François Mitterrand : Vous représentez une proportion importante de la population, mais il y a également une forte minorité qui n'a pas les mêmes vues que vous.
Jacques Lafleur : Il ne lui appartient pas non plus de faire la loi.
François Mitterrand : Je ne comprends pas votre remarque. La réalité du pouvoir appartient bien à la communauté européenne. Vous ne pouvez nier ce fait. Vous représentez une majorité intolérante. Vous avez une mentalité guerrière. Vous disposez de tous les atouts et, de plus, le gouvernement vous soutient. Je crains que, du fait de la politique actuelle, vous ne vous dirigiez vers une période d'affrontements. Rien ne sera réglé si le sentiment d'injustice persiste.
Bernard Pons présente à l'Assemblée le projet de loi sur les modalités du référendum en Nouvelle-Calédonie. Fortes réserves des barristes et des centristes, relayées par l'opposition.
Philippe Séguin s'apprête à prendre des mesures rapides sur la Sécurité sociale. Le déficit qu'il s'agit de combler (de l'ordre de 20 milliards) est dû pour l'essentiel à la médecine de ville (non à l'hôpital) et à la retraite (mais pas aux conséquences de son abaissement à l'âge de soixante ans). Séguin propose soit une augmentation, à compter du 1er juillet, de deux points des cotisations sociales, soit une taxe de 1 % sur l'ensemble des revenus, y compris les revenus non imposables (soit le double de la taxe de 1 % de 1984, laquelle ne portait que sur les revenus imposables). Ces mesures seraient annoncées dans les quinze jours. Il faut que l'opposition s'y prépare.
Samedi 11 avril 1987
Ronald Reagan écrit à François Mitterrand sur l'Afghanistan. Il lui annonce qu'il veut obtenir de Gorbatchev une décision claire de retirer promptement ses troupes de ce pays. Un calendrier de retrait, trop long, et un semblant de réconciliation nationale, qui ne serait destiné qu'à préserver à Kaboul un régime dominé par les communistes ne feraient, explique-t-il, que prolonger la guerre.
George Shultz a pour instructions de concéder aux Soviétiques le non-retrait du traité ABM pendant sept ans à condition qu'un accord intervienne cette année ou d'ici à 1994. Si l'accord intervient plus tard, le non-déploiement de systèmes spatiaux sera prolongé pendant une année supplémentaire consacrée à la négociation. Chaque partie aurait le droit de passer à une interprétation large du traité. La réduction des armements stratégiques se ferait en sept ans (et non plus en cinq).
La position américaine est donc durcie, les délais allongés, le lien avec l'IDS maintenu dans toute sa rigidité. Sauf coup de poker de Gorbatchev misant sur l'incapacité concrète des États-Unis, même d'ici à 1994, de déployer des systèmes défensifs à un coût acceptable et avec un minimum d'efficacité, il n'y a aucune chance de progrès sur le désarmement stratégique.
Lundi 13 avril 1987
Francis Bouygues obtient le renouvellement des accords entre TF1 et la Ligue nationale de football : le prix passe de 12 à 75 millions de francs par saison...
La lettre de Jean-Bernard Raimond à George Shultz part. Elle est encore pire que le projet. Il dit explicitement que l'intention soviétique d'inclure les armes nucléaires à courte portée (c'est-à-dire en deçà de 500 kilomètres) dans une éventuelle négociation sur les armes conventionnelles n'est pas acceptable pour la France, et ne devrait pas l'être non plus pour les États-Unis !...
François Mitterrand, voyant cela, me dit : N'insistez pas. Cela ne sert à rien. De toute façon, à Washington, ils ne tiendront pas compte de cette lettre et décideront une autre option zéro s'ils arrivent à s'entendre avec les Russes.
Mardi 14 avril 1987
La Turquie dépose à Bruxelles sa demande d'adhésion à la Communauté.
Mikhaïl Gorbatchev reçoit George Shultz au Kremlin. La déclaration soviétique publiée à l'issue de cette rencontre est révélatrice du vertigineux tournant en cours à Moscou : L'accueil réservé en URSS à George Shultz traduit le nouveau mode de pensée, la prise en compte du rôle que jouent et peuvent jouer les États-Unis d'Amérique dans la politique mondiale, de l'expérience accumulée dans les rapports mutuels, les contacts, le dialogue avec l'Administration américaine, notamment au sommet.
Pendant deux ans, déclare Mikhaïl Gorbatchev à son interlocuteur, nous avons entrepris beaucoup de démarches en vue de créer un nouveau climat dans les rapports entre les deux pays, nous avons offert des chances nouvelles à la compréhension mutuelle et à des ententes. Aucune Administration précédente ne s'est vu offrir de pareilles chances. Mais nous n'avons pas perçu le désir de la partie américaine d'en profiter pour améliorer les rapports bilatéraux et la situation internationale. A chacune de nos démarches, on nous a répliqué par des tentatives visant à compliquer, sinon à saper l'entreprise, ou, dans le meilleur des cas, on a fait traîner les choses en longueur dans l'attente de nouvelles démarches de notre part. A en juger par les faits, et non par les déclarations, on continue, de nos jours, à estimer, de façon illusoire, que l'Union soviétique a davantage besoin de la détente et du désarmement que l'Occident. On a l'impression que cette Administration se comporte comme si, depuis deux ans, rien ne s'était passé en Union soviétique, comme si celle-ci n'avait rien fait, en ce qui la concerne, pour amender la situation internationale.
Qu'est-ce que George Shultz a apporté avec lui ? L'Administration américaine est-elle réellement prête à faire quelque chose pendant le temps qui lui reste ? Nos propositions sur les missiles à moyenne portée sont une tentative en vue de créer, aussi bien pour l'Administration que pour nous-mêmes, les meilleures conditions pour faire un grand pas, peut-être le plus difficile, mais de nature à donner le départ à un processus réel d'arrêt de la course aux armements nucléaires et de réduction des armes nucléaires.
Mikhaïl Gorbatchev expose que dans l'accord sur les missiles à moyenne portée, l'URSS s'engagera à supprimer complètement, dans un délai relativement court et fixé avec précision, ses missiles tactiques en Europe. C'est la seconde option zéro.
Charles Powel m'appelle de Londres :
1 Il voudrait que l'on se coordonne avant toute réaction publique à cette proposition de Gorbatchev.
2 Pour lui, elle signifie l'élimination des SS 12, 22 et 23 qui sont en Europe, et non leur élimination globale. Or, ces armes sont particulièrement mobiles.
3 Il pense qu'il vaut mieux ne pas réagir avant la fin de la visite de George Shultz à Moscou.
4 Margaret Thatcher va lancer des invitations pour une réunion à Quatre à Paris.
Selon le compte rendu des échanges établi par les Soviétiques, George Shultz insiste un peu plus tard sur le droit des États-Unis à fabriquer des armes de ce type et à les déployer en quantité approximativement égale à celle qui restera à l'URSS après la liquidation des missiles à courte portée retirés de Tchécoslovaquie et de RDA.
Puis, surprise ! Mikhaïl Gorbatchev propose à George Shultz la troisième option zéro : Nous avons tout dit, souligne-t-il, et même plus, certainement, que vous n'attendiez. Nous allons même plus loin que ce qui a été dit à Prague : nous sommes prêts à liquider également les missiles tactiques de théâtre. Qu'est-ce qui vous fait peur ? Nous sommes pour un accord fiable, assorti du contrôle le plus rigoureux et le plus universel qui soit. Si le processus de liquidation des armements nucléaires commence, nous prendrons sur la question du contrôle la position la plus rigoureuse, nous exigerons vérification et inspection partout — sur les sites de démantèlement des missiles, sur les sites de leur destruction, sur les polygones et dans les bases militaires, y compris dans les pays tiers, dans les entrepôts et les usines, qu'ils soient privés ou qu'ils appartiennent à l'État. Il importe, poursuit Mikhaïl Gorbatchev, de comprendre qu'il est absurde de se lancer dans le surannement au moment où l'URSS liquidera unilatéralement ses MOT, en somme toute une catégorie d'armements nucléaires.
Commentaire officiel des Soviétiques :
Le recul américain par rapport aux positions de Reykjavik est également évident dans la mesure où les États-Unis étalent maintenant la réalisation d'un accord sur les armements stratégiques offensifs non plus sur cinq, mais sur sept ans, et réduisent l'engagement de ne pas se retirer du traité ABM de dix à sept ans.
Mikhaïl Gorbatehev : Les allégations selon lesquelles les recherches sur l'IDS ne mettraient pas en cause cet accord sont inacceptables. Nous n'admettrons jamais une extension naturelle de la course aux armements à l'espace. L'idée même de l'IDS est profondément nuisible. Si les États-Unis déploient des missiles ABM dans l'espace, il n'y aura aucun accord sur les armements stratégiques offensifs ; si vous nous y forcez, notre réponse à l'IDS sera asymétrique, pas nécessairement dans l'espace, et bien meilleur marché. Mais il en résultera une situation extrêmement dangereuse. On ne pourra plus avoir aucune confiance, ni nous en vous, ni vous en nous. Est-il possible que les hommes politiques les plus responsables envisagent une telle perspective : la déstabilisation de tout le système de sécurité, et ce, juste au moment où il y a une possibilité réelle de résoudre le problème des armements nucléaires ?
Sur les droits de l'homme : Tout ce qui est légal et humain, nous l'étudierons et nous le résoudrons positivement, déclare Gorbatchev. En général, nous ferons en sorte que tous ceux qui, chez nous, ne sont pas contents de leur pays, le deviennent. J'espère que vous autres, aux États-Unis, vous ferez, vous aussi, quelque chose pour que des millions de vos citoyens vivent mieux.
Il n'est pas dans notre intention de conduire une politique belliqueuse à l'égard des États-Unis. Nous rejetons le principe vicieux selon lequel plus cela va mal pour l'Union soviétique, mieux cela vaut pour les États-Unis, et vice-versa...
Entretien sur le terrorisme entre le Président, Bernard Gérard, patron de la DST, et Ivan Barbot, remplaçant de Pierre Verbrugghe à la direction de la Police nationale. Le Président : Vous ne me dites rien, mais je sais tout. Le Président Assad m'a téléphoné que... Untel m'a téléphoné que...
Silence des deux hauts fonctionnaires, qui préféreraient sans doute rendre compte au Président du travail de leurs services.
Sur les affaires de terrorisme, le gouvernement laisse entendre que les responsabilités sont syriennes. Or la main iranienne y semble omniprésente, ce qui plonge ledit gouvernement dans un grand embarras : cela remet en effet en cause la politique de normalisation avec l'Iran.
Mercredi 15 avril 1987
Le Conseil des ministres commence par un exposé de Jean-Bernard Raimond sur les propositions soviétiques de désarmement et sur son voyage en Pologne.
