouvait être Ann-Britt et répondit tout en continuant d'avancer. C'était Svedberg.
- O˘ es-tu ? qu'est-ce qui se passe, bordel ?
- Je ne peux pas t'expliquer maintenant. Mais on est à la ferme d'Eriksson.
Ce serait bien si tu pouvais venir avec quelqu'un. Hamrén, par exemple. Je ne peux pas t'en dire plus.
- Moi, j'ai quelque chose à te dire, répliqua Svedberg. Hansson a appelé de Hassleholm. Ils vont mieux, Martins-son et lui. En tout cas, Martinsson a repris connaissance. Mais Hansson se demande si c'est toi qui as pris son arme.
Wallander s'arrêta net.
- Son arme ?
- Il dit qu'elle a disparu.
- Je ne l'ai pas.
- Elle n'est pas restée sur le quai, tout de même ? Wallander comprit au même instant. En un éclair, il revit
l'enchaînement des événements. Elle avait agrippé Hansson par son blouson avant de lui balancer un coup de genou à l'aine. Puis elle s'était penchée sur lui. «a n'avait duré qu'un instant. Elle avait pris l'arme à ce moment-là.
- Merde ! cria Wallander.
Svedberg n'eut pas le temps de répondre. Wallander avait déjà rangé son portable. Il avait mis Ann-Britt Hoglund en danger de mort. La femme dans la tour était armée.
Wallander se mit à courir. Son cour cognait comme un marteau. Un regard à
sa montre lui apprit qu'Ann-Britt devait déjà être en marche vers la colline. Il s'immobilisa de nouveau et composa son numéro de portable.
Aucune réponse. Elle l'avait sans doute laissé dans la voiture.
Il se remit à courir. Il devait à tout prix arriver le premier. Ann-Britt ne savait pas qu'Yvonne Ander était armée.
La peur le fit accélérer encore. Il déboula au pied de la colline. Elle devait presque être arrivée au fossé maintenant. Marche lentement, pensa-t-il. Tombe, glisse, peu importe. Ne te dépêche pas. Marche lentement. Il tira son arme et s'élança en trébuchant vers la tour. Arrivé au sommet de la colline, il vit qu'Ann-Britt était déjà au bord du fossé, son 555
arme à la main. La femme dans la tour n'avait toujours pas senti la présence de Wallander dans son dos. Il hurla à Ann-Britt Hôglund de s'enfuir
II avait pointé son arme vers la femme qui lui tournait le dos, là-haut dans la tour.
Au même instant, il entendit la détonation. Ann-Britt Hôglund tressaillit et s'écroula dans la boue. Pour Wallander, ce fut comme si quelqu'un avait enfoncé une épée dans son propre corps. Son regard était rivé à la forme immobile étendue dans la boue. Il ne perçut que très vaguement les mouvements de la femme, qui venait de faire volte-face. L'instant d'après, il s'était jeté à terre et tirait en direction de la tour. La troisième balle atteignit sa cible. La femme eut un soubresaut et l‚cha son arme.
Wallander se précipita. Il contourna la tour, se jeta dans le fossé, remonta de l'autre côté en trébuchant. Lorsqu'il vit Ann-Britt Hôglund immobile, couchée sur le dos, il crut qu'elle était morte. Elle avait été
tuée par l'arme de Hansson, et tout était sa faute.
Un court instant, il ne vit pas d'autre issue que de se tirer une balle dans la tête. Là, tout de suite, à quelques mètres d'elle.
Puis il vit qu'elle bougeait imperceptiblement. Il tomba à genoux à côté
d'elle. Le devant de son blouson était plein de sang. Elle était très p‚le et le dévisageait fixement avec des yeux pleins de peur.
- Tout va bien, dit-il. Tout va bien.
- Elle était armée, murmura-t-elle. On ne le savait pas 1 Wallander s'aperçut qu'il pleurait. Puis il trouva son portable et appela une ambulance.
En repensant à cette scène, plus tard, il se rappellerait qu'il avait attendu l'arrivée de l'ambulance en priant de façon confuse et ininterrompue un Dieu auquel il ne croyait pas vraiment. Il avait perçu l'arrivée de Svedberg et de Hamrén comme à travers un brouillard. Ann-Britt Hôglund avait été emportée sur une civière. Wallander était toujours assis dans la boue et personne n'avait pu le convaincre de se relever. Un photographe qui avait suivi l'ambulance au moment o˘ celle-ci quittait Ystad avait photographié Wallander dans cette attitude. Crasseux, abandonné, désespéré.
I
LC pnotographe avait réussi à prendre cette unique image avant d'être chassé par Svedberg hors de lui. Lisa Holgers-son avait d˚ multiplier les pressions pour que la photo ne soit pas publiée.
Pendant ce temps, Svedberg et Hamrén étaient montés chercher Yvonne Ander dans la tour. La balle de Wallander l'avait touchée en haut de la cuisse.
Elle saignait beaucoup, mais sa vie n'était pas en danger. Elle fut emportée à son tour par une ambulance. Svedberg et Hamrén réussirent finalement à remettre Wallander debout et à le traîner jusqu'à la ferme.
Le premier rapport de l'hôpital d'Ystad leur parvint au même moment.
Ann-Britt Hôglund avait été grièvement blessée au ventre. Elle était dans un état critique.
Svedberg conduisit Wallander jusqu'à l'endroit o˘ il avait laissé sa voiture. Il hésita à le laisser prendre le volant seul jusqu'à Ystad, mais Wallander lui affirma qu'il n'y avait aucun problème. Il se rendit directement à l'hôpital et s'assit dans le couloir pour attendre. Il n'avait pas eu le temps de se laver. Il attendit plusieurs heures, jusqu'à
ce que les médecins lui assurent que l'état d'Ann-Britt s'était stabilisé.
¿ ce moment-là seulement, il quitta l'hôpital.
Il disparut. Personne ne l'avait vu partir. Svedberg commença aussitôt à
s'inquiéter. D'un autre côté, il lui semblait connaître suffisamment Wallander pour savoir qu'il avait juste besoin d'être seul.
Wallander avait quitté l'hôpital peu avant minuit. Le vent soufflait encore par rafales. Il avait pris sa voiture jusqu'au cimetière o˘ était enterré
son père. Il avait cherché la tombe dans le noir et il était resté
longtemps debout, dans un état de vide intérieur total. Il n'avait toujours pas trouvé le temps de se laver. Vers une heure du matin, il était rentré
chez lui et avait longuement parlé au téléphone avec Baiba, à Riga. Ensuite seulement, il s'était déshabillé et il avait pris un bain.
Après avoir changé de vêtements, il était retourné à l'hôpital. Peu après trois heures, il était allé jusqu'à la chambre qu'occupait Yvonne Ander, sous haute surveillance, et il avait
557
ouvert la porte avec précaution. Elle dormait. Il avait longuement contemplé son visage. Puis il était parti sans un mot Une heure plus tard, il était de retour. Lisa Holgersson arriva à l'hôpital à l'aube et lui dit qu'ils avaient réussi à joindre le mari d'Ann-Britt Hoglund, qui se trouvait à DubaÔ. Il allait atterrir à l'aéroport de Copenhague plus tard dans la journée.
Personne n'aurait pu dire si Wallander entendait ce qu'on lui disait. Il restait assis sur une chaise sans bouger. Ou alors il se levait et allait se mettre près d'une fenêtre, le regard fixe. Lorsqu'une infirmière lui proposa un café, il fondit brusquement en larmes et s'enferma dans les toilettes. Mais, la plupart du temps, il restait immobile sur une chaise, à
regarder ses mains.
¿ peu près au moment o˘ le mari d'Ann-Britt Hoglund atterrissait à Kastrup, un médecin leur annonça enfin la nouvelle qu'ils attendaient tous. Elle survivrait. Il n'y aurait probablement pas de séquelles. Elle avait eu de la chance. Mais la convalescence serait longue.
Wallander avait accueilli la nouvelle debout, comme on écoute un verdict.
Après, il avait simplement quitté l'hôpital et disparu dans la bourrasque.
