- Je sais, dit-elle. Même ici, dans le quartier, les gens en parlent.

- C'est difficile de garder la tête froide quand il s'agit de 445

ses propres enfants. Nous devons pourtant nous raccrocher à un semblant de raison.

- Toute cette violence... D'o˘ vient-elle?

- Il y a très peu de gens mauvais. Moi, du moins, je crois qu'ils sont très rares. Mais il y a des circonstances mauvaises. Ce sont elles qui déchaînent toute cette violence. Ce sont elles que nous devons combattre.

- J'ai l'impression que ça ne fait qu'empirer.

- Peut-être, répondit Wallander avec hésitation. Mais dans ce cas, ce sont les circonstances qui changent. Pas les gens qui seraient devenus mauvais.

- Ce pays est devenu tellement dur.

- Oui. Il est devenu très dur.

Il lui serra la main et se dirigea vers la voiture de police qui l'attendait.

- Comment va Terese ? demanda le policier assis au volant.

- Elle est surtout triste, je crois, répondit Wallander. Et ses parents aussi.

- Il y a de quoi devenir fou furieux. Comment réagir autrement?

- Je me pose la question, moi aussi.

Wallander retourna au commissariat. Hansson et Ann-Britt Hôglund se trouvaient toujours à l'école de Terese. Wallander apprit que Lisa Holgersson était à Stockholm. L'espace d'un instant, il s'en irrita. Mais elle avait été informée de la situation. Elle serait de retour à Ystad dans l'après-midi. Wallander partit à la recherche de Svedberg et de Hamrén.

Nyberg relevait des empreintes digitales dans la propriété de Holger Eriksson. Les deux policiers de Malmô avaient disparu. Il s'installa avec Svedberg et Hamrén dans la salle de réunion. Tous étaient choqués par ce qui était arrivé à la fille de Martinsson. La réunion ne s'éternisa pas. Chacun retourna à ses occupations. La veille au soir, ils s'étaient réparti les t‚ches avec soin. Wallander appela Nyberg sur son portable.

- Comment ça va? demanda-t-il.

- C'est difficile. Mais nous avons peut-être trouvé une ,ague empreinte dans la tour d'observation. Sous la balus-446

I

trade. Il se peut que ce ne soit pas celle d'Eriksson. On continue à chercher. Wallander réfléchit.

- Tu veux dire que la personne qui l'a tué serait montée dans la tour?

- Ce n'est pas complètement aberrant de le supposer.

- Oui. Dans ce cas, il y a peut-être aussi des mégots de cigarette.

- Si c'était le cas, on les aurait trouvés tout de suite. Maintenant, c'est trop tard.

Wallander lui parla de sa visite nocturne à Ylva Brink, à l'hôpital.

- Le clip est dans un sac plastique, dit Nyberg. Si elle a un bon odorat, elle sentira peut-être quelque chose.

- Je veux qu'on s'en occupe le plus vite possible. Tu peux l'appeler toi-même. Svedberg a le numéro de son domicile.

Nyberg promit que ce serait fait. Wallander constata au même moment que quelqu'un avait déposé un papier sur son bureau. C'était une lettre des services du procureur signalant qu'aucun dénommé Harald Berggren n'avait officiellement choisi de prendre ou d'abandonner ce nom. Wallander mit la lettre de côté. Il était dix heures. Il pleuvait toujours. Il pensa à la réunion de la veille au soir. L'inquiétude le reprit. …taient-ils vraiment sur la bonne voie ? Ou sur un chemin qui ne conduisait nulle part? Il alla à la fenêtre et contempla le ch‚teau d'eau. Katarina Taxell est notre piste principale, pensa-t-il. Elle a rencontré cette femme. que cherchait-elle, à

la maternité, la nuit?

Il se rassit et appela Birch à Lund. Il fallut presque dix minutes pour le localiser.

- Tout est calme devant chez elle, dit Birch. Aucune visite, en dehors d'une femme que nous avons identifiée comme étant sa mère. Katarina est sortie une fois faire des courses pendant que sa mère gardait le bébé. Il y a un supermarché pas loin. Le seul détail digne d'intérêt, c'est qu'elle a acheté plusieurs journaux.

- C'est probablement le meurtre qui la préoccupe. Semble-t-elle se douter de notre présence ?

447

- Je ne crois pas. Elle est tendue. Mais elle ne se retourne jamais. ¿ mon avis, elle ne soupçonne pas qu'elle est surveillée.

- C'est important qu'elle ne le découvre pas.

- Les gars se relaient tout le temps.

Wallander se pencha sur le bureau et ouvrit son bloc-notes.

- O˘ en est la collecte d'informations? qui est-elle?

- Elle a trente-trois ans, dit Birch. Dix-huit de moins que Blomberg, autrement dit.

- C'est son premier enfant. Elle n'est pas vraiment en avance. Les femmes pressées ne font peut-être pas très attention à la différence d'‚ge ? Mais je n'en sais rien, après

tout...

- D'autant plus que, d'après elle, Blomberg n'est pas le père de l'enfant.

- Elle ment, coupa Wallander.

Il se demanda brièvement comment il osait l'affirmer avec tant d'assurance.

- quoi d'autre? enchaîna-t-il.

- Katarina Taxell est née à Arlov. Son père était ingénieur. Il travaillait pour la raffinerie sucrière là-bas. Il est mort quand elle était petite. Sa voiture a été heurtée par un train, dans les environs de Landskrona. Elle n'a pas de frères et sours. Sa mère et elle ont emménagé à Lund après la mort du père. La mère travaillait à temps partiel à la bibliothèque municipale. Katarina Taxell avait de bonnes notes à l'école. Elle a fait des études universitaires. Géographie et langues, une combinaison assez originale. Ensuite elle est devenue enseignante. Parallèlement, elle a monté une petite entreprise qui vend des produits capillaires. Il semble donc qu'elle soit assez active. Elle ne figure dans aucun de nos registres.

Elle donne l'impression de quelqu'un d'assez ordinaire.

- Vous avez fait vite, dit Wallander avec approbation.

- J'ai suivi ton conseil. J'ai mis beaucoup de gens sur le coup.

- Cela indiquerait qu'elle ne se doute encore de rien. Si elle savait que nous avions commencé à rassembler toutes

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ces informations sur son compte, elle se serait s˚rement retournée plus souvent.

- On verra combien de temps ça tient. Je me demande si nous ne devrions pas augmenter un peu la pression.

- J'ai eu la même idée, dit Wallander.

- On l'embarque pour un interrogatoire ?

- Non. Mais je crois que je vais faire un tour à Lund. On pourrait commencer par avoir une nouvelle conversation avec^elle, toi et moi.

- ¿ quel sujet? Si tu n'as pas de nouvelles questions à lui poser, elle va se méfier.

- Je trouverai bien quelque chose en route. Disons qu'on se retrouve devant chez elle à midi ?

Wallander demanda une voiture, signa le formulaire et quitta la ville. Il s'arrêta à l'aéroport de Sturup et mangea un sandwich, dont le prix l'exaspéra, comme d'habitude. En même temps, il essaya de formuler quelques questions à poser à Katarina Taxell. Il ne suffisait pas de répéter celles de la première fois. Il décida que le point de départ devait être Eugen Blomberg. Après tout, il avait été assassiné. Ils avaient besoin de tous les renseignements possibles le concernant. Katarina Taxell était l'une des nombreuses personnes qu'ils interrogeaient à cette fin. ¿ midi moins le quart, Wallander réussit à se garer, non sans mal, dans le centre de Lund et se dirigea vers la place o˘ habitait Katarina Taxell ; la pluie avait cessé de tomber. Il continua de préparer ses questions tout en marchant. Il aperçut Birch de loin.

- J'ai entendu la nouvelle à la radio, dit Birch. ¿ propos de Martinsson et de sa fille. «a fait froid dans le dos.

- Oui, et le reste aussi.

- Comment va la petite ?

- Il faut espérer qu'elle oubliera. Mais Martinsson a l'intention de démissionner. Et moi, je dois essayer de l'en dissuader.

- S'il est vraiment sérieux, personne ne peut l'en dissuader.

- Je ne pense pas que ce soit le cas. En tout cas, je vais m'assurer qu'il a bien réfléchi.

449

- Un jour, dit Birch, on m'a lancé une pierre à la tête. «a m'a mis tellement en colère que j'ai réussi à rattraper le responsable. Il est apparu que j'avais envoyé son frère en prison autrefois. Il considérait qu'il était dans son bon droit et que c'était normal de me jeter des pierres à la

tête.

- Un flic reste un flic. Du moins si on en croit ceux qui jettent des pierres. Birch changea de sujet.

- De quoi comptes-tu lui parler?

- Eugen Blomberg. La manière dont ils se sont rencontrés. Je veux lui donner l'impression que je lui pose les mêmes questions qu'à beaucoup d'autres gens. Presque des questions de routine.

- qu'espères-tu en tirer?

- Je ne sais pas. Mais je crois quand même que c'est nécessaire. Une lueur peut apparaître dans les interstices.

Ils entrèrent dans l'immeuble. Wallander eut soudain l'intuition que quelque chose clochait. Il s'immobilisa dans l'escalier. Birch le regarda.

-qu'y a-t-il?

- Je ne sais pas. Rien, sans doute.

Ils montèrent au deuxième étage. Birch sonna à la porte. Ils attendirent.

Il sonna de nouveau. La sonnerie résonna dans l'appartement. Ils se regardèrent. Wallander se pencha et jeta un coup d'oil par la fente destinée au courrier. Tout

était très silencieux. Birch sonna à nouveau. De longues sonneries répétées.

Personne n'ouvrit.

- Elle doit pourtant être chez elle, dit-il. Personne n'a signalé qu'elle était sortie.

- Alors, elle a disparu par la cheminée, dit Wallander. Elle n'est pas ici, en tout cas.

Ils redescendirent l'escalier en courant. Birch ouvrit brutalement la portière de la voiture de police. L'homme assis au volant lisait un journal.

- Elle est sortie ? demanda Birch.

- Elle est là.

- Non, justement.

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- Y a-t-il une autre sortie ? demanda Wallander. Birch répéta la question au policier dans la voiture.

- Pas à notre connaissance.

- Ce n'est pas une réponse ! Soit il y en a une, soit il n'y en a pas.

Ils retournèrent dans le hall de l'immeuble et descendirent les marches conduisant à la cave. La porte d'accès au sous-sol était fermée à clé.

- Y a-t-il un gardien ? demanda Wallander.

- Nous n'avons pas le temps.

Birch examina les gonds de la porte. Ils étaient rouilles.

- Nous pouvons toujours essayer, marmonna-t-il.

Il prit son élan et se jeta contre la porte, qui s'arracha à ses gonds.

- Tu sais ce que ça implique d'enfreindre le règlement, dit-il.

Il n'y avait aucune ironie dans sa voix. Ils longèrent le couloir bordé

d'espaces de rangement grillagés, qui aboutissait à une porte. Birch l'ouvrit. Ils se retrouvèrent au pied d'un escalier de secours.

- Elle est donc sortie par-derrière, dit-il. Et personne n'a même pris la peine de s'assurer qu'il existait une autre issue.

- Elle est peut-être encore dans l'appartement, dit Wallander.

Birch comprit. -Suicide?

- Je ne sais pas. Mais nous devons entrer. Et nous n'avons pas le temps d'attendre le serrurier.

- En général, dit Birch, j'arrive à forcer les serrures. Il faut juste que j'aille chercher quelques outils.

Birch revint moins de cinq minutes plus tard. Il était hors d'haleine.

Entre-temps, Wallander s'était remis à sonner à la porte de l'appartement.

Un homme ‚gé était sorti de l'appartement voisin en demandant ce qui se passait. Wallander s'était énervé et lui avait brandi sa carte sous le nez.

- Nous vous serions reconnaissants de rentrer chez vous. Tout de suite. Et de garder votre porte fermée jusqu'à nouvel ordre.

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L'homme disparut. Wallander entendit le cliquetis d'une chaîne de s˚reté.

Birch réussit à forcer la serrure en quelques minutes. Ils entrèrent.

L'appartement était vide. Katarina Taxell avait emmené son enfant. L'issue de secours donnait sur une petite rue. Birch secoua la tête.

- quelqu'un va devoir rendre des comptes, dit-il.

- «a me rappelle Bergling. Si j'ai bonne mémoire, il est sorti tranquillement par la porte de derrière pendant que toute la surveillance était concentrée sur la façade.

Ils firent le tour de l'appartement. Wallander eut l'impression que le départ avait été précipité. Il s'arrêta devant un landau et un petit transat restés dans la cuisine.

- On a d˚ venir la chercher en voiture, dit-il. Il y a une station-service en face. quelqu'un a peut-être vu une femme quitter la maison avec un bébé.

Birch disparut. Wallander fit un deuxième tour de l'appartement. Il essayait de se représenter l'enchaînement des événements. Pourquoi une femme quitte-t-elle son appartement avec son enfant nouveau-né? Le choix de l'issue de secours indiquait qu'elle avait voulu disparaître sans être vue.

Cela impliquait aussi qu'elle était consciente de la surveillance dont elle faisait l'objet.

Elle ou quelqu'un d'autre, pensa Wallander.

quelqu'un d'autre avait pu découvrir la surveillance du dehors. Et lui téléphoner ensuite pour organiser le départ.

Il s'assit sur une chaise dans la cuisine. Il y avait encore une question importante. Katarina Taxell et son bébé étaient-ils en danger? Ou bien avait-elle quitté l'appartement de son

plein gré ?

Si elle avait opposé une résistance, quelqu'un l'aurait remarqué, pensa-t-il ensuite. Elle est donc bien partie de son plein gré. Il n'y a au fond qu'une explication à cela. Elle ne veut pas répondre aux questions de la police.

Il se leva, alla à la fenêtre et aperçut Birch, qui parlait à l'un des employés de la station-service. Le téléphone sonna au même instant.

Wallander sursauta et retourna dans le séjour. ¿ la deuxième sonnerie, il décrocha.

- Katarina ? demanda une voix de femme.

- Elle n'est pas ici. qui la demande?

- qui êtes-vous ? Je suis la mère de Katarina.

- Mon nom est Kurt Wallander. Je suis policier. Il ne s'est rien passé, sinon que Katarina n'est pas ici. Ni elle, ni son enfant.

- C'est impossible.

- Sans doute. Mais elle n'est pas ici. Vous ne sauriez pas par hasard o˘

elle pourrait être ?

- Elle ne serait pas partie sans me prévenir. Wallander se décida très vite.

- Ce serait bien que vous veniez. Si j'ai bien compris, vous n'habitez pas très loin.

- Je peux être là en moins de dix minutes. que s'est-il passé?

Il sentit la peur dans sa voix.

- Il y a certainement une explication plausible, dit-il. Nous pourrons en parler quand vous serez là.

Il entendit Birch ouvrir la porte au moment o˘ il raccrochait.

- Nous avons de la chance, dit Birch. J'ai parlé à un employé de la station-service. Un type éveillé qui n'a pas les yeux dans sa poche.

Il avait pris quelques notes sur un papier taché de graisse.

- Une Golf rouge s'est arrêtée ici ce matin. Entre neuf heures et dix heures. Plutôt dix que neuf, d'ailleurs. Une femme est sortie par la porte de service de l'immeuble. Elle portait un bébé. Elle est montée dans la voiture, qui est partie aussitôt.

Wallander sentit monter la tension.

- A-t-il vu la personne qui conduisait ?

- Le conducteur n'est pas descendu.

- Il ne sait donc pas si c'était un homme ou une femme?

- Je lui ai posé la question. Il a donné une réponse inté-sssante. Il a dit que la façon dont la voiture est partie lais-l'sait penser que c'était un homme.

- Ah bon ? Et pourquoi ?

- Parce qu'elle a démarré sur les chapeaux de roues. Les femmes conduisent rarement ainsi.

Wallander hocha la tête.

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- A-t-il remarqué autre chose?

- Non. Mais il est possible qu'il se souvienne de nouveaux détails si on l'aide. Comme je le disais, il n'a pas les yeux dans sa poche.

Wallander lui expliqua que la mère de Katarina Taxell n'allait pas tarder.

Ils restèrent un moment silencieux.

- que s'est-il passé? demanda Birch.

- Je ne sais pas

- Est-elle en danger?

- J'y ai pensé. Je ne le crois pas. Mais je peux bien entendu me tromper. Ils retournèrent dans le séjour. Une chaussette minuscule gisait par terre.

Wallander regarda autour de lui. Birch suivit son regard.

