Mardi 11 août 1987
Interrogé par la presse, André Giraud déclare : Il faut que Kadhafi en fasse plus au sud du 16e parallèle pour qu'on réplique.
François Mitterrand est furieux. C'est exactement ce qu'il a, hier, très expressément recommandé à Chirac de ne pas dire : c'est une incitation à agir lancée au colonel Kadhafi.
Découverte de nouvelles mines en mer d'Oman. André Giraud appelle Jean-Louis Bianco vers 16 h 30. Il veut annoncer l'envoi de dragueurs pour deux motifs : parce que les Britanniques ont annoncé l'envoi des leurs ; parce qu'on a la preuve de la présence de mines posées intentionnellement dans le golfe d'Oman. Or, si nos navires ne doivent pas pénétrer en principe dans le détroit d'Ormuz, ils iront dans le Golfe ou en mer d'Oman.
Le Président donne aussitôt son accord. Il insiste sur le fait qu'en aucun cas nos bateaux ne doivent se rendre dans le détroit d'Ormuz, et qu'il ne s'agit pas d'une opération de coopération internationale. André Giraud est très satisfait de la rapidité avec laquelle il a reçu l'agrément du Président.
Paris et Londres annoncent séparément qu'ils vont envoyer dans le Golfe des dragueurs de mines pour protéger leurs navires, mais ils réaffirment leur refus de toute opération internationale de déminage souhaitée par Washington.
Mercredi 12 août 1987
Dans une allocution télévisée, Ronald Reagan fait son mea culpa à propos de l'Irangate.
Provocation : l'aviation libyenne bombarde plusieurs localités au nord du Tchad, dont Kouba-Oulamba, située au sud du 16e parallèle.
Gaffe sur gaffe : André Giraud, pour corriger ce qu'il a dit hier, déclare La France ne s'interdit aucun moyen militaire.
Il va maintenant trop loin dans l'autre sens ! François Mitterrand en est fort irrité.
Sans en référer au Président, le ministre de la Défense se corrige encore ! Pour rectifier son nouveau dérapage, il fait une troisième déclaration. Il évoque maintenant les missions humanitaires de la France dans le Nord. Comme le Président lui a dit de ne pas faire allusion au 16e parallèle, il en parle pour dire qu'il ne faut pas en parler ! Bonne volonté et lourde maladresse...
Sur le fond, deux positions se font jour au sein du gouvernement depuis aujourd'hui :
André Giraud est partisan de faire décoller des Mirage F1, avec pour instructions d'intercepter et éventuellement détruire les avions libyens qui bombardent le Tchad, car bien que ces bombardements libyens ne soient pas très efficaces (les bombes sont lancées de très haut), une bombe est tombée sur Faya-Largeau, à 300 mètres des démineurs français.
Jacques Chirac, en revanche, est très hostile à toute intervention de ce genre, car, pour lui, il ne faut surtout pas affronter directement les Libyens. Il déclare qu'il faut disperser nos 150 démineurs (sur quoi il n'a peut-être pas tort) et se demande s'il ne faudrait pas les rapatrier au sud de Faya. Mais cela reviendrait, pense François Mitterrand, à donner carte blanche au colonel Kadhafi...
Jeudi 13 août 1987
Le Président : On ne peut tout de même pas les laisser indéfiniment bombarder le Tchad !
Il serait plutôt partisan de la ligne Giraud, mais il n'a pas encore pris sa décision. La coopération avec Jacques Chirac s'est notablement améliorée.
Un détail : l'Élysée reçoit un hebdomadaire avant sa mise en vente. La couverture du numéro reçu cette semaine montre une photo du prince Charles et de Lady Diana. Or, les exemplaires mis en vente dans les kiosques présentent en couverture Jacques Chirac et sa fille ! Quelles pressions derrière ce changement ?...
Lundi 17 août 1987
Dans un entretien publié par Libération et consacré à la morale en politique, Michel Rocard parle de fautes et de bavures du septennat. Il cite le Rainbow Warrior, Carrefour du Développement, et estime que, faute de ressources publiques, les partis politiques restent voués à la fraude ou à la mendicité.
Jacques Toubon saute sur l'occasion pour affirmer que les socialistes sont disqualifiés pour donner des leçons de morale.
Mercredi 19 août 1987
Les troupes tchadiennes repoussent quatre attaques libyennes lancées successivement contre Aouzou : 300 morts du côté libyen.
Jeudi 20 août 1987
A l'université d'été des Jeunesses socialistes, Laurent Fabius trace le portrait idéal du candidat socialiste à l'élection présidentielle : Sûreté de jugement, esprit d'unité, expérience, capacité à refuser les exclusions et à saisir les nouvelles chances.
Mais à qui songe-t-il ? Sûrement pas à Michel Rocard.
François Mitterrand a lu les comptes rendus dans la presse. Il soupire : Si seulement je n'étais pas le seul, au Parti socialiste, à pouvoir battre la droite, les choses seraient plus faciles !
Plus faciles ? Pour qui ?
Samedi 22 août 1987
A Nouméa, dispersion brutale d'un rassemblement pacifique d'indépendantistes canaques, interdit par le gouvernement.
Dimanche 23 août 1987
Sur M6, Jean-Marie Tjibaou en appelle à François Mitterrand afin qu'il s'inquiète de la répression qui s'organise en Nouvelle-Calédonie.
Lundi 24 août 1987
François Mitterrand songe à intervenir à la télévision sur la Nouvelle-Calédonie.
Mardi 25 août 1987
De Mexico, Carlos Salinas m'appelle pour m'informer que les résultats des élections présidentielles publiés demain lui donneront 55 %, contre 28 % à Cardenas. Il a tout fait, me dit-il, pour empêcher la fraude. Je ferai tout pour aller vers un régime démocratique à l'européenne, contre mon parti.
A mon avis, la fraude a été encore très importante, mais sa victoire — il lui suffit d'une majorité relative — est indiscutable.
Mercredi 26 août 1987
Conseil des ministres tendu sur la Nouvelle-Calédonie. Le Président se dit choqué par la violence de la charge des policiers. Jacques Chirac se dit, lui, choqué par l'importance donnée à cet incident. François Mitterrand le met en garde contre l'enchaînement de la violence et rappelle chacun à son devoir.
A la sortie du Conseil, Alain Juppé affirme n'avoir senti aucun climat de crise entre l'Élysée et Matignon à propos du dossier calédonien.
Je propose à Jean Picq, conseiller pour la Défense du Premier ministre, d'assister à la réunion que je tiens avec les Allemands, demain, pour avancer sur le Conseil de Défense et le Conseil monétaire. Maurice Ulrich lui interdit de venir. Usant de son vocabulaire toujours élégant, il pense inutile que des hauts fonctionnaires assistent aux entretiens entre l'Élysée et la Chancellerie, et il suffit que Jean Picq en soit informé pour que le Premier ministre puisse en parler avec le Président.
Jeudi 27 août 1987
Horst Teltschik, accompagné d'autres collaborateurs du Chancelier et des ministres des Affaires étrangères et de la Défense allemandes, vient donc à Paris travailler sur le projet de Conseil de Défense. Je leur précise mon idée d'un Conseil économique et monétaire franco-allemand réunissant à son plus haut niveau le Président et le Chancelier, au niveau intermédiaire les ministres des Finances et les gouverneurs des deux Banques centrales et, au niveau inférieur, des experts choisis d'un commun accord. Un tel Conseil aurait pour mission :
- d'assurer la consultation la plus étroite en matière économique et monétaire ;
- d'accélérer l'ouverture réciproque des frontières et la réduction des barrières de toute nature ;
- de hâter le processus de coopération monétaire dans le cadre de la constitution de l'Écu et du renforcement du Système monétaire européen.
Sur la base des propositions allemandes, nous travaillons aussi au Conseil de Défense. Il institutionnaliserait les réunions qui se tiennent autour du Sommet franco-allemand. Composé du Chancelier et du Président, il se réunirait à intervalles réguliers. Il serait doté d'un secrétariat permanent et aurait pour mission d'harmoniser les analyses de la sécurité en Europe en vue de faire converger, dans les limites du possible, les conclusions que chacun en tire pour sa propre sécurité, de diriger et approfondir la coopération en matière de sécurité, de défense, de recherche, de développement et de production de matériel militaire, d'harmoniser les positions dans le domaine du désarmement, de prendre les décisions de principe relatives à l'organisation et à l'emploi des futures brigades franco-allemandes.
Il est prévu que nous nous reverrons à Bonn le 17 septembre pour mettre au point le projet d'une déclaration commune du Chancelier et du Président, le 24 septembre à Ingolstadt.
J'en informe le Président qui ne fait pas de commentaire.
Le Président reçoit Felipe Gonzalez à Latché. Il lui propose d'élargir à l'Espagne la coopération militaire franco-allemande.
Felipe Gonzalez : Je suis préoccupé à propos de la réalisation du marché intérieur: chez nous, il y aura des répercussions sociales, il y aura un coût économique et social de ce marché intérieur. Il faudra bien que ce coût soit réglé, soit dans les budgets nationaux, soit dans le budget communautaire. Nous ne pourrons pas résister au choc si, parallèlement, on ne met pas en place des actions complémentaires de développement. Le marché intérieur va provoquer une dualisation des économies européennes, et cela, je ne peux l'accepter.
Il y a deux conceptions de l'Europe : celle d'une zone de libre-échange, et ce n'est pas la mienne ; celle de l'Union européenne, pas seulement sur le plan économique, mais aussi sur les plans de la politique et de la défense. C'est la France qui peut être le moteur politique de l'Europe, et l'Allemagne son moteur économique. Si tel est le cas, nous nous en réjouissons, car cela renforce le pilier européen et nous met d'ailleurs en meilleure position vis-à-vis des Américains.
Le Président : Il faut aller vers une monnaie commune. Le développement de l'écu est capital. Bien sûr, les Allemands résistent. Je suis arrivé à la conviction que, parce qu'ils n'ont pas une puissance diplomatique et militaire à la hauteur de leur économie, ils transposent leur domination sur l'économie avec sa traduction la plus évidente, la monnaie. Le mark est ce qui manifeste la puissance de l'Allemagne. C'est un ressort très profond qui dépasse les réflexes des banquiers, et même le réflexe politique. C'est très profondément ancré et presque psychologique. Sur la défense, quel est votre point de vue ?
Felipe Gonzalez : Mon pays appartient à tous les organes de l'Alliance atlantique, sauf le commandement intégré. Je souhaite que l'Espagne devienne membre de l'UEO, mais ma demande suscite celle d'autres pays (Grèce, Portugal). Nous ne sommes pas pressés. C'est davantage une satisfaction psychologique pour nous.
Le Président: Sur une année européenne, voyons d'abord notre objectif. On ne peut conclure d'accord véritable que sur les armes classiques. Sur le nucléaire, rien n'est possible. J'ai dit à M. Kohl : « Je suis d'accord sur le premier noyau, mais je ne vois pas de solution sur le nucléaire. »
Le 24 septembre, je vais à Ingolstadt, rencontrer le Chancelier Kohl pour des manœuvres communes. Je considère comme très important que les Français et les Allemands soient dans une même armée, mais pas sous le commandement intégré de l'OTAN. Je voudrais pouvoir associer l'Espagne et aussi l'Italie, mais celle-ci est moins libre. Elle aurait la force intellectuelle, mais pas la force morale. Si la France, la RFA et l'Espagne agissent ensemble, alors nous avons une vraie force. C'est pourquoi j'ai recherché l'alliance avec l'Espagne en faisant sauter les verrous du terrorisme et de l'élargissement. Il faut que nous fassions un embryon d'armée commune à trois. Il y a des difficultés théoriques, mais, en pratique, c'est assez facile. Je trouverai les moyens de résorber les difficultés qui se posent à nous, car il faut avancer. Aujourd'hui, la RFA désire cet accord, mais demain ?
Il y a une autre façon de progresser, c'est la coopération sur les armes. Je reste convaincu que l'on aurait pu s'y prendre autrement pour faire l'avion de combat européen. Je crois que les industriels ont une grande responsabilité là-dedans. Je considère toujours qu'il faut travailler encore à harmoniser les calendriers de production, sinon, dans cinquante ans, nous en serons toujours au même point.
Il ne peut y avoir davantage d'unité militaire s'il n'y a pas d'unité politique. Tout est parallèle. Il faut progresser petit à petit. Si nous arrivons à faire avec vous et les Allemands un embryon d'année commune, les autres suivront. C'est important d'offrir une perspective européenne à la RFA. Mon objectif est d'en finir avec ce que j'appelle l'Europe de Yalta. Cela dure depuis quarante-trois ans ! Cela va durer encore vingt-cinq ans ! Il faut prévoir au-delà. Il faut marcher sur nos deux jambes : d'une part, l'Alliance atlantique, d'autre part, le pilier européen. Nous aurons beaucoup de difficultés avec le Royaume-Uni. Notre objectif final doit être un pilier européen et un pilier américain. Comme il y a déjà un pilier américain, comment faire monter les pierres du pilier européen ? Ce qui est important, c'est que l'on progresse.
Vendredi 28 août 1987
Je fais à Jean Picq, François Bujon et Jean-Bernard Raimond un compte rendu de mes conversations avec les Allemands. Ils ne veulent toujours pas s'y associer. Un piège ?
Aouzou est reprise par les Libyens après de violents combats. L'aviation de Kadhafi a écrasé les Tchadiens sous les bombes.
Samedi 29 août 1987
Jean-Pierre Chevènement annonce que si François Mitterrand ne brigue pas un second mandat, il sera lui-même candidat en 1988.
Lundi 31 août 1987
Désastre : alors que tout est négocié avec les Allemands, que tout est prêt pour que puissent être annoncés le 24 septembre le projet de Conseil monétaire et celui du Conseil de Défense, François Mitterrand fait machine arrière ! Quand je lui demande l'autorisation de transmettre à Matignon les deux documents établis lors de mes réunions avec les Allemands, il me rétorque : Ces textes n'ont pas mon accord. Pour discuter, oui. Mais il y a bien des choses à revoir. Ces textes n'ont qu'une valeur indicative. Je réserve entièrement mon choix. Le dire expressément aux Allemands et aux dirigeants français.
Tout ça pour rien ? Parce qu'il n'a rien lu de ce que je lui ai fait passer là-dessus depuis deux mois ? Je n'imagine pas d'autre raison...
Jacques Chirac répond à François Mitterrand, qui s'est inquiété du rôle que l'armée sera appelée à jouer lors des élections en Nouvelle-Calédonie : Les armées seront tenues à l'écart du maintien de l'ordre le jour du scrutin.
Mardi 1er septembre 1987
François Mitterrand : Tout le monde évoque mon âge ! Ça me donnerait plutôt envie de me représenter !
Départ pour Québec.
Mercredi 2 septembre 1987
Ouverture du 2e Sommet de la francophonie à Québec, dix-huit mois après la première rencontre de Versailles, en février 1986. Seize chefs d'État, douze chefs de gouvernement et quarante-trois délégations représentant trente-sept pays. Le Canada ambitionne d'en disputer subtilement la direction à la France : dès l'ouverture, Brian Mulroney annonce que son pays va effacer la dette de sept pays africains, représentant 324 millions de dollars canadiens.
Le ministre de la Culture, François Léotard, n'est pas venu à ce Sommet de la francophonie. Le Président en est furieux.
François Mitterrand sur Édouard Balladur : Je n'ai jamais eu l'occasion de parler avec Georges Pompidou, si ce n'est dans les débats parlementaires. C'est vous dire ce qu'était la démocratie d'alors. De ce point de vue, la cohabitation est un grand progrès. Mais quand je parle avec Balladur, j'ai l'impression de parler avec le fantôme de Pompidou : la même onction ; la même culture vaguement moderniste pour masquer un conservatisme impitoyable...
Jeudi 3 septembre 1987
Matignon annonce une baisse de la TVA sur les automobiles de 33,3 à 28 %.
Le Président s'interroge tout haut : Retarder ma décision, si elle est négative, est-ce nuire à l'éventuel candidat de la gauche, comme le dit la presse ?
Vendredi 4 septembre 1987
Discussion avec Élisabeth Guigou : quelles suggestions pour faire progresser l'Europe économique ? Peut-on avancer des propositions conjointes avec les Allemands ?
Il faut commencer par la mise en place d'un embryon de Banque centrale européenne plutôt que par la création d'une monnaie européenne, chiffon rouge pour les Allemands aux yeux de qui le mark reste le symbole de leur réussite : ils ne sont pas près de s'en défaire.
Les textes de 1978, qui ont institué le SME, prévoyaient en 1981 la transformation de l'actuel Fonds européen de coopération monétaire (FECOM) en Fonds monétaire européen (FME), véritable embryon d'une Banque centrale européenne.
Nous tombons d'accord pour proposer, avec prudence, une double avancée : d'abord parvenir à la mise en commun d'une partie des réserves des banques centrales des États membres, puis envisager un abandon progressif des réserves en or et en devises. Ainsi, au terme du processus, ces réserves, devenues communes, permettraient au FME d'intervenir au nom de l'Europe entière vis-à-vis du dollar. Infiniment préférable au désordre d'aujourd'hui où chacun joue pour son propre compte.