Yvonne Ander fut officiellement inculpée le lundi 24 octobre. Elle se trouvait encore à l'hôpital. Jusque-là, elle n'avait pas prononcé un mot; même l'avocat commis d'office n'avait rien pu tirer d'elle. Wallander avait tenté de conduire un interrogatoire au cours de l'après-midi, mais elle s'était contentée de le regarder sans répondre à ses questions. Au moment o˘ il s'apprêtait à partir, il se retourna et lui dit qu'Ann-Britt Hoglund s'en sortirait. Il lui sembla alors déceler chez elle une réaction qui ressemblait à du soulagement, peut-être même à de la joie.
Martinsson était en congé maladie pour commotion cérébrale Hansson avait repris le boulot, même s'il avait encore du mal à marcher et à s'asseoir.
Pendant ce temps, ils avaient entrepris un travail laborieux : comprendre tout ce qui s'était passé, au fond. Une
558
seule chose ne fut jamais prouvée de façon concluante : si le squelette qu'ils avaient réussi à reconstituer - à l'énigma-tique exception d'un tibia introuvable - était bien celui de Krista Haberman. Rien ne démentait cette hypothèse. Mais rien ne permettait non plus de l'étayer réellement.
Pourtant, ils n'avaient aucun doute. Et une fêlure au cr‚ne leur apprit aussi de quelle manière Holger Eriksson l'avait tuée, vingt-sept ans plus tôt. Tous les autres détails furent progressivement élucidés - avec beaucoup de lenteur et quelques points d'interrogation en pointillé. Gôsta Runfeldt avait-il assassiné sa femme ? Ou bien était-ce un accident ? La seule à pouvoir répondre à ces questions était Yvonne Ander, et elle ne disait toujours rien. Son passé, qu'ils avaient commencé à explorer, leur avait livré une histoire qui ne dévoilait qu'en partie qui elle était et les éventuelles raisons qui la poussaient à agir.
Un après-midi, à la fin d'une longue réunion, Wallander prononça une phrase qu'il semblait avoir ruminée longuement
- Yvonne Ander est la première personne que je rencontre qui soit à la fois sage et folle.
Il ne leur expliqua pas ce qu'il entendait par là. Mais il n'y avait aucun doute : il venait d'exprimer une opinion m˚rement réfléchie.
Au cours de cette période, Wallander rendit aussi visite chaque jour à Ann-Britt Hoglund à l'hôpital. Le sentiment de culpabilité ne le quittait pas.
Personne ne pouvait le faire démordre de cette conviction. Il s'estimait responsable, point final. Il n'y avait pas de remède contre cela.
Yvonne Ander continuait de se taire. Un soir, Wallander s'attarda longuement au commissariat pour relire une nouvelle fois la volumineuse correspondance qu'elle avait échangée avec sa mère.
Le lendemain, il lui rendit visite à la prison.
Ce jour-là, elle sortit de son mutisme.
C'était le 3 novembre 1994.
Le paysage autour d'Ystad était tout blanc de givre.
Scanie
4-5 décembre 1994
…PILOGUE
Le dernier entretien de Kurt Wallander avec Yvonne Ander eut lieu l'après-midi du 4 décembre. Il ignorait qu'il n'y en aurait pas d'autre - même s'ils n'avaient pas convenu d'un nouveau rendez-vous.
Le 4 décembre, ils étaient parvenus à une conclusion provisoire. Soudain, il n'y avait plus rien à dire. Plus de questions à poser, plus de réponses à donner. Et ce fut alors seulement que Wallander put progressivement commencer à penser à autre chose. L'arrestation d'Yvonne Ander remon tait à
plus d'un mois, mais l'enquête avait continué dt dominer sa vie. Jamais dans sa carrière, il n'avait éprouvé un tel besoin de comprendre, de comprendre vraiment. Les actes criminels constituaient toujours une surface. Souvent, la surface et le fond étaient enchevêtrés, et on pouvait déceler un rapport direct entre les deux. Mais parfois, une fois la surface entamée, on se trouvait confronté à un abîme dont on n'avait pas même soupçonné l'existence. C'était le cas poui Yvonne Ander. Wallander avait traversé la surface à un endroit, et il avait aussitôt compris qu'elle masquait un gouffre. Il prit alors la décision symbolique de s'encorder et d'entamer une descente dont il ne savait pas o˘ elle les mènerait - elle pas plus que lui.
Le premier pas consistait à la convaincre de briser le silence et de commencer à parler. Il réussit à le faire après avoir lu pour la deuxième fois la correspondance qu'elle avait échangée avec sa mère et soigneusement conservée tout au long de sa vie d'adulte. Wallander avait intuitivement deviné qu'il lui fallait passer par là s'il voulait forcer les défenses de cette femme inaccessible. Il avait vu juste.
563
La percée s'était produite le 3 novembre, plus d'un mois auparavant.
Wallander était alors toujours déprimé par l'état d'Ann-Britt Hôglund. Il savait qu'elle survivrait, qu'elle guérirait même, et qu'elle n'en garderait qu'une cicatrice au ventre, sur le côté gauche. Mais la culpabilité lui pesait tellement qu'elle menaçait de l'étouffer. La personne qui l'aida au cours de cette période fut Linda. Elle était venue à
Ystad, alors même qu'elle n'en avait pas le temps, et elle s'était occupée de lui. Mais elle l'avait aussi forcé à admettre que ce qui s'était produit n'était pas sa faute, mais celle des circonstances. Avec son aide, il avait réussi à traverser les premières affreuses semaines de novembre. En dehors des efforts qu'il devait faire pour se lever et rester debout chaque jour, il avait consacré tout son temps à Yvonne Ander. C'était elle qui avait tiré, et qui aurait pu tuer Ann-Britt Hôglund si le hasard en avait décidé
autrement. Mais les crises d'agressivité et l'envie de la frapper, parfois, n'avaient duré qu'un temps. Par la suite, il était devenu plus important pour lui d'essayer de comprendre qui elle était vraiment. Il était aussi le seul à qui elle acceptait de parler. Il s'était donc encordé et il avait entamé
sa descente.
qu'avait-il trouvé dans le gouffre? Longtemps, il se demanda si elle n'était pas folle malgré tout, si tout ce qu'elle racontait sur elle-même n'était pas que rêves embrouillés, illusions et déformations pathologiques.
En plus, il ne se fiait pas à son propre jugement, au cours de cette période, et il avait du mal à cacher la méfiance qu'elle lui inspirait.
Mais en même temps, il se doutait qu'elle ne disait au fond que la vérité.
Rien d'autre. Au milieu du mois de novembre, l'opinion de Wallander opéra un revirement complet. Lorsqu'il revint à son point de départ, ce fut comme s'il avait été doté d'un regard neuf. Il n'avait plus aucun doute quant au fait qu'elle disait la vérité. En plus, il comprit qu'Yvonne Ander était cet oiseau rare : un être humain qui ne mentait jamais.
Il avait lu les lettres écrites par sa mère. Dans la dernière liasse, il en avait trouvé une autre - une lettre étrange signée par une fonctionnaire de la police algérienne du nom de
564
Françoise Bertrand. Tout d'abord, il n'avait rien compris à son contenu.
Elle était jointe à une collection de lettres inachevées de la mère, qui n'avaient jamais été envoyées et qui avaient toutes été rédigées en Algérie, un an plus tôt. Françoise Bertrand avait écrit à Yvonne Ander en ao˚t 1993. Wallander passa plusieurs heures, cette nuit-là, à essayer de reconstituer le puzzle. Finalement, il avait compris. La mère d'Yvonne Ander, Anna Ander, avait été assassinée par erreur, à cause d'une coÔncidence absurde, et la police algérienne avait tenté d'escamoter le meurtre. Il y avait un arrière-plan politique, un acte terroriste, même si Wallander ne comprenait pas exactement de quoi il retour nait. Françoise Bertrand avait écrit à Yvonne Ander dans le plus grand secret pour l'informer de ce qui s'était réellement passé. Jusque-là, il n'avait obtenu aucune aide de la part d'Yvonne Ander. Il avait alors abordé le sujet avec Lisa Holgersson. Celle-ci l'avait écouté, puis elle avait pris contact avec la brigade criminelle de Stockholm. L'affaire avait du même coup disparu de l'horizon de Wallander, qui était retourné une fois de plus à ses lettres.