- La solution est là, dit Wallander. Dans cet appartement. quelque chose qui peut nous conduire à la femme que nous cherchons. Lorsque nous l'aurons trouvé, nous trouverons aussi Katarina Taxell. Nous devons découvrir de quoi il s'agit, même s'il nous faut pour cela arracher toutes les lames du plancher.

Birch ne dit rien.

Ils entendirent une clé tourner dans la serrure. Elle avait donc son propre trousseau. L'instant d'après, la mère de Katarina Taxell apparut dans le séjour.

31

Wallander passa le reste de la journée à Lund. Chaque heure qui s'écoulait renforçait son sentiment : c'était par l'intermédiaire de Katarina Taxell qu'ils avaient le plus de chances de trouver la solution. Ils cherchaient une femme. Il n'y avait plus aucun doute quant au fait que celle-ci était impliquée dans les meurtres. Mais ils ignoraient si elle agissait seule et, surtout, ils ignoraient le mobile.

La conversation avec la mère de Katarina Taxell ne donna aucun résultat.

Elle commença par tourner dans l'appartement, de façon hystérique, à la recherche de sa fille et du bébé disparus, et se retrouva à la fin dans un tel état de confusion qu'il fallut demander des renforts et l'accompagner chez un médecin. ¿ ce stade, Wallander avait acquis la conviction qu'elle ignorait o˘ se trouvait sa fille. Les quelques amies qui, d'après la mère, auraient pu venir la chercher en voiture avaient été aussitôt contactées.

Toutes étaient tombées des nues. Wallander, cependant, ne se fiait pas à

une simple impression au téléphone. ¿ sa demande, Birch rendit personnellement visite à chacune d'entre elles. Pendant ce temps, Katarina Taxell n'avait toujours pas reparu. Wallander était certain que la mère connaissait bien les fréquentations de sa fille. De plus, son inquiétude était sincère. Si elle avait su o˘ se trouvait Katarina, elle le leur aurait dit.

Wallander avait aussi traversé la rue jusqu'à la station-service pour demander à l'employé - un garçon de vingt-quatre ans qui s'appelait Jonas Haver - de lui répéter ce qu'il avait vu. Le témoin idéal, pour ainsi dire.

Jonas Haver ' semblait épier son environnement sans rel‚che, comme si 455

ses observations pouvaient à n'importe quel moment se transformer en un témoignage décisif. La Golf rouge s'était arrêtée devant l'immeuble au moment o˘ une camionnette de livraison de journaux quittait la station-service. Ils réussirent à retrouver le chauffeur de la camionnette, qui put à son tour affirmer avec certitude qu'il avait quitté la station-service à

neuf heures trente précises. Jonas Haver avait noté de nombreux détails, entre autres la présence d'un grand autocollant sur la vitre arrière de la Golf. Mais la distance l'avait empêché de voir ce qu'il représentait, ou de lire le texte qui l'accompagnait. Il confirmait que la voiture avait démarré en trombe, d'une manière qu'il persistait à qualifier de masculine.

Seulement, il n'avait pas vu le chauffeur. Il pleuvait, les essuie-glaces balayaient le pare-brise. Il n'aurait rien pu voir, même s'il avait cherché

à le faire. Cependant, il était convaincu que Katarina Taxell portait un manteau vert p‚le et un grand sac Adidas et que l'enfant était enveloppé

dans une couverture bleue. Tout s'était passé très vite. Elle était apparue sous le porche au moment o˘ la voiture s'arrêtait. quelqu'un avait ouvert la portière arrière de l'intérieur. Elle avait déposé l'enfant sur la banquette avant de mettre son sac dans le coffre. Puis elle avait ouvert l'autre portière arrière, du côté de la rue, et elle était montée. Le conducteur avait démarré avant même qu'elle ait eu le temps de refermer complètement la portière. Jonas Haver n'avait pas retenu le numéro d'immatriculation - Wallander eut le sentiment qu'il avait pourtant essayé.

En revanche, il était certain de n'avoir jamais vu cette voiture rouge s'arrêter à cet endroit auparavant.

Wallander revint à l'appartement avec le sentiment qu'un élément venait d'être confirmé, même s'il ne savait pas exactement lequel. S'agissait-il d'une fuite précipitée? quand avait-elle été décidée ? Et pourquoi ?

Pendant ce temps, Birch avait interrogé tous les policiers affectés à la surveillance de l'immeuble. Avaient-ils repéré une femme dans les environs ? Une femme qui serait venue et repartie, peut-être plus d'une fois ? Mais au contraire de Jonas Haver, les policiers n'avaient pas observé grand-chose. Ils se concentraient sur le porche, sur les gens qui entraient et sortaient, et il n'y avait

456

eu que les habitants de l'immeuble. Wallander, une fois informé de cette réponse, exigea qu'ils identifient chacune de ces personnes. Dans la mesure o˘ quatorze familles vivaient dans l'immeuble, l'escalier fut vite rempli de policiers qui passèrent l'après-midi à contrôler les résidents. Ce fut ainsi que Birch trouva quelqu'un qui avait peut-être fait une observation importante. Il s'agissait d'un homme qui habitait deux étages au-dessus de Katarina Taxell, un musicien à la retraite qui, selon Birch, disait que sa vie se résumait à ´ rester debout à la fenêtre en regardant tomber la pluie et en entendant dans sa tête la musique qu'il ne jouerait plus jamais ª. Il avait été basson de l'orchestre symphonique de Helsingborg et il donnait l'impression - toujours selon Birch - d'être un homme mélancolique et sombre qui vivait dans une grande solitude. Ce matin-là, il pensait avoir vu une femme de l'autre côté de la place. Elle s'était soudain immobilisée et avait reculé de quelques pas. Puis elle avait longuement observé

l'immeuble, avant de tourner les talons et de disparaître. Lorsque Birch lui rapporta ces propos, Wallander pensa aussitôt qu'il pouvait s'agir de la femme qu'ils recherchaient. quelqu'un était venu de l'extérieur et avait découvert la voiture qui n'aurait évidemment pas d˚ être garée juste devant le porche. quelqu'un était venu rendre visite à Katarina Taxell. Une nouvelle visite, après celles de l'hôpital.

Pendant toute cette journée, Wallander fit preuve d'une énergie et d'une obstination de grande envergure. Il demanda à Birch de reprendre contact avec les amies de Katarina Taxell pour savoir si l'une d'entre elles avait eu l'idée de lui rendre visite ce matin-là mais s'était ravisée à la dernière minute. La réponse fut unanime et négative. Birch avait essayé

d'obtenir du basson à la retraite une description de la femme entrevue sur la place. Mais celui-ci n'avait rien pu lui dire, sinon qu'il s'agissait en effet d'une femme et qu'il l'avait vue vers huit heures du matin. Cette dernière information restait pourtant sujette à caution, dans la mesure o˘

son horloge, son réveille-matin et sa montre indiquaient des heures différentes.

Wallander n'avait cessé d'envoyer Birch en mission à droite et à gauche -

il ne semblait pas se formaliser d'être

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ainsi traité comme un subalterne -, tandis que lui-même commençait à

fouiller systématiquement l'appartement de Katarina Taxell. C'était d'ailleurs la première chose qu'il avait demandée à Birch : de lui envoyer quelques techniciens de Lund pour relever les empreintes dans l'appartement, afin de les comparer à celles découvertes par Nyberg. Toute la journée, il était aussi resté en contact téléphonique avec Ystad. Il avait parlé à Nyberg à quatre reprises. Le clip en plastique, qui conservait une très faible trace de parfum, avait été soumis à Ylva Brink.

Elle n'avait rien pu affirmer avec certitude. Ce pouvait être le même parfum qu'elle avait senti cette nuit-là, à la maternité, quand la femme l'avait frappée au visage. Mais elle n'en était pas s˚re. Tout cela restait vague et confus.

Il parla aussi deux fois à Martinsson. Deux fois à son domicile. Terese était encore sous le choc, bien s˚r, effrayée et déprimée. Martinsson était toujours aussi déterminé à donner sa démission et à changer de métier.

Wallander parvint à le convaincre d'attendre au moins jusqu'au lendemain avant de signer sa lettre. Il était évident que Martinsson ne pouvait penser à rien d'autre qu'à sa fille ce jour-là, mais Wallander lui fit néanmoins un résumé détaillé des événements. Il était certain que Martinsson l'écoutait, même si ses commentaires étaient distraits et peu nombreux. Il fallait absolument lui conserver sa place dans l'équipe. …

viter que Martinsson ne prenne une décision qu'il regretterait par la suite. Il parla aussi plusieurs fois à Lisa Holgersson. Hans-son et Ann-Britt Hoglund étaient intervenus avec beaucoup de force à l'école de Terese. Ils avaient eu un entretien individuel, dans le bureau du directeur, avec chacun des trois garçons impliqués dans l'histoire. Ils avaient parlé aux parents et aux professeurs. Ils avaient rassemblé tous les élèves de l'école pour les informer de la situation. Selon Ann-Britt, que Wallander avait également eue au téléphone, c'était Hansson qui leur avait parlé, et il s'était montré excellent. Les élèves étaient scandalisés, les trois garçons s'étaient retrouvés très isolés, et elle doutait que l'événement se reproduise. Eskil Bengtsson et les autres avaient été rel‚chés. Mais

458

Per ¬keson allait entamer des poursuites. La mésaventure de la fille de Martinsson ferait peut-être réfléchir un certain nombre de gens. C'était du moins l'espoir formulé par Ann-Britt. Mais Wallander n'en était pas si s˚r.

Il pensait qu'ils seraient désormais contraints de consacrer beaucoup d'énergie à la lutte contre différentes formes de milices privées.

La nouvelle la plus importante, ce jour-là, arriva cependant par l'intermédiaire de Hamrén, qui avait repris une partie des t‚ches de Hansson. Vers trois heures de l'après-midi, il avait réussi à localiser Gôte Tandvall. Il téléphona aussitôt à Wallander.

- Il tient une brocante à Simrishamn, annonça-t-il. Si j'ai bien compris, il voyage aussi et rachète des antiquités qu'il exporte en Norvège et ailleurs.

-C'est légal, ça?

- Je ne pense pas que ce soit franchement illégal. Sans doute les prix sont-ils plus élevés là-bas. Ensuite, ça dépend évidemment de quel genre d'antiquités il s'agit.

- Je veux que tu lui rendes visite. Nous n'avons pas de temps à perdre. Et nous sommes déjà assez dispersés comme ça. Prends une voiture, va à

Simrishamn. Le plus important, c'est de savoir s'il existait une relation entre Holger Eriksson et Krista Haberman. Cela dit, Gôte Tandvall peut détenir d'autres informations susceptibles de nous intéresser.

Hamrén le rappela trois heures plus tard. Il était alors dans sa voiture, à

la sortie de Simrishamn. Il avait rencontré Gôte Tandvall. Wallander, tendu, attendit la suite.

- C'est un monsieur très résolu, dit Hamrén. ¿ la mémoire très sélective.

Il ne se souvenait pas du tout de certaines choses. Dans d'autres cas, il était très s˚r de lui.

- Krista Haberman?

- Il se souvenait d'elle. J'ai eu l'impression qu'elle devait être très belle. Et il est certain que Holger Eriksson l'a rencontrée. Au moins à

quelques reprises. Entre autres, il croyait se souvenir d'un matin, de très bonne heure, à la pointe de Falsterbo. Ils observaient le retour des oies.

Ou peut-être des grues. Il avait un doute là-dessus.

- Il s'intéresse aux oiseaux, lui aussi?

- Son père le traînait là-bas sans lui demander son avis.

459

- En tout cas, conclut Wallander, nous savons l'essentiel.

- Oui, ça paraît coller. Krista Haberman, Holger Eriksson... Wallander se sentit soudain très mal à l'aise. Avec une

clarté effarante, il comprit ce que cela impliquait.

- Je veux que tu retournes à Ystad, dit-il. Et que tu fasses le point sur toutes les informations relatives à la disparition proprement dite. quand et o˘ Krista Haberman a-t-elle été vue pour la dernière fois ? Je veux que tu fasses un résumé de cette partie de l'enquête. La dernière fois o˘

quelqu'un l'a vue.

- On dirait que tu as une idée en tête.

- Elle a disparu, dit Wallander. On ne l'a jamais retrouvée. qu'est-ce que cela indique ?

- qu'elle est morte.

- Plus que cela. N'oublie pas que nous travaillons sur une affaire o˘ des hommes et des femmes ont été exposés à la pire violence qu'on puisse imaginer.

- Tu veux dire qu'elle aurait été assassinée ?

- Hansson m'a donné un aperçu global du rapport d'enquête sur sa disparition. L'hypothèse du meurtre a toujours été présente. Mais comme on ne pouvait rien prouver, c'est toujours resté une hypothèse. En bonne logique policière : pas de conclusions h‚tives, laisser toutes les portes ouvertes jusqu'à ce qu'on puisse en fermer une. Peut-être ne sommes-nous pas loin de cette porte.

- Holger Eriksson l'aurait tuée?

Wallander sentit que Hamrén envisageait cette hypothèse pour la première fois.

- Je ne sais pas. Mais à compter de maintenant, c'est une possibilité dont nous devons tenir compte.

Hamrén promit de s'occuper de ce compte rendu et de le rappeler dès qu'il aurait terminé.

Après avoir raccroché, Wallander quitta l'appartement de Katarina Taxell.

Il devait absolument manger quelque chose. Il trouva une pizzeria presque en bas de l'immeuble. Il mangea beaucoup trop vite, ce qui lui donna mal au ventre. Après coup, il aurait été incapable de dire ce qu'il avait avalé.

Il était pressé. L'intuition d'un événement imminent l'inquiétait. Rien ne laissait supposer que la chaîne meurtrière

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avait été interrompue ; ils travaillaient donc contre la monnv. Il se rappela que Martinsson avait promis de reconstituer un tableau chronologique à partir des données de l'enquête. Il s'en serait occupé ce jour-là si Terese n'avait pas été agressée. En revenant à l'appartement de Katarina Taxell, il décida que cela ne pouvait pas attendre. Il s'arrêta sous un Abribus et téléphona à Ystad. Il avait de la chance. Ann-Britt Hôglund était là. Elle avait déjà eu le temps de parler à Hamrén et d'apprendre que le lien entre Krista Haberman et Holger Eriksson était confirmé. Wallander lui demanda de dresser ce tableau à la place de Martinsson.

- Je ne sais pas si c'est important, dit-il. Mais nous en savons trop peu sur les déplacements de cette femme. Un emploi du temps fera peut-être aussi apparaître un centre géographique...

- Maintenant tu parles carrément au féminin, remarqua Ann-Britt.

- Oui, c'est vrai. Mais nous ne savons pas si elle est seule. Nous ne savons pas quel rôle elle joue.

- qu'est-il arrivé à Katarina Taxell, d'après toi ?

- Elle est partie. Cela s'est passé très vite. quelqu'un a découvert que l'immeuble était surveillé. Elle est partie parce qu'elle avait quelque chose à cacher.

- Est-ce possible qu'elle ait tué Eugen Blomberg ?

- Katarina Taxell est un maillon de la chaîne - à supposer qu'on puisse relier des maillons entre eux, dans cette affaire. Elle ne représente ni un début, ni une fin. J'ii du mal à me représenter qu'elle ait tué quelqu'un.

Elle fait sans doute partie du groupe de femmes qui ont subi des violences.

Ann-Britt Hôglund parut sincèrement surprise.

- Elle a été maltraitée, elle aussi ? Je ne le savais pas.

- Elle n'a peut-être pas été battue ou tailladée à coups de couteau. Mais je soupçonne qu'elle a pu être victime d'une autre manière.

- Violences psychologiques ?

- ¿ peu près.

- De la part de Blomberg ? -Oui.

461

- Pourtant, elle accepte d'avoir un enfant de lui? Si tu as raison à propos de la paternité.

- ¿ voir la façon dont elle tenait le bébé, on peut penser que cela ne la rend pas très heureuse. Mais c'est vrai qu'il y a beaucoup de zones d'ombre. Notre travail consiste toujours à bricoler des solutions provisoires. Nous devons faire parler le silence et découvrir le sens caché

des mots. Voir au travers des événements, les retourner pour pouvoir les remettre à l'endroit.

- Personne ne nous a expliqué ça, à l'école de police. Tu ne devais pas donner une conférence là-bas, au fait?

- Jamais de la vie, dit Wallander. Je ne sais pas m'exprimer en public.

- Au contraire. Mais tu refuses de l'admettre. En plus, je crois qu'au fond tu en as envie.

- En tout cas, la question n'est pas d'actualité.