Par ailleurs, la Banque de France et la Bundesbank émettraient des pièces de 1 et 5 écus qui pourraient être utilisées au même titre que les monnaies nationales. Le gouvernement belge a pris cette décision il y a quelques mois. Cette initiative ne menacerait en rien l'équilibre monétaire dans les deux pays.
Comment présenter ces propositions, et selon quel calendrier ?
La France et la RFA pourraient d'abord annoncer leur intention de travailler ensemble à la création d'un Fonds monétaire européen tout en manifestant, dès le départ, leur intention d'associer les autres États membres du SME.
Samedi 5 septembre 1987
Les Tchadiens détruisent la base aérienne de Maaten-es-Sara, au sud de la Libye. Commentaire de Jacques Chirac : Les Américains poussent Hissène Habré à faire des bêtises.
Lundi 7 septembre 1987
Le contingent français au Tchad abat un bombardier libyen qui s'apprêtait à attaquer N'Djamena.
Jacques Chirac appelle le Président. Ils décident d'envoyer le général Fleury chez Hissène Habré, lui dire que nous ne pouvons pas l'aider s'il continue à mener des actions sans nous en informer à l'avance, actions pour lesquelles nous n'avons pas donné notre assentiment, en tout cas pour tout ce qui touche aux territoires extérieurs au Tchad ou contestés, comme Aouzou. En conséquence, s'il veut que l'on puisse répondre favorablement à ses demandes, il faut qu'il accepte la présence d'un officier français auprès de son chef d'état-major.
Comme prévu, première visite d'un chef d'État est-allemand, Erich Honecker, en RFA.
Pierre-André Albertini est libéré dans de curieuses conditions : un échange de prisonniers entre l'Afrique du Sud et l'Angola.
Les sondages sont encore mauvais pour Jacques Chirac. Ils le deviennent pour Raymond Barre.
Le référendum se prépare en Nouvelle-Calédonie. Le résultat sera sans surprise. Les indépendantistes appellent au boycott.
Jack Lang demande au Président de recevoir Stewie Wonder à l'Élysée. François Mitterrand refuse. Il a tort, à mon avis : c'est un grand artiste et un homme intéressant, qui a une analyse crue de l'Amérique.
Recevant Renaud Denoix de Saint Marc, comme chaque lundi, François Mitterrand refuse l'inscription à l'ordre du jour du prochain Conseil des ministres de la nomination comme commissaire au Plan d'un ancien collaborateur de Simone Veil, aucune proposition de reclassement n'ayant été faite à l'ancien collaborateur de Pierre Mauroy qu'il remplacerait. Ses trois prédécesseurs au commissariat au Plan ont tous obtenu des fonctions importantes : l'un est devenu numéro deux à l'ONU, un autre président des AGF, le troisième a été nommé à la Cour des comptes. Le commissaire au Plan est un personnage éminent et le Président estime qu'il convient de ne pas dévaluer la fonction : Je ne demande pas pour Henri Guillaume une compagnie d'assurances, encore que je pourrais le faire...
Mardi 8 septembre 1987
Le Premier ministre fait du forcing pour passer au plus vite au journal télévisé de TF1 depuis qu'il a été annoncé que le Président participerait à une émission le 17 septembre. François Mitterrand se montre de plus en plus critique envers Chirac. Il évoque sa mesquinerie.
Le Président à propos de Raymond Barre : Lui, au moins, est républicain. Je n'ai plus le moindre doute : il va se représenter. Par goût du combat contre les gaullistes. La volonté de battre cette clique, comme il dit, aura décidément été le moteur de sa vie publique. Il me le confie d'ailleurs clairement : Je n'ai pas envie de m'incruster. Mais savoir que c'est le plus grand plaisir que je pourrais leur faire me gâcherait ma retraite !
Mercredi 9 septembre 1987
Avant le Conseil des ministres, le Président déclare au Premier ministre qu'il n'acceptera pas la nomination d'un nouveau commissaire au Plan tant qu'un poste convenable n'aura pas été proposé à Henri Guillaume : Il y va de la dignité de la fonction.
Il me dit peu après : Le Premier ministre a été spécialement aimable, tout miel, mais il m'a menti d'une manière stupide et médiocre, une fois de plus, en m'expliquant qu'il irait au journal télévisé de TFI uniquement pour parler de la baisse de la TVA.
Au Conseil, Philippe Séguin rend un hommage vibrant à Martine Aubry, qu'il vient d'évincer du poste qu'elle occupait au ministère du Travail. Il parle de son sens du service public, de sa compétence, de son dévouement, de sa loyauté à l'égard des quatre ministres successifs qu'elle a servis. Le plus étonnant est qu'il a l'air sincère...
Lucette Michaux-Chevry ânonne un texte qu'on lui a écrit sur la francophonie, sans même respecter la ponctuation. Les ministres semblent souffrir. Volant à son secours, le Premier ministre juge utile de rappeler que le Sommet de la francophonie a été un succès.
Le Président a été tenu totalement à l'écart des négociations pour la libération de Pierre Albertini. Il ne veut émettre aucune réflexion à ce sujet, mais le procédé n'en est pas moins choquant.
Jeudi 10 septembre 1987
Jacques Chirac est aux Antilles.
Vendredi 11 septembre 1987
Jean-Louis Bianco reçoit le général Imbot.
Sur l'affaire Albertini, le directeur de la DGSE lui dit : Je pense que pour la libération d'Albertini, vous êtes au courant de ce qui s'est passé ? Bianco répond que oui (ce qui est faux), mais ajoute qu'il ne l'a pas appris par les voies gouvernementales. Le général Imbot suggère alors à Bianco de lui donner ses informations afin de confronter les sources. Bianco, embarrassé, répond : Donnez-moi les vôtres, je vous dirai si elles correspondent aux miennes !
Comme vous le savez, tout a reposé sur Jean-Louis Ollivier, lui dit alors Imbot.
Or, Bianco ignore de qui il s'agit !...
Le général fait état des aller-retour de Jean-Louis Ollivier entre Pretoria et Paris, le Mozambique, l'Angola, le tout couronné par une visite à Jonas Savimbi, chef de l' UNITA (mouvement de résistance angolais), et de pourparlers avec les responsables sud-africains pour obtenir la libération de cent cinquante prisonniers. Savimbi a accepté le marché sous la pression de l'Afrique du Sud et contre la promesse faite par Ollivier, au nom du Premier ministre, que la France le remercierait publiquement, ce qui n'a pas été fait. D'où son mécontentement, qui s'est traduit par une dépêche de l'UNITA.
Par Chatelais, directeur d'Afrique, Jean-Louis Bianco apprend que Fernand Wibaux, conseiller diplomatique, se serait pour sa part rendu au Ciskei et aurait remis un message écrit de Jacques Chirac au chef de ce bantoustan afin de régler cette affaire. Il portait — nous dit-on, mais sans preuves — un faux passeport, un faux nom, une carte d'identité donnée par Michel Roussin, sans doute grâce à l'un de ses amis au sein de la DGSE. (Le général Imbot n'était peut-être pas au courant ; maintenant, il l'est.) Wibaux se serait également rendu en Angola avec les gens d'Afrique du Sud. Il ne nous en a rien dit. Toute l'opération était top secret, un nom de code avait été donné à Chirac, Roussin et Ollivier. Jean-Bernard Raimond n'était au courant de rien.
Sur le projet de Conseil de Défense franco-allemand que j'ai mis au point avec Horst Teltschik, le Premier ministre nous fait dire par François Bujon qu'il donnera au Président la position du gouvernement mercredi matin. C'est la dernière limite, car je dois conclure, jeudi 17, avec les Allemands. Sinon, à la réunion de l'Internationale libérale, Jacques Chirac communiquera sa position aux Allemands, court-circuitant ainsi, sur le fond et sur la forme, le Président, qui doit en faire l'annonce lors des manœuvres communes du 24 septembre.
Il est probable que Jacques Chirac essaiera de torpiller l'ensemble d'un projet dont il n'est pas l'auteur, prétextant qu'on ne peut décider de quelque chose d'aussi important à quelques mois des élections présidentielles.
Affaire Prouteau : Paul-André Sadon, directeur de cabinet d'Albin Chalandon, a appelé Jean-Louis Chambon, de permanence à l'Élysée cette nuit, pour lui signaler que Le Figaro de ce matin publie un article annonçant la prochaine inculpation du lieutenant-colonel Prouteau : J'ai été très étonné par cet article. Savez-vous que M. Chalandon passe demain au Forum RMC? Il est à craindre qu'une question lui soit posée à ce sujet. M. Chalandon me dit avoir été reçu par le Président en juillet, lequel lui aurait donné alors son accord sur l'inculpation. Bien entendu, il n'est pas question de faire état de cette conversation publiquement. Voici ce que le garde des Sceaux se propose de dire, il voudrait savoir si le secrétaire général de la Présidence de la République en serait d'accord. Il voudrait dire : « Il s'agit d'une affaire judiciaire en cours d'instruction, sur laquelle le garde des Sceaux n'a aucun commentaire à faire. »
Avec l'accord du Président, Jean-Louis Bianco fait répondre par Jean-Louis Chambon à Paul-André Sadon : Le secrétaire général de l'Elysée n'a pas à se mêler des déclarations du garde des Sceaux. Le garde des Sceaux dit ce qu'il veut.
Samedi 12 septembre 1987
François Mitterrand prend connaissance de la protestation signée par les trois syndicats de journalistes de l'AFP contre les procédés brutaux d'une unité de parachutistes en Nouvelle-Calédonie.
Le Président : La liberté de la presse est en cause. Il envisage le rapatriement en métropole de l'unité incriminée.
André Giraud répond à la presse avant même d'adresser une explication écrite au Président : ces journalistes menaçaient un secret d'État. On peut se demander quelle était la nature du secret d'État qui pouvait être menacé par les journalistes alors que ceux-ci ne se trouvaient ni dans une base interdite ni sur un territoire protégé.
Un journaliste français, Alain Guillo, est capturé en Afghanistan.
Dans son émission Droit de réponse, Michel Polac met en cause la CNCL à propos de l'attribution des fréquences de la bande FM. Gabriel de Broglie exige un rectificatif auprès de Francis Bouygues.
Inculpation de Christian Prouteau dans l'affaire des « Irlandais de Vincennes », ainsi que l'annonçait Le Figaro d'hier.
Dimanche 13 septembre 1987
En Nouvelle-Calédonie, malgré le boycottage du scrutin par le mouvement indépendantiste, 59,10 % des électeurs participent au référendum d'autodétermination et votent à 98,30 % pour le maintien du territoire dans la République française.
Les camps de concentration nazis, déclare Jean-Marie Le Pen au Grand Jury RTL-Le Monde, sont un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Il ajoute que des historiens débattent à ce sujet, et qu'il se pose lui-même des questions.
Lundi 14 septembre 1987
Catherine Tasca démissionne d'un groupe de travail à la CNCL afin de protester contre l'attitude immobiliste de la Commission en Nouvelle-Calédonie : aucune sanction n'est en effet envisagée contre Radio Rythme bleue, la radio du RPR qui a implanté un émetteur illégal et dont la propagande avant le référendum a été très active.
Mardi 15 septembre 1987
Le Président apprend que Jacques Chirac va s'entretenir avec Helmut Kohl samedi prochain, en marge de l'Internationale libérale, sur les problèmes de défense. Il considère qu'il s'agit là d'un procédé inélégant de la part du Chancelier, qui sait fort bien que ces sujets relèvent de sa compétence exclusive. Il me demande d'annuler la réunion que je dois avoir après-demain avec Horst Teltschik. Quand j'en fais part à ce dernier, je n'ai nul besoin de lui dire pourquoi. Il me répond qu'il a tout fait pour empêcher la rencontre de samedi ; qu'il n'y aura aucune conversation réelle en matière de défense ; qu'il a lui-même refusé de recevoir Bujon de l'Estang, qui voulait venir à Bonn discuter de ces choses cette semaine ; qu'il a de nombreuses propositions concrètes à nous faire en matière de coopération économique et monétaire. Il me précise aussi qu'Édouard Balladur a fait part à Stoltenberg, dimanche dernier, de son hostilité au projet d'un pendant économique au Conseil de Défense franco-allemand, les affaires économiques devant à ses yeux continuer d'être traitées au niveau des ministres des Finances. Stoltenberg a été stupéfait d'entendre parler de cela, car il n'était pas au courant du projet.
Teltschik me propose de venir quand même le voir la semaine prochaine après la rencontre entre le Premier ministre et le Chancelier.
Je pense qu'il ne faut pas rompre le fil avec quelqu'un qui est pour le moins très embarrassé des mauvaises manières de Matignon.
Mercredi 16 septembre 1987
Avant le Conseil des ministres, le Président aborde la question des Malouines, qui doit venir en débat aux Nations-Unies. Le Premier ministre souhaite que la France vote un amendement convenant aux Britanniques, qui contredit notre position des années précédentes sur les conditions de reconnaissance de la reconquête.
François Mitterrand : Il n'en est pas question. Nous maintiendrons notre vote.
Jacques Chirac s'incline.
Après le Conseil, le Président me dit que l'attitude du Premier ministre sur les Malouines s'explique par la Nouvelle-Calédonie : aux Malouines, les Britanniques sont dans une situation analogue à la nôtre en Nouvelle-Calédonie ; en échange de notre vote, Chirac espère obtenir leur soutien.
Surprise : le Premier ministre informe le Président que Chadli Bendjedid lui propose de lui faire rencontrer à Alger le colonel Jalloud, numéro deux libyen. Jacques Chirac souhaite s'y rendre.
Le Président : Ce serait de la folie ! Il faut n'y envoyer que le secrétaire général du Quai.
(Commentaire du Président, peu après : Il faut sans cesse corriger ses bêtises !)
Le Président s'étonne que la cinquième étoile n'ait pas encore été accordée au général Fleury. Renaud Denoix de Saint Marc : Le ministre de la Défense aurait souhaité que vous lui en parliez.
Le Président, agacé : Il n'y a aucune raison pour que je lui en parle. C'est une décision automatique. [De fait, le chef d'état-major particulier du Président de la République se voit automatiquement promu lors de sa nomination à l'Élysée.]
Jacques Chirac, encore plus ulcéré que le Président : Mais j'avais donné des instructions à M. Giraud. Il n'a qu'à le faire, ce sont des questions qui ne se discutent pas ! [Cela passera au prochain Conseil.]
Il est encore question du problème posé par la nomination, en Corrèze, d'un protégé de Jacques Chirac, qui suscite de très nombreuses protestations parmi les responsables du corps préfectoral.
Le Président à Jacques Chirac : Ce n'est pas bien, mais je ne vais pas vous embêter avec cela, parce que c'est la Corrèze.
Il est enfin question du Transall français envoyé à Sassou N'Guesso. Au détour d'un télégramme, nous avons appris que l'envoi avait été convenu directement entre Sassou N'Guesso et Jacques Chirac. L'appareil, avec ses cocardes maquillées, a été mis à la disposition des militaires congolais pour briser une opposition intérieure ! Jamais le Président n'en a été avisé. L'information a été vérifiée par Jean-Christophe Mitterrand, Jean Audibert et le général Fleury.
Jacques Chirac au Président : Mais votre état-major était tenu au courant par l'état-major de Matignon ! En présence de Chirac, le Président demande à Jean-Louis Bianco de vérifier. Bianco se rend dans son bureau pour appeler le général Fleury, puis rappelle le Président : le général Fleury lui a répété que jamais Matignon n'a prévenu l'état-major particulier. Chirac ne cille pas.
Contrairement à ce qu'il a annoncé, Jacques Chirac ne donne pas sa réponse sur les deux projets franco-allemands. Il dit au Président qu'il lui écrira à ce sujet.
Conseil des ministres : le projet de budget pour 1988 est à l'ordre du jour. Édouard Balladur commence par une critique en règle de la gestion socialiste. Il parle du cercle vicieux des dépenses et des impôts.
Le Président : Je n'engagerai pas un débat sur le budget. Ce débat aura lieu devant le Parlement, c'est son rôle. Je rappellerai seulement quelques données. Quand j'étais parlementaire, j'avais entendu M. Barre dénoncer avec une très grande vigueur la gestion précédente... [Jacques Chirac se crispe, Alain Madelin et Gérard Longuet sourient.] Ensuite, j'ai entendu M. Delors, avec une grande rigueur, dénoncer la gestion précédente. A la limite, j'aurais pu entendre M. Bérégovoy... Je viens d'entendre le ministre d'État dénoncer la précédente gestion. C'est une situation tout à fait classique.
Édouard Balladur sourit et semble ravi de la pique.
L'exposé de René Monory sur la rentrée scolaire s'achève par cette conclusion : Il faut rester modeste.
Le Président : Voilà une excellente recommandation.
Là, c'est l'éclat de rire, vite réprimé devant l'air outragé du ministre.
Le Président reçoit Charles Pasqua et Robert Pandraud à 11 h 30. Ces derniers viennent à nouveau répéter : Nous souhaitons pouvoir réformer le service des voyages officiels.
François Mitterrand : Je sais, je sais. Vous m'en avez souvent parlé. Mais laissons nos successeurs régler tout cela. Vous savez, on est maintenant en septembre, on va surtout expédier les affaires courantes.
Charles Pasqua, résigné : Comme vous voudrez, monsieur le Président.
Jeudi 17 septembre 1987
En voyage à Nouméa, Jacques Chirac annonce un nouveau projet de statut d'autonomie interne calqué sur celui de la Polynésie française.
