5. Fonctifs et concepts

La science n’a pas pour objet des concepts, mais des fonctions qui se présentent comme des propositions dans des systèmes discursifs. Les éléments des fonctions s’appellent des fonctifs. Une notion scientifique est déterminée non par des concepts, mais par fonctions ou propositions. C’est une idée très variée, très complexe, comme on peut le voir déjà dans l’usage qu’en font respectivement les mathématiques et la biologie ; c’est pourtant cette idée de fonction qui permet aux sciences de réfléchir et de communiquer. La science n’a nul besoin de la philosophie pour ces tâches. En revanche, quand un objet est scientifiquement construit par fonctions, par exemple un espace géométrique, il reste à en chercher le concept philosophique qui n’est nullement donné dans la fonction. Bien plus, un concept peut prendre pour composantes les fonctifs de toute fonction possible, sans avoir pour autant la moindre valeur scientifique, mais dans le but de marquer les différences de nature entre concepts et fonctions.

Sous ces conditions, la première différence est dans l’attitude respective de la science et de la philosophie par rapport au chaos. On définit le chaos moins par son désordre que par la vitesse infinie avec laquelle se dissipe toute forme qui s’y ébauche. C’est un vide qui n’est pas un néant, mais un virtuel, contenant toutes les particules possibles et tirant toutes les formes possibles qui surgissent pour disparaître aussitôt, sans consistance ni référence, sans conséquence [1] . C’est une vitesse infinie de naissance et d’évanouissement. Or la philosophie demande comment garder les vitesses infinies tout en gagnant de la consistance, en donnant une consistance propre au virtuel. Le crible philosophique, comme plan d’immanence qui recoupe le chaos, sélectionne des mouvements infinis de la pensée, et se meuble de concepts formés comme de particules consistantes allant aussi vite que la pensée. La science a une tout autre manière d’aborder le chaos, presque inverse : elle renonce à l’infini, à la vitesse infinie, pour gagner une référence capable d’actualiser le virtuel. Gardant l’infini, la philosophie donne une consistance au virtuel par concepts ; renonçant à l’infini, la science donne au virtuel une référence qui l’actualise, par fonctions. La philosophie procède avec un plan d’immanence ou de consistance ; la science, avec un plan de référence. Dans le cas de la science, c’est comme un arrêt sur image. C’est un fantastique ralentissement, et c’est par ralentissement que la matière s’actualise, mais aussi la pensée scientifique capable de la pénétrer par propositions. Une fonction est une Ralentie. Certes, la science ne cesse de promouvoir des accélérations, non seulement dans les catalyses, mais dans les accélérateurs de particules, dans les expansions qui éloignent les galaxies. Ces phénomènes cependant ne trouvent pas dans le ralentissement primordial un instant-zéro avec lequel ils rompent, mais plutôt une condition coextensive à leur développement tout entier. Ralentir, c’est poser une limite dans le chaos sous laquelle toutes les vitesses passent, si bien qu’elles forment une variable déterminée comme abscisse, en même temps que la limite forme une constante universelle qu’on ne peut pas dépasser (par exemple un maximum de contraction). Les premiers fonctifs sont donc la limite et la variable, et la référence est un rapport entre valeurs de la variable, ou plus profondément le rapport de la variable comme abscisse des vitesses avec la limite.

Il arrive que la constante-limite apparaisse elle-même comme un rapport dans l’ensemble de l’univers auquel toutes les parties sont soumises sous une condition finie (quantité de mouvement, de force, d’énergie...). Encore faut-il que des systèmes de coordonnées existent, auxquels renvoient les termes du rapport : c’est donc un second sens de la limite, un cadrage externe ou une exo-référence. Car les proto-limites, hors de toutes coordonnées, engendrent d’abord des abscisses de vitesses sur lesquelles se dresseront les axes coordonnables. Une particule aura une position, une énergie, une masse, une valeur de spin, mais à condition de recevoir une existence ou une actualité physique, ou d’« atterrir » dans des trajectoires que des systèmes de coordonnées pourront saisir. Ce sont ces limites premières qui constituent le ralentissement dans le chaos ou le seuil de suspension de l’infini, qui servent d’endo-référence et opèrent un comptage : ce ne sont pas des rapports, mais des nombres, et toute la théorie des fonctions dépend de nombres. On invoquera la vitesse de la lumière, le zéro absolu, le quantum d’action, le Big Bang : le zéro absolu des températures est de -273,15 degrés ; la vitesse de la lumière, 299 796 km/s, là où les longueurs se contractent à zéro et où les horloges s’arrêtent. De telles limites ne valent pas par la valeur empirique qu’elles prennent seulement dans des systèmes de coordonnées, elles agissent d’abord comme la condition de ralentissement primordial qui s’étend par rapport à l’infini sur toute l’échelle des vitesses correspondantes, sur leurs accélérations ou ralentissements conditionnés. Et ce n’est pas seulement la diversité de ces limites qui autorise à douter de la vocation unitaire de la science ; c’est chacune en effet qui engendre pour son compte des systèmes de coordonnées hétérogènes irréductibles, et impose des seuils de discontinuité, suivant la proximité ou l’éloignement de la variable (par exemple l’éloignement des galaxies). La science n’est pas hantée par sa propre unité, mais par le plan de référence constitué par toutes les limites ou bordures sous lesquelles elle affronte le chaos. Ce sont ces bordures qui donnent au plan ses références ; quant aux systèmes de coordonnées, ils peuplent ou meublent le plan de référence lui-même.

EXEMPLE X

Il est difficile de comprendre comment la limite mord immédiatement sur l’infini, sur l’illimité. Et pourtant ce n’est pas la chose limitée qui impose une limite à l’infini, c’est la limite qui rend possible une chose limitée. Pythagore, Anaximandre, Platon lui-même le penseront : un corps-à-corps de la limite avec l’infini, d’où sortiront les choses. Toute limite est illusoire, et toute détermination est négation, si la détermination n’est pas dans un rapport immédiat avec l’indéterminé. La théorie de la science et des fonctions en dépend. Plus tard, c’est Cantor qui donne à la théorie ses formules mathématiques, d’un double point de vue, intrinsèque et extrinsèque. Suivant le premier, un ensemble est dit infini s’il présente une correspondance terme à terme avec une de ses parties ou sous-ensembles, l’ensemble et le sous-ensemble ayant même puissance ou même nombre d’éléments désignables par « aleph 0» : ainsi pour l’ensemble des nombres entiers. D’après la seconde détermination, l’ensemble des sous-ensembles d’un ensemble donné est nécessairement plus grand que l’ensemble de départ : l’ensemble des aleph 0 sous-ensembles renvoie donc à un autre nombre transfini, aleph 1, qui possède la puissance du continu ou correspond à l’ensemble des nombres réels (on continue ensuite avec aleph 2, etc.). Or il est étrange qu’on ait si souvent vu dans cette conception une réintroduction de l’infini en mathématiques : c’est plutôt l’extrême conséquence de la définition de la limite par un nombre, celui-ci étant le premier nombre entier qui suit tous les nombres entiers finis, dont aucun n’est maximum. Ce que fait la théorie des ensembles, c’est inscrire la limite dans l’infini lui-même, sans quoi il n’y aurait jamais de limite : dans sa sévère hiérarchisation, elle instaure un ralentissement, ou plutôt, comme dit Cantor lui-même, un arrêt, un « principe d’arrêt » d’après lequel on ne crée un nouveau nombre entier que « si le rassemblement de tous les nombres précédents a la puissance d’une classe de nombres définie, déjà donnée dans toute son extension » [2] . Sans ce principe d’arrêt ou de ralentissement, il y aurait un ensemble de tous les ensembles, que Cantor refuse déjà, et qui ne pourrait être que le chaos, comme le montre Russell. La théorie des ensembles est la constitution d’un plan de référence, qui ne comporte pas seulement une endo-référence (détermination intrinsèque d’un ensemble infini), mais déjà une exo-référence (détermination extrinsèque). Malgré l’effort explicite de Cantor pour réunir le concept philosophique et la fonction scientifique, la différence caractéristique subsiste, puisque l’un se développe sur un plan d’immanence ou de consistance sans référence, mais l’autre sur un plan de référence dépourvu de consistance (Gödel).

Quand la limite engendre par ralentissement une abscisse des vitesses, les formes virtuelles du chaos tendent à s’actualiser suivant une ordonnée. Et certes le plan de référence opère déjà une pré-sélection qui apparie les formes aux limites ou même aux régions d’abscisses considérées. Mais les formes n’en constituent pas moins des variables indépendantes de celles qui se déplacent en abscisse. C’est très différent du concept philosophique : les ordonnées intensives ne désignent plus des composantes inséparables agglomérées dans le concept en tant que survol absolu (variations), mais des déterminations distinctes qui doivent s’apparier dans une formation discursive avec d’autres déterminations prises en extension (variables). Les ordonnées intensives de formes doivent se coordonner aux abscisses extensives de vitesse de te manière que les vitesses de développement et l’actualisation d s formes se rapportent les unes aux autres, comme déterminations distinctes, extrinsèques [3] . C’est sous ce deuxième aspect que la limite est maintenant l’origine d’un système de coordonnées composé de deux variables indépendantes au moins ; mais celles-ci entrent dans un rapport dont dépend une troisième variable, à titre d’état de choses ou de matière formée dans le système (de tels états de choses peuvent être mathématiques, physiques, biologiques...). C’est bien le nouveau sens de la référence comme forme de la proposition, le rapport d’un état de choses au système. L’état de choses est une fonction : c’est une variable complexe qui dépend d’un rapport entre deux variables indépendantes au moins.

L’indépendance respective des variables apparaît en mathématiques lorsque l’une est à une puissance plus élevée que la première. C’est pourquoi Hegel montre que la variabilité dans la fonction ne se contente pas de valeurs qu’on peut changer (2/3 et 4/6), ni qu’on laisse indéterminées (a = 2b), mais exige que l’une des variables soit à une puissance supérieure (y2/x=P). Car c’est alors qu’un rapport peut être directement déterminé comme rapport différentiel dy/dx’ sous lequel la valeur des variables n’a plus d’autre détermination que de s’évanouir ou de naître, bien qu’elle soit arrachée aux vitesses infinies. D’un tel rapport dépend un état de choses ou une fonction « dérivée » : on a fait une opération de dépotentialisation qui permet de comparer des puissances distinctes, à partir desquelles pourront même se développer une chose ou un corps (intégration) [4] . En général, un état de choses n’actualise pas un virtuel chaotique sans lui emprunter un potentiel qui se distribue dans le système de coordonnées. Il puise dans le virtuel qu’il actualise un potentiel qu’il s’approprie. Le système le plus clos a encore un fil qui monte vers le virtuel, et d’où descend l’araignée. Mais la question de savoir si le potentiel peut être recréé dans l’actuel, s’il peut être renouvelé et élargi, permet de distinguer plus strictement les états de choses, les choses et les corps. Quand nous passons de l’état de choses à la chose même, nous voyons qu’une chose se rapporte toujours à la fois à plusieurs axes suivant des variables qui sont fonctions les unes des autres, même si l’unité interne reste indéterminée. Mais, quand la chose passe elle-même par des changements de coordonnées, elle devient un corps à proprement parler, et la fonction ne prend plus pour référence la limite et la variable, mais plutôt un invariant et un groupe de transformations (le corps euclidien de la géométrie, par exemple, sera constitué d’invariants par rapport au groupe des mouvements). Le « corps », en effet, n’est pas ici une spécialité biologique, et trouve une détermination mathématique à partir d’un minimum absolu représenté par les nombres rationnels, en opérant des extensions indépendantes de ce corps de base qui limitent de plus en plus les substitutions possibles jusqu’à une parfaite individuation. La différence entre le corps et l’état des choses (ou de la chose) tient à l’individuation du corps qui procède par une cascade d’actualisations. Avec les corps, le rapport entre variables indépendantes complète suffisamment sa raison, quitte à se pourvoir d’un potentiel ou d’une puissance qui en renouvelle l’individuation. Notamment quand le corps est un vivant, qui procède par différenciation et non plus par extension ou adjonction, c’est encore un nouveau type de variables qui surgit, variables internes déterminant des fonctions proprement biologiques en rapport avec des milieux intérieurs (endo-référence), mais aussi entrant dans des fonctions probabilitaires avec les variables externes du milieu extérieur (exo-référence) [5] .

Nous nous trouvons donc devant une nouvelle suite de fonctifs, systèmes de coordonnées, potentiels, états de choses, choses, corps. Les états de choses sont des mélanges ordonnés, de types très divers, qui peuvent même ne concerner que des trajectoires. Mais les choses sont des interactions, et les corps, des communications. Les états de choses renvoie aux coordonnées géométriques de systèmes supposés cl s, les choses, aux coordonnées énergétiques de systèmes couplés, les corps, aux coordonnées informatiques de systèmes séparés, non liés. L’histoire des sciences est inséparable de la construction d’axes, de leur nature, de leurs dimensions, de leur prolifération. La science n’opère aucune unification du Référent, mais toutes sortes de bifurcations sur un plan de référence qui ne préexiste pas à ses détours ou à son tracé. C’est comme si la bifurcation allait chercher dans l’infini chaos du virtuel de nouvelles formes à actualiser, en opérant une sorte de potentialisation de la matière : le carbone introduit dans le tableau de Mendeleïev une bifurcation qui en fait, par ses propriétés plastiques, l’état d’une matière organique. Le problème d’une unité ou multiplicité de la science ne doit donc pas être posé en fonction d’un système de coordonnées éventuellement unique à un moment donné ; comme pour le plan d’immanence en philosophie, il faut demander quel statut prennent l’avant et l’après, simultanément, sur un plan de référence à dimension et évolution temporelles. Y a-t-il un seul ou plusieurs plans de référence ? La réponse ne sera pas la même que pour le plan d’immanence philosophique, ses couches ou ses feuillets superposés. C’est que la référence, impliquant un renoncement à l’infini, ne peut monter que des chaînes de fonctifs qui cassent nécessairement à un moment. Les bifurcations, les ralentissements et accélérations produisent des trous, coupures et ruptures qui renvoient à d’autres variables, d’autres rapports et d’autres références. Suivant des exemples sommaires, on dit que le nombre fractionnaire rompt avec le nombre entier, le nombre irrationnel, avec les rationnels, la géométrie riemannienne avec l’euclidienne. Mais dans l’autre sens simultané, de l’après à l’avant, le nombre entier apparaît comme un cas particulier de nombre fractionnaire, ou le rationnel, un cas particulier de « coupure » dans un ensemble linéaire de points. Il est vrai que ce processus unifiant qui opère dans le sens rétroactif fait intervenir nécessairement d’autres références, dont les variables sont soumises non seulement à des conditions de restriction pour donner le cas particulier, mais en elles-mêmes à de nouvelles ruptures et bifurcations qui changeront leurs propres références. C’est ce qui arrive lorsqu’on dérive Newton d’Einstein, ou bien les nombres réels de la coupure, ou la géométrie euclidienne d’une géométrie métrique abstraite. Autant dire avec Kuhn que la science est paradigmatique, tandis que la philosophie était syntagmatique.

Pas plus que la philosophie, la science ne se satisfait d’une succession temporelle linéaire. Mais, au lieu d’un temps stratigraphique qui exprime l’avant et l’après dans un ordre des superpositions, la science déploie un temps proprement sériel, ramifié, où l’avant (le précédent) désigne toujours des bifurcations et ruptures à venir, et l’après, des ré-enchaînements rétroactifs : d’où une tout autre allure du progrès scientifique. Et les noms propres des savants s’écrivent dans cet autre temps, cet autre élément, marquant les points de rupture et les points de ré-enchaînement. Certes, il est toujours possible, et parfois fructueux, d’interpréter l’histoire de la philosophie suivant ce rythme scientifique. Mais dire que Kant rompt avec Descartes, et que le cogito cartésien devient un cas particulier du cogito kantien, n’est pas pleinement satisfaisant, puisque précisément c’est faire de la philosophie une science. (Inversement, il ne serait pas davantage satisfaisant d’établir entre Newton et Einstein un ordre de superposition.) Loin de nous faire repasser par les mêmes composantes, le nom propre du savant a pour fonction de nous éviter de le faire, et de nous persuader qu’il n’y a pas lieu de réarpenter un trajet déjà parcouru : on ne passe pas par une équation nominée, on s’en sert. Loin de distribuer des points cardinaux qui organisent les syntagmes sur un plan d’immanence, le nom propre du savant dresse des paradigmes qui se projettent dans les systèmes de références nécessairement orientés. Finalement, ce qui fait problème, c’est moins le rapport de la science avec la philosophie que le rapport encore plus passionnel de la science avec la religion, comme on le voit dans toutes les tentatives d’uniformisation et d’universalisation scientifiques à la recherche d’une loi unique, d’une force unique, d’une unique interaction. Ce qui rapproche la science de la religion, c’est que les fonctifs ne sont pas des concepts, mais des figures, qui se définissent par une tension spirituelle plutôt que par une intuition spatiale. Il y a quelque chose de figurai dans les fonctifs, qui forme une idéographie propre à la science, et qui fait déjà de la vision une lecture. Mais ce qui ne cesse de réaffirmer l’opposition de la science à toute religion, et en même temps de rendre heureusement impossible l’unification de la science, c’est la substitution de la référence à toute transcendance, c’est la correspondance fonctionnelle du paradigme avec un système de référence, qui interdit tout usage infini religieux de la figure en déterminant une manière exclusivement scientifique dont celle-ci doit être construite, vue et lue, par fonctifs [6] .

La première différence entre la philosophie et la science réside dans le présupposé respectif du concept et de la fonction : ici un plan d’immanence ou de consistance, là un plan de référence. Le plan de référence est à la fois un et multiple, mais d’une autre façon que le plan d’immanence. La seconde différence concerne plus directement le concept et la fonction : l’inséparabilité des variations est le propre du concept inconditionné, tandis que l’indépendance des variables, dans des rapports conditionnables, appartient à la fonction. Dans un cas, nous avons un ensemble de variations inséparables sous « une raison contingente » qui constitue le concept des variations ; dans l’autre cas, un ensemble de variables indépendantes sous une « raison nécessaire » qui constitue la fonction des variables. C’est pourquoi, de ce dernier point de vue, la théorie des fonctions présente deux pôles, suivant que, n variables étant données, l’une peut être considérée comme fonction des n-1 variables indépendantes, avec n-1 dérivées partielles et une différentielle totale de la fonction ; ou, suivant que n -1 grandeurs sont au contraire des fonctions d’une même variable indépendante, sans différentielle totale de la fonction composée. Aussi bien, le problème des tangentes (différenciation) mobilise autant de variables qu’il y a de courbes dont la dérivée pour chacune est la tangente quelconque en un point quelconque ; mais le problème inverse des tangentes (intégration) ne considère plus qu’une variable unique, qui est la courbe elle-même tangente à toutes les courbes de même ordonnance, sous la condition d’un changement de coordonnées [7] . Une dualité analogue concerne la description dynamique d’un système de n particules indépendantes : l’état instantané peut être représenté par n points et n vecteurs de vitesse dans un espace à trois dimensions, mais aussi par un seul point dans un espace de phases.

On dirait que la science et la philosophie suivent deux voies opposées, parce que les concepts philosophiques ont pour consistance des événements, tandis que les fonctions scientifiques ont pour référence des états de choses ou mélanges : la philosophie ne cesse par concepts d’extraire de l’état de choses un événement consistant, un sourire sans chat en quelque sorte, tandis que la science ne cesse par fonctions d’actualiser l’événement dans un état de choses, une chose ou un corps référables. De ce point de vue, les Présocratiques tenaient déjà l’essentiel d’une détermination de la science, valable jusqu’à nos jours, quand ils faisaient de la physique une théorie des mélanges et de leurs différents types [8] . Et les Stoïciens porteront au plus haut point la distinction fondamentale entre les états de choses ou mélanges de corps dans lesquels s’actualise l’événement, et les événements incorporels, qui s’élèvent comme une fumée des états de choses eux-mêmes. C’est donc sous deux caractères liés que le concept philosophique et la fonction scientifique se distinguent : variations inséparables, variables indépendantes ; événements sur un plan d’immanence, états de choses dans un système de référence (en découle le statut des ordonnées intensives différent dans les deux cas, puisqu’elles sont les composantes intérieures du concept, mais sont seulement coordonnées aux abscisses extensives dans les fonctions, quand la variation n’est plus qu’un état de variable). Les concepts et les fonctions se présentent ainsi comme deux types de multiplicités ou variétés qui diffèrent en nature. Et, bien que les types de multiplicités scientifiques aient par eux-mêmes une grande diversité, ils laissent hors d’eux les multiplicités proprement philosophiques, pour lesquelles Bergson réclamait un statut particulier défini par la durée, « multiplicité de fusion » qui exprimait l’inséparabilité des variations, par opposition aux multiplicités d’espace, nombre et temps, qui ordonnaient des mélanges et renvoyaient à la variable ou aux variables indépendantes [9] . Il est vrai que cette opposition même, entre les multiplicités scientifiques et philosophiques, discursives et intuitives, extensionnelles et intensives, est apte à juger aussi de la correspondance entre la science et la philosophie, de leur éventuelle collaboration, de leur inspiration de l’une à l’autre.

Il y a enfin une troisième grande différence, qui ne concerne plus le présupposé respectif ni l’élément comme concept ou comme fonction, mais le mode d’énonciation. A coup sûr il y a autant d’expérimentation comme expérience de pensée en philosophie qu’en science, et dans les deux cas l’expérience peut être bouleversante, étant proche du chaos. Mais aussi il y a autant de création en science que dans la philosophie ou dans les arts. Aucune création n’existe sans expérience. Quelles que soient les différences entre le langage scientifique, le langage philosophique et leurs rapports avec les langues dites naturelles, les fonctifs (y compris les axes de coordonnées) ne préexistent pas tout faits, pas plus que les concepts ; Granger a pu montrer que des « styles » renvoyant à des noms propres existaient dans les systèmes scientifiques, non pas comme détermination extrinsèque, mais au moins comme dimension de leur création et même en contact avec une expérience ou un vécu [10] . Les coordonnées, les fonctions et équations, les lois, les phénomènes ou effets restent attachés à des noms propres, comme une maladie reste désignée par le nom du médecin qui a su en isoler, grouper ou regrouper les signes variables. Voir, voir ce qui se passe, a toujours eu une importance essentielle, plus grande que les démonstrations, même dans les mathématiques pures, qui peuvent être dites visuelles, figurales, indépendamment de leurs applications : beaucoup de mathématiciens pensent aujourd’hui qu’un ordinateur est plus précieux qu’une axiomatique, et l’étude des fonctions non linéaires passe par des lenteurs et des accélérations dans des séries de nombres observables. Que la science soit discursive ne signifie nullement qu’elle soit déductive. Au contraire, dans ses bifurcations, elle passe par autant de catastrophes, de ruptures et de réenchaînements marqués par les noms propres. Si la science garde avec la philosophie une différence impossible à combler, c’est que les noms propres marquent dans un cas une juxtaposition de référence, et dans l’autre une superposition de feuillet : ils s’opposent par tous les caractères de la référence et de la consistance. Mais la philosophie et la science comportent des deux côtés (comme l’art lui-même avec son troisième côté) un je ne sais pas devenu positif et créateur, condition de la création même, et qui consiste à déterminer par ce qu’on ne sait pas — comme disait Galois : « indiquer la marche des calculs et prévoir les résultats sans jamais pouvoir les effectuer » [11] .

C’est que nous sommes renvoyés à un autre aspect de l’énonciation, qui ne s’adresse plus au nom propre d’un savant ou d’un philosophe, mais à leurs intercesseurs idéaux intérieurs aux domaines considérés : on a vu précédemment le rôle philosophique des personnages conceptuels par rapport aux concepts fragmentaires sur un plan d’immanence, mais maintenant la science fait apparaître des observateurs partiels par rapport aux fonctions dans les systèmes de référence. Qu’il n’y ait pas d’observateur total, comme le serait le « démon » de Laplace capable de calculer l’avenir et le passé à partir d’un état de choses donné, signifie seulement que Dieu n’est pas plus un observateur scientifique qu’un personnage philosophique. Mais le nom de démon reste excellent en philosophie aussi bien qu’en science pour indiquer, non pas quelque chose qui dépasserait nos possibilités, mais un genre commun de ces intercesseurs nécessaires comme « sujets » d’énonciation respectifs : l’ami philosophique, le prétendant, l’idiot, le surhomme... sont des démons, non moins que le démon de Maxwell, l’observateur d’Einstein ou de Heisenberg. La question n’est pas de savoir ce qu’ils peuvent faire ou pas, mais la manière dont ils sont parfaitement positifs, du point de vue du concept ou de la fonction, même dans ce qu’ils ne savent pas ou ne peuvent pas. Dans chacun des deux cas, la variété est immense, mais pas au point de faire oublier la différence de nature entre les deux grands types.

Pour comprendre ce que sont les observateurs partiels qui essaiment dans toutes les sciences et tous les systèmes de référence, il faut éviter de leur donner le rôle d’une limite de la connaissance, ou d’une subjectivité de l’énonciation. On a pu remarquer que les coordonnées cartésiennes privilégiaient les points situés près de l’origine, tandis que celles de la géométrie projective donnaient « une image finie de toutes les valeurs de la variable et de la fonction ». Mais la perspective attache un observateur partiel comme un œil au sommet d’un cône, et dès lors saisit des contours sans saisir les reliefs ou la qualité de la surface qui renvoient à une autre position d’observateur. En règle générale, l’observateur n’est ni insuffisant ni subjectif : même dans la physique quantique, le démon de Heisenberg n’exprime pas l’impossibilité de mesurer à la fois la vitesse et la position d’une particule, sous prétexte d’une interférence subjective de la mesure avec le mesuré, mais il mesure exactement un état de choses objectif qui laisse hors du champ de son actualisation la position respective de deux de ses particules, le nombre de variables indépendantes étant réduit et les valeurs des coordonnées ayant même probabilité. Les interprétations subjectivistes de la thermodynamique, de la relativité, de la physique quantique témoignent des mêmes insuffisances. Le perspectivisme ou relativisme scientifique n’est jamais relatif à un sujet : il ne constitue pas une relativité du vrai, mais au contraire une vérité du relatif, c’est-à-dire des variables dont il ordonne les cas d’après les valeurs qu’il en dégage dans son système de coordonnées (ainsi l’ordre des coniques d’après les sections du cône dont le sommet est occupé par l’œil). Et à coup sûr un observateur bien défini dégage tout ce qu’il peut dégager, tout ce qui peut être dégagé dans le système correspondant. Bref, le rôle d’un observateur partiel est de percevoir et d’éprouver, bien que ces perceptions et affections ne soient pas celles d’un homme, au sens couramment admis, mais appartiennent aux choses qu’il étudie. L’homme n’en ressent pas moins l’effet (quel mathématicien n’éprouve pleinement l’effet d’une section, d’une ablation, d’une adjonction), mais il ne reçoit cet effet que de l’observateur idéal qu’il a lui-même installé comme un golem dans le système de référence. Ces observateurs partiels sont au voisinage des singularités d’une courbe, d’un système physique, d’un organisme vivant ; et même l’animisme est moins loin de la science biologique qu’on ne dit, quand il multiplie les petites âmes immanentes aux organes et aux fonctions, à condition de leur retirer tout rôle actif ou efficient pour en faire seulement des foyers de perception et d’affection moléculaires : les corps sont ainsi peuplés d’une infinité de petites monades. On appellera site la région d’un état de choses ou d’un corps appréhendé par un observateur partiel. Les observateurs partiels sont des forces, mais la force n’est pas ce qui agit, c’est, comme le savaient Leibniz et Nietzsche, ce qui perçoit et éprouve.

Il y a des observateurs partout où apparaissent des propriétés purement fonctionnelles de reconnaissance ou de sélection, sans action directe : ainsi dans toute la biologie moléculaire, en immunologie, ou avec les enzymes allostériques [12] . Déjà Maxwell supposait un démon capable de distinguer dans un mélange les molécules rapides et lentes, de haute et de faible énergie. Il est vrai que, dans un système en état d’équilibre, ce démon de Maxwell associé au gaz serait nécessairement pris dans une affection d’étourdissement ; il peut toutefois passer longtemps dans un état métastable proche d’une enzyme. La physique des particules a besoin d’innombrables observateurs infiniment subtils. On peut concevoir des observateurs dont le site est d’autant plus petit que l’état de choses traverse des changements de coordonnées. Finalement, les observateurs partiels idéaux sont les perceptions ou affections sensibles des fonctifs eux-mêmes. Même les figures géométriques ont des affections et des perceptions (pathèmes et symptômes, disait Proclus) sans lesquelles les problèmes les plus simples resteraient inintelligibles. Les observateurs partiels sont des sensibilia qui doublent les fonctifs. Plutôt que d’opposer la connaissance sensible et la connaissance scientifique, il faut dégager ces sensibilia qui peuplent les systèmes de coordonnées et qui sont propres à la science. Russell ne faisait pas autre chose quand il évoquait ces qualités dénuées de toute subjectivité, données sensorielles distinctes de toute sensation, sites établis dans les états de choses, perspectives vides appartenant aux choses mêmes, morceaux contractés d’espace-temps qui correspondent à l’ensemble ou aux parties d’une fonction. Il les assimile à des appareils et instruments, interféromètre de Michaelson, ou plus simplement plaque photographique, caméra, miroir, qui captent ce que personne n’est là pour voir et font flamboyer ces sensibilia non-sentis [13] . Mais, loin que ces sensibilia se définissent par les instruments, puisque ceux-ci sont en attente d’un observateur réel qui viendra voir, ce sont les instruments qui supposent l’observateur partiel idéal situé au bon point de vue dans les choses : l’observateur non-subjectif est précisément le sensible qui qualifie (parfois par milliers) un état de choses, une chose ou un corps scientifiquement déterminés.

De leur côté, les personnages conceptuels sont les sensibilia philosophiques, les perceptions et affections des concepts fragmentaires eux-mêmes : par eux les concepts ne sont pas seulement pensés, mais perçus et sentis. On ne peut pas toutefois se contenter de dire qu’ils se distinguent des observateurs scientifiques comme les concepts se distinguent des fonctifs, puisqu’ils n’apporteraient alors aucune détermination supplémentaire : les deux agents d’énonciation doivent se distinguer non seulement par le perçu, mais par le mode de perception (non-naturel dans les deux cas). Il ne suffit pas avec Bergson d’assimiler l’observateur scientifique (par exemple le voyageur en boulet de la relativité) à un simple symbole, qui marquerait des états de variables, tandis que le personnage philosophique aurait le privilège du vécu (un être qui dure), parce qu’il passerait par les variations elles-mêmes [14] . L’un n’est pas plus vécu que l’autre n’est symbolique. Il y a dans les deux cas perception et affection idéales, mais très différentes. Les personnages conceptuels sont toujours et déjà à l’horizon et opèrent sur fond de vitesse infinie, les différences anergétiques entre le rapide et le lent venant seulement des surfaces qu’ils survolent ou des composantes par lesquelles ils passent en un seul instant ; aussi la perception n’y transmet pas d’information, mais circonscrit un affect (sympathique ou antipathique). Les observateurs scientifiques au contraire sont des points de vue dans les choses mêmes, qui supposent un étalonnage d’horizons et une succession de cadrages sur fond de ralentissements et d’accélérations : les affects y deviennent des rapports énergétiques, et la perception même une quantité d’information. Nous ne pouvons guère développer ces déterminations, parce que le statut des percepts et des affects purs nous échappe encore, renvoyant à l’existence des arts. Mais justement, qu’il y ait des perceptions et affections proprement philosophiques, et proprement scientifiques, bref, des sensibilia de concept et de fonction, indique déjà le fondement d’un rapport entre la science et la philosophie d’une part, l’art d’autre part, de telle manière qu’on peut dire d’une fonction qu’elle est belle, d’un concept qu’il est beau. Les perceptions et affections spéciales de la philosophie ou de la science s’accrocheront nécessairement aux percepts et affects de l’art, celles de la science autant que celles de la philosophie.

Quant à la confrontation directe de la science et de la philosophie, elle se fait sous trois chefs d’opposition principaux qui groupent les séries de fonctifs d’une part, les appartenances de concepts d’autre part. C’est d’abord le système de référence et le plan d’immanence ; ensuite, les variables indépendantes et les variations inséparables ; enfin, les observateurs partiels et les personnages conceptuels. Ce sont deux types de multiplicité. Une fonction peut être donnée sans que le concept soit lui-même donné, bien qu’il puisse et doive l’être ; une fonction d’espace peut être donnée sans que soit encore donné le concept de cet espace. La fonction en science détermine un état de choses, une chose ou un corps qui actualisent le virtuel sur un plan de référence et dans un système de coordonnées ; le concept en philosophie exprime un événement qui donne au virtuel une consistance sur un plan d’immanence et dans une forme ordonnée. Le champ de création respectif se trouve donc jalonné d’entités très différentes dans les deux cas, mais qui n’en présentent pas moins une certaine analogie dans leurs tâches : un problème, en science ou en philosophie, ne consiste pas à répondre à une question, mais a adapter, coadapter, avec un « goût » supérieur comme faculté problématique, les éléments correspondants en cours de détermination (par exemple, pour la science, choisir les bonnes variables indépendantes, installer l’observateur partiel efficace sur un tel parcours, construire les meilleures coordonnées d’une équation ou d’une fonction). Cette analogie impose deux tâches encore. Comment concevoir les passages pratiques entre les deux sortes de problèmes ? Mais surtout, théoriquement, les chefs d’opposition empêchent-ils toute uniformisation, et même toute réduction des concepts aux fonctifs ou l’inverse ? Et, si toute réduction est impossible, comment penser un ensemble de rapports positifs entre les deux ?

[ 1 ] Iliya Prigogine et Isabelle Stengers, Entre le temps et l’éternité, Ed. Fayard, p. 162-163 (les auteurs prennent l’exemple de la cristallisation d’un liquide surfondu, liquide à une température inférieure à sa température de cristallisation : « Dans un tel liquide, il se forme de petits germes de cristaux, mais ces germes apparaissent puis se dissolvent sans entraîner de conséquences s).

[ 2 ] Cantor, Fondements d’une théorie générale des ensembles (Cahiers pour l’analyse, n° 10). Dès le début du texte Cantor invoque la Limite platonicienne.

[ 3 ] Sur l’instauration des coordonnées par Nicolas Oresme, les ordonnées intensives et leur mise en rapport avec des lignes extensives, cf. Duhem, Le système du monde, Ed. Hermann, VII, ch. 6. Et Gilles Châtelet, « La toile, le spectre, le pendule s, Les enjeux du mobile, à paraître : sur l’association d’un « spectre continu et d’une séquence discrète s, et les diagrammes d’Oresme.

[ 4 ] Hegel, Science de la logique, Ed. Aubier, II, p. 277 (et sur les opérations de dépotentialisation et de potentialisation de la fonction selon Lagrange).

[ 5 ] Pierre Vendryès, Déterminisme et autonomie, Ed. Armand Colin. L’intérêt des travaux de Vendryès ne réside pas dans une mathématisation de la biologie, mais plutôt dans une homogénéisation de la fonction mathématique et de la fonction biologique.

[ 6 ] Sur le sens que prend le mot figure (ou image, Bild) dans une théorie des fonctions, cf. l’analyse de Vuillemin à propos de Riemann : dans la projection d’une fonction complexe, la figure « donne à voir le cours de la fonction et ses différentes affections », « fait voir immédiatement la correspondance fonctionnelle » de la variable et de la fonction (La philosophie de l’algèbre, P.U.F., p. 320-326).

[ 7 ] Leibniz, D’une ligne issue de lignes, et Nouvelle application du calcul (trad. fr. Œuvre concernant le calcul infinitésimal , Ed. Blanchard). Ces textes de Leibniz sont considérés comme des bases de la théorie des fonctions.

[ 8 ] Ayant décrit le « mélange intime » des trajectoires de types différents dans toute région de l’espace de phases d’un système à stabilité faible, Prigogine et Stengers concluent : « On peut penser à une situation familière, celle des nombres sur l’axe où chaque rationnel est entouré d’irrationnels, et chaque irrationnel de rationnels. On peut également penser à la manière dont Anaxagore [montre comment] toute chose contient en toutes ses parties, jusqu’aux plus infimes, une multiplicité infinie de germes qualitativement différerents intimement mélangés » (La nouvelle alliance, Gallimard, p. 241).

[ 9 ] La théorie des deux sortes de « multiplicités » apparaît chez Bergson dès Les données immédiates, ch. II : les multiplicités de conscience se définissent par la « fusion », la « pénétration », termes qu’on trouve également chez Husserl dès la Philosophie de l’arithmétique. La ressemblance entre les deux auteurs est extrême à cet égard. Bergson ne cessera pas de définir l’objet de la science par des mixtes d’espaces-temps, et son acte principal par la tendance à prendre le temps comme « variable indépendante », tandis que la durée à l’autre pôle passe par toutes les variations.

[ 10 ] G.-G. Granger, Essai d’une philosophie du style, Ed. Odile Jacob, p. 10-11, 102-105.

[ 11 ] Cf. Les grands textes de Galois sur l’énonciation mathématique, André Dalmas, Evariste Galois, Ed. Fasquelle, p. 117-132.

[ 12 ] J. Monod, Le hasard et la nécessité, Ed. du Seuil, p. 91 : « Les interactions allostériques sont indirectes, dues exclusivement aux propriétés différentielles de reconnaissance stéréospécifique de la protéine dans les deux ou plusieurs états qui lui sont accessibles. » Un processus de reconnaissance moléculaire peut faire intervenir des mécanismes, des seuils, des sites et des observateurs très différents, comme dans la reconnaissance mâle-femelle chez les plantes.

[ 13 ] Russell, Mysticism and logic, « The relation of sense-data to physics », Penguin Books.

[ 14 ] Dans toute son œuvre, Bergson oppose l’observateur scientifique au personnage philosophique qui « passe » par la durée ; et surtout il tente de montrer que le premier suppose le second, non seulement dans la physique newtonienne (Données immédiates, ch. III), mais dans la Relativité (Durée et simultanéité).