Jacques Chirac glisse : Ce voyage, très bien organisé, a été très réussi.
Le Président prend alors la parole :
Sur la Pologne : Comme vous le savez, j'avais reçu M. Jaruzelski, il y a dix-huit mois, à Paris. Cela a suscité, c'est le moins qu'on puisse dire, quelques remous. Je remarque qu'aucune contestation n'a été opposée à d'autres responsables politiques allemands, britanniques, sans parler du Pape... J'avais indiqué à M. Jaruzelski que rien ne serait possible tant qu'il n'aurait pas accompli un certain nombre d'actions symboliques ou pratiques, en particulier d'autoriser la sortie de M. Geremek. Bon nombre de mes demandes ont été satisfaites. C'est ce qui a rendu possible votre visite, qui a en effet été très utile. Il reste quelques domaines où la Pologne doit faire un effort. Ce n'est pas facile, en raison de sa situation, mais la Pologne, contrairement à l'image qui s'est fixée, n'est pas du tout le pays communiste le plus sévère sur le plan des libertés publiques.
Sur le désarmement : Ce qui est intéressant, ce n'est pas ce que les Soviétiques proposent, c'est ce que les États-Unis acceptent. Cela dépendra de l'état d'esprit de l'opinion publique américaine, du caractère du futur Président, quel qu'il soit, et de sa situation politique. C'est ce qui rend constamment difficile à prévoir l'attitude américaine dans les relations avec l'Union soviétique. Nous ne serons jamais assurés qu'elle soit prête à prendre des risques pour l'avenir de l'Europe. Cela dit, si l'Europe tombait sous la domination soviétique, les États-Unis deviendraient un petit pays ayant perdu toute autorité morale... En tout cas, il n'y a pas de proverbe plus sûr que : « Il faut s'aider soi-même. » La France doit s'arc-bouter sur ses moyens de défense. Quant à la défense européenne, il ne faut pas se contenter d'incantations. Tant qu'il n'y aura pas de pouvoir politique, comment voulez-vous qu'il y ait un pouvoir militaire ?
Édouard Balladur parle des travaux des G5 et G7 auxquels il a participé à Washington pour conforter l'accord du Louvre. Il critique la Bundesbank, qui estime que toutes les banques doivent acheter des marks, mais qui considère qu'elle peut se limiter à acheter des dollars. Il critique aussi le chancelier de l'Échiquier qui lui a donné le conseil de libérer tous les mouvements de capitaux et à qui il a répondu qu'il ne manquerait pas de suivre son avis quand la livre serait entrée dans le SME. Un humour froid. Une maîtrise croissante des dossiers.
André Giraud rend compte de son entretien avec le ministre de la Défense néerlandais. Comme il évoque une fois de plus les risques de dénucléarisation de l'Europe liés aux options zéro, le Président le reprend : La dénucléarisation américaine...
Au Liban, la guerre des camps pousse toutes les organisations palestiniennes non pro-syriennes, y compris le Fath-Commandement révolutionnaire d'Abou Nidal, à se regrouper contre la Syrie et Amal. Abou Nidal aurait révisé toute sa stratégie. Il se serait engagé à se rallier à la déclaration du Caire de Yasser Arafat (après l'affaire de l'Achille Lauro) dénonçant toutes les formes de terrorisme, et à ne plus s'en prendre à des Palestiniens. Pour autant, son organisation, dissidente du Fath, n'obtiendrait pas le droit de siéger au Conseil palestinien. C'est pour obtenir celle du FPLP de Georges Habache que Yasser Arafat a annoncé l'abrogation de l'accord d'Amman.
Jeudi 16 avril 1987
François Mitterrand répond à Jacques Chirac, qui lui avait écrit pour s'opposer à la seconde option zéro. Il lui expose que la double option zéro n'entraîne pas l'Europe dans un engrenage de dénucléarisation générale auquel elle ne pourrait plus échapper. Pour lui, notre pays n'a donc pas de raison valable de décourager les États-Unis de parapher un accord qui éliminerait ou ramènerait à un niveau très bas les forces nucléaires intermédiaires américaines et soviétiques en Europe.
Francis Bouygues et Robert Maxwell sont reçus par Édouard Balladur pour la remise du chèque de 3 milliards correspondant à l'acquisition de 50 % de TF1.
François Bujon redevient parfaitement courtois : le prochain voyage de Jacques Chirac à Moscou est, vient-il me dire, très compromis par les réticences protocolaires des Soviétiques, qui ne veulent ni le recevoir ni le traiter en chef d'État. Ce que l'on peut comprendre... Il me raconte les entretiens de Jacques Chirac à Londres. Margaret Thatcher, prévoit-il, va prendre parti pour la première option zéro et contre la seconde, c'est-à-dire pour l'équilibre à bas niveau des armes intermédiaires à courte portée. Il considère qu'un accord européen peut encore se faire sur cette base. Chirac s'apprête à l'expliquer à Helmut Kohl, à Strasbourg (!). Par ailleurs, il me dit qu'il aimerait bien accompagner le Président dans un de ses voyages... Enfin, il souhaiterait que le Président fixe au plus vite le lieu du prochain Sommet franco-allemand (21 mai). Les Allemands préféreraient une ville de province, si possible touristique. On peut penser à Montpellier, Grenoble, Rennes, Biarritz (ce qui permettrait d'aller à Latché), Évian, Angoulême.
Le Président décide que ce Sommet aura lieu à Paris.
Vers 21 h 30, l'Élysée est avisé par André Giraud d'une demande d'aide des Tunisiens afin de déceler et neutraliser un raid libyen, qu'ils estiment certain, visant à bombarder l'ambassade américaine à Tunis. Le général Forray se rend à 23 h 15 à la cellule de crise du Quai d'Orsay, où se trouvent déjà Jean-Bernard Raimond et François Bujon. Malgré l' alarmisme tunisien, ce raid apparaît comme peu probable. D'après les textes, nous ne sommes obligés à rien. Raimond téléphone à Jacques Chirac, lequel demande à Forray d'appeler le Président pour obtenir son assentiment aux mesures envisagées : alerte renforcée à Solenzara (Corse), descente du Montcalm vers le sud, envoi d'un avion Atlantic en écoute-détection au-dessus de la Tunisie. Le Président donne son accord.
Un peu plus tard dans la nuit, André Giraud appelle le général Forray pour lui dire qu'il ne souhaite plus envoyer l'Atlantic, à cause des risques. Forray décide de ne pas déranger le Président, d'autant que l'on apprend que les Tunisiens ont présenté les mêmes demandes aux Américains. Il est donc prudent de ne pas risquer une méprise entre avions. A 1 h 30, la cellule de crise se sépare.
Tandis que Ronald Reagan se déclare optimiste sur les chances de conclure un accord historique dès cette année, George Shultz, à Bruxelles, informe ses alliés de l'OTAN de ses conversations à Moscou et leur demande de prendre rapidement position sur la seconde option zéro, qu'il approuve.
Les réticences européennes sont grandes : et si tout cela n'était qu'une magnifique mise en scène soviétique destinée à faire partir les armes américaines d'Europe et à pousser ainsi les Américains à se désintéresser du sort du Vieux Continent, le laissant seul face à l'URSS ? Certains Européens pensent que, de toute façon, la France ne les défendra pas avec ses armes nucléaires contre une attaque soviétique et que tout cela fait de l'Europe une proie facile pour l'URSS.
François Mitterrand me dit : Nous risquons d'aller vers la liquidation totale du nucléaire à la fin du siècle. Or, il y a des dirigeants sans volonté. Les puissances nucléaires sont en première ligne là-dessus. Washington fabrique des arguments de façon accélérée. Il faut freiner. La France dispose d'un armement qui ne s'accroît pas. Elle ne veut s'en servir qu'en restant au niveau où sa sécurité est assurée. La France est prête à participer de bonne foi, à aider à la paix. Si on ne freine pas dès maintenant, il y aura un accident. La France refuse d'être un pays surarmé. Et la compétition dans l'espace et à terre doit être évitée. Des deux côtés, le sentiment est que l'autre ne respecte pas ses engagements.
Vendredi 17 avril 1987
Entrée en vigueur des sanctions commerciales américaines contre le Japon.
Le Président, sur le Tchad : Pour ce qui est du 16e parallèle, je ne suis pas contre une évolution dans l'avenir. C'est une décision politique avant d'être une décision militaire. Il faut une préparation psychologique et politique extrêmement fine.
Sur les négociations États-Unis/URSS à propos du désarmement : Pas question que nous participions aux réunions dans le cadre de l'OTAN, pas question de la réintégrer d'une façon ou d'une autre. Sur le fond, il ne faut pas que la France ronchonne, il ne faut pas que la France apparaisse antisoviétique, mais elle ne doit pas non plus se montrer complaisante.
Lundi 20 avril 1987
Arrestation par la DST de huit ressortissants étrangers (libanais, sénégalais, algériens, marocains) soupçonnés de terrorisme.
Mardi 21 avril 1987
Le Président me dit : Préparez-moi une lettre pour Reagan. Il faut que je lui demande de réaffirmer son engagement à défendre l'Europe, même sans armes nucléaires américaines en Europe. Sinon, les options zéro n'auront pas de sens. Et les Européens auraient raison de les refuser.
Mercredi 22 avril 1987
Au Conseil des ministres, exposé de Jean-Bernard Raimond sur les problèmes de désarmement. Il explique qu'on pourrait obtenir un accord avec un déploiement limité de 80 fusées américaines dans la catégorie 500 à 1 000 kilomètres de portée. C'est la position de Jacques Chirac. Pas celle du Président. Mais, dit-il, si la RFA accepte la double option zéro, nous pourrions l'accepter aussi.
André Giraud prend la parole avec une louable ténacité : Monsieur le Président, il y a une notion que vous avez développée récemment, qui mérite d'être remise sur le devant de la scène : celle de la réduction de l'armement stratégique. La deuxième option zéro serait une étape déterminante, je dirais la dernière, avant la finlandisation de l'Europe. Là-dessus, M. Gorbatchev a été diabolique. Il a découplé le désarmement concernant l'Europe du désarmement en général.
Le Président sursaute au mot « finlandisation » : Monsieur le ministre de la Défense, si M. Gorbatchev est diabolique, alors ses prédécesseurs l'ont été aussi. Durant toutes les années précédentes, ce débat portait sur les armes intermédiaires et non sur les armes stratégiques. A Reykjavik a eu lieu une négociation totalement improvisée du côté américain. La position consistant à abandonner toutes les armes stratégiques est totalement irréaliste. [André Giraud opine de la tête.]
Revenons aux euromissiles : pour nous, Français, tout l'armement soviétique est composé d'euromissiles, puisqu'il est en Europe. Les Français se sont contentés avec obstination et simplicité de dire que les États-Unis et l'URSS n'avaient pas à disposer des armements français, qui sont tous stratégiques. Il y a une unité parfaite de la politique française en ce domaine. [André Giraud approuve, visiblement satisfait.]