Entrée en vigueur de la baisse de la TVA sur les automobiles.
Sur TFI, où il est venu parler de la Nouvelle-Calédonie, François Mitterrand affirme sa pleine confiance en Christian Prouteau.
Vendredi 18 septembre 1987
Jacques Chirac écrit à François Mitterrand à propos de mes négociations avec Horst Teltschik... pour se plaindre d'avoir été tenu à l'écart ! Il s'offusque qu'on ait accepté un accord sur la défense sans rien demander sur la monnaie. Toute sa lettre tend à dire : il est urgent d'attendre. Incroyable ! Lui-même a refusé que ses collaborateurs assistent aux pourparlers et il a été tenu informé par le Président... qui trouve, lui, la lettre de Chirac très raisonnable !
Je suggère au Président une solution qui permettrait d'annoncer un accord monétaire sans l'assentiment préalable du gouvernement ; il suffirait d'ajouter au communiqué de presse sur la défense le paragraphe suivant :
Le Président de la République française et le Chancelier de la République fédérale d'Allemagne sont convenus d'intensifier leur coopération dans le domaine monétaire afin de continuer à faire progresser le Système monétaire européen.
Pour cela, chaque sommet bilatéral franco-allemand sera l'occasion d'une réunion au niveau des chefs d'État et de gouvernement avec les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales.
Une réunion de ce type aura lieu sous la présidence du Président de la République française et du Chancelier de la République fédérale d'Allemagne dès le prochain Sommet franco-allemand qui se tiendra à Karlsruhe les 12 et 13 novembre prochains.
Le Président de la République française et le Chancelier de la République fédérale d'Allemagne informeront aussitôt les États membres du SME et le Président de la Commission de la teneur des conversations.
C'est moins que le Conseil monétaire, mais cela aurait cependant le mérite d'exister...
Mais le Président veut davantage : il souhaite l'accord de Jacques Chirac sur l'ensemble. Il écrit donc d'abord à Helmut Kohl pour panser les plaies que va causer le retard pris par l'annonce de la création du Conseil de Défense. Il lui propose de célébrer à Paris, le 22 janvier prochain, à l'Élysée, le vingt-cinquième anniversaire du traité du même nom.
Pour le reste, il en reparlera à Jacques Chirac.
Samedi 19 septembre 1987
Au cours de l'émission de Michel Polac consacrée au pont de l'île de Ré, le caricaturiste Wiaz exhibe un dessin mettant en cause Francis Bouygues. Polac est licencié. La CNCL se tait.
Dans un entretien que publie Le Point, François Mitterrand déclare à propos de la CNCL : La CNCL n'a rien fait jusqu'ici qui puisse inspirer le respect. Pour moi, il ajoute : Ce sont des domestiques liberticides.
Lundi 21 septembre 1987
François Mitterrand me confie : Avec moi, Jacques Chirac a un ton de plus en plus « cohabitant », mais au-dehors il lâche de plus en plus ses chiens.
Le Président donne son accord à un petit remaniement ministériel concernant Camille Cabana et André Santini. Il accepte que celui-ci devienne ministre délégué dans la mesure où il a écrit à Raymond Courrière une lettre d'excuses confessant qu'il avait cru faire un trait d'humour en l'attaquant à propos de l'ONASEC. Courrière en a fait part au Président,
Roger Bouzinac (l'un des membres de la CNCL) revient de Nouvelle-Calédonie et parle de scandale, non seulement à propos de l'émetteur de Radio Rythme bleue, mais aussi des listes truquées (des fonctionnaires qui se sont fait réinscrire). Il dit avoir assisté à des bourrages d'urnes lors du référendum.
Les Nouvelles calédoniennes (du groupe Hersant) ont publié un article signé de l'éditorialiste attitré, dont voici un court extrait : C'est une œuvre de salut public que de tabasser les journalistes.
Mardi 22 septembre 1987
Yves Chalier est remis en liberté.
L'accord entre Américains et Soviétiques sur les forces nucléaires intermédiaires est réalisé ; il ne reste que quelques menus détails à régler.
Les Soviétiques veulent signer rapidement (avant le 15 novembre) un autre accord, cette fois de désarmement stratégique, de sorte que ce traité soit ratifié avant l'expiration du mandat de Ronald Reagan. Dans cette négociation, deux problèmes sont liés : celui de l'IDS et celui des sous-plafonds par catégorie d'armes (sous-marines, aériennes et terrestres, dont mobiles).
Selon le conseiller pour la Sécurité de Ronald Reagan, Franck Carlucci, de passage à Paris, les Soviétiques admettent (en privé) le fait que le Président Reagan ne renoncera pas à l'IDS. En échange, ils proposent des sous-plafonds préservant leur supériorité en missiles terrestres, réduisant celle des États-Unis en missiles sous-marins, et leur permettant de développer leurs missiles mobiles (SS 24 et 25) dont le Pentagone a très peur (ils jouent un rôle voisin de l'IDS, mais à terre).
André Giraud : Je ne suis pas de ceux qui se félicitent de la prochaine signature de l'accord FNI. La sécurité de l'Europe de l'Ouest ne sort pas renforcée de cette affaire.
Mercredi 23 septembre 1987
Au début du Conseil, aparté entre le Président et Charles Pasqua, assis à côté de lui. Tous deux sourient. Le Président a dû faire à Pasqua un compliment ironique sur sa phrase rapportée par la presse : En Conseil, le Président s'ennuie.
André Giraud rend compte de ses contacts avec les Italiens, qui souhaiteraient participer à la brigade franco-allemande.
Le Président rappelle qu'il a rencontré Felipe Gonzalez et que l'Espagne souhaite elle aussi y prendre part : C'est un mouvement très intéressant. Bien entendu, il faut être très précis et très rigoureux sur ce que l'on fera ; il est fort probable que d'autres pays manifesteront les mêmes intentions que l'Italie et l'Espagne.
Le Président approuve l'accord de désarmement entre États-Unis et URSS.
Henri Guillaume n'est pas remplacé au commissariat au Plan : le Président s'est opposé à son départ, puisqu'il n'y a toujours pas de proposition précise du Premier ministre pour son reclassement.
Hachemi Rasfandjani renouvelle ses attaques contre Jacques Chirac à propos des négociations sur les otages d'avant mars 1986. Il paraît vraisemblable que les Iraniens ont des preuves de ce qu'ils avancent.
Longue conversation téléphonique avec Horst Teltschik. Jacques Chirac ne s'est pas opposé, samedi, aux Conseils franco-allemands. On peut donc les annoncer demain.
Jeudi 24 septembre 1987
François Mitterrand et Helmut Kohl assistent aux manoeuvres militaires franco-allemandes « Moineau hardi ». Ils annoncent l'existence d'un projet de Conseil de Défense franco-allemand : Il faut qu'il y ait à la tête de tout cela un échelon responsable, dit François Mitterrand. Il propose la participation d'autres pays comme l'Italie ou l'Espagne.
André Giraud demande au général Saulnier ce qu'il souhaite faire après la fin de ses fonctions, alors qu'il était entendu entre le Président et le Premier ministre que le général serait prolongé au-delà de la limite d'âge, jusqu'à l'élection présidentielle.
Maurice Ulrich à Jean-Louis Bianco : Je crains qu'il n'y ait là un problème.
Bianco lui répète la position du Président : ou bien le général Saulnier est prolongé, ou bien le Président ne signera aucune nomination, et le poste de chef d'état-major général des Armées restera vacant jusqu'à la fin du septennat.
Ulrich ne fait aucun commentaire.
Édouard Balladur répond aux critiques des socialistes sur les « noyaux durs» : Il ne pouvait être question de laisser les entreprises privatisées émiettées et sans défense dans le monde des marchés internationaux.
François Mitterrand commente ironiquement : Il appelle cela une politique économique. Moi, j'appelle cela faire de la politique avec l'économie.
Vendredi 25 septembre 1987
Les Canadiens souhaitent annoncer la date du prochain Sommet de Toronto, qui se déroulera après les prochaines élections présidentielles. Ils me proposent le communiqué suivant :
Le Premier ministre, le très honorable Brian Mulroney, a annoncé aujourd'hui que le prochain sommet économique des Sept principaux pays industrialisés et des représentants de la Communauté européenne aura lieu à Toronto du 19 au 21 juin 1988.
Les chefs d'État et de gouvernement qui ont participé cette année au Sommet de Venise sont convenus de tenir leur prochaine rencontre à Toronto en 1988 et ont accepté les dates proposées par le Premier ministre pour cette rencontre.
Ce Sommet économique sera le deuxième Sommet à avoir lieu au Canada, le premier s'étant déroulé à Ottawa et à Montebello en 1981.
J'en parle au Président. Il approuve sans hésiter. J'en déduis la confirmation qu'il sera candidat.
Samedi 26 septembre 1987
Le vice-président George Bush est en Pologne.
Les ministres des Finances des sept pays occidentaux les plus industrialisés, réunis à Washington, réaffirment leur engagement de stabiliser le dollar autour de son niveau actuel, soit 6 francs et 1,70 deutsche mark.
Lundi 28 septembre 1987
François Mitterrand me parle de la campagne à venir : Si je suis candidat, ils ne vont pas m'épargner. Ils seront orduriers. Après un temps, il ajoute : Si je ne suis pas candidat, ils ne m'épargneront pas davantage.
Mardi 29 septembre 1987
François Mitterrand : Parfois, à un regard ou à un mot au Conseil, j'ai le sentiment que Balladur nourrit un mépris infini pour Chirac. A moins que cela ne soit un mépris de la politique. Puis il se reprend : Cet homme est un formidable dissimulateur. Plaise au Ciel qu'il n'ait jamais le pouvoir !
Mercredi 30 septembre 1987
En Nouvelle-Calédonie, deux gendarmes sont tués de plusieurs coups de feu dans la tribu de Tiaoué.
Entretien Mitterrand-Chirac avant le Conseil des ministres.
Jacques Chirac : Il y a trois nominations qui semblent suspendues : pour le commissariat au Plan, pour l'ambassade au Vatican et pour la Villette.
François Mitterrand : Au sujet de votre candidat pour le Vatican, je vous ai dit non. Quant à celui pour la Villette, c'est aussi non. Vous imaginez l'incongruité de votre proposition ! On n'ajamais vu l'auteur d'un rapport contre la gestion d'un organisme être nommé à la tête de cet organisme. C'est contraire aux traditions de l'inspection des Finances. Quant au Plan, je vous ai déjà dit les conditions préalables au remplacement de l'actuel titulaire.
Jacques Chirac : Mais nous avons déjà engagé les conversations avec le Vatican. Il approuve cette idée !
François Mitterrand : Il sera ravi de n'importe quel bon catholique qu'on lui enverra.
A propos du général Saulnier et de sa prorogation à l'état-major général, blocage total d'André Giraud, qui refuse absolument de proposer son maintien au-delà de la limite d'âge : Je le supporte depuis dix-huit mois, je ne le proposerai pas !
François Mitterrand à Jacques Chirac : Vous imaginez un chef d'état-major général des armées qui n'aurait pas l'aval du Président de la République ? Il n'y aura donc pas de chef d'état-major général des armées jusqu'à la fin du septennat.
Le Président interroge par écrit le Premier ministre à propos de la mise à disposition du Congo, par le gouvernement français, au mois d'août dernier, d'un avion Transall C 160. Il note que son cabinet n'a pas été tenu au courant. S'agissant de coopération militaire avec un pays étranger, il eût été normal qu'il fût pour le moins informé préalablement. Il insiste pour savoir dans quelles conditions exactes cette décision a été prise, et quelle utilisation a été faite de l'appareil français.
Nous connaissons les réponses à toutes ces questions, mais cette lettre vise à pouvoir être produite au cas où, quelque jour, on voudrait laisser croire que cette opération a été décidée avec l'accord du Président. Tel est d'ailleurs l'objectif de cette incessante correspondance faite pour les archives, pour l'Histoire, voire, si nécessaire pour la prochaine campagne, de façon à empêcher l'autre de nier l'existence et le contenu d'une conversation.
Jeudi 1er octobre 1987
Le Président regrette de ne pas avoir mentionné dans sa lettre d'hier ce que nous avons appris depuis son envoi, à savoir que l'accord de coopération technique entre la France et le Congo, signé en 1974 par Jean-François Deniau, interdit l'utilisation de matériel ou de personnel français dans des opérations internes. (Article III de l'annexe : Les personnels militaires français (...) ne peuvent prendre part à la préparation ou à l'exécution d'opérations de guerre et de maintien ou de rétablissement de l'ordre ou de la légalité.)
Ce qu'a fait Chirac était non seulement discutable politiquement, mais encore contraire aux engagements internationaux de la France.
Vendredi 2 octobre 1987
Retournement d'un haut fonctionnaire : Jean-Louis Bianco voit ce matin, à sa demande, un policier important, un des responsables de la lutte antiterroriste, nommé par Charles Pasqua. Il est extrêmement choqué de constater que nombre d'informations importantes nous ont été cachées. Il est très laudateur sur l'action des ministres de l'Intérieur socialistes, Franceschi, Defferre et Joxe : C'est grdce à leurs initiatives que nombre de résultats actuels ont été obtenus, dit-il. La grande force du Président, dans l'affaire des otages, est d'avoir défini dès le début sa ligne de force [Naccache contre tous les otages] et de ne jamais en avoir changé. La DGSE est nulle, et l'idéal serait de la fusionner avec la DST, mais ce serait très difficile. Il conviendrait au moins de la civiliser [d'y nommer des civils]. Il faudrait rattacherDGSE et DSTau Premier ministre, et il est indispensable que l'instance politique puisse exercer une autorité très ferme sur les services de renseignement. A propos de l'action antiterroriste, il faut développer la coopération bilatérale ou trilatérale entre pays, plutôt que de grands forums. Il serait bon [comme le Président l'a évoqué lors de son entretien avec Margaret Thatcher] qu'en cas de détournement d'avion et de prise d'otages, lorsque l'avion se pose sur un aérodrome dans un pays ami, il ne puisse pas repartir, quels que soient les risques à prendre.
A propos des attentats de septembre, il sait que la piste Abdallah est formidablement fragile depuis le départ, car fondée seulement sur la reconnaissance des photographies par des témoins en état de choc. Mais le gouvernement s'est engouffré dans cette brèche pour rassurer l'opinion. Je suis convaincu que les Iraniens sont les responsables de ces attentats. Les enquêteurs policiers sont convaincus que Gordji est bien le responsable terroriste qui a donné des ordres pour les attentats de septembre, mais il n'y a pas de vrais éléments de preuve à mettre dans le dossier du juge [car les principaux éléments sont des écoutes téléphoniques].
Je crains que les choses ne se détériorent en Corse. Je crains aussi que l'ETA militaire, très touchée, réagisse brutalement. Enfin, à tout moment, il y a une menace libyenne très forte du fait d'Abou Nidal, et, bien sûr, la menace iranienne est constante.
Joëlle Kauffmann et Michel Cantal-Dupart, inlassables soutiens des otages, viennent suggérer de rencontrer M. Wichnewski, qui a négocié la libération des otages allemands.
Samedi 3 octobre 1987
Le Président donne un coup d'arrêt à toute négociation franco-allemande sur l'usage du nucléaire. Le ministre de la Défense, par lettre du 10 août 1987, l'a informé des conversations en cours entre le général Saulnier et son homologue allemand, l'amiral Wellershoff. Une lettre à Jacques Chirac est nécessaire, puisque l'avoir dit à André Giraud ne paraît pas avoir suffi.
Il rappelle que les échanges de vues préliminaires sur l'emploi éventuel des armes préstratégiques devront se limiter à la forme de consultations, sans aborder les questions de fond (critères politiques et militaires, zones de frappe, etc.). Il approuve le principe d'une grande unité franco-allemande composée d'éléments d'active, à qui serait confiée une mission de sécurité en retrait de ce qu'il est convenu d'appeler la bataille de l'avant. Il n'exclut pas la possibilité d'engager, selon les circonstances, l'unité franco-allemande au-delà de cette ligne. En tout cas, ordonne-t-il, les conversations avec les autorités allemandes ne devront en aucun cas traiter des conditions d'emploi de nos armes nucléaires, qui sont, répète-t-il, du seul ressort de la décision française.
Recevant des instructions écrites, Jean Saulnier ne se fait pas prier pour y obtempérer. André Giraud non plus.
Autre lettre du Président au Premier ministre, concernant les otages. Il lui répète son désir de voir confier à une personnalité qualifiée le soin d'avoir à connaître, au nom des autorités françaises, de l'ensemble des aspects du problème des otages au Liban, et d'assurer le meilleur suivi possible des démarches entreprises. Il évoque à ce propos le nom de Fernand Wibaux.
Lundi 5 octobre 1987
La Compagnie de Suez est privatisée. Action proposée à 317 francs.
Réunion du groupe de coopération militaire franco-allemand. Le problème posé est celui de la posture de la future brigade franco-allemande vis-à-vis de sa couverture nucléaire. On doit définir le mandat qui sera le sien. Dans le projet, l'expression améliorer les capacités de défense conventionnelle de l'OTAN en Centre-Europe implique que la force nucléaire soit engagée. En effet, nous avons bien obtenu que cette brigade soit placée dans la même position que le 2e corps français. Mais l'engagement de cette troupe à demi allemande ne pourra pas être refusé si le gouvernement allemand le demande pour la défense de son territoire. L'enverra-t-on alors sans couverture nucléaire ? C'est évidemment l'objectif des Allemands.