Wallander rendait visite à Yvonne Ander en prison. Elle avait peu à peu compris qu'il ne la traquait pas. Il était différent des autres hommes qui peuplaient le monde. Il était tourné vers l'intérieur. Il donnait l'impression de dormir très peu, et paraissait torturé par l'inquiétude.
Pour la première fois de sa vie, Yvonne Ander découvrait qu'elle pouvait faire confiance à un homme. Elle le lui dit, au cours de l'une de leurs dernières entrevues.
Elle ne lui posa jamais directement la question, mais il lui semblait malgré tout connaître la réponse. Il n'avait sans doute jamais frappé une femme. Ou alors, cela s'était produit une seule fois. Pas davantage.
La descente dans l'abîme avait commencé le 3 novembre Le même jour, Ann-Britt Hôglund subissait sa troisième opération, qui s'était bien déroulée.
Elle pouvait entamer sa convalescence. Au cours de ce mois de novembre, Wallander institua une sorte de rituel. Après ses conversations avec Yvonne Ander, il allait toujours directement à l'hôpital. Il 565
ne restait pas longtemps; mais il lui parlait d'Yvonne Ander. Ann-Britt Hôglund devint ainsi l'interlocutrice qu'il lui fallait pour s'orienter dans le gouffre dont il soupçonnait déjà la profondeur.
Sa première question à Yvonne Ander porta sur les événements survenus en Algérie. qui était Françoise Bertrand? que s'était-il réellement passé ?
Une lumière p‚le tombait dans la pièce o˘ ils étaient assis, de part et d'autre d'une table. On entendait vaguement une radio et un bruit de perceuse. Lorsqu'elle lui répondit, Wallander ne comprit pas tout d'abord ce qu'elle disait, car le silence enfin rompu lui fit l'effet d'une bombe.
Il se contenta d'écouter sa voix, qu'il n'avait jamais entendue, qu'il avait seulement tenté d'imaginer.
Puis il commença à écouter ce qu'elle lui disait. Il prenait très rarement des notes au cours de leurs rencontres, et il n'apportait jamais de magnétophone.
- Il y a un homme qui a tué ma mère, avait-elle dit. qui le recherche?
- Pas moi, répondit Wallander. Mais si vous me dites ce qui s'est passé, et si une ressortissante suédoise a été tuée à l'étranger, nous devons naturellement réagir.
Il ne lui dit rien de la conversation qu'il avait eue quelques jours plus tôt avec Lisa Holgersson, ou du fait que la mort de sa mère faisait déjà
l'objet d'une enquête.
- Personne ne sait qui a tué ma mère, continua-t-elle. C'était un hasard absurde. Ceux qui l'ont tuée ne la connaissaient pas. Ils pensaient pouvoir tuer n'importe qui. Même une femme innocente qui consacrait la fin de sa vie à voyager parce qu'elle n'avait jamais eu le temps ni les moyens de le faire avant.
Il perçut toute sa colère, son amertume ; elle ne faisait aucun effort pour les dissimuler.
- Pourquoi logeait-elle chez les religieuses ? demanda-t-il.
Elle leva la tête brusquement et le regarda droit dans les yeux.,
- qui vous a donné le droit de lire mes lettres ?
- Personne. Mais elles vous appartiennent. Et vous êtes quelqu'un qui a commis plusieurs meurtres. Autrement, je ne les aurais pas lues, bien s˚r. Elle détourna le regard.
- Les religieuses, répéta Wallander. Pourquoi logeait-elle là-bas?
- Elle n'avait pas beaucoup d'argent. Elle logeait dans les endroits bon marché. Elle ne pouvait pas deviner qu'elle en mourrait.
- Cela s'est passé il y a plus d'un an. Comment avez-vous réagi en recevant cette lettre ?
- Je n'avais plus aucune raison d'attendre. Comment aurais-je pu justifier ma propre passivité ? Alors que tout le monde s'en fichait.
- Se fichait de quoi ?
Elle ne répondit pas. Il attendit quelques instants. Puis il formula sa question autrement.
- Vous n'aviez plus aucune raison d'attendre quoi? Elle répondit sans le regarder.
- De les tuer. -qui?
- Ceux qui n'ont jamais été punis, malgré ce qu'ils ont fait.
Il comprit alors qu'il avait vu juste. C'était au moment o˘ elle avait reçu la lettre de Françoise Bertrand qu'une force jusque-là réprimée s'était libérée en elle. Elle ruminait déjà des idées de vengeance, mais elle les contrôlait. Puis la digue avait cédé. Elle avait décidé d'écrire sa propre loi.
Après coup, Wallander avait pensé que ce n'était pas très différent de ce qui s'était produit à Lôdinge. Elle avait institué sa propre milice privée.
Elle s'était placée en dehors du droit pour rendre sa propre justice.
- C'était ça? fit-il. Vous vouliez que justice soit faite? Vous vouliez punir ceux qui, injustement, n'avaient jamais été jugés ?
- qui recherche l'homme qui a tué ma mère ? qui ?
Puis elle s'était à nouveau murée dans le silence. Wallander avait essayé
de se figurer le commencement, l'origine. quelques mois après avoir reçu la lettre d'Alger, elle s'était introduite dans la ferme de Holger Eriksson.
C'était le pre-
567
mier pas. Lorsqu'il lui demanda sans détour si c'était bien ainsi que les choses s'étaient passées, elle ne parut pas même surprise. Elle semblait tenir pour acquis qu'il le savait
déjà.
- J'avais entendu parler de Krista Haberman, dit-elle. Et de ce marchand de voitures qui l'avait tuée.
- qui vous en a parlé ?
- Une Polonaise hospitalisée à Malmô. Il y a bien des années de cela.
- Vous travailliez à l'hôpital à l'époque?
- J'ai travaillé là-bas à différentes époques. Je parlais souvent avec des femmes qui avaient été victimes de violences. Celle-ci avait une amie qui connaissait Krista Haberman.
- Pourquoi vous êtes-vous introduite chez Holger Eriksson?
- Je voulais me prouver que c'était possible. En plus, je cherchais des indices montrant que Krista Haberman avait
été là-bas.
- Pourquoi avez-vous construit ce piège ? Pourquoi les pieux? Pourquoi les planches sciées? L'amie de Krista Haberman soupçonnait-elle que le corps avait été enterré près de ce fossé?
Elle ne répondit pas à cette question. Mais Wallander comprit malgré tout.
En dépit du côté insaisissable de l'enquête, Wallander et ses collègues avaient confusément suivi la bonne piste. Yvonne Ander avait en effet mis en scène la brutalité des hommes dans sa manière de les assassiner.
Au cours des cinq ou six premiers entretiens avec Yvonne Ander, Wallander passa méthodiquement en revue les trois meurtres, élucida les points obscurs et reconstitua les liens qui leur avaient jusque-là échappé. Il continuait de l'approcher sans magnétophone. Après les entretiens, il prenait des notes dans sa voiture. Celles-ci étaient ensuite dactylographiées et transmises, entre autres, à Per ¬keson, pour la préparation du réquisitoire qui ne pourrait jamais conduire à autre chose qu'à une condamnation pour triple homicide avec préméditation. Mais Wallander savait qu'il ne faisait encore que gratter la surface. La véritable descente n'avait
568
cas encore commencé. La couche superficielle, avec son .accumulation de faits et de preuves, la conduirait en prison. Mais la vérité, il ne l'atteindrait que bien plus tard, lorsqu'il aurait touché le fond. Et ce n'était même pas s˚r.
Yvonne Ander allait devoir subir une expertise psychiatrique. C'était inévitable. Mais Wallander insista pour que cet examen soit repoussé. Dans l'immédiat, le plus important était qu'il puisse lui parler dans le calme.
Personne n'avait d'objection à faire. L'argument de Wallander était inattaquable. Tous comprenaient qu'elle retournerait vraisemblablement à
son mutisme si on la dérangeait.
Elle était disposée à parler à Wallander. ¿ lui, et à lui seul.