Après coup, il repensa à ce qu'elle avait dit. Avait-il vraiment envie de s'exprimer devant un public de futurs policiers? Jusque-là, il avait toujours été persuadé que sa résistance était sincère. Soudain il commençait à en douter.

Il quitta l'Abribus et se h‚ta de regagner l'immeuble sous la pluie. En plus, le vent s'était levé. De retour à l'appartement, il reprit sa fouille méthodique. Dans un carton caché au fond d'une armoire, il trouva une grande quantité de vieux journaux intimes. Le premier datait de ses douze ans. Wallander constata avec surprise que la couverture s'ornait d'une belle orchidée. Katarina Taxell avait continué à tenir son journal sans interruption tout au long de l'adolescence, puis à l'‚ge adulte, jusqu'en 1993. Mais les dernières annotations remontaient au mois de septembre. Il chercha une suite, en vain. Pourtant, il était persuadé que cette suite existait. Il demanda l'aide de Birch, qui avait terminé sa chasse aux témoins dans l'immeuble.

Birch trouva les clés de la cave de Katarina Taxell. Il lui fallut une heure pour la fouiller. Aucune trace de journal intime. Wallander avait à

présent la conviction qu'elle avait emporté les derniers cahiers avec elle.

Ils se trouvaient dans le sac Adidas qu'elle avait déposé dans le coffre de la Golf rouge.

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Pour finir, il ne lui restait plus qu'à examiner le contenu du bureau. Il avait déjà parcouru h‚tivement les tiroirs. Maintenant, il allait le faire à fond. Il s'assit dans le fauteuil ancien aux accoudoirs ornés de têtes de dragon sculptées. Le bureau était en fait un secrétaire, dont le panneau se rabattait pour servir d'écritoire. Des photographies encadrées le surmontaient. Katarina Taxell enfant, assise sur une pelouse; des meubles de jardin blancs à l'arrière-plan; des silhouettes floues ; quelqu'un coiffé d'un chapeau blanc. Katarina Taxell assise à côté d'un grand chien, regardant l'objectif bien en face - un noud dans les cheveux. Le soleil l'éclairait de biais. Autre image : Katarina Taxell avec sa mère et son père, l'ingénieur. Portant la moustache et convaincu de sa propre importance. Physiquement, Katarina Taxell ressemblait plus à son père qu'à

sa mère. Wallander prit la photo et la retourna. Aucune indication de date.

Photo prise chez un photographe de Lund. Autre image : le jour du baccalauréat. Casquette blanche à visière, collier de fleurs autour du cou.

Amaigrie et p‚le. Le chien et l'ambiance de la pelouse n'étaient plus qu'un souvenir. Katarina Taxell vivait dans un autre monde. La dernière image.

Une photo ancienne, aux contours décolorés. Un paysage aride au bord de la mer. Un couple ‚gé considérant l'objectif avec raideur. ¿ l'arrière-plan, un trois-m‚ts sans voile. Wallander pensa que l'image pouvait venir de l'île d'‘land et qu'elle avait été prise vers la fin du siècle dernier. Les grands-parents maternels ou paternels de Katarina Taxell. Là non plus, aucune date au dos. Il reposa la photo à sa place. Aucun homme, pensa-t-il.

Blomberg n'existe pas. Cela s'explique. Mais aucun autre homme non plus. Le père, qui doit pourtant exister. Cela signifiait-il quelque chose ? Tout signifiait quelque chose. La question était seulement de savoir quoi. Il examina à tour de rôle les petits tiroirs du haut du secrétaire. Des lettres, des documents. Des factures. De vieux bulletins scolaires. Notes très élevées en géographie. Mauvaises notes en revanche en physique et en mathématiques. Autre tiroir. Des photos d'identité, prises dans un Photomaton. Trois filles serrées l'une contre l'autre, en train de grimacer. Une autre photo, prise à Str0-463

get, la grande rue marchande de Copenhague. Elles étaient assises sur un banc, le visage rieur. Katarina Taxell était la dernière à droite et elle riait, elle aussi. Un autre tiroir avec des lettres. Certaines remontant à

1972. Un timbre représentant la frégate royale Wasa. Si ce secrétaire cache les secrets les plus intimes de Katarina Taxell, alors elle n'a pas de secrets, pensa Wallander. Une vie impersonnelle. Pas de passions, pas d'aventures estivales dans les îles grecques. En revanche, de très bonnes notes en géographie. Il continua. Rien ne retint son attention. Puis il passa aux trois grands tiroirs du bas. Toujours pas de journaux intimes.

Même pas un agenda. Wallander éprouvait une certaine répugnance à

s'enfoncer ainsi dans des strates successives de souvenirs impersonnels. La vie de Katarina Taxell ne laissait pas de trace. Il ne l'apercevait pas.

S'apercevait-elle

elle-même?

Il repoussa le fauteuil. Referma le dernier tiroir. Rien. Il n'en savait pas plus qu'avant. Il fronça les sourcils. quelque chose ne collait pas. Si sa décision de partir avait été précipitée, ce dont il ne doutait pas, elle n'avait pas eu le temps de faire le tri et de prendre tout ce qu'elle aurait éventuellement voulu cacher. Les journaux intimes se trouvaient à

portée de main. Elle aurait pu les emporter même en cas d'extrême urgence.

Mais il y avait toujours, dans la vie d'un être humain, un coin de désordre. Ici, il n'y avait rien. Il se leva et écarta légèrement le secrétaire du mur pour jeter un coup d'oil derrière. Rien. Il se rassit pensivement. Il avait pourtant vu quelque chose. Il ne s'en rendait compte que maintenant. Immobile, il tenta de faire revenir l'image. Ce n'étaient pas les photographies, ni les lettres. qu'était-ce donc? Les bulletins scolaires ? Le contrat de location? Les factures de carte bleue ? Rien de tout cela. que restait-il alors ?

Le meuble, pensa-t-il. Le secrétaire. Puis cela lui revint. Les petits tiroirs. Il ouvrit l'un d'entre eux. Puis le suivant. Les compara. Puis il les enleva tout à fait et examina la cavité. Rien. Il remit les tiroirs à

leur place. Ouvrit le tiroir supérieur du côté gauche. Puis les autres. Ce fut alors qu'il comprit. Les tiroirs n'avaient pas la même profondeur. Il tira le plus petit et le retourna. Il avait un double fond. Celui-ci 464

contenait un seul objet, qu'il prit et déposa devant lui sur le rabat.

Un indicateur des chemins de fer. Printemps 1991, Les horaires des trains entre Malmô et Stockholm.

Il sortit les autres tiroirs, l'un après l'autre. En trouva un deuxième qui avait un double fond. Vide.

Il se cala confortablement dans le fauteuil et considéra la brochure des chemins de fer. Il ne comprenait pas quelle importance elle pouvait avoir.

Plus étrange encore : pourquoi avait-elle été cachée? Il était convaincu qu'elle ne pouvait pas se trouver là par hasard. Birch entra au même moment.

- Regarde ça, dit Wallander. Birch s'approcha.

- Voilà ce que j'ai trouvé dans le tiroir secret de Katarina Taxell.

- Des horaires de train ? Wallander secoua la tête.

- Je ne comprends pas, dit-il.

Il feuilleta le document, page à page. Birch avait avancé une chaise et s'était assis à côté de lui. Wallander continua de tourner les pages.

Aucune annotation, aucune page écornée, s'ouvrant d'elle-même. ¿ l'avant-dernière, il s'immobilisa. Birch avait réagi, lui aussi. Un départ de N

‚ssjô était souligné. Nàssjô-Malmô. Départ : 16 h. Arrivée à Lund : 18 h 42. Malmô : 18 h 57. quelqu'un avait souligné tous ces chiffres. Wallander consulta Birch du regard.

- «a te dit quelque chose ?

- Rien.

Wallander reposa le document.

- Katarina Taxell peut-elle avoir un lien quelconque avec N‚ssjô ? demanda Birch.

- Pas que je sache. Mais c'est possible, bien s˚r. Notre plus grande difficulté, dans l'immédiat, c'est que tout paraît malheureusement à la fois pensable et possible. Il n'y a rien, aucun détail, aucune coÔncidence, que nous puissions considérer d'emblée comme secondaire.

Wallander avait reçu quelques sacs plastique du technicien qui avait passé

la journée à chercher des empreintes

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digitales n'appartenant ni à Katarina Taxell, ni à sa mère. Il y glissa l'indicateur des chemins de fer.

- Je l'emporte, dit-il. Si tu n'as pas d'objection. Birch haussa les épaules.

- Tu ne peux même pas t'en servir pour connaître les horaires, dit-il. Il est périmé depuis trois ans et demi.

- Je prends rarement le train.

- C'est reposant, parfois. Je préfère le train à l'avion. On a le temps de réfléchir.

Wallander pensa à son dernier voyage en train. Lorsqu'il était revenu d'¬lmhult. Birch avait raison. Il avait même dormi un moment au cours de ce voyage.

- On n'arrivera à rien de plus dans l'immédiat, dit-il. Je crois qu'il est temps pour moi de retourner à Ystad.

- On ne lance pas d'avis de recherche, pour Katarina Taxell et son bébé?

- Pas encore.

Ils quittèrent l'appartement. Birch ferma la porte à clé. Dehors, la pluie avait presque cessé. Le vent était froid et soufflait par rafales. Il était déjà vingt heures quarante-cinq. Ils se séparèrent devant la voiture de Wallander.

- Et pour la surveillance de l'immeuble ? demanda Birch. Wallander réfléchit.

- On continue jusqu'à nouvel ordre. N'oubliez pas la porte de service, cette fois.

- que peut-il arriver, à ton avis ?

- Je ne sais pas. Mais les gens qui disparaissent choisissent parfois de revenir.

Il démarra. quitta la ville. L'automne enveloppait la voiture. Il mit le chauffage. Mais il sentait qu'il avait encore froid.

Et maintenant? pensa-t-il. Katarina Taxell a disparu. Après une longue journée à Lund, je reviens à Ystad avec un sac en plastique contenant un vieil indicateur des chemins de fer.

Malgré tout, ils avaient franchi une étape importante ce jour-là. Holger Eriksson connaissait Krista Haberman. Ils avaient réussi à établir un lien indirect entre les trois hommes assassinés. Il accéléra malgré lui. Il voulait connaître le plus

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vite possible le résultat des recherches de Hamrén. ¿ la sortie vers l'aéroport de Sturup, il se gara devant l'arrêt de bus et appela Ystad. On lui passa Svedberg. Avant toute chose, il demanda des nouvelles de Terese.

- Elle reçoit beaucoup de soutien de la part de l'école et des autres élèves. Mais ça prendra du temps.

- EtMartinsson?

- Il est abattu. Il parle de démissionner.

- Je sais. Mais je ne pense pas qu'il le fera forcément.

- Tu es sans doute le seul qui puisse le faire changer d'avis.

- C'est bien mon intention.

Puis il lui demanda s'il s'était produit quelque chose d'important.

Svedberg était mal informé. Il venait de revenir au commissariat après un entretien avec Per ¬keson, afin que celui-ci l'aide à obtenir le rapport d'enquête sur la mort de la femme de Costa Runfeldt.

Wallander lui demanda de réunir l'équipe pour vingt-deux heures.

- As-tu vu Hamrén? demanda-t-il enfin.

- Il est en train de relire le dossier Krista Haberman en compagnie de Hansson. Il y avait urgence, si j'ai bien compris.

- Vingt-deux heures, répéta Wallander. S'ils pouvaient avoir fini d'ici là, je leur en serais reconnaissant.

- Ils sont censés retrouver Krista Haberman d'ici là?

- Pas tout à fait. Mais presque.

Wallander posa son téléphone portable sur le siège du passager. Il resta un instant assis sans bouger, dans le noir, avant de redémarrer. Il pensait au tiroir à double fond. Le tiroir secret de Katarina Taxell qui contenait un vieil indicateur des chemins de fer.

Il n'y comprenait rien. Rien du tout.

¿ vingt-deux heures, ils étaient réunis. Le seul qui manquait était Martinsson. Ils commencèrent par évoquer les événements de la matinée. Tout le monde savait que Martinsson avait décidé de démissionner.

- Je vais lui parler, dit Wallander. Je veux savoir s'il a 467

pris une décision définitive. Si c'est le cas, personne ne peut l'en empêcher.

Ils n'en dirent pas plus. Wallander résuma brièvement sa journée à Lund.

Ils firent un tour d'horizon des raisons possibles de la disparition de Katarina Taxell et de ses éventuels motifs. Serait-il possible de localiser la voiture rouge ? Combien de Golf rouges y avait-il, après tout, en Suède?

- Une femme avec un nouveau-né ne peut pas disparaître sans laisser de trace, conclut Wallander. Je crois que, dans l'immédiat, le mieux est de nous exhorter à la patience. Nous devons travailler à partir des éléments dont nous disposons.

Il se tourna vers Hansson et Hamrén.

- La disparition de Krista Haberman. Un événement survenu il y a vingt-sept ans.

Hansson fit un signe de tête à Hamrén.

- Tu voulais connaître les détails de la disparition proprement dite, dit Hamrén. La dernière fois que quelqu'un l'a vue, c'était à Svenstavik, le mardi 22 octobre 1967. Elle fait une promenade dans la ville. Tu y as été, tu peux imaginer le décor, même si le centre a été reconstruit depuis. Elle avait l'habitude de se promener. Le dernier à l'avoir vue est un b˚cheron qui arrive de la gare, à vélo. Il est alors seize heures quarante-cinq. Il fait déjà nuit. Mais elle marche à l'endroit o˘ la rue est éclairée. Il est certain que c'est elle. Après cela, personne ne l'a plus revue. Plusieurs témoignages concordants affirment qu'une voiture étrangère aurait traversé

la localité ce soir-là. C'est tout.

Wallander resta silencieux.

- quelqu'un a-t-il dit de quelle marque était cette voiture ? demanda-t-il ensuite.

Hamrén fouilla dans ses papiers. Puis il secoua la tête et quitta la pièce.

Il revint presque aussitôt avec un autre dossier. Personne ne prit la parole. Il finit par trouver ce qu'il

cherchait.

- L'un des témoins, un fermier du nom de Johansson, affirme que c'était une Chevrolet. Une Chevrolet bleu nuit. Il était s˚r de son fait. Il y avait eu autrefois à Svenstavik un taxi du même modèle. Sauf qu'il était bleu ciel.

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Wallander hocha la tête.

- Svenstavik est loin de Lôdinge, dit-il lentement. Mais si je ne me trompe pas, Holger Eriksson vendait des Chevrolet à cette époque.

On aurait entendu une mouche voler dans la salle.

- Je me demande s'il est possible que Holger Eriksson ait fait le long voyage jusqu'à Svenstavik, poursuivit-il. Et si Krista Haberman a pu revenir avec lui en Scanie.

Il se tourna vers Svedberg.

- Eriksson possédait-il déjà sa ferme à cette époque? Svedberg hocha la tête.

Le regard de Wallander fit le tour de la table.

- Holger Eriksson a été empalé dans un fossé, dit-il. Si nous avons des raisons de penser que le meurtrier tue ses victimes d'une façon qui reflète des crimes antérieurs, je crois que nous pouvons en tirer une conclusion extrêmement désagréable.

Il espérait se tromper. Mais il ne pensait plus que ce f˚t le cas.

- Je crois que nous devons commencer à chercher sur les terres de Holger Eriksson, dit-il. Il se pourrait bien que Krista Haberman y soit enterrée quelque part.

Il était vingt-deux heures cinquante, le mercredi 19 octobre.

32

Ils prirent la route de la ferme au petit matin. Wallander avait emmené

Nyberg, Hamrén et Hansson. Chacun conduisait sa propre voiture, y compris Wallander dont la Peugeot était arrivée d'¬lmhult la veille. Ils s'arrêtèrent au bord du chemin conduisant à la maison vide, qui ressemblait à un navire isolé et dém‚té dans la brume.

Ce matin-là, jeudi 20 octobre, le brouillard était particulièrement dense.

Il était arrivé de la mer à la fin de la nuit, et recouvrait à présent toute la Scanie. Ils avaient décidé de se retrouver à six heures trente.

Mais ils étaient tous en retard à cause de la mauvaise visibilité.

Wallander arriva le dernier. En descendant de voiture, il songea soudain qu'on aurait dit le début d'une partie de chasse. Il ne manquait que les fusils. Il pensa avec malaise à la mission qui les attendait. D'un côté, il soupçonnait qu'une femme avait été assassinée et enterrée quelque part sur les terres de Holger Eriksson. ¿ supposer qu'ils découvrent quelque chose, ce ne serait de toute façon que des fragments de squelette. Rien d'autre.