Comme la brigade est un prototype, il s'agit de savoir si nous nous engageons dans un processus de renforcement de la capacité de défense conventionnelle de l'OTAN. C'est une décision majeure, à laquelle le Président est très opposé.
Comme le suggérait Joëlle Kauffmann, Jean-Louis Bianco et moi recevons M. Wichnewski, le « M. Otages » allemand. Celui-ci dit des choses intéressantes sur la situation en Iran et sur la manière dont ils ont eux-mêmes procédé, mais rien de bien précis sur les otages français. En revanche, il raconte une anecdote amusante sur les relations entre le Chancelier Schmidt et François Mitterrand :
Avant 1981, elles étaient très mauvaises en raison de l'amitié entre Schmidt et le Président Giscard d'Estaing. Quand le Président Mitterrand a été élu, j'ai tout fait pour qu'ils se rapprochent. J'ai téléphoné au Chancelier Schmidt, qui était à Washington, pour lui suggérer de passer par Paris à son retour des États-Unis. Il était plus que réticent. Or, ce genre de communication est écouté par tous les services secrets de la planète. J'ai ajouté : « Comme convenu, j'ai prévenu nos voisins que tu iras les voir à ton retour de Washington. » Schmidt a protesté : « Espèce de salaud, tu n'as pas le droit de dire cela ! » Mais il a été obligé de venir à Paris, puisque tout le monde avait entendu... L'entretien avec le Président Mitterrand se passa très bien et, à son retour à Bonn, Schmidt confia à des journalistes qu'il était content de cette visite, précisant : «Heureusement que j'ai lutté contre la bureaucratie qui voulait m'en empêcher... »
Combien d'histoires de ce genre n'ai-je pas connues... ?
Mardi 6 octobre 1987
François Mitterrand part pour un voyage d'État en Argentine. Contrairement aux usages et au protocole, le Premier ministre n'est pas venu à Roissy le saluer à son départ. Il n'en a pas prévenu le Président. Le secrétaire général du gouvernement a simplement dit à Henri de Coignac, chef du protocole : Le Premier ministre ne viendra pas, M. Giraud le remplacera, sans indiquer le motif de cette absence.
Parmi les propos qu'André Giraud tient aux uns et aux autres en attendant le Président, deux réflexions significatives :
- Il y a un truc qu'on n'aura pas fait, et c'est vraiment dommage, c'est l'amortissement à la discrétion des entreprises.
- Il faut désespérer Billancourt...
Dans l'avion, François Mitterrand invite à déjeuner les ministres qui l'accompagnent, dont Gérard Longuet et Alain Juppé.
La conversation, au début un peu guindée, se détend. Le Président déploie toutes les facettes de son charme. Il les interroge sur leurs goûts, leurs envies, leurs regrets. Alain Juppé finit par reconnaître que la vie politique dévore la vie tout court et qu'il souffre de n'avoir plus le temps pour rien.
François Mitterrand compatit : Ah, sous la IVe, on savait encore prendre le temps de vivre ! Si on ratait un gouvernement, eh bien, on prenait le suivant ! Les opportunités ne manquaient pas. Mais, sous la Ve, chacun songe à la présidentielle et a peur, s'il rate un tour, d'être dépassé la fois d'après. Sept ans, c'est très long !
Mercredi 7 octobre 1987
A Buenos Aires, à propos du soutien apporté par la France au général pakistanais Yacoub Khan, candidat à la direction générale de l'UNESCO, le Président dit à Jean-Bernard Raimond : Cela ne m'enthousiasme pas, mais c'est vrai que le choix est difficile. On verra ce que l'on fait au deuxième ou au troisième tour.
Le porte-parole du Quai d'Orsay fait savoir que la France soutient Yacoub Khan avec l'accord total du Président.
Réception à l'ambassade de France. François Mitterrand lance aux ministres qui l'accompagnent : Ce que mes amis ne parviennent pas à me décider de faire, vous, vous l'obtiendrez de moi sans difficulté. Vos divisions assurent ma réélection. Chacun de vos candidats préférera me voir élu plutôt que son rival !
Jeudi 8 octobre 1987
Robert Hersant menace d'interrompre les émissions de la Cinq si le réseau de diffusion ne s'étend pas rapidement.
L'Assemblée vote la mise en accusation de Christian Nucci devant la Haute Cour.
Trois heures avant de quitter Buenos Aires, Jean-Bernard Raimond prévient le Président qu'il va devoir quitter le voyage officiel en raison de son entretien avec le ministre sud-africain Piet Botha, de passage à Paris sans que l'Élysée en ait été informé. Le Président : Heureusement que tout cela se termine bientôt ! Ces méthodes sont lâches et fourbes.
A Paris, Laurent Fabius commente : Le Président de la République est en Argentine pour saluer une jeune démocratie ; un membre du gouvernement revient pour saluer une vieille dictature. Tout le monde fera la différence.
Jolie formule ; Laurent a ce talent-là, parmi d'autres.
Vendredi 9 octobre 1987
A l'UNESCO, après le retrait du candidat pakistanais, Jacques Chirac est très tenté par un vote en faveur de M'Bow, le directeur général sortant, si décrié. La préférence du Président va au ministre uruguayen des Affaires étrangères, Enrique Iglesias, mais il ne veut pas faire de drame à ce sujet. Le Premier ministre téléphone à Jean-Louis Bianco : Voter pour M'Bow est une nécessité, tous les Africains le demandent avec insistance, et refuser provoquerait une crise avec eux. Le Président donne son accord à condition que l'on vote pour M'Bow un seul tour.
Jacques Chirac reçoit Piet Botha, ministre sud-africain des Affaires étrangères.
Incidents à l'Assemblée durant l'examen du projet de loi contre le trafic des stupéfiants : les députés du Front national mettent en cause l'absentéisme de ceux de la majorité et obligent le ministre à recourir à de fréquents scrutins publics. Lors d'un vote, ils bousculent Françoise de Panafieu, député RPR. Des insultes sont échangées.
Lundi 12 octobre 1987
Le Monde révèle qu'Albin Chalandon aurait disposé d'un compte courant alimenté par des dépôts de capitaux et générateur d'intérêts chez Chaumet, ce qui serait illégal.
Pierre Juquin annonce sa candidature aux présidentielles de 1988.
Le Président dit à Renaud Denoix de Saint Marc qu'il n'est pas enthousiaste pour la nomination de Philippe Massoni comme préfet « hors sol ». Charles Pasqua argumente beaucoup, fait valoir des précédents d'ailleurs discutables. Le Président finit par accepter.
Le gouvernement souhaite nommer Emmanuel Le Roy Ladurie à la tête de la Bibliothèque nationale. Le Président pense qu'un grand administrateur serait mieux adapté qu'un grand historien, puis accepte : Ce n'est pas un domaine où je peux leur discuter le droit de nomination. Mais il faut dire que ce choix est bien malheureux.
Pour les Houillères, comme le gouvernement maintient à leurs postes les précédents titulaires, le Président a ce mot : Ce sont des miraculés.
Mardi 13 octobre 1987
Le cabinet de Jean-Bernard Raimond m'informe du projet du ministre d'abroger l'article 15 d'un décret du 27 mars 1985 stipulant qu'un diplomate doit avoir servi deux ans à un poste difficile ou rigoureux pour pouvoir être nommé conseiller de première classe. Préparé par Claude Cheysson, signé par Roland Dumas, ce texte répondait à une vieille revendication de la CFDT du Quai visant à répartir plus équitablement entre les différents corps les moments ingrats de la carrière auxquels se soustraient généralement les diplomates issus de l'ENA. Il devait entrer en vigueur en 1990. Son abrogation sera une satisfaction donnée au lobby de l'ENA, qui entend protéger les privilèges de ses membres.
Mercredi 14 octobre 1987
André Giraud n'a plus très envie d'accompagner le Président, la semaine prochaine, dans son voyage d'État en RFA, comme il était prévu. Jacques Chirac veut insister. Le Président l'arrête : Cela m'est absolument égal. Je serai aussi bien sans lui.
Pierre Juquin est exclu du PCF par le Comité central.
Chute record de la Bourse de New York (4 %), entraînant des baisses sur les autres places financières. Phénomène d'autant plus inquiétant qu'il n'existe pas de volonté politique de réduire le déficit budgétaire aux États-Unis, alors que la forte demande intérieure continue de peser sur le déficit extérieur : 15,7 milliards de dollars en août !
Jeudi 15 octobre 1987
Dans une interview au Figaro, André Giraud développe la doctrine de la riposte graduée : Les pays européens devraient reconstituer les échelons intermédiaires de la dissuasion nucléaire. Il se déclare contre tout désarmement. Étonnant ! Comment un haut fonctionnaire peut-il, devenu ministre, perdre ainsi tout sens de la discipline ?
François Mitterrand est excédé : C'est absurde, il expose la doctrine américaine !
Vendredi 16 octobre 1987
Déjeuner avec Michel Rocard : Je serai candidat, quoi qu'il arrive. Je ne serai évidemment pas en position d'être élu, mais j'apporterai mes voix au second tour à François Mitterrand.
Le Président, à qui je rapporte ces propos, hausse les épaules : Rocard est en campagne depuis deux ans. Cette fois-ci, il ne pourra pas dire que je l'ai gêné. Mais, si je ne me présente pas, il sera battu. C'est un fait. Et c'est dommage.
Panique à Wall Street : le Dow Jones perd 108,36 points dans la journée. Les plus optimistes se rassurent en relevant que la baisse n'est que de 4,6 % en volume, alors qu'elle avait été de 12,9 % lors du célèbre « jeudi noir » de 1929. A la clôture, la chute paraît enrayée.
C'est la plus violente crise boursière depuis la Grande Dépression. Pas du tout inattendue. On va voir si l'accord du Louvre fonctionne. Il a été conçu exactement pour ce genre de situation.
Samedi 17 octobre 1987
Avec quelques collaborateurs, le Président met au point sa conception de l'« ultime avertissement » en matière d'arme préstratégique, conception qu'il souhaite exposer à plusieurs reprises au cours de sa visite d'État en RFA, à partir de lundi. Il est entendu qu'on ne parlera pas en public du Conseil monétaire ni du Conseil de Défense. Maintenant que Jacques Chirac a donné son accord, on en réserve l'annonce pour les consultations franco-allemandes de novembre.
François Mitterrand nous confie : En matière de défense, M. Chirac ne pense rien, ou plutôt ses convictions varient suivant le moment. M. Giraud, lui, c'est plutôt la tendance MRP des années 50. Il parle de la notion de protection nucléaire des soldats français, donc du sol allemand, et il en arrive à une double clé franco-allemande sur nos armes, ce qui n'a aucun sens. Il ne peut pas y avoir d'arme commune sans stratégie commune. Or les stratégies française et allemande sont différentes, parce que notre statut nucléaire est différent. C'est la même erreur que pour la CED. Elle devait suivre un acte politique au lieu de le précéder.
A propos de l'ultime avertissement tactique : C'est l'agresseur qu'il faut avertir, et cela passe par le téléphone, pas par une arme lancée sur l'Allemagne.
A New York, James Baker, secrétaire d'État au Trésor, accuse la RFA de ne pas respecter les accords du Louvre en laissant monter excessivement ses taux d'intérêt. Il menace de relever les taux américains et de laisser dériver le dollar. C'est la panique.
Lundi 19 octobre 1987
« Lundi noir » à Wall Street. Le Dow Jones baisse de 22,6 %. La chute des grandes places mondiales est vertigineuse. C'est le krach le plus important de l' Histoire. Londres : -10,1 % ; Francfort : -13 % ; Zurich : -15 % ; Tokyo : -14,9%; Paris:-9,7%.
C'en est bien fini des accords du Louvre ; faute de moyens financiers suffisants, le dollar est en chute libre. Les Bourses asiatiques sont toutes à la baisse. Et maintenant, on va ouvrir les vannes ! Cette crise va provoquer une relance de l'économie réelle contre l'économie financière.
Federico Mayor est élu directeur du Conseil exécutif de l'UNESCO. La France a voté pour lui.
Avant de quitter Paris pour sa visite d'État en RFA, François Mitterrand voit Jacques Chirac à l'aéroport et lui dit ce qu'il pense de déclarations d'André Giraud au Figaro reprenant son idée d'ultime avertissement nucléaire.
François Mitterrand : C'est une hérésie.
Jacques Chirac : Je le lui ai dit.
Les deux hommes s'apprécient davantage. Jacques Chirac a appris à parler au Président. Et François Mitterrand à l'écouter.
La marine américaine attaque deux plates-formes pétrolières iraniennes dans le golfe Persique.
Dans l'avion, le Président : L'ultime avertissement est un concept idiot. L'arme nucléaire n'est pas un avertissement.
Arrivée à Bonn. Rencontre avec Helmut Kohl :
François Mitterrand : Nous sommes placés devant une menace stratégique, nous devons donc menacer avec des armes stratégiques, c'est-à-dire menacer le territoire soviétique. En France, certains veulent toujours croire que la guerre nucléaire ressemblerait à une guerre classique. On ne peut empêcher les gens d'être bêtes. L'arme nucléaire n'est pas faite pour gagner la guerre, mais pour l'empêcher. Les Soviétiques ne feront jamais la guerre en Europe, sauf si leur territoire est menacé. Ils n'ont pas intérêt à conquérir une Europe qui serait ruinée par un désastre. Il n'y a pas assez de place en Europe pour des bombes et pour des hommes. Quant aux Américains, ils n'ont pas envie d'une guerre générale qui menacerait New York et Chicago. Chaque fois qu'ils auront un prétexte pour ne pas s'engager pleinement à nos côtés, ils prendront ce prétexte. C'est pourquoi je désapprouve la riposte graduée, car il faut que la responsabilité des États-Unis soit entièrement engagée à nos côtés dès le début.
Helmut Kohl : Malheureusement, Mme Thatcher est d'un autre avis.
François Mitterrand : Elle est en effet favorable à la doctrine officielle de l'OTAN. Je considère que c'est une faute.
Je vous rappelle que Mme Thatcher m'a demandé, lors du dîner du premier soir, à Venise : « Si les Soviétiques arrivent à Bonn, que faites-vous ? » Question idiote ! Il faut se poser la question avant : comment empêcher les Soviétiques d'espérer tirer de la guerre un avantage quelconque ? La guerre doit présenter plus de dangers que d'avantages. Les Alliés doivent faire savoir qu'en cas de menace grave, toutes leurs armes sont dirigées sur l'URSS. Tout est stratégique. La valeur des armes intermédiaires ou tactiques est modeste. Toutes les armes soviétiques sont stratégiques pour nous. Elles ne sont intermédiaires que du point de vue soviéto-américain. Elles traversent toute la Pologne et la RDA.
Nous devons pouvoir menacer l'Union soviétique avec des armes stratégiques. C'est ce que fait la France. C'est ce que doivent faire les États-Unis et le Royaume-Uni. Mme Thatcher préfère la riposte graduée de l'OTAN. C'est une faute. Ce n'est pas une façon d'engager les Américains peu à peu à nos côtés, mais au contraire de les dégager peu à peu. Il faut leur donner une responsabilité entière dès le début. Alors seulement il n'y aura pas de guerre ! Pour moi, les armes tactiques n'ont que peu d'importance. Si elles interviennent, c'est déjà perdu. On sera déjà en guerre nucléaire. La France, pour l'instant, a trois cents armes à courte portée pointées sur la RFA. C'est absurde, on va allonger leur portée !
Helmut Kohl : Nous sommes les premiers concernés par les fusées ayant une portée inférieure à 500 kilomètres. Nous voulons un plafond identique pour les Américains et les Soviétiques, par la baisse du nombre de celles dont disposent les Soviétiques. Il y aurait un danger de guerre si l'URSS n'était plus menacée sur son territoire.
François Mitterrand : La riposte graduée est pour moi une chose imaginaire. Si j'avais la liberté et le temps d'écrire, j'écrirais un livre dont le titre serait : Le Canon de Coblence (une arme inutile et bloquée pour décrire la défense de l'OTAN). Les Soviétiques n'ont pas d'intérêt à pousser l'Europe au désastre, car il n'y a pas de place en Europe occidentale pour l'usage de la bombe nucléaire.
Dans la soirée, François Mitterrand réfléchit tout haut devant moi sur la stratégie de défense de la France : La France ne va pas déclarer la guerre nucléaire parce qu'un bataillon allemand serait enfoncé. Jamais je ne donnerai l'ordre de tirer une bombe sur le territoire allemand. La dissuasion devra jouer avant, et c'est la dissuasion de l'Alliance tout entière qui est en jeu.
Mardi 20 octobre 1987
Helmut Kohl propose de consacrer le prochain Sommet franco-allemand, dans quelques jours, à la brigade commune et au TGV Paris-Cologne. Il insiste aussi beaucoup pour que l'on approuve les négociations que je mène avec Horst Teltschik depuis six mois sur le Conseil de Défense et le Conseil économique. C'est d'accord : on les annoncera aussi au prochain Sommet franco-allemand.
Le Président se montre très sévère à l'égard du Parti socialiste, qui ne fait rien pour critiquer le gouvernement : Des imbéciles doublés de paresseux. Il est furieux des critiques feutrées des socialistes qu'on lui rapporte : Ils me reprochent de ne pas tout chambouler ? Mais moi, je suis un partisan d'Épictète : ce sur quoi je peux agir, j'agis. Ce sur quoi je ne peux pas agir, je n'agis pas. Permettez-moi de trouver cela plus efficace que de lutter contre des moulins à vent.
Le rapport des « sages » sur la Sécurité sociale est remis à Jacques Chirac.
Les transferts de capitaux enregistrés à New York ces derniers jours ont atteint 1 000 milliards de dollars ! Rien à voir avec les quelques centaines de millions qui nous déstabilisaient en 1983. La globalisation des marchés a fait changer de nature la spéculation.
Mercredi 21 octobre 1987
L'affaire Gordji est au point mort. L'Iranien se trouve toujours à son ambassade. Rien ne permet de penser qu'il en sortira rapidement.
Le Président est à Aix-la-Chapelle ; dans un discours, il révèle publiquement ce qu'il dit en privé au Chancelier depuis trois mois : Il ne faut pas partir du postulat selon lequel la France aurait pour objectif d'adresser un avertissement à l'adversaire sur le territoire allemand. La stratégie de la France (...), c'est tout simplement d'atteindre directement le sol de l'agresseur, et il est devenu hors de question que la RFA puisse être le pays agresseur.
Vous, Allemands, ne devez pas vous tourner vers la France pour lui dire : « C'est à vous d'assurer notre couverture. » Vous devez dire : « C'est à l'Alliance de jouer. » Elle seule a la dimension de le faire dans le premier quart d'heure. Elle doit agir en amont de la guerre pour l'interdire, et non pas en aval pour la gagner, car il ne resterait rien à gagner. Si l'adversaire éventuel est persuadé de cette vérité, il n'y aura pas de guerre. Cessons de vouloir gagner la guerre, dépêchons-nous de l'interdire !
Dans la soirée, au dîner offert par M. Albrecht dans le magnifique château de Herrenhausen, François Mitterrand improvise une longue fresque des relations franco-allemandes au XXe siècle. J'attends une remarque sur le nazisme. Elle ne vient pas.
Le Président : Je suis né pendant la Première Guerre mondiale et j'avais l'âge d'être soldat lors de la Deuxième Guerre mondiale. J'ai été prisonnier de guerre en Allemagne, c'est comme cela que j'ai connu votre pays. Je vous ai quittés sans vous demander votre permission. Cependant, vous m'aviez donné le temps de réfléchir...
Je me souviens, alors que je venais d'être arrêté après une évasion manquée, j'étais entouré de quelques soldats qui m'amenaient à nouveau en prison. Une vieille dame allemande a écarté les soldats, m'a donné du pain et une saucisse. C'était au mois d'avril 1941, elle m'a dit : « Monsieur, j'espère que cela vous fera aimer l'Allemagne. »
Je dois dire que beaucoup de faits m'ont permis d'aimer l'Allemagne tout en accomplissant mon devoir à l'égard de mon propre pays. Au fond, c'est une histoire banale. Elle a été partagée par des millions d'hommes en Europe, les hommes de ma génération. Les plus jeunes ont vécu d'autres expériences, c'est leur vie, ce n'est pas la même. Peut-être n'ont-ils pas pu éprouver à ce point la nécessité d'en finir avec un état de crise permanent, l'animosité entretenue, le nationalisme affronté. Bref, il fallait changer le cours des choses.
Précisément, dans cette Allemagne où j'ai vécu les quelques événements que je vous racontais, j'étais étonné de rencontrer des Allemands qui ne correspondaient pas au schéma que je m'étais fait d'eux dans ma jeunesse. Je me disais : mais les Allemands ne nous détestent pas ! ll doit bien y avoir quelques Allemands qui ont vécu la même expérience et qui ont découvert que les Français ne les détestaient pas. Il fallait donc changer le cours des choses. Passer par-dessus les deuils, les blessures de toutes sortes, les ruptures...
« Les Allemands ne nous détestent pas !... » Ce discours sonne à mes oreilles comme une justification de la Collaboration. Pas un mot sur la spécificité du nazisme, sur le caractère spécifique de la lutte pour la démocratie. Pas un mot pour différencier la Première Guerre mondiale de la Seconde, comme chez Céline. Maladresse ? Volonté de ne pas indisposer nos hôtes ? Je crains en tout cas que la presse, présente, ne le relève et que cela ne fasse demain scandale à Paris.
(Il n'en sera rien...)
Jeudi 22 octobre 1987
Édouard Balladur écrit à James Baker, secrétaire au Trésor américain, à propos de la crise boursière. Il propose que les suppléants des ministres, en liaison avec les Banques centrales, soumettent rapidement aux ministres une analyse conjointe des événements survenus récemment sur les marchés. Il suggère de progresser dans la mise en œuvre opérationnelle de la surveillance et son perfectionnement en retenant, en particulier, un index d'inflation mondiale clair et crédible, la diversification des avoirs de réserve de chacun des partenaires, le renforcement de la coopération entre Banques centrales, l'amélioration du « système du Louvre », c'est-à-dire l'augmentation des moyens d'intervention mis en commun pour faire face à la crise.
Lettre très sage. Demande raisonnable.
Édouard Balladur annonce le report de la privatisation de Matra en raison des problèmes boursiers.
A Hanovre, François Mitterrand : On ne peut pas découper les avertissements nucléaires en petits morceaux. Toute interprétation qui tendrait à dire que l'on fait un presque ultime avertissement le lundi, un deuxième un peu plus ultime le mardi, un troisième qui le serait encore plus le mercredi, pour lancer l'ultime le samedi..., eh bien, entre le lundi et le samedi, il se serait passé beaucoup de choses qui ne permettraient sans doute pas d'arriver à l'ultime !
Samedi 24 octobre 1987
A Papeete, affrontements entre dockers et forces de l'ordre, puis émeute dans le centre-ville. L'état d'urgence et le couvre-feu sont décrétés.
Tarek Aziz, ministre irakien des Affaires étrangères, est venu à Paris sans que l'Élysée en sache rien. Nous sommes toujours privés de télégrammes essentiels.
Lundi 26 octobre 1987
François Mitterrand : Chacun de mes anniversaires est une victoire contre le temps. J'ai le sentiment d'avoir gagné une petite bataille contre un ennemi imaginaire qui, de toute façon, gagnera la guerre.
La danse au bord de la falaise se poursuit : nouveau « lundi noir » sur les places boursières. Les opérateurs s'inquiètent du retard apporté à la réduction du déficit budgétaire américain et anticipent sur une révision à la baisse des « bandes de fluctuation » par le G7.
Le Président, à Renaud Denoix de Saint Marc : J'ai été un peu froissé de voir que M. Madelin a annoncé sur Europe 1, ce matin, c'est-à-dire deux jours avant le Conseil, les mesures proposées par le gouvernement à propos de la Régie Renault. Je ne suis pas un maniaque de la forme, mais je considère que j'ai encore la maîtrise de l'ordre du jour du Conseil des ministres.
Renaud Denoix de Saint Marc : Oui, oui, monsieur le Président. Vous avez absolument raison.
Le Président : Vous avez le sens de l'État, j'aimerais que vous le disiez aux ministres.
A propos d'Henri Guillaume, qui quitte le commissariat au Plan, François Mitterrand : Dès lors qu'une sortie honorable lui est trouvée, je n'ai aucune raison d'être désagréable envers M. de Charette. D'autant que l'on me dit que M. Fragonard [son successeur] est quelqu'un de bien.
Le Président s'étonne que l'on n'ait pas prévu de parler en Conseil des ministres des problèmes de la Polynésie.
Mardi 27 octobre 1987
Michel Droit, membre de la CNCL, est inculpé de forfaiture dans le cadre de l'enquête sur les conditions d'autorisation des radios privées parisiennes. On le soupçonne d'avoir favorisé l'une d'entre elles.
Mercredi 28 octobre 1987
Avant le Conseil, François Mitterrand s'entretient avec Jacques Chirac à propos du projet de Conseil de Défense franco-allemand. Le Président insiste pour obtenir que l'annonce en soit faite dans trois semaines : Il nous faut déterminer la méthode pour suivre l'embryon de négociations engagées sur l'initiative du Chancelier Kohl. Sur le fond, monsieur le Premier ministre, je crois que nous sommes bien d'accord. Les initiatives allemandes sont bonnes. Elles méritent d'être soigneusement étudiées pour ne pas nous entraîner là où nous ne voulons pas aller. L'objectif est clair: c'est une défense commune européenne commençant par un bon accord franco-allemand. C'est évidemment un objectif difficile à atteindre. Je pense que c'est maintenant aux ministres des Affaires étrangères de reprendre la négociation sur la voie qui a été tracée.
Jacques Chirac : Je suis tout à fait d'accord. La campagne électorale est un moment privilégié pour les polémiques. Nous avons la chance d'avoir tenu jusqu'ici les questions de défense à l'écart des polémiques ; il faut continuer.
Lisant une note de François Bujon, le Premier ministre propose de lier ce Conseil de défense à un Conseil économique, comme si c'était là une idée nouvelle. Il s'emballe : Il nefallait rien lâcher sur la défense sans obtenir quelque chose sur le monétaire ! C'est exactement ce à quoi je m'emploie depuis des mois. Le Président m'empêche d'intervenir alors que je m'apprête à répondre. Il dit à Jacques Chirac : Je vous écrirai là-dessus.
Les choses sont trop sérieuses pour être seulement dites. Il veut une trace pour l'Histoire. Ou pour la campagne électorale...
Le Président aborde ensuite un autre sujet : la nomination du chef d'état-major des armées. Quand s'est posée la question du choix du secrétaire général de la Défense nationale, et dans la mesure où le général Forray faisait un candidat tout à fait valable au poste de chef d'état-major général, il avait été convenu entre le Président et le Premier ministre que le général Saulnier serait maintenu à son poste jusqu'à l'élection présidentielle. Le général Forray a pu ainsi prendre le poste de secrétaire général de la Défense nationale tout en conservant ses chances de succéder ultérieurement au général Saulnier. Là-dessus existait un engagement tout à fait formel et réitéré du Premier ministre. Mais, brusquement, le Président s'incline : Je reviens sur le souhait que j'avais formé: ne pas nommer un nouveau chef d'état-major des armées peu de temps avant l'élection présidentielle. Cela me paraissait préférable du point de vue du prochain Président de la République. Le ministre de la Défense s'y refuse. Je n'y peux rien. Il y a trois candidats qui me paraissent tous avoir les qualités requises: l'amiral Louzeau, le général Schmitt et le général Forray. On ne peut pas faire partir le général Forray du poste de secrétaire général de la Défense nationale où il vient d'être nommé. Je pense donc que le meilleur choix est le général Schmitt.
Jacques Chirac : Je suis d'accord.
Le Premier ministre jubile. Il a fait plier le Président sur une nomination essentielle. L'entêtement d'André Giraud a payé.
Au cours du Conseil, remontrance du Président à propos de la déclaration d'Alain Madelin sur Renault.
Édouard Balladur présente le changement de statut de la Régie. François Mitterrand : Vous estimez qu'il faut le faire. C'est l'affaire du gouvernement. Après la guerre, on pouvait s'interroger sur la nationalisation, elle a été faite. Je ne ferai pas d'autre observation.
Bernard Pons parle de la Polynésie et des événements qui viennent de s'y dérouler.
François Mitterrand : Sur une matière aussi sensible que celle-ci, il faut aller un peu plus loin que l'explication immédiate. Comment peut-on restaurer le dialogue social ? C'est l'affaire du gouvernement et des forces en présence. Il faut respecter la dignité de toutes les populations en cause et veiller à ce que cela ne déborde pas en revendication par rapport à la France elle-même. Le président du gouvernement du territoire devait venir me voir. Il a retardé cette visite et m'a écrit avant les événements pour me faire part de son inquiétude. Je vous demanderai d'être vigilant.
Dans l'après-midi, le Président me dit qu'en répondant à Jacques Chirac sur le projet de coopération franco-allemande, il compte lui rappeler qu'au cours de mes conversations avec Horst Teltschik, j'ai toujours lié la discussion sur la création d'un Conseil de Défense à celle touchant l'avenir du Système monétaire européen et le renforcement de la coopération économique. Il lui citera en guise de preuve ses propres déclarations publiques en RFA de la semaine dernière, en particulier ce passage-ci :
Le Conseil de Défense est une très bonne initiative et doit répondre à un certain nombre de conditions dont il faut débattre. Il faut que cela fasse partie d'un tout. Une armée n'est pas seule au monde. Deux années ne manœuvrent pas isolément, une armée est composée de soldats, ces soldats doivent avoir des ordres, ces ordres doivent correspondre à des desseins, la définition de ces desseins est forcément politique. Si on veut faire avancer l'Europe, il faut la faire avancer en même temps sur le terrain de la défense, sur le terrain de la monnaie, sur le terrain de la technologie, etc. C'est une discussion très importante. Je souhaite qu'elle aboutisse, vous l'avez tous compris, et nous n'en sommes pas au point où je puisse vous répondre comme si on en avait terminé avec les conversations. Nous n'en sommes qu'au début.
Les choses sont ainsi établies. Pas question pour Chirac de se prétendre l'inventeur du lien entre économie et défense. Ni de prétendre que la France a bradé l'arme nucléaire en échange de rien.
Jeudi 29 octobre 1987
Pas question pour moi de boucler la négociation avec Horst Teltschik sans y associer les ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Mais Teltschik m'apprend que François Bujon veut le voir à ce sujet. Matignon souhaite négocier seul. Je propose donc à Bujon de le rencontrer ensemble. Il refuse et préfère annuler son voyage à Bonn plutôt que d'y aller avec moi !
Scandale : les sept auteurs de l'embuscade de Hienghène qui, le 5 décembre 1984, a entraîné la mort de dix Mélanésiens indépendantistes, sont acquittés par la cour d'assises de Nouméa. Tjibaou (dont deux frères figurent parmi les victimes) et Yeiwéné protestent violemment.
Le juge d'instruction Alain Verleene confirme l'inculpation du commandant Prouteau pour subornation de témoins dans l'affaire des « Irlandais de Vincennes ».
Stabilisation des cours boursiers internationaux. La panique semble enrayée. Pas trop tôt !
Vendredi 30 octobre 1987
Près de 200 tonnes d'armes et de munitions qui proviendraient de Libye et seraient destinées à l'IRA sont saisies sur un navire au large de l'île de Batz.
Lundi 2 novembre 1987
6 milliards de dollars sont sortis la semaine dernière pour défendre le franc.
François Mitterrand me confie : Je déciderai de ma candidature avant la fin de l'année.
Mercredi 4 novembre 1987
Publication par Le Figaro du rapport Barba sur l'affaire Luchaire. Il y est écrit que Charles Hernu et Jean-François Dubos ont couvert des exportations illicites d'armes vers l'Iran par Luchaire. Le patron de la Gendarmerie n'exclut pas que le Parti socialiste ait reçu des commissions. Luchaire aurait vendu 400 000 obus à l'Iran.
François Mitterrand est furieux que le général Warin ait pu faire une déclaration pareille à Barba. André Giraud annonce que le rapport va être déclassifié, c'est-à-dire rendu public.
Juste avant le Conseil, François Mitterrand met en garde Jacques Chirac à propos de l'affaire Luchaire : Vous avez eu tort de la déclencher.
Le Conseil des ministres adopte le statut proposé par Bernard Pons pour la Nouvelle-Calédonie. François Mitterrand exprime de sérieuses réserves : Indépendamment du contenu du texte, beaucoup tient au climat. Je ne suis pas sûr que le climat soit à l'apaisement. Je crains que ces mesures, dont certaines sont discutables, ne deviennent intolérables pour une large fraction de la population.
Dans son compte rendu, évoquant l'affaire Luchaire, Alain Juppé met en cause les plus hautes autorités de l'État, qui, selon lui, ne pouvaient pas ne pas être au courant de ce trafic. Honteux !
Le Président reçoit à déjeuner Pierre Joxe, Louis Mermaz, Gilles Ménage et Jean-Louis Bianco. Ils abordent l'affaire Luchaire. François Mitterrand : J'ai toujours été hostile aux livraisons d'armement à l'Irak et à l'Iran. Vous vous rappelez, quand Mauroy et Hernu ont renouvelé certains contrats avec l'Irak, je suis entré, ce qui m'arrive rarement, dans une grande colère. Je leur ai dit: « C'est une responsabilité écrasante que vous n'auriez pas dû assumer. » Cela dit, il y avait une justification d'ordre géostratégique à poursuivre au moins une certaine forme d'aide à l'Irak dès lors qu'elle avait été engagée avant nous. De la même manière, je me suis toujours opposé aux livraisons d'armes à l'Iran chaque fois que la question était soulevée.
François Mitterrand raconte ensuite ses entretiens avec l'amiral Lacoste, ses consultations avec Charles Hernu et Claude Cheysson sur l'opportunité de livrer officiellement des armes à l'Iran. Il rappelle qu'il a alors tranché par la négative, suivant en cela l'avis de Claude Cheysson.
Le Président : C'est moi qui ai demandé à Quilès de faire une enquête sur l'affaire Luchaire et de porter plainte au nom de l'État. J'ai refusé au gouvernement Chirac toute démarche permettant de s'entendre avec l'Iran au prix que l'Iran demandait, c'est-à-dire la livraison d'armes. Les Iraniens connaissent bien ma position, ce qui rend ridicule la tentative de m'impliquer dans l'affaire Luchaire. De qui ont-ils souhaité le succès en mars 1986 ? Qui ont-ils choisi comme partenaires politiques privilégiés ? Si c'était nécessaire, je peux vous rassurer, tout est limpide du côté de l'Élysée. Le problème, pour Giraud, c'est qu'il voudrait compromettre les socialistes sans compromettre les militaires.
Pour ce qui concerne ma propre défense, j'en fais mon affaire. Je n'ai pas d'inquiétudes !
Toute affaire est comme la vie : elle naît, elle se développe, elle meurt. Dans le cas présent, on est encore dans la période de croissance, on ne voit pas le vieillard près de la tombe, on voit le jeune homme musclé. Si je vous ai donné tous ces détails, c'est pour que vous ayez une certitude morale. Dans les débats que nous aurons à affronter, la conviction intérieure compte par-dessus tout.
Cinq Irlandais sont inculpés par le juge Bruguière après la saisie de la cargaison d'armes et de munitions au large de l'île de Batz.
Jeudi 5 novembre 1987
Au cours du déjeuner, le Président me dit : La France ne peut être lancée dans une guerre nucléaire sans l'avoir voulue. C'est quelque chose que l'on ne peut pas partager; on ne peut pas laisser le sort du pays dépendre d'une mouche qui piquerait M. Reagan ou Mme Thatcher!
Vendredi 6 novembre 1987
Très grande nervosité en Nouvelle-Calédonie : un jeune Canaque est tué par des gendarmes près de Nouméa au cours d'une opération de police judiciaire.
François Mitterrand s'inquiète : Hernu a-t-il été impliqué dans l'affaire Luchaire ? Je ne crois pas. C'est une affaire montée de toutes pièces à Matignon.
Le rapport Barba affirme que le cabinet de Charles Hernu a été averti du trafic dès le 25 janvier 1984 par la Sécurité militaire. Des collaborateurs d'Hernu à Villeurbanne auraient touché des commissions.
Le Président : S'il y a des gens malhonnêtes, ils devront payer. Mais il ne faut pas que la sévérité soit sélective. Autour de la politique, il y a toujours des gens douteux : c'est un milieu que j'évite d'approcher depuis quarante ans.
Samedi 7 novembre 1987
Nouvelle lettre du Président au Premier ministre. Il demande qu'on lui communique la liste des autorisations d'exportation d'armement et de matériel de guerre qui auraient été éventuellement accordées à la société Luchaire depuis mars 1986.
En Tunisie, destitution d'Habib Bourguiba par Zine El Abidine Ben Ali, son Premier ministre.
Réunion des sherpas à Vancouver, ou plutôt dans une île au large de Vancouver, la pointe extrême-occidentale de l'Occident. Superbe auberge en bois. Première discussion sérieuse des responsables du G7 sur la crise financière qui vient de secouer le monde. Aucune réunion publique n'a pu jusqu'ici être organisée par crainte d'affoler davantage encore les marchés.
Consensus sur les conséquences : la baisse du dollar devrait se poursuivre sans qu'on puisse lui fixer de limite ; la croissance devrait se réduire d'au moins 2 % aux États-Unis et de 1 % en Europe ; devraient s'ajouter aux États-Unis une hausse de l'inflation, une aggravation du déficit extérieur et, à terme, une hausse des taux d'intérêt. On ne peut exclure un accord minimal entre le Président américain et le Congrès pour réduire le déficit budgétaire de 20 milliards de dollars. Mais cela sera sans effet.
En revanche, l'analyse des causes est très variée.
Pour le sherpa américain, la crise résulte d'une crainte de l'élection, en novembre, d'un Président démocrate qui augmenterait les impôts. Les accords du Louvre ont tout aggravé, car la stabilisation des taux de change, en poussant les taux d'intérêt à la hausse, ont fait chuter la Bourse, alors que l'économie américaine est saine. Ce point de vue, qui est celui du Président américain, révèle l'isolement, au sein de l'Administration américaine, de James Baker et David Mulford, qui ont négocié les accords du Louvre.
Les Européens protestent contre cette analyse: la crise provient au contraire du déficit budgétaire américain : sans les accords du Louvre, on serait déjà en récession. Hans Titmeyer se lance dans un impitoyable réquisitoire contre la démagogie budgétaire américaine.
Pour le sherpa japonais, la crise boursière est un premier signe de désastre qui sera suivi d'autres si les Américains ne réduisent pas leurs déficits. À ses yeux, réunir les ministres des Finances des Sept ne servirait à rien, car il n'y a rien à discuter de concret et de consensuel. Il ajoute joliment : Je ne joue pas au poker quand je n'ai pas de cartes.
Au total, chacun se prépare à expliquer à sa façon la déroute de la coopération internationale à laquelle tous assistent impuissants.
Dans la nuit, je regarde à la télévision un talk-show sur une chaîne locale : une conversation en direct réunissant un public aimable et un condamné à mort mineur attendant avec terreur son exécution. Puis l'animateur enjoué passe à un autre sujet : faut-il que les propriétaires de chiens testent eux-mêmes la nourriture de leurs animaux ?
Lundi 9 novembre 1987
Li Xiannian effectue en France la première visite d'État d'un Président chinois. Rien de significatif.
Conséquence en France de la crise mondiale : la première cotation de l'action Suez s'établit à 17,6 % au-dessous de son cours de privatisation, à 261 francs contre 317 le jour de l'OPV. Consternation au ministère des Finances.
Petite querelle d'antériorité : Jacques Chirac envoie une lettre à François Mitterrand l'informant qu'il a écrit à Helmut Kohl pour approuver le Conseil de Défense et le Conseil monétaire. Cette négociation a été entièrement menée de l'Élysée. Matignon a tout fait depuis des mois pour la ralentir. Et voilà que le Premier ministre éprouve le besoin de l'approuver auprès de Bonn, sans doute pour se préparer à dire au prochain Sommet franco-allemand que tout cela s'est fait grâce à lui !
En fait, les Allemands ont bien d'autres soucis que ces enfantillages français : Jacques Delors me prévient qu'ils vont demander la réunion, dimanche prochain, du Conseil des ministres des Finances. La crise monétaire internationale fait des ravages. La pression à la réévaluation du mark est aussi une pression à la dévaluation du franc.
Mardi 10 novembre 1987
Avant le Conseil des ministres, au cours de son entretien avec Jacques Chirac, comme il est question de signer un accord international avec les Comores, François Mitterrand lâche : Comores, Trinidad, Tobago prennent une importance... Comme si cela suffisait à justifier nos réunions !
Au Conseil, rien de particulier à signaler.
Tout est prêt avec Horst Teltschik. Notre double architecture est au point. Malheureusement, le Conseil monétaire restera au niveau ministériel. Édouard Balladur tient en effet à ce que cette instance demeure au niveau des ministres : les Finances ne sont pour rien dans ces négociations, mais elles s'imposent afin que la monnaie ne leur échappe pas. Cet enjeu n'est pas dérisoire : réussira-ton, dans la construction européenne, à faire de la monnaie l'instrument d'une politique, ou bien celle-ci ne sera-t-elle que l'instrument de la politique monétaire ? Ce débat, je le devine, va nous poursuivre longtemps.
Annonce publique dans deux jours.
Mercredi 11 novembre 1987
Un tableau de Van Gogh, Les Iris, est vendu 49 millions de dollars.
Jeudi 12 novembre 1987
50e Sommet franco-allemand à Karlsruhe. On y confirme la volonté commune d'élargir la coopération des deux pays en matière de défense et de monnaie.
Mesquinerie de Matignon qui prétend avoir inventé le Conseil franco-allemand pour la monnaie et l'économie !
À juste titre, la presse trouve nos petites batailles absurdes.
États généraux de la Sécurité sociale.
Invité de Questions à domicile, sur TFl, Jacques Delors n'exclut pas de devenir, le cas échéant, Premier ministre de Raymond Barre !
Au château de Bruchsal. Même rituel. Dîner ennuyeux. Deux toasts en fin de dîner. Sans importance.
Vendredi 13 novembre 1987
On signe la déclaration sur la Sécurité et la Défense :
Nous poursuivrons les travaux engagés sur la création d'une grande unité militaire franco-allemande de l'armée de terre. Nous avons approuvé les premiers résultats de ces travaux. La mission, les structures de commandement et l'entraînement en commun de cette unité devraient permettre de donner à la coopération militaire franco-allemande une impulsion nouvelle.
Nous poursuivrons l'étude des modalités de mise en œuvre d'un Conseil de sécurité et de défense conjoint, qui serait chargé d'orienter la coopération entre les deux pays en matière de sécurité.
Un paragraphe est ajouté à la toute dernière seconde :
Ce Conseil de sécurité et de défense sera créé lors du vingt-cinquième anniversaire du traité d'amitié franco-allemand, le 22 janvier 1988.
Une déclaration sur la coopération économique et financière est publiée, plus vague :
Nous examinerons ensemble les modalités de constitution d'une Commission de coordination franco-allemande dans le domaine économique et financier. Cette Commission sera créée lors du vingt-cinquième anniversaire du traité d'amitié franco-allemand, le 22 janvier 1988.
Les ministres français et ouest-allemand des Finances signent un autre texte sur la crise mondiale :
M. Balladur et M. Stoltenberg ont évoqué la situation monétaire internationale et les moyens de la stabiliser. Ils souhaitent qu'à Washington soient prises sans attendre les décisions sur la réduction du déficit budgétaire.
François Bujon explique aux journalistes que c'est lui qui a négocié ces textes !...
François Mitterrand en est furieux. Il déclare au cours de la conférence de presse : Lorsque le Chancelier et moi avons, il y a quelques mois, songé à développer les liens sur le plan de la défense et de la sécurité, nos représentants, qui ont préparé ces discussions, avaient déjà, surtout à l'instigation des délégués français, pensé qu'il convenait d'insérer les problèmes militaires dans le cadre d'une action politique. On ne fera pas l'Europe sur le plan technique, ou plutôt on la préparera, mais elle n'existera qu'autant que tout cela sera cimenté par une volonté politique traduite par des structures. C'est ainsi qu'il nous a semblé qu'un développement parallèle pouvait avoir lieu sur les plans économique et financier. Parallèle, mais pas forcément identique. C'est pourquoi M. le Premier ministre français et moi-même, nous en avons discuté au cours des jours précédents, et lui comme moi avons pensé que c'était une donnée importante de ce qu'il convenait de faire à Karlsruhe. Et c'est ainsi que la question a été posée et résolue.
Voilà racontés, avec pudeur et précision, trois mois de sourdes batailles dans le cadre de la cohabitation.
Samedi 14 novembre 1987
Vu Agan Aganbegyan, principal conseiller économique de Mikhaïl Gorbatchev. Il cite Youri Andropov, qui lui disait : Nous ne connaissons pas notre société. Il nous faut la comprendre pour la changer radicalement. Rappelant une phrase bien connue de Lénine : La science doit reposer sur les faits, pas sur les hommes, il donne une interprétation plutôt restrictive de la loi de juin 1987 sur la propriété individuelle et indique que lorsqu'il fait des conférences en Union soviétique à ce sujet, les gens expriment la crainte que les « privés » ne profitent de la nouvelle loi pour s'enrichir : Chez nous, on ne veut pas que l'autre soit riche. C'est le pilier de la société russe. Il place beaucoup d'espoirs, dans la propriété coopérative par opposition à la propriété d'État. Pour lui, le critère du socialisme est l'absence de l'exploitation du travail du personnel salarié, ce qui est compatible avec la coopérative : L'ambition principale de la réforme économique est de passer d'une économie dominée par les producteurs à une économie dominée par les consommateurs. Il faut en finir avec les ordres donnés par le centre aux entreprises. La réforme des prix qui est prévue ne laissera que très peu de prix centralisés : seulement l'énergie, le pain, le lait et peut-être les loyers.
Dimanche 15 novembre 1987
François Mitterrand reçoit Charles Hernu à Cluny. Hernu est fou de rage contre Laurent Fabius, qui, dit-il, l'a lâché encore une fois dans l'affaire Luchaire. Il jure au Président qu'il n'y est pour rien.
Lundi 16 novembre 1987
Sur RTL, François Mitterrand plaide la bonne foi dans l'affaire Luchaire. Il condamne l'escroquerie morale dont a été victime le PS, qui, affirme-t-il, n'a jamais perçu de commissions là-dessus. Il dénonce les exploiteurs de scandales et encourage le gouvernement à proposer un mode de financement clair des partis et des campagnes politiques.
Matignon nous informe que l'accord est sur le point de se nouer avec les Iraniens. On échangera Wahid Gordji contre Paul Torri, notre diplomate retenu en otage à Téhéran ; l'échange aura lieu à Karachi. Quid de nos otages au Liban ? Seront-ils libérés en même temps ?
Mardi 17 novembre 1987
François Mitterrand sur Édouard Balladur : Cet homme est décidément étrange. Il devient compétent ; il a une certaine culture et un sens de l'humour. Pourquoi en a-t-il si peu à l'égard de lui-même ?
Mercredi 18 novembre 1987
Dans Le Figaro, Jacques Chirac affirme qu'il fera tout pour faciliter un accord sur le mode de financement des partis politiques. Il appelle les partis à la concertation à ce sujet.
Le Conseil des ministres adopte le projet de réforme de l'instruction judiciaire présenté par Albin Chalandon, relatif aux garanties individuelles en matière de placement en détention provisoire. François Mitterrand : C'est un texte important.
À la sortie du Conseil, dialogue très aimable entre le Président et François Léotard. Panser les plaies, en ouvrir d'autres...
Publication aux États-Unis du rapport de la commission d'enquête sur l'Irangate : très sévère pour Ronald Reagan.
Jeudi 19 novembre 1987
Matignon nous transmet un projet de lettre que Jacques Chirac souhaite envoyer à Ronald Reagan pour le prier d'accélérer la réduction des déficits américains. Il souhaite lui dire combien il est préoccupé par l'insécurité existant sur les marchés et par l'évolution de la coopération financière internationale décidée lors des Sommets de Tokyo et de Venise et concrétisée par l'accord des cinq ministres des Finances au Louvre. Il demande notamment que le gouvernement américain précise comment il pourra réduire son déficit budgétaire en 1988, ainsi que cela a été annoncé dans l'accord du Louvre. Il ajoute même une prière instante à Ronald Reagan pour que celui-ci mette en œuvre toute son influence personnelle afin de conclure rapidement les négociations budgétaires en cours avec le Congrès.
François Mitterrand estime que ce genre de lettre doit rester au niveau des ministres des Finances. Sinon, elle risque d'apparaître comme une ingérence maladroite dans les affaires intérieures américaines : Ils font de cet accord du Louvre le texte majeur de l'économie mondiale. C'est grotesque! Ce n'est qu'un morceau de papier que tout le monde a oublié, comme le montre la crise. Je me demande si Balladur ne fait pas tout cela seulement pour justifier le maintien du ministère dans le musée !
Vendredi 20 novembre 1987
Michel Hannoun, député RPR de l'Isère, remet au gouvernement son rapport sur le racisme et les discriminations en France. Courageux.
Trois responsables de Radio Nostalgie sont inculpés et écroués, à Lyon, dans le cadre d'une affaire de fausses factures.
Lundi 23 novembre 1987
La crise continue de faire des ravages sur les places boursières. Les actions des entreprises privatisées s'effondrent.
Mardi 24 novembre 1987
François Mitterrand déjeune au Grand-Quevilly avec Laurent Fabius. Le Président : Michel Rocard est soutenu par l'opinion, mais pas par le Parti socialiste. Les autres le sont par le Parti socialiste, mais pas par l'opinion.
Jack Lang me suggère de provoquer une rencontre entre le Président et Yves Montand, appelé à participer à plusieurs émissions importantes au cours des prochaines semaines.
Jeudi 26 novembre 1987
Sommet franco-italien à Naples. Les Italiens s'agacent de la prééminence du couple franco-allemand en Europe.
Réunion à Matignon sur le financement des partis autour de Jacques Chirac, avec Jean-Marie Le Pen, Jean-Claude Gaudin, Lionel Jospin, Jacques Toubon et Georges Marchais.
L'affaire Gordji se débloque. L'Iranien accepte d'être entendu par le juge Boulouque. En échange, il obtient l'assurance d'être expulsé. Cela pourrait donc se terminer en douceur. Qu'a obtenu le gouvernement en échange ? Quid des otages retenus à Beyrouth ?
Vendredi 27 novembre 1987
Au Liban, libération de Jean-Louis Normandin et Roger Auque. Est-ce la réponse à ma question d'hier : le prix payé pour le prochain départ de Wahid Gordji ? Je ne sais. Si c'est le cas, c'est ce que refusait François Mitterrand en juillet. Il voulait tous les otages, ou rien.
À moins que les trois autres ne suivent ?...
Arrestation de Max Frérot, d'Action directe, à Lyon.
Dimanche 29 novembre 1987
Wahid Gordji quitte l'ambassade d'Iran à Paris pour le Palais de Justice. Il y est entendu par le juge Boulouque, lequel estime qu'il n'existe pas de charges devant entraîner son inculpation. Aussitôt conduit au Bourget, il s'envole pour Karachi. Où sont passées les preuves dont parlait Charles Pasqua en juillet ?
Face-à-face télévisé Rocard-Balladur sur TFI. Le ministre de l'Économie interroge deux fois son vis-à-vis sur ses intentions. Les deux fois, Michel Rocard confirme : il est bien candidat à la présidentielle.
Référendum en Pologne sur les réformes économiques et la démocratisation de la vie politique : le oui l'emporte dans les deux cas. Mais l'abstention a été de 43 %.
Lundi 30 novembre 1987
Comme prévu, Gordji est échangé à Karachi contre Paul Torri. L'échange partiel refusé par François Mitterrand en juillet a donc eu lieu : Gordji contre deux seulement de nos six otages.
Sur TF1, à l'occasion de l'inauguration de l'Institut du monde arabe, le Président proteste contre les négociations avec les preneurs d'otages.
François Mitterrand reçoit Renaud Denoix de Saint Marc : Demandez au Premier ministre de modérer les changements de hauts fonctionnaires. Nous sommes dans une phase préélectorale. Je n'ai pas fait beaucoup de difficultés jusqu'ici. Je serai désormais plus strict.
Le Président finit par accepter la promotion dans l'ordre de la Légion d'honneur d'un général qui s'était signalé, il y a quelques années, par une prise de position désagréable à l'égard du ministre de la Défense. Il l'avait longtemps refusée, mais, comme cet officier s'est excusé depuis lors auprès de Charles Hernu, il lève sa réserve.
Mardi 1er décembre 1987
Je reçois le père Wresinski, fondateur de l'association ATD-Quart Monde : Hier, au centre de promotion familiale de Noisy-le-Grand, on attendait Michèle Barzach. C'était un événement. Tous les gens de la cité s'y étaient longuement préparés ; ils avaient tenu réunion sur réunion pour lui poser les bonnes questions. Mme Barzach n'est pas venue ; elle s'est décommandée la veille : Jacques Chirac la réclamait à cette même heure, précisément. C'est toujours ainsi que l'on raye les pauvres de son agenda. Avec désinvolture...
Mercredi 2 décembre 1987
Avant le Conseil des ministres, dans le bureau de François Mitterrand.
Le Président : On nous propose de ratifier une convention qui est rédigée en anglais. Il faut refuser.
Le Premier ministre : C'est tout à fait mon avis.
Aucun commentaire, du moins en ma présence, sur le dénouement de l'af faire Gordji.
Pendant le Conseil, Jean-Bernard Raimond indique comment se présente le prochain Conseil européen de Copenhague : une opposition britannique prévisible sur l'accord budgétaire.
François Mitterrand : Mme Thatcher a toujours tendance à oublier les conditions dans lesquelles elle obtient les compromis. Il a toujours été convenu que la compensation britannique serait limitée dans le temps et dégressive. On ne peut pas s'installer dans la situation d'une compensation permanente. Mme Thatcher est toujours favorable à une très grande rigueur pour le budget communautaire. Elle devrait appliquer cet excellent principe à sa propre demande de compensation.
On a peut-être imprudemment admis la Grande-Bretagne en 1972, mais, puisqu'elle s'y trouve, il faut s'en accommoder.
Mme Thatcher a dû rogner sur ses ambitions en 1984. Il lui faudra rogner sur elles à nouveau en 1987 ou 1988.
Jacques Chirac : Le Sommet de Copenhague peut réussir si la volonté est présente. Cette volonté, le gouvernement l'a. Bien sûr, il est très conscient des limites à ce qu'il peut accepter, en particulier du point de vue de nos agriculteurs qui ont déjà beaucoup souffert. Je ne suis pas vraiment pessimiste.
François Mitterrand : C'est votre nature. Elle rejoint la mienne, mais, objectivement, je suis préoccupé. Tous nos intérêts qui méritent d'être défendus le seront. Aucun des problèmes en discussion ne vaut que l'Europe patine ou se déchire. L'accord entre MM. Reagan et Gorbatchev va souligner notre chance ou notre carence. S'il y a une crise, elle devra être surmontée. L'Europe n'est pas en mesure de supporter pendant longtemps des hésitations ou des reculs. La France devra se montrer imaginative dans cette discussion.
Le Président s'exprime ensuite sur Haïti, où l'on a dû annuler les élections législatives et présidentielles en raison des troubles graves causés par les duvaliéristes : La France doit condamner les graves atteintes au processus démocratique et en tirer les conséquences dans nos relations avec Haiti. Même les États-Unis apparaissent comme de meilleurs défenseurs des droits de l'homme que nous. Je souhaite une action diplomatique marquée.
Charles Pasqua : Mais nous avons M. Duvalier en France !
François Mitterrand : Et alors ?
Charles Pasqua : Nous en avons hérité.
François Mitterrand : Moi aussi, j'en ai hérité des Américains. Cela dit, je ne tiens pas spécialement à sa présence. On peut tout examiner. Si vous avez des propositions à me faire, je les examinerai !
Revenons maintenant à la politique intérieure, l'un de vos sujets favoris [il s'adresse à Jacques Chirac], avec tout de même une variante... [Le Président fait allusion à l'utilisation de l'article 49-1 ; la variante concerne l'article 49-3.]
Jacques Chirac, souriant : Il ne fallait pas le laisser tomber en désuétude !
François Mitterrand : Il appartient au Premier ministre de faire cette proposition, au Président de la République d'accepter ou de ne pas accepter. Je n'ai jamais refusé cette possibilité au gouvernement. Je ne le ferai pas davantage cette fois-ci. Vous pourrez clore cette période de la même façon que vous avez commencé: en vous adressant à votre majorité.
François Mitterrand reçoit Valéry Giscard d'Estaing. À la sortie, comme presque chaque fois que son prédécesseur vient à l'Élysée, il lui fait admirer le portrait du général de Gaulle et celui de Pompidou, et lui demande quand il fixera son choix pour le sien propre. Même refus pincé.
Séance consacrée aux questions orales à l'Assemblée nationale. Alain Peyrefitte met de nouveau en cause le Président à propos de l'affaire Luchaire.
Dans l'après-midi, François Mitterrand appelle Jacques Chirac au téléphone : Trop c'est trop ! Cela se gâte sérieusement.
Jacques Chirac lui répond, embarrassé : Je vous assure que je n'étais pas au courant. Vous savez, M. Peyrefitte est très excité sur cette histoire...
Jeudi 3 décembre 1987
26e Congrès du PCF : Marchais est réélu secrétaire général avec seulement 99,05 % des voix !
Déclaration de politique générale de Jacques Chirac à l'Assemblée.
Vendredi 4 décembre 1987
Sommet européen de Copenhague. On doit y discuter budget et prix agricoles. Jacques Chirac s'y rend avec François Mitterrand.
Dans l'avion, le Président, à propos des « affaires » : Je ne me fais pas d'illusions. Les socialistes font comme les autres, et sans doute en moins malin.
Sur les lieux du Sommet, Jean-Bernard Raimond, qui ne dispose pas d'une place dans la salle, à la différence des autres ministres des Affaires étrangères, boude dans le couloir. Jacques Chirac est délicieux, il vient faire aux collaborateurs du Président des comptes rendus des discussions en cours et de ce que dit le Président. Il raconte cet échange avec Margaret Thatcher :
François Mitterrand : Si l'Europe est en crise, la France trouvera sa voie à deux ou à trois.
Margaret Thatcher: Il n'y aura pas de crise. Je suis optimiste. Cela réussira.
François Mitterrand : Cela marche mal quand vous dites non. Si vous êtes optimiste, c'est que vous direz oui à Bruxelles la prochaine fois.
À l'Assemblée, la confiance est votée par 295 voix contre 282. Dans son intervention au nom de l'UDF, Jean-Claude Gaudin a précisé : Nous voterons la confiance, car nous savons qu'elle aura son juste retour.
L'Assemblée générale de l'ONU réaffirme le droit à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
Samedi 5 décembre 1987
Le Conseil européen se passe mal. Les désaccords s'accumulent sur les dépenses agricoles, les ressources budgétaires, les crédits aux régions défavorisées et la ristourne britannique. Le ton monte. En séance, Jacques Chirac traite Mme Thatcher d'épicière.
François Mitterrand et le Premier ministre forment un bon duo. Jacques Chirac vient à nouveau voir la délégation. Rejoint par le Président, il le félicite devant les fonctionnaires pour son intervention ferme sur l'agriculture. François Mitterrand ne demeure pas en reste : il réplique que le Premier ministre a bien travaillé lui aussi et montré beaucoup d'énergie.
Échec du Sommet européen : aucun accord sur l'augmentation des ressources communautaires ni sur la discipline agricole. Cette réforme est pourtant nécessaire pour l'entrée en vigueur de l'Acte Unique.
La négociation détaillée sur le Conseil de défense franco-allemand se précise : les représentants des ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays se sont réunis par deux fois et doivent se revoir le 22 décembre.
Dans le projet de traité, l'exposé des motifs énumère les textes existants (y compris la déclaration sur l'UEO, qui n'a rien à voir). Les trois premiers articles définissent le Conseil sans dire s'il sera doté d'un secrétariat permanent, ce qui en réduit singulièrement la portée. L'article 4, le plus important, qui définit les missions, reprend ce que Horst Teltschick et moi avions arrêté, mais va plus loin dans son premier alinéa en reprenant hors de son contexte une phrase du traité de l'Élysée sur le concept de potentiel équilibré. Voilà qui me paraît dangereux dans la mesure où cela pourrait pousser des « observateurs » à y voir notre réintégration de fait dans le dispositif militaire de l'Alliance.
Les Allemands souhaiteraient que l'article 5, organisant le secrétariat, soit complété par un échange de lettres entre les deux ministres des Affaires étrangères, précisant la formule, qu'ils ont acceptée, d'un secrétariat assuré par des hauts fonctionnaires des deux pays désignés au sein de la Commission permanente de sécurité et de défense. Cette dernière, mise en place en 1982, verrait son existence confirmée.
On achoppe donc sur trois points :
- Les missions couvriront-elles le nucléaire ?
- Le caractère permanent du secrétariat (Jean-Bernard Raimond est très contre, pour vider l'initiative de tout contenu. Jacques Chirac hésite).
- Le lien (strict ou non) entre son institution et celle du Conseil économique et financier.
Je n' apprends tout cela que par bribes et par des confidences de hasard. Nous n'avons pas eu connaissance des projets en cours de négociation.
Dimanche 6 décembre 1987
À l'aéroport de Fort-de-France, des manifestants empêchent Jean-Marie Le Pen d'atterrir. Sympathique, mais à quoi bon ?
Lundi 7 décembre 1987
Après avoir rencontré Margaret Thatcher lors d'une brève escale près de Londres, Mikhail Gorbatchev se rend à Washington pour sa première visite officielle aux États-Unis et son troisième Sommet avec Ronald Reagan.
Une vingtaine de sympathisants des Moudjahidin du peuple sont interpellés en France.
Mardi 8 décembre 1987
Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan signent à la Maison Blanche le traité de démantèlement des missiles nucléaires intermédiaires soviétiques et américains en Europe. Bien qu'il ne porte que sur 4 % des arsenaux nucléaires, cet accord d'option zéro est historique : c'est le premier véritable accord de désarmement de l'ère nucléaire. La déclaration finale en envisage d'autres et prévoit un quatrième Sommet au printemps 1988 à Moscou.
En visite au Creusot, le Président commente la nouvelle : Je m'en réjouis et je ne comprends pas cette sorte de refus qui s'est inscrit dans les cerveaux. Si l'on ne désarme pas, on armera, et, de cette façon, on ruinera les économies sans garantir davantage la sécurité, mais, au contraire, en la mettant davantage en péril. Mon choix est fait : il faut désarmer et refuser la proposition de ceux qui vous disent non.
Adoption définitive de la loi sur la mutualisation du Crédit Agricole.
Douze Iraniens et trois Turcs interpellés hier sont expulsés vers le Gabon. Certains ont le statut de réfugiés politiques. Protestations et polémiques.
Mercredi 9 décembre 1987
Au Conseil des ministres, à propos de l'expulsion des Iraniens, hier, vers le Gabon, le Président : J'ai été saisi par les défenseurs des Iraniens expulsés d'un dossier et de différentes procédures. Le haut-commissaire des Nations-Unies aux réfugiés a également demandé des précisions. M. le ministre de l'Intérieur voudra bien compléter mon information pour que je puisse répondre en connaissance de cause aux défenseurs des Iraniens. Je souhaite également être informé de la réponse qui sera faite au haut-commissaire des Nations-Unies, de façon à ce que la France ne se trouve pas en position d'accusée. Le droit d'asile est un droit constitutionnel. La France a approuvé la convention de Genève de 1951. Un certain nombre de ces personnes expulsées semblent relever de ces dispositions.
Il y a beaucoup de personnes en France qui se réclament du droit d'asile (environ 200 000), surtout venues d'Asie du Sud-Est. Le statut de réfugié entraîne naturellement certaines obligations, en particulier celles de ne pas se mêler d'actions terroristes et de ne pas interférer dans la politique extérieure de la France.
Pour l'application de la convention de Genève, la Commission de recours des réfugiés et le Conseil d'État ont rappelé que les droits des réfugiés, en particulier le délai de huit jours avant l'expulsion, devaient être respectés, sauf si des raisons impérieuses de sécurité intérieure s'y opposaient, avec des menaces précises à l'ordre public établies comme émanant de personnes déterminées.
Le droit, il faut s'y tenir. L'exception doit être soigneusement justifiée. Il faut que soit présentée au haut-commissaire la meilleure défense possible. J'espère qu'elle s'expliquera d'elle-même.
Margaret Thatcher écrit à François Mitterrand pour lui raconter ses entretiens d'avant-hier avec Mikhaïl Gorbatchev. Elle a trouvé celui-ci confiant et plein d'entrain. Les négociations sur la réduction des forces conventionnelles et chimiques sont, d'après elle, en très bonne place sur la liste de ses priorités. Elle a été frappée par son approche des négociations sur le contrôle des armements, plus pragmatique et moins marquée qu'autrefois, estime-t-elle, par l'esprit de propagande.
Deuxième consultation de Jacques Chirac avec les chefs des cinq grands partis à propos du financement de la vie politique. Chirac annonce un projet de loi et une session extraordinaire pour le début de 1988.
Jeudi 10 décembre 1987
Mikhail Gorbatchev annonce son intention d'évacuer tous les soldats soviétiques d'Afghanistan.
Véronique Colucci souhaite être reçue par le Président pour le lancement de la nouvelle saison des Restaurants du Cœur. Le gouvernement leur a mis beaucoup de bâtons dans les roues, ce qui rend très difficile leur fonctionnement.
L'amendement Coluche (possibilité de déduire les dons aux « Restos » de ses revenus déclarés) a été refusé par le ministre du Budget.
Samedi 12 décembre 1987
Jacques Chirac devant l'Institut des hautes études de défense nationale : Il ne faudrait pas que la dynamique de désarmement nucléaire soit confinée d l'Europe, car on ne répétera jamais assez que c'est la dissuasion nucléaire qui a maintenu la paix sur notre continent. C'est pour cette raison que j'ai souligné le danger qu'il y aurait à se situer dans la logique soviétique, qui, en proposant des options zéro successives, pourrait compromettre et même éliminer la présence nucléaire américaine en Europe, que nous croyons tous indispensable.
« Tous ? » Pas François Mitterrand, en tout cas.
Lundi 14 décembre 1987
Présentation au Sénat par Bernard Pons d'un nouveau statut pour la Nouvelle-Calédonie.
On apprend par la presse que Jacques Chirac souhaite convoquer une session extraordinaire du Parlement sur la modification du statut de la Régie Renault. Le Président fait dire à Maurice Ulrich, par Jean-Louis Bianco, qu'il refusera de convoquer le Parlement sur cette question.
Discret retour en France d'Alain Mafart, l'un des « époux Turenge » de l'affaire Greenpeace.
François Mitterrand reçoit Jean Daniel pour une interview, puis il en retravaille le texte. Il écrit d'abord : Je ne délivrerai pas d'ultime avertissement sur le sol allemand. Hubert Védrine et Jean-Louis Bianco le convainquent de ne pas se montrer aussi précis, de ne pas s'engager à ne pas tirer d'armes nucléaires sur la RFA : cela pourrait se révéler nécessaire pour défendre la France si tout le reste avait échoué. Hypothèse que le Président refuse... J'imagine qu'il ne voit pas, dans ce cas, d'autre hypothèse que la capitulation ? En tout cas, il ne veut pas répondre à une question à ce sujet.
Mardi 15 décembre 1987
Ce matin, au cours de son entretien avec le Premier ministre, François Mitterrand parle longuement de l'affaire des Iraniens expulsés. Jacques Chirac est très ferme : S'ils continuent à nous enquiquiner, on en expulsera encore plus.
François Mitterrand : Si le gouvernement ne fait rien pour les faire revenir, je serai obligé de prendre position de façon publique.
Promenade rive gauche. François Mitterrand : Je n'ai pas envie de me représenter. Mais aucun socialiste ne peut gagner. Rocard n'aura pas la confiance de la gauche.
(...) Il y a parmi ces gens [de la majorité] des voyous vulgaires et versatiles.
(...) La droite m'énerve de plus en plus.
Réunion du Conseil de Défense. À propos de l'ultime avertissement, le Président insiste : L'objectif prioritaire est le territoire adverse, c'est-à-dire soviétique, ou les forces adverses.
André Giraud demande la parole et se lance dans un cours sur ce qu'il convient que le Président pense. Le Président l'écoute, laissant percer une irritation croissante.
André Giraud : Moins nous parlerons des Pluton, mieux cela vaudra. Nous n'avons, en effet, aucune raison de changer notre conception de la dissuasion. Nous avons plusieurs formes pour délivrer l'ultime avertissement. L'ultime avertissement doit avoir, comme le dit la loi de programmation militaire, une efficacité militaire propre, ce qu'il nefaut pas confondre avec un emploi dans la bataille. L'armée doit fournir au Président un catalogue d'objectifs dont certains pourront être approuvés par avance et d'autres pourront être décidés à un certain stade du conflit. Le problème d'un ultime avertissement sur le territoire soviétique, c'est qu'il risque d'être interprété par les Soviétiques comme une frappe stratégique.
Il y a un ultime avertissement et un seul. Le Président de la République ne doit rien s'interdire. Et même s'il s'interdisait quelque chose dans son for intérieur, il ne doit le faire savoir ni à ses alliés, ni à ses agresseurs éventuels. Pour ce qui est des armes à courte portée, l'éventualité qu'elles soient tirées depuis la RFA dépendrait du gouvernement allemand.
François Mitterrand hausse les épaules sans répondre.
Le général Schmitt insiste sur l'intérêt d'une frappe préstratégique sur une concentration de troupes pour dissuader l'adversaire d'attaquer.
Le général Forray insiste pour sa part sur l'utilité des Hadès.
Le Président, irrité par ces scénarios qu'il considère comme absurdes, bougonne : Le Conseil de Défense a pour charge de donner son avis. J'ai pour charge, en liaison avec les autorités compétentes — le Premier ministre, le ministre de la Défense —, de fixer les directives.
On passe au point suivant.
Le Président demande au Premier ministre si la création de la brigade franco-allemande implique son passage devant le Parlement.
Le Premier ministre : Je ne sais pas.
Le Président : Il a pourtant suffi que j'évoque l'hypothèse d'un Conseil de Défense franco-allemand à Keckerplatz, lors des manœuvres, en réponse à la question d'un journaliste, pour que deux parlementaires demandent publiquement comment je pouvais oser en parler alors que le Parlement n'avait pas été saisi.
La création de la brigade, c'est d'abord un geste politique. Il faut nous méfier de l'engrenage qui pourrait, par petites touches, nous entraîner dans la bataille de l'avant.
La « couverture nucléaire » est une notion qui a été employée avec beaucoup d'imprudence par un certain nombre de responsables politiques. Ce qui reste à déterminer, c'est l'emploi de la force nucléaire française, qui ne peut être prédéterminée. Je sais, monsieur le Premier ministre, que vous en êtes d'accord, et c'est pourquoi j'ai tout à fait accepté votre formule heureuse.
François Mitterrand fait ici allusion aux propos tenus par Jacques Chirac à l'Institut des hautes études de défense nationale il y a trois jours (« Il ne peut pas y avoir de bataille de France sans bataille d'Allemagne. Cela devrait aller de soi, puisque nous sommes alliés, mais il n'est pas inutile de le répéter. »)
Jacques Chirac sourit. André Giraud, qui fait la tête, rend compte de ses conversations avec son homologue britannique. Il indique que le Conseil de Défense franco-allemand met les Britanniques dans un état second. C'est surtout l'élargissement de ce Conseil de Défense à d'autres pays qui les inquiète. Ils y voient l'embryon de quelque chose qui pourrait un jour remplacer l'OTAN.
Édouard Balladur : En ce qui concerne les liens entre la défense d'une part, l'économie et la monnaie d'autre part, il ne s'est plus rien passé depuis le Sommet de Karlsruhe. Souhaitez-vous, monsieur le Président, que j'établisse un projet ?
Le Président : Monsieur le ministre d'État, vous le devez... L'aspiration en RFA sera nécessairement de plus en plus grande pour que tout le territoire' allemand soit dénucléarisé. En ce qui concerne le désarmement chimique, nous avons enfoncé un coin. C'est intéressant.
Je confirme au Président qu'il est très difficile d'espérer obtenir, sur l'accord monétaire franco-allemand, que le Conseil soit constitué au niveau des chefs d'État ou de gouvernement. Il n'y aura pas non plus de secrétariat permanent, et il n'y aura pas de traduction concrète immédiate (comme l'est la brigade).
Le Président : Il faut tenter d'obtenir mieux sans faire capoter l'accord de défense !
Par suite de l'obstruction des députés communistes, Jacques Chirac refuse d'engager la responsabilité du gouvernement sur le projet de modification du statut de Renault.
René Monory annonce un plan pour l'avenir de l'Éducation. Les dépenses nouvelles envisagées seraient de l'ordre de 25 à 28 milliards sur cinq à sept ans !
Le Président travaille jusqu'à 1 heure du matin à son interview pour Le Nouvel Observateur. Il y écrit clairement : Pas de frappe nucléaire sur l'Allemagne, contrairement à ce que souhaitaient ses collaborateurs.
Mercredi 16 décembre 1987
Dans le bureau du Président, avant le Conseil :
François Mitterrand à Jacques Chirac : J'ai appris par un communiqué de M. Juppé que vous envisagiez une session extraordinaire pour faire voter un nouveau statut de la Régie Renault !
Jacques Chirac corrige : ... que je vous demanderai une session extraordinaire, monsieur le Président.
François Mitterrand : M. Juppé a été beaucoup plus carré ce matin encore sur Europe 1. Vous savez, j'avais fait prévenir M. Ulrich dès lundi après-midi, par M. Bianco, que ce n'était pas possible. Je vous le redis : il n'en est pas question.
Jacques Chirac : Monsieur le Président, le gouvernement n'ignore pas que c'est vous qui convoquez les sessions extraordinaires.
François Mitterrand : Comme je vous refuserai l'inscription du statut de Renault à une session extraordinaire, j'ai voulu vous prévenir avant le Conseil pour le cas où vous envisageriez le recours à l'article 49-3, que, naturellement, j'accepterais.
Chirac ne dit rien sur ses intentions. En réalité, il ne demandera pas le 49-3. Le gouvernement soutient pourtant publiquement qu'il ne connaissait pas jusqu'à aujourd'hui la position du Président sur l'ordre du jour de la session extraordinaire, la dernière avant l'élection présidentielle. Denis Baudouin va même jusqu'à esquisser devant quelques journalistes une sorte de chantage médiocre : Si le Président n'inscrit pas Renault, il n'aura pas le projet sur la moralisation de la vie publique.
Le Président écrit à Jacques Chirac pour lui demander de reconsidérer les mesures d'expulsion prises la semaine dernière contre des Turcs et des Iraniens, en particulier pour deux d'entre eux dont l'état de santé est alarmant.
Jeudi 17 décembre 1987
François Mitterrand prend son petit déjeuner avec Harlem Désir et Julien Dray. A propos du Code de la nationalité, il s'élève contre les intentions de la commission présidée par Marceau Long, qui veut restreindre le droit de devenir français et revenir sur le principe du droit du sol : À la différence des États-Unis, nous ne sommes pas un peuple d'immigrés. Le droit du sol doit demeurer prédominant. On monte en épingle un problème qui, en réalité, concerne chaque année peu de gens. D'un problème circonstanciel, posé par le Front National, on veut faire un problème existentiel.
Si des gens commettent des crimes ou des délits — terrorisme, proxénétisme, drogue [ce sont les trois cas que la commission Long envisage comme pouvant justifier le refus de l'octroi de la nationalité] —, ils doivent être jugés et condamnés sur la base des textes qui répriment ces délits ou ces crimes, mais cela n'a rien à voir avec la nationalité. Il ne faut pas rentrer dans l'engrenage. Le combat sera difficile, mais il faut le mener. Le monde du troisième millénaire sera un monde ouvert.
Sur le statut de Renault : Le gouvernement a fait exprès de déposer très tard le projet de statut au Parlement. Il n'avait, en réalité, pas l'intention de le faire voter, et il préfère probablement laisser à son successeur la charge finaneière d'une subvention nécessaire de 9 milliards.
Sur la lutte des classes : La lutte des classes est une réalité ; mais la société dirigeante réussit, par un renversement idéologique, à faire apparaître les classes dominées comme l'agresseur.
Sur la télévision, le Président congratule chaleureusement Harlem Désir pour son passage à une émission et ajoute : J'ai mis longtemps, moi, à m'y adapter. La télévision trahit immédiatement tout manquement à la vérité de soi-même.
D'une manière générale, François Mitterrand félicite Harlem Désir et Julien Dray pour leur action et leur dit qu'ils seront parmi le tout petit groupe de personnes informées de sa décision d'être ou non candidat avant qu'il ne la rende publique.
Déjeuner chaleureux avec le dirigeant social-démocrate allemand Hans Vogel :
Hans Vogel : Pour faire progresser la coopération en matière de défense, il n'y a que trois solutions : ou bien la France réintègre le commandement de l'OTAN...
Le Président l'interrompt : Tant que j'aurai la responsabilité de la France, il n'en sera pas question.
Hans Vogel : ... Ou bien la RFA et les autres pays européens quittent le commandement intégré de l'OTAN; ou bien nous construisons une nouvelle structure dans le cadre de l'OTAN.
François Mitterrand : Il y a deux obstacles à l'intégration franco-allemande en matière de défense : le statut de la RFA par rapport à l'arme nucléaire et le commandement intégré de l'OTAN.
Le Président ne répond pas clairement à la question majeure ici posée : comment faire une défense européenne sans la soumettre aux États-Unis par le truchement de l'OTAN ?
Autres remarques du Président au cours de ce déjeuner : En fait, je ne crois pas du tout à l'utilité des armes préstratégiques. J'ai voulu faire une évolution en trois temps :
Premier temps en 1983 : j'ai fait introduire le terme « préstratégique », au lieu de « tactique », pour écarter l'idée que ces armes puissent être le complément du conventionnel dans une bataille nucléaire.
Deuxième temps : lors de mon récent voyage d'État en RFA, j'ai indiqué que l'ultime avertissement ne serait pas nécessairement délivré sur le territoire allemand. L'idée s'en était en effet peu à peu répandue à cause du développement des armes nucléaires à courte portée, ce qui risquait d'affoler l'opinion publique allemande.
Troisième temps, dans mon interview au Nouvel Observateur, j'ai dit : « Il n'y aura pas lieu de délivrer l'ultime avertissement sur le sol allemand. »
Mais je ne veux pas abandonner gratuitement cette contrepartie. Il y aura donc probablement une quatrième étape.
À vrai dire, dans l'idée qui s'était répandue en matière d'ultime avertissement, il aurait fallu qualifier ces armes nucléaires de « post-stratégiques », car leur emploi dans cette acception signifierait nécessairement que les Soviétiques sont déjà en RFA et qu'on est au-delà du moment où la dissuasion stratégique aurait dû jouer.
Le Président établit une comparaison qui fait beaucoup rire ses interlocuteurs : C'est un peu comme si, la France étant en train d'être envahie, l'ennemi arrivant en vue des Pyrénées, je faisais jouer les armes préstratégiques... pour protéger la circonscription de Jospin à Toulouse ! Pour moi, l'ultime avertissement doit viser le territoire soviétique, la flotte soviétique ou les concentrations militaires soviétiques.
Hans Vogel cite Helmut Schmidt, selon lequel tout mouvement de troupes s'arrêterait le jour où la première bombe atomique tomberait sur l'Allemagne.
Le Président répond : J'en suis tout à fait convaincu.
Samedi 19 décembre 1987
Le projet de loi sur le statut de la Nouvelle-Calédonie est définitivement adopté par le Parlement.
Le Président écrit au Premier ministre pour limiter la session extraordinaire du Parlement, demandée par ce dernier pour trois jours à compter de lundi 21 décembre. Il lui demande d'alléger l'ordre du jour, car, de toute façon, les textes soumis à cette session et dont l'examen n'aura pas été achevé ne seront pas inscrits à l'ordre du jour de l'éventuelle session de janvier, qui sera réservée exclusivement — le Président y tient — aux textes tendant à moraliser la vie publique. Autrement dit, pas question de laisser la majorité profiter de la surcharge de décembre pour ne pas voter, en janvier, ces textes-ci.
Dimanche 20 décembre 1987
Jacques Chirac annonce le report de l'examen du projet de modification du statut de Renault à la session de printemps, François Mitterrand ayant refusé de l'inscrire à l'ordre du jour de la session extraordinaire.
Lundi 21 décembre 1987
François Mitterrand sur Édouard Balladur : Pourquoi s'obstine-t-il à vouloir rester au Louvre ? C'est ridicule ! Il aura coûté très cher à la République d'y revenir, alors que la décision d'en partir est irrévocable. C'est inquiétant. À croire qu'il ne conçoit pas la Ve République sans les ors de la IIIe...
Au Conseil supérieur de la magistrature, violent accrochage sur la nomination d'un juge à Nouméa. Albin Chalandon veut absolument s'opposer (parce qu'il est de gauche) au magistrat que l'unanimité du Conseil souhaite voir nommer.
Pierre Mauroy veut prendre la direction du Parti socialiste. J'en fais part à François Mitterrand, qui me répond : Ils se préparent déjà à l'après-mai 1988. Cela ne sera pas triste !
Charles Pasqua appelle Jean-Louis Bianco pour demander l'accord du Président sur un mouvement préfectoral.
Inculpation de Jean-François Dubos, ancien collaborateur de Charles Hernu, dans l'affaire Luchaire.
Mardi 22 décembre 1987
Avant le Conseil des ministres, dans le bureau de François Mitterrand, le Président se préoccupe du sort d'un ambassadeur, Pierre de Boisdeffre, que Jean-Bernard Raimond souhaite révoquer. Jacques Chirac n'est pas à même de répondre.
À propos du mouvement préfectoral, François Mitterrand fait remarquer à Jacques Chirac que le ministre de l'Intérieur s'est vivement préoccupé du sort d'un de ses collaborateurs. Le Président : Je lui ai dit [à Charles Pasqua] que je comprenais que c'était en quelque sorte un testament, et que, dans ces conditions, j'acceptais cette nomination au poste de préfet.
Pendant le Conseil, le Président accepte trois grand-croix de la Légion d'honneur (au lieu d'une prévue sur les deux du contingent annuel) : Henri Frenay, le colonel Passy et le grand rabbin Kaplan (pour lequel Jacques Chirac insiste beaucoup).
Le Président : Le Premier ministre et moi sommes d'accord Bien sûr, nous privons ainsi de toute possibilité de nomination de grand-croix le Président et le Premier ministre qui seront en place le 14 Juillet prochain...
François Mitterrand alerte Jean-Bernard Raimond sur les débats en cours au Conseil de sécurité à propos de la situation en Israël et dans les territoires occupés : Il faut que nous votions un texte qui marque notre sévère réprobation, sans nous laisser entraîner dans des philippiques inutiles.
Départ du Président pour un voyage officiel à Djibouti.
Mercredi 23 décembre 1987
Arrestation du commando qui posait des écoutes téléphoniques dans les locaux du Conseil supérieur de la magistrature.
Jeudi 24 décembre 1987
En provenance de Djibouti, François Mitterrand arrive en Égypte en voyage privé.
Lundi 28 décembre 1987
Dans le Sinaï, en présence de quelques amis, le Président entraîne sa suite dans l'ascension du mont Moïse, très pénible, notamment en raison de la chaleur. Le Président souhaite tester sa propre résistance physique. C'est au sommet de ce lieu qu'il acquiert la conviction qu'il est encore capable de tenir physiquement le coup. Avant de prendre sa décision définitive, il demandera à son médecin personnel, le Dr Gubler, de lui donner l'assurance que la machine est en état et de lui promettre de l'alerter si, un jour, il constate que sa santé ne lui permet plus d'exercer normalement ses fonctions.
Mardi 29 décembre 1987
Le Trésor américain propose un plan d'allègement de la dette extérieure du Mexique, qui s'élève à 105 milliards de dollars ; les banques internationales créditrices qui accepteraient une dépréciation d'environ 50 % de leurs créances pourraient les échanger contre des obligations mexicaines d'une durée de vingt ans, gagées sur le Trésor des États-Unis.
Mercredi 30 décembre 1987
Le Conseil constitutionnel annule un article de la loi de finances de 1988 prévoyant, contre toute personne publiant les revenus d'un contribuable, une amende égale aux revenus divulgués.
Le patronat et les syndicats (sauf la CGT) concluent un accord sur l'UNEDIC.
Jeudi 31 décembre 1987
François Mitterrand prononce ses vœux à la télévision. Ce sont officiellement les derniers de son septennat. Ils ne sonnent pas comme des vœux d'adieu : J'ai voulu que la France fût défendue, écoutée, respectée. Elle l'est. C'était mon devoir aussi que de la prémunir contre ses divisions (...). Pendant les mois qui viennent et dont on peut prévoir qu'ils connaîtront des turbulences, votre confiance m'aidera.