1987
Jeudi 1er janvier 1987
Au fort de Brégançon, François Mitterrand reçoit des cheminots en grève. Ceux-ci lui offrent une gerbe de fleurs sur laquelle il est écrit : Nos vœux pour 1987. Cheminots en grève demandent faire intervenir négociations rapidement. La majorité critique vigoureusement son attitude. Le Président me dit au téléphone : Comment imaginer que je puisse ne pas les recevoir ? Ils m'apportaient des vœux et des fleurs. Je les ai écoutés. Je leur ai dit que c'était à l'entreprise et au gouvernement de régler leur problème.
Vendredi 2 janvier 1987
Les forces tchadiennes reprennent à la Libye la palmeraie de Fada, dans le nord-est du Tchad.
Pour défendre le franc, la Banque de France fait passer son taux d'intervention de 7,25 à 8 %. La crise sociale menace de conduire à une dévaluation.
Jack Lang propose au Président la création d'un Conseil des « sages » pour contrôler la télévision. Sa composition devrait refléter l'ensemble des familles de pensée. Gardien du pluralisme en matière d'information, il serait assisté d'un véritable observatoire du pluralisme. Il publierait un rapport mensuel. Par ailleurs, une commission juridique placée auprès du Conseil des « sages » préparerait les recours devant la CNCL et le Conseil d'État et mettrait au point une véritable stratégie juridictionnelle. Cette commission aurait aussi pour mission de contrôler les conditions de la privatisation des chaînes de télévision (évaluation du prix, choix des bénéficiaires, cahier des charges...). Dans chaque région, Jack Lang suggère aussi de créer un observatoire du pluralisme. Il prône appel à l'opinion internationale, recours devant la Commission européenne des droits de l'homme, appel aux journalistes des autres pays (BBC, RAI...) pour soutenir l'indépendance des rédactions de la télévision et de la radio françaises, et recommande l'organisation de manifestations d'intellectuels et de journalistes, voire un éventuel boycott de toute chaîne qui violerait l'impératif du pluralisme.
Samedi 3 janvier 1987
Une lettre de Jacques Chirac parvient à l'Élysée à 16 heures. Il proteste contre les marques de soutien du Chef de l'État et de son entourage à ceux qui s'opposent au gouvernement. Il menace : en cas de réédition de tels « signes », il aurait à regretter publiquement que les conditions de fonctionnement des pouvoirs publics soient ainsi, à son avis, compromises ou compliquées.
Nous transmettons cette lettre au Président, qui dit : C'est un texte plutôt puéril, faisant preuve d'un certain manque de maîtrise. Je n'y répondrai pas.
De Latché, François Mitterrand a plusieurs conversations téléphoniques avec le Premier ministre à propos du Tchad. C'est toujours le même scénario : dans un premier temps, Jacques Chirac développe les arguments d'André Giraud, partisan de l'action ; puis il écoute l'avis du Président et finit immanquablement par conclure d'un ton aimable : Vous avez raison ; aller plus au Nord, ce serait tomber dans un piège à cons.
Dimanche 4 janvier 1987
Bombardement de deux villes tchadiennes, Arada et Oum Chalouba, au sud du 16e parallèle, par l'aviation libyenne.
La Libye reconnaît avoir franchi le 16e parallèle. Le colonel Kadhafi affirme : Si les forces libyennes ont dû franchir le 16e parallèle, c'est un acte exceptionnel de riposte qui ne se reproduira plus, sauf en cas de nouvelle agression. Il demande à la France de ne pas intervenir dans la guerre du Tchad, de laisser les Tchadiens décider de leur propre sort.
Il connaît pourtant depuis longtemps cette limite fixée au 16e parallèle. Il sait à quelle réaction il s'expose de notre part en tentant de la franchir.
Lundi 5 janvier 1987
Début des inévitables présentations de vœux. Harassant, comme chaque année : dix-neuf cérémonies en trois jours !
Premier sur la liste, Jacques Chirac présente les vœux du gouvernement avec un petit sourire qui masque son trac. Il s'en va très vite ensuite. Le Président s'étonne : Vous nous quittez déjà, monsieur le Premier ministre ?
Jacques Chirac : Oui, mon géné... heu... oui, monsieur le Président. Fair-play, il éclate de rire à son propre lapsus, que le Président feint de ne pas avoir entendu. François Mitterrand me dira ensuite : Vraiment ? Il a dit ça ? Vous l'avez tous entendu ? Comme c'est curieux...
En fin de soirée, les Américains confirment à l'état-major, à Paris, que le radar moyenne distance (Flat-Face) mis en place par les Libyens à Ouadidoum est toujours en fonctionnement (renseignement obtenu grâce à un satellite d'écoute électromagnétique). On décide de le détruire. Accord complet de l'Élysée et de Matignon.
Mardi 6 janvier 1987
Contre-attaque des forces gouvernementales au Tchad. Une colonne libyenne est attaquée et défaite dans le Tibesti par les FANT (Forces armées nationales tchadiennes).
Sur Europe 1, Jacques Chirac dénonce la politisation des grèves par la CGT communiste. Il affirme que le gouvernement ne cédera pas aux revendications en matière de salaires, pour ne pas entraîner une relance de l'inflation.
Interrogé sur le « soutien » du Président aux grévistes, le Premier ministre répond : Je ne pense pas que le Président de la République ait pour vocation, pour intention de soutenir le gouvernement. J'ai plutôt globalement une impression contraire. Mais, quand il dit que l'inflation est un facteur de désordre, il dit quelque chose de vrai.
Sur les otages : J'ai essayé d'apporter une petite contribution à la solution de ce problème avant même d'être au gouvernement. Nul ne lui demande quoi ni à quel titre.
Le mark atteint à Paris son cours plafond. La Banque de France cesse de soutenir le franc. Édouard Balladur affirme pourtant : Le franc ne sera pas dévalué. Il n'y a pas de crise du franc, il y a une crise du mark.
Le Président, ayant entendu Jacques Chirac à la radio, décide de lui répondre. Il rappelle que, sur ce sujet, il n'a pas de leçon à recevoir. Lors de ses derniers voeux à la télévision, il a désigné la lutte contre la hausse des prix comme une grande cause nationale, mais, soutient-il, elle n'interdit pas de promouvoir la justice sociale, inséparable de toute politique économique.
François Mitterrand me confie : Par égard pour sa fonction et pour la mienne, je me refuserai à toute polémique. Cela peut me rendre impopulaire. Tant pis. Tous les grands hommes d'État sont impopulaires. Richelieu aurait pris un gadin dans les sondages. Mazarin aussi, avec son accent italien. Quant à Bonaparte, on ne comprenait rien à ce qu'il disait, ni en Italie, ni en France...
Mercredi 7 janvier 1987
Deux Jaguar français doivent attaquer ce matin les radars d'Ouadidoum. A 8 heures (heure de Paris), les appareils sont en position de tir à 30 kilomètres d'Ouadidoum, à 3 000 mètres d'altitude. Malheureusement, les radars libyens restent muets. Impossible de tirer nos missiles, faute d'échos-radar. Il faut reporter l'opération. Aucun incident n'est à déplorer. Les avions rentrent sans encombres à N'Djamena.
Au cours de leur entretien avant le Conseil, le Président dit à Jacques Chirac : Si vous ne rendez pas publique votre lettre, je ne le ferai pas pour la mienne. Le Premier ministre répond qu'il vaut mieux, pour l'instant, que cet échange demeure privé.
Ivan Barbot, préfet du Var, remplace Pierre Verbrugghe à la tête de la Police nationale. Verbrugghe ira à la Cour des comptes.
Au Conseil, intervention d'André Giraud à propos du Tchad : On assiste à la reconquête de la partie nord du pays par le gouvernement légitime du Tchad. Hissène Habré a remporté à Fada une victoire retentissante. Il avait préparé son coup de longue date. Il a pu aligner 3 000 hommes, contre environ 1200 soldats libyens. Le fait que les Libyens aient lâché à la sauvette quelques bombes sur une ville déserte du Sud n'est pas très important. Mais il faut surtout éviter de tomber dans le piège libyen qui voudrait faire apparaître ce conflit comme une guerre entre la France et la malheureuse petite Libye. D'où la prudence manifestée dans le choix des mesures de rétorsion militaires. Puis, se tournant vers eux : Monsieur le Président, monsieur le Premier ministre, est-ce que cette présentation de notre position correspond à ce que vous pensez ?
François Mitterrand propose à Jacques Chirac de parler ; celui-ci décline d'un geste. Ce que vient de déclarer Giraud est ce que le Président leur a dit lui-même il y a deux jours.
Le Président : Je n'ai pas d'observation. Mais il n'y a pas que le gouvernement libyen qui souhaite attirer la France au nord du Tchad. Nous devons apprécier où se trouve l'intérêt maximal pour le Tchad, que nous défendons puissamment, et pour nous-mêmes. Nos instruments de mesure sont assez bien ajustés. On doit naturellement pouvoir riposter aussi coup sur coup. J'ai eu des conversations assez nombreuses avec le Premier ministre et le ministre de la Défense à ce sujet.
L'attaque contre le radar d'Ouadidoum est relancée, cette fois avec succès. Le radar est atteint à 14 heures.
Le Président accepte la demande de Hissène Habré d'envoyer un Transall à Fada pour évacuer une dizaine de blessés graves.
L'élection de Michel Camdessus au FMI semble acquise. Jacques de Larosière ira à la Banque de France dès la semaine prochaine.
Jeudi 8 janvier 1987
La spéculation s'accélère en faveur du mark. Si cela continue, la dévaluation deviendra vite inévitable, peut-être même aura-t-elle lieu dès la fin de cette semaine. Le Président verra Edouard Balladur demain après-midi.
A 18 heures, le Premier ministre fait passer au Président le projet d'une lettre qu'il souhaite adresser à Hissène Habré, lui annonçant l'envoi en mission du général Saulnier. La lettre sera signée par le Président.
Le Président : Le Premier ministre devrait comprendre que la SNCF, c'est lui, et l'Armée, c'est moi. Définition un peu rapide de la cohabitation...
Je m'entretiens, avec un ami de retour d'URSS, des bouleversements en cours là-bas. Andreï Sakharov a retrouvé la liberté, y compris de parole. Martchouk, connu comme libéral, vient d'être nommé à la tête de l'Académie des Sciences. Une génération nouvelle — celle de l'après-guerre — accède au pouvoir, plus consciente que l'ancienne des problèmes économiques brûlants qui entravent leur pays. Les Occidentaux devraient être davantage conscients des progrès gigantesques que Gorbatchev vient de faire accomplir à cette société figée: moralisation, transparence, ouverture culturelle, droits de l'homme et, surtout, pour la première fois, une avancée vers le désarmement. Il faudrait l'aider.
D'autant qu'il est lui-même soumis à de fortes influences contraires. L'assainissement du mode de fonctionnement du PCUS se heurte évidemment à la résistance de la nomenklatura ; l'ouverture vers l'Occident effraie l'ancienne génération, toujours puissante ; parler de désarmement affole l'armée. Le réveil des nationalismes, qui accompagne le retour à une relative liberté d'expression, peut aussi tout bloquer. Gorbatchev a beaucoup de monde contre lui : la bureaucratie, une grande partie de l'armée et même la population, trop désenchantée pour se risquer à y croire. Si l'Ouest ne le soutient pas — notamment en l'aidant économiquement —, cela se terminera très mal.
Vendredi 9 janvier 1987
Le Président reçoit Taleb Ibrahimi, ministre algérien des Affaires étrangères, venu lui parler du Tchad, du Sahara et de l'affaire Malik Oussekine :
Taleb Ibrahimi : Le Président Chadli m'a chargé de vous parler de deux dossiers internationaux. Le Tchad, tout d'abord. La position de l'Algérie n'a pas changé. Le conflit doit se régler entre Tchadiens, sur la base de l'intégrité territoriale. La solution passe par un retrait de toutes les troupes étrangères, africaines ou extra-africaines. Nous n'avons cessé d'essayer de convaincre les dirigeants libyens que tel était leur intérêt. Je viens de voir Sassou N'Guesso, le Président congolais. En se comportant ainsi, la Libye perd ses derniers amis en Afrique. Elle est de plus en plus isolée. Les Africains sont convaincus que si la rencontre de Brazzaville a échoué, c'est en raison de la position libyenne. J'ai eu beaucoup d'entretiens téléphoniques avec le Premier ministre français. Notre souhait est de voir privilégier le dialogue sur l'affrontement. Nous tâchons d'en persuader la Libye. Pour ce qui est de la bande d'Aouzou, il existe une sorte d'unanimité pour occulter ce problème afin de permettre à Kadhafi de ne pas perdre la face.
Le Président : Je ne vois pas pourquoi la France serait investie de la mission sacrée de s'enfoncer dans un immense désert montagneux peu peuplé, dépourvu de ressources. Nous ne sommes pas faits pour nous engager dans une guérilla qui apparaîtrait comme une guerre coloniale. Lors de l'accord entre Cheysson et Triki en 1984, rendez-vous avait été pris en Crète avec Kadhafi pour sanctionner cet accord. Huit jours avant d'y aller, je constate que les troupes libyennes sont revenues. C'était déloyal. Il a manqué à sa parole. Au lieu de dire à Kadhafi : « Bravo, nous avons fait la paix ! », je lui ai dit : « Si vous touchez au 16` parallèle, ce sera la guerre. » J'ai dû renvoyer un peu d'armée. De sa part, envoyer six bombes dans le sable, la semaine dernière, était ridicule. Il s'est agi d'une petite opération de propagande. Nous avons, en guise de représailles, détruit le radar d'Ouadidoum. Nous étions obligés de le faire. A l'origine de tout ça, il y a le manquement à la parole donnée. Cela dit, ce n'est pas à moi de régler un problème africain. L'unité des États africains repose sur le respect des frontières originelles. Les remettre en cause, c'est remettre en cause toutes les unités nationales africaines. Regardez la Côte-d'Ivoire : trois cents dialectes ! Ce n'est pas la peine de réveiller ça, de légitimer de futures révoltes...
Taleb Ibrahimi : Tout à fait d'accord. Kadhafi est très imprévisible. Le premier froid entre lui et nous est venu de cette question de l'intangibilité des frontières. Les pères fondateurs de l'OUA ont fait preuve d'une grande sagesse en inscrivant ce principe dans la charte de l'organisation.
Le Président : Il y a, sur ce point, similitude d'intérêts entre Hassan II et Kadhafi : ils ne tiennent pas compte de ce principe du droit international.
Taleb Ibrahimi : Mon deuxième point concerne le Sahara. Le Président Chadli tient à vous faire part de la disponibilité de l'Algérie à participer à quelque rencontre que ce soit. M. Perez de Cuellar a tenu deux rounds de négociations indirectes. Il vient à Alger fin janvier. Le Roi du Maroc a demandé à Jacques Chirac d'insister auprès de vous pour qu'ait lieu une rencontre entre Chadli et lui. Mais sur quelles bases ?
Le Président : Un Sommet ?... Il faut être sûr qu'il réussisse.
Taleb Ibrahimi : C'est exactement notre position. Après la rencontre d'Ifrane [entre Hassan II et Shimon Pérès], l'opinion algérienne pourrait difficilement le comprendre. Mais nous sommes d'accord sur l'idée d'une rencontre entre le Roi et moi-même dans les prochaines semaines. L'idée du Maghreb demeure très puissante. Vous savez que Chadli a vu le Roi en 1983. Je l'ai moi-même rencontré en 1985. Dernièrement, Hassan II a vu le ministre tunisien des Affaires étrangères. Il lui aurait dit : « J'accepte l'exécutif et le législatif pour les Sahraoui. Mais la diplomatie, c'est trop. Cette nouvelle entité ne saurait avoir d'ambassades. » Nous allons travailler sur cette base.
Le Président : Nous vous sommes reconnaissants de vos bons offices discrets sur certaines questions de personnes...
Taleb Ibrahimi : Sur le plan bilatéral, nous sommes préoccupés par la recrudescence d'actes de racisme contre la communauté algérienne. Mais nous sommes touchés par la manière dont vous-même avez abordé le problème, par les gestes dont vous avez pris l'initiative à l'égard de la famille Oussekine. Le Président Chadli y a été très sensible.
Le Président : Je ne pouvais pas accepter cela sans réagir. J'ai tenu à marquer mes distances à l'égard du gouvernement... J'ai rencontré, en allant les voir, des gens d'une qualité remarquable...
Taleb Ibrahimi : Sur le plan commercial, nous sommes revenus à un déficit considérable, de l'ordre de 3 milliards. M. Balladur vient à Alger au début de février. A cette occasion, nous allons effacer de la liste des contentieux la question des biens immobiliers français. Nous reparlerons du problème du gaz. Il faut chercher un équilibre par le haut, en utilisant le gaz.
Le Président: Dites au Président Chadli que je serais heureux de venir déjeuner avec lui. Nous allons chercher une date après le 15 février.
Le Président relève deux contradictions dans l'intervention de Raymond Barre à L'Heure de vérité, le 7 janvier. D'abord, une mauvaise interprétation du Lièvre et la Tortue, puisque, dans la fable, c'est la tortue qui part la première. Ensuite, le fait que Raymond Barre se reconnaisse le droit de recevoir les grévistes en tant que député, mais dénie ce même droit au Président : Moi, je suis député de toute la France, estime François Mitterrand.
Le Président confie aux permanenciers de l'AFP à l'Élysée, deux professionnels impeccables : Je ne veux pas précipiter les événements et je n'ai pas encore pris ma décision. Mais si l'élection avait lieu aujourd'hui et si j'étais candidat, je serais élu les doigts dans le nez !
Jacques Delors me téléphone de Bruxelles pour me prévenir de la demande allemande d'une réunion des ministres des Finances, ce week-end, en vue d'une réévaluation du mark, mais qui ne serait pas supérieure à 3 %. Édouard Balladur se trouve alors dans le bureau du Président. J'informe ce dernier, qui prévient le ministre d'État. Édouard Balladur dit qu'il ne veut pas d'une dévaluation du franc, mais laisse entendre que le Premier ministre pourrait être tenté par une sortie du SME.
Devant le risque de voir détruire la construction européenne, et pour éviter que, durant la négociation, Chirac oblige Balladur à sortir du SME, le Président écrit au Premier ministre pour demander que tout soit rapidement fait pour qu'une discussion s'engage, dans la clarté, avec les partenaires sociaux, notamment sur tout ce qui touche à la dignité des travailleurs en grève et à leurs conditions de travail. A propos du réaménagement monétaire, il confirme qu'il approuve la position prise par Jacques Chirac comme par les précédents Premiers ministres, consistant à exclure toute sortie du franc du système monétaire européen.
Samedi 10 janvier 1987
Maurice Ulrich appelle Michèle Gendreau-Massaloux pour s'inquiéter d'une éventuelle publication de la lettre que le Président vient de faire porter au Premier ministre sur la dévaluation. Michèle Gendreau-Massaloux le rassure.
Dimanche 11 janvier 1987
Réunion des Douze ministres des Finances, qui parviennent à un accord dans la nuit. Le mark et le florin néerlandais sont réévalués de 3 %, et le franc belgo-luxembourgeois de 2 %. Le franc français ne bouge pas. C'est la moins mauvaise solution pour nous, même si la réévaluation du mark est trop faible pour être sérieuse.
Lundi 12 janvier 1987
A l'appel de Jacques Toubon, manifestation d'usagers de la RATP mécontents au Palais-Royal : 15 000 personnes. Très chic.
Fin de la grève à la SNCF.
Gérard Longuet réduit le programme de câblage prévu en 1982.
La réévaluation du mark est mal reçue par le marché. Elle est jugée insuffisante.
Je vois Edouard Balladur à propos du prochain Sommet des Sept. Toujours précis, efficace, soucieux de discuter du fond, d'apprendre et d'informer le Président.
Denis Baudouin joint Michèle Gendreau-Massaloux pour lui faire part de l'émotion de Jacques et Bernadette Chirac à la suite d'un écho paru dans Le Journal du dimanche selon lequel Bernadette Chirac aurait évoqué l'amertume de Danielle Mitterrand en disant : Je la plains... J'en fais part au Président, qui me dit : Chirac m'a appelé lui-même pour me dire combien il était ennuyé.
Mardi 13 janvier 1987
Un chiite libanais, Mohamed Hamadé, est arrêté avec une valise d'explosifs à l'aéroport de Francfort. Il est recherché pour le détournement du Boeing de la TWA à Athènes en 1985.
Au Liban, enlèvement du journaliste Roger Auque.
A Rome, Jean-Paul II reçoit Jaruzelski.
Le Président reçoit le général Saulnier, de retour du Tchad. Il accepte que des Transall puissent atterrir au nord du 16e parallèle pour constituer une base logistique destinée à alimenter les éléments qui soutiennent la guérilla autour de Zouar et de Bardaï.
Mercredi 14 janvier 1987
Recevant le Premier ministre, le Président l'interroge à propos du Conseil national des universités, dont la création est prévue au Conseil des ministres d'aujourd'hui : Êtes-vous sûr qu'il n'y a pas de piège ? J'ai appris à recommander aux Premiers ministres à toucher à ces matières avec la plus grande prudence.
Au Conseil, après l'exposé de René Monory, Le Président intervient sur le même sujet : Vous savez que c'est une affaire inflammable. On avait déjà pu le constater avec votre lointain prédécesseur, M. Savary. Il faut examiner l'affaire dans tous ses recoins.
René Monory : J'espère l'avoir fait, monsieur le Président.
Edouard Balladur annonce la nomination de Jacques de Larosière comme gouverneur de la Banque de France à la place de Michel Camdessus : Cela ne doit pas être rendu public tout de suite, en raison du mouvement au FMI. Jacques Chirac intervient à son tour pour insister sur la nécessité du secret.
Le Président : Je veux bien, mais j'ai entendu toutes les radios l'annoncer ce matin [rires]. C'est un fonctionnaire remarquable et un excellent choix...
Edouard Balladur propose la nomination de M. Cahart à la direction des Monnaies et Médailles : C'est un homme de culture remarquable, qui a écrit de très bons romans, un spécialiste des religions proche-orientales...
Le Président : J'espère qu'il sera capable surtout d'examiner de près le modèle des pièces [sourires de l'assistance].
François Léotard propose des nomiriations dans l'audiovisuel : Janine Langlois-Gandier à la présidence de l'INA ; Jacques Pomonti comme directeur délégué à la SOFIRAD.
Le Conseil entend ensuite un exposé très terne de Jean-Bernard Raimond sur la politique étrangère. Camille Cabana évoque la simplification administrative : considérations habituelles, mais aucune mesure originale. Jacques Chirac avait réuni dix-neuf ministres sur ce sujet, mais la montagne a accouché d'une souris...
Édouard Balladur lit un exposé emphatique sur le réaménagement monétaire. Selon lui, tout va très bien. L'économie française va même mieux que l'économie allemande, puisque la masse monétaire croît moins vite chez nous et que les coûts unitaires de production évoluent au même rythme. Il fait part de ses inquiétudes à la suite des propos de Karl Otto Pôhl, gouverneur de la Bundesbank, qui a déclaré que la Banque centrale allemande pourrait ne plus intervenir sur les marchés à l'avenir. Édouard Balladur conclut : Cela me conduit à réfléchir de façon plus longue et approfondie sur le statut de la Banque de France. Autrement dit, son indépendance n'est pas pour demain...
Le Président reçoit Silvio Berlusconi. Nul ne sait ce qu'ils se disent.
Jeudi 15 janvier 1987
Si l'on en croit les rumeurs, l'ambiance dans la majorité est tendue. Jacques Chirac semble convaincu que rien ne lui réussit, que tout se ligue contre lui. Toujours pas de remplaçant d'Alain Devaquet comme ministre délégué à l'Enseignement supérieur et à la Recherche.
Albin Chalandon annonce un réexamen et une consultation à propos du Code de la nationalité. Le Président commente : Ils n'épargneront rien !