Vingt-sept ans, c'était long.

D'un autre côté, il pouvait parfaitement se tromper. Son idée du sort réservé à Krista Haberman n'était peut-être pas audacieuse. Elle n'était pas non plus invraisemblable. Mais de l'hypothèse à la confirmation, il y avait encore un long chemin à parcourir.

Ils se dirent bonjour en frissonnant. Hansson avait apporté un plan cadastral. Wallander se demanda fugitivement ce que penserait la Fondation de Lund s'ils en venaient à trouver les restes d'un cadavre. Cela augmenterait sans doute le nombre des visiteurs. Rares étaient les attractions touris-471

tiques capables de rivaliser avec le lieu d'un crime. Ils déplièrent la carte sur le capot de la voiture de Nyberg.

- Le domaine avait une autre allure en 1967, comme vous pouvez le voir, commença Hansson. Ce n'est qu'au milieu des années soixante-dix que Holger Eriksson a racheté toutes les terres situées au sud de la ferme.

Wallander constata que cela réduisait d'un tiers la surface dont ils avaient à se préoccuper. Mais les deux tiers qui restaient représentaient déjà un vaste périmètre. Il comprit du même coup qu'ils ne pourraient jamais retourner à la bêche l'ensemble du domaine. Il fallait trouver une autre méthode.

- Le brouillard ne nous facilite pas le travail, dit-il. Je propose que nous essayions de nous faire une vue d'ensemble du terrain. Il devrait être possible d'éliminer certaines zones. Je pars de l'hypothèse qu'on choisit soigneusement le lieu o˘ l'on enterre quelqu'un qu'on a assassiné.

- On choisit sans doute l'endroit o˘ on pense qu'il a le moins de chances d'être retrouvé, dit Nyberg. Il y a une étude à ce sujet. Une étude américaine, évidemment. Mais ça paraît logique.

- Le domaine est très vaste, intervint Hamrén.

- C'est pourquoi nous devons commencer par le réduire, répliqua Wallander.

Nyberg a raison. Si Holger Eriksson a bien tué Krista Haberman, je doute qu'il l'ait enterrée n'importe o˘. Par exemple, je me figure qu'on n'a pas envie d'avoir un cadavre enfoui devant sa porte. ¿ moins d'être complètement fou. Rien n'indique que c'ait été le cas de Holger Eriksson.

- De plus, il y a des pavés à cet endroit, dit Hansson. Je crois que nous pouvons exclure la cour.

Ils firent le tour de la maison. Wallander envisagea un instant de retourner à Ystad et de revenir lorsque le brouillard se serait dissipé.

Mais comme il n'y avait pas de vent, le brouillard risquait de persister toute la journée. Il décida qu'ils pouvaient tout de même consacrer une heure à essayer de se faire une vue d'ensemble. Ils descendirent vers le grand jardin à l'arrière de la maison. La terre mouillée était jonchée de pommes pourries. Une pie s'envola d'un arbre. Ils s'immobilisèrent et regardèrent autour d'eux. Pas ici, pensa

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Wallander. Un homme qui commet un meurtre dans une ville et qui ne dispose que de son jardin enterre peut-être sa victime au milieu des arbres fruitiers et des arbustes. Mais pas un homme qui vit à la campagne.

Il exprima sa pensée à voix haute. Personne ne fit d'objection.

Ils quittèrent les environs immédiats de la ferme. Le brouillard était encore très dense. Des lièvres surgissaient ça et là dans la blancheur et disparaissaient aussitôt. Ils commencèrent par explorer la limite des terres du côté nord.

- Un chien ne trouverait rien, je suppose ? demanda Hamrén.

- Pas après vingt-sept ans, répondit Nyberg.

La boue collait à leurs bottes. Ils essayaient d'avancer en équilibre sur l'étroite bande herbeuse qui délimitait la propriété de Holger Eriksson.

Une herse rouillée était enfoncée dans la boue. Wallander ne se sentait pas seulement mal à l'aise à cause de leur mission. Le brouillard et la terre lourde, grise, humide, l'oppressaient. Il aimait ce paysage o˘ il était né

et o˘ il vivait. Mais il se serait volontiers passé de l'automne. Au moins par des journées comme celle-ci.

Ils parvinrent à un étang situé dans un repli de terrain. Hansson leur montra sur la carte l'endroit o˘ ils se trouvaient. L'étang devait faire une centaine de mètres de circonférence.

- Il est rempli d'eau toute l'année, dit Nyberg. Au centre, il est certainement profond de deux ou trois mètres.

- C'est bien entendu une possibilité, dit Wallander. De noyer un corps avec des poids.

- Ou dans un sac, dit Hansson. Comme Eugen Blomberg. Wallander acquiesça.

¿ nouveau l'effet de miroir. Pourtant, il hésitait. Il exprima ses doutes à

haute voix.

- Un corps peut remonter à la surface. Holger Eriksson aurait-il choisi de le noyer alors qu'il disposait de tant d'hectares o˘ l'enterrer? J'ai du mal à le croire.

- qui cultivait toute cette terre, au fait ? demanda Hansson. Pas lui, en tout cas. Et il ne la louait pas. Mais la terre doit être cultivée. Sinon elle retourne en friche. Et cette terre-ci est bien entretenue.

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Hansson avait grandi dans une ferme des environs d'Ystad. Il savait de quoi il parlait.

- C'est une question importante, dit Wallander. Nous devons y répondre.

- Cela peut aussi nous fournir la réponse à une autre question, intervint Hamrén. ¿ savoir si un changement est intervenu dans la géographie du lieu.

Une colline qui serait apparue à un moment donné. Si on creuse à un endroit, on obtient forcément une élévation de terrain ailleurs. Je ne pense pas à une tombe. Mais, par exemple, à un fossé. Ou autre chose.

- Nous parlons d'événements qui ont eu lieu il y a près de trente ans, dit Nyberg. qui aurait des souvenirs qui remontent aussi loin?

- Nous devons nous renseigner là-dessus. qui a cultivé la terre de Holger Eriksson ?

- Trente ans, ça fait un bail, dit Hansson. Il peut y en avoir eu plus d'un.

- Dans ce cas, nous devons parler à tous. Si nous les retrouvons. S'ils sont encore en vie.

Ils continuèrent. Wallander se rappela soudain avoir vu quelques anciennes photographies aériennes de la ferme dans la maison d'habitation. Il demanda à Hansson d'appeler la Fondation de Lund pour réclamer les clés.

- «a m'étonnerait qu'il y ait quelqu'un à sept heures et quart du matin.

- Appelle Ann-Britt. Demande-lui de contacter l'avocat qui s'est occupé du testament d'Eriksson. Il peut avoir un trousseau de clés.

- Les avocats sont peut-être des gens matinaux, dit Hansson sans conviction, en composant le numéro d'Ann-Britt.

- Je veux revoir ces photographies aériennes, dit Wallander. Le plus vite possible.

Hansson raccrocha après avoir parlé à Ann-Britt Hoglund. Ils continuèrent.

Le terrain descendait à présent en pente douce. Le brouillard était toujours aussi compact. Au loin, ils entendaient le bruit d'un tracteur. Le bruit décrut. Puis le portable de Hansson sonna. Ann-Britt Hoglund avait réussi à joindre l'avocat, qui avait malheureusement rendu ses 474

clés. Elle avait essayé de trouver quelqu'un qui pourrait les aider, à

Lund, sans succès. Elle promit de rappeler le plus vite possible. Wallander pensa aux deux femmes qu'il avait rencontrées une semaine plus tôt, et à

l'aversion que lui avait inspirée l'aristocrate arrogante.

Il leur fallut près de vingt minutes pour traverser le domaine. Hansson leur montra un point sur la carte. Ils se trouvaient à présent à l'angle sud-ouest. Il y avait encore cinq cents mètres vers le sud. Mais cette partie-là avait été achetée par Holger Eriksson en 1976. Ils prirent la direction de l'est, c'est-à-dire du fossé et de la colline o˘ se dressait la tour d'observation. Wallander sentait croître son malaise. Il crut percevoir la même réaction silencieuse chez les autres.

C'est comme une image de ma vie, pensa-t-il. Ma vie en tant que policier en Suède dans la seconde moitié du xxe siècle. Petit matin, levée du jour.

Automne, brouillard, froid humide. quatre hommes pataugent dans la boue.

Ils s'approchent d'un piège incompréhensible, o˘ un homme a été empalé sur des pieux de bambou exotique. En même temps, ils sont à la recherche de l'endroit o˘ pourrait être enterrée une Polonaise disparue depuis vingt-sept ans.

Je vais continuer à patauger dans cette boue jusqu'à ce que je tombe.

Ailleurs, dans ce brouillard, des gens penchés sur leur table de cuisine organisent des milices armées. Celui qui s'égare dans le brouillard risque d'être abattu.

Il s'aperçut qu'il menait une conversation intérieure avec Rydberg. Une conversation sans paroles, mais très vivante. Rydberg était assis sur son balcon, dans la dernière phase de sa maladie. Le balcon oscillait comme un dirigeable dans le brouillard. Mais Rydberg ne lui répondait pas. Il se contentait d'écouter, avec son sourire oblique. Son visage était déjà très marqué par la maladie.

Wallander marchait le dernier. Tout à coup, il vit qu'ils étaient arrivés; le fossé s'ouvrait devant eux; ils se trouvaient au bord de l'endroit o˘

Eriksson avait été empalé. Un bout de ruban plastique de la police était resté coincé sous l'une des planches effondrées. On a mal fait le ménage, pensa Wallander. Les pieux de bambou n'étaient plus là. Il se demanda o˘ on les entreposait. Dans le sous-sol du

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commissariat? Au laboratoire de Linkôping? La tour d'observation se dressait à leur droite. On la voyait à peine dans le brouillard.

Dans l'esprit de Wallander, une pensée prenait forme. Il s'éloigna de quelques pas et faillit glisser dans la boue. Nyberg contemplait fixement le fossé. Hamrén et Hansson discutaient à voix basse d'un détail sur la carte.

quelqu'un surveille Holger Eriksson et sa ferme, pensa Wallander. quelqu'un qui sait ce qui est arrivé à Krista Haberman - une femme disparue depuis vingt-sept ans, déclarée morte. Une femme enterrée quelque part dans un champ. Le temps de Holger Eriksson est compté. Une autre tombe hérissée de pieux se prépare. Une nouvelle tombe dans la boue.

Il rejoignit Hamrén et Hansson. Nyberg avait disparu dans le brouillard. Il leur fit part de ses réflexions sans attendre, quitte à devoir les répéter à Nyberg.

- Si le meurtrier est aussi bien informé que nous le pensons, il doit savoir o˘ était enterrée Krista Haberman. Nous avons à plusieurs reprises évoqué le fait qu'il possède son propre langage. Il ou elle essaie de nous dire quelque chose. Nous n'avons que partiellement déchiffré son code.

Holger Eriksson a été tué avec une brutalité qu'on pourrait qualifier de démonstrative. Son corps serait forcément retrouvé tôt ou tard. Il est possible que l'endroit ait été choisi aussi pour une autre raison. Pour nous encourager à chercher ici même. Si nous le faisons, nous retrouverons Krista Haberman.

Nyberg surgit du brouillard. Wallander répéta ce qu'il venait de dire. Tous comprenaient qu'il pouvait avoir raison. Ils traversèrent le fossé et montèrent dans la tour. Le petit bois de l'autre côté disparaissait dans le brouillard.

- Trop de racines, dit Nyberg. Je ne crois pas qu'il aurait choisi le bois.

Ils revinrent sur leurs pas et continuèrent vers l'est, rejoignant leur point de départ. Il était près de huit heures. Le brouillard était toujours aussi dense. Ann-Britt Hôglund avait appelé pour leur dire que les clés ne tarderaient pas à arriver. Ils étaient tous les trois frigorifiés et trempés.

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Wallander n'avait pas envie de les retenir plus longtemps que nécessaire.

Hansson allait consacrer les prochaines heures à essayer de découvrir qui avait cultivé la terre.

- Un changement inattendu survenu il y a vingt-sept ans, souligna Wallander. C'est ce que nous voulons savoir. Mais pas un mot sur le cadavre qui pourrait être enterré par ici. Autrement, ce sera l'invasion.

Hansson acquiesça. Il comprenait.

- Il faudra revenir quand le brouillard se sera dissipé, poursuivit-il.

Mais je crois tout de même que cette première vue d'ensemble a été

profitable.

Les autres repartirent. Wallander s'attarda. Une fois seul, il monta dans sa voiture et mit le chauffage. Celui-ci ne fonctionnait pas. La réparation avait co˚té un prix exorbitant - qui ne comprenait pas le système de chauffage. quand aurait-il le temps et les moyens d'acheter une autre voiture ? Celle-ci tiendrait-elle le coup jusque-là ?

Il attendit en pensant aux femmes. Krista Haberman, Eva Runfeldt et Katarina Taxell. Et aussi à la quatrième, celle qui n'avait pas de nom.

quel était le rapport entre elles? Il eut le sentiment que ce rapport était à sa portée et qu'il aurait d˚ le voir. Il le voyait sans rien voir.

Il revint en arrière. Des femmes maltraitées, peut-être assassinées.

Beaucoup de temps s'était écoulé entre les différents événements.

Il ferma les yeux. Il constata qu'il pouvait tirer une conclusion supplémentaire. Ils n'avaient pas tout vu. Les événements qu'ils essayaient de comprendre participaient à un ensemble plus vaste. Il était important de trouver le lien entre les différentes femmes. Mais ils devaient aussi envisager la possibilité d'un lien fortuit. quelqu'un choisissait. Mais selon quels critères ? Les circonstances ? Peut-être simplement les occasions ou les possibilités qui s'offraient? Holger Eriksson vivait seul dans une ferme. Entretenait peu de relations avec l'extérieur. Observait les oiseaux la nuit. C'était une cible facile. Gosta Runfeldt partait en safari-orchidées. Il devait s'absenter pendant deux semaines. Cela aussi, c'était une occasion. Lui aussi vivait seul. Eugen Blomberg faisait la même promenade tous les soirs, seul.

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Wallander secoua la tête. Il n'arrivait pas à entamer la surface. …tait-il sur la bonne piste ? Se fourvoyait-il complètement? Il n'en savait rien. Il faisait froid dans la voiture. Il descendit, histoire de bouger un peu. Les clés devaient bientôt arriver. Il se dirigea vers la cour de la ferme. Se souvint de sa première visite La bande de corneilles du côté du fossé. Il regarda ses mains. Elles n'étaient plus bronzées. Le souvenir du soleil sur la villa Borghese avait disparu une fois pour toutes. Comme son père.

Il laissa son regard errer dans la cour. La maison était très bien entretenue. Là vivait autrefois un homme qui s'appelait Holger Eriksson et qui écrivait des poèmes sur les oiseaux. Le vol solitaire de la bécassine double. L'extinction du pic mar. Un jour, il monte dans une Chevrolet bleu nuit et fait le long voyage jusque dans le Jamtland. …tait-il poussé par une passion ? Ou par autre chose ? Krista Haberman était une femme de grande beauté. Dans le volumineux dossier d'enquête d'‘stersund, il y avait une photo d'elle. L'avait-elle suivi de son plein gré ? Oui, sans doute.

Ils prennent la direction de la Scanie. Puis elle disparaît. Holger Eriksson vit seul. Il creuse une tombe. Elle disparaît. On perd sa trace.

Jusqu'à maintenant. Parce que Hansson a trouvé le nom de Tandvall et qu'il devient possible d'établir un lien jamais découvert jusque-là.

Wallander remarqua qu'il contemplait depuis un moment le chenil vide. Il n'eut même pas conscience de la pensée qui venait de lui traverser l'esprit. L'image de Krista Haberman commença à s'effacer. Il fronça les sourcils. Pourquoi n'y avait-il pas de chien? Personne n'avait encore posé

cette question - lui pas plus que les autres. ¿ quel moment le chien avait-il disparu? Cela avait-il d'ailleurs la moindre importance? Il voulait une réponse à ces deux questions.

Une voiture freina au même instant devant la maison. Un garçon ‚gé de vingt ans à peine apparut dans la cour. Il s'approcha de Wallander.

- C'est toi le policier qui a besoin des clés?

- C'est moi.

Le garçon le considéra d'un air sceptique.

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- qu'est-ce qui me le prouve ? Tu pourrais être n'importe qui.

Wallander faillit s'énerver. En même temps, l'hésitation du garçon pouvait se comprendre. Son pantalon était plein de boue. Il sortit sa carte. Le garçon hocha la tête et lui tendit un trousseau.

- Je veillerai à ce qu'elles reviennent à Lund, dit Wallander.

Le garçon acquiesça. Il était pressé. Wallander l'entendit démarrer en trombe tandis qu'il cherchait la clé de la porte d'entrée. Il pensa fugitivement à ce qu'avait dit Jonas Haver à propos de la Golf rouge devant l'immeuble de Katarina Taxell. …tait-il vrai que les femmes ne démarraient pas ainsi ? Mona conduisait plus vite que moi, pensa-t-il. Baiba appuie toujours fort sur l'accélérateur. Mais comment démarrent-elles?

Il ouvrit la porte. Alluma dans le grand vestibule, qui sentait le renfermé. Il s'assit sur un tabouret pour enlever ses bottes boueuses. En entrant dans le séjour, il vit avec surprise que l'ode au pic mar se trouvait toujours sur la table. Le 21 septembre au soir. Un mois plus tôt, à un jour près. S'étaient-ils approchés tant soit peu d'une solution? Ils avaient deux meurtres supplémentaires à élucider. Une femme avait disparu.

Une autre était peut-être enterrée dans les champs de Holger Eriksson.

Il resta debout, immobile, dans le silence. Le brouillard de l'autre côté

des fenêtres était encore très épais. Il se sentait mal à l'aise. Les objets l'observaient. Il avança jusqu'au mur o˘ se trouvaient les deux photographies aériennes encadrées et fouilla ses poches à la recherche de ses lunettes. Ce matin, par miracle, il avait pensé à les prendre. Il les mit et se pencha pour mieux voir. L'une était en noir et blanc, l'autre en couleurs, même si les couleurs avaient p‚li. La photo en noir et blanc remontait à 1949. Prise deux ans avant l'acquisition de la ferme par Holger Eriksson. L'autre datait de 1965. Wallander ouvrit un rideau pour avoir plus de lumière. Soudain, il aperçut une biche solitaire qui broutait entre les arbres du jardin. Il s'immobilisa. La biche leva la tête et le dévisagea un instant. Puis elle se remit tranquillement à brouter. Wal-479

lander resta o˘ il était. Il eut le sentiment qu'il n'oublierait jamais cette biche. Il ne sut pas combien de temps il resta ainsi immobile.

Soudain, elle dressa la tête, aux aguets. Wal-lander, pour sa part, n'avait entendu aucun bruit. Puis elle disparut en deux bonds. Wallander ne bougea pas. La biche restait invisible. Il revint aux deux photographies, qui avaient été prises par la même société - ´Vues d'avionª - à seize ans d'intervalle. L'avion équipé d'un appareil était arrivé du sud. Tous les détails étaient très nets. En 1965, Hol-ger Eriksson n'a pas encore construit sa tour. Mais la colline est là. Le fossé aussi. Wallander plissa les yeux. Il n'apercevait aucune passerelle. La photo avait été prise au début du printemps. Les champs étaient labourés. Mais encore aucune végétation. On voyait très nettement le petit étang. Un bosquet longeait l'étroit sentier séparant deux champs. Il fronça les sourcils. Il ne se souvenait pas de ces arbres. Ce matin-là, il n'avait pas pu les voir, à

cause du brouillard. Mais il ne lui semblait pas non plus les avoir remarqués lors de ses précédentes visites. Les arbres paraissaient très grands. Il aurait d˚ les repérer. Tout seuls, isolés au milieu des champs.

Puis il examina la maison qui occupait le centre de la photo. Entre 1949 et 1965, le toit a été entièrement refait. Une dépendance qui servait peut-

être de porcherie a été démolie. Le chemin d'accès a été élargi. ¿ part ça, pas de changement. Il enleva ses lunettes et regarda par la fenêtre. La biche n'était pas revenue. Il s'assit dans un fauteuil en cuir. Le silence l'enveloppait. Une Chevrolet prend la route de Svenstavik. Une femme monte à bord. Elle arrive en Scanie. Puis elle disparaît. Vingt-sept ans plus tard, l'homme qui est peut-être venu la chercher à Svenstavik est retrouvé

mort.

Il resta une demi-heure assis dans le silence. Pour faire le point intérieurement, une fois de plus. Il pensa qu'ils étaient pour le moment à

la recherche de trois femmes différentes. Krista Haberman, Katarina Taxell et une autre qui n'avait pas de nom. Mais qui conduisait une Golf rouge.

qui portait parfois des faux ongles et fumait des cigarettes qu'elle roulait elle-même.

Il se demanda s'il était possible qu'elles ne soient que deux. Si Krista Haberman, tout compte fait, ne vivait pas

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encore. Dans ce cas, elle aurait soixante-cinq ans. La femme qui avait frappé Ylva Brink était beaucoup plus jeune.

«a ne collait pas. Pas plus que le reste.

Il jeta un regard à sa montre. Neuf heures moins le quart. Il se leva et sortit de la maison. Le brouillard était toujours aussi compact. Il pensa au chenil vide. Puis il ferma la porte à clé et s'en alla.

¿ dix heures, Wallander avait réussi à rassembler l'équipe d'enquête. Le seul qui manquait était Martinsson. Il avait promis de venir au cours de l'après-midi. Dans l'immédiat, il avait rendez-vous à l'école de Terese.

Ann-Britt Hôglund leur raconta qu'il l'avait appelée tard, la veille au soir. Elle avait eu l'impression qu'il était ivre, ce qui ne lui arrivait presque jamais. Wallander se sentit vaguement jaloux. Pourquoi Martinsson appelait-il Ann-Britt plutôt que lui ? Alors que Martinsson et lui travaillaient ensemble depuis tant d'années ?

- Il paraît toujours aussi décidé à démissionner, dit-elle. Mais j'ai eu l'impression qu'il me demandait en même temps de l'en dissuader.

- Je vais lui parler, dit Wallander.

Ils refermèrent les portes de la salle de réunion. Per ¬keson et Lisa Holgersson furent les derniers à arriver. Wallander eut l'impression confuse qu'ils sortaient d'un long entretien.

Lisa Holgersson prit la parole dès que le silence se fit.

- Tout le monde parle des milices de citoyens, dit-elle. La commune de Lôdinge est désormais célèbre dans tout le pays. On a reçu une demande de Gôteborg. Ils veulent savoir si Kurt pourrait participer à un débat télévisé ce soir.

- Jamais de la vie, répondit Wallander, effrayé. qu'est-ce que j'irais faire là-bas ?

- J'ai déjà décliné l'invitation en ton nom, répondit-elle avec un sourire.

Mais un jour ou l'autre, je te demanderai quelque chose en contrepartie.

Wallander comprit aussitôt qu'elle faisait allusion aux conférences à

l'école de police.

- Les discussions sont passionnées et violentes, poursuivit-elle. Espérons néanmoins qu'il en sortira quelque chose de positif.

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- Dans le meilleur des cas, cela pourrait contraindre la direction centrale à un peu d'autocritique, intervint Hans-son. La police n'est tout de même pas sans responsabilité dans cette histoire.

- ¿ quoi penses-tu ? demanda Wallander.

Dans la mesure o˘ Hansson s'engageait rarement dans les discussions portant sur la police, il était curieux de connaître son avis.

- Je pense à tous les scandales, dit Hansson. O˘ des policiers sont impliqués de façon active. «a existait déjà avant. Mais pas à ce point.

- C'est un aspect de la question, dit Per ¬keson. Il ne faudrait ni l'exagérer, ni le minimiser. Le grand problème, à mon sens, c'est le glissement progressif de ce que la police et les tribunaux considèrent comme un crime. Une faute qui entraînait auparavant une condamnation devient tout à coup un délit mineur qui ne relève même pas des attributions de la police. Et je crois que c'est perçu comme une humiliation par les gens de ce pays, qui ont toujours eu un sens très aigu de la justice et du droit.

- Les deux choses sont probablement liées, intervint Wallander. Et je doute fort qu'un débat sur les milices ait une influence sur cette évolution.

Même si je suis le premier à le

souhaiter.

- quoi qu'il en soit, reprit Per ¬keson, j'ai l'intention de charger au maximum les quatre hommes impliqués dans l'agression de Lôdinge. Je pense pouvoir obtenir une condamnation pour trois d'entre eux. Pour le quatrième, c'est moins s˚r. Je dois ajouter que le procureur du roi a demandé qu'on le tienne informé. C'est très surprenant, à mon avis. Mais ça indique qu'ils sont au moins quelques-uns en haut lieu à prendre cette affaire au sérieux.

- ¬ke Davidsson a été interviewé par le quotidien Arbetet, dit Svedberg. Il s'est exprimé de façon intelligente et mesurée. En plus, il a l'air de s'être bien remis.

- Restent donc Terese et son papa, dit Wallander. Et les garçons de l'école.

- Martinsson a l'intention de démissionner ? demanda Per ¬keson. J'ai entendu une rumeur.

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- C'était sa première réaction, qui est bien naturelle. Mais je ne suis pas s˚r qu'il s'y tienne.

- C'est un bon policier, dit Hansson. Est-ce qu'il le sait?

- Oui, dit Wallander. Mais ça ne suffit pas. D'autres motifs peuvent faire surface dans ce genre de situation. Notre charge de travail démesurée, par exemple.

- Je sais, dit Lisa Holgersson. Et ça ne va pas s'améliorer. Wallander se rappela qu'il n'avait toujours pas tenu sa

promesse d'évoquer la situation personnelle de Nyberg avec Lisa Holgersson.

Il griffonna un mot à ce sujet dans son bloc-notes.

- On aura l'occasion d'en reparler, dit-il.

- Je voulais juste vous tenir au courant, dit Lisa Holgersson. Il n'y a pas d'autres nouvelles. Sinon que Bjork, votre ancien chef, a téléphoné pour vous souhaiter bonne chance. Il est désolé de ce qui est arrivé à la fille de Martinsson.

- En voilà un qui s'est arrêté à temps, dit Svedberg. qu'est-ce qu'on lui a donné déjà, en cadeau de départ? Une canne à pêche. S'il était resté ici, il n'aurait jamais eu l'occasion de s'en servir.

- Je ne pense pas qu'il se roule les pouces, là o˘ il est, objecta Lisa Holgersson.

- Bjôrk était un bon policier, dit Wallander. Mais je crois que nous devons poursuivre.

Ils commencèrent par l'emploi du temps établi par Ann-Britt Hôglund.

Wallander avait posé à côté de son bloc-notes le sac plastique contenant l'indicateur des chemins de fer trouvé dans le secrétaire de Katarina Taxell.

Ann-Britt Hôglund s'était comme d'habitude acquittée de sa t‚che à fond.

Tous les horaires qui étaient, d'une manière ou d'une autre, reliés aux différents événements avaient été notés et confrontés les uns aux autres.

Tout en l'écoutant, Wallander songea qu'il n'aurait jamais réussi à le faire aussi bien. Il aurait fait preuve de négligence, à coup s˚r. Il n'y a pas deux policiers qui se ressemblent, pensa-t-il, et c'est seulement quand nous pouvons nous consacrer à des t‚ches qui sollicitent nos points forts que nous accomplissons quelque chose d'utile.

- Je ne vois pas vraiment de fil conducteur, conclut Ann-483

1

Britt. Les médecins légistes de Lund ont pu dater la mort de Holger Eriksson au 21 septembre en fin de soirée. Je ne connais pas précisément leurs méthodes. Mais ils sont s˚rs de leur fait. Costa Runfeldt a lui aussi été tué la nuit. Les horaires coÔncident, mais on ne peut en tirer aucune conclusion. On ne trouve pas davantage un jour récurrent de la semaine. Si on ajoute les deux visites à la maternité d'Ystad et le meurtre d'Eugen Blomberg, on peut éventuellement entrevoir un début de cohérence.

Elle s'interrompit et jeta un regard circulaire. Ni Wallan-der ni les autres ne semblaient avoir compris.

- C'est presque mathématique, dit-elle. Notre meurtrier passe à l'acte selon un schéma irrégulier au point d'en devenir intéressant. Holger Eriksson meurt le 21 septembre. Katarina Taxell reçoit de la visite à la maternité d'Ystad dans la nuit du 1er octobre. Costa Runfeldt meurt le 11

octobre. Dans la nuit du 13 octobre, la femme revient à iii maternité et frappe la cousine de Svedberg. Enfin, Eugen Blomberg meurt le 17 octobre.

On peut ajouter à cela le jour probable de la disparition de Costa Runfeldt. Ce que je constate, c'est qu'il n'y a aucune régularité là-dedans. Ce qui peut éventuellement nous surprendre. Dans la mesure o˘ tout le reste semble si minutieusement planifié, prémédité - par quelqu'un qui se donne, par exemple, la peine et le temps de coudre des poids dans la doublure d'un sac, en fonction du poids de sa victime. On a donc le choix : soit on considère qu'il n'y a pas d'intervalle significatif entre les différents événements, soit cette irrégularité est causée par quelque chose. Dans ce cas, on se demande : par quoi? Wallander n'avait pas bien suivi son raisonnement.

- Encore une fois, dit-il. Lentement.

Elle répéta ce qu'elle venait de dire. Cette fois, Wallander comprit.

- Ce n'est peut-être pas un hasard, conclut-elle. Je ne veux pas me risquer au-delà. C'est peut-être une forme de régularité. Mais pas nécessairement.

Une image commençait à apparaître confusément dans l'esprit de Wallander.

- Supposons qu'il y ait un schéma à l'ouvre, dit-il.

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Comment faut-il l'interpréter? quelles sont les forces extérieures qui influencent l'emploi du temps du meurtrier?

- Il peut y avoir différentes explications. Ce peut être quelqu'un qui n'habite pas en Scanie. Mais qui vient régulièrement en visite. Ou alors, il ou elle exerce un métier qui obéit à un certain rythme. Ou autre chose, que je n'ai pas encore réussi à me représenter.

- Tu voudrais donc dire que ces jours-là pourraient correspondre à des congés qui reviennent régulièrement ? Si nous avions pu suivre ses agissements pendant un mois supplémentaire, nous l'aurions constaté plus clairement encore ?

- C'est une possibilité. Un métier qui suppose un emploi du temps irrégulier. O˘ les congés ne correspondent pas aux week-ends.

- C'est peut-être important, dit Wallander avec hésitation. Mais j'ai du mal à le croire.

- ¿ part cela, je ne déchiffre pas grand-chose dans ce tableau chronologique, dit-elle. La personne s'échappe sans cesse.

- Ce que nous ne pouvons établir avec certitude est aussi une forme de connaissance. Puisqu'on en est à la question des horaires, dit Wallander en montrant le sac plastique, voici ce que j'ai trouvé dans un tiroir à double fond du secrétaire de Katarina Taxell. ¿ l'endroit o˘ l'on imagine qu'elle aurait rangé ce qu'elle a de plus précieux ou de plus secret. Un indicateur des chemins de fer. Grandes lignes, printemps 1991. Un horaire est souligné : Nàssjô, départ : 16 h. C'est un train qui circule tous les jours.

Il tendit le sac à Nyberg.

- Empreintes, dit-il.

Puis il changea de sujet et leur fit part de ses réflexions concernant Krista Haberman, en évoquant la visite matinale à la ferme, dans le brouillard. L'ambiance autour de la table était grave.

- Je ne vois pas d'autre solution, conclut-il. Nous devons commencer à

creuser. Une fois que le brouillard se sera dissipé et que Hansson aura réussi à établir qui a cultivé la terre pendant tout ce temps. Et si des changements spectaculaires sont intervenus après 1967.

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Il y eut un long silence au cours duquel chacun médita intérieurement ce qui venait d'être dit. Ce fut Per ¬keson qui reprit la parole.

- «a paraît à la fois incroyable et convaincant, dit-il. Je suppose que nous devons prendre cette possibilité au sérieux.

- Ce serait bien que cela reste entre nous, dit Lisa Holgersson. Les gens n'aiment rien tant que les vieilles disparitions inexpliquées.

Ils étaient parvenus à une décision. Wallander souhaitait mettre un terme à

la réunion le plus vite possible, puisqu'ils avaient tous beaucoup de travail en

perspective.

- Katarina Taxell, dit-il. Comme vous le savez, elle a disparu. Elle a quitté son domicile à bord d'une Golf rouge au conducteur non identifié.

Son départ doit être qualifié de précipité. Birch s'attend sans doute à une réaction de notre part. La mère de Katarina Taxell veut que nous lancions un avis de recherche. Ce que nous pouvons difficilement lui refuser, en sa qualité de plus proche parente. Mais je crois que nous devrions attendre.

Au moins un jour de plus.

- Pourquoi ? demanda Per ¬keson.

- Je soupçonne qu'elle va essayer d'entrer en contact. Pas avec nous naturellement. Mais avec sa mère. Katarina Taxell se doute bien qu'elle est inquiète. Elle va lui téléphoner pour la rassurer. Mais elle ne lui dira malheureusement pas o˘ elle se trouve. Ni avec qui.

Wallander se tourna directement vers Per ¬keson.

- Je veux donc qu'il y ait quelqu'un chez la mère de Katarina Taxell pour enregistrer cette conversation.

- Si elle n'a pas déjà eu lieu, coupa Hansson en se levant. Donne-moi le numéro de Birch.

Ann-Britt Hôglund nota le numéro sur un papier, et Hansson quitta aussitôt la pièce.

- Rien de plus pour l'instant, dit Wallander. Retrouvons-nous ici à dix-sept heures. S'il ne s'est pas produit autre chose entre-temps.

Le téléphone sonna au moment o˘ Wallander entrait dans son bureau. C'était Martinsson. Il voulait savoir si Wallander

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pouvait le voir à quatorze heures, chez lui si possible. Wallander promit d'y être. Puis il quitta le commissariat. Il déjeuna au Continental. Il trouvait que c'était au-dessus de ses moyens, mais il avait faim et il était pressé. Il s'assit à une table, seul, près de la fenêtre, et salua de la tête des gens qui passaient, surpris et blessé de voir que personne ne s'arrêtait pour lui présenter ses condoléances. Pourtant, le décès de son père avait été annoncé dans les journaux. Les nouvelles de la mort se répandaient rapidement. Ystad était une petite ville. Il prit le flétan, et une bière. La serveuse était jeune et rougissait chaque fois qu'il la regardait. Il se demanda avec compassion comment elle allait supporter ce métier.

¿ quatorze heures, il sonnait chez Martinsson. Ils s'assirent dans la cuisine. Tout était silencieux. Martinsson était seul à la maison.

Wallander l'interrogea sur Terese. Elle avait repris l'école. Martinsson était p‚le, tendu. Wallander ne l'avait jamais vu si abattu et déprimé.

- que dois-je faire ? demanda Martinsson.

- que dit ta femme ? que dit Terese ?

- que je dois continuer, bien s˚r. Ce ne sont pas elles qui veulent que j'arrête. C'est moi.

Wallander attendit. Mais Martinsson n'ajouta rien

- Tu te souviens, il y a quelques années, commença Wal lander. quand j'ai abattu quelqu'un, dans le brouillard, à K‚seberga. Et tué quelqu'un en voiture, sur le pont d'‘land. Je suis resté absent pendant près d'un an.

Vous pensiez même que j'avais démissionné. Puis il y a eu l'histoire des avocats Torstensson. Et tout a changé du jour au lendemain. Je m'apprêtais à signer ma lettre de démission. Au lieu de cela, je suis retourné au travail.

Martinsson acquiesça. Il s'en souvenait.

- Maintenant, après coup, je suis content d'avoir pris cette décision. Le seul conseil que je peux te donner, c'est de ne pas agir dans la précipitation. Attends. Continue de travailler encore un peu. Décide-toi ensuite. Je ne te demande pas d'oublier. Je te demande de patienter. Tout le monde regrette ton absence. Tout le monde sait que tu es un bon policier. On sent la différence, dès que tu n'es pas là.

Martinsson écarta les mains comme pour se défendre.

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- Non, dit-il. Je connais certaines choses du métier. Mais tu ne vas pas me faire croire que je suis irremplaçable.

- Personne ne peut te remplacer. Toi, précisément. C'est ce que je suis en train de te dire.

Wallander s'était préparé à l'éventualité d'une très longue conversation.

Martinsson ne dit rien pendant quelques minutes. Puis il se leva et quitta la cuisine. Lorsqu'il revint, il avait enfilé son blouson.

-On y va? dit-il.

- Oui. On a du pain sur la planche.

Dans la voiture, Wallander lui donna un bref compte rendu des événements des derniers jours. Martinsson l'écouta sans faire de commentaire.

¿ l'accueil, ils furent interceptés par Ebba, qui ne prit même pas le temps de souhaiter la bienvenue à Martinsson. Wallander comprit aussitôt qu'il s'était passé quelque chose.

- Ann-Britt Hôglund vous cherche, dit-elle. C'est urgent.

- qu'est-ce qui se passe?

- Une certaine Katarina Taxell a appelé sa mère. Wallander regarda Martinsson.

Il ne s'était donc pas trompé.

Mais c'était arrivé plus vite qu'il ne le pensait.

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Ils n'étaient pas arrivés trop tard.

Birch avait eu le temps d'installer le matériel d'enregistrement chez Hedwig Taxell. Il fallut à peine une heure pour transférer la cassette de Lund à Ystad. Ils se rassemblèrent dans le bureau de Wallander, o˘ Svedberg avait apporté un magnétophone.

Ils écoutèrent dans un silence tendu la conversation de Katarina Taxell avec sa mère. Une communication brève. Ce fut d'ailleurs la première pensée de Wallander. Katarina Taxell ne voulait pas en dire plus que nécessaire.

Ils écoutèrent la bande une première fois, puis une deuxième. Svedberg tendit un casque à Wallander pour qu'il puisse entendre les deux voix plus distinctement.

- Maman ? C'est moi.

- Mon Dieu, o˘ es-tu ? que s'est-il passé ?

- Rien du tout. Nous allons bien.

- O˘ es-tu ?

- Chez une amie.

- Chez qui ?

- Une amie. Je voulais juste t'appeler pour te dire que tout va bien.

- que s'est-il passé ? Pourquoi as-tu disparu ?

- Je t'expliquerai un autre jour.

- Chez qui es-tu ?

- Tu ne sais pas qui c'est.

- Ne raccroche pas. quel est ton numéro de téléphone ?

- Je dois y aller maintenant. Je voulais juste t'appeler pour que tu ne t'inquiètes pas.

La mère essayait d'ajouter quelque chose. Mais Katarina 489

Taxell raccrocha. Le dialogue consistait en quatorze répliques, dont la dernière était interrompue.

Ils réécoutèrent la bande une vingtaine de fois. Svedberg nota les répliques sur un bout de papier.

- C'est la onzième phrase qui nous intéresse, dit Wallan-der. ´ Tu ne sais pas qui c'est. ª que veut-elle dire par là?

- qu'elle ne la connaît pas, dit Ann-Britt Hoglund.

- Ce n'est pas tout à fait ça. ´ Tu ne sais pas qui c'est. ª Cela peut signifier deux choses. que la mère ne l'a jamais rencontrée. Ou alors que la mère n'a pas compris ce qu'elle représentait pour Katarina Taxell.

- La première hypothèse est quand même plus plausible, dit Ann-Britt Hoglund.

- J'espère que tu te trompes, répondit Wallander. Cela nous aiderait considérablement si nous pouvions l'identifier.

Pendant ce temps, Nyberg réécoutait la cassette. Le bruit qui s'échappait du casque leur indiquait qu'il avait monté le volume au maximum.

- On entend un bruit de fond, dit-il lorsqu'il eut fini.

quelque chose qui cogne.

Wallander prit le casque. Nyberg avait raison. Un choc sourd et régulier à !'arrière-plan. Les autres écoutèrent à tour de rôle. Personne ne put identifier le bruit.

- O˘ est-elle? demanda Wallander. Elle est arrivée quelque part. Elle se trouve chez cette femme qui est venue la chercher en voiture. Et il y a quelque chose qui cogne à

l'arrière-plan.

- Il y a peut-être un chantier pas loin, proposa Martinsson. C'étaient ses premières paroles depuis qu'il avait décidé

de reprendre le travail.

- C'est une possibilité, concéda Wallander.

Ils réécoutèrent la bande. Le bruit sourd et régulier était bien là.

Wallander prit une décision.

- Envoyons la bande au labo de Linkôping. Demandons une analyse. Si ce bruit pouvait être identifié, ça nous

aiderait.

- Des chantiers, il y en a plein, rien qu'en Scanie, objecta Hamrén.

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- C'est peut-être autre chose, dit Wallander.

Nyberg disparut avec la bande. Les autres s'attardèrent dans le bureau de Wallander, appuyés à la table ou contre les murs.

- Trois choses comptent à partir de maintenant, dit Wallander. Nous devons nous concentrer. Laisser provisoirement de côté certaines données de l'enquête. Il faut continuer à reconstituer la vie de Katarina Taxell. Son passé, ses amis, ses déplacements, etc. qui est-elle? autrement dit. C'est la première question. qui nous conduit à la deuxième : chez qui est-elle ?

Il marqua une pause avant de poursuivre.

- Nous attendrons le retour de Hansson. Mais je pense que notre troisième t

‚che sera de commencer à creuser, chez Holger Eriksson.

Personne n'avait d'objection à faire. Ils se séparèrent. Wallander comptait se rendre à Lund en emmenant Ann-Britt Hoglund. On était déjà en fin d'après-midi.

Tu is quelqu'un pour garder les enfants? demanda-t-il lorsqu'ils se retrouvèrent seuls.

- Oui. J'ai de la chance, ma voisine a besoin d'argent en ce moment.

- Comment te débrouilles-tu financièrement? Ton salaire n'est pas très élevé...

- Très mal. Mais mon mari gagne bien sa vie. C'est ça qui nous sauve. «a fait de nous une famille privilégiée.

Wallander appela Birch pour le prévenir de leur arrivée. Il demanda à Ann-Britt Hoglund s'ils pouvaient prendre sa voiture à elle. Il ne faisait plus confiance à la sienne. Malgré la réparation qui avait co˚té une fortune.

Le paysage disparut peu à peu dans le crépuscule. Un vent froid soufflait sur les champs.

- Nous commençons par rendre visite à la mère de Katarina Taxell, dit Wallander. Puis nous retournons à l'appartement.

- que penses-tu trouver? Tu as déjà fouillé cet appartement. Et tu n'as pas l'habitude de faire les choses à moitié.

- Rien de neuf, peut-être. Mais éventuellement un lien entre deux détails que je n'aurais pas découvert auparavant.

Elle conduisait vite.

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- Est-ce que tu démarres sur les chapeaux de roues? dit soudain Wallander.

Elle lui jeta un coup d'oil.

- «a arrive. Pourquoi ?

- Parce que je me demande si c'était une femme au volant de la Golf rouge.

qui est venue chercher Katarina

Taxell.

- N'en sommes-nous pas tout à fait s˚rs ?

- Non, fit Wallander avec force. Nous n'en sommes pas tout à fait s˚rs.

Nous ne sommes tout à fait s˚rs de rien.

Il regardait par la vitre. Ils venaient de dépasser le ch‚teau de Marsvinsholm.

- Autre chose que nous ne savons pas avec certitude, dit-il après un silence. Mais dont je suis de plus en plus persuadé.

-quoi?

- Elle est seule. Il n'y a pas d'homme à ses côtés. II n'y a personne. Nous ne cherchons pas quelqu'un qui pourrait nous conduire à quelqu'un d'autre.

Il n'y a pas d'arrière-plan. Derrière elle, il n'y a que du vide. C'est elle. Personne

d'autre.

- Ce serait elle qui aurait commis les meurtres ? qui aurait dressé le piège hérissé de pieux ? …tranglé Runfeldt après l'avoir retenu prisonnier?

Jeté Blomberg à l'eau, vivant, dans un sac ?

Wallander répondit par une autre question.

- Tu te rappelles qu'au début de l'enquête nous parlions déjà du langage du meurtrier? Du fait qu'il ou elle voulait nous raconter quelque chose? De l'aspect démonstratif de ses méthodes ?

Elle s'en souvenait.

- Ce qui me frappe maintenant, c'est que nous avions vu juste dès le début.

Mais nous l'avons mal interprété.

- En pensant que ce comportement ne pouvait s'appliquer qu'à un homme ?

- Peut-être pas le comportement en lui-même. Mais ses actes nous ont tout de suite évoqué des hommes brutaux.

- Nous aurions d˚ alors penser aux victimes. Puisque c'étaient des hommes brutaux...

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- Justement. Aux victimes, pas au meurtrier. Nous avons mal interprété ce que nous voyions.

- C'est difficile, pourtant. De penser qu'une femme puisse être capable de ça. Je ne parle pas de la force physique. Moi, par exemple, je suis aussi forte que mon mari. Il a beaucoup de mal à me battre quand on joue au bras de fer.

Wallander la considéra avec surprise. Elle s'en aperçut et eut un rire bref.

- On s'amuse comme on peut. Wallander hocha la tête.

- Je me rappelle que je jouais au doigt de fer avec ma mère quand j'étais petit, dit-il. Mais je crois que c'était moi qui gagnais.

- Elle te laissait peut-être gagner. Ils prirent la sortie vers Sturup.

- Je ne sais pas comment cette femme justifie ses actes, reprit Wallander.

Mais si nous la retrouvons, je crois que nous découvrirons quelqu'un qui ne ressemble à rien de ce que nous avons pu croiser jusqu'ici, de près ou de loin.

- Un monstre au féminin ?

- Peut-être. Mais même ça, ce n'est pas s˚r.

Le téléphone de voiture sonna, interrompant la conversation. C'était Birch.

Il expliqua à Wallander comment se rendre chez la mère de Katarina Taxell.

- quel est son prénom ? demanda Wallander.

- Hedwig. Hedwig Taxell.

Birch promit de la prévenir de leur arrivée. Dans une demi-heure environ.

Le crépuscule enveloppait la voiture.

Birch les accueillit sur le perron. Hedwig Taxell habitait la dernière maison d'une rangée de pavillons accolés, un peu en dehors de la ville. Le lotissement devait dater du début des années soixante. Des boîtes carrées tournées vers de petits jardins intérieurs. Il se souvenait d'avoir lu que ces toitures plates avaient tendance à s'effondrer après de grosses chutes de neige. Birch les avait attendus pendant qu'ils cherchaient l'adresse.

- On a tout juste eu le temps d'installer le magnéto, dit-il.

493

L

- Nous n'avons pas été g‚tés par la chance jusqu'ici, répliqua Wallander.

quelle impression te fait Hedwig Taxell ?

- Elle est très inquiète pour sa fille et pour le bébé. Mais elle paraît plus calme que la dernière fois.

- Est-ce qu'elle va nous aider? Ou bien protège-t-elle sa fille?

- Je crois tout simplement qu'elle voudrait savoir o˘ elle est.

Il les précéda dans le séjour. Wallander eut le sentiment confus que cette pièce ressemblait à l'appartement de la fille. Hedwig Taxell se leva à leur entrée. Birch se tenait comme d'habitude à l'arrière-plan. Wallander l'observa. Elle était p‚le. Son regard errait avec inquiétude. Wallander n'était pas surpris. Il avait entendu à sa voix, sur la cassette, qu'elle était angoissée et tendue, près de craquer. C'était pour cela qu'il avait tenu à emmener Ann-Britt Hoglund. Elle n'avait pas son pareil pour calmer les gens agités. Hedwig Taxell ne paraissait pas sur la défensive. Il eut le sentiment que leur présence la soulageait plutôt, en lui évitant d'être seule. Ils s'assirent. Wallander avait préparé ses premières questions.

- Madame Taxell, nous avons besoin de votre aide pour répondre à un certain nombre de questions concernant Katarina.

- Comment pourrait-elle savoir quoi que ce soit sur ces horribles meurtres ? Elle a accouché il y a peu de temps, vous savez.

- Nous ne pensons pas du tout qu'elle soit impliquée, dit Wallander aimablement. Mais nous sommes obligés de réunir un maximum d'informations.

- De quoi serait-elle informée ?

- C'est justement ce que je voudrais que vous me disiez.

- Ne pourriez-vous pas plutôt la retrouver ? Je ne comprends pas ce qui a pu se passer.

- Je ne pense pas du tout qu'elle soit en danger, dit Wallander sans parvenir à dissimuler entièrement son hésitation.

- Elle ne s'est jamais comportée ainsi auparavant.

- Vous n'avez aucune idée de l'endroit o˘ elle peut être?

- Non. C'est incompréhensible.

- Katarina a peut-être beaucoup d'amis?

494

- Non. Mais ceux qu'elle a sont des amis proches. Je ne comprends pas o˘

elle peut être.

- Y aurait-il quelqu'un qu'elle ne voit pas régulièrement ? Dont elle aurait fait la connaissance ces derniers temps?

- qui donc ?

- Ou quelqu'un qu'elle aurait rencontré avant? Et qu'elle aurait recommencé

à fréquenter récemment?

- Je l'aurais su. Nous avons une bonne relation. Bien meilleure que les mères et les filles en général.

- Je ne sous-entends pas qu'elle vous aurait dissimulé quoi que ce soit, dit Wallander avec patience. Mais il est très rare qu'on sache tout de quelqu'un. Savez-vous, par exemple, qui est le père de son enfant?

Wallander n'avait pas eu l'intention d'être brutal. Mais elle recula.

- J'ai essayé de le lui faire dire. Elle n'a pas voulu.

- Vous ne savez donc pas qui c'est? Vous ne pouvez même pas deviner?

- Je ne savais même pas qu'elle avait une relation avec un homme.

- Vous saviez pourtant qu'elle avait eu une liaison avec Eugen Blomberg ?

- Oui. Mais je ne l'aimais pas.

- Pourquoi ? Parce qu'il était déjà marié ?

- «a, je ne l'ai su qu'en lisant le journal. «a a été un choc pour moi.

- Pourquoi ne l'aimiez-vous pas ?

- Je ne sais pas. Il me mettait mal à l'aise.

- Saviez-vous qu'il maltraitait Katarina? L'épouvante qu'elle manifesta était absolument sincère.

L'espace d'un instant, Wallander eut pitié d'elle. Un monde s'effondrait.

Elle serait à présent contrainte d'admettre qu'elle ignorait presque tout de sa fille. que la complicité à laquelle elle croyait n'était qu'une coquille vide. Ou du moins, qu'elle était très limitée. -Il la battait?

- Il la maltraitait.

Elle le fixait d'un regard incrédule. Mais elle comprenait qu'il disait la vérité. Elle ne pouvait pas se défendre.

495

- Je crois aussi qu'il y a une possibilité qu'Eugen Blom-berg soit le père de l'enfant. Bien qu'elle ait rompu avec

lui.

Elle secoua lentement la tête. Mais elle ne dit rien. Wal-lander se demanda si elle allait s'effondrer à nouveau. Il jeta un regard à Ann-Britt Hôglund. Elle fit un signe affirmatif, qu'il interpréta comme un encouragement à poursuivre. Birch se tenait immobile à l'arrière-plan.

- Ses amies, dit Wallander. Nous devons les rencontrer.

Leur parler.

- Je vous ai déjà dit qui c'était. Et vous leur avez déjà

parlé. Elle mentionna trois noms. Wallander se tourna vers Birch, qui acquiesça.

- Il n'y a personne d'autre?

- Non.

- Fait-elle partie d'une association?

- Non.

- A-t-elle fait des voyages à l'étranger?

- Nous faisons un voyage ensemble chaque année. En général pendant les vacances de février. ¿ Madère. Au Maroc.

En Tunisie.

- Elle n'a pas de centres d'intérêt particuliers?

- Elle lit beaucoup. Elle écoute de la musique. Mais son entreprise de produits capillaires lui prend beaucoup de temps. Elle travaille dur.

-Rien d'autre?

- Elle a parfois joué au badminton.

- Avec qui ? L'une de ses trois amies ?

- Avec un professeur. Je crois qu'elle s'appelait Carlman. Mais je ne l'ai jamais rencontrée.

Wallander ne savait pas si c'était important. Mais c'était tout de même un nouveau nom.

- Vous ne vous souvenez pas de son prénom?

- Je ne l'ai jamais rencontrée.

- O˘ avaient-elles l'habitude déjouer?

- Au stade Victoria. On peut s'y rendre à pied de chez Katarina. Birch quitta discrètement sa place et sortit de la pièce.

496

Wallander savait qu'il allait commencer les recherches. Cinq minutes plus tard, Birch réapparut et fit signe à Wallander qui se leva et le rejoignit dans le vestibule. Pendant ce temps, Ann-Britt Hôglund essayait d'établir ce que savait exactement Hedwig Taxell à propos de la relation de sa fille avec Eugen Blomberg.

- «a a été facile, dit Birch. Annika Carlman. C'était elle qui réservait et payait le court de badminton. J'ai l'adresse. Ce n'est pas loin d'ici. Lund est encore une petite ville.

- Alors on y va, dit Wallander. Il retourna dans le séjour.

- Annika Carlman, dit-il. Elle habite Bankgatan, ici, à Lund.

- Je n'ai jamais entendu son prénom, dit Hedwig Taxell.

- On vous laisse un moment, poursuivit Wallander. Nous devons lui parler tout de suite.

Ils prirent la voiture de Birch. Il leur fallut moins de dix minutes pour trouver l'adresse. Il était dix-huit heures trente. Annika Carlman vivait dans un immeuble datant du début du siècle. Birch sonna en bas. Une voix d'homme répondit à l'Interphone. Birch se présenta. Le portail s'ouvrit et ils montèrent au deuxième étage. Une porte était ouverte. Un homme les attendait. Il se présenta.

- Je suis le mari d'Annika, dit-il. que s'est-il passé?

- Rien, dit Birch. Nous voulons juste lui poser quelques questions.

Il les fit entrer. L'appartement était vaste et meublé avec recherche. On entendait au loin de la musique et des voix d'enfants. Annika Carlman apparut. Elle était grande et portait des vêtements de sport.

- Ce sont des policiers qui veulent te parler. Mais apparemment, il ne s'est rien passé.

- Nous voudrions vous poser quelques questions à propos de Katarina Taxell, expliqua Wallander.

Ils s'assirent dans une pièce remplie de livres. Wallander se demanda si le mari d'Annika Carlman était professeur, lui aussi.

Il commença sans détour.

- tes-vous une amie proche de Katarina Taxell?

497

- Nous jouions au badminton ensemble. Mais nous ne nous fréquentions pas.

- Vous savez évidemment qu'elle a eu un enfant?

- Nous n'avons pas joué depuis cinq mois pour cette raison.

- Vous aviez le projet de reprendre ?

- Nous avions convenu qu'elle me rappellerait. Wallander nomma les trois amies.

- Je ne les connais pas ; nous jouions seulement au badminton ensemble.

- quand avez-vous commencé ?

- Il y a cinq ans à peu près. Nous étions profs dans la même école.

- Est-il possible de jouer au badminton régulièrement avec quelqu'un pendant cinq ans sans se connaître ?

- C'est tout à fait possible.

Wallander se demanda comment poursuivre. Annika Carl-man répondait de façon claire à ses questions. Pourtant, il sentait qu'ils s'éloignaient de quelque chose.

- Vous ne l'avez jamais vue en compagnie de quelqu'un?

- Homme ou femme ?

- Disons un homme, pour commencer.

- Non.

- Pas même à l'époque o˘ vous travailliez ensemble?

- Elle était assez solitaire. Il y avait un collègue qui s'intéressait à

elle. Elle le traitait avec beaucoup de froideur. Elle l'a carrément repoussé, on peut dire. Mais elle n'avait aucun problème avec les élèves.

Elle était compétente. Une prof têtue et compétente.

- L'avez-vous jamais vue en compagnie d'une femme? Wallander avait abandonné tout espoir avant même de

poser la question. Mais il s'était résigné trop tôt.

- Oui, répondit-elle. Il y a environ trois ans.

- qui était-ce ?

- Je ne connais pas son nom. Mais je sais ce qu'elle fait. Toute cette histoire repose sur une étrange coÔncidence.

-que fait-elle?

- Maintenant, je ne sais pas. Mais à l'époque, elle était serveuse de wagon-restaurant.

498

Wallander fronça les sourcils.

- Vous avez croisé Katarina Taxell dans un train?

- Je l'ai aperçue un jour par hasard, en ville, en compagnie d'une femme.

Je marchais sur le trottoir opposé. Nous ne nous sommes même pas saluées.

quelques jours plus tard, j'ai d˚ me rendre à Stockholm et je suis allée à

la voiture-bar. Au moment de payer, j'ai reconnu l'employée. C'était la femme que j'avais vue en compagnie de Katarina.

- Vous ne savez pas comment elle s'appelle, évidemment?

- Non.

- En avez-vous parlé à Katarina après ?

- Non. J'avais sans doute déjà oublié. C'est important? Wallander pensa soudain à l'indicateur des chemins de fer

dans le secrétaire de Katarina Taxell.

- Peut-être. quel jour était-ce ? quel train ?

- Comment pourrais-je m'en souvenir? demanda-t-elle, surprise. C'était il y a trois ans.

- Vous avez peut-être un vieil agenda? Cette information nous serait très utile.

Son mari, qui n'avait rien dit jusque-là, se leva.

- Je vais le chercher, dit-il. C'était en 1991 ou en 1992? Elle réfléchit.

- 1991. Février ou mars.

Ils attendirent quelques minutes en silence. La musique avait été remplacée par des bruits de télévision. Le mari d'Annika Carlman revint et lui tendit un vieil agenda noir. Elle le feuilleta et trouva rapidement ce qu'elle cherchait.

- Je suis partie pour Stockholm le 19 février 1991. Départ du train : 7 h 12. Je suis rentrée trois jours plus tard. Je rendais visite à ma sour.

- Vous n'avez pas revu la femme au retour?

- Je ne l'ai jamais revue.

- Mais vous êtes s˚re que c'était elle? La même femme que vous avez croisée dans la rue, ici, à Lund ? En compagnie de Katarina?

-Oui.

Wallander la considéra pensivement.

- Voyez-vous autre chose qui pourrait nous aider? Elle secoua la tête.

499

- Je me rends compte maintenant que je ne sais rien de Katarina. Sauf que c'est une bonne joueuse de badminton.

- Comment décririez-vous sa personnalité?

- Difficile à cerner... Ce qui est peut-être une description en soi, d'ailleurs. Elle est d'humeur changeante. Elle peut être abattue. Mais le jour o˘ je l'ai vue avec la serveuse dans la rue, elle riait.

- En êtes-vous s˚re ? -Oui.

- Autre chose ?

Wallander vit qu'elle faisait un effort pour les aider.

- Je crois que son père lui manque, dit-elle après un moment.

- qu'est-ce qui vous fait dire cela?

- Je ne sais pas. C'est plutôt une intuition. La façon dont elle se comportait avec les hommes qui avaient l'‚ge d'être son père.

- Comment se comportait-elle?

- Elle manquait de naturel. Comme si son assurance la quittait tout à coup.

Wallander considéra intérieurement cette réponse. Il pensait au père de Katarina, mort alors qu'elle était encore enfant. Cela pouvait-il éclairer sa relation avec Eugen Blomberg?

Il la regarda à nouveau. -Rien d'autre?

- Non.

Wallander fit un signe de tête à Birch et se leva.

- Alors nous n'allons pas vous déranger davantage.

- Excusez ma curiosité, dit-elle. Pourquoi la police veut-elle savoir tout cela s'il n est rien arrivé ?

- Il est arrivé beaucoup de choses, répondit Wallander. Mais pas à

Katarina. C'est la seule réponse que je peux vous donner.

Ils quittèrent l'appartement.

- Nous devons retrouver cette serveuse, dit Wallander dans l'escalier.

¿ part une photo de jeunesse lorsqu'elle était en visite à Copenhague, on n'a pas l'impression que Katarina Taxell soit quelqu'un qui rit très souvent.

500

- Les chemins de fer ont sans doute des listes de tout leur personnel, dit Birch. Mais pourrons-nous les obtenir dès ce soir? C'était il y a trois ans, malgré tout.

- Nous devons essayer. Je ne veux pas t'imposer ça, bien s˚r. Nous pouvons nous en occuper depuis Ystad.

- Vous avez déjà assez à faire, répondit Birch. Je m'en charge.

Wallander sentit qu'il était sincère. Ce n'était pas un sacrifice.

Ils retournèrent en voiture chez Hedwig Taxell. Birch le déposa et poursuivit jusqu'au commissariat pour lancer les recherches concernant la serveuse des wagons-lits. N'était-ce pas une mission impossible ?

Wallander s'apprêtait à sonner à la porte lorsque son téléphone portable bourdonna. C'était Martinsson. Il entendit à sa voix qu'il commençait à

sortir de son abattement. «a allait plus vite que Wallander n'aurait osé

l'espérer.

- Comment ça va? demanda Martinsson. Tu es encore à Lund?

- Nous essayons de retrouver la trace d'une serveuse de voiture-bar, répondit Wallander.

Martinsson eut le bon sens de ne pas insister.

- Ici, dit-il, il s'est passé pas mal de choses. Tout d'abord, Svedberg a rencontré le type qui imprimait les recueils de poèmes de Holger Eriksson.

Un homme très ‚gé, mais en pleine forme, d'après Svedberg. Il ne s'est pas fait prier pour dire ce qu'il pensait d'Eriksson. Apparemment, il avait toujours des difficultés à se faire payer.

- Et à part ça?

- Il semblerait que Holger Eriksson faisait des voyages fréquents et réguliers en Pologne, depuis les années d'après guerre. Il profitait de la misère là-bas pour se payer des femmes. ¿ son retour, il avait l'habitude de se vanter de ses conquêtes. Le vieil imprimeur n'a pas hésité à dire le fond de sa pensée.

Wallander se rappela une remarque de Sven Tyrén au cours de l'un de leurs premiers entretiens. Il en avait à présent la confirmation. Krista Haberman n'était pas la seule Polonaise dans la vie de Holger Eriksson.

501

- Svedberg se demandait s'il valait la peine de prendre contact avec la police polonaise, dit Martinsson.

- …ventuellement. Mais on va peut-être attendre un peu.

- Il y a aussi autre chose. Je te passe Hansson.

Il y eut un grésillement. Puis Wallander reconnut la voix de Hansson.

- Je crois que je commence à avoir une liste assez complète des gens qui ont cultivé les terres de Holger Eriks-son. Il s'en dégage une constante.

- Laquelle?

- La bagarre. Holger Eriksson avait une faculté extraordinaire de se brouiller avec les gens. On pourrait croire que sa plus grande passion dans la vie était de se faire de nouveaux ennemis.

- Et les terres ? fit Wallander avec impatience.

La voix de Hansson avait changé lorsqu'il répondit. Elle était plus grave.

- Le fossé. Celui o˘ nous avons retrouvé Holger Eriksson empalé... -Oui. quoi?

- Il a été creusé il y a un certain nombre d'années. Il n'existait pas au début. Personne n'a compris pourquoi Eriksson voulait un fossé, alors qu'il n'était même pas utile au drainage. La terre de l'excavation a surélevé la colline. ¿ l'endroit o˘ se dresse la tour.

- Je ne m'étais pas imaginé un fossé, dit Wallander lentement. «a ne paraît pas coller avec l'idée d'une tombe.

- Moi non plus. Puis j'ai appris quelque chose qui m'a fait changer d'avis.

Wallander retint son souffle.

- Le fossé a été creusé en 1967, dit Hansson. Le cultivateur auquel j'ai parlé en était absolument certain. Il a été creusé à la fin de l'automne 1967.

Wallander comprit aussitôt l'importance de cette information.

- «a coÔncide exactement avec la disparition de Krista Haberman, dit-il.

- Mon cultivateur était plus précis que cela. Le fossé a été creusé à la fin du mois d'octobre. Il s'en souvenait à cause 502

d'un mariage célébré à Lodinge le dernier jour d'octobre de la même année.

Si nous partons de la date o˘ Krista Haberman a été vue pour la dernière fois, ça colle parfaitement. Il la ramène en voiture de Svenstavik. Il la tue. Il l'enterre. Il fait creuser un fossé, qui n'a aucune utilité en dehors de celle-là.

- Bien, dit Wallander. On a franchi un pas important.

- Si elle y est, je sais o˘ nous devons chercher. Le cultivateur affirme qu'ils ont commencé à creuser au sud-est de la colline. Eriksson avait loué

une pelleteuse. Les premiers jours, il a creusé seul. Le reste du travail a été confié à d'autres gens.

- Alors c'est là que nous allons commencer. Wallander sentit aussitôt croître son malaise. Il espérait se

tromper. Mais maintenant, il était à peu près certain que Krista Haberman se trouvait près de l'endroit localisé par Hansson.

- Nous commençons demain, poursuivit Wallander. Je veux que tu prépares tout.

- «a va être impossible de garder le secret.

- Nous devons au moins essayer. Je veux que tu en parles à Lisa Holgersson, à Per ¬keson et aux autres.

- Je me pose une question, dit Hansson d'une voix hésitante. Admettons que nous retrouvions son corps. qu'est-ce que ça prouve, au fond ? que Holger Eriksson l'a tuée ? «a, nous pouvons le supposer de toute manière, même si nous ne pourrons lamais prouver la culpabilité d'un mort. Pas dans "**

as-"i. Mais qu'est-ce que cela impliquera pour l'enquête en 'lours ?

La question était plus que justifiée.

- Tout d'abord, cela nous apprendra que nous sommes sur la bonne voie. que le mobile qui relie ces meurtres est la vengeance. Ou la haine.

- Et tu penses toujours que c'est une femme ?

- Oui. Plus que jamais.

Après cette conversation, Wallander s'attarda un moment dehors. C'était une soirée d'automne limpide, dégagée. Un vent léger caressait son visage.

Ils étaient lentement en train d'approcher quelque chose Le noyau qu'il cherchait depuis un mois exactement.

503

Pourtant, il n'avait aucune idée de ce qu'ils trouveraient. La femme qu'il tentait d'apercevoir ne cessait de lui

échapper. En même temps, il devinait que, d'une manière ou d'une autre, il pourrait peut-être la comprendre. Puis il sonna à la porte de Hewig Taxell et entra.

*

Elle ouvrit la porte avec précaution. Le bébé était allongé sur le dos dans le petit lit qu'elle avait acheté le jour même. Katarina Taxell était recroquevillée en position fotale dans l'autre lit. Immobile, elle contempla les dormeurs. C'était comme si elle se voyait elle-même. Ou peut-

être était-ce sa sour dans le lit d'enfant.

Soudain, sa vue se brouilla. Il y avait du sang partout. Ce n'était pas seulement l'enfant qui naissait dans le sang. La vie elle-même avait son origine dans le sang qui coulait lorsqu'on transperçait la peau. Le sang qui gardait le souvenir des veines dans lesquelles il avait coulé. Elle le voyait très clairement. Sa mère qui hurlait, étendue jambes écartées sur une table, et l'homme qui se penchait sur elle. Cela faisait plus de quarante ans, mais le temps se ruait sur elle et l'assaillait par-derrière.

Toute sa vie, elle avait essayé de lui échapper. Mais c'était impossible.

Les souvenirs la rattrapaient toujours.

Maintenant, elle savait qu'ils n'étaient plus une menace pour elle. Pas depuis que sa mère était morte et qu'elle avait la liberté d'agir comme elle le voulait. Comme elle le devait. Pour tenir les souvenirs à distance.

La sensation de vertige la quitta aussi vite qu'elle était venue. Elle s'approcha du lit avec précaution et contempla l'enfant endormi. Ce n'était pas sa sour. Cet enfant-ci avait déjà un visage. Sa sour n'en avait pas, on ne l'avait pas laissée vivre assez longtemps pour cela. C'était le nouveau-né de Katarina Taxell. Pas l'enfant de sa mère. L'enfant de Katarina Taxell, qui ne connaîtrait jamais la torture. qui ne serait jamais pourchassé par les souvenirs. Elle avait retrouvé son calme. Les images étaient parties. Elle se dit que son action était juste. Elle faisait en sorte

504

que d'autres ne subissent pas ce qu'elle avait subi. Les hommes qui s'étaient rendus coupables et que la société ne punissait pas, elle les menait sur le plus difficile des chemins. Du moins, elle se figurait qu'il en était ainsi. qu'un homme qui se faisait ôter la vie par une femme ne pouvait jamais vraiment comprendre ce qui lui arrivait.

Tout était calme. C'était le plus important. Elle avait eu raison d'aller la chercher. De lui parler calmement, de l'écouter et de lui dire que tout était pour le mieux. Eugen Blomberg s'était noyé. Ce que racontaient les journaux à propos d'un sac n'était que rumeurs et exagérations sensationnelles. Eugen Blomberg n'était plus. S'il avait trébuché, s'il était tombé à l'eau, ce n'était la faute de personne. Le destin avait tranché. Et le destin était juste. Elle l'avait répété, plusieurs fois, et il lui semblait que Katarina Taxell commençait à comprendre.

Elle avait eu raison d'aller la chercher. Même si cela l'avait obligée la veille à informer les femmes qui devaient venir que la réunion était annulée cette semaine. Elle ne voulait pas modifier son emploi du temps.

Cela engendrait du désordre et perturbait son sommeil. Mais cette fois, elle avait d˚ le faire. On ne pouvait pas tout prévoir. Même si elle aurait préféré ne pas l'admettre.

Tant que Katarina et son enfant étaient là, elle habitait elle aussi la maison de Vollsjo. Elle n'avait emporté que le strict nécessaire de son appartement d'Ystad. Ses uniformes et la petite boîte o˘ elle conservait les bouts de papier et le registre de noms. Maintenant que Katarina et son enfant étaient endormis, il n'y avait plus aucune raison d'attendre. Elle éparpilla les bouts de papier sur le dessus du four à pain, les mélangea et commença à les ramasser l'un après l'autre, au hasard. Le neuvième portait la croix noire. Elle ouvrit son registre, suivit lentement la colonne du doigt, s'arrêta à la neuvième ligne et lut le nom qui était inscrit en face. Tore Grundén. Elle leva la tête et resta ainsi, immobile, le regard fixe. L'image de l'homme apparut lentement. Tout d'abord comme une ombre vague aux contours flous, presque insaisissable. Puis un visage, une identité. Maintenant elle se rappelait. qui il était. Ce qu'il avait fait.

505

C'était plus de dix ans auparavant. Un soir, peu avant NoÎl, alors qu'elle était de service, aux urgences. Elle travaillait encore à l'hôpital de Malmô à cette époque. La femme qui était arrivée en ambulance était déjà

morte. Un accident. Son mari était là. Secoué, mais sans excès. Elle l'avait aussitôt soupçonné. Elle avait vécu la situation tant de fois auparavant. Puisque la femme était morte, on n'avait rien pu faire. Elle avait pris l'un des policiers à part et lui avait demandé ce qui s'était passé, au juste. Un accident tragique. Son mari était sorti du garage en marche arrière sans la voir. Elle se trouvait derrière la voiture. Il l'avait écrasée, sa tête s'était retrouvée sous l'une des roues de la voiture lourdement chargée. C'était le genre d'accident qui n'aurait jamais d˚ se produire. Mais qui se produisait malgré tout.

Elle avait profité d'un moment o˘ elle était seule pour écarter le drap et contempler la morte. Elle n'était pas médecin, mais il lui sembla bien que ce corps-là avait été écrasé plus d'une fois. Elle avait enquêté

discrètement. La femme avait fait plusieurs séjours à l'hôpital. Une fois, elle était tombée d'une échelle. Une autrefois, elle avait trébuché, dans la cave, et sa tête avait heurté le sol en ciment. Elle rédigea une lettre anonyme à la police, en expliquant que c'était un meurtre. Elle parla au médecin qui avait examiné le corps. Sans résultat. L'homme avait été

condamné à une amende, ou peut-être à une peine conditionnelle pour négligence grave. Rien déplus. Et sa femme avait été assassinée.

Mais maintenant, l'heure était venue. La balance serait redressée. Tout serait racheté. Sauf la vie de cette femme, qui était perdue pour toujours, Elle commença à élaborer un plan.

Mais quelque chose la dérangeait. Les hommes qui sur veillaient l'immeuble de Katarina Taxell. Ils voulaient l'em pêcher d'agir. Ils essaieraient de l'approcher par l'intermédiaire de Katarina. Ils soupçonnaient peut-être déjà qu'ils avaient affaire à une femme. C'était ce qu'elle voulait. Au début, ils devaient croire qu'il s'agissait d'un homme. Puis 506

ils commenceraient à douter. Pour finir, tout serait inversé Mais naturellement, ils ne la retrouveraient jamais. Jamais"

hS- e-oolde!\le, f∞Ur à Pain" Pensa à Tore Grundén. Il habitait a Hassleholm et travaillait à Malmô.

Soudain, elle comprit comment elle s'y prendrait. C'était d une simplicité

presque embarrassante. Elle passerait à l'acte pendant ses heures de travail Dans l'exercice de ses fonctions. Elle serait même payée 34

Ils commencèrent à creuser le vendredi 21 octobre. Il faisait encore nuit.

Wallander et Hansson avaient délimité le premier périmètre à l'aide d'un ruban plastique. Les policiers vêtus de combinaisons et de bottes en caoutchouc ne savaient pas ce qu'ils recherchaient. Leur malaise se mêlait à l'air froid du petit matin. Wallander avait le sentiment de se trouver dans un cimetière. Ils risquaient à n'importe quel moment de découvrir les restes d'une morte. Il avait confié la tête des opérations à Hansson, puisque lui-même devait, avec l'aide de Birch, retrouver le plus vite possible la serveuse qui avait fait rire Katarina Taxell un jour dans une rue de Lund.

Wallander s'attarda une demi-heure dans la boue o˘ les policiers avaient commencé à creuser. Puis il remonta l'étroit sentier jusqu'à la ferme o˘

l'attendait sa voiture. Il appela Birch, qui était encore à son domicile de Lund. La veille au soir, Birch avait seulement réussi à établir que le nom qu'ils cherchaient ne pouvait être obtenu qu'à Malmô. Lorsque Wallander le joignit au téléphone, il était en train de prendre son café. Ils décidèrent de se retrouver devant la gare centrale de Malmo.

- J'ai parlé à un responsable du personnel des wagons-lits hier soir, dit Birch. J'ai eu l'impression que je le dérangeais à un moment délicat.

Wallander ne comprit pas tout de suite.

- En pleine action amoureuse, précisa Birch. Parfois, c'est divertissant d'être policier.

Wallander prit la direction de Malmo. Comment Birch pouvait-il savoir qu'il avait dérangé l'autre au mauvais

509

moment? Puis il pensa à la serveuse qu'ils recherchaient. Il songea que c'était la quatrième femme qui surgissait dans cette enquête. Jusque-là, il y avait eu Krista Haberman, Eva Runfeldt et Katarina Taxell. En existait-il encore une, qui serait dans ce cas la cinquième? …tait-ce elle qu'ils recherchaient? Ou bien auraient-ils atteint leur but une fois qu'ils auraient réussi à localiser la serveuse du train ? …tait-ce elle, la visiteuse nocturne de la maternité d'Ystad? Sans vraiment savoir pourquoi, il en doutait. Peut-être pourrait-elle les conduire jusqu'à quelqu'un d'autre? Il pouvait difficilement en espérer davantage.

Il roulait dans sa vieille voiture à travers un paysage tout gris. Il se demanda distraitement à quoi ressemblerait l'hiver. quand avaient-ils eu pour la dernière fois un NoÎl sous la neige? C'était il y a si longtemps qu'il ne s'en souvenait plus.

En arrivant à Malmô, il eut la chance de trouver une place de parking juste devant l'entrée de la gare. Un court instant, il eut la tentation de prendre un café avant l'arrivée de Birch. Mais il y renonça. Il n'avait pas le temps. Puis il aperçut Birch qui traversait le pont du canal. Il avait d˚ garer sa voiture du côté de la place centrale. Ils se saluèrent. Birch portait un bonnet de laine trop petit pour lui. Il était mal rasé et semblait avoir peu dormi.

- Vous avez commencé à creuser? demanda-t-il.

- ¿ sept heures.

- Vous la trouverez?

- Difficile à dire. Mais c'est possible.

Birch hocha la tête d'un air sombre. Puis il indiqua la gare.

- Nous devons rencontrer un homme qui s'appelle Karl-Henrik Bergstrand, dit-il D'habitude il ne commence pas sa journée de si bonne heure. Il a promis de faire un effort

aujourd'hui. - C'est lui que tu as interrompu au mauvais moment?

- Je ne te le fais pas dire.

Ils entrèrent dans la section administrative et furent reçus par le dénommé

Karl-Henrik Bergstrand. Wallander le consi-

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déra avec curiosité en essayant de se représenter l'instant dont avait parlé Birch. Puis il constata que c'était sa propre vie sexuelle inexistante qui le faisait réagir ainsi.

Gêné, il essaya de penser à autre chose. Karl-Henrik Bergstrand était jeune, à peine la trentaine. Wallander présumait qu'il était censé

représenter le nouveau profil des chemins de fer suédois. Birch et Wallander lui expliquèrent l'objet de leur démarche.

- C'est une demande inhabituelle, dit Bergstrand en souriant. Mais nous allons essayer de vous aider.

Il les invita à entrer dans son bureau, qui était spacieux. Wallander pensa que l'assurance de cet homme crevait les yeux. Lui-même, à trente ans, ne se sentait pas s˚r de grand-chose.

Bergstrand s'était assis derrière une grande table de travail. Wallander observa les meubles, songeant qu'ils pouvaient éventuellement expliquer le prix des billets de train.

- Nous recherchons donc une employée de voiture-bar, reprit Birch. Nous ne savons pas grand-chose, sinon qu'il s'agit d'une femme.

- Une écrasante majorité des employés de voiture-bar sont des femmes, répondit Bergstrand. Il aurait été plus facile de trouver un homme.

- Nous ne savons pas comment elle s'appelle, ni à quoi elle ressemble, poursuivit Birch.

Bergstrand le dévisagea d'un air perplexe.

- A-t-on vraiment besoin de retrouver quelqu'un dont on sait si peu de chose ?

- Oui, intervint Wallander. Parfois.

- Nous savons à bord de quel train elle travaillait, ajouta Birch.

Il communiqua à Bergstrand les informations fournies par . Annika Carlman.

Bergstrand secoua la tête.

- «a remonte à trois ans, dit-il.

- On le sait, dit Wallander. Mais je suppose que les che-! mins de fer gardent la trace de leurs employés ?

- En réalité, cette question ne relève pas de mes compé-ences, dit Bergstrand sur un ton professoral. Les chemins le fer constituent un groupe subdivisé en de nombreuses

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sociétés. Les wagons-lits, dont dépendent, en tant que filiale, les voitures-bars, ont leurs propres administration et service du personnel.

C'est à eux de répondre à vos questions. Mais nous collaborons naturellement, en cas de besoin.

Wallander constata que l'impatience le gagnait.

- Une mise au point s'impose peut-être, dit-il. Nous ne recherchons pas cette femme pour le plaisir. Nous voulons la retrouver parce qu'elle est susceptible de détenir des informations importantes dans le cadre d'une enquête sur une série de meurtres. Cela nous est donc égal de savoir qui répond à nos questions. Mais nous voulons une réponse le plus vite possible.

Le discours fit son effet. Bergstrand semblait avoir compris. Birch jeta un regard encourageant à Wallander, qui

poursuivit.

- Je pense que vous pouvez nous mettre en relation avec la ou les personnes compétentes, dit-il. Nous attendrons le temps qu'il faudra.

- Il s'agit des meurtres commis dans la région d'Ystad? demanda Bergstrand avec curiosité.

- C'est cela. Et cette serveuse détient peut-être des informations importantes.

- Est-elle soupçonnée ?

- Non. Elle n'est pas soupçonnée. Aucune ombre ne viendra salir les trains ni les sandwiches servis à bord.

Bergstrand se leva et quitta la pièce.

- Il était un peu arrogant, commenta Birch. Tu as bien fait de le remettre à sa place.

- Ce serait encore mieux s'il pouvait nous donner une réponse. Vite, si possible.

Pendant qu'ils attendaient, Wallander appela Hansson à Lôdinge. Ils approchaient du centre du premier périmètre ; mais ils n'avaient encore rien trouvé.

- La nouvelle s'est malheureusement déjà répandue, dit Hansson. On a eu des visites de curieux à la ferme.

- Tenez-les à distance, dit Wallander. C'est tout ce qu'on peut faire, je crois.

- Nyberg voulait te parler. Il s'agit de l'enregistrement de la conversation entre Katarina Taxell et sa mère.

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- Ils ont réussi à identifier le martèlement à l'arrière-plan?

- Si j'ai bien compris, l'analyse n'a rien donné. Mais il vaut mieux que tu lui parles directement.

- Ils n'ont vraiment rien pu en dire ?

- D'après eux, il y avait quelqu'un, pas loin du téléphone, qui cognait par terre ou contre un mur. Mais à quoi cela nous avance-t-il ?

Wallander comprit qu'il avait nourri des espoirs prématurés.

- En tout cas, ce n'est pas le bébé de Katarina Taxell, poursuivit Hansson.

Nous avons apparemment accès à un spécialiste capable de filtrer les fréquences ou je ne sais quoi. Il pourra nous dire si l'appel venait de loin, ou des environs de Lund. Mais si j'ai bien compris, c'est un processus très compliqué. Selon Nyberg, ça prendra au moins deux ou trois jours.

- Il faudra nous en contenter.

Au même instant, Bergstrand revint dans le bureau. Wallander se dépêcha de conclure l'entretien avec Hansson.