Ils continuèrent de progresser, pas à pas, jour après jour. L'automne, au-dehors, approchait de l'hiver. Wallander ne sut jamais pourquoi Holger Eriksson était allé chercher Krista Haberman à Svenstavik pour la tuer presque aussitôt après. Peut-être lui avait-elle refusé quelque chose qu'il avait l'habitude d'obtenir. Une dispute avait peut-être dégénéré en scène de violence.
Ensuite, ils avaient parlé de Gôsta Runfeldt. Elle était persuadée qu'il avait tué sa femme. Même si ce n'était pas le cas, même s'il ne l'avait pas noyée, il méritait de mourir. Il l'avait torturée au point de lui ôter l'envie de vivre. Ann-Britt Hôglund avait eu raison de penser que Gôsta Runfeldt avait été agressé à l'intérieur de sa boutique. Yvonne Ander s'était renseignée, avait appris son projet de voyage à Nairobi et l'avait attiré à la boutique sous le prétexte qu'elle avait besoin de fleurs. Elle l'avait frappé, le sang par terre était effectivement le sien. La vitre brisée n'était qu'une manouvre de diversion pour faire croire à une tentative de cambriolage.
Ensuite elle lui donna une description de ce qui, pour Wallander, restait l'épisode le plus insoutenable de l'histoire. Jusque-là, il avait essayé de la comprendre sans se laisser déborder par ses propres sentiments et réactions. Là, ce n'était plus possible. Elle lui raconta très calmement de quelle manière elle avait déshabillé Gôsta Runfeldt avant de le ligoter et de l'enfermer de force dans le vieux four à pain.
569
Lorsqu'il n'avait plus été en mesure de contrôler ses besoins naturels, elle lui avait enlevé ses sous-vêtements et l'avait couché sur une grande feuille de plastique.
Puis elle l'avait conduit dans la forêt. Il était alors à bout de forces ; elle l'avait attaché au pied de l'arbre et elle l'avait étranglé. Ce fut à
cet instant qu'elle se transforma en monstre aux yeux de Wallander. Homme ou femme, cela n'avait plus d'importance. Elle se transforma en monstre, et il était content qu'ils aient réussi à l'arrêter avant qu'elle ne tue Tore Grundén ou quelqu'un d'autre dont le nom figurait sur sa liste macabre.
C'était d'ailleurs sa seule erreur. Ne pas avoir br˚lé le carnet o˘ elle notait ses brouillons avant de reporter la liste définitive dans son registre. Le registre qu'elle conservait non pas à Ystad, mais à Vollsjo.
Wallander ne l'interrogea jamais là-dessus, mais elle confessa spontanément cette erreur. C'était, de tous ses actes, le seul qu'elle ne comprenait pas.
Après coup, Wallander se demanda si cela pouvait signifier qu'elle voulait malgré tout laisser une trace. qu'elle voulait, tout au fond d'elle-même, laisser une chance aux enquêteurs de la retrouver et de l'empêcher de continuer.
Mais il n'était s˚r de rien. Parfois il croyait qu'il en était ainsi, parfois non. Il n'acquit jamais de certitude à ce sujet.
Elle n'avait pas grand-chose à dire à propos d'Eugen Blomberg. Elle avait déjà décrit à Wallander la manière dont elle mélangeait les bouts de papier, dont un seul portait la croix noire. Le hasard seul décidait de la victime. De la même manière que le hasard avait tué sa mère.
Ce fut l'une des rares fois o˘ il intervint dans son récit. D'habitude, il la laissait s'exprimer librement, se contentant de glisser une question lorsqu'elle ne trouvait plus d'elle-même le moyen de poursuivre. Là, il l'interrompit,
- Vous avez donc fait la même chose que ceux qui ont tué votre mère, dit-il. Vous laissiez le sort désigner vos victimes, arbitrairement.
- On ne peut pas comparer. Tous ceux qui figuraient sur ma liste méritaient de mourir. Je leur laissais du temps, avec mes bouts de papier. Je prolongeais leur vie.
570
II n'avait pas insiste. Il comprenait qu elle avait obscu rément raison. Il pensa à contrecour qu'elle possédait sa propre vérité, tout à fait personnelle et difficile à appréhender.
Il avait songé, en relisant ses propres notes, qu'il s'agissait bien d'une confession. Mais aussi d'un récit qui restait très incomplet. Il était encore loin du récit qui aurait expliqué la portée réelle de cette confession, son sens
Parvint-il jamais à réaliser ce dessein 9 Par la suite, Wallander devait rester très laconique lorsqu'on l'interrogeait sur Yvonne Ander. Il renvoyait toujours ses interlocuteurs aux notes qu'il avait rédigées à
partir de leurs entretiens. Mais tout n'y était pas. D'ailleurs, le secrétaire qui les décryptait se plaignait souvent auprès de ses collègues de leur côté indéchiffrable.
Ce qui transparaissait toutefois, dans ce document qui allait d'une certaine manière devenir le testament d'Yvonne Ander, c'était une enfance marquée par des expériences terribles. Wallander, qui était à une année près le contemporain d'Yvonne Ander, pensa plusieurs fois que cette époque tournait autour d'une question unique et décisive : que faisons-nous à nos enfants ? Elle lui avait raconté que sa mère était systématiquement battue par le beau-père qui avait pris la place de son vrai père, lequel avait lui-même disparu, ne laissant à la petite fille qu'une photographie floue et sans ‚me. Le pire était que son beau-père avait contraint sa mère à
avorter. Elle n'avait jamais connu sa sour - l'enfant que portait sa mère.
Elle n'avait même pas pu savoir s'il s'agissait vraiment d'une sour. Peut-
être était-ce un frère, mais pour elle c'était une sour, et elle avait été
tuée contre la volonté de sa mère, dans son appartement, au cours d'une nuit au début des années cinquante. Elle se souvenait de cette nuit-là
comme d'un enfer sanglant. Lorsqu'elle l'évoqua pour Wallander, elle leva exceptionnellement la tête et le regarda droit dans les yeux. Sa mère était étendue sur la table de la cuisine qui avait été recouverte d'un drap, le médecin avorteur était ivre, le beau-père était enfermé à la cave, probablement ivre lui aussi, et elle, la petite fille, avait perdu sa sour.
L'avenir était devenu, du jour au lende-
571
main, une longue nuit ou des nommes menaçants la guei talent à chaque coin de rue, o˘ la violence était potentielle ment tapie derrière chaque sourire bienveillant.
Elle avait enfermé ses souvenirs dans une chambre inté rieure secrète. Elle avait fait des études, elle était devenue infirmière, et elle avait toujours gardé l'idée confuse d'un devoir qui lui incombait - venger un jour la sour qu'elle n'avait jamais eue et la mère qui n'avait pas réussi à
se défendre et à lui donner naissance. Elle avait collectionné les récits de femmes battues, elle avait recherché celles qui étaient mortes dans les champs de boue et les lacs gelés, elle avait construit des emplois du temps, inscrit des noms dans un registre et joué avec des bouts de papier.
Puis sa mère avait été assassinée. Elle décrivit ce moment pour Wallander en termes presque poétiques. Comme un raz de marée tranquille, dit-elle Rien de plus. J'ai compris que le moment était venu. Un an s'est écoulé, pendant lequel j'ai tout préparé, en perfectionnant l'emploi du temps qui m'avait permis de survivre pendant toutes ces années. Puis j'ai creusé un fossé la nuit.
C'étaient ses propres mots. Puis j'ai creusé un fossé la nuit. Cette phrase était peut-être celle qui résumait au mieux l'impression que devait conserver Wallander de ses nombreux entretiens avec Yvonne Ander à la prison, au cours de cet automne.
C'était, pensa-t-il, comme une image de l'époque o˘ il vivait.
quel fossé creusait-il lui-même ? Une seule question resta définitivement sans réponse. Pourquoi avait-elle soudain décidé, au milieu des années quatre-vingt, de changer de métier et de devenir contrôleuse des chemins de fer? Wallander avait compris que les horaires constituaient sa liturgie privée, le manuel de régularité qui dominait son existence. Mais il ne chercha jamais à en savoir plus. L'univers des trains resta le domaine privé d'Yvonne Ander. Peut-être le seul, peut-être le dernier.