François Mitterrand se rend à Londres où il prononce un discours devant le Royal Institute for International Affairs. Il y affirme l'importance du renforcement de la coordination en matière de défense. Il se dit favorable à l'idée d'une Présidence communautaire permanente.
Ronald Reagan souhaite conclure son mandat par un accord avec l'URSS de nature à le camper en « homme de paix », mais pas au prix de concessions sur l'IDS.
On nous rapporte que René Monory aurait déclaré à des journalistes, à propos des sondages donnant François Mitterrand réélu en 1988 : Il aura soixante-dix-neuf ans en 1995... Le Président hausse les épaules : Ce bon M. Monory n'a vraiment pas le sens de la communication. Il aurait dû dire : François Mitterrand aura 100 ans en 2016...
Vendredi 16 janvier 1987
Déjeuner avec François Bujon de l'Estang. Il se montre très conciliant : J'en ai assez d'être présenté comme un dur. Moi, je veux que la cohabitation marche. C'est vrai, au début, nous n'avons pas été corrects : mais Chirac pensait que cela ne durerait pas et il voulait être en position de force dans la crise. Il est très choquant que les messages diplomatiques confidentiels ne soient pas adressés à l'Elysée. Je ne pense pas que ce soit le fait de Jean-Bernard Raimond. C'est sùrement son directeur de cabinet, M. Desmarest...
Samedi 17 janvier 1987
Je pars pour deux jours à Jérusalem à l'invitation de Shimon Pérès. Le ministre des Affaires étrangères israélien me fait rencontrer plusieurs ministres (Finances, Immigration), le responsable de l'analyse stratégique de l'armée, l'administrateur des territoires occupés, les principaux économistes et les dirigeants du Parti travailliste. Pour Shimon Pérès, la négociation actuelle constitue la dernière chance de paix avec le Roi Hussein. Il rêve d'organiser une conférence internationale où siégeraient les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, Israël, le Maroc, l'Égypte et la Jordanie. Pour y parvenir, il y a deux problèmes très difficiles à régler : celui de la participation de l'URSS et celui du statut des Palestiniens dans la délégation jordanienne.
Si la négociation avec Hussein réussit, il proposera à la Jordanie un grand projet économique : un canal Eilat-Akaba-mer Morte. Si la négociation échoue — Pérès pense que c'est très probable —, il tentera une stratégie plus directe avec les Palestiniens, en essayant de susciter une élite, dans les territoires occupés, avec laquelle appliquer quelque chose comme le statut d'autonomie prévu à Camp David.
Sur l'Irangate, Shimon Pérès se sent très tranquille : Tout sera publié et on verra que les Israéliens n'ont joué aucun rôle, sinon passif. Mais nous ne répondrons pas, pour ne pas nuire aux Américains.
Il est très inquiet de la prise éventuelle de Bassora par les Iraniens. L'insécurité dans les territoires occupés et la Vieille Ville devient considérable. L'Iran constitue désormais une réelle menace militaire. (Montazeri, dit-il, est le seul à avoir le fil avec les otages.)
Sur le plan interne, le gouvernement d'Union nationale est stable et nul n'a les moyens de provoquer une crise. Pour les prochaines élections, Pérès songe à proposer de mobiliser les énergies du pays autour de la mise en valeur du Néguev.
Israël est en bien meilleure position qu'il y a quelques mois : le pays n'a plus de complexe de culpabilité. Le gouvernement, du fait de sa stabilité, peut prendre des initiatives de paix. Aucun pays arabe n'a les moyens d'être militairement menaçant. Pour autant, à terme, des nuages s'amoncellent et la crise sociale s'accélère (grève dans les hôpitaux...). Le Parti travailliste traverse une crise d'identité, il n'a pas de programme et on ne voit émerger de ses rangs aucun jeune dirigeant de qualité. Surtout prévaut le sentiment que l'Union nationale sert davantage la droite, même si Shimon Pérès est l'homme politique le plus populaire du pays, ce qui est nouveau pour lui.
Lundi 19 janvier 1987
Nous recevons de plus en plus irrégulièrement les feuilles de change indiquant les interventions quotidiennes de la Banque de France sur les marchés.
Alain Devaquet n'est toujours pas remplacé. Un remaniement ministériel s'annonce. Il semble poser quelques problèmes : Maurice Ulrich devait en parler en début d'après-midi à Renaud Denoix de Saint Marc. Il ne l'a pas fait.
Régis Debray revient d'un colloque en Inde où il a rencontré Raymond Barre et Simone Veil : virulents contre le gouvernement, très corrects à l'égard du Président.
Privatisation de Paribas : ouverture de la souscription.
Jean-Louis Bianco reçoit longuement Jean-François Deniau, qui rentre du Liban. Comme toujours, le point de vue libre et lucide d'un homme de courage et de sagesse : Beaucoup de Libanais, en particulier à Beyrouth, souffrent de la faim. La France et la Communauté pourraient prendre l'initiative d'une aide alimentaire d'urgence. Il aurait été bien d'essayer d'étendre, au moins par un accord tacite, le mandat de la FINUL à la zone de Jezzine, pour montrer qu'elle peut efficacement protéger une zone multiconfessionnelle où il n'y a pas de graves problèmes. Un des éléments de l'influence de la Syrie au Liban est le contrôle qu'elle exerce sur la drogue [culture du pavot]. En ce qui concerne les otages, la seule solution serait le silence. La France ne devrait pas apparaître comme demandeuse. Elle devrait au contraire fixer à l'Iran et à la Syrie, de manière non publique, des délais limites pour la libération des otages, au-delà desquels elle reconsidérerait sa politique à l'égard de la Syrie, en montrant que celle-ci n'est pas un État respectable. Le Quai d'Orsay a la preuve que les Syriens ont commandité la tentative d'attentat dont j'ai été victime au cours d'un vol en hélicoptère avec une délégation du Parlement français. A l'égard de l'Iran, il faut refuser de payer les sommes dues pour Eurodif. Hussein Moussawi travaille pour la Syrie et l'Iran. De la même manière, la famille Abdallah travaille pour la Syrie et pour l'Algérie.
Le numéro un afghan actuel est un « dur » formé par le KGB et spécialiste des divisions tribales. Il ne faut pas oublier que, lors de l'invasion de l'Afghanistan, une dépêche Tass a fait état d'un objectif d'annexion. Au-delà de l'Afghanistan, ce que vise l'URSS, c'est la déstabilisation du Pakistan. La hiérarchie des objectifs de l'URSS en Afghanistan est la suivante : d'abord l'annexion ; comme celle-ci n'est manifestement pas possible aujourd'hui, elle viserait plutôt un statut comme celui de la Mongolie-Extérieure ou, à défaut, comme celui de la Finlande. Si l'Occident joue bien, on peut sans doute aller un cran en-deçà et obtenir un statut de type autrichien. Un élément susceptible de peser sur l'Union soviétique serait que certains pays occidentaux accordent à la résistance afghane un statut analogue à celui de l'OLP. Les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suède y seraient peut-être prêts si on leur disait qu'il n'y a pas d'obstacle.
On néglige beaucoup trop les conflits régionaux: Cambodge, Afghanistan, Afrique australe, Éthiopie... En Afrique australe, l'émergence de régimes modérés capables d'une certaine réussite économique, en Angola et au Mozambique, pourrait contribuer à faire évoluer l'Afrique du Sud. Rien de pire pour elle que d'avoir à sa porte des Africains noirs qui réussissent.
Dans un article très bien documenté, Le Matin décrit comment Jacques Chirac aurait fait échouer, avant mars 1986, les négociations de libération des otages. Le journal publie le télégramme qu'Éric Rouleau a envoyé au Quai à cette occasion. Chirac est furieux : il fait démentir par Matignon.
Mardi 20 janvier 1987
Sur l'affaire du « vrai-faux » passeport, Charles Pasqua se retranche derrière le secret défense.
Le juge d'instruction Michau, chargé de l'affaire Carrefour du Développement, transmet le dossier Nucci au Parquet.
Toujours pas de remplaçant d'Alain Devaquet !
Séminaire gouvernemental à Matignon. 2 574 000 chômeurs.
Le Président : Jacques Chirac s'occupe toujours de l'immédiat, il saute tout de suite sur ce qui brille... Il a un tonus formidable !
Jean-Louis Bianco reçoit un coup de téléphone de Maurice Ulrich : A la demande de Jean-Bernard Raimond, le Premier ministre a décidé de faire recevoir M. Ahani, le chargé de mission iranien venu à Paris, par moi.
Le Premier ministre appelle le Président à ce sujet.
Le Conseil des ministres dissout le Mouvement corse pour l'autodétermination, vitrine légale du FLNC.
Le Premier ministre parle de Saint-Pierre-et-Miquelon, dont il revient : Tout va bien, sauf la pêche...
Le Président : Il est difficile de dissocier le droit et le fait. En droit, il est indiscutable que le Canada a tort. En fait, il est incontestable que nos pêcheurs ne remplissent pas toujours leurs obligations.
Incroyable récit ! Maurice Ulrich a donc reçu l'envoyé de Téhéran, M. Ahani : trois quarts d'heure de conversation sans intérêt. Il ne voulait transmettre le message dont il était chargé qu'au seul Premier ministre. Il voulait un tête-à-tête avec Jacques Chirac. Et Jacques Chirac a fini par accepter : il a reçu l'Iranien seul, en tête à tête !
Ulrich vient raconter ce qu'il en sait à Bianco. Ahani aurait formulé oralement à Chirac quatre propositions : on reprend les négociations financières amorcées par Jean-Claude Trichet, avec la volonté de conclure un accord ; quarante-huit heures après la conclusion de cet accord, la France rembourse l'Iran ; la France libère Naccache ; après, tous les otages français au Liban sont libérés. Réponse du Premier ministre : Ce n'est absolument pas acceptable pour la France. On peut envisager: une reprise des négociations financières ; un échange parallèle Naccache/otages français...
Jean-Louis Bianco interrompt Maurice Ulrich : Échange n'est pas le mot correct. La libération de Naccache ne peut qu'être une mesure humanitaire décidée par le Président, pas l'objet d'un échange.
Maurice Ulrich se reprend : Je suis sûr que le Premier ministre a bien expliqué à son interlocuteur iranien ce qu'il en est, et lui a précisé que le gouvernement serait prêt à proposer au Président une mesure de grâce au cas où... Troisième point, a ajouté Jacques Chirac : un échange d'ambassadeurs entre la France et l'Iran, si les deux premiers points sont remplis. L'émissaire iranien n'a fait aucun commentaire sur cette contre-proposition.
Incroyable imprudence ou insigne courage : le Premier ministre a négocié seul, dans son bureau, la libération des otages !
De retour du Conseil d'État où il a présidé une cérémonie, le Président me dit : C'est vrai qu'ils sont bien, les gens du Conseil d'État. S'il n'y avait pas eu la guerre, j'aurais voulu être conseiller d'État. Il poursuit : J'ai été ministre pour la première fois il y a quarante ans... Et puis, pendant vingt-quatre ans, je n'ai pas été au gouvernement, je n'ai pas remis les pieds dans un palais officiel. Alors, quand on me taxe d'opportunisme... Si j'ai été ministre sept ans et demi, cela ne peut évidemment être dû qu'à mon habileté!
Le remaniement est décidé. Jacques Valade devient ministre délégué à la Recherche et à l'Enseignement supérieur. Jean Arthuis devient secrétaire d'État à la Consommation et à la Concurrence.
Le juge Michau fait placer le commissaire Delebois sous contrôle judiciaire : il a reçu du Parquet l'ordre de ne pas l'incarcérer !
Le Président écrit à Charles Pasqua à propos de l'invocation du secret défense dans l'affaire du « vrai-faux » passeport délivré à Yves Chalier par la DST. Il souhaite marquer un coup : ou Pasqua ne lui donne aucune information, et cela lui permet ultérieurement d'en faire état ; ou Pasqua répond, et cela peut lui permettre de répliquer que la conception qu'a le ministre du secret défense n'est pas fondée.
La Lettre de la Nation relance la polémique à propos des otages : Qui pourrait faire griefJacques Chirac d'avoir], avant le 16 mars 1986, multiplié ses efforts pour parvenir à leur libération ? D'ailleurs, ajoute le rédacteur RPR, les Iraniens jugeaient sûrement plus crédibles les responsables de l'opposition d'alors que les membres du gouvernement Fabius. Curieux démenti en forme d'aveu...
Jeudi 22 janvier 1987
Shimon Pérès est à Paris. Il s'inquiète d'une éventuelle débâcle iranienne face à l'Irak : Khomeyni est atteint d'un cancer. Il en a pour moins de deux ans. Il est paralysé des pieds. Deux successeurs possibles : Montazeri, le dur, ou Rafsandjani, l'opportuniste.
François Mitterrand : Personne ne veut bouger et rien ne se passera.
Sur le rôle de l'OLP dans l'affaire des otages : un Palestinien important me dit que Yasser Arafat et Abou Iyad ont contribué à la libération d'Aurel Cornea. En utilisant les antagonismes entre Amal et le Hezbollah, Arafat a réussi à reprendre pied au Liban en obtenant la neutralité des divers groupes armés à son égard. Grâce aux ressources financières de l'OLP, il serait parvenu à influencer certains groupes proches des ravisseurs. Mon interlocuteur suggère d'encourager Yasser Arafat à poursuivre son action en faveur de nos otages, d'autant plus qu'il ne réclame rien en échange. Une bonne façon de l'y inciter serait de demander au Président Abdou Diouf, avec qui Arafat est très lié et en qui il a grande confiance, de lui dire, à l'occasion du Sommet islamique qui doit se réunir à Koweït à partir du 26 janvier, que le Président et le gouvernement français le remercient de ce qu'il a déjà fait et lui seraient reconnaissants de poursuivre ses efforts.
Jacques Delors est à Paris. Il fait une tournée des capitales pour présenter son programme de réforme de la Communauté. Il soumettra ses conclusions à la Commission le 15 février, et au Parlement européen le 18. Pour assurer la cohésion de la Communauté, prévue par l'Acte unique, Delors propose le doublement des crédits affectés aux fonds structurels, en les concentrant sur les régions prioritaires. En quatre ans, de 1988 à 1992, 60 milliards d'écus y seraient affectés. Mais la part de l'agriculture dans le budget diminuerait de 65 à 50 %, tandis que les mécanismes de soutien aux prix — souvent dénoncés comme absurdes — laisseraient progressivement la place à l'aide directe aux petits agriculteurs.
Il demeure un énorme problème : le déficit budgétaire prévisible évalué à 4 milliards d'écus. Jacques Delors propose donc d'affecter un pourcentage du PIB aux ressources propres (jusqu'ici plafonnées par un taux de TVA).
Jacques Chirac est violemment contre le plan Delors. Et il a déjà affirmé être sur la même longueur d'ondes, en la matière, que Londres et Bonn. Ses collaborateurs prétendent que Delors ne recueillera que le soutien des nouveaux adhérents et des pays du Sud.
Delors dîne avec Chirac. Un des participants me raconte par le menu cette rencontre et les propos échangés. Le Premier ministre est ferme, brutal. La discussion est quelquefois très vive. Jacques Chirac parle d'abord des programmes intégrés méditerranéens (PIM), subventions de Bruxelles aux régions du sud de l'Europe : Les Conseils régionaux menacent de ne pas signer les PIM si la Commission ne débloque pas des crédits supplémentaires.
Jacques Delors : J'ai refusé catégoriquement. On n'est pas au bazar d'Istanbul !
Jacques Chirac : Pour l'implantation de l'Office des marques, Strasbourg était candidate. La Commission n'a pas retenu Strasbourg dans la première liste des quatre noms qui ont été sélectionnés. Cela me met dans une situation épouvantable ! On dit que c'est ma faute... comme tout ce qui arrive en ce moment. Même le froid, c'est ma faute !
Jacques Delors, sur la PAC : Il ne faut plus produire d'excédents. Il faut diminuer les stocks, pratiquer une politique de prix plus sélective, et aider les petits producteurs. Je suis le seul à penser aux petits producteurs, car personne ne les soutient à la Commission. Mais il faut quand même faire quelque chose pour réduire les déficits, et il est essentiel de protéger les restitutions.
Jacques Chirac : Il n'y a aucune raison de se culpabiliser. Nous sommes engagés dans un processus de réforme difficile. La PAC est un pilier essentiel de la construction de l'Europe. Ce n'est pas la peine de faire l'Europe si l'on détruit la PAC. Maintenant qu'on a réformé les marchés du lait et de la viande bovine, il faut s'attaquer aux matières grasses. La mollesse de l'Europe face aux États-Unis est inadmissible.
Jacques Delors : Je ne veux pas que l'on remette en cause les mécanismes actuels de la PAC. Une politique d'aide directe serait coûteuse et irréaliste. Si l'on veut faire de l'aide directe, alors qu'on renationalise la PAC, qu'on le dise, et on fera une autre Europe !
Jacques Chirac : Ce que vous avez fait sur la viande et sur le lait était courageux, mais vous risquez de voir disparaître les deux tiers des agriculteurs français. Que ferez-vous ?
Jacques Delors : C'est un autre problème. Il s'agit de voir ce que l'on peut faire comme politique sociale en France pour les agriculteurs... [Sur le système financier :] Aujourd'hui, le budget de la Communauté est de 37 milliards d'écus. Il en faudrait 42 pour financer ce qui a été décidé, et il en faudra 52 en 1992. La Commission veut 57 milliards, mais je tiendrai sur 52 milliards. Je propose que l'on plafonne les ressources à 1,4 % du PIB, soit un prélèvement de 2 % sur la TVA.
Jacques Chirac : Ceci n'est pas raisonnable. On marche sur la tète ! Je peux aller jusqu'à 1,6 % de TVA, pas plus. Il n'est pas possible d'augmenter le budget de la Conrnrcrnauté de la sorte. Passer de 37 à 52 milliards, c'est une augmentation de 25 %. Aucun budget national n 'augmente à cette allure ! La France ne peut verser davantage. Ce n'est pas possible. Il faut diminuer les prélèvements obligatoires. Les fonds structurels sont une pompe à finances pour les pays en voie de développement de l'Europe. Je préfère donner des fonds au Sahel et aux pays vraiment pauvres !
Jacques Delors : On ne fera pas l'Europe sans une augmentation des ressources et sans financer les pays du Sud. Vous allez au-devant d'une crise.
Jacques Chirac : Eh bien, il faudra attacher sa ceinture !
Jacques Delors : Neuf pays sont favorables à mes propositions, contre trois. Vous provoquerez une crise par l'alliance franco-britannique. Les Allemands, qui vous soutiendront dans un premier temps, se désolidariseront ensuite, et, au bout du compte, les Anglais vous laisseront tomber.
Jacques Chirac : Je tiendrai compte de cela.
Jacques Delors : Ça peut être une crise très grave. Nous n'hésiterons pas à faire des coupes de 20 % dans les dépenses du budget 1987, y compris les dépenses agricoles. J'en ai le droit ; la Cour de justice me l'a confirmé. Je ne veux pas recourir à des expédients, comme mes prédécesseurs. Et je ne laisserai pas un budget en déficit.
Coup de téléphone, cet après-midi, de Charles Pasqua : Cette affaire de Police judiciaire, ça ne peut plus durer! [Le Président bloque, depuis plusieurs semaines, la nomination du commissaire Leclerc à la direction de la Police judiciaire.] Je suis d'avis que l'on nomme directeur le sous-directeur. Il est inodore, incolore et sans saveur. Il n'a pas tout à fait le niveau. Il est apprécié à la PJ. Ça ne devrait pas poser de problème, tout au moins je le pense...
Vendredi 23 janvier 1987
Édouard Balladur ne confirme pas à Jacques Delors la décision annoncée par Jacques Chirac d'accepter de voir passer le plafond de ressources communautaires de 1,4 à 1,6 %. Édouard Balladur : J'hésite encore... Pourtant, le Premier ministre a déjà rendu son arbitrage.
A la suite d'un conseil d'administration de TV6, Publicis, Gaumont et NRJ annoncent qu'ils se portent (sans les autres actionnaires) candidats à leur propre succession pour TV6. Virgin et Polygram rallient le projet d'UGC.
Dimanche 25 janvier 1987
La coalition dirigée par le Chancelier Helmut Kohl conserve le pouvoir en Allemagne fédérale en dépit du recul des chrétiens-démocrates et des démocrates-sociaux. La CDU-CSU passe de 244 à 223 sièges, le Parti libéral progresse de 34 à 46 sièges ; le Parti social-démocrate en obtient 186. Les Verts, avec 42 élus, gagnent 15 sièges.
Lundi 26 janvier 1987
Lors de la réunion du Comité central du PCF, Claude Poperen et Marcel Rigout démissionnent des instances dirigeantes.
Jacques Chirac s'effondre dans les sondages. Raymond Barre grimpe. Au second tour, ce serait le candidat le plus difficile à battre pour François Mitterrand.
Je fais à nouveau part au Président de mon hostilité à sa nouvelle candidature : Vous avez pour ainsi dire réalisé tout votre programme. Rien à faire de plus. Un second mandat se tenninera nécessairement mal. Vous serez un homme sans pouvoirs dans une seconde cohabitation. Et l'opinion sera pressée de vous voir partir.
Il semble partager mon point de vue : Il n'est pas question que je me représente.
Mardi 27 janvier 1987
Le Président reçoit André Giraud. Ils parlent surtout du Tchad.
Maurice Ulrich : Est-ce que Gérard Colé ne pourrait pas s'occuper un peu de l'image du Premier ministre, qui en a bien besoin ?
Renaud Denoix de Saint Marc se plaint d'avoir du mal à obtenir la signature du Président pour la nomination d'un sous-préfet. Il est vrai qu'il s'agit d'un sous-préfet de la Nièvre et qu'on a omis de lui demander son avis !
Concernant la vente d'Airbus à l'Afrique du Sud, il semble qu'on ne puisse plus l'empêcher, dit Maurice Ulrich.
Dans un discours prononcé devant le Conseil de l'Europe, à Strasbourg, Jacques Chirac présente la Recherche comme une priorité pour la France et l'Europe. Quel culot !
Mercredi 28 janvier 1987
Avant le Conseil, le Président s'entretient en tête à tête de la Nouvelle-Calédonie avec le Premier ministre. Je ne sais pas ce qu'ils se disent. Peu après, le Président me confiera : J'ai trouvé Chirac extrêmement conciliant.
Puis, échange de vues détendu sur le voyage en Alsace.
Le Président : Un de mes mauvais souvenirs de ce voyage en Alsace, c'est que, grâce à la sollicitude de mes collaborateurs, j'ai été privé de choucroute.
Le Premier ministre : Moi, je m'étais méfié. On m'en a servi.
Au Conseil, échange sec entre le Premier ministre et le ministre de la Défense, une fois encore sur la Guyane. A Jacques Chirac, qui se dit inquiet de la protection insuffisante de Kourou, André Giraud réplique : Cela a déjà été étudié, monsieur le Premier ministre.
A propos des négociations entre la CEE et les USA, le Premier ministre : J'ai été très choqué par l'attitude américaine, qui n'était justifiée ni par des arguments justes ni par un minimum de ce que l'on pourrait attendre d'une concertation entre pays alliés. Mais l'accord était inévitable. Il faut bien savoir que nous avons mangé notre chapeau.
Jean-Bernard Raimond me souffle après le Conseil : Ce genre de consignes, je n'en ai plus rien à faire...
Jeudi 29 janvier 1987
Le Président au sujet de L'Heure de vérité de Michel Delebarre : C'est le meilleur socialiste que j'aie vu depuis longtemps.
Dans l'affaire Apap (le procureur de la République de Valence qu'Albin Chalandon veut sanctionner parce qu'il a critiqué sa politique de lutte contre la toxicomanie), le Président refuse de signer la mutation-sanction. Il faut que Chalandon trouve une solution qui ne soit pas défavorable au procureur.
Un banquier évincé par Chirac nous explique : Bien avant le 16 mars, il avait été décidé par Balladur et Chirac de procéder à une épuration. Le terme a été employé par eux visant les « collaborateurs », autrement dit les hauts fonctionnaires non socialistes qui avaient collaboré de 1981 à 1986, de façon à ce que si, par malheur, les socialistes revenaient un jour, ils ne trouvent plus de collaborateurs chez les non-socialistes. Il avait été décidé de faire cinq exemples: Peyrelevade, Mayoux, Haberer, Pebereau et Fauroux.
Vendredi 30 janvier 1987
Le Président reçoit le Premier ministre portugais, Cavaco Silva. On parle du budget européen.
Jacques Chirac déjeune ensuite avec Cavaco Silva. Un des participants me rapporte les propos du Premier ministre français : Un Conseil européen en mars ? Cela ne me paraît pas une bonne idée. Je crains que les Anglais et les Allemands ne renâclent et que l'opposition au passage à 1,6 % ne se manifeste trop tôt.
Sur Timor : Nous n'aurons pas la même attitude que le gouvernement précédent, qui avait adopté une position de totale fermeture pour ne pas déplaire à l'Indonésie.
Sur le Nicaragua : La Communauté européenne est beaucoup trop compréhensive à l'égard de Managua. D'ailleurs, c'est un problème qui intéresse les Américains et doit être traité par eux.
Sur la Nouvelle-Calédonie : Le gouvernement précédent a eu une attitude irresponsable.
Sur l'Afrique du Sud : Je ne crois pas du tout à l'efficacité des sanctions. C'est une façon, pour les protestants hollandais, de se donner bonne conscience. Si Botha n'était pas venu deux jours avant le Sommet de Lomé, je l'aurais accueilli d'une autre manière.
Sur la Turquie : Les Turcs immigrés en France sont de gros travailleurs. Là où un Français gagne 5 000 francs, ils en gagnent 15 000. Ils valent beaucoup mieux que les Grecs. D'ailleurs, ce socialo et ce démagogue de Papandréou n'apprécie pas ma politique de rapprochement avec les Turcs. Mais, de là à les faire entrer dans la Communauté, c'est un autre problème, ça prendra du temps.
Samedi 31 janvier 1987
Privatisation de Paribas : fin de la souscription.
François Bujon s'est montré très hostile à ma présence demain avec lui à Bonn, en invoquant un prétexte stupéfiant : On ne va pas aller à Bonn étaler nos différences de points de vue sur la dissuasion... Je lui ai répliqué que, s'il avait un point de vue différent du nôtre à défendre devant les Allemands, on pourrait en effet s'interroger sur l'utilité de son voyage ! Nous en sommes restés là. Jean-Louis Bianco doit en parler avec Maurice Ulrich. Le mieux serait sûrement que Bujon annule son voyage (il a prévu de partir demain avec quatre autres personnes de Matignon !) et renvoie tout à une discussion entre Jean-Bernard Raimond et Hans-Dietrich Genscher.
Dimanche 1er février 1987
Je réunis chez moi les quatre sherpas européens pour faire le point sur les questions communes avant la réunion, au milieu de la semaine prochaine à Florence, des sept sherpas. Une faille s'est produite dans la solidarité européenne. Un G5 se prépare sans que les Italiens en soient informés. Les Italiens, qui se doutent de quelque chose, seraient furieux si un prochain G5 venait à annoncer des décisions monétaires, même s'il était suivi d'un G7. Pour eux, le Sommet de Tokyo a remplacé le G5 par le G7. Ce n'est pas le point de vue des Allemands et des Britanniques. Les membres du G5 présents à cette réunion n'ont donc pas voulu dire à l'Italien que la réunion à Cinq (sans les Canadiens et eux) est imminente et sera déterminante.
L'Allemand nous détaille le programme budgétaire du nouveau gouvernement qui, fin février, fera des économies de l'ordre de 40 milliards de marks (sur l'Agriculture, Airbus et la Recherche...).
Chacun est pessimiste sur la capacité des Américains de réduire leur déficit budgétaire.
Nous nous sommes entendus pour défendre les positions communes suivantes : il faut un accord à Sept pour stabiliser le dollar et, à cette fin, les États-Unis doivent réduire leur déficit budgétaire sans augmenter leurs taxes à l'importation ; les pays européens doivent être solidaires sur l'agriculture et éviter la mise en accusation de l'un d'entre eux ; enfin, ils doivent demander une ouverture sensible du marché japonais avant avril.
Renato Ruggiero me dit que Giulio Andreotti remplacera dans un mois Bettino Craxi à la présidence du Conseil. C'est donc Andreotti qui présidera le Sommet de Venise.
Lundi 2 février 1987
Comme prévu depuis dix jours, pour préparer la prochaine réunion des sherpas, je réunis les collaborateurs du Premier ministre, du ministre des Affaires étrangères et de celui des Finances. Jean-Claude Trichet, directeur de cabinet d'Édouard Balladur, m'avait donné son accord pour venir, mais, cinq minutes avant la réunion, il me téléphone pour me dire que le ministre d'État a demandé au directeur du Trésor et au directeur de la DREE de ne pas y participer, parce qu'on ne l'avait pas prévenu. Sont venus François Bujon de l'Estang et Emmanuel Rodocanachi, du cabinet du Premier ministre, un membre du cabinet de Jean-Bernard Raimond et Jean Vidal, directeur général des Affaires économiques au Quai d'Orsay. Un directeur aux Finances, Philippe Jurgensen, à qui j'ai annoncé que son ministre ne souhaitait pas qu'il assistât à la réunion, est reparti.
Bujon me dit être choqué de la décision du ministre d'État, qui ne s'explique que par un malentendu. Il me confirme que Jacques Chirac ne se rendra pas à Venise. Tokyo lui a suffi.
Mardi 3 février 1987
Jean-Claude Trichet me téléphone : Édouard Balladur veut me voir en tête à tête. D'ordinaire, ces réunions avec lui, très agréables, ont lieu en présence de François Bujon de l'Estang et de Daniel Lebègue.
Balladur s'excuse pour le malentendu d'hier. Il fulmine contre Raymond Barre qui a critiqué la dévaluation : Irresponsable, surtout quand on a exercé, comme lui, de grandes responsabilités. Et qu'on a envie d'en avoir à nouveau...
Le Président demande à Jean-Bernard Raimond qu'on vienne en aide aux camps de réfugiés palestiniens affamés en y parachutant des vivres.
Vu le sherpa américain Alan Wallis. Je le sens très sensible aux exigences sur le terrorisme. Il souhaite une réunion spéciale à Sept sur les otages. Je refuse.
François Mitterrand visite les sites du plateau d'Albion avec André Giraud. Étrange lieu que cette cathédrale de mort. Première cible et première frappe...
Le Président plaide pour la poursuite des essais nucléaires à Mururoa.
La nomination de Marceau Long comme successeur de Pierre Nicolaÿ à la vice-présidence du Conseil d'État paraît acquise.
Mercredi 4 février 1987
Au Conseil, le Président annonce qu'il se rendra en visite d'État au Portugal les 6 et 7 avril : Malgré la faiblesse de l'économie, le sous-développement évident, ce pays est bien géré, le Premier ministre est très européen. Il y a toujours eu une influence anglaise sur la politique du Portugal, mais, psychologiquement, elle est beaucoup plus proche de la France que de la Grande-Bretagne.
Jacques Chirac souligne que l'immigration portugaise en France ne pose aucun problème, ce que le Président confirme.
Après l'exposé d'Alain Carignon sur la pollution, le Président : C'est un exposé très probant et complet, mais qui manque peut-être d'une certaine dimension internationale.
D'un commun accord entre l'Élysée et Matignon, la France refuse de participer à une réunion convoquée par les États-Unis sur le problème des otages.
Notre ambassade à Washington nous prévient qu'un de nos correspondants, chargé de hautes fonctions au Département d'État, précise, à titre très confidentiel, que la détention de Terry Waite et celle du correspondant du Wall Street Journal, M. Seib, aggrave la situation des autres otages. L'Administration américaine, dit-il, n'acceptera pas d'être réduite à l'impuissance. Elle se prépare à toute éventualité et s'efforce de reprendre l'initiative face au terrorisme. Toutes les options sont envisagées, y compris une intervention militaire. D'après cette source, si un fait nouveau se produit comme, par exemple, l'exécution d'un ou plusieurs otages, les États-Unis essaieraient de libérer par la force les otages restants, ou de porter un coup aux terroristes en frappant un camp d'entraînement au Liban ou l'aéroport de Beyrouth. En tentant une telle opération, Washington prendrait le risque de faire tuer tous les otages américains. Si les États-Unis étaient amenés à prendre une telle décision, ils se concerteraient avec leurs alliés.
Faut-il le croire ? S'agit-il de propos de cocktail ? Que faire de ce genre d'information ?
Jeudi 5 février 1987
La réunion des sherpas à Florence est très peu conflictuelle, mais néanmoins pleine d'enseignements. Le Sommet se déroulera exactement comme celui de Tokyo : le premier dîner, la première séance de travail et le premier déjeuner réuniront les seuls chefs de délégation.
Les Italiens n'entendent pas proposer de déclaration politique générale. Il est convenu que nous verrons lors de notre prochaine réunion, fin avril, si un pays souhaite un tel texte.
Les Italiens annoncent que, conformément à ce qui a été décidé à Tokyo, les directeurs politiques des ministères des Affaires étrangères vont mettre noir sur blanc les règles juridiques permettant l'extension à l'ensemble du terrorisme aérien des procédures prévues par le Sommet de Bonn en 1978. Pour eux, ce texte servirait de base, à Venise, à une déclaration générale sur le terrorisme. Je suis réservé.
Américains, Italiens et Anglais proposent d'élaborer une déclaration sur le problème des otages — voire plus généralement, pour les Américains, sur l'état de droit international. Nul ne reparle de la demande américaine de réunion à Sept sur les otages, sauf pour constater qu'elle était bien maladroite.
Les Américains reconnaissent la faiblesse de leur exécutif et leur difficulté à empêcher des mesures protectionnistes. Ils s'attendent à une réduction très faible de leur déficit extérieur en 1987 et 1988, puis à une aggravation de celui-ci. Ils sont ouvertement très amers à l'égard des Japonais, qui parlent et ne font jamais rien, et qui refusent de relancer leur économie.
Chacun voit les prochains G5 et G7 comme une réunion de la dernière chance avant l'effondrement du dollar. Cette réunion semble se confirmer pour le week-end des 14 et 15 février à Paris. Une réunion secrète des cinq directeurs du Trésor a lieu le week-end prochain pour tout organiser. Les Italiens n'en savent rien. Les Américains sont donc prêts à participer à une opération concertée du G5 de stabilisation du dollar. Les Allemands annonceront les grandes lignes de leur politique générale, et probablement une accélération de leur calendrier de baisse des impôts. Les Japonais feront part de leur intention de réduire leurs taux d'intérêt et de mettre en œuvre une réforme générale comportant baisse de l'impôt sur le revenu et instauration de la TVA.
Un tel « paquet » ne rassurera les marchés que s'il est appliqué.
Sur l'agriculture, conformément à l'accord passé dimanche dernier chez moi entre sherpas européens, nous avons évité toutes critiques entre nous. L'attaque américaine a d'ailleurs été étonnamment modérée : les États-Unis sentent peut-être que les Européens disposent maintenant de beaucoup d'arguments à leur opposer sur leur propre protectionnisme agricole et leurs subventions à l'exportation. On est tombé d'accord pour dire qu'il convient de diminuer graduellement les aides directes et indirectes en tenant compte des conséquences écologiques, et pour critiquer les mesures protectionnistes, d'où qu'elles viennent.
Pour la première fois, il est question du rôle des pays de l'Est dans l'économie mondiale. L'entrée de la Chine au GATT, les demandes de la Pologne, de la Hongrie et de l'URSS d'entrer au FMI, sont évoquées. Les Japonais font part de leur perplexité devant les avances soviétiques. Le sherpa allemand se propose de faire un rapport sur ce sujet à notre prochaine réunion, en avril. Kohl n'est pas le seul, en Allemagne, à suivre en détail ce qui se passe à l'Est.
A Florence, nous avons maintenant en face de nous une toute nouvelle génération de très hauts fonctionnaires japonais. Les Japonais sont neuf, dont trois vice-ministres, très compétents, très ouverts et parlant anglais et/ou français sans accent. Ils acceptent pour la première fois de discuter de leur protectionnisme et de leur politique de défense.
Le prix de TF1 (4,5 milliards, soit 3 milliards pour l'acheteur de la majorité de contrôle) est rendu public.
Mort accidentelle de Michel Baroin. La GMF est l'un des partenaires potentiels de Francis Bouygues pour l'acquisition de TF1.
Le Matin réitère ses accusations contre Jacques Chirac à propos des otages. A la suite de son premier article sur les manoeuvres de Chirac antérieures au 16 mars pour retarder la libération des otages, Kathleen Evin est allée voir le Dr Raad. Elle raconte dans un autre article ce que celui-ci lui a dit. Il affirme avoir reçu, pendant qu'il négociait avec les islamistes, la visite des deux députés RPR de l'Orne qui lui ont tenu le langage suivant : Arrête de servir les socialistes. Si tu les aides à sortir les otages avant le 16 mars, tu peux porter la responsabilité de l'échec de Jacques Chirac. Le Dr Raad a également raconté que, tandis qu'Éric Rouleau négociait à Téhéran, lui-même devait se rendre à Damas. Il était à Beyrouth quand son voyage a été brusquement annulé. Un homme lié de très près aux ravisseurs lui a dit : On a mieux. Vous nous proposez 10 francs, l'opposition nous propose 100 francs. Revenez nous voir après le 16 mars.
Les documents publiés sont embarrassants pour le Premier ministre. Pourtant, le reste de la presse observe une réserve prudente.
Vendredi 6 février 1987
Visite à Paris de Hans-Dietritch Genscher.
Échec des négociations salariales dans la fonction publique : les sept fédérations de fonctionnaires refusent les propositions du gouvernement.
Dimanche 8 février 1987
Le retrait d'Havas du dossier TF1 est rendu public à 22 h 30, après un Club de la presse de Jacques Chirac. Y aurait-il eu un quelconque « signal » dans les déclarations du Premier ministre ?
Lundi 9 février 1987
Reprise des négociations frontalières sino-soviétiques, interrompues depuis huit ans.
Durant notre habituelle partie de golf à Saint-Cloud, François Mitterrand raconte l'élection de René Coty, le 22 décembre 1953, à Versailles : Il a fallu attendre le treizième tour. Mais, pour la première fois, la télévision était là. Environ 300 000 personnes ont suivi les débats, les votes. Mais, comme cela n'en finissait plus, les journalistes ont dû innover : ils ont filmé dans les couloirs, suscité des confidences, croqué les visages, les conciliabules, raconté les à-côté de ce petit monde jusque-là préservé de la curiosité des citoyens. Pensez, cela a duré sept jours ! C'était le premier vrai reportage politique télévisé. Cela m'avait tellement frappé, à l'époque, que j'en avais fait un article pour L'Express.
Mardi 10 février 1987
Les réunions du G5 et du G7 auront lieu ce week-end. Y sera annoncé un progrès sensible dans la stabilisation des taux de change autour de l'idée de zones de référence. Ce sera le plus grand progrès dans le système monétaire international depuis Bretton Woods. L'idée en fut lancée dans un discours de François Mitterrand, en mai 1983, devant l'OCDE. Belle continuité...
A un collaborateur de François Mitterrand, Marie-France Garaud tient des propos très durs sur Jacques Chirac : Un homme profondément angoissé, anxieux, soumis aux influences contradictoires de divers clans. Il est comme un cheval; s'il a pris Matignon, c'est qu'il connaît déjà Matignon: cela le rassure. Il répugne au coup de force et au saut dans l'inconnu. Il faut qu'on le pousse. Il est fasciné par François Mitterrand; il l'était déjà par Valéry Giscard d'Estaing.
Hubert Védrine est en contact avec André Giraud et Éric Desmarest, directeur de cabinet de Jean-Bernard Raimond. André Giraud est toujours très critique envers Jacques Chirac.
Michel Charasse a vu récemment Charles Pasqua, fort aimable : On me dit que c'est Colliard et toi qui déclenchez les coups contre moi. Je ne le crois pas. Tu sais que je ne ferai rien contre le Président. Je le pourrais, pourtant...
Mercredi 11 février 1987
A l'Assemblée, Robert Hersant met en garde les députés RPR contre la création d'une sixième chaîne généraliste. La majorité prendra-t-elle le risque de le mécontenter ?
Avant le Conseil, Jacques Chirac s'excuse pour l'incident avec Édouard Balladur. Il évoque sa fatigue : Il négocie sans arrêt avec Stoltenberg et Baker. Édouard Balladur me raconte les difficultés de la préparation de l'accord à Cinq : Les Allemands n'en veulent pas. Nous voulons un fonds d'intervention plus important. Je suis de nouveau inquiet sur l'avenir du système monétaire européen.
Au Conseil, Jean-Bernard Raimond indique que le nouvel ambassadeur de Grande-Bretagne, dans sa jeunesse, mesurait deux mètres et pesait cent kilos.
A-t-il rapetissé ou maigri ?
Dans un exposé de politique étrangère, André Giraud explique : Je signale deux mauvaises nouvelles, cette semaine. Les États-Unis veulent une option zéro en Europe, et M. Genscher se lance dans une Ostpolitik très dangereuse.
Incorrigible entêtement — ou provocation ?
Le Président : Il est vrai que beaucoup se sont interrogés au lendemain de Reykjavik. Mais les pays de l'Alliance, dont nous sommes membres, ont adopté un communiqué reconnaissant le bien-fondé d'une démarche de désarmement tendant vers l'option zéro. Nous, Français, avons évité de prendre des positions publiques qui n'étaient pas nécessaires et qui nous auraient enfermés. Avant d'aller plus loin, il faut enlever les armes à courte portée et s'assurer d'un contrôle effectif. [A propos de Genscher :] C'est un des Allemands les plus favorables à la Communauté européenne et à la France. Que les Allemands aient un jeu particulier par rapport aux Russes, comme les Russes en ont un par rapport aux Allemands, c'est évident, et c'est la conséquence de la guerre de 1939-1945. Est-ce que nous sommes capables d'offrir aux Allemands une perspective de grande puissance ? Il n 'y a que la construction européenne. Sinon, l'Allemagne jouera entre l'Est et l'Ouest. Sans progrès de la construrction europénne, nous n'y échapperons pas. L'année 1987 est lourde de risques d'échecs pour l'Europe... [Il attire à nouveau l'attention du ministre des Affaires étrangères sur les camps palestiniens :] Il faut que la France prenne une initiative publique. On ne peut pas laisser les Palestiniens à la merci d'un siège qui les conduit à la famine. Les grandes organisations humanitaires devraient pouvoir pénétrer dans les camps. Nous aurons peut-être à fourmir des vivres et des moyens de transport. Ce peuple qui n'a plus de patrie, persécuté par les uns et par les autres, ne dispose plus que de la révolte. L'Europe ne doit pas rester indifférente.
Jean-Bernard Raimond : Je ferai des propositions au gouvernement enfin de matinée.
A la suite d'une intervention de François Léotard sur l'enseignement de la musique, le Premier ministre : On a fait pendant longtemps une politique de coups de cymbales qui n'a rien changé. Le seul moyen, c'est de progresser à la base avec les petits enfants, comme nous le faisons à Paris. Pour récolter, il faut semer, et pour semer, il faut labourer. Le problème n'est point de savoir ce que l'on fera à l'Opéra-Bastille.
Le Président : Je pense que vous avez tout à fait raison : c'est une chaîne qui commence par les enfants et qui finit à l'Opéra-Bastille.
Nous ne sommes absolument pas garantis contre une attaque américaine imminente contre Airbus. Ce qui inquiète les Américains, c'est l'Airbus transatlantique A340, et surtout son moteur révolutionnaire à hélice, le PROPFAN. Airbus, au grand dam de Boeing et de MacDonnell, dit à toutes les compagnies que, grâce aux subventions gouvernementales, cet avion sera prêt dans trois ans, à un coût de 15 à 20 % inférieur à celui de ses concurrents américains. Or, les gouvernements français, allemand, anglais, italien et espagnol n'ont pas encore fait savoir s'ils subventionnaient ce projet. Airbus n'a donc aucune garantie. Le Président écrit aux dirigeants d'Airbus pour leur affirmer son soutien.
Jeudi 12 février 1987
François Mitterrand, à propos de la proposition de quinquennat lancée par Valéry Giscard d'Estaing : VGE gêne Barre et Chirac plus que moi. Je ne fais rien, je laisse venir.
Dans la privatisation de Paribas, les membres du « noyau dur », qui ont obtenu 930 000 actions chacun, gagnent 80 millions dans la journée.
Nous apprenons de notre ambassade à Washington que se réunit demain à la Maison Blanche, sous la présidence de Donald Regan, secrétaire général de la Présidence, la commission chargée d'examiner le contentieux commercial entre les États-Unis et la Communauté européenne. La décison est déjà connue : le conflit Airbus est mis entre parenthèses. La décision de la Maison Blanche ne sera rendue publique que samedi. Sagement, les Américains reportent leur attaque en attendant de savoir si les Européens vont vraiment financer ce projet extrêmement onéreux.
Vendredi 13 février 1987
Sachant que les Américains ont cédé, Jacques Chirac décide d'intervenir publiquement, à la veille de son voyage à Toulouse, dans l'affaire d'Airbus. Il accorde une interview à La Dépêche de Toulouse : L'attitude américaine est inamicale et infondée... Mais jamais l'Europe n'acceptera la remise en cause de l'industrie aéronautique forte, compétitive et indépendante dont elle se dote. Je ne pense pas que les Américains prennent le risque de provoquer à nouveau l'Europe (...). L'Europe saura résister à des pressions américaines qui ne reposent en outre sur aucun fondement.
Samedi 14 février 1987
Discours de Mikhaïl Gorbatchev devant le forum Pour un monde sans armes nucléaires, auquel assiste Andreï Sakharov. Il insiste sur la nécessité d'une vaste démocratisation de la vie sociale et affirme que les transformations révolutionnaires en cours en URSS revêtent une importance capitale pour le monde entier.
Dimanche 15 février 1987
Audition à huis clos, par la CNCL, des candidats à la reprise de la Cinq et de TV6.
Mardi 17 février 1987
Le Président reçoit André Giraud. Il lui est revenu que le Conseil interministériel de Défense réuni par le Premier ministre était à la limite de l'admissible. Cette instance ne peut en aucun cas se substituer au Conseil de Défense. Giraud répond qu'il en prend bonne note.
À propos du Tchad, le ministre demande s'il ne faudrait pas faire monter des troupes à Fada et remplacer le 16e parallèle par le 17e. Cela peut s'étudier, répond le Président.
Interview de Bernard Pons dans Le Quotidien de Paris, mettant le Président au défi d'intervenir sur la Nouvelle-Calédonie. Toute intervention présidentielle, affirme le ministre, serait comprise comme un encouragement aux éléments révolutionnaires.
Furieux, le Président écrit au Premier ministre pour s'inquiéter du climat dans lequel survient l'inscription à l'ordre du jour du prochain Conseil des ministres du projet de loi organisant un référendum en Nouvelle-Calédonie. Il avertit que, pour lui, même si la majorité des suffrages qu'exprimeront les populations intéressées peut d'ores et déjà être considérée comme acquise au oui; ce scrutin ne changera rien à la réalité. Il provoquera, prévoit-il, un isolement des Canaques, qui engendrera de nouveaux drames. Pour lui, réduire le débat à un simple affrontement électoral serait commettre une grave erreur historique et politique.
Amine Gemayel est en visite officielle en France.