Quant à l'expression finlandisation, si l'on devait aboutir à une neutralisation de l'Europe, j'y serais naturellement défavorable. Que ce soit l'objectif russe, certes, depuis au moins Pierre le Grand ! Que ce soit dans l'intérêt des Européens, certes non ! Que ce soit dans le comportement des Européens, cela n'est venu à l'idée de personne. Peut-être certains Allemands sont-ils parfois tentés, mais ce n'est pas la position des Chanceliers successifs, et sûrement pas la nôtre. Quant aux propositions de M. Raimond, grosso modo, je suis d'accord.
Le problème de la capacité de première frappe est débattu depuis quarante ans. La position des États- Unis et de l'URSS a varié selon qui était le plus fort. Qu'il y ait une capacité de première frappe à partir de l'Europe pour les Américains, c'est un avantage pour les Américains, mais il n'est pas sûr que ce soit un avantage pour la défense de l'Europe.
L'intérêt de la France est que personne ne puisse faire usage de la première frappe. Je vous rappelle qu'il ne s'agit pas de gagner la guerre, il s'agit de ne pas la faire.
Là, ni Giraud, ni Chirac, ni Raimond n'approuvent.
Vendredi 24 avril 1987
Vu Édouard Balladur. Nous reprenons le projet d'une réduction de la dette africaine : allongement des périodes de remboursement jusqu'à vingt ans, prêts concessionnels, fonds de stabilisation des prix des matières premières qui ont atteint leur niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale.
François Mitterrand : Le couplage défensif entre les États-Unis et l'Europe n'est pas exclusivement et mécaniquement lié à la nature et à l'emplacement des armes nucléaires terrestres de l'OTAN, données contingentes qui ont varié maintes fois depuis 1949. Il s'enracine d'abord dans la conscience que les États-Unis ont de ce que la défense de l'Europe reste vitale pour eux.
Dimanche 26 avril 1987
A La Trinité-sur-Mer, Jean-Marie Le Pen annonce qu'il sera candidat aux élections présidentielles de 1988.
Lundi 27 avril 1987
Vu le père Wresinski, président d'ATD Quart-Monde. Impressionné par sa force et sa rigueur. Est-ce de l'humour qui perce derrière sa violence ?
Selon de multiples sources, l'ambassadeur de France à N'Djamena épouse toutes les revendications de Hissène Habré au point de les faire siennes, critiquant la politique menée par la France depuis 1983, attaquant même le Président, affirmant que la notion de « Tchad utile » est un non-sens. Dans le même temps, il manifeste une grande irritation envers les autorités tchadiennes qui lui ont fait attendre une audience de Hissène Habré et qui ont donné priorité aux Américains pour étudier le matériel saisi à Ouadidoum. Celui qui nous en parle évoque la tchadite : en cette saison, le climat est tel qu'il arrive qu'une sorte de délire s'empare de certains individus.
Le Président envisage de demander le remplacement du diplomate, mais pas dans l'immédiat. Quant à l'attitude du Tchad vis-à-vis des États-Unis, il dit qu'il faut marquer le coup, mais sans créer de rupture. Hissène Habré doit sentir notre mauvaise humeur ; il faut qu'il y ait un ralentissement dans le flux d'argent et de matériel que nous lui fournissons.
Jacques Chirac est tout à fait d'accord avec la position du Président.
Les Soviétiques déposent à Genève leur projet de traité de double option zéro. Ils ne reprennent pas l'idée de troisième option zéro que Gorbatchev a esquissée devant George Shultz il y a quelques jours.
Mardi 28 avril 1987
François Mitterrand : L'URSS a sans doute comme arrière-pensée de découpler la défense de l'Europe de l'Ouest de celle des États-Unis. Mais ce n'est pas nouveau et il n'appartient qu'à nous d'accepter ou de refuser ses propositions, selon qu'elles coïncident ou non avec nos intérêts. C'est précisément parce que nous voulons maintenir une défense forte qui ait le soutien des peuples occidentaux que nous devons nous montrer cohérents avec nous-mêmes, fermes et disponibles à la fois, et ne pas redouter plus l'URSS quand elle accède à nos demandes que quand elle les rejette.
Le Président écrit lui-même à Ronald Reagan et confie la lettre à Jean-Bernard Raimond. Lettre très importante, dont les thèmes vont être réévoqués à maintes reprises dans les trois mois à venir. Il demande au Président américain, par-delà l'accord avec les Soviétiques, de réaffirmer son engagement en Europe. Certaines appréhensions se manifestent à ce propos, explique-t-il, dans les pays européens de l'Alliance aussi bien qu'aux États-Unis. D'aucuns craignent que la signature d'un ou de deux accords d'option zéro avec l'URSS ne symbolise — ou ne préfigure — un moindre engagement des États-Unis dans la défense de leurs alliés européens, n'entraîne chez ces derniers une perte de confiance dans la protection américaine, et ne fournisse aux Soviétiques l'occasion d'exploiter cette situation. Pour François Mitterrand, l'inquiétude européenne est réelle ; elle est nourrie par l'Initiative de défense stratégique comme par le débat ouvert aux États-Unis sur le retrait des troupes américaines stationnées en Europe. L'un et l'autre peuvent laisser craindre que l'Amérique ne se replie sur elle-même. Le Président des États-Unis est le mieux placé, plaide le Chef de l'État, pour dissiper un pareil sentiment et restaurer la confiance. Il suggère que la signature des accords sur les forces nucléaires intermédiaires soit l'occasion d'une réaffirmation solennelle et spectaculaire, par les Alliés atlantiques, des engagements pris les uns envers les autres. Les États-Unis réitéreraient leur détermination à défendre l'Europe, et les Européens proclameraient leur volonté d'édifier, en accord avec les États-Unis et dans l'Alliance, le pilier européen de l'OTAN. Les uns et les autres souligneraient à nouveau le rôle central de la dissuasion nucléaire pour leur sécurité commune.
Une des filles du général Oufkir, détenue en secret sur ordre de Hassan II, a pu s'échapper et appeler José Artur, qui me prévient, entre autres. La presse s'empare de l'affaire.
Mercredi 29 avril 1987
Au Conseil, intervention du Président après l'exposé de Jean-Bernard Raimond : J'insiste sur l'aspect très fâcheux de l'affaire des enfants d'Oufkir. Il ne doit y avoir aucune indiscrétion, aucune intervention publique. Se tournant vers le ministre des Affaires étrangères, le Président poursuit : C'est vous qui devez garder la haute main sur cette affaire, sans que personne d'autre s'en mêle. Je crois que je me suis fait bien comprendre. [Le Président fait allusion à une intervention publique de Claude Malhuret.] Il faut faire en sorte que leur situation évolue favorablement, mais, en même temps, il ne faut pas que la France apparaisse comme donneuse de leçons. Ce dossier doit être géré par une seule personne, une seule administration, un seul canal.
A propos du désarmement, le Président déclare : Il y a des tiraillements chez plusieurs de nos voisins. La France n'a pas intérêt à être tout à fait en première ligne, même si elle n'est pas naturellement indifférente.
Le Conseil adopte un projet de loi sur l'indemnisation des rapatriés.
François Mitterrand se plaint auprès d'Ivan Barbot, directeur de la Police nationale, et de Bernard Gérard, patron de la DST, de n'avoir aucune information sur les affaires d'espionnage: Dans l'avenir, il y aura des difficultés ; je ne suis pas homme à laisser les choses en l'état.
Fernand Wibaux, conseiller diplomatique du gouvernement, part avec un message du Président à l'intention de Hissène Habré. Il n'apporte aucune réponse à ses demandes. Il faut d'abord que Habré fasse un geste envers la France. Le Président déclare par ailleurs : Le 16e parallèle n'est pas forcément intangible ; mais c'est à nous d'en décider, et non à M. Habré.
Des membres des services spéciaux du 11e choc (DGSE) se sont vantés dans un bar de N'Djamena d'avoir été les véritables artisans de la victoire de l'armée tchadienne sur les forces libyennes. Hissène Habré, furieux, se plaint.
Jeudi 30 avril 1987
A propos du Tchad, André Giraud se montre très va-t-en-guerre. Il est furieux que le 11e choc ait été mis en cause et ne veut plus rien faire. Au contraire, Jacques Chirac, initialement prudent, veut maintenant en découdre.
Le Président : Je le calme...
François Mitterrand grommelle : Les partis, les partis... Sous la IVe, j'ai connu ce que l'on appelle le « régime des partis », eh bien, ce n'était pas brillant ! Les partis n'ont rien de sacré, pas de valeur en soi. Ce qui compte, c'est la fraction de la communauté nationale que chacun représente. A condition que ce ne soit pas un prétexte pour représenter une simple coalition d'intérêts...
Vendredi 1er mai 1987
Réunion des sherpas à Porto Cervo, en Sardaigne. Nous établissons une série de textes inoffensifs sur le désarmement, le Nord/Sud, la dette. Le sommet s'annonce bien vide, sauf sur le recyclage des capitaux vers le Tiers Monde, si les Japonais veulent bien donner leur accord, et en attendant l'inévitable proposition de dernière minute des Américains. J'obtiens qu'un paragraphe mentionne une idée qui m'est venue en séance : la création d'un comité international d'éthique sur le sida.
Lundi 4 mai 1987
La réunion des ministres de l'Intérieur ne sera pas à Sept, mais à Neuf, de par l'ajout de deux pays européens du groupe de Trevi. On évite ainsi d'en rester au directoire du Sommet.
Mardi 5 mai 1987
Le ministre des Finances ne tolère pas d'avoir dû quitter le Louvre. Coût du retard pris par le chantier du Louvre du fait de la réinstallation d'Édouard Balladur dans ses anciens bureaux pour une si brève période : 25 millions de francs.
Mercredi 6 mai 1987
Avant le Conseil, le Président demande à Jacques Chirac que soit différée la nomination d'un général à la direction de l'École de cavalerie de Saumur, parce qu'il a critiqué publiquement la capacité des chars français.
Le Président fait au Premier ministre des observations sur ses débordements en politique étrangère. Chirac proteste de sa bonne volonté.
Un peu plus tard, Maurice Ulrich téléphonera, charmant, à Jean-Louis Bianco pour suggérer qu'avant la réunion de l'OCDE, où il sera question du GATT, le Président voie Édouard Balladur, ou que je tienne une réunion dans mon bureau avec les directeurs de cabinet des ministres concernés, afin de définir la position de la France. C'est la première fois depuis le 16 mars 1986 qu'il envisage une telle éventualité.
Le Président tiendra lui-même cette réunion.
Au Conseil des ministres, René Monory fait un interminable compte rendu de son voyage au Brésil, qui n'intéresse personne. Il est très fier d'avoir été reçu par les gouverneurs de quatre États et par quatre ministres.
Après la communication de Philippe Séguin sur l'apprentissage, le Président intervient : Ce texte a fait l'objet de pas mal d'observations de la part du Conseil économique et social et des différentes instances que vous avez consultées. Vous indiquez que vous en avez tenu compte. C'est important pour éviter que la discussion ne tourne à l'aigre sur un sujet de ce type.
Échange — plutôt pittoresque — avec Albin Chalandon, garde des Sceaux, qui soumet au Conseil la demande du juge qui réclame sa comparution comme témoin dans l'affaire Chaumet !
Le Premier ministre : C'est l'usage constant que les ministres ne se rendent pas à une telle convocation.
Le Président, très souriant : Il en est de même pour le Président de la République.
Le Premier ministre : C'est aussi l'usage.
Le Président : D'ailleurs, vous savez que le Président de la République est très souvent cité. [Se tournant vers Albin Chalandon :] Mais là, vous auriez été invité à venir comme témoin apparemment innocent.
Michèle Alliot-Marie rit ouvertement et échange des clins d'œil ironiques avec Alain Juppé et Michèle Barzach.
Dans l'après-midi, le Président reçoit pendant quatre-vingt-dix minutes Valéry Giscard d'Estaing, qui, visiblement, en est très heureux. En prenant congé, le Président le taquine à nouveau à propos de son portrait — qu'il refuse toujours obstinément de faire exécuter —, lequel devrait être installé dans le vestibule du premier étage au côté de ceux des deux autres précédents Présidents de la Ve République, Pompidou et de Gaulle. Le Président me prend à témoin : Vous voyez, il n'en a pas envie. Il a peur d'être enterré avant l'heure.
Valéry Giscard d'Estaing: Non, non, ce n'est pas cela... Je ne veux pas y figurer tant que l'Histoire n'aura pas porté sur mon septennat un jugement équitable...
Le Président : On pourrait l'y mettre et si vous reveniez ici, vous pourriez le faire enlever. Mais, au fond, ce n'est pas cela. Vous devez avoir un vieux fond de superstition auvergnate. Je comprends ça. Moi, je suis du Berry, et vous savez, dans le Berry, les sorciers et les sorcières...
Le Parlement adopte la loi organisant le référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie.
Une première dans un pays de l'Est : réunion à Budapest du comité exécutif du Congrès juif mondial.
Manifestation à Moscou de l'organisation nationaliste et conservatrice Pamiat (la Mémoire).
Le juge Michau se déclare incompétent dans l'affaire Nucci.
Jean-Marie Le Pen est pour la troisième fois l'invité de L'Heure de vérité. Il y réclame la création de sidatoriums pour isoler les malades du reste de la population.
Jeudi 7 mai 1987
Déjeuner avec Claude Cheysson. Il s'inquiète pour l'avenir du Maghreb : Si l'on n'y apporte pas toutes les ressources financières dont nous disposons, un jour prochain, ils basculeront dans le fondamentalisme. On aura l'Iran à nos portes.
Vendredi 8 mai 1987
Les premiers programmes de la Sept sont diffusés sur FR3.
Dans son bureau, le Président réunit Jacques Chirac, Édouard Balladur, Jean-Bernard Raimond, Élisabeth Guigou, Jean-Louis Bianco et moi à propos de la discussion commerciale du GATT, lors de la prochaine réunion de l'OCDE.
Le Président : Il va y avoir la réunion de l'OCDE, il faut définir la position de la France. Monsieur le ministre d'État, comment cela se présente-t-il ?
Édouard Balladur : Tout le problème est de savoir s'il existe une chance d'accord dans le cadre de l'OCDE sans que les États-Unis exigent plus à Venise. Cela me paraît chimérique. J'en conclus donc qu'il ne faut pas faire trop de concessions à l'OCDE, cela n'en vaut pas la peine. Je dois vous rendre compte, monsieur le Président, du comportement toujours négatif des Allemands en matière monétaire par rapport à leurs engagements. Ils font un petit effort, mais cela ne va pas plus loin.
Jacques Chirac : Oui, monsieur le Président, j'ai d'ailleurs dit au Chancelier Kohl que cela ne pouvait pas continuer comme ça ; ou bien on renonçait au système monétaire européen, et ce n'est pas notre thèse, ou bien on l'approfondissait.
François Mitterrand : Il est certain que les Allemands n'ont pas la pratique de la politique qu'ils affichent.
Jacques Chirac : Et puis, il y a le problème de l'agriculture !
François Mitterrand : Le Sommet de Bonn a buté là-dessus, il y a deux ans. Le Président Reagan est arrivé avec des complicités déjà acquises par des négociations bilatérales préalables. J'ai toujours dit qu'il n'était pas question de nouvelles négociations du GATT se limitant à l'agriculture, avec pour objectif la mise à bas de la politique agricole commune. Peut-être aujourd'hui y a-t-il un peu de solidarité au sein de la Communauté européenne. Mais je n'en suis pas certain.
François Mitterrand évoque à cette occasion un souvenir du Sommet de Versailles de 1982. Alors qu'un accord était sur le point de se conclure, Donald Regan, qui était à l'époque le secrétaire d'État aux Finances américain, déclara à quelques journalistes : On va céder sur le texte, mais, après, on ne fera rien. Et le Président de poursuivre : L'offensive américaine va être très dure, nous devons être durs. C'est bien votre avis, monsieur le Premier ministre ?
Jacques Chirac: Oui.
François Mitterrand : Monsieur le ministre des Affaires étrangères ?
Jean-Bernard Raimond : Oui.
Édouard Balladur : Il faut insister sur le problème de la dette de l'Afrique.
François Mitterrand : Oui, tout à fait. Vous savez que j'ai une variante par rapport à vous à ce sujet. Je suis favorable, dans certains cas, pour les pays les plus pauvres, à des abandons de créances. Cela a d'ailleurs déjà été fait par certains pays, y compris la France. Les États-Unis font dépendre leur aide au Tiers Monde de leurs intérêts stratégiques. La Grande-Bretagne sélectionne. Il n'y a que la France et les pays du nord de l'Europe, y compris les Pays-Bas, qui aient une vraie politique.
Jacques Chirac : Je dois vous dire que je suis résolument hostile à tout abandon de la dette, c'est un problème de dignité.
Édouard Balladur reste impassible.
François Mitterrand : Vous avez tort. En tout cas, nous sommes bien d'accord: fermeté sur l'agriculture, sur le GATT, et insistez sur le Tiers Monde.
On parle aussi du Tchad. Pas question pour nos troupes de franchir le 16e parallèle.
Lundi 11 mai 1987
Vu Françoise Giroud. Nous parlons longuement de l'AICF, créée chez moi en 1979 et dont elle assure remarquablement la présidence.
Jean-Louis Bianco plaide en faveur de la candidature de François Mitterrand à un second mandat. Celui-ci lui répond : Vous ne voyez que le « pour » ; moi, je suis obligé de voir le « pour » et le « contre », et cela n'est pas seulement politique, comme vous semblez le croire ; il y a aussi des considérations personnelles. Oui, je sais, on en a vu de plus âgés. Mais Pétain, Clemenceau... Est-il besoin de rejoindre la liste des séniles ?
Déclaration de Denis Baudouin, selon laquelle la France aurait décidé de franchir au Tchad le 16e parallèle, ce qui est contraire à ce qui a été convenu il y a deux jours entre le Président et le Premier ministre. La discrétion la plus totale était prescrite, et le Premier ministre avait même déclaré au Président, vendredi : Il me semble sage de ne rien annoncer publiquement.
Le Président : C'est misérable ! Certains comportements témoignent d'une immoralité incroyable.
Jean-Louis Bianco appelle Maurice Ulrich ; il lui fait part de l'extrême étonnement du Président et lui demande des explications. Ulrich est très embarrassé et essaie d'expliquer les propos de Denis Baudouin par un défaut de communication interne à Matignon : le Premier ministre ne lui a rien dit là-dessus, et Denis Baudouin aurait déduit, de propos que lui aurait tenus Jacques Foccart, que celui-ci avait donné le feu vert pour une déclaration.
François Mitterrand à Berlin-Ouest pour le sept cent cinquantième anniversaire de la ville : La France accueille avec intérêt et satisfaction toute proposition de désarmement.
Le procès de Klaus Barbie, officier SS jugé pour crimes contre l'humanité commis en 1943 et 1944 à Lyon, s'ouvre devant la cour d'assises du Rhône.
Mardi 12 mai 1987
Promenade rive gauche avec François Mitterrand : Rocard seul peut être le candidat de tout le parti. Il est le plus ancien. Et je n'ai aucune animosité contre lui. Je sais bien que Rocard n'est pas de notre sensibilité, de notre filiation historique. Mais c'est un homme intelligent. Il a fait ses preuves. Il peut prétendre à de hautes fonctions. Il y a quinze ans, nous n'étions pas grand-chose. En fondant le nouveau Parti socialiste, nous nous sommes donné comme objectif de ramener les socialistes au pouvoir. Il a fallu dix ans pour cela. Maintenant, il y a dans l'opinion une crédibilité quant à la capacité des socialistes à gouverner. Cela crée les conditions d'une alternance dont le Parti socialiste est désormais l'un des pôles. Mais c'est encore très fragile. Pour que cela devienne durable et que j'aie rempli ma mission historique, il faudrait que je sois en mesure de faire élire un autre socialiste à la Présidence de la République en 1988.
Le Président est très détendu. Il prononce un très vibrant éloge de Pierre Mauroy, et un autre de Laurent Fabius, insistant sur son côté brillant. Il s'agace néanmoins de lire, dans la presse, des commentaires sur Fabius le présentant comme son « fils spirituel » : En politique, on n'a jamais d'enfants. Des amis, rarement. Des disciples, pas longtemps. Mais une filiation, même spirituelle, ça non !
Mercredi 13 mai 1987
Déjeuner avec Renato Ruggiero et David Mulford avant la prochaine réunion des sherpas. Nous parlons du G7 et du G5. Étonnante alliance : dans le G7, nous sommes les trois seuls à vouloir des zones de référence monétaire.
Conseil des ministres. A propos de la réforme des études médicales, qui provoque de l'agitation chez les étudiants, le Président: Je ne saurais trop insister sur les bienfaits de la médecine générale, bienfaits que chacun peut apprécier pour lui-même et pour sa famille, et sur le sentiment qu'éprouvent les généralistes d'être tenus pour la piétaille du corps médical. Il serait sage, dans les circonstances présentes, de ne pas exacerber ce sentiment.
A propos de la nomination d'un nouveau recteur en Corse, le Président parle un peu de l'île : Il est nécessaire d'avoir un homme de caractère pour s'opposer aux agissements indépendantistes dans l'Université. J'espère que ce sera le cas de celui que nous nommons.
Le Président parle de son voyage à Berlin, rappelle qu'il y a été reçu officiellement par le Président de la République fédérale, ce qui a constitué une première : Évidemment, la souveraineté des quatre puissances est une fiction, l'évolution est inévitable mais délicate, d'autant plus que les Allemands sont en même temps très attachés à la protection que leur assure le statut de Berlin.
Jean-Bernard Raimond s'attarde sur les critiques que ce voyage a suscitées en URSS. François Mitterrand : Je ne suis pas exagérément sensible aux critiques soviétiques.
André Giraud parle de sa participation à un bivouac franco-allemand. Le Président l'interrompt : Bivouac ? Qu'est-ce que c'est ? Je pense que c'est ce que le ministre des Affaires étrangères appellerait un lunch ?...
André Giraud : En effet, il s'agissait d'une rencontre sportive et militaire franco-allemande au cours de laquelle on a bivouaqué et déjeuné.
Jean-Bernard Raimond reprend en faisant part de sa très grande inquiétude devant le caractère démoniaque de l'idée de réunification de l'Allemagne lancée par Gorbatchev et poussée par Genscher. Il fait allusion à la proposition soviétique, reprise par Honecker le mois dernier, de corridor dénucléarisé entre les deux alliances, corridor qui relierait les deux Allemagne.
Le Président : Cette tendance existe depuis la minute où le traité de paix a été signé. Il serait surprenant que l'URSS ne joue pas de cet élément déterminant de la politique allemande. Un jour ou l'autre, je ne sais pas quand, un gouvernement français sera devant le coup de théâtre d'une proposition de ce type. Monsieur le ministre, ce n'est pas longtemps après que Cassandre a eu raison. Il y a beaucoup de Cassandre ignorées...
Bernard Bosson, chargé des questions européennes, rend compte d'une réunion à Bruxelles de ministres européens à propos de la Défense. Il a entendu un ministre britannique contredire un autre ministre britannique sur l'option zéro. Le Président : Ce n'est pas le privilège des seuls ministres britanniques !
A propos de la discussion à l'OCDE sur l'agriculture et l'aide au développement, Jacques Chirac, véhément: Il n'est pas question d'accepter une réduction quantitative de la production agricole. Sur l'aide au développement, le Japon dira des choses, et bien entendu ne fera rien. Il se rend compte qu'il est allé trop loin, craint une fuite, et se corrige immédiatement : Bien entendu, vous connaissez ma sympathie pour le Japon et ses dirigeants, il n 'y a là aucune critique dans mon esprit. Il se tait, puis reprend : Ils feront des investissements ciblés dans leur zone d'influence.
Il poursuit: Quand on parle de l'aide au développement, tout le monde, y compris les Néerlandais, qui ont pourtant le cœur en bandoulière lorsqu'il s'agit du Tiers Monde, plongent le nez dans leurs dossiers. A Venise, on voudra nous faire accepter une diminution de la production agricole. Comment peut-on expliquer cela aux deux tiers du monde qui ont faim ? Il reprend là son idée — soufflée, semble-t-il, par François Guillaume — d'envoyer les excédents agricoles européens dans le Tiers Monde.
Le Président : Il est vrai que le discours néerlandais est souvent irritant, mais on ne peut pas ignorer qu'en pourcentage du PIB, les Pays-Bas font un effort supérieur au nôtre pour le développement du Tiers Monde. Dans ce domaine, la France est maintenant au quatrième rang après les pays scandinaves et la RFA.
Jeudi 14 mai 1987
Article de Michel Noir dans Le Monde : Mieux vaut perdre l'élection présidentielle que son âme en pactisant avec Le Pen et ses idées. Il appelle son camp à dépasser les intérêts partisans. Très courageux.
Vendredi 15 mai 1987
Voyage de Jacques Chirac à Moscou.
Dimanche 17 mai 1987
Un avion irakien attaque une frégate américaine (Stark) dans le golfe Persique : trente-sept morts. C'est un missile Exocet qui a frappé le navire. L'Irak affirme qu'il s'agit d'une erreur.
Lundi 18 mai 1987
Vu longuement Édouard Balladur pour parler du Sommet de Venise. Il me dit être très satisfait de l'état actuel du projet de communiqué économique que j'ai mis au point avec les autres sherpas à Porto Cervo : Si les Japonais concrétisent leur accord sur le projet de recyclage des capitaux, le gouvernement français consacrera des crédits budgétaires à cette opération.
Je sais que les Japonais vont annoncer leur accord avant Venise. Un accord de recyclage constituera donc un résultat majeur du Sommet.
Par ailleurs, Edouard Balladur me parle longuement du prochain Sommet franco-allemand : si des progrès peuvent être faits sur les montants compensatoires monétaires, aucun accord n'est imaginable sur le budget européen. Il est aussi tout à fait déterminé à dire brutalement aux ministres allemands que si des progrès ne sont pas accomplis sur le SME, tout est possible — c'est-à-dire qu'il n'exclut pas la sortie du franc du SME. Il me demande si le Président verrait un inconvénient à ce qu'il redise cette phrase en séance plénière, c'est-à-dire publiquement. Je lui réponds que cela pourrait avoir des effets désastreux sur le marché.
Il me demande enfin si le Président a l'intention de réunir le Premier ministre et les ministres qui doivent se rendre à Venise avant ce Sommet.
François Bujon me raconte le voyage du Premier ministre à Moscou, sans m'apprendre grand-chose de plus que ce qui est dans la presse : Gorbatchev et Rijkov ont beaucoup insisté sur la dégradation des relations franco-soviétiques depuis six ans, malgré l'effort que le premier secrétaire a consenti en venant à Paris en 1985. Les seuls exemples de dégradation que Gorbatchev aurait cités sont l'affaire Variguine et les prises de position de Michel Noir contre les violations des droits de l'homme en URSS.
Sur les missiles, Mikhail Gorbatchev a déclaré : Nous sommes très déçus de l'attitude de la France. Nous espérions qu'elle comprendrait qu'il y a là une occasion unique à saisir et qu'elle nous aiderait à désembourber le char du désarmement en parlant aux autres Européens. Elle fait le contraire, et cela nous déçoit beaucoup. Gorbatchev n'a pas voulu entrer dans une discussion sur les armes intermédiaires et Jacques Chirac se serait contenté d'une réflexion philosophique générale sur l'importance de l'équilibre nucléaire et du caractère global du désarmement. Il aurait cité le discours de 1983 du Président à l'ONU, mais il est probable qu'il a dû expliquer en quoi il était contre les propositions d'option zéro.
Mardi 19 mai 1987
Pataquès diplomatique : reprenant une idée émise l'année dernière et tombée dans l'oubli, se prépare sans notre accord pour fin mai, à Paris, sur l'initiative des Américains et de Charles Pasqua, une réunion à Sept des ministres de l'Intérieur. Pas question ! Toute réunion de ministres à Sept ouvre la voie à un directoire à Sept. Le Président l'a toujours refusé. Par deux fois, en 1985, nous avons même laissé vide la chaise de la France à une réunion de ministres de l'Intérieur des sept pays convoquée par les Allemands, que nous n'avions pu empêcher. Si cela se réalisait, les Américains en concluraient que la France s'est résignée ; nous ne pourrions plus refuser la moindre réunion de ministres à Sept sur tous les sujets : Affaires étrangères, Agriculture, Commerce extérieur. De surcroît, en termes d'efficacité, la lutte antiterroriste n'a rien à y gagner. De l'avis de Pierre Verbrugghe, les Américains ne disent rien dans ce genre de réunion ; ils ne parlent que dans les réunions techniques, à Trevi ou ailleurs.
Sans compter que nous ne sommes pas les hôtes du Sommet des Sept, et les Italiens seront furieux de nous voir organiser une réunion à Sept sans les avoir prévenus. Il faut soit retirer cette invitation (ce serait le mieux), soit l'étendre à d'autres pays que les Sept, soit, en dernier ressort, la repousser à après Venise.
Vu longuement François Bujon ce matin, après l'avoir eu au téléphone hier soir. Ni lui, ni le Quai d'Orsay, ni le directeur de cabinet de Charles Pasqua ne sont informés d'une telle réunion. En revanche, Maurice Ulrich est au courant, et cette réunion est bel et bien prévue. Comme le Quai d'Orsay, Bujon y est très hostile. Il a expliqué à Ulrich qu'elle serait contraire à toute notre attitude à l'égard de ces Sommets depuis six ans, et qu'elle n'a pas de raison d'être. (Je n'obtiendrai pas son annulation, mais j'obtiendrai qu'on l'élargisse à d'autres pays.)
Mercredi 20 mai 1987
Avant le Conseil des ministres, François Mitterrand reparle à Jacques Chirac de cette réunion à Sept. Il lui rappelle la position constante de la France sur le sujet : Accord entier pour la coordination de la lutte contre le terrorisme, mais opposition totale à une sorte de directoire à Sept.
Le Président : Que M. Pasqua convoque cinq, neuf, douze ou vingt-deux ministres de l'Intérieur, très bien. Mais pas à Sept !
Jacques Chirac, très embarrassé, répond qu'il va essayer...
François Mitterrand : Essayer, cela ne suffit pas.
Avant de descendre au Conseil, le Président s'adresse à nouveau à Jacques Chirac : Je m'interroge sur la mutualisation du Crédit Agricole, sur ses conséquences juridiques et même constitutionnelles. Les caisses régionales sont les seuls acheteurs de cette privatisation. Les agriculteurs restent entre eux, conformément à une vision très corporatiste, alors qu'il y a aujourd'hui beaucoup d'autres parties prenantes au Crédit Agricole. Je pense qu'il est très important de ne pas léser l'État dans cette affaire. Le monde paysan mesurera d'ailleurs rapidement à quel point la réussite indiscutable du Crédit Agricole est due pour beaucoup aux décisions de l'État. Car cette transformation pourrait remettre en question bien des avantages acquis.
Jacques Chirac : Sur le plan juridique, il n'y a pas le moindre problème. [Ce qui est faux.] Sur le plan politique, c'est effectivement un projet qui est discuté. Le monde de la mutualité est tout à fait pour. Le syndicalisme agricole suit, plutôt par solidarité. Au fond, c'est un risque qu'il appartient à la profession agricole de prendre.
François Mitterrand : Je serais syndicaliste agricole, je ne serais pas rassuré pour l'avenir.
Jacques Chirac : Vous rejoignez les sentiments des jeunes agriculteurs.
En Conseil des ministres, le Président reprend en la résumant sa démonstration : Cette transformation du Crédit Agricole ne va pas forcément servir les intérêts des agriculteurs. Le pourcentage des sièges attribués aux représentants des agriculteurs dans les caisses régionales a soulevé des objections du Conseil d'État et pourrait provoquer des difficultés au Conseil constitutionnel.
Charles Pasqua et Michel Aurillac ayant été cités à comparaître dans le procès qui les oppose au Monde, Jacques Chirac répète que la tradition veut que les ministres ne comparaissent pas. Ils ne comparaîtront donc pas.
René Monory parle de l'accord Erasmus.
François Mitterrand : Je me réjouis de cet accord. Cela n'a pas dû être facile. L'accord sur les idées, c'est facile; mais, quand il s'agit de payer, c'est plus dur.
Le Conseil autorise le Premier ministre à recourir à l'article 49-3 pour accélérer la discussion du projet de loi sur l'aménagement du temps de travail, qui dure depuis deux semaines.
François Mitterrand : La Nouvelle-Calédonie exige beaucoup de sérénité. Je suis révolté par ce qui s'y passe. Il faut y dissoudre les milices privées.
Un peu plus tard, le Président me confie à propos d'André Giraud et de ses nouvelles idées sur le désarmement : C'est un esprit en bouillonnement permanent, qui raisonne comme un polytechnicien. Il voudrait que nous passions notre temps à nous mêler de ce qui ne nous regarde pas!
Jean-Christophe Mitterrand est parti pour N'Djamena où semble régner un grand désordre. André Giraud est toujours très remonté contre Hissène Habré. Jacques Chirac n'a pas le temps de prendre des décisions. Maurice Ulrich n'en a pas le pouvoir. Michel Aurillac se rendra à N'Djamena le 27.
Le Comité central du PCF désigne André Lajoinie comme candidat à la présidentielle.
Jacques Chirac engage la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi d'aménagement du temps de travail. C'est la huitième fois depuis le 2 avril 1986 ! Aveu de faiblesse pour Pierre Joxe, qui dépose une motion de censure au nom du Parti socialiste.
Michel Camdessus me téléphone : le projet de recyclage des capitaux pour la dette des pays « intermédiaires » avance vite avec les Japonais.
L'évolution de la position allemande peut mettre au premier plan, dans les jours qui viennent, le problème des armes nucléaires d'une portée inférieure à 500 kilomètres. Le Chancelier Kohl déclare qu'il faut prendre en considération ces armements dans la négociation sur la première et la seconde option zéro... Prendre en considération et non pas prendre en compte. Cela veut dire que, conformément à ce que Hans-Dietrich Genscher commence à déclarer, l'Allemagne souhaitera que soit rétablie par la négociation, dans cette catégorie, l'égalité des forces, alors que l'Union soviétique dispose actuellement d'une très forte supériorité grâce à ses Scud et à ses Frog : il y a 1 255 armes soviétiques face à 88 armes américaines.
Les États-Unis, l'OTAN et Margaret Thatcher envisagent de déployer de nouvelles armes du côté américain pour rééquilibrer. Il vaudrait mieux rééquilibrer par le bas...
Je consulte successivement Charles Powel et Horst Teltschik par télégramme.
Powel considère qu'il faut absolument décrocher un accord européen sur les armes intermédiaires avant le Sommet de Venise et propose une rencontre à Paris en fin de semaine prochaine.
Teltschik me raconte le déjeuner d'aujourd'hui entre Amintore Fanfani et Helmut Kohl. Le Chancelier pense, après cette rencontre, qu'il faut arriver à un accord entre Européens sur les armes intermédiaires dans les dix jours. Il propose aussi que nous nous voyions à trois très vite. Il se montre très amer vis-à-vis des Britanniques qui lui avaient promis de faire un pas en faveur de sa position.
A propos de la prochaine réunion des Sept ministres de l'Intérieur, les Japonais s'affolent : qu'en attendons-nous en matière de lutte contre le terrorisme ? Le sherpa japonais : Une telle conférence est-elle compatible avec le processus retenu pour la préparation des Sommets occidentaux par les sherpas ? N'y a-t-ilpas là un risque de duplication et de confusion des genres ? Cette initiative ne va-t-elle pas dans le sens contraire à la doctrine constante de la France selon laquelle les Sommets à Sept ne doivent pas fournir l'occasion de créer de nouvelles enceintes ou de nouvelles institutions ?
Les Italiens aussi paniquent. Ils ont appris par les Américains l'existence d'une initiative franco-allemande tendant à réunir les ministres de l'Intérieur des sept pays concernés. L'effet de surprise passé, la Présidence italienne s'interroge sur cette initiative : Tient-elle toujours debout ? Quel est le sentiment de la France à son égard ? A Rome, on n'ose y croire.
Dîner entre Fanfani et François Mitterrand à Paris :
Amintore Fanfani : On ne gagne pas une élection avec un bilan, mais avec une espérance.
François Mitterrand : Vous avez raison ; en France, celui qui réussira à la créer en 1988 gagnera l'élection.
Jeudi 21 mai 1987
Philippe Séguin m'explique longuement son état d'esprit, qui l'amène à renoncer à accompagner le Président dans son voyage au Canada alors qu'il a demandé à y être invité : J'avais proposé de rétablir le 1 % [de prélèvement exceptionnel sur les revenus pour la Sécurité sociale] dès avril 1986, mais Matignon avait refusé. Comment reprocher maintenant aux socialistes de l'avoir supprimé alors que je ne l'ai pas rétabli tout de suite ?
J'ai appris au cours d'une réunion à Matignon avec les syndicalistes qu'on allait réunir des états généraux sur la Sécurité sociale, alors que j'étais contre. J'ai appris par la presse qu'on créait une commission d'experts pour les préparer, alors que j'étais contre. J'apprends, en lisant Le Monde d'hier, que M. Balladur et M. Juppé veulent taxer tous les revenus, alors que je suis contre. Cette situation ne peut pas durer!
Il n'y a plus de pilote dans l'avion. Toute la semaine prochaine va être consacrée à hésiter sur une décision à propos de la Sécurité sociale. Si je pars au Canada avec le Président, ils m'imposeront quelque chose d'absurde.
Je suis tout à fait désolé de ne pouvoir partir, et j'écris une lettre personnelle au Président pour expliquer mon désistement.
Vendredi 22 mai 1987
Le Président écrit à Jacques Chirac à propos de la réunion des ministres de l'Intérieur pour dire que, s'il est bien entendu tout à fait favorable à tout ce qui peut renforcer utilement la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme, il s'est toujours opposé à toute institutionnalisation de réunions à Sept sur n'importe quel sujet. Il rappelle que les sommets des grands pays industrialisés doivent être consacrés à une concertation sur les grandes questions économiques, et qu'il ne saurait être question d'accepter, pas plus aujourd'hui qu'hier, de les voir transformés en directoire politique mondial. Il existe, souligne-t-il, des formes bilatérales et multilatérales de coopération contre le terrorisme, en particulier le groupe dit de Trevi, qui réunit les douze pays membres de la Communauté européenne. Pourraient s'y adjoindre, pour la réunion à Paris des ministres de l'Intérieur, les pays dont la présence semblerait nécessaire. Autrement dit : oui à une réunion, mais pas à Sept !
Vu Jean-Bernard Raimond. Il est contre la seconde option zéro et, évidemment, également contre la troisième.
Le 49e Sommet franco-allemand s'ouvre à Paris. Réunion entre Helmut Kohl, François Mitterrand et Jacques Chirac. On discute de la Politique agricole commune et du GATT avant le Sommet de Venise.
François Mitterrand : Il faut définir une position d'attente sur l'agriculture.
Jacques Chirac : La presse va poser des questions.
François Mitterrand : Oui, mais enfin, il ne faut pas s'occuper que de la presse.
On parle aussi du désarmement et de la troisième option zéro que les Allemands se disent prêts à prendre en considération.
Impolitesse : je reçois, pour la communiquer au Président, une note du directeur de cabinet du Quai d'Orsay, Éric Desmarets, adressée à Maurice Ulrich, à propos de la position que Jean-Bernard Raimond entend prendre dans son entretien de tout à l'heure avec le ministre pakistanais des Affaires étrangères, Yacoub Khan, au sujet de la coopération nucléaire franco-pakistanaise. Il s'apprête à lui dire que nous sommes prêts à étudier la livraison d'une centrale française. Le Président refuse de se prononcer : On n'avait qu'à me saisir plus tôt. La position de Raimond est cependant très proche de celle de Claude Cheysson : oui à la coopération nucléaire, mais à condition qu'il n'y ait rien de dangereux ni de « proliférant ».
Jean-Bernard Raimond communique aussi à l'Élysée son projet de lettre à George Shultz à propos du désarmement conventionnel : pas de négociations d'alliance à alliance ; négociation à 35, pas à 15 contre 8. La lettre est approuvée telle quelle par le Président.
Lundi 25 mai 1987
François Mitterrand se rend en voyage officiel au Canada jusqu'au 29. Entretien en tête à tête entre le Président et Brian Mulroney dans le parc de la résidence présidentielle.
Brian Mulroney : Le gouvernement canadien est divisé sur le point de savoir s'il faut s'adresser à la France pour s'équiper en sous-marins à propulsion nucléaire. Moi, j'étais très favorable à cette solution, mais le dossier est très mal parti depuis que M. Giraud a dit à notre ministre de la Défense: « Je vous poserai seulement deux questions : est-ce que vous êtes capables de payer ? Est-ce que les Américains vous le permettront ? » Vous comprenez que nous ayons jugé cela offensant!
Les questions sont bonnes. La manière ne l'est pas, quand il s'agit de plaire à un client...
Bernard Boyer, directeur d'Amérique au Quai, déclare à quelques journalistes qui suivent le voyage que ce que dit François Mitterrand sur le Canada ou le Québec n'a aucune importance, puisque la diplomatie dépend de Matignon. François Mitterrand demande son remplacement.
Mikhaïl Gorbatchev est à Bucarest. C'est la première visite d'un secrétaire général du PCUS depuis 1976. Il lance un appel à la démocratisation de la société, seule voie à emprunter pour réaliser les restructurations nécessaires.
Mardi 26 mai 1987
La motion de censure déposée par les socialistes sur le projet de loi d'aménagement du temps de travail est votée par 250 députés. Il en a manqué 49 pour qu'elle soit adoptée.
Charles Pasqua a accepté de composer : ce sont neuf ministres qui se réunissent à Paris, et non pas sept, et il n'est fait aucune référence au Sommet de Venise. Cela n'empêche pas les responsables britannique et américain de déclarer que cette réunion constitue une préparation pour le Sommet de Venise.
Au cours de la réunion, Maurice Ulrich intervient à de nombreuses reprises pour éviter des dérapages. Jean-David Levitte, directeur adjoint du cabinet de Jean-Bernard Raimond, de même que François Guillaume, directeur des affaires juridiques internationales au Quai d'Orsay, se montrent tout à fait à la hauteur.
François Mitterrand reçoit Helmut Kohl, venu voir Jacques Chirac.
Le Président : Je me réjouis de vos contacts avec le Premier ministre. Je ne regarde pas les problèmes par le petit bout de la lorgnette, et je me réjouis que vous soyez l'hôte de la France.
Helmut Kohl : Je connais la Constitution ; le plus important, ce sont les rencontres entre le Président et le Chancelier. Et plus encore entre François Mitterrand et moi-même !...
Sur le terrorisme, la conférence des ministres de l'Intérieur doit réfléchir à l'intensification des contacts. Les terroristes se recrutent parmi les classes aisées. La Police a de gros problèmes pour infiltrer ces milieux. Ce sont des petites cellules très fermées. En RFA, l'époque nazie et la culpabilité sont évacuées de la conscience...
Mercredi 27 mai 1987
256 députés RPR, UDF et FN déposent sur le bureau de l'Assemblée nationale une demande de comparution de Christian Nucci devant la Haute Cour de justice. Les socialistes répliquent en réclamant celle de Charles Pasqua pour avoir délivré à Yves Chalier son « vrai-faux » passeport.
L'accord sur la seconde option zéro bute toujours sur le même obstacle : il faudrait que les États-Unis obligent les Allemands à renoncer aux Pershing 1A, leurs fusées nucléaires. S'ils ne veulent pas prendre le risque d'une crise avec la RFA, ni l'humilier, l'accord sur la seconde option zéro sera impossible.
Tout cela va intensifier les pressions sur la France pour qu'elle accepte un compromis avec les thèses américaines sur les modalités des négociations conventionnelles. On nous fera valoir que notre refus de lier nucléaire et conventionnel complique cette négociation. Le problème de nos armes nucléaires à courte portée sera reposé. Des pressions accrues s'exerceront également en faveur de l'augmentation et de la modernisation des forces conventionnelles de l'OTAN.
Le gouvernement allemand se réunit demain pour se prononcer sur la seconde option zéro. Que va-t-il faire ?
Margaret Thatcher veut toujours sa réunion à Quatre. Le Président n'en veut pas : Réglons les problèmes, on verra après.
Jeudi 28 mai 1987
Le Sommet annuel du Pacte de Varsovie se réunit à Berlin-Est. La seule véritable nouveauté est la proposition faite aux pays de l'Alliance de tenir des consultations ayant pour objectif de comparer les doctrines militaires et de discuter les déséquilibres militaires.
Si cette proposition devait être acceptée par nos partenaires de l'Alliance, elle permettrait de disposer de toute la gamme de forums possibles pour le dialogue Est-Ouest : un bilatéral américano-soviétique sur le nucléaire; un multilatéral paneuropéen sur le nucléaire et le conventionnel (c'est le cas des futures négociations à Trente-cinq qui, dans l'optique soviétique, incluent le nucléaire tactique) ; enfin, un bloc à bloc sur le nucléaire et le conventionnel.
Vendredi 29 mai 1987
Philippe Séguin a obtenu gain de cause : mesures d'urgence (hausse des cotisations d'assurance-maladie et vieillesse) pour le financement de la Sécurité sociale : 21,3 milliards.
Dès le retour du Canada, Horst Teltschik et Charles Powel viennent à Paris déjeuner avec moi à l'Élysée. Teltschik nous raconte la discussion de la veille au sein du gouvernement allemand, la plus terrible depuis vingt ans, dit-il. Le gouvernement allemand s'est résigné à accepter la double option zéro, espérant, sans trop y croire, conserver les Pershing 1A. Le Chancelier annoncera cela jeudi prochain. Le lendemain, une réunion à Bruxelles des ambassadeurs à l'OTAN devrait l'entériner (sauf l'Espagne, la Norvège, la Grèce, le Danemark et peut-être les Pays-Bas, qui veulent s'assurer de la destruction des Pershing 1A), ce qui permettrait de présenter un front commun des Européens avant le Sommet de Venise.
L'affaire de l'ambassade d'Iran à Paris évolue. Le juge Boulouque délivre une commission rogatoire concernant Wahid Gordji. Il estime que cet attaché d'ambassade iranien peut avoir été en relation avec certains des inculpés des deux réseaux terroristes pro-iraniens démantelés ces derniers mois en France. Au cours de leur interrogatoire, plusieurs des principaux inculpés, en particulier le Franco-Libanais Mohamed Mouhajer, n'ont pas fait mystère de leurs relations avec Gordji. Les enquêteurs ont établi qu'une BMW ayant appartenu à Mouhajer était devenue la propriété de Gordji.
Samedi 30 mai 1987
Les treize pays du Forum du Pacifique-Sud dénoncent le référendum en Nouvelle-Calédonie.
Dimanche 31 mai 1987
Nouvelle réunion de sherpas, en partie à Venise, à l'hôtel Gritti, en partie dans une villa de Palladio, près de Venise. Difficile de se concentrer dans un tel cadre...
La semaine prochaine, le Sommet de Venise consacrera le dîner de lundi et le mardi, déjeuner compris, aux sujets politiques, entre chefs de délégation seuls. Il approuvera les textes élaborés entre sherpas sur le désarmement Est/ Ouest, le terrorisme, peut-être la guerre Iran/Irak. Ces textes seront rendus publics en début de l'après-midi de mardi. Cet aspect du Sommet sera très conflictuel. Il pose de redoutables problèmes d'explication.
Nous aurons en outre obtenu l'accord sur le recyclage des capitaux des pays à surplus vers le Sud, et sur la création d'un comité d'éthique sur le sida.
Lundi 1er juin 1987
Le Président reçoit à déjeuner Françoise Sagan, Maria Pacôme et François-Marie Banier. Il leur répète qu'il n'a pas l'intention d'être candidat à l'élection présidentielle. Il parle de Pierre Laval, et, tout en condamnant son action, le défend plutôt : C'était, dans le personnel politique de l'avant-guerre, le seul, avec Léon Blum et André Tardieu, à avoir une véritable stature. Mais son manque de convictions et sa trop grande confiance en soi l'ont perdu. Le Président ajoute cette formule étrange à son propos : Il y a des moments dans la vie où les événements se précipitent sur vous comme un mur de glace ; le héros essaie d'empêcher que les deux côtés se rejoignent, il meurt écrasé. Les autres essaient de trouver un passage...
Avec deux jours d'avance sur ce qu'a prédit Horst Teltschik, le gouvernement allemand annonce qu'il approuve officiellement la double option zéro, moyennant le maintien des 72 Pershing A.
Provocation : François Léotard, dans une interview au Point, reproche au RPR un goût pour le pouvoir sans partage, et traite ses membres de moines-soldats. Il s'affirme ni chiraquien, ni barriste.
Édouard Balladur pousse Jacques Chirac à réagir brutalement.
Mardi 2 juin 1987
Jacques Chirac convoque François Léotard. A l'issue de la réunion, communiqué de Matignon : Il faut savoir choisir entre les fonctions ministérielles et le rôle de militant.
Menaces de démission de la « bande à Léo ».
Shimon Pérès me téléphone : il souhaiterait faire une tournée en Europe et rencontrer le Président, ainsi que Margaret Thatcher. Jean-Bernard Raimond est actuellement à Jérusalem, mais le message n'est pas passé par lui.
Mercredi 3 juin 1987
Charles Pasqua et Robert Pandraud me prennent à part, avant le Conseil, pour me raconter la réunion des neuf ministres de l'Intérieur de la semaine dernière. Le ton de l'entretien est aimable et confiant :
Nous avons vu chaque ministre avant et leur avons dit, conformément à ce que souhaitait le Président, qu'il n'était pas question d'institutionnaliser ces réunions ni de les faire à Sept. Nous avons exposé à nos partenaires nos résultats en matière de terrorisme.
Les autres ne nous ont rien dit, sinon que chacun s'attend à une vague de terrorisme chez lui. En France même, nous nous attendons à des commandos-suicide iraniens (ils sont fonnés, mais n'ont pas quitté l'Iran); à des attentats libyens à la Réunion et en Nouvelle-Calédonie.
Ce genre de réunion sert surtout à permettre aux politiques de contrôler leurs services. Aucune autre réunion n'est prévue pour l'instant. Enfin, nous n'avons jamais laissé savoir que l'Élysée ne couvrait pas cette opération.
Sans qu'une décision formelle soit prise, il a été entendu qu'une nouvelle réunion en formation identique (les Sept, plus la « troïka » de Trevi) aurait lieu juste avant le prochain Sommet au Canada.
Le ministre américain a beaucoup insisté pour obtenir qu'un véritable directoire soit mis en place, avec secrétariat, groupe de travail et rapport détaillé. Rien de tel n'a été décidé.
Par contre, plusieurs délégations (États-Unis et Canada) ont dit que le texte préparé pour Venise n'était pas suffisant, et il faut donc s'attendre à une nouvelle contre-attaque au Sommet pour que le texte soit modifié, que la réunion des ministres de l'Intérieur y soit mentionnée positivement, et que le principe d'une collaboration institutionnelle à Sept soit décidé...
Je comprends que les bénéfices tirés de cette rencontre sont purement politiques : l'affichage d'une volonté de coopération internationale ne peut qu'être payant auprès de l'opinion. Cette initiative place la France en flèche dans la course à la coopération antiterroriste, mais elle apparaît avant tout comme un succès inattendu de la diplomatie américaine, un an après l'affaire libyenne et quelques jours avant le Sommet de Venise. Enfin, en termes de coopération technique et opérationnelle, les résultats sont, pour l'instant, nuls. Aucune décision précise n'a été prise lors de la rencontre, qui n' a pas réellement abordé cet aspect. En revanche, une reprise des sujets débattus au sein du groupe de Trevi (échange d'informations, réseaux de communication, etc.) semble être désormais envisagée.
Mesuré à l'aune des principes qui ont jusqu'à présent guidé notre politique étrangère en matière de terrorisme, le bilan de cette réunion est préoccupant : le chaînon euro-américain tant recherché par l'Administration Reagan est enfin trouvé. L'objectif inavoué de Washington est de l'introduire dans le processus de décision des Douze en matière de terrorisme, en particulier en ce qui concerne la politique de sanctions à l'égard des États impliqués dans des actes de terrorisme. Cette formation aboutit à exclure de la table des pays gênants pour les Américains (Grèce), des États particulièrement visés par le terrorisme (Espagne, Irlande), et des États très engagés dans la construction européenne (Pays-Bas). La solidarité des Douze est ainsi, de fait, mise à mal.
Le Congrès américain réclame à intervalles réguliers la constitution de 1'« OTAN de l'antiterrorisme ». Vis-à-vis des pays du Tiers Monde, l'alliance des pays riches, vieilles nations colonialistes et puissances impérialistes, à quelques jours du Sommet de Venise, diminue la portée de notre discours dans le dialogue Nord/Sud. Le gain en termes d'efficacité opérationnelle est nul.
Avant l'ouverture du Conseil, j'observe les séquelles de 1'« affaire Léotard ». Un peu de tension dans l'air. Alain Madelin et Hervé de Charette sont plutôt « rigolards ». François Léotard a les traits tirés. Il a un long aparté avec André Rossinot et Pierre Méhaignerie avant l'arrivée du Président et du Premier ministre.
Le Conseil commence. Jacques Chirac annonce la reconduction du général Biard comme grand chancelier de l'Ordre de la Légion d'honneur.
Le Président : C'est la sagesse. Il est respecté, remplit très bien ses fonctions. Il ne doit pas être très âgé — pas plus que moi, en tout cas.
Après l'exposé routinier de Jean-Bernard Raimond, André Giraud prend la parole : Nous avions évoqué la position que devait prendre notre gouvernement sur la deuxième option zéro, et indiqué notre préférence pour 80 têtes de chaque côté. J'entends dire aujourd'hui que nous allons accepter cette deuxième option zéro. Je tiens à souligner qu'il s'agit là d'un recul
Jacques Chirac sursaute : Nous avons assisté à une évolution sur le désarmement, d'ailleurs prévisible, à savoir un alignement progressif sur les Américains des Européens concernés. La France n'est pas directement concernée et ses forces nucléaires ne sont pas en cause. La France réagit en fonction non pas de ses intérêts nationaux, mais dans un souci de solidarité européenne. La France est favorable à des accords équilibrés globaux et vérifiables entre les États-Unis et l'URSS, mais elle rappelle que la dissuasion nucléaire est indispensable en Europe. Pour la France, les véritables priorités du désarmement sont la réduction des armements stratégiques des superpuissances et la correction des déséquilibres conventionnels et chimiques en Europe.
Position impeccable, mais qui ne tranche pas sur l'essentiel : les relations avec la RFA.
François Mitterrand met les pieds dans le plat : La position de la France n'est pas de soutenir l'idée de 80 têtes de chaque côté. C'est un chiffre un peu fantaisiste cité par M. Shultz. Cela impliquerait l'installation de nouveaux missiles à l'ouest, et personne n'en veut. Donc, ce chiffre n'a pas été adopté par le gouvernement français comme une règle de négociation. Notre objectif, c'est l'unité de vues entre grands pays européens. Les Allemands ont résisté d'abord brutalement, puis timidement, ce qui était prévisible. La position de la France consiste à dire : « Nous ne serons pas un embarras. » Si la position avait été 80 têtes de chaque côté, bien que cela me paraisse absurde, nous aurions accepté. Quant aux Allemands, ils veulent tenir en dehors de la négociation les 72 Pershing IA. A vrai dire, je n'en vois pas l'utilité pour la sécurité. Si les Allemands l'estiment nécessaire et si les États-Unis y consentent, nous n'y ferons pas obstacle.
Mon pronostic : je serais étonné qu'au bout du compte Américains et Soviétiques l'acceptent. Encore une fois, nous ne voulons pas compliquer la tâche de nos amis allemands dans cette affaire qui est difficile pour eux.
Sur les fusées de portée inférieure à 500 kilomètres, il faut bien comprendre que si nous étions dans la même situation, nous raisonnerions comme eux.
Pour l'instant, les Soviétiques n'ont pas posé la question de la troisième option zéro. Nous n'avons pas à soulever le problème. Bien sûr, il peut être tentant pour les Soviétiques de le faire. En particulier parce que c'est là une manière d'essayer de faire entrer dans la négociation un système interdit, le système français. Nous avons refusé la prise en compte des armes françaises pour une première raison : ce ne sont pas des armes intermédiaires, notre système est un système central ; et pour une raison purement volontariste : nous disons non. Nous supposons que nos successeurs maintiendront une position autonome et intransigeante de la France. Ce qu'a dit le Premier ministre est conforme à notre doctrine.
Sourire de Jacques Chirac. Étrange coalition du Président et du Premier ministre contre le ministre de la Défense ! Puis François Mitterrand conclut : Quand j'entends dire qu'il ne fallait pas aller à Bonn prononcer le discours du Bundestag [le Président vise Raymond Barre], je remarque que certains, qui avaient pris une attitude douce, prennent maintenant une attitude dure envers l'URSS, pour des raisons qui sont exclusivement de politique intérieure. On ne mêle pas la politique étrangère de la France à de petites manœuvres de politique intérieure. On fait ce que l'on croit devoir faire dans l'intérêt du pays. Si l'on veut aller vers la défense européenne, ce que tout le monde dit, il est capital de ne pas embarrasser les Allemands.
Le bureau de l'Assemblée juge recevable la demande de comparution de Christian Nucci devant la Haute Cour de justice.
Jeudi 4 juin 1987
Une surprise de taille, comme chaque année, à trois jours du Sommet : Ronald Reagan fait part de son intention de soulever à Venise la question de la protection de la navigation dans le Golfe où un Exocet irakien a touché, il y a quinze jours, une vedette américaine. Il veut créer un condominium sous contrôle américain des flottes européennes ! On n'en a pas du tout parlé entre sherpas.
Le sherpa britannique Robert Armstrong, m'appelle : Je suis sûr que vous avez réfléchi à la façon d'y répondre. Nous pensons qu'il s'agit d'une question qui peut créer des difficultés au moins pour quelques-uns des participants. Il convient donc de la manipuler avec précaution afin de ne pas détourner l'attention des problèmes économiques ou, pire, d'aboutir publiquement à des divisions.
Il propose pour Venise un texte qui ne me pose aucun problème, sauf un paragraphe :
Les chefs d'État ont affirmé leur résolution commune de ne pas accepter des attaques contre les bateaux, dans cette zone vitale, de nature à menacer le ravitaillement mondial en pétrole. Ceux d'entre eux qui disposent d'une présence navale dans la zone continueront à se consulter et à soutenir la liberté internationale de navigation tout en continuant à ne pas prendre part au conflit.
Robert Armstrong poursuit : Je n'ai pas pu montrer ce projet au Premier ministre [difficile à croire !], mais je crois qu'elle devrait accepter ce type de langage. Il me serait très utile de connaître votre propre réaction. Si vous — et votre collègue américain auquel j'écris — êtes sur la même ligne, je pourrais faire circuler le projet informellement comme contribution à nos discussions à Venise la semaine prochaine.
Armstrong semble avoir trouvé une façon d'amortir le choc américain, d'éviter que les États-Unis nous imposent au Sommet une action militaire dans le Golfe pour y assurer la liberté de circulation.
Vendredi 5 juin 1987
Lettre du Président à Jacques Chirac pour demander pourquoi, au dernier moment, l'autorisation accordée à Me Soulez-Larivière d'aller voir ses clients, le commandant Mafart et le capitaine Prieur, à Hao, a été annulée par le ministre de la Défense.
Samedi 6 juin 1987
Deuxième étape... Comme on pouvait le craindre, le contre-feu de Robert Armstrong n'a pas suffi : un texte américain nous tombe du ciel, comme toujours à la veille du Sommet, sur la guerre Iran/Irak ! Le Président Reagan souhaite le soumettre au dîner de lundi, à Venise. Il proposera une action à Sept pour assurer le libre passage à Ormuz. Les Britanniques, comme nous, sont hostiles à une action intégrée.
Voici le projet américain de communiqué (j'ai souligné les membres de phrase qui, à mon sens, posent problème) :
Nous sommes d'accord pour penser que de nouveaux efforts internationaux concertés sont nécessaires d'urgence pour arrêter la guerre Iran/Irak. Nous sommes favorables à une issue négociée le plus tôt possible de cette guerre, stipulant l'intégrité territoriale et l'indépendance de l'Irak et de l'Iran. Les deux pays ont très gravement souffert de cette guerre longue et tragique. Les pays voisins sont menacés par une possible extension de ce conflit. Le moment est maintenant venu d'agir.
Nous lançons une nouvelle fois un appel aux deux parties pour qu'elles négocient un arrêt immédiat de cette guerre. Nous apportons tout notre soutien aux efforts de médiation du secrétaire général des Nations-Unies et demandons l'adoption d'urgence de mesures effectives par le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Au-delà, nous sommes d'accord pour penser que les principes de liberté de navigation dans le golfe Persique — comme partout ailleurs — devront être défendus par les pays occidentaux. Le libre passage du pétrole à travers le détroit d'Ormuz doit se poursuivre sans entrave. Nous nous engageons à continuer à nous consulter et à travailler ensemble en vue d'atteindre ces objectifs primordiaux.
Il est convenu que Jacques Chirac viendra le second jour du Sommet et n'assistera pas à la conférence de presse finale. Je ne comprends pas son insistance à être présent.
Les détails commencent à arriver sur ce qui est en train de devenir l' « affaire Gordji ». Trois Iraniens de l'ambassade sont concernés par la commission rogatoire du juge Boulouque : deux employés de bas niveau, non couverts par le statut diplomatique, et Wahid Gordji, qui ne l'est pas non plus.
Contrairement aux allégations de la presse, Wahid Gordji n'a pas fui à l'étranger. Il serait toujours à l'ambassade, ce qui explique que les policiers ne l'aient pas trouvé à son domicile. C'est son père qui a indiqué qu'il était parti mardi soir pour Genève.
Pour l'instant, les conséquences diplomatiques et politiques sont circonscrites. Le chargé d'affaires iranien a fait une protestation diplomatique en bonne et due forme. Téhéran n'a pas réagi excessivement, sans doute parce qu'il n'y a pas eu d'arrestation d'Iraniens.
Mais tout basculera si Gordji, au lieu de rester tranquillement et discrètement là où l'on suppose qu'il se trouve, se fait arrêter. On entrerait alors dans un processus extrêmement grave dont la première étape prévisible consisterait en représailles contre nos agents diplomatiques à Téhéran.
Dimanche 7 juin 1987
François Léotard annonce qu'il ne démissionnera pas, mais qu'il veut conserver sa liberté de parole. Le Parti républicain n'entend pas être caporalisé.
Solutré : le Président commente avec délices les remous au sein de la droite et les disputes de Chirac avec ses ministres.
A l'occasion de concerts de musique rock devant l'ancien Reichstag, les jeunes Est-Allemands affrontent la police en criant : Le Mur doit tomber !
Lundi 8 juin 1987
Le 13e Sommet des pays industrialisés s'ouvre à Venise dans l'île de San Giorgio.
Foule de gardes. Valse de bateaux. A l'arrivée au palais Grassi pour le dîner, trois bateaux s'arrêtent l'un après l'autre pour faire semblant de débarquer Reagan. Lequel débarque finalement d'un quatrième !
Le Président a enfin l'occasion, qu'il cherche depuis quelques mois, de mettre les Américains devant leurs responsabilités au lieu d'accepter la discussion, que souhaite provoquer Reagan, sur la libre circulation dans le détroit d'Ormuz. