CHAPITRE XI

 

Benfeld est bien mort. Et de trois ! Situation claire et sans bavures. Mon copain Cari s'est fait avoir par Ulrich Gunstett. Une très jolie boutonnière au ventre.

D'un coup sec, je retire le poignard qui provient probablement de l'une des panoplies qui garnissent les murs du château. J'aurais dû penser à cela avant. Si je m'étais un seul instant imaginé qu'il y avait des armes quelque part…

J'essuie consciencieusement la lame en la frottant sur l'herbe rase. Relevant la tête, je songe à Gunstett qui est peut-être en train de m'observer. Sans doute étudie-t-il un moyen pour me faire la peau ? Où peut-il être, à cette heure ?

Sans me presser, je retourne à l'endroit où j'ai laissé Sabine. A mon air, elle comprend immédiate ment dans quel état d'esprit je me trouve. Nous ne sommes plus que trois, et nous nous acheminons vers le dénouement.

— Qu'allons-nous faire ? demande-t-elle.

— A vrai dire, je n'en sais trop rien. Agir en pensant que l'autre fera ceci ou cela équivaut à s'en remettre au hasard… J'avais l'intention de tendre un piège à Gunstett mais je me demande à présent s'il ne vaut pas mieux en finir au plus vite avec ce jeu en étant toutefois conscient des risques que ce choix comporté.

— Quelle sorte de piège ?

— Bah ! C'est sans importance.

— Dites toujours…

En soupirant, je jette un coup d'œil en direction du château.

— J'avais imaginé une petite mise en scène destinée à faire croire à Gunstett que nous possédions l'objet et que nous étions prêts, vous et moi, à regagner nos cubes respectifs. Cela l'aurait obligé à se découvrir, et ne lui aurait laissé que deux possibilités : ou bien accepter notre victoire, ou bien user de violence.

— Ce n'était pas idiot. Cette mise en scène clarifierait la situation !

— Gunstett n'est pas homme à accepter une défaite si j'en crois le portrait qu'on en a fait !

— Êtes-vous prêt à l'affronter ?

— Oui, sans hésiter ! Je m'en méfie mais il ne m'impressionne pas.

— Dans ce cas, pourquoi avez-vous changé d'avis ?

— Parce que nous allons perdre du temps. Benfeld a été tué. Pas sans raison. Gunstett doit posséder un beau paquet de fiches… Je ne suis pas loin de croire qu'il est aussi proche de la victoire que nous le sommes nous-mêmes. Je crois également qu'il se pose des questions à notre sujet, tout en ignorant peut-être encore que nous formons une équipe » Cependant, s'il a pris le parti de jouer de prudence et de se poser en observateur, il ne tardera pas à être fixé. Car nous devons le gêner !

— S'il constate que nous sommes deux, il se montrera plus prudent encore !

— je le pense aussi. Et un excès de prudence est peut-être une faiblesse dont nous aurions tort de ne pas profiter. Nous devons faire en sorte qu'il sache que nous sommes deux. Montrons-nous, le temps qu'il soit renseigné. Puis nous nous cacherons de nouveau.

— Que préconisez-vous exactement ?

— Nous allons nous rendre au château, prendre notre dernière fiche et nous mettre immédiatement en quête de l'objet. Ensuite, nous nous séparerons. Gardera l'objet celui qui se trouve le plus près de son cube.

— Hum ! Gunstett pourrait bien, lui aussi, choisir l'épreuve de vitesse !

— A condition qu'il soit, comme nous, à peu près certain d'emporter la victoire ! Or, rien n'est moins sûr ! Chaque hypothèse nous place devant une alternative. A la fin du compte, nous ne savons plus ce que nous devons croire ou ne pas croire !

— Admettons qu'il ait découvert le nom de l'objet mais qu'il ne connaisse pas l'endroit où celui-ci a été dissimulé, ne peut-il choisir de nous suivre jusqu'à ce que nous nous emparions du dé ?

— En quelque sorte nous en reviendrions à mon piège. Mais, à l'inverse, rien ne nous interdit de suivre Gunstett ! C'est le jeu du chat et de la souris. Le principe est de savoir au plus tôt quel animal nous sommes ! Le chat supposé doit s'assurer de la réalité de la souris, sinon les rôles s'inversent…

Sabine est de mon avis. Il faut calculer les risques. Cependant, à force de calculer on s'enferme. Nous décidons de tout mettre en œuvre pour attirer Gunstett sur notre terrain sans qu'il s'en aperçoive, ce qui revient à faire semblant d'être des souris. Mais c'est plus par souci d'éviter toute mauvaise surprise que par volonté de descendre Gunstett.

— Venez ! dis-je à Sabine en lui tendant le poignard. Et n'hésitez pas à vous servir de ça si les choses tournent mal !

*

* *

Nous sortons du bois et nous nous dirigeons vers le château auquel je n'accorde pas l'intérêt qu'il mérite. En d'autres circonstances, je me serais plu à noter certains détails de son architecture, mais ici le cœur n'y est pas. Mes préoccupations touchent davantage à notre sécurité.

C'est en quelque sorte l'affrontement final.

Chers téléspectateurs, jouissez du suspense. Vous avez devant vous le théâtre du monde. Enfoncez-vous plus profondément dans votre fauteuil, mettez vos pantoufles et votre robe de chambre, et cramponnez-vous aux accoudoirs.

Il existe trois entrées à ce château. Deux du côté pile formant la façade, une du côté face que nous appellerons l'arrière.

Nous empruntons celle de la haute tour, côté pile, et nous entrons comme des voleurs.

Cette énorme bâtisse comporte trois étages reliés entre eux par de larges escaliers. Au début, nous marchons sur des œufs, puis nous prenons de l'assurance comme si nous étions persuadés que rien ne peut nous arriver. Nos pas résonnent dans les couloirs et dans les grandes salles. Les meubles, les tableaux et les tapis qui les garnissent ne sont naturellement que des copies, mais je dois avouer que le décor a été soigné.

Pourtant, nous marchons presque sans voir. A force de passer d'une salle à l'autre et d'aller de couloir en couloir nous visitons les lieux comme le ferait un veilleur de nuit habitué depuis des années à évoluer dans un même décor.

C'est au second étage que nous découvrons la salle d'armes. Beaucoup plus longue que large, elle nous paraît disproportionnée. Elle forme plus un long couloir qu'une pièce véritable. Les murs sont ornés d'épées, de lances, de masses, de poignards, d'arcs et de flèches, d'écus et de boucliers. La plupart de ces armes sont en plastique. Les autres sont réelles.

Une vingtaine d'armures, droites sur leur socle, montent la garde. Dix d'un côté, dix de l'autre. On dirait que ces chevaliers fantômes se préparent à engager le combat.

Sabine ne se laisse pas distraire un seul instant. Systématiquement, elle visite chaque armure, commençant toujours par le heaume. Pendant ce temps, je fais le guet. Sait-on jamais ! Si Gunstett arrivait…

— Je l'ai ! s'écrie tout à coup Sabine.

— Eh là ! Pas si fort !

Instinctivement, elle rentre la tête dans les épaules et pince les lèvres. Puis elle vient vers moi, se place de façon que je puisse lire la fiche.

O instant émouvant !

*

* *

fiche 6.

A – faits de bois dur, ils ne sont que mes cousins. d'os, ils sont mes demi-frères.

B – sans objet. 

C – sur la mosaïque.

Pendant quelques secondes, le renseignement A me laisse assez perplexe. Puis je comprends qu'il ne confirme pas simplement notre découverte. Il la précise en indiquant la matière dont le dé est fait !

Les organisateurs sont suffisamment tordus pour avoir mêlé un dé d'ivoire à une dizaine d'autres semblables fabriqués à partir de matériaux différents. Car il s'agit effectivement d'un dé en ivoire… Pourvu qu'il ne contienne pas une bombe à retardement !

— Oui, déclare Sabine. Le dé est en ivoire. Il nous fallait obligatoirement cette sixième fiche pour le savoir.

Le plus important, maintenant, c'est de reconstituer la phrase et de lui donner une interprétation correcte. Chacun de notre côté nous nous évertuons à assembler les mots de manière à leur donner une suite logique.

Mais je suis surpris. Je m'attendais à ce que la dernière fiche nous livre davantage de mots.

Je récite mentalement : celui qui, le ventre, ils n'est, désignent sa place, pas a (ou à ?) de, sur la mosaïque…

Sur le ventre de celui qui n'est pas à sa place…

Celui qui n'est pas sur la mosaïque…

Et ron-ron-petit-patapon ! C'est énervant. Pour tant, il y a une solution ! Reprenons.

Des nuages noirs se bousculent et se transforment. Après la pluie, le beau temps. Le ciel s'éclaircit.

Je souffle :

— Sabine… Je crois que j'ai trouvé ! Tous les mots y sont. Ecoutez ! « Ils désignent la mosaïque sur le ventre de celui qui n'est pas à sa place ! »

— Je pensais à quelque chose comme ça, mais…

— Attendez ! Attendez ! On peut dire également : « Sur la mosaïque, ils désignent le ventre de celui qui n'est pas à sa place ! »

— Qu'est-ce que ça signifie, selon vous ?

— Parlons bas… Tâchons de décortiquer cette phrase. Il faudrait d'abord que nous sachions ce que « ils » représente.

— Des personnages, sans doute…

— Certainement, oui… Et parmi ces personnages, il y en a un qui ne se trouve pas là où, logiquement, il devrait être. Cependant, quelle que soit la phrase considérée, le ventre de ce personnage est désigné comme étant l'endroit où l'on a caché le dé. Vous êtes d'accord ?

— Vous semblez tenir le bon fil. Continuez !

— J'aimerais tout de même avoir votre avis…

— Soit ! Je pense qu'il existe une différence assez nette entre les deux phrases… En supposant qu'il n'y en ait que deux ! Ou bien la mosaïque se trouve sur le ventre du personnage, ou bien c'est le personnage lui-même qui appartient à la mosaïque…

D'un signe de tête, je fais comprendre à Sabine que j'approuve. Elle poursuit :

— Tenons-nous-en à ce point commun et cherchons la mosaïque ! Or, où la trouverons-nous ? Où trouverons-nous des mosaïques et des personnages ? Dans le temple hindou !

J'ai une grimace de contrariété. Encore le temple hindou. Le ventre est peut-être celui de Bouddha !

Appuyez sur l'œil gauche et le ventre s'ouvrira… Plaisanterie mise à part, c'est une possibilité.

Et le cube de Sabine est placé à proximité du temple ! Je sens que je devrais me méfier si je ne veux pas me faire doubler. Voici l'instant critique. Sabine respectera-t-elle notre accord ? Si elle décide de tout garder pour elle, je suis marron ! Il faudrait que nous prenions les téléspectateurs à témoin, que nous nous engagions de manière officielle à partager le prix de l'effort.

— Cela n'a pas l'air de vous faire beaucoup d'effet, remarque Sabine. Vous avez autre chose à proposer ?

— Non, hélas ! Je pensais… aux kilomètres ! Il m'en reste six ou sept à parcourir si je veux vous accompagner puis revenir à mon point de départ !

— Cela a-t-il vraiment de l'importance ? Quelques kilomètres de plus ne changeront rien au résultat ! Vous l'avez dit vous-même : Gardera l'objet celui qui se trouve le plus près de son cube… Je n'aurai que quelques pas à faire sous votre bienveillante protection, puis vous rentrerez à votre tour au bercail ! Dès lors, que pourriez-vous craindre ?

J'approuve immédiatement afin qu'elle ne devine pas que je nourris à son égard quelque méfiance.

— C'est ma foi vrai. Agissons comme convenu. Partons !

Sabine a un léger sourire que je suis incapable d'interpréter. Peut-être a-t-elle deviné mon inquiétude ? Peut-être a-t-elle véritablement l'intention de me doubler…

Je n'aurais pas dû lui confier ce poignard… Dieu sait ce qui pourrait lui passer par la tête.

Nous quittons la salle d'armes et nous nous dirigeons vers le premier escalier que nous rencontrons. J'ai le sentiment que quelque chose vient de se briser entre nous, mais ce n'est peut-être qu'une impression. J'aimerais être sûr de la loyauté de Sabine car les circonstances m'en rendent dépendant. Et je ne goûte pas particulièrement le fait de dépendre de quelqu'un…

Tandis que nous descendons l'escalier, un bruit furtif nous parvient. Vivement, je saisis le bras de Sabine pour la forcer à s'arrêter.

— Qu'est-ce qui vous prend ? murmure-t-elle.

— Il y a que Gunstett est dans le château !

— A quoi voyez-vous ça ?

— Je n'ai pas vu mais entendu ! C'était comme un bruit étouffé… Il n'y a que Gunstett qui…

— Je n'ai rien entendu, déclare Sabine. Êtes-vous sûr de n'avoir pas rêvé ?

— Absolument ! Et si notre homme est dans le château, c'est qu'il nous a vus ensemble ! En définitive, c'est ce que nous espérions…

— Empruntons un autre chemin, suggère Sabine. A présent, il faut nous cacher. Nous passerons par l'arrière du château et nous courrons jusqu'au bois du Roi de Cœur où nous serons en sécurité. Nous passerons loin derrière les rochers avant de gagner le temple.

— C'est le chemin des écoliers !

— Certes ! Mais nous serons à l'abri. Et puis, si Gunstett a deviné où nous nous rendons, il serait bon que nous nous trouvions derrière lui au bon moment !

— Bonne idée ! Allons-y !

Quelques minutes plus tard nous quittons le château.

*

* *

Muets, nous marchons d'un pas rapide. J'ignore ce qui se passe dans la tête de Sabine en cet instant, mais moi je me vois déjà reprendre ma taille normale et repartir tout droit pour la grande prison d'Atropos tandis que la Sabine en question recevra le prix. Et ça me gêne terriblement. Terriblement ! Le simple fait d'imaginer que je pourrais être cocu m'empêche de respirer normalement.

Pourtant, Sabine n'a pas encore gagné la partie. En filigrane, j'aperçois la face adipeuse d'Ulrich Gunstett qui forme une ombre sur le magot. Cela m'incite à réfléchir davantage et à remettre en question mes inquiétudes.

Tout bien considéré, Gunstett est une énigme. Je ne l'ai vu qu'une seule fois depuis que le jeu a commencé. Pourquoi joue-t-il à l'homme invisible ?

Cette question amène à mon esprit une idée étrange qui engendre immédiatement le doute et la confusion. Comme si la méfiance que je nourris vis-à-vis de Sabine ne suffisait pas !

Et si Gunstett était mort ?

Presque aussitôt je refuse cette idée. Qui aurait tué Benfeld, dans ce cas ? Sabine ? Impossible. Elle n'est pas de taille à se mesurer à un colosse comme Benfeld. Quoique, poussant un peu les choses, on pourrait croire qu'un poignard bien lancé…

Et Sabine était peut-être, depuis longtemps, en possession de ce poignard ! L'idée n'est donc pas aussi idiote que cela. Sabine, profitant de mon sommeil…

Non ! Mais non ! Qui lui aurait interdit de me tuer ensuite ? Ou même avant ? Non, Sabine n'a tué personne, c'est évident. Quant à Gunstett, il doit mettre en pratique sa propre tactique. D'ailleurs, rien ne prouve qu'il ait l'intention de se débarrasser de nous ! Qui nous dit que Benfeld ne l'a pas provoqué ? Après tout, ce dernier a bien failli me tuer ! Si j'avais eu un poignard, à ce moment-là…

Une réflexion fait place à une autre réflexion. Pourquoi devrais-je accompagner Sabine jusqu'au temple ? J'ai même l'impression que nous nous égarons ! Si, si ! Nous nous trompons quelque part. Cette phrase est vicieuse. Mais où est le piège ?

Sur la mosaïque, ils désignent le ventre de celui qui n'est pas à sa place. Ils désignent la mosaïque sur le ventre de celui qui n'est pas à sa place… Existe rait-il une troisième phrase du même genre ?

J'ai beau chercher, je ne compose aucune autre phrase sensée. Donc il y en a bien deux. Et je suis intimement convaincu qu'elles n'ont pas le même sens, même si elles sont liées par un point commun : la mosaïque !

Voilà la charnière ! Et si la mosaïque désignait l'échiquier ?

Et si « ils » désignait les pièces du jeu d'échecs ?

Et si l'une de ces pièces n'était pas placée sur la bonne case ?

Oh ! Mais, dites donc ! Cela devient bougrement intéressant ! Tu t'es gourée, Bassine… Sabine ! Ce n'est pas dans le temple hindou qu'il faut chercher ! Je me disais bien que les kilomètres entraient en ligne de compte !

— Alors ? Vous venez ? Pourquoi vous arrêtez-vous ?

J'ai envie de lui dire la vérité mais je me retiens. Elle a son idée. J'ai la mienne. Et nous possédons tous deux les mêmes éléments. Par conséquent, nos chances sont égales.

— Vous avez encore entendu des voix ? ironise– t-elle.

— Je réfléchissais, c'est tout.

— Et cela vous gêne de réfléchir en marchant ?

— Pas exactement. J'ai pris une décision : je ne vous accompagne plus !

Elle fronce les sourcils.

— Ah non ? Pourquoi ?

— Nous devons nous assurer la victoire, dis-je. Or, Gunstett constitue un obstacle. Je vais retourner au château.

— Vous croyez sans doute qu'il vous y attend ?

— Je le trouverai, de toute façon ! Je veux attirer son attention et lui faire croire que j'ai découvert l'objet. Pendant ce temps, vous le chercherez tranquillement dans le temple…

— Et s'il décide de m'attaquer ?

— Non, Sabine. Gunstett n'est pas un imbécile. Il sait très bien que si l'un de nous deux possède l'objet ce ne peut être que moi !

— Et pourquoi vous, justement ?

— Soyez réaliste ! Physiquement je suis le seul à être capable de me mesurer à lui !

— Sans arme, certainement. Mais je vous rappelle que je dispose d'un poignard ! Ça rétablit l'équilibre, non ?

Je tique.

Tiens, tiens ! Elle a l'air bien sûre d'elle, la Sabine.

— Soyez raisonnable…

— Je le suis ! Je préfère que vous restiez avec moi. Nous n'avons pas encore gagné !

— C'est tout comme !

— Détrompez-vous ! Supposez que Gunstett nous ait précédés et qu'il me tende un piège dans le temple ?

— Vous n'avez rien à craindre puisque vous possédez un poignard ! Et puis dites-vous bien que si Gunstett est dans le temple, c'est parce qu'il a trouvé l'objet. Dans ce cas, pourquoi vous agresserait-il ?

— Je ne…

— Laissez-moi faire, Sabine ! Laissez-moi m'occuper de ce Gunstett. Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point je me méfie de ce type-là ! Je le crois suffisamment intelligent pour trouver l'objet, mais plus encore pour nous le laisser chercher à sa place ! Or, il ignore que votre cube se trouve près du temple. Votre sécurité est assurée !

Sabine hésite, me jauge. Elle se demande si je ne suis pas en train de chercher à la rouler.

Elle fait une ultime tentative :

— Si vous vous éloignez, comment saurez-vous que nous avons gagné ?

— Simple. Je crois me souvenir qu'il y aura un signal donné par le jury. Article 20 du règlement !

Regard pesant auquel je me soumets. Je dois avoir l'air innocent d'un nourrisson. Mordra, mordra pas ?

— C'est bon ! Allez-y ! Mais soyez prudent !

— Vous de même !… Euh ! Partez d'abord. J'attendrai ici quelques instants, histoire de vérifier que le secteur est aussi calme que je le souhaite…

Elle s'éloigne. Ça me fait tout drôle de rester seul. Je m'étais habitué à la compagnie de Sabine.

Franchement, je ne crois pas que Gunstett l'inquiétera. S'il a choisi une cible, c'est moi. Cependant, je ne tiens pas à me faire gibier quand j'ai la possibilité d'être chasseur !

15 h 45. Il me reste environ trois heures avant la nuit. Je n'ai pas simplement décidé de m'emparer du dé d'ivoire, et d'éliminer Gunstett si l'occasion se présente, je veux, en plus, jouer avec les organisateurs et les téléspectateurs. On peut s'amuser, non ?

Je ne sais pas pourquoi je continue de croire qu'on va nous faire bénéficier des délices d'une jolie traîtrise. Intuition ? Pourquoi pas ? Mais peut-être ce sentiment n'est-il qu'une conséquence de la méfiance qui m'habite ? J'ai flairé tellement de trucages et de choses vicieuses…

Je ne sais pas encore où mon action me conduira, ni quelles répercussions elle aura sur le jeu propre ment dit ni même si elle servira à quelque chose. Cependant je tiens à échapper, pour le sprint, à toute manipulation. C'est pourquoi il me paraît souhaitable de tenter de brouiller les cartes.