Un informateur livre à la police le nom du chef des terroristes auteurs des attentats de septembre dernier, un Tunisien nommé Fouad Ali Saleh.
Mercredi 18 février 1987
Auditions publiques à la CNCL des candidats à la reprise de la Cinq.
Avant le Conseil, Jacques Chirac, tendu, ne profère pas un mot.
Le Conseil des ministres commence par un exposé on ne peut plus plat de Bernard Pons sur la Nouvelle-Calédonie et les modalités du référendum d'autodétermination. Il y aura une durée de séjour requise des résidents pour qu'ils puissent voter.
Le Premier ministre prend la parole : C'est la stricte application de la loi du 17 juillet 1986. Nous avons retenu trois ans de résidence pour couper court aux polémiques. Puis il reprend des éléments qui figurent dans la lettre du Président : La Nouvelle-Calédonie, chacun le sait bien, est un problème délicat qui doit être abordé avec beaucoup de prudence. La politique du gouvernement vise au dialogue et à la coexistence des communautés. Le FLNKS a rompu unilatéralement le dialogue. Les présidents des trois régions indépendantistes m'ont écrit à propos de l'insuffisance des moyens dont ils disposent. J'examine moi-même le dossier. J'entends que les régions exercent normalement leurs compétences.
Le Conseil demeure silencieux. Le Président, sur un ton grave : Les positions de la majorité, que vous exprimez, et les miennes sont extrêmement différentes et parfois opposées. Il faut faire avec ce que l'on a. Le pays s'est prononcé ; une majorité est en place. Il appartient au gouvernement de proposer ses projets au Parlement, c'est la loi de la République. Le contenu des lois est soumis à l'appréciation de tous les citoyens et particulièrement à l'appréciation du Président de la République. Chacun peut s'exprimer en conscience. Le débat ne porte pas sur la notion de référendum. La bonne date, on peut en discuter. La question est de savoir à quoi sert le référendum. Le problème de la Nouvelle-Calédonie, ce n'est pas vous qui l'avez inventé, ni moi. C'est un problème historique. Je crains qu'il ne dure plus que nous. Je crains aussi que la politique menée ne puisse le résoudre. C'est un problème extrêmement difficile. La Nouvelle-Calédonie est la seule colonie qui a vu le peuplement d'origine française devenir aussi important que le peuplement autochtone. D'autres ethnies se sont ajoutées ; comme elles craignent la domination canaque, elles ont tendance à faire bloc avec les Calédoniens d'origine française. Donc, le peuplement d'origine française réunit autour de lui une majorité, au moins pour les années qui viennent. C'est un problème différent des autres problèmes coloniaux. Mais il n'est pas possible d'ignorer la population mélanésienne. La revendication canaque sur la composition du corps électoral est plus d'ordre moral que juridique. Elle a naturellement été repoussée par tous les gouvernements. Le référendum, en soi, est une solution confonne à nos institutions ; son résultat est connu d'avance. Les mouvements individuels sont contenus dans des mouvements collectifs. Il n'y a pas beaucoup de fantaisie. Il n'y a pas beaucoup de marginaux. Il est probable que la fraction la plus importante des indépendantistes ne participera pas au scrutin, ce qui atténuera un peu ou beaucoup, selon le nombre des votants, son résultat...
Comment aborder les échéances pour éviter les affrontements ? A qualité égale d'information (car il serait étrange de croire qu'il y ait d'un côté ceux qui savent, et de l'autre les ignorants : cela prête à sourire plus qu'à irriter, je le dis sans volonté de froisser), cette politique conduit à de nouveaux affrontements et non à l'apaisement. Des réflexes joueront des deux côtés, qui s'apparentent aux réflexes coloniaux. Des affrontements ont déjà eu lieu. Je pense qu'il y en aura de nouveaux. Je ne les appelle pas de mes vœux. Je ne les encourage pas...
Le Président se met alors à lire un texte manuscrit (à peu de choses près celui de sa lettre d'hier), ce qui est tout à fait inhabituel de sa part. Il souligne qu'une procédure démocratique n'a de chances de s'imposer qu'au sein d'une société elle-même démocratique où les citoyens sont également respectés et les communautés également écoutées. Il note que l'évolution de la pratique régionale, les orientations de la réforme foncière et de l'Office culturel, la rupture du dialogue entre le gouvernement et une importante fraction de la communauté mélanésienne ne peuvent qu'ajouter aux tensions et retarder l'heure des réconciliations.
Puis il reprend : Voilà, j'en suis si intimement convaincu que je ne peux pas taire ma conviction devant le Conseil des ministres. C'est par la manière dont les choses se passeront dans les semaines et les mois qui viennent que l'Histoire apportera son verdict. C'est la responsabilité du gouvernement et de sa majorité. Je dois exprimer ici, non pas, comme on l'a dit, mes extrêmes réserves, mais vraiment mon désaccord avec la politique menée. Fasse le Ciel que les points de vue les plus optimistes l'emportent, et souhaitons bonne chance à la France dans cette affaire délicate.
Un long silence suit.
Le Président donne ensuite la parole à Hervé de Charette pour une communication sur la fonction publique : Monsieur le Président, si je puis me permettre respectueusement, vous avez évoqué le Ciel. La fonction publique, ce n'est pas tout à fait le Paradis ni tout à fait l'Enfer...
Le Président sourit : Je l'ai évoqué, mais je ne compte pas trop dessus. Faites comme moi.
Vient ensuite un exposé de François Guillaume sur la forêt.
Le Président : Vous avez traité d'une question fondamentale. L'une des difficultés majeures provient de la parcellisation et de l'éloignement des propriétaires. Dans le canton du Morvan, que j'ai longtemps représenté, il y avait, sur 5 000 habitants, 2 500 propriétaires, dont la plupart habitaient Paris ou Dijon. La plupart ne s'intéressent à la forêt que pour ramasser du bois de chauffage. Il faut savoir que seule une forêt civilisée par l'homme peut se développer. C'est comme pour la monnaie, monsieur le ministre d'État...
Édouard Balladur sursaute, manifestement inquiet.
Le Président reprend : Comme pour la monnaie, en effet... Les mauvais arbres chassent les bons : le chêne et le hêtre laissent la place au charme et au bouleau.
Plus tard, dans l'après-midi, François Mitterrand me dit : Je suis furieux du mauvais procès qu'on me fait à propos de ces grâces que les socialistes auraient trop généreusement accordées en 1981. Ceux d'Action directe étaient alors condamnés à de petites peines. Impossible de ne pas les relâcher. J'ai d'ailleurs refusé beaucoup des grâces que Jacques Chirac m'a demandées depuis mars 1986.
Jeudi 19 février 1987
Auditions publiques de la CNCL pour la reprise de TV6.
Les dernières sanctions américaines contre la Pologne sont levées.
Denis Baudouin déclare à la presse que le Président ne recevra que les représentants du FLNKS, alors qu'après le Conseil des ministres, Jean-Louis Bianco a téléphoné à Bernard Pons pour lui indiquer que le Président recevrait tous les responsables de Nouvelle-Calédonie qui le lui demanderaient, y compris Dick Ukeiwé, du RPR.
Le Président est exaspéré : Je sens que l'overdose approche ! Jamais Mme Gendreau-Massaloux ne fait de commentaires sur les activités du Premier ministre. M. Baudouin en fait pratiquement chaque semaine sur moi. Il faut noter que, pour les chaînes de télévision, la Deux, la Trois et RFO ont déjà été attribuées à des militants du RPR ; la Cinq va l'être à un député de la majorité, et la Six à l'ancien secrétaire général du RPR. La CNCL choisit le mieux-disant politique !
Dîner en tête à tête avec Édouard Balladur au Louvre. Il est courtois, soucieux d'informer en détail le Président par mon intermédiaire. Nous travaillons sur le texte qui deviendra l'« accord du Louvre ». La réunion du Groupe des Cinq aura bien lieu samedi et celle des Sept, dimanche. Elles déboucheront sur un programme concerté : le Japon lancera en octobre un programme global de stimulation de la demande interne et réduira le taux d'escompte de sa Banque centrale ; la République fédérale augmentera les réductions d'impôt déjà envisagées et suivra une politique monétaire permettant d'augmenter la croissance sans nuire à la stabilité des prix ; les États-Unis accepteront de ramener leur déficit budgétaire à 2,5 % du PNB en 1988, soit 108 milliards de dollars, comme prévu par la loi Gramm-Rudman.
Dimanche, les Sept feront conjointement part de leur engagement de défendre la stabilité des taux de change dans des « plages de référence » floues et par la création d'un fonds d'intervention sur les marchés de l'ordre de 20 à 40 milliards de dollars (montant gardé secret).
Ce programme serait alléchant s'il était pris au sérieux par les marchés, ce qui est loin d'être sûr. Il n'y a là rien de bien nouveau, hormis le fonds d'intervention, dont je doute qu'il soit réellement mis en place (et que son montant soit suffisant).
Au surplus, cette réunion a lieu dans un contexte de très grave crise financière internationale. La vraie décision sera prise vendredi à Cinq, puis un « habillage » sera organisé dimanche à Sept.
Édouard Balladur : Il est probable mais, bien entendu, non acquis d'avance que cette réunion conclura à l'annonce de la volonté des États participants de mettre un terme à la baisse du dollar, le cas échéant par des interventions sur les marchés des changes. Un protocole secret est mis au point entre les cinq pays dont la monnaie figure dans les DTS. Il comprendra l'engagement de maintenir ces devises à l'intérieur de bandes de fluctuation tenues secrètes, grâce à des règles souples d'intervention fixées entre autorités monétaires et assorties de moyens qui devraient être supérieurs à ceux qui avaient été employés lors [de l'accord] du Plazza. La France s'efforcera, dans cette discussion, de défendre une grille de parités réaliste par rapport aux anticipations du marché, et compatible avec les grandeurs économiques fondamentales. Il conviendra néanmoins de veiller à ce que les intérêts commerciaux de l'Europe ne soient pas lésés, notamment par rapport au Japon.
Les discussions devraient également conduire à examiner les progrès accomplis en matière de surveillance internationale depuis le Sommet de Tokyo, notamment à travers l'usage d'une batterie d'indicateurs économiques comprenant la croissance, l'inflation, les soldes commerciaux et courants, le budget, les conditions monétaires et les taux de change. Les ministres pourraient convenir de se réunir régulièrement pour fixer des objectifs et des projections au regard desquels seraient évaluées les performances de chaque pays ; à cette occasion, ils s'assureraient de la cohérence des politiques menées et de la nécessité éventuelle d'adopter des mesures correctrices.
Près d'un an après Tokyo, l'équilibre est très difficile à trouver entre, d'une part, la France et les États-Unis, soucieux de jeter les bases d'un système comportant une certaine automaticité, et la République fédérale d'autre part, sceptique vis-à-vis des propositions de ses partenaires.
Samedi 21 février 1987
Les quatre principaux responsables d'Action directe, Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et Georges Cipriani, sont arrêtés dans une ferme isolée à Vitry-aux-Loges.
Les Italiens, prévenus, acceptent que se tienne sans eux un dîner à Cinq ce soir. Mais la presse annonce ce matin que le Groupe des Cinq se réunit aussi dans l'après-midi pour préparer le communiqué qui sera soumis demain aux Sept. Les Italiens sont furieux. Édouard Balladur suggère d'inviter au dîner M. Goria, ministre des Finances italien, son homologue canadien n'arrivant à Paris que demain matin. Mais le ministre d'État, comme ses collègues des Finances du G5, est bien décidé à préserver les prérogatives de ce club très fermé et à maintenir la réunion à Cinq de cet après-midi.
Bettino Craxi ordonne par téléphone à Goria de ne pas rester à Paris et de ne pas assister à la réunion de ce dimanche. Il n'a rien à perdre à un esclandre.
La réunion à Cinq se tient. Elle confirme les travaux préparatoires.
Dimanche 22 février 1987
Comme convenu, mais sans les Italiens, les six ministres des Finances du G7 déclarent que le processus de surveillance a conduit leurs monnaies dans des bandes de fluctuation globalement compatibles avec les données économiques fondamentales. Ils sont convenus de coopérer étroitement pour promouvoir la stabilité des taux de change autour des niveaux actuels. Le communiqué ajoute :
Nous regrettons que la délégation italienne n'ait pas estimé possible de participer à notre réunion. Nous espérons tous que l'Italie continuera de jouer un rôle actif dans le groupe des Sept ministres des Finances et qu'elle participera à notre réunion de printemps à Washington.
Lundi 23 février 1987
Renato Ruggiero me téléphone. Bettino Craxi veut remettre en cause la tenue du Sommet de Venise ! Il essaie de le calmer.
La CNCL attribue la Cinq à Hersant-Berlusconi-Seydoux, M6 à la CLT et à la Lyonnaise des Eaux.
Apprenant cette nouvelle, le Président me dit dans son bureau : Ils vont se partager tous les fromages de la République !
Date limite de dépôt des dossiers de candidature pour la reprise de TF1. Le dossier d'Hachette est déposé à 23 h 40 après que le tour de table a été bouclé avec l'aide des banques nationalisées (dont la BNP).
Deux concurrents sont prêts à verser 3 milliards de francs pour acquérir le contrôle de la chaîne.
Mardi 24 février 1987
Michèle Barzach présente un programme de lutte contre le sida, déclaré « grande cause nationale » pour 1987.
Mercredi 25 février 1987
Au Conseil des ministres, François Mitterrand commente l'accord du Louvre : Depuis 1981, j'ai proposé qu'on s'engage vers un nouveau SMI. Nous n'avions eu que des réponses sarcastiques des Américains. Il y eut alors un petit groupe de travail créé autour de cette idée. C'est la première fois que, de façon concrète, on aperçoit à l'horizon l'idée de zones de référence. C'est un accord important, s'il est suivi d'effet. Nous irions vers le début d'une nouvelle époque. Le franc se trouve ballotté entre le dollar et le mark. Cet accord peut conduire à mettre à l'abri notre monnaie. L'incident avec les Italiens prouve les difficultés du passage d'une procédure à une autre. Il a été décidé à Tokyo le maintien du G5 et de son rôle dans la réforme du SMI. Mais il est difficile au G5 de se réunir sans qu'on en parle. Il y a là un problème de forme, de procédurerien d'un complot. M. le ministre d'État s'est trouvé dans une situation difficile. Les Italiens ont tendance à se fâcher contre la France; il faut changer cela.
Le texte des déclarations est rendu public avant le départ pour Rome où François Mitterrand doit rencontrer le Président de la République, Francisco Cossiga, le président du Conseil, Bettino Craxi, et le ministre des Affaires étrangères, Giulio Andreotti.
Francisco Cossiga, Giulio Andreotti et François Mitterrand abordent d'abord le malentendu franco-italien :
Le Président : Il n'y a pas de difficultés franco-italiennes ; il se trouve seulement que les réunions ont eu lieu à Paris. Il faut revenir à ce dont nous sommes convenus à Tokyo et dont M. Andreotti se souvient : le Groupe des Sept se réunit chaque fois qu'il est question de la gestion et de la réforme du SMI. Le Groupe des Cinq traite de la surveillance multilatérale. Il y a donc une réalité du G5 et une autre du G7. Mais nous avons un système qui n'est pas rodé. Le G7 doit entrer dans les mœurs. D'ailleurs, beaucoup de précautions ont été prises pour associer M. Goria aux travaux.
Giulio Andreotti : Le G5 existe. Il a le droit de se réunir. Mais la frontière est floue.
François Mitterrand : Dans le vocabulaire, la frontière est claire ; mais, dans la réalité, beaucoup moins.
Giulio Andreotti : M. Baker doit organiser une nouvelle réunion des Sept en avril. Nous saurons dans deux ou trois jours ce qu'il en est. L'affaire devrait être réglée à ce moment-là. Personnellement, je ne pense pas qu'il faille faire du bruit sur cette question. Le G5 est composé des pays dont les monnaies forment les DTS. C'est normal. Il traite donc de la surweillance multilatérale. Évidemment, si l'on parle de la balance des paiements...
François Mitterrand : Vous ne pouvez empêcher les Cinq de parler de ces questions entre eux.
Giulio Andreotti : C'est vrai qu'il y a eu des réunions à deux entre les Japonais et les Américains...
François Mitterrand : Oui, et à Paris les Américains et les Allemands aussi se sont concertés.
Giulio Andreotti : Moins on donne de publicité à cette affaire, mieux c'est. Nous espérons des résultats favorables de ces réunions.
François Mitterrand : Cet accord est une bonne chose, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Il faut que le G7 devienne une habitude et que cela se normalise... Je suis préoccupé par les problèmes européens. 1987 s'annonce mal. Il faut que nous tirions la sonnette d'alarme. Pour les ressources propres, vous connaissez ma position. La Communauté a un petit budget. A Fontainebleau, nous avons porté les ressources propres à 1,4 % de l'assiette TVA. L'Italie avait demandé 2 % et moi, je souhaitais 1,8 %. Je crains que les Anglais ne veuillent pas accepter le relèvement du plafond. Or, c'est indispensable ; sinon, nous n'aurons pas assez de ressources pourfaire tout à la fois. Chacun de nous a des exigences. La France veut que la Politique agricole commune soit financée correctement. Vous, et quelques autres, voulez que les fonds structurels augmentent. Et puis, il faut pouvoir financer la Recherche européenne.
Il nous faudra du temps pour faire comprendre cela aux Anglais. Les Allemands aussi sont réticents, mais ils comprendront mieux. Je crains que les intérêts particuliers de chaque pays ne soient en train de prendre le dessus. Or, nous ne pouvons perdre de temps si nous voulons tenir l'échéance de 1992.
Ces questions étaient à l'origine de ma demande de rencontre. Je voulais à la fois vous saluer et vous parler de cela. Il faut que nos pays fassent bloc. A Luxembourg, l'Allemagne était de notre côté ; aujourd'hui, elle est moins ferme...
Le Président rencontre ensuite Bettino Craxi, qui est encore pour quelques jours président du Conseil.
François Mitterrand : Je voulais maintenant vous parler de l'Europe. J'ai peur que 1987 ne soit une mauvaise année, une année perdue vis-à-vis de l'échéance de 1992.
Bettino Craxi : Mme Thatcher ne veut pas augmenter les ressources propres avant de résoudre le problème agricole. Sur le plan des principes, elle a tort.
François Mitterrand : La France ne peut accepter que la PAC soit remise en cause. C'est un élément fondamental du traité de Rome. Mais, bien sûr, il faut réduire les excédents.
Bettino Craxi : Je me demande s'il ne faudra pas une crise pour résoudre tout cela !
François Mitterrand : Je voulais vous parler du Sommet des Sept à Venise et de cet incident sur le G5 et le G7. Ma position est simple. Vous m'aviez saisi de votre demande d'élargir le Groupe des Cinq à sept pays en janvier 1986. J'ai répondu que j'y étais favorable et j'ai plaidé en ce sens. A Tokyo, on a décidé de créer le G7. On n'a pas décidé de supprimer le G5, qui rassemble les pays dont les monnaies composent les DTS. Les décisions de dimanche étaient évidemment du ressort du G7. L'Italie devait en être. Y a-t-il eu des maladresses ? Je ne sais. En tout cas, aucune mauvaise volonté de la part du gouvernement français. Le problème est de créer des usages. M. Goria a d'ailleurs été constamment associé à la préparation de ces réunions.
Bettino Craxi, boudeur : M. Goria ne devait pas aller à Paris. Je le lui avais dit.
François Mitterrand : Il faut organiser cela autrement. Sinon, ce sera toujours la confusion. Il faut qu'il soit bien clair que, lorsqu'on parle de gestion et de réforme du SMI, le Canada et l'Italie sont automatiquement présents. Il y a peut-être eu des maladresses, mais il ne faut pas exagérer la chose. Qu'advient-il du futur Sommet des Sept à Venise ?
Bettino Craxi, sombre : Je ne sais pas.
Long silence. On passe à autre chose.
Jeudi 26 février 1987
Une expérience nucléaire soviétique met fin au moratoire unilatéral auquel l'URSS s'est conformée depuis août 1985. Moscou avait prévenu que ses essais reprendraient dès la première explosion américaine survenant après le 1 -janvier. Or, les États-Unis ont procédé à deux essais, les 3 et 11 février.
Vendredi 27 février 1987
Au cours d'une de nos promenades-évasions, François Mitterrand me parle de ses précédentes candidatures : Dès que de Gaulle a annoncé que l'élection du Président de la République aurait lieu au suffrage universel, j'ai su que je serais candidat. Pourtant, je n'avais pas d'appui, pas de soutien, pas d'argent et j'avais plus d'adversaires que d'amis. Mais je le voulais. En 1965, j'ai annoncé ma candidature deux mois seulement avant l'élection. Il faut savoir forcer son destin, sinon on n'en devient jamais le maître.
Samedi 28 février 1987
La cour d'assises de Paris, spécialement composée de sept magistrats professionnels, condamne Georges Ibrahim Abdallah, chef présumé des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), à la réclusion criminelle à perpétuité.
A minuit, fin des émissions de TV6. Manifestations de jeunes.
Mikhaïl Gorbatchev, à Moscou, fait une concession majeure pour sortir du blocage de Reykjavik : il ne fait plus de l'abandon de l'IDS un préalable à l'option zéro. Il déclare : Dès qu'un accord de démantèlement des missiles soviétiques et américains de moyenne portée en Europe sera signé, l'Union soviétique retirera de RDA et de Tchécoslovaquie, en accord avec les gouvernements de ces pays, les missiles opérationnels tactiques de longue portée qui y ont été installés dans le cadre des mesures prises en réponse au redéploiement en Europe occidentale des Pershing II et des missiles de croisière. Pour ce qui est des autres missiles opérationnels tactiques, nous sommes prêts à engager séance tenante des négociations en vue de leur réduction et de leur liquidation totale.
A Reykjavik, l'accord s'était fait sur le retrait des Pershing II et des missiles de croisière d'un côté, des seuls SS 20 de l'autre. La plupart des gouvernements européens ont regretté que le Président Reagan n'ait pas demandé également le retrait des missiles nucléaires soviétiques à plus courte portée. Si les missiles que vise Gorbatchev par l'expression missiles opérationnels tactiques de longue portée sont les SS 22 et 23, sa déclaration marque un net progrès.
Si l'Administration américaine actuelle n'a pas reculé par rapport à ses positions de Reykjavik, elle n'a pas de raisons de ne pas accepter cette proposition.
Dimanche 1er mars 1987
M6 commence à émettre ce matin à 11 h 15.
Surprise : le Quai d'Orsay publie un communiqué sur les euromissiles, sans nous prévenir :
Compte tenu du déséquilihre conventionnel et chimique en Europe, l'objectif doit être d'éviter une dénucléarisation de l'Europe occidentale.
Stupide ! Il n'a jamais été question de cela, mais seulement de se débarrasser des armes tactiques américaines. Grotesque contresens !
Lundi 2 mars 1987
François Mitterrand est mécontent : Ce communiqué du Quai d'Orsay aurait dû m'être soumis. Sa tonalité ne convient pas.
Maurice Ulrich, interrogé par Jean-Louis Bianco, répond : C'est évident, mais il n'a pas été soumis non plus à Matignon...
Je lance l'idée d'une annulation de la dette des pays africains les plus pauvres. Le Trésor et Édouard Balladur coopèrent parfaitement. Il serait utile de lancer cette initiative avant le Sommet de Venise.
Un tract du RPR accuse le Président de favoriser le développement de la toxicomanie, sous prétexte qu'il a refusé de signer la mutation-sanction visant le procureur de la République de Valence.
Helmut Kohl écrit à François Mitterrand à propos de la déclaration de Mikhaïl Gorbatchev de samedi, déclarant qu'il est disposé à envisager un accord séparé sur les armes intermédiaires. Il estime nécessaire de convenir, parallèlement à un traité sur les armes intermédiaires, d'un engagement sur l'ouverture de négociations dans un délai maximum de six mois après la signature du traité, et sous une forme ayant valeur d'engagement en droit international, en vue de réduire le nombre total des engins à plus courte portée, afin de le porter à un bas niveau et en l'assortissant des mêmes plafonds. Autrement dit, il est d'accord pour l'option zéro simple, mais pas double. Triple, encore moins.
Déjeuner avec Ibrahim Souss. Rendez-vous pris de longue date. Il craint que la situation ne dégénère du fait de ceux qui, dans les deux camps, ont intérêt à bloquer tout dialogue et toute évolution. La tentation d'une véritable répression du côté israélien, une euphorie trompeuse du côté de l'OLP constituent autant de signes inquiétants.
Longtemps confisqué par les seuls États arabes, le conflit réapparaît comme purement israélo-palestinien. Les dirigeants de l'OLP sont prêts à parler à n'importe quel responsable israélien, si possible Shamir, car ils n'attendent plus rien de Shimon Pérès.
A mon sens, deux évolutions de l'OLP débloqueraient peut-être la situation : la création d'un gouvernement en exil et la reconnaissance du droit à l'existence de l'État d'Israël. Mais les organisations extrémistes palestiniennes, la Jordanie, la Ligue arabe et ceux des responsables de l'OLP actuelle qui ne seraient pas assurés de trouver place dans ce gouvernement s'opposent à sa création. Yasser Arafat se grandirait en acceptant l'existence côte à côte de deux États, israélien et palestinien ; il faudrait pour cela que cette proposition émane de tout le noyau dirigeant et qu'il soit assuré d'obtenir quelque chose de tangible en retour.
L'OLP, sans doute parce qu'elle croit avoir le vent en poupe, insiste moins sur la conférence internationale, sauf comme ombrelle (le même mot qu'a employé Shimon Pérès !) pour les contacts bilatéraux. Mais la présence de l'URSS sera déterminante pour contraindre la Syrie.
Il conviendrait de distinguer la revendication de l'ensemble des Palestiniens d'avoir un État centré sur la Cisjordanie, et celle des Palestiniens installés avant 1948 dans l'actuel État d'Israël, portant sur leur indemnisation. Ibrahim Souss m'explique que la maison de sa mère à Jérusalem sera, à sa mort, déclarée « bien vacant ».
Vu l'ambassadeur Paul Nitze, conseiller du Président des États-Unis pour les négociations de désarmement à Genève, et le secrétaire adjoint à la Défense, Richard Pearl. Ils font état de progrès techniques très importants dans la « guerre des étoiles », permettant l'identification des différentes cibles (fusées, têtes, leurres, etc.). Mais, en dépit de ces progrès, il n'y aura pas, sous la présidence de Reagan, de déploiement de ces matériels, si ce n'est pour accroître le nombre de silos de fusées protégés par une défense terminale.
Il m'explique que le Président Reagan a évidemment tranché en faveur de l'interprétation large du traité ABM, qui permet de se livrer aux expériences de l'IDS. Cette interprétation est reconnue justifiée par les juristes du Département d'État comme par ceux du Pentagone et du ministère de la Justice.
Pour sa part, Richard Pearl se déclare très mécontent de l'attitude de la France dans les négociations sur le désarmement conventionnel, où nous refusons une négociation alliance contre alliance, afin de ne pas dépendre du diktat américain pour l'avenir de nos armées. A les entendre, il semble donc que, partisans de l'annonce précipitée d'un déploiement précoce de l'IDS pour des raisons politiques et non pas scientifiques, Weinberger et Pearl ont été battus par George Shultz. En échange, ils espèrent que nous ne critiquerons pas leur interprétation « large » du traité ABM.
Nous n'avons pas intérêt à prendre parti sur l'interprétation complexe d'un traité américano-soviétique. Il vaut mieux que l'Administration Reagan s'estime en droit de poursuivre ses expérimentations IDS dans le cadre du traité ABM plutôt que de la voir s'acharner à le torpiller, comme elle l'a fait du traité SALT 2. Il sera bien temps, pour le successeur de Ronald Reagan, d'apprécier si des progrès réels — et non pas simplement allégués — de l'IDS justifient ou non un aménagement du traité pour pouvoir déployer les armes correspondantes.
Dans une lettre commune, François Guillaume et Édouard Balladur demandent à Jacques Chirac de s'opposer par tous les moyens, y compris en invoquant le compromis de Luxembourg — c'est-à-dire en usant du droit de veto —, aux mesures socio-structurelles proposées par la Commission, laquelle accorderait aux agriculteurs ayant dépassé un certain âge une indemnité de départ à la condition que leur exploitation s'arrête de produire. Ces mesures seraient obligatoires pour toutes les productions et dans tous les États membres de la Communauté.
A mon avis, il serait tout à fait excessif d'invoquer le compromis de Luxembourg pour s'y opposer. Nous offririons un prétexte aux Allemands pour repousser de la même façon les propositions de baisse des prix des céréales, qu'ils jugent intolérables.
Mardi 3 mars 1987
Comme prévu, démission de Bettino Craxi. Giulio Andreotti le remplace. Il espère, m'explique Renato Ruggiero, que c'est pour lui la dernière étape avant la Présidence de la République.
Pour des raisons qui tiennent au retour progressif des Soviétiques dans cette région, au contexte régional, mais aussi à la politique intérieure israélienne, Shimon Pérès cherche à relancer, contre Itzhak Shamir, l'idée d'une conférence internationale sur le Proche-Orient.
A l'approche de l'anniversaire de la proclamation de la République arabe sahraoui démocratique, le Polisario lance une attaque contre le « mur » marocain en face de Tindouf. Les Algériens laissent entendre que d'autres attaques sont possibles. Les Marocains ont demandé au Premier ministre des équipements permettant la surveillance et le tir de nuit. Nous n'en avons pas été officiellement informés.
Selon l'ambassadeur de France à Damas, le Président Assad est malade, de plus en plus coupé de la population, et dispose d'encore moins atouts qu'il y a dix ans pour réussir l'opération militaire qu'il a actuellement amorcée au Liban.
Le Président s'oppose à la vente au Chili de six lance-missiles et de douze missiles Exocet destinés à équiper sa marine. Pour Matignon, cette vente ne contrevient pas à notre doctrine, qui n'interdit que les livraisons de matériel utilisable pour la répression intérieure. Notre ambassade confirme que cette vente est souhaitée par les démocrates-chrétiens et les socialistes chiliens. Elle représenterait néanmoins un saut qualitatif qui ne passerait pas inaperçu : entre 1981 et 1986, nous n'avons livré que des pièces de rechange, pas de matériel neuf.
Les discussions sur les contentieux financiers franco-iraniens entre MM. Trichet et Nawab, les 25 et 26 février, n'ont produit aucun résultat nouveau. Selon M. Lafrance, notre représentant à Téhéran, les Iraniens veulent aboutir mais s'y prennent mal. Un règlement séparé sur l'affaire Framatome pourrait cependant intervenir rapidement à Vienne.
Iouri Vorontsov, vice-ministre soviétique des Affaires étrangères, est à Paris. Reçu par François Mitterrand, il déclare : Pour la limite inférieure du nombre de SRINF, la position soviétique n'est pas arrêtée. Il y a matière à négociation avec les États-Unis et à consultation avec les Européens dont les forces armées peuvent être directement concernées. A ses yeux, le gel est la meilleure solution. Pour Moscou, un plafond égal, avec droit de compensation, est inacceptable. Il refuse toute conversion des Pershing II en Pershing 1B, pour les maintenir hors de l'option zéro concernant les armes intermédiaires : Si les Américains persistent dans ce sale jeu, il ne pourra pas y avoir d'accord sur les armes intermédiaires. Les Soviétiques porteront alors le débat sur la place publique.
François Mitterrand : Le vœu de la France était que l'ensemble des problèmes du nucléaire et de l'espace soient traités d'un bloc. C'est pourquoi nous avons espéré une réduction de 50 % des armements stratégiques. Une réduction sensible des armes intermédiaires avec extension à celles de courte et moyenne portées nous semble utile. Nous ne souhaitons pas qu'il y ait de développement de l'IDS. A l'intérieur de cette discussion, nous ne prenons pas parti pour les arguments des uns ou des autres. Ce qui nous intéresse, ce sont les résultats. Puisque cet accord global n'est naturellement pas pour demain, en raison de l'IDS, pour nous, tout armement soviétique est un euromissile. Vous et nous n'avons que des euromissiles. Abandonnons donc ce vocabulaire, cherchons un désarmement intelligent !
M. Gorbatchev a été sage de faire des propositions sur les armes intermédiaires. On peut parler d'option zéro en Europe. Vous pouvez informer M. Gorbatchev que je suis — et donc que la France est — favorable à cette option zéro-là. Beaucoup de bruits contradictoires ont couru ; beaucoup de positions irresponsables, prises par des gens n'en ayant ni la charge ni la responsabilité, se sont exprimées. C'est l'un des rares inconvénients d'un pays démocratique... J'attends le Conseil des ministres de demain pour faire connaître une position qui ne peut être contredite. Il y aura des débats, mais la position du gouvernement de la France est fixée par moi. Nous cherchons l'équilibre, n'allons pas plus vite que la musique ! C'est vous l'orchestre... Nous n'avons pas à exprimer d'avis sur les négociations entre l'URSS et les États-Unis. Sur le sujet précis abordé par M. Gorbatchev, vous avez notre réponse.
Iouri Vorontsov me précise en sortant ce qu'il a laissé entendre au Président : Dans la négociation sur les armes nucléaires à très courte portée, il faudra tenir compte des armements de ce type, français et britanniques. C'est un retour tout à fait inédit à la prise en compte des forces françaises. Il faudrait marquer un point d'arrêt pour éviter les malentendus ultérieurs ; sinon, ce sera l'Hadès contre les SS 23, ou plutôt contre les SS 21. Lorsque je rapporte ces propos au Président, il me répond : Il est inévitable que nos armes soient amenées dans la négociation par les Soviétiques. A nous de refuser, c'est tout.
Mercredi 4 mars 1987
Au Conseil des ministres, Jean-Bernard Raimond fait un exposé très équilibré sur les propositions de Mikhaïl Gorbatchev.
André Giraud, d'un geste véhément, demande alors la parole : M. Gorbatchev obtient pour un prix extrêmement modique le changement complet de l'équilibre nucléaire en Europe. La situation est d'une gravité extrême. Nous assistons à une sorte de Munich européen.
François Mitterrand ménage un petit silence, puis s'exprime pendant une demi-heure. Ses propos sont écoutés avec une rare attention :
Je souhaite vous dire l'état de mes réflexions sur ce difficile sujet. Il y a manifestement une division des esprits qui n'est pas anormale. Dans une affaire allssi compliquée, il faut partir de quelques principes :
La négociation sur le désarmement nucléaire se tient entre l'URSS et les États-Unis. J'ai entendu regretter que la France ne soit pas présente à Reykjavik ou autour de la table des négociations sur les forces nucléaires intermédiaires. Ce n'est pas mon avis. Je me réjouis que la France n'y soit pas. Il faut résister à la tentation de dire : « Nous sommes offensés parce que nous n'y sommes pas. » C'est le contraire ; il faut dire : « Nous sommes à l'abri si nous n'y sommes pas. » Si nous étions à la table des négociations, de quoi pourrions-nous parler, sinon de mêler les forces françaises à la négociation sur les forces nucléaires intermédiaires ?
Il faut toujours se rappeler la disproportion des forces, de l'ordre de 10 000 têtes nucléaires au moins pour les deux plus grandes puissances, de l'ordre de 500 pour la France à l'issue de son effort actuel. Il faut que les deux plus grandes puissances fassent un effort considérable de réduction de leurs armes nucléaires avant que nous puissions envisager de participer au désarmement.
D'autres disent que l'Europe [le Président vise ici Valéry Giscard d'Estaing et Michel Rocard] doit être présente, mais qu'est-ce qu'elle dirait, l'Europe ? Il n'y a que la France et la Grande-Bretagne qui aient l'arme nucléaire !
Pour les Américains et les Soviétiques, les armes stratégiques sont celles qui peuvent traverser l'Atlantique. C'est leur langage, ce n'est pas le nôtre. Nous n'avons pas à accepter leur définition. Nous avons un système central de caractère stratégique et notre stratégie est une stratégie de dissuasion : dissuasion du faible au fort, où le faible use de sa faiblesse pour se faire craindre du plus fort, comme depuis l'origine des temps.
• La France n'est pas partie à la négociation, mais elle a naturellement intérêt à s'en informer. Elle est en droit, comme les autres alliés, de donner son avis, d'abord aux États-Unis, et aussi à la face du monde. D'ailleurs, les États-Unis devraient consulter réellement leurs alliés avant de prendre position sur ce sujet.
• Que peut-on penser des propositions de M. Gorbatchev ? Elles ne sont pas nouvelles, comme le communiqué du Quai l'a noté. Mais ce n'est pas nouveau non plus que la France ait pris position en acceptant ce que l'on appelle l'option zéro et en disant qu'elle n'acceptera pas d'y voir décompter ses propres forces.
C'est une proposition que l'Alliance a prise, notamment en 1979, en 1981 et en 1986, à Bruxelles. Il faut se rappeler qu'en 1986, nous y avons souscrit sans réserve. M. le ministre des Affaires étrangères m'avait soumis le texte et j'avais donné mon accord comme l'avait fait, je le suppose, M. le Premier ministre.
J'examine donc la proposition de M. Gorbatchev avec un réel intérêt ; mais cela n'ôte rien à certaines inquiétudes et aux conditions nécessaires. Ces conditions sont : la simultanéité ; l'équilibre ; la prise en compte des armes de courte portée, ce qui pose le problème délicat de la dénucléarisation de l'Europe ; enfin et surtout, le contrôle et la vérification.
Il faut marquer notre intérêt et, dans le même mouvement, dire quelles conditions nous paraissent indispensables. Il ne serait d'ailleurs pas tenable, devant les opinions européennes, de refuser purement et simplement les propositions de M. Gorbatchev.
Le danger principal, c'est le rêve et la folie de M. Reagan, qui a accepté à Reykjavik la suppression intégrale des forces nucléaires. Nous avons frôlé la catastrophe. A ce moment-là, le déséquilibre conventionnel et chimique aurait été dramatique.
Si l'on va vers un accord, je ne me dissimule pas qu'on se tournera vers nous pour la prise en compte de nos forces ; mais j'ai dit et redit à MM. Reagan et Gorbatchev qu'il ne saurait en être question.
Il est indispensable que nous réalisions d'abord l'unité de vues, puis l'unité d'action avec la RFA et avec la Grande-Bretagne. Il faut que les Européens parlent d'une voix à peu près unique. Je m'y emploierai.
En tout cas, les responsables de la France ont besoin d'une très grande union de pensée. C'est le problème de la patrie avant tout autre.
Jacques Chirac demande la parole: Je partage tout à fait le point de vue que le Président vient d'exprimer.
Pendant que le Président parlait, il a fait passer un mot à Philippe Séguin pour lui reprocher d'avoir accordé douze lits à Pierre Bérégovoy pour l'hôpital de Nevers ! Je le sais d'autant mieux que, sans crainte de se faire voir, Philippe Séguin a fait passer ce mot jusqu'à ma table...
Petit incident après le Conseil : selon une dépêche de l'AFP, Alain Juppé, porte-parole du gouvernement, a mis dans la bouche du Premier ministre les propos exprimés par le Président sur la Défense. Jean-Louis Bianco le lui fait remarquer. Il assure que c'est une erreur de l'AFP. Il prétend avoir dit : Le Président a fait un exposé, ce n'est pas à moi qu'il convient d'en parler. Le Premier ministre a approuvé et l'accord s'est fait entre eux. Juppé promet de demander un rectificatif à l'AFP. Ce qu'il fait.
L'Élysée publie une déclaration du Président confirmant ses propos au Conseil :
La perspective de l'élimination ou de la réduction des forces nucléaires intermédiaires américaines et soviétiques est conforme à l'intérêt de la France et de la paix.
Comme prévu après les déclarations de Mikhail Gorbatchev, les Soviétiques déposent à Genève un projet de traité proposant l'option zéro, sans rétablir de lien avec la négociation stratégique ni avec l'IDS (deux fois par le passé ce lien a été dénoué puis rétabli), et en précisant les conditions qu'ils posent pour le retrait des missiles SS 21, 22, 23 à plus courte portée.
Ronald Reagan promet de collaborer avec le Congrès dans l'affaire de l' Irangate.
J'apprends que Jean-Bernard Raimond a adressé lundi dernier au Premier ministre une note demandant son accord à trois nouvelles nominations aux postes de secrétaire général, directeur général des Relations culturelles et directeur des Affaires économiques. Trois postes clés du Quai vont donc changer de titulaires. Au départ des titulaires actuels, le Président ne pourra pas s'opposer, même s'il pourra influer sur le choix de leurs successeurs.
Jeudi 5 mars 1987
Margaret Thatcher applaudit à l'option zéro : C'est une idée avancée par Washington en 1981 et reprise à son compte par Gorbatchev le 28 février 1987. Le Foreign Office exprime néanmoins les mêmes réserves que le Quai d'Orsay : En l'absence de ces missiles intermédiaires, plus aucune dissuasion nucléaire américaine à l'échelle du Vieux Continent ne viendrait équilibrer la menace que font peser les missiles soviétiques à courte portée.
Le problème des forces nucléaires intermédiaires de portée inférieure à 1 000 kilomètres prend donc une place croissante dans les négociations américano-soviétiques et dans les discussions intra-atlantiques. Il pourrait compromettre une signature rapide de l'accord d'option zéro sur les forces intermédiaires.
Vendredi 6 mars 1987
Francis Bouygues rend publics ses doutes sur la loyauté de la candidature d'Hachette au rachat de TF1, en raison de la présence de la BNP, banque publique, dans son tour de table.
François Mitterrand reçoit Hervé de Charette. Ils parlent sans doute encore de la Nièvre...
Samedi 7 mars 1987
Jacques Chirac reçoit Francis Bouygues.
Le projet d'annulation de la dette africaine est prêt. Le Président pourrait en annoncer le principe. Édouard Balladur est d'accord.
Dimanche 8 mars 1987
Le Président m'entraîne pour une promenade d'une heure sur les Champs-Élysées : Il faut en finir avec les armes tactiques. Elles sont inutiles et dangereuses. Il est donc pour l'option zéro sur les armes à courte et très courte portée, la double et la triple. Le Quai et la Défense sont contre. Jacques Chirac aussi. Cela promet !
Sur le trottoir, les gens, étonnés, le reconnaissent. Quand ils lui font signe, il les salue avec cordialité, ôtant son chapeau pour les dames. Il me lance : Je ne suis pas si impopulaire que vous voulez me le faire croire...
Lundi 9 mars 1987
La CNCL demande à Hachette de reconsidérer son tour de table en en excluant la BNP. Hachette obtempère.
Accord Renault-Chrysler sur la vente d'American Motors.
Le Président, lisant un télégramme sur le récent voyage de François Bujon de l'Estang à Washington, remarque qu'il a tenu devant un diplomate américain, M. Armacost, secrétaire d'État adjoint, des propos très hostiles au Nicaragua d'Ortega.
A propos de l'achat éventuel d'avions Awacs, André Giraud s'obstine à dire qu'il a l'accord du Président et que le général Forray ne comprend rien à cette question. En fait, l'accord du Président n'est pas encore donné, ce que le ministre s'obstine, lui, à ne pas comprendre.
Mardi 10 mars 1987
Francis Bouygues dépose un recours devant la CNCL, affirmant que le retrait de la BNP ne change rien aux informations dont Hachette a pu bénéficier.
François Mitterrand, reçu par la presse diplomatique, déclare que la France n'entend pas traiter avec le terrorisme. Il annonce aussi l'initiative d'annulation de la dette des pays les plus pauvres d'Afrique.
Mercredi 11 mars 1987
Avant le Conseil des ministres, le Président demande à Jacques Chirac de réexaminer une candidature à la direction d'un établissement public. Il ne veut pas du postulant qu'on lui propose, un extrémiste de droite : Il a proposé la suppression de l'organisme qu'il veut diriger aujourd'hui !
Jacques Chirac, très énervé, déclare : C'est un savant unanimement reconnu. Si c'est d'un délit d'opinion qu'on l'accuse, il faut le dire ! Mais alors, il n'y aura pas de président et on saura pourquoi.
Toujours avant le Conseil, pendant que les ministres prennent le café avec les collaborateurs du Président, des propos très vifs sont échangés entre Michel Noir et Édouard Balladur, le second reprochant au premier d'avoir divulgué les indices du commerce extérieur à sa place.
Échange également peu amène entre Robert Pandraud et Claude Malhuret sur les étrangers.
Au Conseil, le Président intervient à propos d'une réforme du Code de la route (aggravation des peines frappant les conducteurs au taux d'alcoolémie trop élevé) : Me substituant à la voix générale, je dirai simplement au Conseil que ceci est à mes yeux une excellente réforme.
A propos de la réforme du service national, retardée à la demande d'André Giraud, le Président interroge ce dernier avec une grande douceur : Monsieur le ministre de la Défense, tout va bien ?
André Giraud : Oui, oui, monsieur le Président. Une disposition s'était glissée, qui aurait pu faire penser qu'on voulait remanier tout le service national, mais cela a été réparé. Tout va bien.
Claude Malhuret parle du projet de loi modifiant l'autorité parentale.
François Mitterrand : L'économie générale du projet est tout à fait satisfaisante, mais je voudrais vous poser une question. Le Conseil d'État avait suggéré que la garde conjointe ne soit possible que si les parents étaient d'accord pour la demander. Pourquoi n'est-ce pas dans le texte ?
Claude Malhuret : C'est effectivement un point très important. Mais j'ai pensé que c'était ajouter une complication de procédure. C'est aux juges de décider, et je pense qu'en pratique ils décideront seulement s'il y a l'accord des parents.
François Mitterrand : L'objectif, c'est que l'enfant soit autant que possible à l'écart des déchirements.
Jean-Bernard Raimond prend la parole pour son exposé traditionnel de politique étrangère. Il est effroyablement enroué, peut à peine parler.
François Mitterrand, aimable : Mais prenez votre temps. Cela arrive à tout le monde. Reprenez votre souffle... Et il donne la parole à Jacques Chirac, qui se réjouit des résultats des négociations agricoles européennes.
Jean-Bernard Raimond peut ensuite achever sa communication que personne n'écoute.
Départ pour un Sommet franco-espagnol à Madrid.
A l'issue du dîner chez le Roi d'Espagne, Jacques Chirac reçoit des journalistes français dans les salons du Ritz. Il critique l'extrême légèreté de ses prédécesseurs à propos des conditions d'entrée de l'Espagne dans le Marché commun et de l'extradition des Basques. Il affirme que les relations franco-espagnoles se sont améliorées depuis mars 1986.
Ultimatum : l'OJR (Organisation de la justice révolutionnaire) menace publiquement d'exécuter un otage, Jean-Louis Normandin, si le Premier ministre ne clarifie pas les propos tenus par le Président devant la presse diplomatique sur le terrorisme.
Maurice Ulrich pense que cet ultimatum est lié à la condamnation à perpétuité de Georges Ibrahim Abdallah. Il ajoute que la déclaration du Président peut être interprétée comme un durcissement de la position française. En fait, le Président n'a fait que répéter la position constante de la France, à savoir que l'on ne négocie pas avec les terroristes. Oui, concède Maurice Ulrich. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que l'OJR menace.
Vendredi 13 mars 1987
Le porte-parole du Premier ministre, Denis Baudouin, répond à l'ultimatum de l'OJR : La France entend poursuivre avec ténacité et fermeté sa lutte contre le terrorisme. C'est, précise-t-il, la position du gouvernement, arrêtée en liaison avec la Présidence de la République.