…prouvait-elle des remords ? Per ¿keson interrogea Wallander à ce sujet, plusieurs fois, Lisa Holgersson moins sou-572
vent, ses collègues presque jamais. La seule personne en dehors d'¬keson à
poser la question avec insistance était Ann-Britt Hôglund. Wallander leur dit ce qu'il en était : il n'en savait rien.
- Yvonne Ander est comme un ressort tendu, confia-t-il à Ann-Britt. Je ne peux pas m'exprimer mieux que cela. Je ne sais pas si la culpabilité est incluse. Ou si elle est absente.
Le 4 décembre, c'était fini. Wallander n'avait plus de questions à poser, Yvonne Ander n'avait plus rien à lui dire. La confession était prête.
Wallander était parvenu au bout de sa longue descente. Il pouvait à présent donner un coup sec à la corde invisible et remonter à l'air libre. L'examen psychiatrique allait débuter. L'avocat, qui pressentait l'intérêt que ne manquerait pas de susciter cette affaire, commençait à aff˚ter sa plaidoirie, et Wallander était le seul à prévoir ce qui risquait d'arriver.
Yvonne Ander retournerait à son mutisme. Avec la détermination farouche de quelqu'un qui n'a plus rien à dire.
Juste avant de partir, il lui posa encore deux questions. La première concernait un détail qui n'avait plus d'importance. Simplement pour satisfaire sa curiosité.
- Lorsque Katarina Taxell a appelé sa mère de la maison de Vollsjô, il y avait quelque chose qui cognait à l'arrière-plan. On n'a jamais réussi à
comprendre ce que c'était.
Elle le regarda sans comprendre. Puis son visage grave s'éclaira d'un sourire, pour la première fois depuis le début de leurs entretiens.
- Un cultivateur était tombé en panne dans le champ voisin. Il tapait sur son tracteur avec un marteau pour dégager quelque chose qui s'était coincé
dans le ch‚ssis. On pouvait vraiment l'entendre au téléphone?
Wallander hocha la tête. Il pensait déjà à sa dernière question.
- Je crois que nous nous sommes déjà rencontrés une fois, dit-il. Dans un train.
Elle acquiesça en silence.
- Au sud d'¿lmhult, précisa-t-il. Je vous ai demandé quand nous arriverions à Malmô.
573
- Je vous ai reconnu, dit-elle. On voyait souvent votre photo dans les journaux, l'été dernier.
- Avez-vous compris à ce moment-là que nous finirions par vous arrêter?
- Pourquoi donc?
- Un policier d'Ystad qui monte dans le train à ¿lmhult. que fait-il là-bas, sinon tenter de reconstituer ce qui est arrivé autrefois à la femme de Gosta Runfeldt?
Elle secoua la tête.
- Je n'y ai même pas pensé, dit-elle. Mais j'aurais d˚, bien s˚r.
Wallander n'avait plus de questions. Il avait appris tout ce qu'il voulait savoir. Il se leva, marmonna un au revoir et quitta la pièce.
L'après-midi, il se rendit comme d'habitude à l'hôpital. Ann-Britt Hôglund dormait lorsqu'il arriva. Elle était en réanimation après sa dernière opération, et elle ne s'était pas encore réveillée de l'anesthésie. Mais Wallander obtint la confirmation qu'il cherchait par l'intermédiaire d'un médecin aimable. Tout s'était bien passé. Elle pourrait sans doute reprendre son travail dans six mois.
Wallander quitta l'hôpital peu après dix-sept heures. Il faisait déjà nuit.
Un ou deux degrés en dessous de zéro, pas de vent. Il prit la voiture, se rendit au cimetière et marcha jusqu'à la tombe de son père. Des fleurs fanées, gelées. Trois mois ne s'étaient pas écoulés depuis leur retour de Rome. Le voyage lui revint avec beaucoup de netteté, là, devant la tombe.
Il se demanda à quoi pensait son père au moment de sa promenade solitaire, la nuit, jusqu'à la Piazza di Spagna, l'escalier et la fontaine, avec cet éclat dans son
regard.
C'était comme si Yvonne Ander et son père se faisaient signe, de part et d'autre d'un fleuve. Alors même qu'ils n'avaient rien en commun. Ou bien?
Wallander se demanda ce que lui-même avait en commun avec Yvonne Ander. Il n'avait pas de réponse à cette question.
Ce fut ce soir-là, dans la pénombre du cimetière, que l'enquête toucha réellement à sa fin. Il y aurait encore des documents à lire et à signer.
Mais l'enquête était close terminée.
574
L'examen psychiatrique établirait sans doute qu' Yvonne Ander était en pleine possession de ses facultés. A supposer qu'on parvienne à lui arracher un mot. Puis elle serait jugée et enfermée à Hinseberg. L'enquête concernant la mort de sa mère en Algérie se poursuivrait. Mais ce n'était plus du ressort de Wallander.
La nuit du 4 au 5 décembre, il dormit d'un sommeil très agité. Il avait décidé de visiter le lendemain une maison située un peu au nord de la ville. Il voulait aussi passer chez un éleveur de Sjôbo qui avait des labradors à vendre. Le 7 décembre, il devait se rendre à Stockholm pour exposer le jour suivant sa vision du travail d'enquêteur aux élèves de jl'école de police. Lisa Holgersson l'avait relancé; il ne avait pas pourquoi il avait fini par accepter. Et maintenant, 11 s'agitait dans son lit en se demandant ce qu'il allait bien pouvoir leur dire, sans comprendre comment elle avait sussi à le convaincre.
Mais plus que tout, il pensait à Baiba. Plusieurs fois, il se leva et regarda par la fenêtre de la cuisine le lampadaire oscillant sur son fil.
¿ son retour de Rome, à la fin du mois de septembre, ils avaient prévu qu'elle viendrait dans peu de temps, pas plus tard qu'en novembre. Ils décideraient enfin si elle allait quitter Riga et vivre en Suède. Mais soudain, elle avait eu un empêchement, le voyage avait été reporté une première fois, puis une deuxième. Il y avait toujours d'excellentes raisons JUT lesquelles elle ne pouvait pas venir, pas encore. Wal-Bander la croyait, naturellement. Mais en même temps, tout cela engendrait une incertitude. Y avait-il déjà, entre eux, 1 une fêlure qu'il n'aurait pas vue? Et si c'était le cas, pourquoi ne l'avait-il pas repérée ? Parce qu'il ne le voulait pas ?
Maintenant, en tout cas, elle allait venir. Ils devaient se retrouver à
Stockholm le 8 décembre. Il se rendrait directement à l'aéroport d'Arlanda après sa conférence à l'école de police pour l'accueillir. Le soir, ils dîneraient avec Linda, avant de prendre la route d'Ystad le lendemain. Il ne savait pas combien de temps elle pourrait rester. Mais, cette fois, ils allaient parler sérieusement de l'avenir, pas seulement d'une prochaine rencontre.
575
Cette nuit du 5 décembre lui parut interminable. Le temps s'était radouci, mais les météorologues prévoyaient de la neige. Wallander errait comme une
‚me en peine entre son lit et la fenêtre de la cuisine. Parfois, il s'asseyait à la table et prenait quelques notes dans une vaine tentative pour trouver une introduction à ce qu'il raconterait aux élèves de Stockholm. En même temps, il pensait constamment à Yvonne Ander et à son récit. Elle était si présente qu'elle éclipsait même la pensée de Baiba.
En revanche, il pensa très peu à son père cette nuit-là. Son père était déjà loin. Wallander avait découvert qu'il avait parfois du mal à se rappeler les détails de son visage. Alors, il était obligé de regarder une photo pour ne pas oublier complètement ses traits. Au cours du mois de novembre, il avait parfois rendu visite à Gertrud, le soir, après le travail. La maison de Loderup était très vide, l'atelier froid et repoussant. Gertrud paraissait toujours calme. Mais elle était seule. Il avait l'impression qu'elle s'était réconciliée avec la pensée qu'un vieil homme était mort. Et que cette fin était préférable à une maladie prolongée qui aurait progressivement grignoté son intelligence.
Peut-être dormit-il quelques heures, au petit matin, ou peut-être l'insomnie dura-t-elle toute la nuit. ¿ sept heures, en tout cas, il était déjà habillé.
¿ sept heures et demie, il prit sa voiture et constata que le moteur faisait un bruit suspect. Tout était calme ce matin-là au commissariat.
Martinsson était enrhumé, Svedberg était en mission, contre son gré, à
Malmô. Le couloir était désert. Il s'assit à son bureau et parcourut le document rédigé à partir des notes de sa dernière conversation avec Yvonne Ander. Il trouva aussi le compte rendu de l'interrogatoire de Tore Grundén, qu'elle avait décidé de pousser sous les roues du train à la gare de Hàssleholm. On retrouvait dans son passé les mêmes ingrédients que chez les autres hommes dont le nom figurait sur le registre macabre. Tore Grundén, employé de banque, avait même fait de la prison pour mauvais traitements infligés à une femme. En lisant le rapport de Hansson, il remarqua que celui-ci s'était donné la peine de bien faire comprendre à Grundén qu'il 576
avait été à deux doigts de finir en bouillie sous les roues du train.
Wallander avait déjà remarqué l'indulgence tacite de ses collègues vis-à-vis d'Yvonne Ander. Cela l'avait surpris que cette compréhension puisse même exister, alors qu'elle avait tiré sur Ann-Britt Hôglund et tué
plusieurs hommes. Il n'en comprenait pas la raison. Un groupe de policiers ne constituait pas a priori un club de supporters évident pour une femme comme Yvonne Ander. On pouvait même se demander si la police avait une opinion très favorable des femmes en général - à moins qu'elles ne possèdent la force de résistance particulière qu'on trouvait à la fois chez Ann-Britt Hôglund et chez Lisa Holgersson. Il griffonna sa signature et repoussa les documents. Il était neuf heures moins le quart.
La maison qu'il devait visiter était située un peu au nord de la ville. Il était passé prendre les clés la veille à l'agence immobilière. Il s'agissait d'une b‚tisse en pierre à deux étages qui trônait au milieu d'un grand jardin envahi par la végétation. Il ouvrit la porte et entra. La maison était pleine de recoins et d'ajouts faits à différentes époques. Du premier étage, on avait vue sur la mer. Le précédent propriétaire avait enlevé tous les meubles. Il fit le tour des pièces silencieuses et vides, ouvrit les portes de la véranda donnant sur le jardin et essaya de s'imaginer qu'il habitait là.
I¿ son propre étonnement, ce lui fut assez facile. Il ne s'était donc pas identifié à l'appartement de Mariagatan autant qu'il le redoutait. Baiba pourrait-elle se plaire dans cette maison ? Elle avait évoqué son désir de quitter Riga, de s'installer à la campagne, mais pas dans un coin trop isolé.
Il ne lui fallut pas longtemps, ce matin-là, pour parvenir à une décision.
Il achèterait la maison si Baiba donnait son accord. Le prix était raisonnable, il pourrait faire face aux emprunts nécessaires.
Il quitta les lieux peu après dix heures. Il rendit les clés a l'agence et promit de donner une réponse définitive la semaine suivante.
Ensuite il se rendit directement chez l'éleveur, qui était installé sur la route de Hoor, non loin de Sjôbo. Les chiens se mirent tous à aboyer lorsqu'il freina dans la cour. La propriétaire était une jeune femme qui, à
l'étonnement de Wallander, s'exprimait avec un fort accent de Goteborg.
- Je voulais voir un labrador noir, dit Wallander.
Elle lui montra les chiots, qui n'étaient pas encore sevrés et se trouvaient avec leur mère.
- Vous avez des enfants? demanda-t-elle.
- Plus à la maison, malheureusement. C'est une condition nécessaire pour acheter un chiot ?
- Pas du tout. Mais les labradors s'entendent particulièrement bien avec les enfants.
Wallander lui dit ce qu'il en était. Il allait peut-être acheter une maison dans les environs d'Ystad. S'il se décidait, il pourrait aussi envisager d'acheter un chien. Les deux décisions étaient liées. Mais il devait commencer par la maison
- Prenez votre temps, dit-elle. Je vous réserve ''un des chiots. Mais n'attendez pas trop. J'ai souvent des clients pour les labradors et il arrive toujours un moment o˘ je suis obligée de les vendre.
Wallander lui promit, comme à l'agent immobilier, de lui donner sa réponse dans une semaine. Il fut sidéré par le prix qu'elle lui annonça. Un chiot pouvait-il co˚ter une somme
pareille? Mais il ne fit aucun commentaire. Il savait déjà qu'il reviendrait si l'achat de la maison avait lieu.
Il était midi lorsqu'il reprit le volant. Une fois sur l'autoroute, il se demanda soudain o˘ il allait. Avait-il même un endroit o˘ aller? Il ne devait pas rencontrer Yvonne Ander. Pour l'instant, ils n'avaient plus rien à se dire. Ils se reverraient, mais pas dans l'immédiat. Ils avaient atteint une conclusion provisoire. Per ¿keson lui demanderait peut-être de compléter son rapport, de lui fournir des détails supplémentaires, mais il en doutait. Le dossier était déjà très épais.
La vérité, c'était qu'il n'avait nulle part o˘ aller. Ce jour-là, 5
décembre, personne n'avait sérieusement besoin de lui. Sans l'avoir réellement décidé, il prit la route de Vollsjo et s'arrêta de int la ferme de Hansg‚rden. On ignorait encore
578
ce qu'il adviendrait de la maison. Yvonne Ander en était propriétaire et le resterait sans doute pendant toutes les années de sa détention. Elle n'avait pas de parents proches, en dehors de sa sour et de sa mère - mortes toutes les deux. Elle n'avait peut-être même pas d'amis. Katarina Taxell avait été dépendante d'elle et avait bénéficié de son soutien, comme les autres femmes. Mais était-elle son amie ? Wallander fris sonna à cette pensée. Yvonne Ander n'avait personne de vrai ment proche. Elle surgissait de nulle part et tuait des hommes.
Wallander descendit de voiture. La maison respirait l'abandon. Il en fit le tour et remarqua une fenêtre entrouverte. C'était imprudent; un cambriolage était vite arrivé, sans compter que la maison d'Yvonne Ander pouvait facile ment devenir la cible des chasseurs de trophées. Wallandei alla chercher un banc et le plaça sous la fenêtre. Puis il entra dans la maison. Rien ne semblait indiquer une effraction. La fenêtre était simplement restée ouverte par négligence. Il fit le tour du rez-de-chaussée et considéra le four à pain avec répulsion. La frontière invisible passait à cet endroit.
Au-delà de cette limite, il ne la comprendrait jamais.
Il pensa à nouveau que l'enquête était terminée. Ils avaient mis un point final à la liste macabre et déchiffré le langage du meurtrier.
C'était pour cela qu'il se sentait superflu. On n'avait plus besoin de lui.
En revenant de Stockholm, il reprendrait l'enquête sur le trafic de voitures entre la Suède et les anciens pays de l'Est. Alors seulement il redeviendrait réel à ses propres yeux.
Une sonnerie résonna dans le silence. Il mit quelques instants à comprendre qu'elle venait de son téléphone portable. 1 le sortit de la poche de sa veste. C'était Per ¿keson.
- Je te dérange ? O˘ es-tu ?
Wallander ne voulait pas répondre à cette question.
- Je suis dans ma voiture, dit-il. ¿ l'arrêt.
- Je suppose que tu n'es pas au courant. Il n'y aura pas de orocès.
Wallander ne comprit pas. Pourtant, il aurait d˚. Il aurait d˚ ,tre préparé
à cette éventualité. Mais elle ne à avait même pas effleuré l'esprit 579
- Yvonne Ander s'est suicidée, dit Per ¬keson. Au cours de la nuit, on ne sait pas exactement à quel moment. Ils l'ont trouvée morte tôt ce matin.
Wallander retenait son souffle. quelque chose en lui résistait encore, refusait de céder.
- Il semblerait qu'elle ait eu accès à des médicaments. Ce n'aurait pas d˚
être le cas, du moins pas en quantité suffisante pour mourir. Les gens mal intentionnés se demanderont évidemment si c'est toi qui les lui as donnés.
Wallander comprenait que ce n'était pas une question déguisée. Mais il répondit tout de même.
- Je ne l'ai pas aidée.
- Elle paraissait sereine, d'après ce qu'on m'a dit. Tout était bien rangé.
Il semblerait qu'elle ait pris sa décision et qu'elle l'ait exécutée calmement. Elle s'est endormie, en somme. On peut naturellement la comprendre.
- Vraiment?
- Elle a laissé une lettre. Avec ton nom sur l'enveloppe.
Je l'ai sous les yeux. Wallander hocha la tête
- J'arrive, dit-il. Je serai là dans une demi-heure.
Il resta un instant debout, le téléphone à la main. Essaya de sentir ce qu'il éprouvait réellement. Un sentiment de vide, peut-être un vague soupçon d'injustice. Autre chose? Il ne savait pas au juste.
Il vérifia que la fenêtre était bien fermée avant de quitter la maison par la porte principale, qui avait une serrure de s˚reté. Le ciel était parfaitement limpide. L'hiver attendait son heure, toute proche à présent.
Il retourna à "Vstad et passa prendre sa lettre. Per ¬keson n'était pas là, mais sa secrétaire était au courant. Wallander entra dans le bureau de Per
¬keson. La lettre était posée bien en évidence sur la table.
Il la prit et descendit jusqu'au port. Après avoir garé la voiture, il continua à pied jusqu'au b‚timent rouge de la Marine et s'assit sur le banc.
La lettre était très courte.
En Algérie, u y a un homme qui a tue ma mère. qui ic recherche ?
C'était tout. Elle avait une belle écriture
qui le recherche ?
Elle avait signé de son nom en toutes lettres. En haut à droite, elle avait noté la date et l'heure.
Le 5 décembre 1994,2 h 44
L'avant-dernière date de son emploi du temps, pensa-t-il.
La dernière, ce n'est pas elle qui l'écrira, mais le médecin qui notera l'heure probable o˘ la mort est intervenue.
Puis plus rien.
Emploi du temps verrouillé, existence close.
Un adieu formulé comme une question ou une accusation Ou les deux.
qui le recherche ?
Il ne resta pas longtemps assis sur le banc. Il faisait trop froid. Il déchira lentement la lettre en petits morceaux qu'il éparpilla au-dessus de l'eau, dans le vent. Il se rappela que, uelques années plus tôt, il avait déchiré une lettre ratée lestinée à Baiba, au même endroit exactement.
Cette fois-là ussi, il avait éparpillé les confettis de papier blanc au-dessus de l'eau.
Il y avait cependant une grande différence. Baiba, il la reverrait. Très prochainement même
II resta debout quelques instants, regarda disparaître les bouts de papier.
Puis il quitta le port et prit la direction de l'hôpital pour rendre visite à Ann-Britt Hôglund.
quelque chose s'achevait peut-être enfin La Scanie entrait dans l'hiver.
580
POST-SCRIPTUM
Je voudrais remercier plusieurs personnes pour leur contribution. Par exemple, Bo Johansson, d'Alafors, qui connaît le monde des oiseaux et qui a partagé ses connaissances avec moi, ainsi que Dan IsraÎl, mon premier et dernier lecteur, qui découvre les failles, propose des solutions et dont la dureté critique n'a d'égal que l'enthousiasme. Un grand merci également à
Eva Stenberg pour l'autorité avec laquelle elle supervise tout le travail de correction, à Malin Sv‚rd qui a vérifié que les horaires, réels et symboliques, concordaient, ainsi qu'à Maja Hagerman qui m'a expliqué
l'évolution du rôle de l'aide entre voisines des années cinquante à nos jours.
Merci aussi aux autres, qui auront reconnu leur contribution dans ces pages.
Il existe une liberté dans le monde du roman. Ce que je décris aurait pu se passer ainsi, mais s'est peut-être passé d'une manière un peu différente dans la réalité. Cette liberté implique aussi qu'on peut déplacer un lac, changer un carrefour de place et modifier la disposition d'un service de maternité. Ou encore, inventer une église qui n'existe peut-être pas. Ou un cimetière.
C'est ce que j'ai fait.
Henning Mankell, Maputo, avril 1996.
COMPOSITION ' PAO EDITIONS DU SEUIL
GROUPE CPI
Ache\e d'imprimer en novembre 2002 par BUSSI»RE CAMEDAN IMPRIMERIES
a Saint Amand Montrond (Cher)
N∞ d édition 49995 5 - N∞ d'impression 025332/1
Dépôt légal mai 2001
Imprime en France
Collection Points
S…RIE POLICIERS
PIS. L'Héritage empoisonné, par Paul Levine P19. Les …gouts de Los Angeles, par Michael Connelly P29. Mort en hiver, par L. R. Wright
P81. Le Maître de Frazé, par Herbert Lieberman P103. Cadavres incompatibles, par Paul Levine P104. La Rosé de fer, par Brigitte Aubert
P105. La Balade entre les tombes, par Lawrence Block P106. La Villa des ombres, par David Laing Dawson P107. La Traque, par Herbert Lieberman
L P108. Meurtre à cinq mains, par Jack Hitt
IP142. Trésors sanglants, par Paul Levine
IP155. Pas de sang dans la clairière, par L. R. Wright
|P 165. Nécropolis, par Herbert Lieberman PI 81. Red Fox, par Anthony Hyde PI 82. Enquête sous la neige, par Michael Malone P226. Une mort en rouge, par Walter Mosley P233. Le Tueur et son ombre, par Herbert Lieberman P234.
La Nuit du solstice, par Herbert Lieberman P244. Une enquête philosophique, par Philip Kerr P245. Un homme peut en cacher un autre, par Andreu Martin P248. Le Prochain sur la liste, par Dan Greenburg P259. Minuit passé, par David Laing Dawson P266. Sombre Sentier, par Dominique Manotti P267.
Ténèbres sur Jacksonville, par Brigitte Aubert P268. Blackburn, par Bradley Denton P269. La Glace noire, par Michael Connelly P272. Le Train vert, par Herbert Lieberman P282. Le Diable t'attend, par Lawrence Block P295. La Jurée, par George Dawes Green P321. Tony et Susan, par Austin Wright P341.
Papillon blanc, par Walter Mosley P356. L'Ange traqué, par Robert Crais P388. La Fille aux yeux de Botticelli, par Herbert Lieberman P389. Tous les hommes morts, par Lawrence Block P390. La Blonde en béton, par Michael Connelly P393. Félidés, par AkifPirinçci P394. Trois Heures du matin à New York
par Herbert Lieberman
P395. La Maison près du marais, par Herbert Lieberman P422. Topkapi, par Eric Ambler P430. Les Trafiquants d'armes, par Eric Ambler P432. Tuons et créons, c'est l'heure, par Lawrence Block P435. L'Héritage Schirmer.par.E'ric Ambler
P441. Le Masque de Dimitrios, par Eric Ambler P442. La Croisière de l'angoisse, par Eric Ambler P468. Casting pour l'enfer, par Robert Crois P469. La Saint-Valentin de l'homme des cavernes par George Dawes Green P483. La Dernière Manche, par Emmett Grogan P492.
N'envoyez plus de rosés, par Eric Ambler P513. Montana Avenue, par April Smith P514. Mort à la Fenice, par Donna Léon P530. Le Détroit de Formose, par Anthony Hyde P531. Frontière des ténèbres, par Eric Ambler P532. La Mort des bois, par Brigitte Aubert P533. Le Blues du libraire, par Lawrence Block P534. Le Poète, par Michael Connelly P535. La Huitième Case, par Herbert Lieberman P536. Bloody Waters, par Carolina Garcia-Aguilera P537.
Monsieur Tanaka aime les nymphéas
par David Ramus P538. Place de Sienne, côté ombre par Carlo Fruttero et Franco Lucentini P539. …nergie du désespoir, par Eric Ambler P540. …pitaphe pour un espion, par Eric Ambler P554. Mercure rouge, par Reggie Nadelson P555. Même les scélérats..., par Lawrence Block P571.
Requiem caraÔbe, par Brigitte Aubert P572. Mort en terre étrangère, par Donna Léon P573. Complot à Genève, par Eric Ambler P606. Bloody Shame, par Carolina Garcia-Aguilera P617. Les quatre Fils du Dr March, par Brigitte Aubert P618. Un Vénitien anonyme, par Donna Léon P626. Pavots br˚lants, par Reggie Nadelson P627. Dogfish, par Susan Geason P636. La Clinique, par Jonathan Kellerman P639. Un regrettable accident, par Jean-Paul Nozière P640. Nursery Rhyme, par Joseph Bialot P644. La Chambre de Barbe-Bleue, par Thierry Gandillot P645. L'…pervier de Belsunce, par Robert Deleuse P646. Le Cadavre dans la Rolls, par Michael Connelly P647. Transfixions, par Brigitte Aubert P648. La Spinoza Connection, par Lawrence Block P649. Le Cauchemar, par Alexandra Marinina P650. Les Crimes de la rue Jacob, ouvrage collectif P651. Bloody Secrets, par Carolina Garcia-Aguilera P652. La Femme du dimanche
par Carlo Fruttero et Franco Lucentini P653. Le Jour de l'enfant tueur, par Pierre Pelot P669. Le Concierge, par Herbert Lieberman P670. Bogart et Moi, par Jean-Paul Nozière
P671. Une affaire pas très catholique, par Roger Martin P693. Black Betty, par Walter Mosley
P706. Les Allumettes de la sacristie, par Willy Deweert P707. ‘ mort, vieux capitaine.,.,par Joseph Bialot P708. Images de chair, par NoÎl Simsolo
flll. Un chien de sa chienne, par Roger Martin P718. L'Ombre de la louve, par Pierre Pelot
•121. La Morsure des ténèbres, par Brigitte Aubert P-733. Le Couturier de la Mort, par Brigitte Aubert P742. La Mort pour la mort, par Alexandra Marinina P754. Le Prix, par Manuel V‚zquez Montalb‚n
P755. La Sourde, par Jonathan Kellerman
P756. Le Sténopé, par Joseph Bialot
P757. Carnivore Express, par Stéphanie Benson P768. Au cour de la mort, par Laurence Block
P769. Fatal Tango, par Jean-Paul Nozière
P770. Meurtres au seuil de l'an 2000
par …ric Bouhier, Yves Dauteuille, Maurice Detry, Dominique Gacem, Patrice Verry P771. Le Tour de France n'aura pas lieu, par Jean-NoÎl Blanc
P781. Le Dernier Coyote, par Michael Connelly P782. Prédateurs, par NoÎl Simsolo P792. Le Guerrier solitaire, par Henning Mankell P793. Ils y passeront tous, par Lawrence Block P794. Ceux de la Vierge obscure, par Pierre Mezinski P803. La Mante des Grands-Carmes par Robert Deleuse
P819. London Blues, par Anthony Frewin P820. Sempre caro, par Marcello Fois P821. Palazzo maudit, par Stéphanie Benson P834. Billy Straight, par Jonathan Kellerman P835. Créance de sang, par Michael Connelly P849.
Pudding mortel, par Margarety Yorke P850. Hémoglobine Blues, par Philippe Thirault P851. Exterminateurs, par NoÎl Simsolo P859. Péchés mortels, par Donna Léon P860. Le quintette de Buenos Aires par Manuel V‚zquez Montalb‚n
P861. Y'en a marre des blondes, par Lauren Anderson P862. Descentes d'organes, par Brigitte Aubert P875. La Mort des neiges, par Brigitte Aubert P876. La lune était noire, par Michael Connelly P877. La Cinquième Femme, par Henning Mankell P882. Trois Petites Mortes, par Jean-Paul Nozière P883. Le Numéro 10, par Joseph Bialot P888. Le Bogart de la cambriole, par Lawrence Block P892. L'Oil d'Eve, par KarinFossum
Meurtres dans l'audiovisuel, par Yan Bemabot, Guy Buffet Frédéric Karar, Dominique Mitton et Marie-Pierre Nivat-Henocque Terminus pour les pitbulls, par Jean-NoÎl Blanc L'Amour du métier, par Lawrence Block Biblio-quête, par Stéphanie Benson quai des désespoirs, par Roger Martin Sang du ciel, par Marcello Fois Meurtres en neige, par Margaret Yorke Heureux les imbéciles, par Philippe Thirault 1280 ¬mes, par Jean-Bernard Pouy f ^v,. Les Péchés des pères, par Lawrence Block P964. Vieilles dames en péril, par Margaret Yorke P965. Jeu de main, jeu de vilain, par Michelle Spring P963.
L'Indispensable petite robe noire, par Lauren Henderson P971. Les Morts de la St Jean, par Henning Mankell
Ne zappez pas, c'est l'heure du crime, par Nancy Star …loge de la phobie, par Brigitte Aubert L'Envol des anges, par Michael Connelly P990.
Noblesse oblige, par Donna Léon P1001. Suave comme l'éternité, par George P. Pelecanos P1003. Le Monstre, par Jonathan Kellerman P1004. ¿ la trappe!, par Andrew Klavan P1005. Urgence, par Sarah Paretsky P1016. La Liste noire, par Alexandra Marinina P1017. La Longue Nuit du sans-sommeil, par Lawrence Block P1029. Speedway, par Philippe Thirault P1030. Les Os de Jupiter, par Paye Kellerman P1039. Nucléaire chaos, par Stéphanie Benson P1040.
Bienheureux ceux qui ont soif..., par Anne Holt P1048. Les Lettres mauves, par Lawrence Block P1042. L'Oiseau des ténèbres, par Michael Connelly P1060. Mort d'une héroÔne rouge, par qiu Xiaolong P1061. Angle mort, par Sara Paretsky
P898.
P899.
P909.
P910.
P911.
P926.
P927.
P928.
P949.
P950.
P964.
P972 P976. P989. P990.
Collection Points
DERNIERS TITRES PARUS
P1020. Putain, par Nelly Arcan
P1021. La Route de Midland, par Arnaud Cathrine P1022. Le Fil de soie, par Michèle Gazier
P1023. Paysages originels, par Olivier Rolin
P1024. La Constance du jardinier, par John le Carré
P1025. Ainsi vivent les morts, par Will Self
P1026. Doux Carnage, par Toby Lin
P1027. Le Principe d'humanité, par Jean-Claude Guillebaud P1028. Bleu, histoire d'une couleur, par Michel Pastoureau P1029. Speedway, par Philippe Thirault
P1030. Les Os de Jupiter, par Paye Kellerman
P1031. La Course au mouton sauvage, par Haruki Murakami P1032. Les Sept plumes de l'aigle, par Henri Gougaud P1033. Arthur, par Michel Rio
P1034. Hémisphère nord, par Patrick Roegiers
P1035. Disgr‚ce, par J. M. Coetzee
P1036. L'¬ge de fer, par J. M. Coetzee
P1037. Les Sombres feux du passé, par Chang Rae Lee P1038. Les Voix de la liberté, par Michel Winock P1039. Nucléaire chaos inédit., par Stéphanie Benson P1040. Bienheureux ceux qui ont soif..., par Anne Holt P1041. Le Marin à l'ancre, par Bernard Giraudeau P1043. Les Enfants des rues étroites, par Abdelhak Sehrane P1044. L'Ile et Une nuit, par Daniel Maximin
P1045. Bouquiner, par Annie François
P1046. Nat Tate, par William Boyd
P1047. Le Grand Roman indien, par Shashi Tharoor P1048. Les Lettres mauves, par Lawrence Block P1049. L'imprécateur, par René-Victor Pilhes
P1051. La Deuxième Gauche, par Hervé Hamon et Patrick Rotman P1042. L'Oiseau des ténèbres, par Michael Connelly P1050. Le Stade de Wimbledon, par Daniele Del Giudice P1052. La Tête en bas, par NoÎlle Ch‚telet
P1053. Le Jour de la cavalerie, par Hubert Mingarelli P1054. Le Violon noir, par Maxence Fermine
P1055. Vita Brévis, par Jostein Gaarder
P1056. Le Retour des Caravelles, par Antonio Lobo Antunes P1057. L'Enquête, par Juan José Saer
P105 8. Pierre Menées France, par Jean Lacouture P1059. Le Mètre du monde, par Denis Guedj
P1060. Mort d'une héroÔne rouge, par qiu Xiaolong P1061. Angle mort, par Sara Paretsky
P1062. La Chambre d'écho, par Régine Detambel