Lawrence écouta un instant, puis hocha la tête. . , .

- qu'il prenne un portable avec lui, pour que nous puissl parler directement. Pardon ? Oui, d'accord. Je ne quitte Pas-II couvrit de sa main le micro du combiné, puis murii1111^ '

- L'adjoint n'a pas de portable, mais ils vont nous branç leur radio. Le carrossier doit être environ à deux cents ^c bureau du shérif.

- Je ne comprends pas très bien, leur dit Syd. que cn6 nous exactement ?

- La traction exercée par l'occupant sur le dispositif de r ª

expliqua Trudy.

- Elle est nulle, fit Syd en secouant la tête. J'ai lu tous P

ports. Ils sont catégoriques. Willis n'avait pas sa ceinture 4U voiture a basculé dans le vide. Il a été catapulté à travers , ,. , brise. Mais il n'y avait plus de pare-brise à ce moment'là, &1

- Regardez cette photo, lui dit Darwin en lui tendant Ie d∞c L'un des airbags s'est déployé. ,

- Oui, du côté passager, répondit-elle en regard‚t _ a ^ , ' Mais j'ignore ce que cela prouve. Probablement une défa1^ capteur de l'airbag, vous ne croyez pas ?

Trudy secoua la tête.

116

- Les défaillances de ce genre de capteurs sont rares que nous pouvons pratiquement écarter cette en >. 4. -4. * j- T i v > l'ndiomt du

Elle s interrompit tandis que Lawrence parlait a l duj shérif par radio.

- D'accord. Oui, bonjour, monsieur l'adjoint. Lawrence > de l'agence Stewart. Vous êtes devant la Camry ? Par*a ' . ' j'imagine.

Ah ! Elle est bien bonne, celle-là. Je la f£tieia ', . roula des yeux désabusés.) «a vous ennuierait de jeter tin cou?

au siège du passager et de. . . Il s'interrompit un instant pour écouter, et murmura '

345

- Je sais, je sais qu'il est défoncé et qu'il y a du sang partout. Je ne vous ai pas demandé de vous asseoir dessus. Il n'y a pas de portière, n'est-ce pas ? Bon. Nous parlons bien de la même voiture...

Dar glissa de nouvelles photos devant Syd. Elle regarda celle de la portière à côté du rocher en haut de la falaise et se mordilla la lèvre inférieure.

- Veuillez examiner la base du siège, monsieur l'adjoint. Oui, à l'endroit o˘ la ceinture est fixée à la carrosserie. Il y a un petit boîtier. Vous le voyez ? Bon. Est-ce qu'il y a une languette rouge qui dépasse ?

Il écouta son interlocuteur durant quelques secondes.

- Oui, une languette rouge, répéta-t-il. Elle devrait être bien visible.

Elle devrait indiquer : ´ Remplacer ceinture. ª (II écouta de nouveau.) Vous êtes s˚r ? Bon, je vous remercie, monsieur l'adjoint.

Il revint s'asseoir.

- Pas de languette, dit-il.

- Si M. Willis avait mis sa ceinture, le dispositif de retenue aurait subi une traction de un G sept dixième, déclara Trudy. On pourrait voir les effets sur la sangle et sur l'enrouleur à inertie, bien entendu, mais Toyota a également ce petit système de languette qui surgit pour indiquer au réparateur qu'il doit remplacer le système après un accident.

Syd avait l'air de plus en plus perplexe.

- Mais les enquêteurs de la police routière et les nôtres savaient depuis le début qu'il n'avait pas mis sa ceinture, dit-elle.

Dar prit un rapport sur la table.

- Sa secrétaire, quand on l'a interrogée, a affirmé que Willis bouclait systématiquement sa ceinture en voiture. Il lui a même dit à plusieurs reprises qu'il avait vu dans sa vie trop de blessés et de morts par accident de la route pour négliger de le faire.

- Mais il avait trop bu ce soir-là.

- Légalement, oui, peut-être, mais pas au point de tomber ivre mort ni de confondre la marche avant et la marche arrière, ou la pédale d'accélérateur et celle du frein. Même ivre, on fait ces choses automatiquement. Il aurait bouclé sa ceinture, même s'il avait d˚ s'y reprendre à deux ou trois fois.

346

Syd se frotta le menton.

- Je ne vois toujours pas ce que signifie le déploiement de l'airbag côté

passager.

- Il fallait qu'il y ait un poids sur le siège pour que le capteur déploie cet airbag, expliqua Lawrence en examinant de nouveau la photo de l'intérieur écrasé de l'habitacle avec son sac à air dégonflé.

- Pendant la chute, il a d˚ basculer contre le siège passager, murmura Syd.

Elle vit aussitôt la faille dans son raisonnement, et se reprit.

- Ou plutôt non...

- Bien vu, fit Dar. Pendant que le véhicule tombait du haut de la falaise, M. Willis était en chute libre de même que le reste de la Camry. Il n'était pas sanglé, et il lévitait donc. Il flottait au-dessus de son siège comme un astronaute de la navette en orbite.

- Pas de poids sur le siège, donc le capteur n'a pas pu déployer l'airbag, expliqua Lawrence. Pas même lors du terrible choc sur les rochers.

- Mais l'airbag s'est cependant déployé ! objecta Syd.

- Côté passager seulement, intervint Trudy. Mais pas dans l'impact avec les récifs.

- La barrière, murmura Syd, qui commençait à voir le tableau. Mais si Willis occupait le siège passager quand la Camry l'a défoncée à cinquante-cinq à l'heure, selon l'estimation de la police routière...

- Pourquoi l'airbag côté conducteur ne s'est-il pas déployé ? acheva Dar à

sa place. Il fallait bien que quelqu'un soit au volant. ¿ moins que...

- ¿ moins que le conducteur n'ait sauté avant l'impact avec la barrière, dit Syd comme si elle se parlait à elle-même. quelqu'un a assommé Willis d'un coup sur la tête, sachant que la blessure ne se distinguerait pas des traumatismes de la chute, et il l'a assis sur le siège passager avant de conduire la Camry vers la barrière. Puis il a sauté dans l'herbe juste avant l'impact, sachant que la voiture continuerait jusqu'au précipice.

- L'airbag côté conducteur ne s'est pas déployé pour la bonne raison qu'il n'y avait personne au volant au moment du choc, continua Lawrence. Il ne s'est pas déployé non plus quand la voiture

347

a percuté les rochers en bas, et ce n'est pas du tout parce que Willis était en chute libre, comme l'ont écrit les enquêteurs dans leur rapport, mais parce qu'il flottait au-dessus de l'autre siège.

- Mais il a été éjecté par le trou du pare-brise côté conducteur, objecta Syd.

Dar hocha la tête.

- Il faudra que je réalise une reconstitution graphique sur ordinateur, mais les équations balistiques semblent concorder avec l'impact initial contre le rocher par l'avant gauche de la Camry. Compte tenu de la direction principale du vecteur de force, l'occupant, qui n'avait pas sa ceinture et dont l'airbag s'était déjà dégonflé, a d˚ être propulsé

obliquement et passer par-dessus le capot côté conducteur. Alors que si l'airbag passager s'était déployé au moment de l'impact avec les rochers...

- Il aurait probablement été écrasé par la voiture, dit Syd, qui comprenait maintenant ce qui s'était passé.

- Cela explique pourquoi la portière côté conducteur a été arrachée en haut de la falaise, murmura Trudy. Ce n'est pas parce que Willis essayait de sauter en marche. La portière est restée ouverte quand l'assassin a sauté dans l'herbe avant l'impact avec la barrière.

Syd regarda les photos macabres.

- Les salauds ! Leur arrogance les rend complètement stupides ! Son téléphone mobile sonna. Elle se leva tout en répondant. Elle écouta quelques instants, puis revint s'asseoir avec les autres. Elle était blême. Même ses lèvres étaient livides. Elle agrippa le bord de la table et se laissa littéralement tomber sur son siège. Ses mains tremblaient. Dar et Lawrence se penchèrent sur elle. Trudy se dépêcha d'aller lui chercher un verre d'eau.

- qu'est-ce qu'il y a ? demanda Darwin.

- Tom Santana et les trois agents du FBI qui se sont infiltrés..., dit-elle en peinant sur chaque mot. C'était Warren au téléphone. Une voiture de la patrouille routière a découvert... les quatre corps... carbonisés...

dans le coffre d'une Pontiac abandonnée... il y a une demi-heure.

Elle prit le verre d'eau des mains de Trudy. Elle le porta à ses lèvres, les mains tremblantes, et but.

- Comment..., murmura Dar.

348

- Chacun des quatre a reçu deux balles de carabine, dit-elle d'une voix un peu plus assurée, mais le visage toujours livide. Une dans la tête et une au cour. Probablement à distance moyenne.

- Doux Jésus ! s'exclama Lawrence. quel individu sain d'esprit peut abattre froidement trois agents du FBI et un enquêteur de la Division des fraudes ?

- Aucun individu sain d'esprit, murmura Dar.

- Ces misérables enfoirés se croient tout permis ! fit Syd, dont les mains se remirent à trembler au point de renverser l'eau qui était dans son verre, indiquant à Dar que c'était là une réaction de pure colère. Mais nous savons maintenant qui renseigne Trace et ses tueurs, ajouta-t-elle.

- qui ? demanda Trudy.

Il y avait des larmes dans les yeux de Syd quand elle esquissa un p‚le sourire.

- Venez tous les trois à la réunion de ma force opérationnelle demain matin à huit heures, leur dit-elle, et vous saurez tout.

20 Télépathie

La réunion du jeudi matin de la force opérationnelle de Syd fut l'une des assemblées les plus efficaces auxquelles il se souvenait d'avoir jamais assisté. Syd avait insisté la veille pour partir immédiatement après le coup de téléphone de Warren. Il avait accepté de rester dîner chez les Stewart, mais avait tenu, auparavant, à faire le tour de la maison pour s'assurer qu'il n'y avait pas de tireur embusqué. Sa conclusion fut qu'ils ne risquaient rien. La maison était implantée sur un versant de colline qui dominait la route, avec une prairie et des bois très denses au-dessous en direction du sud. Il y avait plus de 800 m en ligne droite jusqu'aux bois, et l'angle était très défavorable pour un éventuel sniper. Pour que les occupants de la maison soient visibles dans cette direction, il fallait qu'ils s'avancent jusqu'au bout du patio, et il n'était pas question qu'ils le fassent, ils en avaient déjà discuté. La maison était plus bas que le niveau de la route qui passait au nord, mais les habitations étaient serrées de ce côté-là, et la visibilité réduite. Sans compter les voitures qui passaient assez fréquemment. Larry et Trudy avaient des protections valables sur les portes et fenêtres qui donnaient au nord, et la t‚che d'un sniper n'aurait pas été facile.

Après dîner, Dar prit tout de même sa voiture pour faire le tour du quartier et s'assurer que tout avait l'air normal avant de rentrer chez lui.

351

Rien, par contre, n'avait l'air normal à la réunion de 8 heures de la force opérationnelle. Syd avait l'air épuisée, et les autres semblaient tous irrités et de mauvaise humeur pour avoir été convoqués si tôt. C'était à

peu près le même groupe que la dernière fois. Syd, Poulsen, l'agent Warren et un autre homme du FBI. Il y avait aussi Bob Gauss, l'ex-patron de Santana. ¿ côté de Warren avait pris place le lieutenant Barr, des services internes de la police de Los Angeles. Larry et Trudy étaient assis à la droite de Dar, de l'autre côté de la table. Le capitaine Frank Hernandez et le capitaine Sutton de la police routière de Californie étaient à sa gauche. Au bout de la table, il y avait un nouveau visage, celui du procureur William Restanzo, qui avait tout à fait la gueule de l'emploi du politicien universel, avec sa mise impeccable, ses cheveux grisonnants et sa m‚choire carrée.

Syd ouvrit la séance sans préambule.

- Vous savez tous que quatre personnes appartenant à cette force opérationnelle ont été assassinées hier. L'enquêteur Tom Santana, l'agent spécial Don Garcia, l'agent spécial Bill Sanchez et l'agent spécial responsable Rita Foxworth. Tous les quatre ont été attirés dans un endroit isolé en pleine campagne - sous prétexte d'une séance d'entraînement au swoop and squat - et abattus par un tireur caché avec un fusil longue portée.

Elle s'interrompit pour reprendre son souffle puis continua.

- Les détails de ce crime ne seront pas abordés ici. L'enquête en cours est placée sous la direction de l'agent spécial responsable Warren.

Hernandez lança un regard circulaire à l'assistance.

- Si ces détails ne nous concernent pas, pourquoi avons-nous été

convoqués ? demanda-t-il.

Syd le regarda dans les yeux.

- Pour que nous puissions procéder à l'arrestation de la personne responsable de ces meurtres, dit-elle.

Personne ne parla après elle. Dar vit Lawrence changer légèrement de position. Il savait que c'était, peut-être inconsciemment, pour rendre son holster plus accessible.

- Il y a plusieurs mois que nous savons qu'il y a des fuites à un niveau élevé, poursuivit Syd. C'est Tom qui a eu l'idée de vous 352

annoncer qu'il allait infiltrer l'Alliance. ¿ la suite de quoi nous avons mis la plupart d'entre vous sur écoute.

Elle attendit que quelqu'un proteste, mais les membres du groupe se contentèrent de serrer les poings et les m‚choires. Personne ne dit mot pendant un bon moment.

- quel a été le résultat ? demanda finalement le capitaine Sutton d'une voix rauque de fumeur invétéré.

- Directement, aucun, répondit-elle. La personne en question a d˚ se douter qu'elle était surveillée. Nous n'avons rien eu d'anormal sur les écoutes.

- Dans ce cas, comment...

- Cette personne a même évité d'utiliser les cabines téléphoniques de son quartier, continua Syd. Ce qui était très avisé de sa part, car elles étaient toutes sur écoute elles aussi. La personne suspecte a donc utilisé

un téléphone mobile spécial acheté par l'Alliance et enregistré sous un faux nom. Nous pensons qu'elle en avait reçu plusieurs, qu'elle ne devait utiliser qu'en cas d'urgence.

Syd déboutonna son blazer, et Dar aperçut le Sig-Sauer 9 mm dans son holster à sa ceinture. Elle se tourna alors vers l'avocate Poulsen du NICB.

- Vous n'aviez pas pensé, Jeanette, que nous tenions suffisamment à

démasquer cette personne pour suivre tous les suspects à la trace avec des détecteurs de téléphone mobile.

Syd enfonça une touche de l'enregistreur posé devant elle.

On entendit la voix de Poulsen, métallique et déformée, mais reconnaissable quand même, qui disait : Śantana, de la Division des fraudes, et trois agents du FBI vont infiltrer votre Secours aux démunis. ª

Une voix masculine à la tonalité grave répondit quelque chose d'inintelligible.

- Non, je ne connais pas le nom de ces agents, répliqua la voix de Poulsen, mais je sais qu'il s'agit d'une femme et de deux hommes et qu'ils doivent entrer dans le pays avec le même passeur et contacter le Secours au même moment que Santana. Je ne peux rien vous dire de plus pour le moment.

La voix masculine parla de nouveau, mais cette fois-ci les mots argent, transfert et somme habituelle ressortirent.

353

L'avocate Poulsen bondit de sa chaise comme si elle était propulsée par un puissant ressort. Son visage était cramoisi et les tendons saillaient sur son joli cou.

- Je ne suis pas forcée d'écouter vos conneries ! s'écria-t-elle. Tout ça ne signifie absolument rien ! Vous n'êtes pas capable d'apporter le moindre élément nouveau, au bout de six mois, à votre foutue chambre de mise en accusation, et vous voulez me coller ça sur le dos ! (Elle fit un pas vers la porte.) Vous me contacterez par l'intermédiaire de mon avocat...

Syd l'agrippa au passage par le bras, la fit pivoter et la plaqua la face contre la table de conférence en l'immobilisant par les deux poignets. Elle sortit habilement des menottes passées à sa ceinture et les referma sur Poulsen avant que l'avocate ait eu le temps de redresser la tête.

- Vous avez le droit de garder le silence..., commença-t-elle.

- Va te faire foutre ! jeta Poulsen, mais Syd la saisit par les cheveux et lui cogna la tête contre le dessus de la table.

- Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous dans une cour de justice, poursuivit-elle d'une voix calme. Vous avez le droit de demander l'assistance d'un avocat...

Elle souleva les poignets menottes de la femme dans son dos. Poulsen étouffa un cri, mais ne dit rien.

- Nous nous en occupons, intervint Warren.

Aidé par l'agent du FBI assis à côté de lui, il prit par le bras Poulsen, à

présent en larmes, et l'emmena en continuant de lui énoncer ses droits.

Lorsque la porte se fut refermée derrière eux, Syd s'essuya les mains sur son pantalon de toile comme si elles étaient souillées.

- Nous avons retrouvé la trace d'un transfert de cent quinze mille dollars sur un compte numéroté que Poulsen a ouvert il y a huit mois, dit-elle.

La voix de Syd était restée assurée jusque-là, mais elle s'interrompit pour prendre une longue inspiration.

- La prochaine réunion normale de notre force opérationnelle aura lieu dans huit jours, reprit-elle. Le procureur Restanzo a accepté d'en faire partie et il sera là. J'espère pouvoir vous annoncer de nouveaux développements à cette occasion.

354

Elle fit du regard le tour de l'assistance.

- Certains d'entre vous connaissaient bien Tom Santana. C'était mon cas.

Nous étions très proches, avec sa femme, Mary, et leurs deux enfants, depuis quatre ans. La cérémonie funèbre aura lieu demain à dix heures à

l'église catholique de Trinity, à Northridge, à quelques rues de Réséda Boulevard, non loin du campus de l'université d'…tat. Vous serez informés des dispositions concernant les agents spéciaux Garcia, Sanchez et Foxworth.

Durant les funérailles de Santana, Dar s'avisa qu'il n'avait pas mis les pieds dans une église catholique depuis la mort de David et de Barbara.

Après la cérémonie, la foule s'attarda quelque temps sur le parvis de l'église. L'inhumation devait se dérouler en privé, et Syd demanda à Dar si elle pouvait lui parler par la suite. Il acquiesça d'un mouvement de tête, voyant son costume sombre et ses lunettes se refléter sur les verres fumés de son interlocutrice. Elle n'avait pas pleuré durant le service funèbre ni quand elle avait serré dans ses bras Mary Santana et les deux enfants.

- O˘ et quand ? demanda-t-il.

- Lawrence et Trudy voudraient que nous nous retrouvions sur le site de l'accident d'Esposito à seize heures pour une démonstration. «a vous va après ça ? Chez vous ?

- J'y serai.

Le téléphone mobile de Lawrence sonna pendant que l'expert roulait avec Dar sur la route de San Diego dans la NSX remise à neuf.

- C'est gagné ! dit-il après avoir coupé la communication.

- Une des photos ? demanda Darwin.

- Oui ! Je les avais montrées aux quelques ouvriers présents sur le chantier ce dimanche-là. Pas à Vargas, le contremaître, qui a refusé de coopérer, mais aux autres. Deux d'entre eux ont identifié l'un des hommes, qui se promenait sur le chantier avec un casque. Ils ne le connaissaient pas, mais ils ont supposé que c'était un intérimaire embauché pour le week-end.

- L'un des Russes ?

- Non. L'ex-mafieux du New Jersey Tony Constanza.

355

- Ils accepteront de témoigner au tribunal ?

- qui sait ? Je ne leur ai pas dit qu'il s'agissait d'une affaire de meurtre impliquant des tueurs de la mafia. Je leur ai juste montré les photos. Personnellement, si je connaissais les dessous de l'histoire, je sais que je refuserais de témoigner.

Le procureur Restanzo était sur le chantier avec trois de ses subordonnés, et personne ne semblait ravi à l'idée de crotter ses chaussures dans la boue. Deux agents de police en uniforme avaient tendu un ruban autour de la plate-forme élévatrice et montaient la garde en empêchant les ouvriers trop curieux de s'approcher. Le lieutenant Heraandez avait les bras croisés.

Trudy avait installé sa caméra vidéo sur un trépied. Lawrence se tenait sous la fourche levée de la plate-forme exactement à l'endroit o˘ se trouvait Jorge Murphy Esposito quand il avait été tué. Comme au moment de l'accident, il y avait deux cent cinquante kilos de bois sur le plateau, à

une dizaine de mètres de hauteur.

- Nous essayons d'établir s'il s'agit d'un accident ou d'un crime imputable à l'Alliance, expliqua Heraandez. M. Stewart ici présent pense avoir la réponse.

Il désigna Lawrence, qui fit signe à Trudy. Le voyant rouge de la caméra s'alluma. Lawrence se racla la gorge.

- Très bien, dit-il. Nous savons tous que l'autopsie et les témoignages concernant la mort de Me Esposito indiquent qu'il n'aurait pas pu retirer la vis de cette colonne hydraulique et être tué en moins de deux secondes sans être aspergé de liquide hydraulique. Les photos prises par le médecin légiste établissent sans l'ombre d'un doute que seuls les revers de son pantalon et les semelles de ses chaussures ont été touchés par le liquide.

Plusieurs ouvriers présents ce jour-là ont identifié sur des photographies un homme qui se trouvait sur le chantier le dimanche o˘ Me Esposito est mort. Cet homme, Tony Constanza, est un ex-membre de la mafia, aujourd'hui au service de l'avocat Dallas Trace.

- Je n'aime pas ce terme de mafia, déclara le procureur Restanzo.

Il fait allusion aux Italiens et aux Siciliens, et s'en prend à un groupe ethnique spécifique. Tout le monde sait que ce qu'on 356

appelle le Syndicat n'est plus dominé, depuis longtemps, par un groupe ethnique particulier. Nous préférons l'expression ćrime organisé ª.

- D'accord, fit Lawrence. Rectification, M. Tony Constanza est un ex-membre de la partie multiethnique, multiraciale et égalitaire du syndicat du crime organisé qui, aujourd'hui encore, est composé principalement de Sicilo et d'Italo-Américains et que l'on appelle communément la mafia.

¿ présent, continua-t-il en regardant le procureur dans les yeux, si vous comptez intenter une action, il vous faut la preuve qu'il s'agit bien d'un meurtre et non d'un accident. J'aimerais vous démontrer cette preuve. Je suis ici à l'endroit exact o˘ Me Esposito se trouvait deux secondes avant que la plate-forme élévatrice perde sa pression hydraulique et retombe sur lui en l'écrasant sous son dispositif à ciseaux. quelqu'un veut-il m'assister dans la reconstitution de l'accident ?

Personne ne bougea durant une bonne minute. Puis Dar s'avança sous la plate-forme à côté de Lawrence. Il n'avait pas la moindre idée de ce à quoi son ami voulait en venir, mais il faisait confiance à son professionnalisme. Ses chaussures noires de chez Bally et le bas de son pantalon Armani étaient maintenant maculés de boue, mais cela ne l'inquiétait pas outre mesure. Il était capable de cirer ses chaussures.

- Monsieur le procureur, pourriez-vous dévisser puis retirer la vis de réglage hydraulique ? demanda Lawrence.

L'énorme plate-forme était à dix mètres de haut au-dessus de sa tête... et de celle de Dar.

- C'est plein de boue, protesta Restanzo, visiblement encore dépité par cette histoire de mafia.

- Je vais le faire, dit le lieutenant Hernandez.

Il s'avança dans la gadoue jusqu'à un endroit situé en bordure de l'ombre de la plate-forme, à côté de la colonne hydraulique.

Lawrence attendit un instant, car Syd était en train de traverser à grands pas le chantier dans leur direction.

- Désolée d'être en retard, dit-elle, un peu essoufflée.

- Nous allions juste commencer la démonstration, fit Lawrence. Lieutenant, voulez-vous dévisser puis retirer la vis de réglage hydraulique ?

357

Dar jeta un coup d'oeil à Lawrence. Les deux hommes se tenaient dans une attitude décontractée, les bras croisés, la masse de la plateforme constituant une présence palpable au-dessus d'eux, mais Dar était en train de calculer mentalement s'il allait pouvoir saisir Larry à temps pour l'entraîner hors de portée des ciseaux quand ils tomberaient. L'équation était simple, et la réponse encore plus. Non.

Hernandez haussa les épaules et commença à tourner la grosse vis en sens inverse de celui des aiguilles d'une montre. Elle bougea, on entendit un gargouillis de fluide hydraulique, et la plate-forme descendit de quinze centimètres.

- Merde ! s'écria Hernandez en faisant un bond en arrière.

- Complètement, s'il vous plaît, lui dit Lawrence.

Le capitaine de la brigade criminelle s'avança de nouveau vers la colonne comme si c'était un serpent à sonnette. Précautionneusement, il reprit la vis entre ses doigts et la tourna d'un quart de tour. La plate-forme semblait frémir en attente d'une descente subite.

- Jusqu'au bout, s'il vous plaît, insista Lawrence.

La vis cessa de tourner. Hernandez s'arc-bouta, força sur la tête à

oreilles, changea de main, força encore, essaya à deux mains.

- Ce foutu truc..., pardonnez-moi, monsieur Restanzo... ne veut pas venir.

Lawrence s'avança vers la colonne et Dar s'empressa de le suivre, heureux de quitter la place du mort. Lawrence posa la main sur l'imposant boulon fileté et attendit que Trudy prenne son cliché.

- Monsieur le procureur, madame l'enquêteuse Oison, capitaine Hernandez, messieurs, ce boulon est dans son logement normal, comme il l'était le jour o˘ l'avocat Jorge Murphy Esposito a trouvé la mort. Il est impossible que Me Esposito ait retiré ce boulon par accident. Comme vous venez de le constater, il est conçu pour être réglé à la main dans une certaine limite, mais au-delà de deux tours il faut une bonne clé pour le faire bouger davantage. C'est l'enfance de l'art.

Lawrence se tourna alors vers Syd puis vers le procureur avant d'ajouter :

- Celui qui a tué Me Esposito - et nous avons des témoins qui confirmeront la présence ici de l'ex-rueur de la mafia Tony Constanza au moment du crime

- devait le tenir en joue pendant qu'il retirait le boulon à l'aide d'une clé.

358

- Nous n'en avons trouvé aucune ici, lui dit Hernandez.

- Justement.

Lawrence fit signe à Trudy d'arrêter la caméra vidéo, puis sortit de l'ombre de la plate-forme, suivi par Dar.

Trudy et Lawrence s'arrêtèrent à l'appartement de Dar pour boire un coup avant de rentrer à Escondido. Syd ne semblait pas pressée d'avoir avec Dar cet entretien qu'elle lui avait demandé après la cérémonie funèbre de Tom Santana.

- Bon, nous avons résolu l'affaire Esposito. Constanza est coupable, déclara Trudy. Le dossier Willis, à Carmel, a été rouvert, et le FBI a pris possession de la Camry. Ils vont faire l'impossible pour retrouver une empreinte, une fibre ou n'importe quoi...

- Warren s'investit complètement dans cette affaire, déclara Syd.

- quatre agents morts, rien d'étonnant, commenta Lawrence.

- Est-ce que Dallas Trace serait fou à lier ? demanda Trudy. Il est avocat depuis trente ans. Il devrait savoir que l'une des choses sur lesquelles on ne passe jamais, dans ce pays, c'est de toucher à un représentant de la loi.

Dar s'éclaircit la voix.

- Je ne pense pas que Trace soit encore aux commandes, si toutefois il l'a jamais été, dit-il.

Les trois autres le regardèrent avec de grands yeux.

- Ce genre de comportement est typique des Russes, continua Dar. Leur pègre dirige le pays. quand les bureaucrates du gouvernement ou la police se mettent en travers de sa route, elle les élimine froidement. C'est aussi simple que ça.

- Il a raison, dit Syd. Ils n'ont pas là-bas de programme de lutte contre les RICO ni quoi que ce soit qui permette à leur police locale ou fédérale de tomber à bras raccourcis sur ces salauds. La mafia russe détient et organise la distribution du charbon, du gaz naturel, de l'alcool, de la moitié des denrées alimentaires disponibles et de l'énergie électrique.

- D'après vous, murmura Trudy, l'Alliance a fait venir les Russes pour lui prêter main-forte, et ce sont eux, maintenant, qui tirent les ficelles ?

359

- Je suis prêt à parier là-dessus, répondit Darwin. Je pense que Dallas Trace et les autres dirigeants du réseau de fraudes ont enfourché un tigre

-je devrais plutôt dire un ours - et ne songent plus maintenant qu'à

s'accrocher à son dos pour ne pas se faire dévorer.

- Il est trop tard pour eux, déclara Syd, le regard lointain. Ils sont allés trop loin. Ils vont tous se faire bouffer, l'ours y compris... et j'espère qu'ils mourront très lentement.

- De quoi vouliez-vous me parler ? demanda Darwin après le départ des Stewart.

Syd était sur le canapé face à lui, perdue dans ses pensées. Elle releva la tête et croisa le regard de Dar avec ses yeux bleus attentifs et intelligents qui avaient tout de suite éveillé son intérêt.

- En fait, je n'avais pas seulement envie de parler, dit-elle. Je voulais vous faire une suggestion.

- Laquelle ?

- Je voulais aller ce week-end avec vous dans votre chalet. Mais pas pour jouer à la garde du corps ni pour une séance de stratégie. Juste pour m'échapper quelque temps avec vous.

Dar éprouva un pincement au cour en entendant ces mots. Il hésita.

- Je ne sais pas si c'est très prudent de rester autour de... Il allait dire : ´ de moi ª, mais il acheva en bredouillant :

- Du chalet. Elle sourit.

- Aucun endroit n'est s˚r, s'ils ont décidé de s'en prendre à nous, Dar.

Si vous ne voulez pas être avec moi, libre à vous, mais oublions un peu la sécurité pour le moment.

Dar comprit que cette remarque avait plusieurs significations pour elle.

- Il faut que vous retourniez prendre vos affaires à l'hôtel ? demanda-t-il.

Elle donna un coup de pied dans le petit sac qu'elle avait apporté avec elle.

- J'ai tout ce qu'il faut, dit-elle.

360

Pendant qu'ils roulaient dans le Land Cruiser, son vieux fusil et son arme d'emprunt dans le coffre sous une b‚che avec leurs munitions et, sur le siège arrière, quelques provisions, biftecks, légumes frais et bouteilles de vin, Dar eut une pensée soudaine. C'était peut-être présomptueux de sa part, mais si elle était dans le même état d'esprit que lui elle ne passerait peut-être pas la nuit dans le chariot de berger. Merde ! se dit-il. J'aurais d˚ m'arrêter à un drugstore avant de quitter la ville ! Il se sentit rougir soudain. Pendant des années, il était resté fidèle à Barbara.

Ensuite, il n'y avait eu personne.

Syd lui toucha légèrement le bras. Il la regarda en diagonale.

- Vous croyez à la télépathie ? demanda-t-elle. De nouveau, elle souriait.

- Non, lui répondit-il.

- Moi non plus, dit-elle. Mais pouvons-nous faire semblant d'y croire un instant ?

- Pourquoi pas ? fit-il en regardant de nouveau la route, espérant que sa nuque et ses joues n'étaient pas aussi rouges qu'il en avait l'impression.

- Je crois que nous connaissons le même dilemme, Dar, murmura-t-elle. Nous n'avons pas l'esprit assez jeune et assez moderne pour réfléchir à toutes les implications de la situation o˘ nous sommes, mais ça représente un certain avantage, à mon avis.

Il gardait les yeux rivés sur la route.

- Ma vie était très terne, en tant que recrue du FBI, avant que j'épouse Kevin, reprit-elle. Nous étions fidèles l'un à l'autre, mais ça n'a pas marché. Et, pour toutes sortes de raisons, il n'y a eu personne d'autre après lui.

- Barbara et moi... c'était pareil... Je n'ai jamais... J'ai délibérément choisi de...

De nouveau, elle posa la main sur son bras.

- Vous n'êtes pas obligé d'en parler, Dar. Je voulais juste dire que c'est à vous de jouer. Nous ne sommes plus des enfants. Peut-être que cette stupide abstinence, de chaque côté, nous donne quelque chose de spécial à

partager, par les temps qui courent.

Il lui lança un coup d'oil.

- Continuez comme ça, lui dit-il, et je vais finir par croire à la télépathie.

361

Ils arrivèrent au chalet juste à l'heure du crépuscule. La lumière était dense et dorée malgré les volets à moitié fermés.

- Voulez-vous boire quelque chose avant le dîner ? demanda Darwin.

- Non.

Elle retira son holster, prit trois cartouches dans les logements de sa ceinture de cuir et les posa sur la commode.

Il y avait longtemps que Dar n'avait pas aidé une femme à se déshabiller.

Il avait presque oublié comment défaire des boutons à l'envers. Une fois débarrassée de ses vêtements, Syd était toute blanc et or en culotte et soutien-gorge. Ils s'embrassèrent. Dar se souvint de la manière dont fonctionnaient les brides et les agrafes, et il en vint à bout sans t

‚tonner. Elle avait les seins lourds et les hanches larges. C'était une belle femme m˚re.

- ¿ ton tour, lui dit-elle.

Elle l'aida à faire passer son T-shirt par-dessus sa tête et commença à

défaire la boucle de la ceinture de son pantalon.

- Je me pose la question depuis notre première rencontre, dit-elle entre deux baisers, ses seins comprimés contre son torse. Tu es du genre slip ou caleçon ?

Elle défit la fermeture …clair de sa braguette et l'aida à retirer son pantalon chino.

- Mon Dieu ! s'écria-t-elle.

- C'est une habitude que j'ai prise au Vietnam, dit-il. Personne ne porte de sous-vêtements dans la jungle.

- Très romantique, dit-elle avec un sourire.

Mais cette fois-ci, en le serrant contre elle, sa main droite se glissa entre eux et elle le saisit.

Les draps étaient humides. Elle écarta les oreillers d'un revers de main.

Dar l'embrassa sur les lèvres, puis à la base du cou, puis sur les seins, sur les bouts dilatés. Leurs doigts s'entrecroisèrent avant même qu'il la pénètre.

Elle l'embrassa longuement, passionnément. Leurs doigts s'entrecroisèrent encore plus étroitement tandis qu'elle levait les bras au-dessus de sa tête, les paumes de leurs mains collées l'une contre 362

l'autre, ses bras à lui plaquant les siens contre le drap, chaque centimètre carré de sa chair conscient du contact de la sienne.

Ils dînèrent vers 23 heures. Dar fit griller les steaks à l'extérieur, vêtu uniquement de sa robe de chambre, tandis que Syd égouttait la salade, faisait frire quelques quartiers de pommes de terre, car ils étaient trop impatients pour attendre qu'elles soient cuites au four, et ouvrait le cabernet sauvignon pour l'oxygéner. Dar avait une faim de loup, et Syd aussi.

Il avait oublié. C'était aussi simple que ça. Naturellement, il se souvenait des plaisirs du sexe - inoubliables -, mais il avait perdu le souvenir des mille petits plaisirs de l'intimité avec une femme. tre couché, nu, à côté d'elle, et bavarder paisiblement avant que les impératifs physiques ne se manifestent de nouveau ; se doucher ensemble, et transformer le simple acte de se laver la tête en une pure forme de jouissance ; éclater de rire en allant partout dans la maison en robe de chambre, pieds nus, affamé, préparer le repas en vitesse... profiter du moment qui passe...

Ils se servirent un verre de single malt Macallan en guise de dessert et allèrent le boire devant la cheminée. La nuit était chaude, et les fenêtres ouvertes laissaient entrer l'odeur et le bruissement des pins ainsi que le cri occasionnel des oiseaux de nuit ou le jappement lointain des coyotes.

Mais ils avaient tout de même fait du feu. Puis ils laissèrent la bouteille de scotch à moitié consommée sur la table basse et retournèrent au lit, encore plus passionnément que précédemment. Elle poussa un cri d'extase au même moment que Dar. En même temps, ils quittèrent les limites du moi.

Ils demeurèrent ensuite côte à côte, en se tenant par la main, sur les draps mouillés de transpiration. L'air était riche de leurs odeurs sexuelles combinées.

- Bon, il serait temps que tu me racontes, murmura-t-elle d'une voix douce.

Il se souleva à demi sur un coude.

- Si tu veux. Mais que je te raconte quoi ?

- Pourquoi tu t'es engagé dans les marines. Pourquoi tu es devenu un sniper.

363

Les yeux de Syd brillaient à la lueur du feu en train de mourir. Dar se mit à rire de bon cour. Il s'était attendu à quelque chose d'un peu plus...

romantique.

D'une voix tendre mais on ne peut plus sérieuse, elle reprit :

- Je tiens à savoir comment quelqu'un d'aussi sensible et intelligent que le jeune Darwin Minor a pu devenir un tireur d'élite dans les marines.

Dar contempla un instant le plafond sans répondre. Il se sentait, étrangement, mal disposé à répondre à cette question. Même avec Barbara, il n'avait jamais discuté de ça.

- Je t'ai déjà expliqué que je m'intéressais aux Spartiates. Mais je ne t'ai pas dit pourquoi... C'est parce que j'avais peur, continua-t-il après un temps d'arrêt. J'étais un gamin très peureux. ¿ l'‚ge de sept ans... je me souviens du moment exact o˘ j'en ai pris conscience, assis au bord du trottoir... J'ai compris que j'allais mourir un jour. J'étais déjà athée, je savais qu'il n'y a pas de vie après la mort. Et cette pensée m'a épouvanté.

- La plupart des gens passent par là un jour ou l'autre. Mais pas si tôt, en général, murmura Syd.

Il secoua la tête.

- Cette peur ne voulait pas me quitter. J'étais en proie à des terreurs nocturnes. J'ai commencé à faire pipi au lit. J'avais peur d'être séparé de mes parents, même pour aller à l'école. J'avais conscience non seulement de devoir mourir, mais de les voir mourir un jour eux aussi. Et s'ils m'abandonnaient pendant que j'étais à l'école ?

Syd ne rit pas. Au bout d'un moment, elle demanda :

- Et c'est pour ça que tu t'es engagé plus tard dans les marines ? Pour te donner du courage ? Pour surmonter ta peur ?

- Non. Pas exactement. J'ai eu mon diplôme de fin d'études secondaires assez tôt, et j'ai fait des études supérieures. Au bout de trois ans, j'ai quitté l'université avec un diplôme de physique en poche. Mais pendant tout ce temps, la seule chose qui m'intéressait vraiment, c'était la mort, la peur et comment la maîtriser. J'ai alors commencé à étudier les Spartiates et leurs idées sur la domination de la peur. (Il se tourna sur le côté pour la regarder.) La guerre du Vietnam, entre-temps, avait commencé.

364

Elle posa la main à plat sur son torse. Elle avait les doigts frais.

- D'o˘ les marines, murmura-t-elle.

Il haussa les épaules de manière presque imperceptible.

- C'est à peu près ça.

- Tu croyais peut-être que les marines avaient hérité du secret de la maîtrise de la peur.

- Plus ou moins, dit-il, conscient du ridicule de cette conversation.

- Et ils détenaient ce secret ? demanda-t-elle. Il se mordit la lèvre, perdu dans ses souvenirs.

- Non, répondit-il finalement. Ils ont perpétué un certain nombre de leurs traditions, et essayé d'être à la hauteur de leurs idéaux, mais ils ont perdu la plus grande partie de la science et de la philosophie qui animaient les Spartiates.

- Tout de même... un sniper, dit-elle. Les seuls que j'aie connus appartenaient aux forces tactiques des SWAT ou du FBI, et ils étaient traités comme des parias...

- «a a toujours été comme ça. C'est probablement ce qui m'a attiré vers eux. Alors que même les marines sont encouragés à sentir qu'ils font partie d'un organisme plus vaste, les snipers ont l'habitude d'opérer tout seuls, ou par équipes de deux. Tout doit être pris en considération : le terrain, la vitesse du vent, la distance, l'éclairage. .. absolument tout. Rien ne peut être ignoré.

- Je vois très bien en quoi ça a pu t'attirer, ça. Toujours en train de cogiter.

- Le type qui a organisé et qui dirigeait mon école de snipers était un capitaine des marines nommé Jim Land. Après la guerre, j'ai lu un truc qu'il a écrit dans un petit manuel d'instruction des snipers qui a pour titre : Un coup, un mort. Tu veux savoir ce qu'il disait ?

- Oui, chuchota Syd. Redis-moi des mots doux à l'oreille. Il sourit.

- Ce que le capitaine Land a écrit, c'est : ÍI faut un courage particulier pour rester seul, seul avec ses frayeurs, seul avec ses doutes.

Personne d'autre que vous n'est là pour vous insuffler de l'énergie. Le courage que cela requiert n'est pas du modèle courant, superficiel, alimenté par des décharges d'adrénaline. Ce n'est pas non plus 365

le courage qui vient de la peur d'être pris pour un l‚che par ceux qui vous regardent. ª

- Katalepsis, murmura Syd. Tu m'en as déjà parlé.

- Oui, fit Dar avant de poursuivre sa citation. ´ Pour le sniper, la haine de l'ennemi n'existe pas. Seul existe le respect de sa cible en tant que proie. Psychologiquement, la seule motivation qui puisse animer le sniper est de savoir qu'il va accomplir une t‚che nécessaire et d'avoir l'assurance qu'il est le meilleur pour l'accomplir. Sur le terrain, la haine peut détruire n'importe qui, et tout particulièrement un sniper. Tuer pour se venger, au bout du compte, lui dénature l'esprit. Et quand il regarde à travers sa lunette de visée, la première chose qu'il voit, ce sont les yeux. Il y a une énorme différence entre tirer sur une ombre, sur un contour, et tirer sur quelqu'un entre les deux yeux. C'est drôle, mais la première chose que l'on voit, ce sont les yeux. Et il y a beaucoup d'hommes qui ne peuvent pas le faire... ª

- Mais tu l'as fait, lui dit Syd. ¿ Dalat. Tu as regardé un homme entre les deux yeux, et tu as néanmoins pressé la détente. Et c'est cela, le secret de ta survie pendant toutes ces années.

- De quoi parles-tu ?

- De ta maîtrise. De la poursuite constante de Yaphobia. …viter à tout prix d'être possédé.

- C'est possible, fit Dar, mal à l'aise de se voir ainsi psychanalysé à

cause de son bavardage. Mais je n'ai pas toujours réussi.

- La douille de .410 avec la marque du percuteur.

- Un raté, admit-il. Onze mois après la mort de Barbara et du bébé. «a paraissait... logique... à l'époque.

- Et maintenant ?

- Maintenant, plus tellement.

Il se tourna pour la prendre dans ses bras. Ils s'embrassèrent. Puis Syd dégagea suffisamment son visage en arrière pour le regarder dans les yeux.

- Veux-tu faire quelque chose pour moi demain, Dar ? quelque chose de spécial... pour me faire plaisir ?

- Oui, dit-il.

- Tu m'emmènes en planeur ? De nouveau, il se mordit la lèvre.

366

- Tu l'as déjà fait. Tu es montée avec Steve. Mon planeur est monoplace, et...

- Tu m'emmènes demain, Dar ?

- D'accord, murmura-t-il.

21 Ultraléger

Le plus frappant était le silence.

Le Twin-Astir biplace à haute performance glissait dans l'air de manière aussi décidée et silencieuse qu'une buse à queue rousse planant et grimpant à la faveur de thermiques invisibles. Le seul son extérieur était le bruissement de l'air contre le fuselage en métal et toile. Leur vitesse étant faible, ce bruit-là était ténu. Passé les 2 500 m d'altitude, ils avaient mis les masques à oxygène - il s'était penché en avant pour vérifier que celui de Syd fonctionnait correctement - et ne pouvaient donc plus parler. Seul le sifflement léger de l'oxygène formait un contrepoint au mouvement de l'air à l'extérieur.

La deuxième chose frappante était la lumière du soleil.

C'était une journée limpide avec un ciel très bleu uniquement troublé par quelques nuages lenticulaires en pile au-dessus des versants des pics les plus élevés, avec une visibilité quasi illimitée. Le soleil formait des reflets irisés sur la verrière immaculée qui leur fournissait une visibilité sur 360∞ à 3 600 m d'altitude. ¿ l'ouest, au-delà des crêtes, des pics et des crevasses, brillait le Pacifique. Au sud et à l'est, c'était l'éclat br˚lant du désert et de la mer de Salton. Clairement visible au nord s'étendait la nappe de brouillard contenue par les collines à l'est de Los Angeles. Au sud, les vastes plaines de Basse-Californie continuaient à perte de vue au-delà des brumes de Tijuana et Ensenada.

La troisième chose était la proximité.

369

S'il n'y avait pas eu son harnais de sécurité cinq points, il aurait pu se pencher par-dessus le tableau de bord rudimentaire et entourer Syd de ses deux bras. Il sentait l'odeur du shampooing qu'il avait fait mousser ce matin dans ses cheveux. Il gardait encore présente l'image de l'eau savonneuse qui coulait sur ses épaules et sa poitrine tandis qu'il lui rinçait les cheveux et les pressait entre ses doigts pour faire partir l'eau. Les bulles de savon luisaient à la lumière du matin sur le bout de ses seins.

Il secoua la tête et se concentra sur le pilotage.

quand ils étaient arrivés à l'aérodrome de Warner Springs en début de matinée, Steve avait été étonné de le voir, mais lui avait volontiers prêté

son Twin Astir sans rien accepter de lui pour la location. Ken et lui étaient à la fois surpris et ravis qu'il vienne avec une femme. Dar avait procédé à une longue visite prévol du biplace, puis il avait montré à Syd, pour la troisième fois, comment on se servait du parachute.

- Steve ne m'en a pas fait porter, avait-elle fait remarquer.

- Je sais. Mais si tu veux voler avec moi, il faut en avoir un. Son vieux parachute venait de faire l'objet d'un repliage, et il avait réglé les sangles et les élastiques de manière qu'il s'ajuste parfaitement à Syd. La matinée était déjà avancée, et il faisait de plus en plus chaud.

Dar répéta les instructions sur la manière de quitter l'appareil en cas d'urgence et de tirer sur la poignée d'ouverture. Il lui expliqua comment manipuler les élévateurs, comment laisser échapper l'air sur le côté pour changer de direction, comment plier les genoux en touchant terre, et se lança dans de multiples recommandations génératrices d'angoisse.

Finalement, elle l'interrompit en lui demandant :

- Tu as déjà sauté d'un planeur en vol ?

- Jamais, répondit-il.

- Tu t'es déjà servi d'un parachute ?

- Une fois, il y a environ dix ans. Un saut normal, pour m'assurer que je saurais le faire en cas de besoin.

- Et alors ?

- Alors, j'ai eu la trouille de ma vie, fit Dar, sincère, avant de continuer ses recommandations.

Ils avaient eu une petite discussion pour savoir si elle devait ou non se munir, pour ce vol, de son Sig semi-automatique avec les 370

chargeurs passés à sa ceinture. Dar avait fait remarquer qu'une arme à feu n'avait aucune utilité à bord d'un planeur et que le hol-ster, le pistolet et les trois chargeurs dans leur étui de cuir risquaient de se prendre dans les courroies du parachute et dans le harnais de sécurité. Mais Syd avait fait valoir qu'elle était une représentante de la loi et que son devoir était de rester armée quelles que soient les circonstances. Il avait renoncé, mais en l'avertissant qu'au bout d'une demi-heure ça lui ferait vraiment mal au cul.

Il avait apporté les masques à oxygène en raison de l'enthousiasme manifesté par Ken et Steve à propos des possibilités météo d'aujourd'hui pour le vol en ascendance thermique. C'était le moyen le plus spectaculaire, pour un planeur, de voler réellement en altitude, et il lui fallut encore plusieurs minutes pour expliquer à Syd la manière d'utiliser la petite bouteille d'oxygène et de communiquer avec les mains quand le masque les empêcherait de parler.

- Un dernier détail important, lui avait-il dit tandis que le remorqueur les entraînait face au vent, à l'ouest. Si on utilise les masques, évite de vomir dedans.

- Je fais quoi, si je suis malade ?

- Il y a un sachet sur la droite de ton siège. Tu enlèves ton masque, tu vomis dans le sachet et tu remets le masque.

- Génial, avait-elle dit tandis que le Twin Astir décollait. Tu fais vraiment tout pour que je prenne mon pied !

Elle n'avait pas été malade pendant le vol. En fait, elle n'avait manifesté

que de l'enthousiasme tandis qu'ils étaient tirés vers les montagnes de l'ouest et ce que l'on appelle l'effet de fohn, un tourbillon d'air ascendant, entre les piles de nuages lenticulaires et les montagnes, avant d'être l‚chés du côté vent debout. Dar avait contourné la montagne, utilisant le tourbillon comme un tremplin, un ascenseur invisible, à raison de plusieurs passages répétés.

Il avait pris la précaution d'avertir sa passagère que, même par une belle journée limpide comme celle-ci, il risquait d'y avoir pas mal de turbulences à l'entrée du rotor.

- Et les ailes sont conçues pour ça ? avait-elle demandé pardessus son épaule en regardant d'un air dubitatif le Twin Astir qui ressemblait à une oie en train d'essayer de voler.

371

- Tout à fait, lui répondit Darwin. Si elles ne plient pas comme ça, elles cassent. Mieux vaut qu'elles soient flexibles.

Ayant évalué le front d'onde au moyen de plusieurs approximations successives, Dar traversa de nouveau la turbulence des couches extérieures du tourbillon et trouva le centre du rotor. Après cela, le vol se déroula sans heurt et sans bruit, de manière fascinante.

- Mon Dieu ! s'écria Syd. On dirait que nous sommes dans un ascenseur !

- C'est un peu ça, lui dit-il. Le vent est assez fort pour nous imprimer une forte poussée verticale, mais notre vitesse-sol est égale à zéro. Il faudra que j'effectue un nouveau passage dans une minute si je ne veux pas que nous soyons déportés vers ces lenticulaires, ce qui nous ferait perdre le rotor. Pour le moment, en tout cas, c'est le parfait équilibre.

Elle avait réagi en posant la main sur le dossier de son siège et sur le dessus du tableau de bord de Dar. Il n'avait hésité qu'une brève seconde avant de poser sa main sur la sienne.

¿ 2 500 m, il avait décidé de mettre les masques à oxygène, par prudence.

Ils continuèrent de planer et de grimper sans à-coups, en décrivant des cercles sur la droite puis en se laissant porter comme un épervier en équilibre sur la colonne d'air invisible d'un thermique tandis que le ciel devenait de plus en plus bleu et l'horizon de plus en plus courbe.

Il avait dans la tête une carte en trois dimensions des espaces aériens contrôlés et non contrôlés de cette partie de la Californie, qui s'étageaient de la catégorie A à la catégorie G, et il savait qu'ils évoluaient actuellement dans un espace E. Ce qui signifiait qu'ils se trouvaient dans un secteur réglementé, mais loin d'une tour de contrôle, et qu'ils étaient soumis aux règles du vol à vue. Ils avaient le droit de grimper à 5 500 m au-dessus du niveau moyen de la mer, là o˘ commençaient les couloirs de l'aviation commerciale. Il stabilisa le planeur en quittant le rotor à 4 400 m, et décrivit des cercles de plus en plus larges tout en augmentant leur vitesse réelle pour conserver leur altitude.

Dar fit prendre le manche avant à Syd et la laissa piloter un instant, en lui montrant comment réussir un virage sans décrocher ni perdre trop d'altitude.

372

Elle desserra son masque pour demander :

- On ne peut pas faire quelques acrobaties ?

Il fronça les sourcils, mais abaissa de nouveau son masque, éprouvant la morsure du froid.

- Tu veux dire des figures de voltige ?

- Si tu préfères. Steve m'a dit que tu savais faire des loopings, des tonneaux et toutes sortes de choses avec ce modèle de planeur.

- Je ne sais pas si ça te plairait.

- Moi, j'en suis s˚re.

- Remets ton masque. Tu es presque en hypoxie, dit-il, ajoutant aussitôt :

- Agrippe-toi. Mais pas au manche. Et tiens tes pieds éloignés du palonnier.

Ils étaient toujours dans la zone de portance et volaient spectaculairement en crabe, le nez au vent. Dar inclina alors légèrement le planeur en piqué pour gagner de la vitesse. Sans crier à Syd d'autres avertissements à travers son masque, il actionna les ailerons de manière à

imprimer au planeur un brusque mouvement de roulis tout en donnant un coup de palonnier pour garder le nez du Twin Astir pointé juste au-dessus de l'horizon. L'appareil se rétablit parfaitement, dans le prolongement exact de sa course.

- Ouah ! s'écria Syd. Encore !

Dar secoua la tête. Mais, tout en ayant conscience de frimer (pour une femme !), il inclina le planeur à droite, piqua pour prendre de la vitesse, poussa au maximum les gouvernes de profondeur pour exécuter un plein cabré

tout en réglant avec précision les ailerons et les volets de direction. Le Twin Astir exécuta un tonneau barrique sur 360∞ tout en décrivant une spirale descendante sur son axe horizontal invisible. Le ciel et la terre permutèrent, une fois, deux fois, trois fois puis quatre fois.

Dar redressa, vérifia son altimètre, jeta un coup d'oil aux gouvernes et consulta l'anneau McCready autour du variomètre pour estimer son meilleur temps de parcours jusqu'au prochain thermique.

- Encore ! s'écria Syd.

Il cabra de nouveau le planeur jusqu'à ce qu'il perde sa portance à l'angle d'attaque et décroche. L'effet fut le même que de s'avancer dans une cage d'ascenseur vide. Le nez retomba, et le Twin Astir 373

plongea directement vers le sol, qui se trouvait alors à 3000 m sous eux.

C'était comme si quelqu'un avait soudain sectionné les ficelles qui les maintenaient en l'air, comme si le planeur racé s'était transformé en un cercueil d'aluminium tombé d'un avion-cargo.

Syd poussa un cri, et Dar se sentit coupable l'espace de quelques secondes, jusqu'à ce qu'il comprenne que c'était un cri de joie et non de terreur. Il abaissa son masque en disant :

- ¿ toi de nous sortir de là.

- Comment?

- Pousse le manche en avant.

- En avant ? s'écria-t-elle à travers son masque, Je ne le tire pas en arrière ?

- Surtout pas. J'ai dit en avant. Tout doucement, au début.

Elle inclina le manche en avant. Le plan alaire commença à retrouver de la portance. Lentement, suivant les indications de Dar, elle les sortit du décrochage, jusqu'à ce que le variomètre indique qu'ils avaient cessé de perdre de l'altitude.

- Cette figure stupide s'appelle un virage en renversement sur le dos, lui dit-il.

Il reprit les commandes. Il demanda à Syd de s'accrocher, puis cabra le nez de l'appareil selon un angle impossible. Leur vitesse tomba précipitamment.

Juste avant de décrocher, Dar donna un vigoureux coup de palonnier pour partir en glissade, exécuta un tête-à-queue, pointa le nez vers le bas, presque verticalement, pour regagner de la vitesse, et redressa finalement l'appareil à l'horizontale.

- Encore ! Encore ! s'exclama Syd.

- Je ne crois pas que ce serait une bonne idée, déclara Dar. Il ôta son masque et ferma le détendeur.

- Toutes ces galipettes nous ont fait descendre à deux mille cinq cents mètres. Tu peux enlever ton masque, à présent, et couper l'oxygène.

Syd obéit, mais en disant :

- Et si on faisait un looping ?

- «a ne te plairait pas, lui dit Darwin, qui savait parfaitement qu'elle allait adorer ça.

- S'il te plaît !

374

Avant qu'il p˚t répondre, un hélicoptère blanc Bell Ranger surgit en rugissant à quinze mètres à tribord et se stabilisa à la même altitude qu'eux.

- L'imbécile ! lança Dar.

Mais il se tut en voyant que la baie arrière était ouverte et qu'un homme en complet noir était accroupi à l'entrée. Il y eut une lueur, et plusieurs balles frappèrent le planeur juste derrière l'habitacle.

Dar avait écouté d'innombrables enregistreurs de conversations en cabine, ces bandes magnétiques en boucle de quinze minutes en coffret orange que l'on appelle ´ boîte noire ª, et dans la grande majorité des cas d'accident grave les derniers mots du pilote ou du copilote étaient ´ merde ! ª ou une autre exclamation du même genre. D'après leur ton, il savait que ces grossièretés n'étaient pas une protestation contre une mort imminente, mais l'expression professionnelle d'une indignation et d'une frustration dirigées contre la stupidité de celui qui parlait et contre son incapacité

à résoudre le problème et à éviter la mort de tous les occupants de l'appareil.

- Merde ! s'écria-t-il en piquant du nez et en basculant à fond sur l'aile du côté gauche, ce qui lui fit encore perdre de l'altitude.

Il redressa à plus d'une centaine de mètres sous l'hélicoptère, mais celui-ci fila en avant et opéra un virage à 180∞ pour revenir en rugissant se placer à quinze mètres du Twin Astir. Au passage, l'homme en noir leur envoya une rafale. Mais Dar avait déjà actionné à fond les aérofreins, et le Twin Astir avait décroché. Il était simplement tombé comme une pierre, et les balles étaient passées juste au-dessus de l'habitacle.

Syd avait réussi à sortir son Sig-Sauer 9 mm malgré le harnais qui l'empêtrait, et elle essayait de le glisser dans la minuscule ouverture coulissante qui jouait en fonction du vent.

- Bordel ! s'écria-t-elle tandis que l'hélicoptère passait en trombe à

côté d'eux et virait pour revenir les attaquer par l'arrière. Ce type-là

aunAK-47!

Elle fit glisser le volet d'aération de droite.

- Je ne peux pas viser à travers ces ouvertures ridicules sans enlever mon harnais ! se plaignit-elle.

375

- Ne fais surtout pas ça ! lui cria-t-il.

Il essayait désespérément de réfléchir à une parade, un avantage.

quel avantage peut avoir un planeur haute performance sur un hélicoptère capable de voler à 350 km/h ?

Le planeur pouvait faire des loopings, au contraire de l'hélicoptère.

Tu parles d'un avantage !

Le Twin Astir pouvait exécuter un beau looping au ralenti pendant que le Bell Ranger décrivait des cercles autour de lui en le mitraillant à loisir.

quoi d'autre ?

Euh... on peut voler bien plus lentement qu'eux.

Ils peuvent faire du surplace, couillon.

Le Bell Ranger arrivait de nouveau sur leur gauche. Dar vit qu'il n'avait que deux occupants : le pilote, à droite à l'avant, et l'homme en noir avec, comme l'avait dit Syd, un fusil d'assaut AK-47. Les deux portes avaient été enlevées. L'homme en noir semblait relié à une espèce de longe de sécurité qui lui permettait d'aller et venir d'une baie à l'autre.

Dar attendit le plus longtemps possible, piqua du nez pour acquérir de la vitesse, et exécuta un looping tandis que le Twin Astir pénétrait dans la zone de turbulence de l'effet de fohn d'ascendance verticale.

Trop tard, se dit-il en entendant au moins deux nouveaux impacts de balle derrière lui.

Tandis qu'ils sortaient du looping, avec Syd tenant son semi-automatique à

deux mains, Dar se demanda s'ils avaient été gravement touchés. Aucune balle n'avait encore transpercé l'habitacle. Le planeur n'avait pas de moteur qui craignait, pas de réservoir de carburant qui pouvait fuir, pas de commandes hydrauliques qui risquaient d'être sectionnées. Mais sa simplicité même signifiait qu'il suffisait qu'un seul c‚ble de commande soit touché pour qu'ils perdent toute possibilité de manouvrer. Une balle dans un aileron ferait perdre à Dar le contrôle de l'appareil. Même celles qui semblaient avoir traversé le fuselage sans faire de mal perturbaient l'écoulement d'air sur la surface lisse du planeur, faussant les commandes.

Dar fit un tonneau au sortir du looping. Il vit le Bell Ranger en vol stationnaire à une centaine de mètres à l'est et attendit qu'il reprenne son vol en avant. Il piqua alors du nez et fonça vers le sol.

Erreur, se dit-il aussitôt en regardant l'altimètre dégringoler avec une rapidité effarante. Son instinct lui avait dicté de se rapprocher des gorges et des ravins dans le but de se servir des crêtes pour regagner de la portance et essayer de mettre quelque chose -une colline, une montagne, des arbres - entre le tueur et eux. Mais dès qu'il vit leur altitude descendre à moins de 300 m, il comprit qu'il avait commis une faute qui allait peut-être leur être fatale.

Ce n'était pas un avion qui les avait pris en chasse. C'était un foutu hélico capable de pivoter sur son axe tout en volant en ligne droite, de s'incliner de manière aussi serrée que le Twin Astir et de faire du surplace là o˘ le planeur décrocherait.

Mais Dar était déjà trop engagé dans sa manouvre. Il jeta un coup d'oil par-dessus son épaule.

Le Bell Ranger faisait du surplace derrière eux, un peu plus haut, comme un oiseau de proie attendant que sa victime cesse ses contorsions pour fondre sur elle.

Or Dar ne faisait que commencer ses contorsions. Il descendit au-dessus d'une large vallée, cherchant un endroit o˘ se poser, certain qu'ils auraient plus de chances à pied que dans les airs. Mais il n'y avait ni prairie ni versant de montagne accessible. Il ne voyait que des arbres, des rochers et des lignes de crête.

L'hélico, à son tour, piqua du nez pour se lancer vers eux dans un sifflement de rotor étincelant au soleil.

- On ne peut pas ouvrir cette verrière ? cria Syd. Je ne peux pas tirer comme ça.

- Non, répondit Dar.

Il lança le planeur droit sur une falaise, trouva la pompe à moins de quinze mètres de la paroi et vira sec sur la droite, porté par le thermique.

L'hélicoptère vira sans peine, grimpa à leur suite et les talonna à

distance de rotor. Dar vit le rictus de l'homme à l'arrière quand il pointa son AK-47.

- Tony Constanza ! s'écria Syd.

Elle avait desserré son harnais juste assez pour se pencher en avant et passer le bout du canon de son Sig-Sauer dans l'ouverture étroite du volet de ventilation.

376

377

Constanza tira une rafale en automatique au moment même o˘ Dar piquait de nouveau vers la ligne de crête.

Une balle toucha le nez du Twin Astir. Une autre transperça la verrière, passa entre les têtes de Syd et de Dar, et ressortit par le plexiglas du côté droit.

- «a va ? cria Dar.

Avant qu'elle p˚t répondre, il pointa le nez du planeur sur la cime des pins Douglas, arracha quelques aiguilles au passage puis s'inclina sur la droite en suivant la vallée.

Le Bell Ranger prit de l'altitude, franchissant la crête quelques mètres plus haut, puis passa au-dessus d'eux en rugissant tandis que l'arme de Constanza crachait un feu d'enfer.

Dar volait maintenant plus bas que la cime des arbres. Il suivait un cours d'eau au centre d'un étroit ravin. Devant eux, l'hélico opéra un virage à

180∞, s'immobilisa et les attendit, sa baie ouverte face à eux, le canon de l'AK-47 crachant déjà des flammes.

Dar s'inclina sur la gauche et sentit deux impacts sur son aile droite.

Puis il s'engouffra dans le passage qu'il avait repéré d'en haut dans la ligne de crête du côté droit. Il y avait de la portance à cet endroit, mais il ne pouvait pas se permettre d'utiliser son élan pour en profiter au maximum. Il maintint le nez bas, en suivant le nouveau ravin, encore plus étroit que le précédent. Les ailes du Twin Astir étaient à moins de deux mètres des parois rocheuses de chaque côté.

Le Bell Ranger s'engouffra derrière eux dans le ravin.

- Il faut absolument que je puisse tirer ! cria Syd en s'agitant sur son siège.

Elle avait suffisamment rel‚ché son harnais pour être violemment bringuebalée d'avant en arrière au gré de toutes ces manouvres.

- Non ! fit Dar. On a déjà perdu une bonne partie de notre maniabilité. Si on ouvre la verrière, on perd notre aérodynamisme !

L'hélico rugit au-dessus de leur tête à quatre fois la vitesse du planeur.

Constanza se penchait par l'ouverture, lançant des volées de balles dans leur direction. Mais il n'avait pas le bon angle.

Le planeur déboucha sur une vallée plus large, au bord d'une pompe majeure, presque à la limite des empilements lenticulaires. Dar gagna un peu d'altitude en se penchant sur l'aile gauche. Le 378

planeur fit un bond, porté par les thermiques qui remontaient le long de la paroi, et ils franchirent la crête trois cents mètres au-dessus du plancher de la vallée en pente.

- «a ne va plus marcher, déclara Dar. Il nous faut davantage d'altitude.

- On avait toute l'altitude qu'il fallait, murmura Syd en tenant son 9 mm à deux mains. C'est toi qui as voulu descendre.

- Je sais. J'ai merde.

Il plaça le planeur dans les puissants courants ascendants près de la crête tandis que le Bell Ranger se préparait à effectuer un nouveau passage.

Constanza se penchait déjà au bout de sa longe. Il y eut des flammes, et les douilles éjectées brillèrent au soleil. Des balles touchèrent la queue du Twin Astir. Dar sentit qu'il perdait la maîtrise de l'appareil. Une balle troua la verrière juste au-dessus de sa tête. Il inclina fortement vers le bas le nez du planeur, perdant de l'altitude pour gagner un peu de vitesse, et pénétra dans les turbulences de la colonne de portance au moment o˘ une nouvelle balle traversait le coussin de son siège.

Ou peut-être mon parachute ? se demanda-t-il, soudain frappé par une idée.

- «a va ? demanda-t-il de nouveau à Syd tandis qu'ils grimpaient en spirale, l'altimètre et le variomètre tournant à toute vitesse dans le sens des aiguilles d'une montre.

Ils gagnèrent rapidement de l'altitude dans le tourbillon du rotor. La vitesse-sol du planeur chuta pratiquement à zéro. Ils retrouvèrent le courant ascendant à l'ouest et grimpèrent tel un moineau affolé pendant que l'hélicoptère rugissait au-dessus d'eux et autour d'eux en une spirale artistiquement chorégraphiée.

Les yeux de Dar étaient rivés sur ses instruments. Il lui fallait au moins 1 500 m d'altitude pour pouvoir exécuter son plan - si toutefois on pouvait appeler cela un plan. Il était évident que l'hélicoptère n'allait pas leur laisser un tel répit. Le Bell Ranger se rapprocha d'eux en crabe, le tueur penché du côté gauche, cette fois-ci, les deux appareils grimpant en même temps en une lente spirale sur la gauche.

Syd défit un peu plus son harnais, se pencha en avant pour avoir le meilleur angle de tir à travers l'étroit évent, et tira à cinq reprises sur l'hélicoptère.

379

Dar vit des étincelles voler à l'avant du fuselage. Constanza rentra dans l'ombre du siège arrière en criant quelque chose au pilote.

Le Bell Ranger s'inclina sur la droite et rugit au-dessus d'eux en spiralant dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Ils savaient que Dar serait obligé de se remettre tôt ou tard en palier. Ils pourraient alors surgir par-derrière ou au-dessus d'eux, selon un angle o˘ Syd ne pourrait pas tirer sans transpercer la verrière du Twin Astir.

- Resserre tes sangles ! cria Dar. Il lui expliqua ce qu'il allait tenter.

Syd le regarda bouche bée.

- Tu plaisantes !

- Pas du tout. Accroche-toi !

Le planeur glissa vers l'extérieur du rotor o˘ s'exerçait l'effet de fohn.

Les courants étaient plus forts, car la chaleur du jour avait augmenté la puissance des thermiques ascendants. Mais Dar ne savait pas si les turbulences qu'il sentait étaient dues à ces courants ou aux dommages subis par le fuselage et les gouvernes. Cela n'avait guère d'importance, au demeurant. Le fier biplace haute performance de Steve devait tenir encore quelques minutes, c'était tout ce qu'il lui demandait.

Le Bell Ranger se rapprocha à distance de tir en glissant latéralement comme sur des rails.

Dar plongea pour gagner de la vitesse, puis exécuta un looping. quand ils passèrent devant l'hélico, une pluie de balles crépita bruyamment sur l'avant du fuselage. Dar sentit la gouverne de direction à droite devenir molle, mais les commandes fonctionnaient encore dans une certaine mesure.

L'hélicoptère resta o˘ il était. Le pilote savait que Dar était obligé de sortir du looping.

Il le fit, mais en décrivant un nouveau looping à l'endroit, plus large.

Syd tira à deux reprises. Les balles de l'AK-47 touchèrent le tableau de bord de Dar, fracassant les instruments, perçant quatre trous au sommet de la verrière à quelques centimètres au-dessus de sa tête, et endommageant le nez du planeur assez sérieusement pour qu'il penche sur la gauche lorsqu'il essaya de grimper pour exécuter sa seconde boucle.

380

Le Bell Ranger était à la même place. Il attendait le planeur au passage.

Juste avant le sommet du looping, alors qu'ils se trouvaient à environ 150

m au-dessus de l'hélicoptère, Dar lança le planeur dans une boucle inversée. Il se sentit happé vers le haut et vers l'extérieur tandis que le harnais exerçait une pression douloureuse sur ses épaules. Il entendit Syd haleter. Sa vision s'obscurcit, puis il eut un voile rouge devant les yeux tandis qu'il forçait le planeur récalcitrant à reprendre une position horizontale et essayait de lui relever le nez.

Mais il avait perdu sa portance. Le Twin Astir décrocha et tomba comme une pierre.

Dar accentua le mouvement de piqué pour conserver un semblant de contrôle.

Le pilote de l'hélico avait suivi leur manouvre démentielle, car il piqua à

son tour avec son Bell Ranger et remonta la vallée en accélérant.

Trop tard. La vitesse relative de Dar était maintenant proche de la limite du planeur. L'espace de quelques précieuses secondes, il pouvait égaler la vitesse de l'hélico. Ce qu'il fit, en attaquant le flanc arrière droit du Bell Ranger bleu, rouge et blanc comme si le Twin Astir, secoué et vibrant, était un P-51 fonçant pour la curée. Naturellement, Syd ne pouvait pas tirer vers l'avant à cause de la verrière. Et si elle attendait qu'ils soient à la hauteur de l'hélico, Constanza aurait mille fois le temps de les mettre en pièces avec son fusil d'assaut semi-automatique. Aucun des deux appareils n'offrait une plate-forme stable pour tirer, mais le tueur de Dallas Trace avait au moins l'avantage de pouvoir arroser le ciel d'une pluie de balles.

Dar n'avait pas l'intention de lui redonner une telle occasion.

qu 'est-ce que nous avons qu 'ils n 'ont pas ? se demanda-t-il pour la vingtième fois. Et pour la vingtième fois, ce fut la même réponse qui lui vint à l'esprit. Nos parachutes. L'ennui, c'est qu'il ne savait pas si le sien n'avait pas été mis en pièces par la balle qui était passée sous ses fesses. Mais il allait bientôt pouvoir s'en assurer.

Ce que les pilotes de planeur redoutent par-dessus tout, c'est une collision en vol. Et il allait en provoquer une.

Le Twin Astir blessé à mort fondit du haut des cieux sur l'hélicoptère tel un moineau attaquant un épervier. S'il continuait sur sa 381

lancée, il allait le dépasser juste assez pour se prendre dans le rotor et se faire hacher par les pales de quinze mètres. Personne n'en réchapperait.

Mais à la dernière seconde, il piqua du nez, sortit les aérofreins, aligna de son mieux sa vitesse sur celle de l'hélicoptère et inclina son aile sur la gauche.

L'aile gauche du planeur entra bruyamment en contact avec le bloc rotor protégé. Elle plia et se fendit en partie.

Dar donna un coup de palonnier à droite, en forçant sur le manche et les gouvernes. Il lui restait peut-être trois secondes de contrôle.

Le planeur fut déporté fortement sur la gauche. Cette fois-ci, l'aile déchirée s'inséra dans le bloc rotor comme une planche de sapin entrant dans le champ d'une scie circulaire agressive. La lame du rotor mordit l'aile, la découpa, recracha les morceaux, puis se disloqua avec le bloc entier.

Réagissant aux contraintes newtoniennes, le planeur fut secoué violemment en sens inverse des aiguilles d'une montre, puis entama une vrille à plat.

Dar savait qu'aucun pilote au monde n'était capable de se sortir d'une telle vrille. Le planeur, qui était, quelques instants plus tôt, un chef-d'ouvre d'aérodynamisme, n'était plus maintenant qu'une épave enchevêtrée tombant du haut du ciel. Dar avait perdu de vue l'hélicoptère et essayait de se concentrer sur ses instruments, mais entre les balles qui avaient massacré le tableau de bord et leur taux mortel de descente en vrille il ne put rien voir d'utile. L'horizon, les montagnes, les crêtes et les déserts tournoyaient à une vitesse incroyable, mais dans la mesure o˘ ils étaient au centre du tourbillon ils étaient peu soumis à des forces centrifuges.

Dar ignorait cependant s'ils étaient à mille mètres ou à dix mètres d'un point d'impact. Il n'y avait aucun bruit à l'exception des craquements de l'aile, comme de la glace, qui continuait à se déchirer.

Syd était en train de lutter avec la fermeture de la verrière, qui semblait coincée. Dar fit sauter la boucle de son harnais cinq points, se débarrassa des sangles et se mit debout dans le planeur en train de tournoyer. Il savait qu'ils n'avaient que quelques secondes pour agir, car déjà la vrille se transformait en chute libre dans la direction de l'aile fracassée. Il se pencha par-dessus l'épaule gauche de Syd et pesa de tout son poids sur la ferrure de la verrière de son côté. Le

382

plexiglas finit par s'ouvrir et le vent s'engouffra, glacé, contre son visage et ses épaules, en le soulevant presque hors du petit habitacle. Il s'agrippa à son tableau de bord tout en se penchant en avant pour aider Syd à se dépêtrer de son harnais.

- Non, pas celle-là ! hurla-t-il pour couvrir le sifflement de l'air tandis qu'elle défaisait en h‚te toutes les boucles. C'est ton parachute !

Elle s'arrêta net et se leva. Il vit qu'elle avait pris le temps de remettre le pistolet dans son holster et de refermer le rabat. Il lui saisit la main à l'endroit o˘ elle s'agrippait au montant du cockpit.

- Tu sautes à deux ! hurla-t-il. Repousse le fuselage avec les pieds. Il faut sortir d'ici ! Un, deux !

Ils sautèrent dans le vide. Un instant, il vit Syd qui écartait les bras comme des ailes, et son sang se glaça quand il se demanda si elle n'allait pas oublier de tirer sur la poignée d'ouverture. Mais elle voulait juste s'écarter du planeur en détresse. Le Twin Astir avait commencé à tournoyer sur son axe comme un gigantesque batteur à oufs, une dizaine de mètres au-dessous d'eux. quelques secondes plus tard, il vit se déployer la corolle de son parachute. Il tira aussitôt sur sa propre poignée.

Il ne leva la tête que lorsqu'il eut senti la secousse de l'ouverture. Il ne semblait pas y avoir de trou dans le tissu, pas d'élévateurs abîmés. Ses mains trouvèrent les commandes des élévateurs, et il fit tourner la voilure juste au moment o˘ il entendait le Bell Ranger qui piquait sur eux. Si le pilote avait gardé le contrôle de son appareil, Syd et lui auraient été

perdus. Mais l'hélico était désemparé, du moins dans une certaine mesure.

Son rotor de queue vertical avait en grande partie disparu, et ce qu'il en restait était en train de grignoter rapidement le bloc rotor. Le pilote avait d˚ couper le moteur, qui l‚chait apparemment de la fumée, peut-être à

la suite de l'un des coups de feu au jugé de Syd, ou, plus probablement, à

cause du bombardement de ferraille exercé par le rotor de queue en folie.

Il essayait désespérément de se mettre en autorotation, en laissant le rotor principal en roue libre donner à l'appareil suffisamment de portance pour permettre aux occupants de survivre à un atterrissage en catastrophe.

L'hélico allait leur tomber dessus.

383

Il ne fallut à Dar qu'un bref instant pour comprendre qu'il ne s'agissait pas d'une nouvelle tentative d'assassinat. Il était s˚r que le pilote ne souhaitait nullement une deuxième collision, particulièrement avec le tissu du parachute qui se serait empêtré dans ses rotors, mais qu'il n'avait plus le contrôle de son appareil en autorotation dans sa spirale de mort en direction du sol.

Il y eut un grand bruit au-dessus de lui et derrière lui. Il gigota dans son harnais pour se retourner afin de voir ce qui se passait. Il sut alors que, même si son destin n'était de vivre que trente secondes de plus au lieu de cinquante ans, il n'oublierait jamais le spectacle qu'il avait sous les yeux.

Syd avait l‚ché les commandes de ses élévateurs et tenait fermement à deux mains son Sig-Sauer 9 mm semi-automatique. Elle avait les jambes écartées dans la position réglementaire du tireur - mais trois cents mètres plus haut que le sol - et vidait son deuxième chargeur sur la verrière en plexiglas du Bell Ranger.

L'hélico rata de peu Dar. Il dut littéralement lever la jambe pour éviter d'être fauché par le rotor. Puis le lourd appareil continua de dégringoler en une spirale de plus en plus rapide.

Le pistolet de Syd était ouvert. Dar la vit l‚cher le chargeur vide et glisser son troisième et dernier à sa place. Son parachute orange et blanc la faisait descendre en spirale au-dessus de lui. Elle était trop loin pour l'entendre, et il ne put que montrer les élévateurs, tirer sur la commande de celui de droite afin de faire partir assez d'air pour le déporter en spirale dans cette direction, et désigner une clairière sous eux.

Elle hocha la tête, rengaina son arme et commença à tirailler sur le dé

d'accrochage pour tenter de suivre Dar en direction de la clairière. Mais ils s'arrêtèrent tous les deux de remuer pour regarder les dernières secondes du Bell Ranger au-dessous d'eux.

Le pilote était bon, mais pas assez, sans doute. Un hélicoptère en autorotation est, essentiellement, une masse inerte commandée par un manche inopérant, mais le pilote s'était arrangé pour coordonner sa descente mortelle en spirale de manière à éviter les arbres et à s'aligner, plus ou moins, sur le versant à 30∞ de la colline. Si Dar avait été encore aux commandes de son planeur, il aurait suivi les règles de l'atterrissage de fortune d'un planeur et essayé de se

384

poser à contrepente, à la fois pour résorber son élan et pour utiliser le peu de portance que pouvait lui fournir la butte. Mais le versant n'avait rien à offrir au massif Bell Ranger, et son pilote n'avait pas d'autre choix que de toucher le sol à grande vitesse, le nez dans le sens de la pente, en laissant les patins glisser comme ceux d'un traîneau.

¿ une centaine de mètres d'altitude, la prairie paraissait toujours lisse.

Mais Dar se méfiait des apparences. Il s'attendait à voir au dernier moment des rochers, des ravines, des buissons et probablement des obstacles divers. Le Bell Ranger, inévitablement, percuta quelque chose, ses patins se plantèrent dans le sol et l'appareil bascula instantanément, son rotor hachant la terre et projetant un nuage de débris à une trentaine de mètres au-dessus de lui.

¿ travers ce nuage, Dar vit que l'hélicoptère exécutait plusieurs culbutes, que sa poutre de queue se détachait et que sa verrière volait en éclats.

Cela fit un bruit terrible, même à cinquante mètres d'altitude. Puis la masse tordue du fuselage se coinça entre deux gros rochers, une centaine de mètres plus bas que le point d'impact. Il y eut un bruit moins fort au sud, et Dar tourna la tête juste à temps pour voir le reste du Twin Astir disparaître dans les grands pins à plusieurs centaines de mètres de là.

Il se concentra sur un contact en douceur avec le sol, désireux d'indiquer à Syd par l'exemple comment s'y prendre. Mais ce ne fut pas une réussite.

Il heurta au passage la fourche épaisse d'un saule et fut catapulté cul par-dessus tête dans les herbes, retombant sur le dos avec le parachute qui le traînait vers le bas de la pente. Syd se posa une quinzaine de mètres plus haut... sur ses pieds. Elle rebondit deux fois et demeura là, visiblement étourdie, mais en un seul morceau.

Dar réussit à se défaire de ses sangles et bondit pour l'aider avant que le vent ne l'entraîne sur la pente. Mais soudain, tout se remit à tourner autour de lui, et il décida de s'asseoir quelques secondes, jusqu'à ce que le tournis cesse. Il n'était pas plus tôt tombé sur les fesses qu'elle était déjà là, sans son parachute, et l'aidait à dégager ses pieds de la voilure en train de se gonfler et de se dégonfler autour de lui.

- Ne restons pas là, dit-elle.

385

Ils se mirent à courir vers le bas de la pente, parmi les débris du Bell Ranger qui jonchaient le versant.

Elle s'arrêta un instant pour examiner la poutre de queue et le rotor déchiqueté, avec des morceaux de l'aile du planeur encore incrustés. Mais Dar, stupidement, continua de courir. Il sentait l'odeur du carburant d'hélicoptère dont l'air était imprégné, et savait qu'il suffirait d'une étincelle dans l'habitacle pour que tout s'enflamme et que le fait d'avoir survécu jusque-là ne signifie plus rien.

Le cockpit de l'hélicoptère était complètement écrasé. Le pilote était mort, retenu sur son siège par son harnais, éviscéré et quasiment décapité

par le plexiglas tordu et le métal du plancher. Dar ne voyait rien à

l'arrière. Le carburant coulait à flots de l'épave. Il grimpa sur un patin et se hissa sur l'hélico renversé pour pencher la tête à l'intérieur.

Constanza n'y était pas.

- Dar ! cria Syd, une vingtaine de mètres plus haut. Il la vit se figer soudain.

Tony Constanza venait d'émerger en titubant entre deux gros rochers. Il était ensanglanté, et ses vêtements étaient déchirés, mais il pointait sur lui son fusil d'assaut AK-47.

- Plus un geste ! hurla Syd, accroupie dans la position du tireur, le petit Sig-Sauer pointé sur lui.

Constanza lui jeta un regard rapide. Il était à moins de deux mètres cinquante de Dar, et son fusil Kalachnikov automatique était braqué sur la poitrine de Dar.

Je peux lui sauter dessus, pensa Dar, vaseux.

Non, tu ne peux pas, crétin, fut sa réponse mentale un peu plus lucide.

- Tu veux tirer sur moi à cette distance avec ce petit machin-là ? cria Constanza. Avant que j'aie le temps de couper cet enculé en deux ? L‚che ton arme, pouffiasse !

Ce dernier mot fit presque bondir Darwin. Mais l'AK-47 le maintenait figé

sur place. Syd abaissa le canon de son pistolet.

- Non ! hurla Dar.

- J'ai dit l‚che ton arme, pétasse ! hurla Constanza en levant le canon du fusil d'assaut à hauteur du visage de Dar.

386

Syd redressa son Sig-Sauer et fit feu à trois reprises. Les coups furent si rapprochés qu'ils parvinrent aux oreilles de Dar comme un coup de marteau unique. La première balle réduisit le genou gauche de Constanza à l'état de viande rouge et de bouillie grise. La deuxième lui faucha la cuisse gauche.

La troisième se logea dans sa fesse gauche en le faisant pivoter sur lui-même.

L'AK-47 vida la moitié de son chargeur banane dans la poussière.

Dar bondit et écarta l'arme d'un coup de pied. Syd arriva en courant au bas de la colline, le pistolet braqué sur l'homme qui se roulait par terre.

- Aidez-moi, bordel ! fit Constanza tandis qu'elle s'arrêtait en dérapant devant lui. Tu m'as arraché les couilles, salope !

- «a m'étonnerait, dit-elle en le faisant rouler sur le ventre d'un coup de pied.

Elle lui plaqua le canon du Sig-Sauer sur la nuque en le fouillant expertement. Puis elle lui menotta les poignets dans le dos.

- Dis-moi, Syd, murmura Dar, quand tu étais à quantico, on ne t'a pas appris à viser au centre avec un pistolet à cette distance ?

- Bien s˚r, répliqua-t-elle. Mais je le voulais vivant. (Elle rengaina son arme.) Et toi, c'est la seule manière que tu connais de traiter avec cette racaille ? En leur rentrant dedans ?

Il haussa les épaules.

- Je n'ai pas pu faire mieux.

Il s'accroupit devant Constanza en train de gémir.

- Il va perdre tout son sang avec cette blessure à la cuisse si nous ne faisons pas quelque chose.

- Je sais, dit-elle sans manifester la moindre émotion.

Dar le maintint pendant qu'elle lui ôtait sa ceinture pour en faire un garrot. Il hurla lorsqu'elle serra la ceinture au maximum, puis s'évanouit.

- Il va quand même continuer de se vider de son sang avant qu'on nous retrouve, dit-il. Steve et Ken ne vont pas s'inquiéter avant plusieurs heures.

Elle secoua la tête.

- Il y a des moments, mon chéri, o˘ tu te comportes comme un vrai béotien.

387

Elle sortit son téléphone mobile de sa poche et appuya sur une touche de numérotation rapide.

- Warren, Jim... ici Oison. Oui. Nous avons pris Tony Constanza, mais il est blessé. Si vous voulez un témoin vedette, il va falloir faire vite.

Envoyez un hélico médical. (Elle abaissa le téléphone.) O˘ sommes-nous donc, Dar ?

- Versant est du mont Palomar. Cote mille deux cents mètres environ. Il y a des fusées de signalisation dans l'épave de l'hélico. Dites-lui qu'on les lancera dès qu'on entendra son moulin.

- Vous avez entendu, Jim ? D'accord. On vous attend. (Elle se tourna vers Dar.) Ils nous envoient un hélico de la base des marines de Twenty-Nine Palms.

- Dis-lui qu'il y a plein de serpents à sonnette dans le coin.

- On attendra, reprit-elle au téléphone, mais Dar me dit que le coin est infesté de serpents à sonnette, alors grouillez-vous si vous voulez voir vivants votre témoin et ceux qui l'ont capturé.

Elle raccrocha.

Ils s'entre-regardèrent. Ils regardèrent le tueur évanoui, puis s'entre-regardèrent de nouveau. Ils étaient tous les deux couverts de transpiration, d'ecchymoses et de sang coulant de multiples blessures. La poussière collait à leur peau Soudain, ils sourirent en même temps.

- Tu es beau à voir, lui dit-elle.

- J'allais te dire la même chose.

Ils se jetèrent alors dans les bras l'un de l'autre et s'embrassèrent si passionnément qu'un coup de botte fortuit faillit ranimer l'homme qui gémissait à terre, mais qui était toujours inconscient.

Il ne reprit cependant pas ses esprits.

22

Vide

Dar avait été invité à assister aux arrestations, mais il avait décliné. Il avait trop de travail en retard. Il se fit raconter les détails plus tard.

En Grande-Bretagne, lui expliqua Syd, la police préférait attendre qu'un suspect rentre chez lui avant de l'appréhender. De cette manière, il y a moins de risque de blesser un passant innocent. En Amérique, naturellement, c'est exactement le contraire. Une maison a toutes les chances d'être une forteresse, un véritable arsenal. Les flics américains préfèrent procéder à

leurs arrestations dans des endroits semi-publics mais bien contrôlés, o˘

le suspect, au moins, n'aura pas l'avantage des armes. L'exception, en l'occurrence, était le ranch o˘ les cinq Russes - parmi lesquels Zuker et Yaponchik - se cachaient et o˘ le FBI voulait les surprendre en force.

Le FBI avait revendiqué la préséance et la juridiction pour les raids du jeudi matin. En raison de l'assassinat de ses trois agents, personne n'avait protesté. L'agent spécial responsable Howard Faber, basé à Los Angeles, avait pris personnellement la tête de l'équipe d'intervention tactique de dix-huit agents spéciaux portant casque, gilet en Kevlar et mitraillette qui avait fait irruption dans la tour de Pacific City à 6 h 48, heure du Pacifique. L'agent spécial responsable James Warren aurait préféré participer à l'opération, mais il avait pris en charge la surveillance et l'attaque d'un autre ranch isolé de la mafia russe situé

dans les environs de l'hippodrome de Santa Anita. L'enquêteuse principale Sydney Oison, également équipée

389

d'un gilet jaune vif en Kevlar marqué FBI, était la deuxième en grade après l'ASR Faber dans le raid contre Trace. Comme les autres, elle était équipée d'une mitraillette Heckler & Koch MP-10. Dallas Trace était en train de passer en direct sur CNN dans son émission Objection retenue de 10 heures du matin, heure de la côte Est, comme d'habitude. Faber et chacun de ses chefs de groupe tactique étaient munis d'un minuscule moniteur télé sur lequel ils virent se dérouler le titre de l'émission. Ils attendirent l'indicatif musical puis l'introduction par le présentateur new-yorkais, un autre ex-avocat de la défense, qui exposa le thème du jour avant d'accueillir son ami et confrère californien, le bien connu Dallas Trace.

L'avocat aux tempes argentées occupait sa place habituelle derrière son bureau, renversé en arrière dans son fauteuil en cuir, portant son gilet habituel en peau de bison. Derrière lui, les fenêtres laissaient voir un début de matinée brumeux à Los Angeles.

Dix hommes de l'équipe d'intervention du FBI s'engouffrent soudain dans les bureaux, canalisant secrétaires, réceptionnistes et clercs matinaux dans le hall o˘ deux hommes armés du FBI en gilet Kevlar noir montent la garde.

Après avoir vidé les bureaux et couloirs, deux agents enfoncent à coups de pied la porte de la salle de conférences qui sert de ´ foyer des artistes ª

pendant les émissions. Trois des quatre gardes du corps américains de Trace sont assis là devant un moniteur en train de boire du café et d'engloutir beignet sur beignet. Ils regardent, bouche bée, l'équipe d'intervention, puis se retrouvent par terre à plat ventre, mains sur la nuque, fouillés sans ménagement par les hommes du FBI. Chaque garde du corps a au moins une arme à feu sur lui, et le plus patibulaire des quatre a un deuxième pistolet passé à sa ceinture noire plus un troisième, minuscule, dans un étui au mollet. Deux des trois autres ont aussi un couteau pliant à longue lame, interdit à la vente.

Sans perdre de vue leur moniteur portable, après s'être assurés qu'aucun bruit n'a alerté les occupants du bureau de Trace, Faber et Syd, avec trois agents munis de H & K MP-10, attendent derrière la porte de l'avocat.

Dallas Trace est en train de dire avec son accent tramant du Texas :

- Et si j'avais été l'avocat de la défense de ces malheureux parents harcelés et persécutés, qui n'ont de toute évidence aucune 390

responsabilité dans la mort tragique de leur pauvre fille, il y a longtemps que j'aurais intenté un procès à la ville de...

C'est à ce moment-là que le FBI enfonce la porte et que quatre agents plus Syd font irruption mitraillette à la main.

Les deux cadreurs et l'unique preneur de son regardent leur régis-seuse pour savoir ce qu'ils doivent faire. Elle hésite deux microsecondes, puis fait tourner son index horizontalement pour leur indiquer de continuer.

Dallas Trace, interloqué, regarde les intrus la bouche ouverte.

- Maître Dallas Trace, je vous arrête pour association de malfaiteurs en vue de perpétrer des actes d'assassinat et de fraude, déclara l'agent spécial responsable Faber. Levez-vous.

Trace demeura assis. Il ouvrit la bouche pour parler, mais eut apparemment du mal à passer la vitesse. Il en était encore au procès retentissant qu'il voulait faire en faveur des malheureux parents persécutés de l'enfant assassiné. Mais avant qu'il p˚t émettre un seul son, deux hommes en noir du FBI le saisirent par les bras et le forcèrent à se mettre debout tandis que Syd refermait les menottes sur ses poignets avec un bruit sec.

Au bout de ce qui était probablement la plus longue période de mutisme de sa vie d'adulte, Dallas Trace retrouva sa voix pour dire :

- Pour qui vous prenez-vous, bordel ? Vous savez qui je suis ?

- Maître Dallas Trace, répéta l'agent Faber, vous êtes en état d'arrestation. Vous avez le droit de garder le silence...

- Silence, mon cul ! glapit Trace, son accent tramant du Texas faisant place comme par magie aux sonorités nasillardes du New Jersey. Dites à

cette putain de grognasse de m'enlever ces menottes !

Par la suite, des sondages établirent que ce furent ces qualificatifs, diffusés en direct sur une chaîne à forte audience, qui contribuèrent le plus à lui aliéner la sympathie potentielle des membres féminins de son jury.

- Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous dans une cour de justice, continua l'ASR Faber imperturbable tandis que les deux agents en noir dépouillaient l'avocat de son micro-cravate, de sa ceinture d'alimentation et de ses c‚bles, puis le faisaient sortir de derrière son bureau. Vous avez le droit de requérir l'assistance d'un avocat, conclut-il.

391

- Un avocat ! Mais j'en suis un, tête de noud ! hurla Dallas Trace en faisant voler des postillons dans tous les sens. Je suis le meilleur avocat qu'on puisse trouver dans tout le putain de territoire des …tats-Unis !

- Si vous n'avez pas les moyens d'engager un avocat, nous pouvons vous en fournir un d'office, continua Faber sans se troubler.

Les cinq personnes - trois agents fédéraux, Trace et Syd - passèrent devant la régisseuse qui ouvrait de grands yeux ébahis. Les deux cadreurs étaient hilares tandis qu'ils faisaient un pano circulaire sur la porte o˘ les autres agents de l'équipe d'intervention attendaient, l'arme à la hanche comme à la parade.

Dallas Trace jeta par-dessus son épaule un regard aux caméras.

- Greta ! s'écria-t-il en s'adressant à son hôtesse new-yorkaise. Tu as vu ! Tu vois ce qu'ils me font !

Puis Trace disparut.

La productrice déléguée bondit vers le micro-cravate toujours actif et le brandit à la figure de Syd.

- que signifie cette scandaleuse arrestation en plein milieu de...

- Sans commentaire, coupa Syd.

Les deux agents du FBI et elle sortirent à grands pas.

Ce même jeudi matin, six hommes du FBI et cinq officiers de police en civil de Sherman Oaks firent une descente au domicile de Dallas Trace. Ils ne rencontrèrent aucune résistance. Le garde du corps qui était resté garder Mme Trace se trouvait au lit avec elle au moment o˘ l'équipe d'intervention des hommes en noir enfonça la porte de la chambre à coucher.

Le garde du corps se dépêtra des jambes enveloppantes et réticentes de Destiny Trace, roula sur le côté, regarda son holster et son pistolet sur la chaise à six mètres de lui, regarda les quatre canons des H & K munis de silencieux avec les quatre points rouges des visées laser qui dansaient sur son front, et se résigna à lever les mains.

Mme Trace était assise au lit, résistant apparemment à l'impulsion de couvrir sa poitrine nue. L'attention de l'un des hommes du FBI dut vaciller un instant, car un point rouge caressa un instant les 392

seins vibrants de la dame avant de revenir sur le front du garde du corps.

Destiny Trace fronça les sourcils, fit la moue, regarda l'homme qui était dans son lit, regarda les agents du FBI avec leurs casques, leurs lunettes de protection et leurs gilets pare-balles. Elle fronça une deuxième fois les sourcils, puis se mit à crier soudain :

- Au secours ! Au viol ! Dieu merci, vous êtes arrivés à temps ! Cet homme m'a agressée !

Le lundi qui avait précédé les raids, Lawrence avait passé la plus grande partie de la journée à aider Dar à installer les nouvelles caméras de surveillance.

- «a te co˚te un max, avec la livraison en vingt-quatre heures et tout le reste, lui dit son ami tandis qu'ils déchargeaient du Trooper la première unité vidéo avec sa batterie, ses c‚bles et sa b‚che de camouflage pour la transporter dans le chalet. Si tu m'avais laissé une quinzaine de jours, j'aurais pu te faire économiser mille dollars sur ce truc.

- Dans quinze jours, je n'en aurai plus besoin.

Ils placèrent la première caméra dans un arbre au bord de l'allée de gravier à environ 500 m du chalet. C'était une unité vidéo de pointe, pas plus grande qu'un livre de poche, avec zoom et moteur télécommandé qui lui permettait de pivoter sur son axe et de balayer un large champ de vision.

Des c‚bles discrets la reliaient à une batterie au lithium triple durée et à un minuscule émetteur dissimulés au pied d'un vieux bouleau. La caméra télécommandée avait deux objectifs, le premier pour le grand jour, et l'autre pour amplifier la lumière après la tombée du soir. Cet équipement avait réellement co˚té un paquet à Dar.

Une fois la caméra correctement positionnée, il reprit le Land Cruiser pour aller devant le chalet et s'entraîna avec la télécommande à zoomer, panoramiquer, pivoter et changer d'objectif. Il éteignit et alluma la machine à plusieurs reprises. Il vérifia la réception sur son unité de commande et de contrôle mobile, avec son moniteur trois pouces noir et blanc. Puis il appela Lawrence sur son portable.

393

- «a marche bien, Larry.

- Lawrence.

- Viens me rejoindre au chalet, je vais faire un peu de café avant de monter les autres caméras. J'aimerais aussi te montrer une chose que j'ai trouvée dans les bois.

Après le café, Dar laissa le matériel vidéo encore emballé dans le chalet et emmena Lawrence faire un tour. Ils prirent vers l'est en direction du chariot de berger, mais coupèrent à travers les gros blocs qui parsemaient le versant jusqu'à la crête au-dessus du chalet. De là, ils redescendirent à flanc de colline jusqu'à un grand pin Douglas qui poussait trente mètres plus haut que l'habitation. Sans faire de bruit, Dar montra à son ami une grosse caméra vidéo installée dans un creux de l'arbre avec un camouflage sommaire. L'objectif était pointé sur le chalet.

Lawrence ne dit rien, mais se pencha pour inspecter l'objet avec autant de précautions qu'un expert en déminage examinant un engin explosif.

Finalement, il murmura :

- Pas de micro. Pas de zoom, ni pano ni dispositif de vision nocturne.

C'est juste un objectif fixe, un grand-angle, mais qui capte bien ta zone de parking et l'entrée du chalet. En plus, la batterie est costaud et l'enregistreur est longue durée. Sans doute avec un système d'horodatage.

Celui qui te surveille peut remonter plusieurs jours en arrière et faire une avance rapide pour voir qui est dans le chalet et quand il est arrivé.

- Je sais.

- Avec la puissance de l'émetteur et l'antenne planquée là-haut, il peut recevoir des informations à des kilomètres de distance.

- Je sais, répéta Dar.

Lawrence grimpa doucement contre le tronc du pin gluant de résine pour étudier la caméra de plus près.

- Rien à voir avec la technologie utilisée par le FBI, dit-il. C'est de conception étrangère. Tchèque, peut-être. Un peu rudimentaire, mais efficace. Je pense qu'elle transmet en PAL.

- C'est ce que je me suis dit aussi.

- Les Russes, tu crois ?

394

- Il y a toutes les chances.

- Tu veux que je la démonte ?

- Non. Je veux qu'ils sachent o˘ je suis. Je tenais à te montrer ça pour que nous prenions bien garde de ne rien laisser voir de nos activités quand nous sommes dans le champ de son objectif.

- Tu crois qu'il y en a d'autres ? demanda Lawrence en balayant d'un oil suspicieux le versant de la colline diapré par la lumière du jour.

- Je n'en ai pas repéré.

- Je vais jeter un coup d'oeil, si tu veux.

- Je t'en serai reconnaissant, Larry.

Dar avait un grand respect pour l'expérience de son ami dans le domaine de la surveillance électronique.

- Lawrence, murmura Lawrence en redescendant du tronc comme un gros ours bruyant.

Tony Constanza avait chanté comme un canari quand il avait repris conscience après son opération le samedi après-midi. Bien que sa chambre d'hôpital f˚t gardée par une demi-douzaine d'agents du FBI, il était visiblement terrifié à l'idée que les tueurs de 1!'Organizatsiya allaient rappliquer dès qu'ils apprendraient qu'il était vivant. Il avait d˚ se dire qu'il avait intérêt à se mettre à table en vitesse, avant que Yaponchik, Zuker et les autres ne découvrent l'endroit o˘ il était. Il avait, de toute évidence, un très grand respect pour leur capacité à donner la mort. Mais il manifestait aussi quelque enthousiasme à l'idée d'être pris en charge par le Programme de protection des témoins et d'aller vivre - il avait été

très spécifique à ce sujet - à Bozeman, dans le Montana.

Constanza affirmait qu'il ne savait pas exactement o˘ se terraient les Russes, mais que l'endroit était úne sorte de ranch isolé après l'hippodrome de Santa Anita, quelque part dans le prolongement du Sierra Madré Boulevard, dans les collines rousses o˘ le vent roule ces saloperies de paquets de broussailles ª. Le FBI avait reçu une lettre anonyme qui confirmait ce renseignement. C'était l'adresse qui correspondait à l'un des numéros de téléphone que Trace avait composés pendant la nuit de veille de Dar. Le FBI avait pu établir

395

que les cinq Russes s'y trouvaient. L'agent spécial Warren avait constitué

une équipe de vingt-trois hommes chargés de surveiller les lieux en permanence à partir du samedi soir. Le ranch, qui ressemblait plutôt à une villa de type méditerranéen, se trouvait à un kilomètre de son plus proche voisin. Warren avait dit à Oison qu'il aurait préféré agir sans attendre, mais qu'il fallait plusieurs jours pour obtenir des mandats de perquisition et d'arrestation concernant toutes les personnes nouvellement incriminées par Tony Constanza. Une arrestation prématurée des Russes aurait alerté

toute la bande. Entre-temps, les moindres mouvements qu'ils faisaient étaient suivis par les hommes du FBI planqués dans des camionnettes, déguisés en réparateurs ou employés du téléphone, avec des moyens vidéo et des hélicoptères. Non seulement la ligne téléphonique de la maison était surveillée, mais elle était piégée. Et Warren disposait de vingt autres agents formés à des opérations tactiques, disponibles dans la minute qui suivrait son appel. Des équipes de Pasadena, Glendale, Burbank et des SWAT

de la police de Los Angeles étaient prêtes à intervenir, même si elles ignoraient tous les détails de l'opération.

Les premières arrestations furent effectuées le dimanche matin, lorsque les inspecteurs Fairchild et Ventura de la police de Los Angeles furent convoqués, dans des bureaux séparés, par la Division des services internes de la police de Los Angeles, qui leur demanda de rendre leurs plaques, leurs armes, leurs chargeurs et leurs documents d'identité, et leur notifia les accusations de complicité dans des opérations de fraude et association de malfaiteurs en rapport avec l'assassinat de quatre agents officiels.

Ventura fut informé que la DSI et le FBI avaient connaissance du transfert occulte de fonds à son compte récemment ouvert à l'étranger. Il y avait eu trois virements de 85000, 15000 et 23000 dollars. Aucun transfert n'avait été trouvé au nom de l'inspecteur Fairchild, mais des recherches, l'informa-t-on, étaient toujours en cours. Les deux inspecteurs furent longuement interrogés.

L'inspecteur Ventura tint bon, mais Fairchild s'effondra rapidement. Non seulement il avoua que Ventura l'avait incité à couvrir avec lui l'assassinat de Richard Kodiak, mais il révéla également que c'était Ventura qui avait retrouvé la trace de Donald Borden et de Gennie Smiley dans la région de la Baie et qui les avait désignés 396

aux tueurs russes de Trace qui les avaient éliminés de deux balles dans la tête. D'après Fairchild, Ventura s'était même vanté en disant : ´ Pour vingt mille de plus, je me serais débarrassé moi-même de ces putains de macchabées, et j'aurais fait un meilleur boulot que ces enfoirés de Russkis. ª Fairchild déclara aussi, dans une déposition signée, que Ventura avait fait référence à Dallas Trace comme étant ´ la poule aux oufs d'or qui allait leur chier tout un tas de pépites ª et qu'ils avaient l'intention de développer les opérations du réseau de fraudes. Ventura, disait-il, avait menacé de lui faire la peau personnellement s'il ouvrait la bouche au sujet de l'Alliance.

Les deux officiers de police furent incarcérés. Fairchild négocia un accord avec le procureur d'…tat aux termes duquel il bénéficierait d'une mesure de clémence s'il témoignait au procès. Ni le FBI ni la police de Los Angeles n'annoncèrent les deux arrestations. Les inspecteurs furent détenus dans un local s˚r du FBI à Malibu, o˘ les interrogatoires se succédèrent sans rel

‚che. Tous ceux qui les demandaient au téléphone se voyaient répondre qu'ils ´ menaient une enquête sous une fausse identité et n'étaient pas joignables jusqu'à nouvel ordre ª. Naturellement, chaque appel était contrôlé. Deux d'entre eux émanaient des gardes du corps américains de Dallas Trace, et un troisième venait du ranch des Russes de Santa Anita.

Syd avait exprimé son inquiétude concernant la sécurité de Dar pendant les cinq jours précédant l'arrestation prévue des cinq membres principaux du réseau, mais il lui avait répondu en feignant l'innocence :

- qu'y a-t-il à redouter? Le FBI s'occupe des Russes, les gorilles américains de Trace sont tous sous surveillance... Jamais je ne me suis senti à ce point en sécurité.

Syd était trop occupée à préparer les descentes de police pour aller voir Dar au chalet, mais elle ne semblait nullement rassurée par ses propos.

Le lundi précédant la grande opération, Dar et Lawrence avaient fini d'installer leur dispositif. Ils avaient également placé des caméras à

fibres optiques à l'intérieur du chalet. Dar avait sélectionné

397

deux emplacements sur la façade sud intérieure, de sorte que les objectifs couvraient tout ce qui se passait dans le vaste espace unique à l'exception de la salle de bains et des W.-C.

Dar ouvrit la trappe de la cave avec sa clé, précéda Lawrence dans l'escalier raide puis ouvrit la porte en acier de la réserve.

- Bordel de Dieu ! s'exclama Lawrence. Des trappes, des passages secrets, des portes blindées ! Tu es un espion, ou quoi ? Un agent secret ?

- Non, fit Dar, embarrassé d'avoir jusque-là caché l'existence de cet endroit à son ami. J'avais juste besoin d'un lieu s˚r pour entreposer certains objets. Tu comprends ?

- Pas vraiment, je l'avoue.

De nouveau, Lawrence jeta un regard circulaire à la cave.

- On dirait la scène finale d'Indiana Jones, le premier. Avec cette grande salle souterraine pleine de caisses. Tu n'aurais pas dans tout ce fouillis, par hasard, une luge qui s'appellerait Bouton de rosé ' ?

- Non, répondit tranquillement Dar. J'ai été obligé de la br˚ler un hiver o˘ j'étais à court de bois de chauffage.

Il guida son ami à travers le couloir entre les rangées de caisses et lui montra la grille d'aération cadenassée.

- Si jamais tu as besoin de sortir d'ici en vitesse, défais cette grille et rampe, Larry. Dans soixante mètres, tu te retrouves dans cette ancienne mine d'or dont je t'ai parlé un jour. Elle débouche dans un profond ravin à

l'est de l'endroit o˘ nous sommes.

Lawrence secoua la tête.

- «a m'étonnerait que ça puisse me servir.

- Il y a un double des clés là-haut. Pour la trappe, pour la porte en acier et pour le cadenas de cette grille. Elles sont dans une pochette en cuir sous le tiroir à glace du frigo.

De nouveau, Lawrence secoua la tête.

- D'accord, mais ce n'est pas ce que je voulais dire. Je ne crois pas pouvoir entrer là-dedans, c'est tout.

Dar regarda le conduit, puis Lawrence, puis hocha la tête.

1. Allusion à la célèbre luge de Citizen Kane, que Spielberg, le réalisateur des Aventuriers de l'arche perdue, a achetée plus tard aux enchères pour 55 000 dollars.

398

- En tout cas, si tu te faisais piéger ici en cas de... grabuge là-haut, ferme bien la porte en acier et ne bouge plus. Les murs sont doublés, à

l'épreuve du feu, et l'aération fonctionne bien. Même si le chalet br˚le, tu seras en sécurité ici.

- D'accord, fit Lawrence d'un air peu convaincu. Trudy et moi, on a prévu de passer le reste de la semaine à Palm Springs. ¿ moins que tu n'aies besoin de moi ici, naturellement.

- Non. Mais sois quand même prudent, à Palm Springs, jusqu'à ce qu'on annonce que les Russes et les autres qui travaillent pour Trace sont sous les verrous.

Lawrence émit un grognement pour toute réponse et tapota le pistolet dans son holster d'épaule.

Ils connectèrent les deux c‚bles en fibres optiques et leur émetteur à

l'alimentation électrique du chalet, puis au groupe électrogène de secours.

Ils firent ensuite passer le fil d'antenne à travers le mur et sur le toit.

Après cela, ils sortirent pour descendre en contrebas du chalet, en prenant bien soin de toujours laisser celui-ci entre eux et le champ de vision de la caméra tchèque. Ils installèrent leur deuxième caméra extérieure dans la souche creuse d'un pin Douglas géant juste à l'endroit o˘ naissait le versant herbeux. Puis Lawrence retourna au chalet pendant que Dar sortait le moniteur-récepteur dissimulé dans son sac à dos et grimpait sur plusieurs centaines de mètres.

- Tu reçois quelque chose ? lui demanda Lawrence sur son portable.

- Oui, répondit Darwin.

Il afficha tour à tour l'image de la caméra n∞ 2 puis celle de la caméra n∞

3. Le grand-angle déformait l'intérieur du chalet, mais tout était bien visible sur l'écran miniature. Ces objectifs sans possibilité de zoom ni de balayage étaient cependant efficaces sous éclairage réduit.

- Maintenant, je comprends o˘ tu veux en venir, lui dit Lawrence au téléphone.

- Sans blague ?

- Oui, fit l'expert en gardant son sérieux. Tu es en train de préparer une orgie monstre là-haut, et tu veux tout enregistrer.

Dar essaya la caméra n∞ 4. Elle balaya le versant de la colline, montrant les abords du chalet sur tout le côté sud. Avec le grand-399

angle, il voyait toute la vallée côté sud sur des kilomètres et pouvait zoomer sur des objets situés à cent mètres de là.

Ce même jeudi matin o˘ Dallas Trace avait été arrêté, William Rogers, l'avocat des quartiers est de Los Angeles qui avait aidé le père Martin à

fonder l'association Secours aux démunis, fut coincé au bord de la route en allant à son travail. quand il sortit de son véhicule en plaisantant avec les policiers de la voiture de patrouille parce qu'il n'avait pas vu de stop, les agents du FBI, les adjoints du shérif et les officiers de la police de Los Angeles convergèrent sur lui.

On lui passa les menottes et on lui dit ses droits. Puis on le fit monter dans l'une des voitures. L'un des agents du FBI raconta à Syd qu'il s'était mis à pleurer en demandant à téléphoner à sa femme, Maria. Le FBI ne lui avait pas dit qu'elle venait d'être arrêtée elle aussi au siège du Secours aux démunis.

Dans plusieurs hôpitaux de la Californie du Sud, la police locale et le FBI, en conjonction avec les services d'immigration, procédèrent à de grands coups de balai. Plus de soixante Secouristes furent arrêtés sur un total de mille personnes interrogées. Le même jour, l'ensemble des hôpitaux et des cliniques ou dispensaires de Californie décidèrent de fermer leurs portes au Secours aux démunis. Dans les fichiers de Maria Rogers à Los Angeles Est, les noms de plus d'une centaine de fraudeurs aux assurances, médecins, avocats et intermédiaires, furent récoltés.

Dar plaça la cinquième caméra vidéo sur sa propriété le mardi après-midi.

Il sillonna ensuite dans tous les sens les dizaines d'hectares qu'il connaissait si bien et décida que le meilleur site pour un sniper se trouvait au-dessus du chalet, dans une petite clairière verte et à peu près horizontale abritée sur deux côtés par de gros blocs bas et à l'arrière par un énorme rocher. Il se coucha là avec son M-40 de précision agrémenté de la lunette de visée Redfield. La distance - un peu moins de deux cents mètres - était presque aussi parfaite que la vue. Les arbres épars autour du chalet offraient des trouées idéales. L'entrée du chalet et la zone de parking à l'ouest étaient parfaitement

400

visibles. Son perchoir était protégé par le rocher à l'arrière et par les escarpements des deux côtés. Il était parfait. Trop, même.

Il partit à la recherche d'un site moins évident. Il le trouva à un peu moins de soixante-dix mètres au nord-ouest du premier. Il était également protégé par de gros blocs, mais laissait un passage étroit entre deux rochers. Le sol était tapissé de buissons épineux au milieu desquels un sniper et son guetteur pouvaient se tapir. Ce deuxième site était plus élevé que le premier et offrait une vue encore meilleure tout en étant plus difficile à rejoindre sans marcher à découvert. Les soixante-dix mètres de plus ne poseraient pas de problème à la super-carabine Dragunov SVD

modernisée qui avait servi à tuer Tom Santana et les trois agents du FBI.

Il fallut à Dar près de trois heures pour se retirer du site sans laisser d'empreintes, grimper en contournant la crête pour arriver par-derrière parmi les gros blocs et escalader la paroi rocheuse quasi verticale sur plus de trente mètres pour parvenir jusqu'à un point, sur la roche, d'o˘ il dominait le second nid de sniper. Là, il fixa une corde en perlon autour d'une saillie afin de pouvoir descendre en rappel la face abrupte du rocher jusqu'à une corniche o˘ poussaient des buissons qui lui permirent de dissimuler la caméra, sa batterie et son émetteur sous la b‚che de camouflage imperméable. Il fit courir l'antenne dans des fissures verticales de la roche jusqu'au sommet.

Il rentra alors au chalet et essaya le moniteur. L'image n'était pas aussi nette que celle qui était transmise par les quatre autres caméras, mais on distinguait clairement le second nid de sniper en vue plongeante, et on pouvait zoomer sur le premier site qu'il avait repéré un peu plus bas.

Il passa le reste de la matinée à arpenter les crêtes et les ravins au nord-est des deux sites qu'il avait sélectionnés. Il ne s'estima satisfait qu'aux environs de midi.

Syd expliqua que le FBI s'intéressait principalement aux Russes. Ils avaient fait la preuve de leur implacabilité et de leur capacité

d'assassinat à longue portée. Plusieurs snipers et spécialistes des équipes tactiques de classe internationale du FBI étaient arrivés de quantico. De nuit, discrètement, huit maisons du quartier dans les 401

collines de Santa Anita au-dessus du Sierra Madré Boulevard avaient été

évacuées et réquisitionnées comme postes d'observation ou de commandement pour la force opérationnelle de l'agent spécial Warren.

Chacun des mouvements des Russes était surveillé de près. Les voitures suiveuses se passaient le relais d'un carrefour à l'autre, les hélicoptères à 2500m d'altitude les observaient à travers leurs puissants appareils.

Lorsque les cinq hommes reprirent leurs deux Mercedes pour regagner le ranch le mercredi soir, l'équipe d'intervention était forte de soixante-deux hommes. ¿ ce moment-là, des snipers du FBI en costume ghillie avaient déjà pris position tout autour du ranch, à cent cinquante mètres de distance.

Les tireurs d'élite du FBI étaient équipés du matériel le plus moderne que l'on p˚t trouver : des fusils de tireur d'élite De Lisle Mark 5 pouvant utiliser des cartouches de 7,62 mm en configuration standard ou subsonique.

Ces fusils étaient les descendants de la vénérable Remington 700 à verrou utilisée par Dar, mais qui avait évolué à peu près autant qu'un pilote de navette spatiale par rapport aux premiers hominidés australopithèques d'Afrique. Ils avaient de gros canons de classe match avec suppresseur intégral - ce que le profane appelle śilencieux ª - qui, combinés avec des munitions subsoniques, autorisent une grande précision à des distances supérieures à 200 m. Ces fusils ne faisaient aucun bruit. Pas même le claquement d'une balle franchissant le mur du son.

Montée sur chaque De Lisle Mark 5, il y avait une visée intégrée ultralégère qui associait une puissante lunette télescopique avec optique de vision nocturne à un système d'amplification d'image, un télémètre et un imageur thermique. Les tireurs d'élite du FBI pouvaient tuer à 200 m sous la pluie, par une nuit sans étoiles ou à travers le brouillard ou la fumée.

Les autres équipes d'intervention étaient munies de casques en Kevlar, de combinaisons pare-balles, de masques à gaz, de lunettes infrarouges, de mitraillettes à suppresseur de bruit et visée laser, de pistolets automatiques calibre 45 et de grenades paralysantes connues dans les milieux spécialisés sous le nom de ´ flash bangs ª. Pour lancer son assaut du jeudi à 5 heures du matin, l'équipe avait prévu un tir de barrage de projectiles lacrymogènes à travers toutes les 402

fenêtres et l'utilisation d'un bélier hydraulique transporté à dos d'homme pour enfoncer la porte d'entrée. Les trois premières équipes d'intervention s'introduiraient alors dans la maison en utilisant toutes les portes et fenêtres disponibles au rez-de-chaussée. Dans le garage de l'une des maisons voisines, il y avait un blindé léger équipé de son propre bélier.

Cinq hélicoptères avaient été assignés à cette mission. ¿ bord de chacun d'eux se trouvait un tireur d'élite. Deux des hélicoptères étaient équipés de matériel de treuillage de manière à pouvoir déposer rapidement sur place un commando par la voie des airs.

- Tous ces moyens, ça ne me semble pas très loyal, avait fait remarquer Syd à Warren l'après-midi du mercredi.

Il avait esquissé l'ombre d'un sourire en répliquant :

- Si je donne l'impression de vouloir un combat équitable, je mérite d'être viré sur-le-champ.

Elle avait hoché la tête sans rien dire, puis elle avait appelé Dar à son appartement pour voir comment il allait.

Le mercredi après-midi, Dar allait parfaitement bien. Il avait passé sa matinée à rattraper un peu son travail en retard dans son loft. Il avait repris l'affaire Gomez, puis il avait monté une reconstitution sur ordinateur de la mort de l'avocat Esposito sous la plateforme élévatrice.

Il avait bavardé quelques minutes avec Syd, et lui avait annoncé qu'il allait se rendre au chalet s'offrir une bonne nuit de sommeil pendant que ses collègues et elle faisaient tout le boulot. Il lui demanda d'être prudente, lui promit de venir la voir le lendemain jeudi et lui souhaita bonne chance.

La veille, il avait passé son après-midi et sa soirée à étalonner ses deux armes. Dans le ravin à l'est du chalet - il faisait vingt mètres de large à

l'endroit o˘ débouchait la mine d'or et allait en se rétrécissant jusqu'à

moins de six mètres aux environs des deux nids de sniper potentiels qu'il avait repérés -, il tira plusieurs centaines de cartouches avec son vieux M-40 à verrou comme avec le Cinquante léger qu'il avait emprunté.

Il utilisa son nouvel achat, des jumelles Leica Geovid BDII à 3 295

dollars, à calculateur de distance incorporé, pour revérifier la 403

distance avec le laser à infrarouge. Il disposa des cibles à des distances de 100 m, 300 m, 650 m et 1 000 m. Il fut satisfait de voir que ses estimations avaient été précises à un mètre cinquante près. Le télémètre des Leica n'avait, selon la notice du fabricant, qu'une précision de plus ou moins un mètre pour un kilomètre.

Bien que Dar e˚t déjà tiré à l'occasion dans des clubs avec le M-40 - cette vieille carabine de chasse Remington 700 améliorée -, il avait besoin de se refamiliariser avec l'arme. Durant sa période de formation chez les marines, il s'était révélé avoir une acuité visuelle de vingt dixièmes, ce qui signifiait tout simplement que ce qui était net à cent mètres pour une personne ayant dix dixièmes l'était encore pour lui à deux cents mètres.

Avant même d'avoir décidé définitivement de devenir un paria en suivant la formation poussée des snipers, il avait été catalogué tireur éxpert ª au camp d'entraînement de Parris Island. Selon la tradition ancienne des marines, les tireurs d'élite étaient divisés en trois catégories : marksman, sharp-shooter et expert, cette dernière distinction étant distribuée avec une extrême parcimonie. Dar l'avait obtenue lors d'une journée de compétition avec 317 points sur un maximum possible de 330. Une performance si exceptionnelle, lui avait dit le commandant, qu'une douzaine de marines au plus s'étaient hissés à ce niveau depuis la Seconde Guerre mondiale. Le premier score à 317 points avait été réalisé par un marine qui était devenu plus tard un écrivain et biographe célèbre.

Parmi les qualités allant de pair avec cette réussite figuraient, en premier lieu, le contrôle de la respiration, une vue hors du commun, une grande patience, l'aptitude à tirer dans des positions variées, la capacité

de tenir compte des distances, de la pesanteur, du vent et du comportement unique de l'arme utilisée, qui pouvait varier avec chaque coup tiré. Un autre facteur important (et sous-estime) était l'habileté du tireur dans sa manière d'ajuster la bretelle de l'arme. C'était un art difficile à

enseigner, mais la technique était venue naturellement au jeune Dar.

Aujourd'hui, près de trente ans plus tard, il savait que sa vue avait baissé à dix dixièmes pour le tir à grande distance, mais il restait à

l'aise dans le maniement de l'arme, le réglage de la bretelle sans y penser, l'évaluation correcte des distances, le réglage de la lunette à

zéro et la capacité de tirer aussi bien debout que couché, accroupi, assis ou genou à terre.