Le communiqué a été effectivement reçu par le Président, après un coup de téléphone de Jacques Chirac.
Sur l'ultimatum de l'OJR, chaque expert a son interprétation. Le sentiment du Président est qu'il est plutôt d'influence iranienne, qu'il s'agit surtout d'un signal à la Syrie pour la mettre en garde avant une entrée dans Beyrouth-Sud.
Samedi 14 mars 1987
Le Quai d'Orsay publie à son tour un communiqué, nettement plus conciliant, appelant l'OJR à la clémence et rappelant que la France souhaite poursuivre avec l'Iran le processus de normalisation engagé il y a onze mois.
Le Président : Mais qui les a autorisés ?... C'est très maladroit, aujourd'hui !
Dimanche 15 mars 1987
Maurice Ulrich dit à Jean-Louis Bianco que Jacques Chirac souhaite avoir le Président au téléphone. À 13 heures, le Président informe Bianco qu'il appellera Chirac. L'a-t-il fait ? Sûrement à propos de l'OJR...
Il est fort probable qu'il y a eu des engagements du gouvernement français qui n'ont pas été tenus. Est-ce à propos d'Abdallah ? Est-ce de ne plus vendre des armes à l'Irak ? Est-ce d'en vendre à l'Iran ? Qu'a vraiment dit le Premier ministre à l'émissaire iranien qu'il a reçu en tête à tête ?
Jacques Chirac semble très soucieux qu'en la matière il y ait une information et une coopération parfaites entre la Présidence et Matignon.
Lundi 16 mars 1987
Renaud est reçu à l'Élysée afin de recueillir pour Globe une interview du Président : Mitterrand, il est cool. D'abord physiquement, il ressemble un peu à mon père que j'aime beaucoup, et déjà ça aide. Et puis il est intelligent, mais ça, personne n'en doute, ou alors les cons, et c'est vrai qu'il y en a. Mais, surtout, il est plein d'humour, de répartie, et c'est un puits de culture. Et ça, moi, ça m'épate. Enfin bref, pendant plus d'une heure, je n'ai rien dit (...). Je l'écouterais bien parler encore un septennat. En partant, super à la bourre, j'ai regretté de n'avoir pas osé lui raconter que le matin même, je demandais à ma fille qui a cinq ans « Aurais-tu une question à poser au roi de France ? » et qu'elle m'a répondu : « Demande-lui si c'est lui qui a mis le feu à l'appartement, et ceci, cela... » Bien sûr que non, que c'est pas lui, Lolita ; c'est les autres...
Faut-il inviter formellement Mikhaïl Gorbatchev à revenir en France ? Ce serait le plus logique. Ce serait « son » tour. Une nouvelle visite d'État ne serait pas forcément souhaitée. Nous pourrions lui proposer de trente-six à quarante-huit heures de conversations et de travail hors de Paris.
Je suis à Washington pour faire la connaissance du nouveau conseiller à la Sécurité du Président, Franck Carlucci. J'en profite pour rencontrer Richard Darman, directeur du Budget, Paul Volker, président de la Banque fédérale, Clar Yeutter, ministre du Commerce, et Fred Ikle, numéro deux du Pentagone.
L'ambiance à Washington est délétère. On gère le quotidien, dans l'inquiétude des révélations de la presse sur l'affaire des contras. On donne comme probable un affrontement entre Dole et Hart en novembre 1988, avec un large avantage, pour l'instant, au candidat démocrate. On se méfie de Gorbatchev, considérant avec une sorte de jalousie son administration, qui, elle, pense-t-on, a le temps de faire des projets. On souhaite un accord avec les Soviétiques sur les forces nucléaires intermédiaires, sans rien engager d'autre sur le désarmement, afin de protéger la « guerre des étoiles ».
Les Américains sont décidés à arriver cette année à un accord de retrait total des armes nucléaires intermédiaires en Europe. Toutes les autres armes soviétiques à moyenne et à très courte portée (SS 21, 22, 23) seront évoquées dans une autre négociation dont on souhaite qu'elle soit « assez avancée » quand la négociation sur les armes intermédiaires sera conclue, mais rien de plus. On reconnaît qu'on n'a rien à proposer aux Soviétiques en échange de ces fusées-là — les Américains n'en ont pas en Europe —, et qu'il serait plus efficace de proposer en échange le déploiement de Pershing I, mais on s'y refuse. Et cela pour trois raisons, évoquées assez crûment à la Maison Blanche et au Pentagone : cela retarderait par trop la conclusion de l'accord sur les armes intermédiaires ; cela pourrait conduire, pour équilibrer les SS 22 et 23, à déployer en Europe, ailleurs qu'en RFA, des Pershing IA, reposant ainsi tous les problèmes du déploiement ; cela « indisposerait » les Allemands, demandeurs d'un retrait rapide des Pershing II. Le seul lien entre les deux négociations sera établi par le biais de la vérification de l'accord d'option zéro, laquelle devra veiller à ce que les missiles à plus courte portée ne soient pas, en fait, des armes intermédiaires déguisées.
On ne veut pas nous inclure dans les négociations, même sur les fusées à courte portée. Mais, en échange, on nous demande poliment de ne pas nous mêler de la négociation sur les armes intermédiaires.
L'obsession de l'Administration est de permettre à l'IDS de perdurer après Reagan, et, pour cela, de programmer dès maintenant des expérimentations d'armes spatiales requérant une interprétation élargie du traité ABM, même si ces tests n'ont lieu qu'en 1989 ou 1990. Bien que le Sénat ait pris très nettement position contre, on ne désespère pas d'y parvenir.
Les propositions américaines sur les armes à plus courte portée (plafonnement au niveau soviétique actuel et droit à un déploiement équivalent du côté américain, notamment par la transformation des Pershing II en Pershing I) sont, on le sait ici, irréalistes, car inacceptables pour Moscou. Sur le reste, les Américains restent divisés, hésitants.
Comme, par ailleurs, me dit Franck Carlucci, les autres Européens font pression pour une conclusion rapide de l'accord sur les armes intermédiaires, la logique américaine et la logique européenne vont dans le même sens.
Dans son esprit, la négociation SRINF apparaît comme quelque chose de flou, à l'aboutissement lointain : du côté américain, il n'y aurait rien à mettre dans la balance.
Franck Carlucci précise qu'il est en tout cas hors de question de discuter des armes françaises tactiques, ajoutant que, d'ailleurs, les Soviétiques ne l'ont pas demandé.
Il conclut sur la nécessité de travailler en commun et d'améliorer la concertation, car la position européenne sur les questions de défense n'est pas toujours claire.
Ce qui domine à Washington et à la Maison Blanche, c'est l'obsession de l'accord, même si, dans le même temps, Carlucci semble avoir pris quelque peu conscience de l'intérêt qu'il pouvait y avoir à exploiter au mieux le levier des Pershing pour obtenir le maximum de concessions soviétiques.
Carlucci me déclare d'autre part : Des troupes libyennes sont descendues en masse vers Fada samedi et dimanche. Il faut continuer à aider les contras, sinon ils vont tous mourir par notre faute. La conférence sur le Moyen-Orient est une absurdité, car elle ferait entrer les Soviétiques dans la région.
Au Trésor, l'accord monétaire du Louvre est considéré comme peu durable en raison du refus du Japon de relancer son économie, alors qu'il l'avait promis. En conséquence, le dollar baissera de 20 % dans l'année. Reste à savoir si ce sera dans le cadre d'une nouvelle « zone de référence », comme on le souhaite au Trésor, ou par la renonciation à toute ligne de défense, comme le veut Paul Volker.
Mardi 17 mars 1987
Conversation au Pentagone avec Fred Ikle, sous-secrétaire à la Défense, l'homme clé de la négociation avec les Soviétiques, le stratège américain de cette partie d'échecs planétaire : Plus personne en Amérique, sauf quelques représentants de l'extrême gauche, ne s'oppose aux recherches sur l'IDS, explique-t-il. On discute surtout de leur rythme, de leur ampleur et des domaines prioritaires. Même s'il y avait ralentissement, le programme survivrait à l'Administration Reagan. Cela ne veut pas dire que l'on pourra un jour se dispenser totalement des armes nucléaires offensives : il y aura toujours des moyens, pour les Soviétiques, de contourner les défenses antibalistiques et les défenses anti-aériennes dont il faudra également se doter, une fois les recherches sur l'IDS menées à bien.
Sur les négociations en cours en vue d'une interdiction des armes chimiques : Je suis de plus en plus sceptique sur la négociation de Genève, car je suis convaincu que la vérification n'est pas possible.
Pour nous, les armes chimiques ont cessé d'être un tabou ; en France, on a désormais une conscience très vive du déséquilibre existant au profit des Soviétiques. Nous nous laissons gagner nous aussi par le scepticisme vis-à-vis d'une interdiction négociée.
Message de Horst Teltschik : le gouvernement fédéral accepte l'extension de l'option zéro sur les forces nucléaires intermédiaires de longue portée aux armes à plus courte portée. Ni la position américaine ni la position soviétique ne sont claires ; l'allemande l'est encore moins.
Sur l'UEO, le Chancelier, le 13 janvier dernier, a souscrit à l'initiative du Premier ministre français. Il reste que l'organisation elle-même n'est pas en mesure de fonctionner. La question du transfert du siège à Bruxelles, ou, pourquoi pas, à Paris, est posée. La République fédérale peut se prononcer en faveur de Paris. L'organisation doit permettre de s'accorder sur les intérêts européens.
Dans son discours prononcé à Berlin le 30 avril prochain à l'occasion du sept cent cinquantième anniversaire de la ville, le Chancelier rappellera que la volonté fédérale de dépasser les divisions de l'Europe fait écho à sa volonté de dépasser les divisions de l'Allemagne : Nous ne voulons pas d'une voie particulière. La question allemande est insoluble indépendamment de la question européenne. Le discours du 30 avril constituera une ouverture vers l'idée d'« Europe dans son ensemble » (Gesamteuropa).
Horst Teltschik me dit qu'il a appris de Burt, l'ambassadeur des États-Unis à Bonn, que le Président Reagan prononcera le 12 juin un discours politique à la porte de Brandebourg, présentée comme le symbole de la porte qui devrait être ouverte aux échanges entre les idées et les hommes des deux parties de l'Europe.
Mercredi 18 mars 1987
Avant le Conseil des ministres, le Président attire l'attention de Jacques Chirac sur le projet de loi Séguin relatif à l'aménagement du temps de travail, lequel permet de déroger à l'interdiction du travail de nuit des femmes.
Le Premier ministre, qui n'est visiblement pas au courant, répond : Je vais regarder.
Pendant le Conseil, André Giraud reçoit un message urgent : nos radars ont détecté un avion libyen qui se dirige vers Abéché, au Tchad, et s'apprête à franchir le 16e parallèle. Il en informe le Président.
François Mitterrand lui fait passer une note : Il faut faire des sommations scrupuleuses, mais, s'il ne les écoute pas, s'il ne fait pas demi-tour, il faut l'abattre.
Le Premier ministre, informé, est tout à fait d'accord.
En réalité — nous ne le saurons que quelques heures plus tard —, l'information reçue par André Giraud était fausse. Elle est le résultat d'une énorme erreur de transmission qui devrait justifier des sanctions militaires : l'avion libyen qui était censé devoir franchir le 16e parallèle était en réalité posé au sol... au Soudan ! Les appareils français qui l'avaient repéré avaient en fait pénétré dans l'espace aérien soudanais sans s'en rendre compte...
Philippe Séguin expose très brièvement son projet de loi sur l'aménagement du temps de travail.
Le Président : Le débat a déjà eu lieu. Vous connaissez le fond de mes réserves. Les répéter serait une redite inutile.
A propos de la nomination de Jean-Pierre Angrémy à la direction des Relations culturelles : C'est un homme distingué, certainernent capable de remplir cette mission.
François Léotard, à propos de Thierry de Beaucé, démis de cette même direction : Il aura des fonctions importantes. Le Président : Je crois qu'il ne les acceptera pas.
François Mitterrand, à la sortie du Conseil des ministres, à propos des chiraquiens : On peut dire que c'est un clan si l'on veut être aimable, un gang si l'on est désagréable.
Le Président me demande de noter scrupuleusement les variations du Premier ministre à propos de l'option zéro : Jacques Chirac lui a dit à Madrid, le 12 mars, qu'il était pour ; ce matin, avant le Conseil, il a déclaré qu'il était personnellement contre, mais qu'il n'en ferait pas état, car il est attaché au consensus.
François Mitterrand : Comment gouverner dans ces conditions ?
Le Président reçoit Charles Pasqua et Robert Pandraud. Pasqua réclame toujours le départ de Jean Reille, directeur des voyages officiels, pour le remplacer par Raymond Sassia, dit « le Gorille ». François Mitterrand répond que si Jean Reille s'en va, il refusera désormais toute protection du gouvernement et le fera savoir publiquement.
Charles Pasqua soutient que le service des voyages officiels est inefficace, que les gens n'y sont pas assez bien formés, que ce sont plus des adjoints du protocole ou des porte-serviettes que de véritables préposés à la sécurité.
Le Président : On a en effet confondu les fonctions. La moyenne est médiocre. Il faut distinguer la fonction protocole et la fonction protection.
Le Président évoque le fait — que Pasqua et Pandraud semblent connaître — que Gaston Defferre et Pierre Joxe lui avaient proposé de nommer Raymond Sassia comme chef de sa sécurité personnelle, qu'il avait accepté, mais que Sassia avait refusé sous prétexte que le GSPR dépossédait la Police. Le Président ne peut donc accepter maintenant que le même Sassia ait la responsabilité des voyages officiels.
François Mitterrand ajoute : Le Premier ministre m'a dit d'un ton significatif : « C'est le danger terroriste qui est en cause. » J'ai l'oreille assez fine pour entendre que, s'il y a une flambée terroriste, on pourra dire que c'est la faute du Président de la République qui a refusé de réformer les voyages officiels. [Pasqua esquisse un sourire. Pandraud est cramoisi.] C'est stupide de toujours vouloir des lois nouvelles et réformer les structures... Dans une note à Jean-Louis Bianco, Maurice Ulrich a rappelé poliment, comme il le fait toujours, et discrètement, comme il le fait toujours, que l'on peut fort bien se passer de moi pour réformer également cette direction-là ! Écoutez, les choses sont très simples : ou bien je serai d'accord, ou bien je ne serai pas d'accord. Si je ne le suis pas, je me débrouillerai tout seul: je n'accepterai pas que ma sécurité soit assurée par le gouvernement et j'assumerai publiquement cette décision. Je vous signale par ailleurs que l'un des policiers que nous avions révoqués, pour avoir voué à la pendaison le ministre de la Justice et menacé de coups le ministre de l'Intérieur, est aujourd'hui affecté à la sécurité des personnalités...
Charles Pasqua : La tâche principale de ce monsieur consiste à prendre des billets d'avion !
François Mitterrand : Moi, je n'ai rien contre lui. Il peut très bien prendre les places d'avion de M. Malhuret. Mais je vois apparaître toute une série de gens qui m'inspirent le contraire de la confiance.
Vous savez, monsieur le ministre de l'Intérieur, il y a aussi tout ce qui est affiché dans certains commissariats [des tracts très hostiles au Président]. Bien entendu, tout ceci n'implique de ma part aucune méfiance à votre égard. Il n'y aucun caractère personnel dans mes propos. Je n'ai eu qu'à me louer d'un ancien directeur général de la Police qui s'appelait Robert Pandraud... En tout cas, comme directeur général... Comme ministre, on verra. Vous serez jugé, comme moi, à la fin!
En Tchécoslovaquie, Gustav Husak présente un programme de réformes et de démocratisation de la société inspiré des principes de restructuration et de transparence mis en avant en URSS.
Faut-il que la France demande que les SS 22 soient pris en compte dans les négociations sur les forces nucléaires intermédiaires et qu'un lien strict soit établi avec la négociation des armes à plus courte portée ?
Je suis convaincu que, sauf instruction contraire du Président, le Premier ministre, poussé par François Bujon de l'Estang, va s'exprimer publiquement à ce sujet lors de son voyage à Washington.
Nous apprenons que Jacques Chirac a écrit à Hissène Habré pour lui donner des informations sur l'état d'esprit de Goukouni Oueddeï — informations que Hissène Habré connaissait sûrement et que nous-mêmes possédions — sans que l'Élysée ait été prévenu de cette correspondance.
Nous apprenons aussi que Jacques Chirac — toujours sans que l'Élysée ait été avisé ni consulté — aurait écrit à Saddam Hussein pour lui annoncer un revirement favorable de notre politique de vente d'armes à l'Irak. En fait, ce changement paraît très limité. Il s'agirait simplement de faciliter les ventes à crédit. Mais le procédé, s'il est avéré, est inadmissible, d'autant plus qu'une note de Jean-Louis Bianco du 13 février 1987 rappelait à Maurice Ulrich que le Président devait être consulté sur toutes les décisions relatives à la livraison éventuelle de nouvelles armes à l'Irak. Sans compter qu'un tel message n'est pas très opportun en ce moment !
Nous n'avons pas encore protesté, car il faut d'abord que nous puissions expliquer comment nous avons obtenu ces renseignements. Ce qui n'est pas facile...
Décidément, les réseaux de l'Élysée fonctionnent de mieux en mieux. Chaque collaborateur, dans son secteur, reçoit de plus en plus d'informations. Un nombre croissant de hauts fonctionnaires prennent le risque de se montrer à l'Élysée.
Jeudi 19 mars 1987
François Léotard prend ses distances avec la campagne anti-pornographie lancée par Charles Pasqua, notamment avec cette ridicule exposition des « objets du délit » où ne se pressent que des journalistes rigolards. Il s'agit là d'une initiative d'un proche de Pasqua, Dominique Latournerie, directeur des Libertés publiques.
Une réunion des ministres de l'Intérieur des Sept est prévue à Paris. Ni François Bujon, ni le Quai d'Orsay, ni le directeur de cabinet de Charles Pasqua ne sont au courant. Par contre, Maurice Ulrich confirme que cette réunion est bel et bien prévue ! Il en avait été question il y a un an, avant Tokyo. Depuis lors, personne n'en avait plus reparlé. Bujon téléphone au ministre de l'Intérieur pour lui dire que cette réunion est contraire à la politique de la France et qu'elle ne doit pas avoir lieu. Pasqua, lui, semble y tenir beaucoup.
Vendredi 20 mars 1987
En Afrique du Sud, le coopérant français, Pierre-André Albertini, est condamné à quatre ans de prison pour refus de témoigner dans un procès intenté à quatre militants de l'ANC accusés de terrorisme.
Édouard Balladur s'apprête à annoncer au FMI, au plus tard le 13 avril, une proposition sur la dette africaine, qui pourrait aller jusqu'à l'annulation de trois annuités d'intérêts dus par les plus pauvres.
Le principe d'une telle initiative a été annoncé par le Président devant la presse diplomatique et à Madrid. Elle est le résultat d'un travail entrepris depuis six mois. C'est le ministre d'État qui en exposera le détail.
Interrogé par des journalistes à l'occasion du premier anniversaire de l'entrée en fonctions du gouvernement, Jacques Toubon déclare : Pour tout ce qui va mieux, François Mitterrand dit : « Ça vient de moi. » Pour ce qui ne va pas, il dit: « Je n'y suis pour rien. » Et quand quelque chose va bien, il invoque la continuité, même si la politique a changé du tout au tout depuis le 16 mars.
Samedi 21 mars 1987
A Villeurbanne où il se trouve aujourd'hui, la foule crie à François Mitterrand: Représentez-vous ! Représentez-vous ! Le Président répond : Je vous entends ; cela ne veut pas dire que je vous écoute !
Dimanche 22 mars 1987
François Léotard qualifie de faute politique la campagne de Charles Pasqua contre la pornographie.
L'armée tchadienne reprend aux Libyens la base d'Ouadidoum. Violents combats.
Lundi 23 mars 1987
Rencontre entre Margaret Thatcher et François Mitterrand en Normandie au château de Bénouville. L'endroit a été choisi par Michel d'Ornano, à qui j'ai demandé conseil et qui a été très heureux de se rendre utile. Sa discrétion et son souci du détail ont fait merveille dans cette affaire. Il nous accompagne toute la journée, sans autre plaisir que celui de jouer ainsi un bon tour à Jacques Chirac.
Maurice Ulrich nous informe de la découverte par la DST d'explosifs et de l'arrestation des terroristes tunisiens qui les détenaient. D'après la nature des explosifs, il semble qu'il s'agisse d'une filière iranienne liée à des gens de l'ambassade à Paris.
Joseph Rovan, le grand expert des questions allemandes, nous prévient que les dossiers les plus novateurs préparés sous sa supervision pour le Sommet culturel de Francfort ont été étouffés par les Affaires étrangères. Il va nous les transmettre.
Mardi 24 mars 1987
Vu le professeur Willy Rosenbaum, spécialiste du sida, avec Ségolène Royal et Jean-Louis Bianco. Il nous parle d'un accord franco-américain sur le sida dont je n'ai pas du tout entendu parler. Or Jacques Chirac doit le cosigner la semaine prochaine avec Ronald Reagan ! Un traité international qui est de la compétence expresse du Président !...
François Léotard est reçu par François Mitterrand, qui le félicite d'avoir tenu tête à Édouard Balladur sur le Louvre et d'avoir maintenu l'avancement des travaux, malgré l'opposition de ce dernier.
Le contrat prévoyant l'implantation à Marne-la-Vallée d'Euro Disney, qui veut être le plus grand parc de loisirs européen, est signé par Jacques Chirac.
François Mitterrand écrit à Ronald Reagan pour faire le point sur le désarmement et acquiescer au lien entre l'option zéro sur les forces nucléaires intermédiaires et l'équilibre à bas niveau des armes à plus courte portée. Il rappelle que, depuis huit ans, il a exprimé son accord sur le principe de l'option zéro, tout en estimant que cette réduction devrait être équilibrée et contrôlable. En premier lieu, explique-t-il, il serait préférable qu'elle inclue non seulement les SS 20 soviétiques, mais aussi, autant que faire se peut, les plus menaçantes des armes nucléaires soviétiques à courte portée. Une négociation ultérieure sur les forces nucléaires intermédiaires à courte portée et sur les armes nucléaires à très courte portée est attendue, souligne-t-il, par la plupart des pays européens de l'Alliance, en raison des déséquilibres en ce domaine. Pour éviter qu'elle ne s'engage dans de mauvaises conditions, il lui semblerait sage d'essayer d'introduire dans l'accord sur les forces nucléaires intermédiaires le principe de la parité sur les armes nucléaires à courte portée, sans en remettre l'affirmation à une négociation ultérieure. Les contraintes qui en découleraient devraient interdire la modernisation ultérieure des armes nucléaires soviétiques à courte portée et les plafonner à leur niveau actuel, voire les ramener à un niveau inférieur... Il conclut en exhortant à explorer toutes les chances d'accords mutuellement bénéfiques avec l'URSS, comme toutes les actions susceptibles d'assurer à la paix des fondements plus solides.
Les six Tunisiens et le Français arrêtés dimanche préparaient, sous contrôle de l'ambassade iranienne, des attentats à Paris avec des explosifs comparables à ceux de la rue de Rennes.
Vu Bujon de l'Estang. Il m'annonce, sous le sceau du secret, que le gouvernement rapatrie par petits paquets les soixante-dix Français de Téhéran pour éviter qu'ils ne soient pris en otages. Il me demande une totale discrétion à ce propos, et je l'étonne beaucoup en lui apprenant qu'Europe 1 en a parlé ce matin même.
Je l'interroge sur l'accord franco-américain sur le sida qui devrait être signé par Jacques Chirac à Washington. Il reconnaît qu'il existe. Visiblement, il aurait préféré que je ne le sache pas.
Enfin, ayant reçu hier soir copie de la lettre adressée par François Mitterrand au Président Reagan, il me dit qu'il aurait préféré qu'on lui en parlât avant. Je lui ai répondu que nous aussi, nous avions découvert dans les télégrammes diplomatiques — mais après leur départ — les lettres de Jacques Chirac aux onze chefs de gouvernement d'Europe, dont une, très détaillée, au Chancelier Kohl, sur la Défense.
Avant son intervention télévisée prévue pour le 29 à 7 sur 7, François Mitterrand demande à Pierre Bérégovoy de dire du bien de Michel Rocard. Ce n'est pas si facile à obtenir...
Mercredi 25 mars 1987
Avant le Conseil, François Mitterrand interroge Jacques Chirac sur cet accord franco-américain sur le sida dont il n'a pas été saisi. Jacques Chirac : Ce n'est pas un accord intergouvernemental. Cela concerne seulement quelques chercheurs, pour des affaires de brevet... Ce n'est pas un accord international au sens de l'article 52 de la Constitution. Cela n'a pas d'importance...
Pendant le Conseil, Alain Carignon rend hommage à Haroun Tazieff qui l'a aidé pour son étude sur les risques majeurs.
André Giraud rend un vibrant hommage à R. Payen... qu'il est pourtant en train de « virer » de la direction de la Gendarmerie !
Lucette Michaux-Chevry doit faire un exposé sur la francophonie. Comme le Président, en raison de la cérémonie commémorant le trentième anniversaire du traité de Rome, doit quitter la capitale tout de suite après le Conseil, il lui demande de se montrer assez brève. Elle l'est et termine en disant : Je me suis efforcée de résumer au maximum.
Le Président : La langue française permet aussi cela.
A la sortie, nous réglons avec Hervé de Charette la question du sous-préfet de Cosne, qui tracassait le Président.
On apprend par la radio que le gouvernement s'apprête à expulser des diplomates soviétiques à la suite d'une tentative d'espionnage concernant la fusée Ariane. De quoi s'agit-il ?
Par ailleurs, Gilles Ménage apprend par un journaliste que deux Tchécoslovaques ont été expulsés pour espionnage à une date non précisée. La Présidence de la République n'en a pas été davantage informée par le gouvernement.
Maurice Ulrich demande quelle est la position du Président sur une éventuelle intervention au Surinam.
Jacques Chirac à L'Heure de vérité : Le déménagement des Finances à Bercy n'est pas d'actualité.
Interrogé sur les réserves émises par François Léotard à propos de l'ordre moral pasquaïen, le Premier ministre répond : Je n'ai rien entendu.
Jeudi 26 mars 1987
Bouygues et Hachette déposent leur dossier d'exploitation respectif pour TF1 à la CNCL. Francis Bouygues laisse entendre qu'il envisage un recours contre Hachette pour modification de son tour de table après le dépôt des candidatures.
Philippe Séguin me téléphone : Est-il vrai que le Président va parler de Sécurité sociale à la télévision ? Si c'est le cas, je répondrai!
Le Président pense que le gouvernement français a fait des promesses imprudentes aux Iraniens dans l'affaire des otages.
Vendredi 27 mars 1987
Sur instruction du Président, Jean-Louis Bianco écrit à Jean-Bernard Raimond pour l'interroger à propos du message de Hissène Habré qui ne nous est pas parvenu.
Le Président a eu connaissance d'une lettre d'Édouard Balladur à Jacques Chirac soulignant les dangers d'une vente d'avions Mirage au Maroc. François Mitterrand interroge par écrit Jacques Chirac à propos de cette opération dont nous n'avons jamais été informés officiellement.
L'annonce de la signature prochaine d'un accord franco-américain sur le sida tombe à l'AFP. Il est présenté comme un grand accord international. Le Président est indigné : Chirac est vraiment impossible ! Il m'a dit hier que cela n'avait aucune importance. Ces gens-là mentent tout le temps et sont vraiment trop mesquins !
Il envisage un instant d'écrire au Premier ministre. Mais, finalement, la protestation part sous la forme d'une note de Jean-Louis Bianco à Maurice Ulrich.
Au même moment, Maurice Ulrich transmet une note sur les terroristes tunisiens entendus par la DST et consulte Jean-Louis Bianco sur la conduite à tenir à propos de l'Iran. Malheureusement, Denis Baudouin, interrogé sur la réaction de la France à ces projets d'attentats déjoués, répond : On ne fera rien dans l'immédiat. L'erreur est double : ne rien faire donne le sentiment que l'on accepte tout, et, dans le même temps, l'expression dans l'immédiat implique une vague menace.
La ligne de conduite que le Président préconise est la suivante : il appartient au juge chargé de l'affaire, Gilles Boulouque, de clarifier les responsabilités intérieures et extérieures. Le gouvernement en tirera ensuite les conséquences diplomatiques.
Il est décidé de convoquer au Quai d'Orsay le chargé d'affaires iranien pour lui indiquer que de graves présomptions pèsent sur des ressortissants iraniens et mettent en cause son gouvernement. Rien de plus pour l'instant.
Le gouvernement s'apprête à limoger Roger Fajardie, vice-président du Comité consultatif pour la langue française à la Francophonie.
L'armée tchadienne reprend Faya-Largeau, cette fois sans combats.
Déjeunant avec Jean-Claude Paye, secrétaire général de l'OCDE, je le préviens, comme chaque année, que le Président recevra les ministres des Affaires étrangères et des Finances de l'OCDE lors de la session plénière, en mai. Il m'apprend que le ministre des Affaires étrangères l'a déjà approché en vue de préparer une réception par Jacques Chirac.
Samedi 28 mars 1987
François Mitterrand rencontre Helmut Kohl au château de Chambord. Discussion sur la sécurité et la défense en Europe. Ils se déclarent favorables à une détente contrôlée.
Helmut Kohl : Je suggère que pendant les dix mois qui viennent, nous abordions deux grands sujets, la sécurité et l'Europe, et que nous établissions à leur propos une coopération très étroite. Mon idée est que Jacques Attali et Horst Teltschik en discutent de façon approfondie et totalement secrète, en s'adjoignant des spécialistes, si nécessaire, pour que le lien franco-allemand soit plus resserré que jamais. Ce doit être notre affaire à tous les deux. La relation franco-allemande est pour moi plus importante que l'Europe. Je ne sais pas si c'est bien compris en France. Maintenant que le train est sur la bonne voie, je veux influer sur sa vitesse, et non plus sur sa direction.
Si Gorbatchev reste, ce que personne ne peut prévoir, il aura l'idée de venir parler de neutralisation en Allemagne. La meilleure façon de résister à cette tentation pacifiste sera un accord franco-allemand, car les intellectuels allemands sont pour la neutralisation. Die Zeit, le grand journal allemand, penche pour le neutralisme. Il y a beaucoup de gens qui optent pour cette direction : une gauche intellectuelle hantée par le neutralisme, des professeurs qui commencent à s'exprimer dans ce sens — ils commencent même à évoquer le préambule de notre Constitution...
Sur le problème de l'unité allemande, de toute façon, l'Allemagne de Bismarck ne reviendra jamais. C'est une erreur que l'Allemagne commet depuis cent ans ! Cela demande beaucoup de force d'y résister, car c'est le plus simple. Nous allons donc nous retrouver entre deux chaises.
J'ai dit au Président américain : « Je regarde Gorbatchev avec une sympathie sceptique, j'attends. Il n'y a pour l'instant de sa part que des mots, pas des actes. » Beaucoup, en Allemagne, pensent que Gorbatchev va créer une république démocratique, alors qu'il ne veut en fait, à mon avis, que mettre en place un communisme efficace.
Chaque semaine, il y a des Soviétiques qui viennent à Bonn pour nous séduire. Ils invitent tout le monde à Moscou en déroulant le tapis rouge.
Les Allemands ont toujours été réputés pour leur efficacité économique et leur bêtise politique. De surcroît, il y a une situation trouble dans l'Église évangélique. Elle s'est engagée avec force contre Hitler. Elle a ensuite beaucoup fait, mais, maintenant, il y a plus de catholiques que de protestants, et l'écart se creuse. L'Église évangélique est partout en chute libre, y compris en RDA : sur 100 personnes nées à Leipzig, 22 sont baptistes et 14 catholiques. Or, Leipzig est la grande citadelle de l'évangélisme. Je suis très demandé là-bas...
La discussion sur le désarmement n'a pas encore commencé. L'Église fait croire à beaucoup de monde que nous n'avons plus besoin d'année allemande dans la mesure où Gorbatchev est candidat au prix Nobel de la paix. Moi, je dis : je veux dix-huit mois de service militaire, plus des réservistes. Hier, j'ai parlé avec Henry Kissinger. Il a déclaré qu'à son avis les Allemands ne se battraient jamais. Je lui ai répondu : « Demandez à mon fils. Il n'est pas militariste, mais il a rencontré des parachutistes qui sont à 95 % bacheliers, à la différence des États-Unis où les élites ne sont pas dans l'armée. Au suiplus, les parachutistes allemands sont tous des volontaires. Ce sont des gens efficaces. » Il y a du mouvement dans notre société : si nous sommes intelligents, sereins et stables, le temps travaille pour nous.
François Mitterrand : Ce que vous venez de dire m'a beaucoup intéressé.
Ceux qui ne croient pas que la RFA est en Europe ne le sont pas non plus. Il y a une certaine hypocrisie à se dire « européen » aujourd'hui. La majorité politique parlementaire en France est moins européenne qu'avant. Mais les électeurs sont plus européens. Les paysans sont européens, le langage politique est européen, mais pas la réalité : c'est ça, la difficulté !
Sur les problèmes difficiles de l'Europe, la pression de l'opinion publique française et ma pression personnelle permettent de faire des progrès.
Sur les crédits à la Recherche, le gouvernement français avait proposé récemment 3,5 milliards d'écus ; on tourne autour de 6, il y a donc progrès. Le point fixe, l'abcès, c'est la démagogie agricole des Français. Jefais défendre les intérêts des paysans français, mais il faut être raisonnable. C'est une difficulté sans fin.
Je serais très heureux que Teltschik et Attali puissent se voir pour parler de défense. Il faudra que les SS 20 se retirent. Il y en a 270 en Europe, avec trois fois plus de têtes nucléaires, face à 108 Pershing II; en plus, il y a les armes soviétiques à courte portée. Si les Soviétiques obtiennent le départ des Pershing II, ils obtiendront le découplage entre l'Europe et les États-Unis. Ce serait un danger, disent les adversaires de l'option zéro. Mais c'est faux ! Dire non à l'option zéro, c'est être contre le désarmement. Pour vous comme pour moi, c'est impossible. Moi, je suis contre tous les missiles intermédiaires à courte et à moyenne portée, ils n'ajoutent rien à l'armement français ni à l'armement américain. Il n'y aura pas de guerre nucléaire par petits morceaux. Toute guerre nucléaire sera complète.
Pouvez-vous vraiment croire que, pour défendre Hambourg, je vais tuer deux millions d'Allemands et qu'au surplus j'attendrai des remerciements de l'Allemagne pour cela ? C'est une imbécillité ! Cela mettrait la panique et la révolution partout.
Supposons que Hambourg soit menacée et que les Français doivent la bombarder pour défendre les Allemands. Dans ce cas, les Soviétiques se disent : les Français exagèrent !et ils détruisent Lille, Strasbourg et Le Havre. Et moi, je réunirais alors tranquillement le Premier ministre et le chef d'état-major et je leur dirais : « Bien, maintenant, je vais déclarer la guerre aux Soviétiques » ?... C'est un raisonnement complètement idiot ! C'était le raisonnement de 1914 : au bout de quatre jours, il ne reste rien. Mais on ne peut empêcher les gens de raisonner avec leur imbécillité...
J'ai dit aux dirigeants français que j'étais contre les forces nucléaires intermédiaires parce qu'elles ne sont pas intermédiaires. Même si nous en avons, nous ne nous en servirons pas, ou alors c'est la guerre nucléaire totale. Si la guerre nucléaire éclate, c'est que la dissuasion aura échoué ; si celle-ci réussit, il n'y aura pas de guerre nucléaire, et les armes nucléaires intermédiaires ne serviront à rien. Notre stratégie n'est pas de faire la guerre, mais d'empêcher la guerre. S'il y a la guerre, elle sera totale, uniquement dirigée contre l'URSS, et c'est la seule façon de l'empêcher. J'ai donc dit : je suis pour l'option zéro.
Notre force nucléaire, ce sont nos sous-marins. Ils voyagent dans toutes les mers. C'est notre système central, auquel il faut ajouter les dix-huit fusées d'Albion qui peuvent toucher l'URSS.
Je ne sais pas ce que veut dire euromissile. C'est un mot pour les Américains. Eux ont une possibilité de fisir : c'est-à-dire de voir à distance ce qui se passe en Europe. Ce sont des étrangers. Nous n'avons pas cette flexibilité. Je tiens beaucoup à ce raisonnement.
Les systèmes centraux soviétique, français, britannique, américain doivent être considérés comme la sécurité de ces quatre pays. Mais il y a une grande différence entre eux : les Américains ont 13 000 têtes, les Soviétiques 11 000, les Britanniques 90, nous autres, Français, 150. Les forces nucléaires intermédiaires à longue portée n'ajoutent rien à la défense de l'Europe. Les Soviétiques ont plus à perdre à l'option zéro que nous. S'ils sont pourtant pour l'option zéro, c'est pour deux raisons : d'abord, ils veulent augmenter leur pouvoir d'achatGorbatchev joue son avenir là-dessus ; ensuite, ils veulent un avantage réel : ne plus pouvoir être atteints en une heure par les fusées américaines. C'est pour ça qu'ils veulent se débarrasser des fusées américaines en Europe. Cela constitue un avantage pour les États-Unis, mais pas pour nous, car la possibilité de faire une première frappe depuis l'Allemagne n'est pas du tout intéressante, ni pour vous, ni pour nous. Nous voulons que personneni les États-Unis, ni l'URSSn'ait la possibilité de frapper en premier. Si aucun — ni les États-Unis, ni l'URSS — ne peut tirer plus vite que l'autre, alors ils ne peuvent faire la guerre.
Helmut Kohl : Pour moi, cela veut dire ceci : si un accord entre Reagan et Gorbatchev, cette année, en septembre, aboutit, la ratification par les États-Unis prendra un an. L'accord devra faire l'objet d'un contrôle. Il faut cinq ans, disent les experts. Il sera très important qu'un traité où il sera question des armes à courte portée soit signé en même temps, pour qu'on sache où on va. Car on ne peut pas avoir, à la fin, une supériorité conventionnelle des Soviétiques sans rétablir l'équilibre par ailleurs. Je suis sûr que Gorbatchev va proposer aussi l'option zéro sur les armes à courte portée.
François Mitterrand : Je le crois, et cela sera bien ainsi.
Helmut Kohl : Oui, il va essayer de se débrouiller avec les armes chimiques.
François Mitterrand : On ne peut s'interdire les armes dont disposent nos adversaires. Le véritable équilibre tient au système central de forces comparable des États-Unis et de l'URSS. C'est l'équilibre des forces stratégiques qui fait l'équilibre. Le découplage est dans la tête du peuple et du gouvernement américains, pas dans les systèmes d'armes.
Helmut Kohl : Sans compter qu'ils sont là, en Europe.
François Mitterrand : Oui et non. Il faut qu'ils restent là, c'est vrai, mais le découplage ne tient pas à leur présence en Europe. Il faut des armes atomiques de l'OTAN en Europe, mais il y en a d'autres que les Pershing II; et, en plus, il y a les avions. Il nous faut par ailleurs vingt ans pour organiser l'Europe. Il faut avoir l'esprit dur, ces vingt prochaines années, et avoir une politique intelligente.
Helmut Kohl : Dans les six mois à venir, Margaret Thatcher, vous et moi devons coopérer très étroitement.
François Mitterrand : Si les États-Unis disaient : si un soldat soviétique menace l'Allemagne, notre arme nucléaire, où qu'elle soit, sera utilisée, tout serait réglé. Mais il y a quelque chose qui manque dans la volonté américaine : ils ne disent pas cela.
Helmut Kohl : Il faut nous réserver la possibilité d'un traité sur les armes à courte portée, et réduire de 20 % les armes intermédiaires à plus longue portée, chaque année pendant cinq ans, pour garantir qu'on arrivera à un tel accord.
François Mitterrand : En résumé, vous souhaitez que l'option zéro réussisse, qu'il y ait ensuite un accord sur les armes à courte et moyenne portée, qu'il reste après des armes nucléaires américaines en Europe, et que l'Europe s'organise.
Helmut Kohl : Oui. Si on supprimait toutes les armes nucléaires américaines en Europe, on reviendrait au statu quo ante. Or, mon idée est que cette négociation ne passera pas par les administrations. Il faut qu'Attali, Teltschik et Powel coopèrent pour mettre au point une position commune franco-anglo-allemande face aux Américains. A Washington, ils ont besoin d'un succès là-dessus. Reagan et Baker accordent beaucoup d'importance à ce que nous voulons tous les trois.
François Mitterrand : Je suis d'accord sur tout ça. Nous essaierons de nous mettre d'accord entre nous...
[Cette conversation est très importante : elle lance une discussion entre Charles Powel, Horst Teltschik et moi, qui aboutira progressivement à l'acceptation par les Britanniques et les Allemands de l'option zéro, puis double et triple zéro — alors qu'ils étaient contre — , et qui va donc contribuer à nous aligner tous sur cette option triple zéro (sans qu'en soit informé le gouvernement français, qui, lui, est contre) —, ouvrant du même coup la voie à une véritable conversation franco-allemande sur la sécurité.]
A Chambord, après la conférence de presse, François Mitterrand fait de longs commentaires sur des écrivains régionaux.
Au retour, le Président : Kohl est un homme remarquable. Les médias le sous-estiment. C'est le meilleur Chancelier possible pour construire l'Europe. Sur les présidentielles : Je sais que vous êtes contre le fait que je me représente. Pour l'instant, je suis encore de votre avis.
Margaret Thatcher est au Kremlin.
Dimanche 29 mars 1987
François Mitterrand à 7 sur 7 : Je n'ai pas l'intention de me représenter... J'aviserai.
Début du voyage de Jacques Chirac aux États-Unis.
Lundi 30 mars 1987
Je déjeune avec Alain Devaquet. L'ancien ministre délégué à l'Enseignement supérieur, toujours sous l'effet de la crise universitaire, me dit : Je suis au RPR, mais je souhaite que François Mitterrand soit réélu.
Dans la crise, Monory a manqué d'autorité ; Chirac ne pensait qu'à mouiller Monory, et Balladur a été nul.
Je suis à la disposition du Président. S'il le désire, j'adhère au PS.
En Pologne, d'importantes hausses de prix, de 20 à 51,9 %, entraînent le déclenchement de grèves et de manifestations.
Un problème se pose à propos du Tchad. Hissène Habré nous demande de faire intervenir l'aviation française contre l'aviation libyenne qui harcèle les troupes tchadiennes.
Le général Forray apprend qu'André Giraud aurait dit à ses collaborateurs à propos du Tchad : A quoi bon consulter Matignon ? Ce n'est pas la peine. Le ministre est partisan d'une intervention de l'aviation française contre les Libyens. Le Président lui a dit : Je veux en parler au Premier ministre.
François Mitterrand est en voyage en Franche-Comté. L'accueil y est extraordinairement chaleureux. On me rapporte des anecdotes amusantes.
Edgar Faure dit à François Mitterrand devant Christian Bergelin et Charles Pasqua : Au fond, s'il y a un deuxième tour entre Barre et toi, je vote pour toi. Puis il réfléchit : D'ailleurs, dans toutes les hypothèses, je pense que je voterai pour toi.
Yves Galland, ministre délégué chargé des Collectivités locales, confie à Jean-Pierre Chevènement et Jean Glavany : Même dans mes rêves les plus fous, jamais je n'aurais imaginé que je ferais la campagne de François Mitterrand.
Vesoul, ville de droite, réserve un accueil enthousiaste au Président. Christian Bergelin, l'homme fort du département, confie : J'aurai bien du mal à remonter tout cela.
Sur l'organisation des voyages présidentiels, ce mot de Charles Pasqua à Jean-Michel Gaillard : Vous faites du bon travail, je pourrais bien embaucher quelques-uns d'entre vous...
Jacques Chirac est reçu par Ronald Reagan. Il signe avec lui l'accord franco-américain sur le sida. On espère que cet accord mettra fin à la guerre larvée entre les laboratoires de recherche des deux pays.
Mardi 31 mars 1987
Vu Mme Ridgway, principal collaborateur de George Shultz sur les questions de défense. Elle considère que les Allemands vont continuer à demander la non-inclusion des Pershing IA, poussant les forces françaises et britanniques dans la négociation ; qu'eux, Américains, ne pourront pas, à la fin, refuser aux Soviétiques l'élimination des Pershing IA allemands ; et que les Soviétiques entendent garder les 100 missiles d'Asie pour les négocier avec les Chinois.
Comme je l'exhorte une fois encore à ne pas briguer le renouvellement de son mandat en lui dépeignant tout ce qui l'attend hors de l'Élysée et qu'il délaisse pour une vie de contraintes dont il a pu mesurer la lourdeur, François Mitterrand me coupe, agacé: Les responsabilités nous envahissent, c'est vrai. Mais, sans elles, qu'est-ce qu'on s'ennuie ! Vous le savez bien, d'ailleurs !
Mercredi 1er avril 1987
Le Président et le Premier ministre évoquent le Tchad avant le Conseil. Ils en reparlent après avec André Giraud.
Finalement, ils tombent d'accord pour ne rien faire dans l'immédiat, tout au moins jusqu'à ce que Hissène Habré ait fait venir, comme il en a l'intention, les journalistes sur le site de Ouadidoum... (Il ne faut donc pas que le ministre de la Défense dise publiquement que cela ne peut plus continuer ainsi ou laisse entendre aux Libyens qu'une intervention de notre part n'est pas exclue !)
La DST ayant accumulé des preuves contre des « diplomates » soviétiques se livrant en France à des activités d'espionnage économique, Jacques Chirac consulte François Mitterrand sur ce qu'il convient de faire. Il est décidé que le Quai d'Orsay annoncera l'expulsion de trois d'entre eux ; on dira en outre aux Soviétiques, sans rendre la chose publique, que trois autres expulsions sont prononcées, mais qu'on leur laissse le soin de procéder dans les délais qui leur conviendront au remplacement des personnes visées.
Comme figure à l'ordre du jour du Conseil l'autorisation pour le gouvernement de recourir à l'application de l'article 49-1, le Président lance au Premier ministre : Surtout, ne vous trompez pas... D'habitude, c'est le 49-3. Ne confondez pas ! Jacques Chirac rit à gorge déployée.
Avant de descendre au salon Murat, François Mitterrand reproche à Jacques Chirac de lui avoir menti à propos de l'accord sur le sida. Jacques Chirac le rassure d'un large sourire : Ce texte est sans importance. La presse dit n'importe quoi.
Quelques instants plus tard, le Premier ministre raconte au Conseil son voyage à Washington. Il déclare avoir signé à propos du sida un texte... de la plus haute importance, le plus important de mon voyage aux États-Unis !
François Mitterrand est sidéré.
Jacques Chirac : Nous avons été reçus avec des égards tout à fait particuliers, dans un climat tout à fait sympathique. J'ai trouvé un Président parfaitement décontracté, sûr de sa position, au clair sur les affaires. Il m'a donné l'impression d'avoir surmonté l'Irangate. La thèse d'un manque de fenneté de Reagan ne tient pas. Sur le protectionnisme, je n'ai naturellement pas abandonné notre position, mais je n'ai pas voulu jeter de l'huile sur le feu.
(Coïncidence : l'éditorial du Figaro de ce matin oppose l'habileté de Jacques Chirac à la maladresse de François Mitterrand, jetant de l'huile sur le feu en matière agricole.)
Jean-Bernard Raimond poursuit le compte rendu du voyage. Chirac est tellement content de lui qu'il lui coupe à deux reprises la parole.
Le Président ne dit pas un mot. Il donne le sentiment de trouver que cela n'a pas grand intérêt.
Édouard Balladur rend compte ensuite de son entretien avec M. Stoltenberg, ministre des Finances de RFA. Il ne résiste pas au désir de citer une phrase de ce dernier : Les questions agricoles sont tellement importantes qu'on ne peut pas les laisser aux mains des seuls ministres de l'Agriculture. Tête de François Guillaume...
François Léotard parle des métiers d'art et de la politique menée depuis plusieurs années.
Le Président évoque la manufacture de Sèvres, qui manque de personnel.
François Léotard : Cette année, j'ai prévu la création de dix emplois pour la manufacture de Sèvres.
Le Président le félicite : Les autres ministres des Finances n'avaient pas voulu céder...
Sourire gracieux d'Édouard Balladur.
Le Président reprend la parole : M. le Premier ministre a une communication originale à vous faire : il s'agit de l'article 49-1, et non 49-3.
Le Conseil se termine dans une atmosphère détendue.
Contrordre. Le directeur du Trésor, Daniel Lebègue, vient m'informer discrètement qu'Édouard Balladur, aux réunions de Washington, la semaine prochaine, refusera, pour des raisons budgétaires, d'annuler les dettes des pays les plus pauvres d'Afrique, comme nous en avions longuement parlé ensemble. Cela coûterait au budget français 15 milliards de francs la première année, et 2 milliards pour chacune des années suivantes. Il proposera en échange l'allongement des délais de remboursement, de dix à quinze ou vingt ans pour les pays très pauvres et très endettés qui auraient clairement démontré leur volonté et leur capacité de redresser leur économie, ainsi que des prêts à taux privilégié pour compenser les pertes des recettes d'exportation (dues notamment à la baisse des cours des matières grasses).
Pourtant, cette annulation, certes fort coûteuse, devrait être possible : cela a été fait en 1978. Et il n'est pas impossible de trouver des critères permettant que cette mesure ne soit pas trop onéreuse. Sans aller jusqu'à une annulation totale, on pourrait imaginer de la réserver à quelques pays très pauvres, ou, comme me le suggère Michel Camdessus, qu'elle porte sur les seuls intérêts, pendant plusieurs années (trois à cinq ans), pour l'ensemble des pays africains.
François Mitterrand travaille sur le texte d'un message destiné au congrès du Parti socialiste, après-demain à Lille.
Jeudi 2 avril 1987
Comme prévu, le Quai d'Orsay annonce l'expulsion des trois diplomates soviétiques accusés d'espionnage, qui s'intéressaient de trop près à Ariane Espace.
Les sondages sont excellents pour François Mitterrand. Denis Baudouin explique à tout un chacun que c'était le cas pour Valéry Giscard d'Estaing en 1981 au début de sa campagne.
François Mitterrand : Il y a quelque chose de vrai dans l'argumentation de M. Baudouin, mais, en même temps, la situation ne serait pas tout à fait la même si je me représentais. De Gaulle et Giscard d'Estaing faisaient dans l'unanimisme, ce qui n'est pas mon cas. Je suis plus « typé ». En revanche, en ce qui concerne Barre et Rocard, il est vraisemblable qu'ils baisseront dans les sondages dès qu'on sera en campagne. Mais tout cela ne me concerne pas...
On parle élections sans parler projet. Je m'inquiète d'une candidature sans projet. Je le lui redis. Il a un geste agacé : Les Français sont las des promesses, des projets, des programmes... Finalement, « le changement dans la continuité », voilà ce qui me plaît.
Vendredi 3 avril 1987
Trois autres diplomates soviétiques sont déclarés personae non gratae.
Le Président apprend par une lettre de Margaret Thatcher que Jacques Chirac a décidé de la rencontrer. Quand? On ne sait pas. Où ? Pas davantage.
François Mitterrand est à Amiens où il célèbre, en compagnie du comte de Paris, le millénaire capétien.
Le Président : L'hypothèse monarchiste pourrait un jour retrouver une actualité. Les Capétiens sont la colonne vertébrale de notre Histoire.
Est-il sérieux ? Le prétendant au trône a l'air de le croire. De Gaulle l'avait bercé de la même illusion...
Auditions publiques de la CNCL pour la reprise de TFI : Hachette à 10 heures ; Bouygues à 15 heures.
Au Congrès du PS, à Lille, Pierre Mauroy lit le message de François Mitterrand, qui est ovationné.
Puis Mauroy précise : Si, pour des raisons personnelles, François Mitterrand décidait de ne pas se représenter (...), nous devrions pouvoir nous rassembler sans difficulté derrière celui des nôtres qui apparaîtra comme le mieux placé. Et vous savez bien qu'il ne sera guère difficile de le distinguer.
Michel Rocard est clairement désigné.
A Paris, François Mitterrand reçoit les représentants du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou accompagné de Yeiwéné Yeiwéné et Léopold Jorédié : Faites ce que vous devez faire. Vous êtes les représentants authentiques du peuple canaque. Vous n'êtes pas encore l'ethnie majoritaire, mais la situation va changer. En revanche, votre revendication d'être les seuls à déterminer l'avenir de cette terre est illusoire. Certains Européens sont là depuis plus de cent ans. Vous ne pouvez pas jeter les gens à la mer. L'indépendance du peuple canaque, on peut y parvenir ; son principe ne me choque pas, mais la Nouvelle-Calédonie est un cas à part. De multiples systèmes intermédiaires sont possibles.
Jean-Marie Tjibaou : La politique de Bernard Pons débouche nécessairement sur des tensions et peut-être des troubles, car elle conduit à la marginalisation des indépendantistes et de la communauté mélanésienne. Le FLNKS ne participera pas au référendum.
François Mitterrand : Je sais comment établir une paix déftnitive en Nouvelle-Calédonie. Le problème sera réglé non pas avec le référendum de cet été, mais dans l'année qui suivra. D'ici là, je ferai tout pour dénoncer ce qui est une injustice, sans toutefois épouser vos thèses.
C'est maintenant au Parlement de décider. Je ne peux intervenir dans ce processus. Mais cela ne m'empêche pas de parler; et je parlerai, si nécessaire.
Les Français ne s'en préoccupent pas aujourd'hui, mais ce n'est pas une question mineure pour la France. On s'en apercevra tôt ou tard.
Avec l'accord du Président, Jean-Louis Bianco fait transmettre à Raymond Barre, via son collaborateur, Bernard Steinmetz, la substance des propos qu'il a tenus à Jean-Marie Tjibaou.
Samedi 4 avril 1987
Expulsion de six diplomates français d'Union soviétique en guise de représailles.
La CNCL attribue TFl au groupe mené par Francis Bouygues. Pour nous, c'est une surprise. Le Président était convaincu que la chaîne irait au groupe Hachette, qu'il croit très lié à Chirac.
Dimanche 5 avril 1987
Le congrès du Parti socialiste s'achève à Lille par un discours de Lionel Jospin récusant toute alliance avec le centre en cas de victoire du candidat socialiste en 1988. Jean Poperen est le seul exclu de la « synthèse ».
Lundi 6 avril 1987
A l'aéroport, avant le départ du Président, invité en visite d'État au Portugal, Jacques Chirac dit à Jean-Bernard Raimond et au général Forray : Il n'est pas question pour le gouvernement d'accepter une option zéro sur les armes à très courte portée. Puis, s'adressant plus particulièrement au général Forray, il précise : Je dis cela pour éviter toute déclaration intempestive...
Le sous-secrétaire d'État américain à la Défense, Richard Pearl, me fait savoir qu'un accord va être trouvé rapidement avec les Soviétiques sur deux options zéro : l'une sur les armes intermédiaires à longue portée, impliquant la disparition des 100 missiles en Asie (ce qui rendra plus facile la vérification) ; l'autre sur les armes de 500 à 1 000 kilomètres de portée.
Les seules fusées nucléaires américaines restant en Europe seront les Lance, dont la portée pourrait être accrue jusqu'à 150 kilomètres, et les F 111 basées en Grande-Bretagne, ainsi que les missiles de croisière sur bateaux et sous-marins (2 500 kilomètres de portée). Mais les Soviétiques n'accepteront jamais que nous disions offrciellement que ces armes sur sous-marins sont intégrées au commandement de l'OTAN en Europe.
Selon Richard Pearl, Jacques Chirac a déclaré à Caspar Weinberger, secrétaire d'État à la Défense, que le Président français entendait revenir sur un accord donné par la France pour qu'à Vienne la négociation sur le désarmement conventionnel ait lieu alliance contre alliance, alors que lui-même, Jacques Chirac, trouvait cette procédure excellente ! C'est absurde : nous avons toujours refusé de négocier bloc contre bloc, afin de préserver l'autonomie de la France. Il est difficile de croire que Jacques Chirac l'ait accepté. Mais il convient de se méfier : les Américains ont intérêt à semer la zizanie entre Français. Or la cohabitation leur ouvre un boulevard... Ils doivent dire à Matignon que l'Élysée est tenté d'accepter !
Pour Pearl, si l'on reste dans le seul cadre de la conférence à Trente-cinq, les neutres vont pousser à un accord désastreux pour vous et pour nous. Nous ne souhaitons pas une négociation sous le chapeau de l'OTAN, mais seulement sortir de la pression des neutres, en discutant alliance contre alliance lorsque cela s'impose. Et, de ce point de vue, le double forum convient très bien.
Je pars pour Bonn rencontrer Horst Teltschik après le mandat que nous avons reçu à Chambord. Il me rapporte ses entretiens à Moscou avec Dobrynine et Iouri Vorontsov :
La négociation avec les Américains, lui a déclaré Dobrynine, n'achoppera ni sur la vérifrcation, ni sur les Pershing d'Asie (que nous abandonnerons), mais sur les armes intermédiaires à plus courte portée.
Nous, Soviétiques, accepterons que soit négocié, sitôt après l'accord sur les armes intermédiaires, une option zéro sur les armes à courte portée (de plus de 500 kilomètres), et peut-être même de le faire figurer dans l'accord sur les armes intermédiaires lui-même. Mais nous ne considérons pas les 72 Pershing IA comme faisant partie de cette négociation, même si leur portée est de 750 kilomètres, car ce sont pour nous des missiles allemands.
Les missiles américains de portée inférieure à 500 kilomètres (très courte portée) devront être négociés dans le cadre de la négociation sur les armements conventionnels, on intégrant les armements français et britanniques.
Teltschik jubile : C'est la première fois que les Soviétiques considèrent les Pershing IA comme des missiles allemands ! Pour nous, Allemands, c'est une grande victoire politique que d'être considérés comme « propriétaires de missiles » ! L'option zéro sur les armes à courte portée, dans ce contexte, serait acceptée par tous les partis allemands, hormis une fraction de la démocratie chrétienne et l'armée.
Mais cette concession soviétique est illusoire, car les missiles Pershing IA ne peuvent être utilisables sans pièces détachées américaines. Or, en cas d'option zéro sur les armes intennédiaires à courte portée, les Américains ne fabriqueraient plus ni Pershing, ni pièces détachées, et nos Pershing IA deviendraient inutilisables dans quatre ans, même sans avoir été négociés.
Nous autres Allemands sommes donc contre la seconde option zéro sur ces armes à courte portée. Elle est très dangereuse, car il n'y aurait plus, en dehors de nos Pershing, de fusées américaines de plus de 130 kilomètres de portée en Europe, alors que les Soviétiques disposeraient encore des Scud. Cela signifierait que l'OTAN ne pourrait plus livrer de bataille nucléaire en Europe.
Nous autres Allemands voulons une réduction équilibrée des armes intermédiaires à courte portée. Cela exigera, pour l'Amérique, de déployer de nouvelles armes de 500 à 1 000 kilomètres de portée en Allemagne.
Il ajoute : Il faut obtenir la réaffirmation de l'engagement américain d'utiliser son système central en cas d'attaque conventionnelle de la RFA, et il faut étudier des mesures concrètes d'intégration et de division du travail entre les armées française et allemande.
Nous y voilà : une proposition de coopération militaire franco-allemande ! Teltschik propose que l'armée française se spécialise dans l'action rapide et que la RFA assume la charge des équipements très lourds (chars et autres), y compris pour la défense de la France. Nous nous promettons d'entrer dans plus de détails lors de notre prochaine rencontre.
Teltschik voudrait aussi que l'on reparle d'une action diplomatique conjointe, telle une rencontre en commun avec Gorbatchev, ou avec Reagan, ou avec des dirigeants du Tiers Monde.
Les Soviétiques vont donc tenter de diviser la France et la RFA en faisant entrer les Pershing allemands (nouveau concept !) en rivalité avec les Hadès français. La proposition allemande de fixer des plafonds en nombre de têtes sur les armes de moins de 1 000 kilomètres de portée ferait entrer tout de suite les armes françaises à courte portée dans la négociation sur les armes intermédiaires. Les Allemands reconnaissent que l'idée de lien entre longue et courte portée (c'est-à-dire le maintien d'armes de courte portée), si imprudemment mise en avant par eux (et par Jacques Chirac), pousse les Soviétiques et les Américains vers ce qu'ils redoutent le plus, c'est-à-dire vers la disparition des armes nucléaires américaines en Europe (option zéro double et triple).
Le gouvernement allemand, dit-il, en arrive à penser que pour éviter l'engrenage de la dénucléarisation de l'Europe, il vaut mieux ne pas verser dans le perfectionnisme, mais accepter l'option zéro sur les armes intermédiaires, sans fixer de plancher pour les armes de portée inférieure, afin d'arrêter là le désarmement.
Tout cela fait voler en éclats la doctrine de la riposte graduée de l'OTAN, d'ailleurs d'autant plus absurde qu'il suffirait qu'un sous-marin américain, patrouillant dans l'Atlantique-Nord, remplisse le rôle dévolu jusqu'ici aux armes intermédiaires, pour que le prétendu « équilibre des armes intermédiaires » soit rompu. C'est dire le caractère théologique de cette négociation sur les armes intermédiaires !
La négociation va s'engager avec les Britanniques. Horst Teltschik et moi décidons de nous revoir à Paris vendredi pour déjeuner avec Charles Powel.
Helmut Kohl fait savoir aux Américains qu'il renonce au lien entre l'option zéro sur les armes intermédiaires et le maintien d'un minimum de forces à plus courte portée (SRINF), et accepte la discussion séparée sur ces armes. Il transmet à François Mitterrand copie de sa lettre à Ronald Reagan : elle reprend l'essentiel de leur discussion récente. Les Américains s'affolent : ils s'attendent à la proposition d'une deuxième option zéro.
George Shultz écrit à Jean-Bernard Raimond, avant de se rendre à Moscou, en pestant contre la nouvelle position allemande. Pour lui, elle reviendrait à abandonner la position soutenue par les Américains à la table de négociations de Genève depuis 1981, et à admettre un accord de réduction des armes intermédiaires sans protéger les fusées à très courte portée. A Moscou, il dira aux Soviétiques que les équilibres sur ces fusées doivent répondre aux critères mis au point avec les Européens : égalité de leur nombre entre l'URSS et les États-Unis ; approche globale ; intégration de l'accord dans un traité INF ; cet accord ne doit concerner que les armements américains et soviétiques et doit enfin être vérifiable.
Il redoute que les Soviétiques ne proposent un nouvel équilibre, conforme à ces critères, mais à un niveau inférieur à l'actuel, c'est-à-dire tendant vers l'option zéro. En effet, certains officiels soviétiques ont laissé entendre qu'ils étaient en train de réfléchir à la proposition d'une option zéro sur les SRINF. Une telle offre, dit Shultz, aurait l'avantage de supprimer la menace que représentent ces armes soviétiques, mais elle nous interdirait d'en déployer. En tout cas, si les Soviétiques lui faisaient une telle offre à Moscou la semaine prochaine, il ne l'accepterait pas, sans la rejeter non plus, mais il en ferait préciser les détails et nous consulterait ensuite.
Autrement dit, les Américains sont très tentés d'accepter cette nouvelle option double, mais ils veulent obtenir quelque chose en échange des Soviétiques et ont très peur que les Européens en déduisent qu'ils souhaitent se retirer d'Europe.
Mardi 7 avril 1987
Sur sa déclaration de politique générale, Jacques Chirac obtient la confiance des députés par 294 voix contre 282. Il a lancé un ferme appel à la solidarité de la majorité pour un nouveau contrat.
Jean-Bernard Raimond nous fait passer un projet de réponse à George Shultz. Il rappelle les conditions posées au maintien du principe de globalité d'un éventuel accord sur les forces nucléaires intermédiaires, son caractère strictement bilatéral et la nécessité d'y inclure des dispositions appropriées en matière de vérification et de non-contournement. Il explique que l'équilibre russe américain ne peut être un gel de la situation existante, ainsi que le proposent les Soviétiques, car cela aboutirait à reconnaître la supériorité de l'URSS dans cette catégorie d'armes... Il explique en outre, qu'en cas d'option zéro, les opinions occidentales s'inquiéteraient de la dénucléarisation de la présence terrestre américaine en Europe.
Exactement ce que le Président ne veut pas voir écrit ! Ce projet de lettre révèle un véritable désaccord de fond entre le gouvernement et le Président. Jacques Chirac ne veut toujours pas accepter l'option zéro et multiplie les objections sur les armes de plus courte portée. Or, nous ne possédons pas de telles armes et n'avons donc pas d'objections à formuler à une seconde option zéro.
Le Président refuse le projet.
Mercredi 8 avril 1987
Dans son bureau, le Président regarde la retransmission d'une séance — un peu morne — de l'Assemblée nationale : Parfois, tout cela me manque. Les parlementaires, aujourd'hui, semblent s'ennuyer. Ils saisissent toutes les occasions pour s'absenter. Il est vrai que, paradoxalement, plus ils font partie d'une majorité écrasante, moins ils ont de pouvoir. De vrai pouvoir... Moi, j'ai connu ce pouvoir, cette sorte d'ivresse, sous la IVe République, d'être à même, chaque semaine, de renverser le gouvernement. Les alliances surprenantes, les suspenses haletants, les discours décisifs... Je reconnais que, maintenant, tout cela manque un peu d'intérêt. Je ne le regrette pas, mais il faudrait donner un peu plus de pouvoir, ou ne serait-ce que d'initiative, au Parlement...
Jeudi 9 avril 1987
A la demande du gouvernement se tient un Conseil de Défense restreint dans le PC Jupiter de l'Élysée. Cette réunion a pour but d'arrêter les plans de frappe stratégiques rendus possibles par la mise en service des nouveaux armements, et de dissocier l'exécution d'un plan stratégique de celle d'un plan préstratégique. Le plan de frappe « réel » est à approuver en temps de guerre, le moment venu, par le Président, qui prendra en principe sa décision au cours d'un Conseil de Défense. On évoque pour la première fois la possibilité d'une frappe stratégique aux côtés des Alliés, alors que, jusqu'ici, seule était envisagée une coordination des frappes stratégiques.
Jacques Chirac tient absolument à faire enregistrer sa désapprobation de la seconde option zéro, comme de la première. Il écrit à François Mitterrand (c'est fou ce qu'on écrit, pendant cette cohabitation, comme si chacun travaillait davantage pour l'Histoire que pour le quotidien !). Pour lui, la France doit combattre l'idée d'une seconde option zéro, qui risquerait d'être entérinée à la hâte et sans négociation sérieuse, sur les systèmes de portée comprise entre 500 et 1 000 kilomètres. À son avis, l'adoption précipitée de deux options zéro créerait en faveur de la dénucléarisation de l'Europe occidentale (souhait des Soviétiques) une dynamique qu'il deviendrait peut-être impossible à nos alliés de contrôler.
Le Président hausse les épaules : Il n'y comprend rien ! Comment peut-on parler de « dénucléarisation » de l'Europe occidentale ? Mais il y a nos propre armes ! Et les sous-marins américains ! Où y a-t-il dénucléarisation ? Sa position nous aligne sur celle des Américains. C'est la moins gaulliste des attitudes possibles.
L'Assemblée adopte la loi de programmation militaire 1987-1991. Le PS a voté pour, le PC contre.
Indice significatif : Tokyo devient la première place boursière mondiale. L'économie-monde bascule du côté de l'Asie.
Adoption par le Sénat du projet de loi relatif au service public pénitentiaire. Les prisons privées ont été abandonnées. Le budget financera 15 000 places supplémentaires en trois ans.
Mikhaïl Gorbatchev est à Prague. Il vante l'expérience soviétique et insiste sur le nécessaire élargissement de la démocratie socialiste. Il propose la seconde option zéro : Nous sommes pour une action en faveur d'une réduction radicale et, finalement, de la liquidation complète des missiles tactiques opérationnels en Europe, en estimant qu'il est superflu d'inclure dans le nouvel accord toutes sortes de tolérances concernant leur accumulation et leur perfectionnement.
Si Mikhaïl Gorbatchev confirme sa proposition de seconde option zéro sur les SRINF de 500 à 1 000 kilomètres de portée, mais que les États-Unis l'écartent, le débat tournera court. Si, en revanche, les États-Unis l'acceptent (parce qu'ils possèdent moins d'armes de ce genre), comme cela semble possible, il y aura un vif débat au sein de l'Alliance — et en France. Jacques Chirac adoptera une position hostile, qui sera difficilement tenable. Des accords de réduction des armements sont toujours très populaires. Or, si cet accord est limité aux armes de portée supérieure à 500 kilomètres, il restera un certain nombre de missiles et d'armes nucléaires à plus courte portée : Chirac ne pourra pas parler de dénucléarisation et de découplage.
Évidemment, si Gorbatchev triple la mise et propose une troisième option zéro sur toutes les armes de portée inférieure à 500 kilomètres, on risque de voir exposer toutes les contradictions entre Alliés et à l'intérieur de chaque pays à propos de la stratégie de l'Alliance et de la présence nucléaire américaine en Europe. Il faudrait clairement poser la question de l'engagement américain, indépendamment de la présence d'armes nucléaires en Europe.
François Mitterrand : Il ne faut pas craindre d'aller vers la disparition des missiles américains basés en Europe dès lors que les accords seraient équilibrés et vérifiables. Ni même d'aller plus loin.
Vendredi 10 avril 1987
Nous apprenons que la Libye est en négociation avec le Soudan pour la construction d'une piste d'aviation qui remplacerait l'aérodrome de Ouadidoum et lui servirait de base pour ses attaques au Tchad. Nous faisons savoir aux Soudanais qu'il ne saurait en être question.
Vu Horst Teltschik et Charles Powel. J'apprends que Jacques Chirac rencontrera le Chancelier Kohl le 3 mai prochain, ce dont il n'a pas prévenu le Président. De même, j'apprends qu'il y a des discussions très poussées sur une révision de la charte de l'UEO ; nous n'en étions pas informés.
Hervé de Charette me dit : Si le Président est réélu et s'il prend l'engagement de ne pas dissoudre l'Assemblée nationale, je me fais fort de rallier à lui soixante-dix députés.
Le Président, à qui je fais part de cette conversation, me répond : Dans l'hypothèse où je serais candidat, il est exclu que je prenne un tel engagement. Un gouvernement dépendrait de leur bon vouloir. Ce serait un piège.
François Mitterrand reçoit les représentants du RPCR.
Jacques Lafleur : Le référendum est souhaitable pour faire la preuve que chacun de nous respecte les autres. Nous voulons qu'il apporte la paix dans le cadre du maintien dans la République.
François Mitterrand : Il faudrait que cette paix intervienne avant le référendum, et pas seulement après.
Jacques Lafleur : Nous essayons d'intervenir dans ce sens.
François Mitterrand : C'est vous qui êtes les plus forts, vous avez le pouvoir économique et l'appui des forces de l'ordre. C'est à vous de faire le nécessaire.
Jacques Lafleur : On veut garder la nationalité française.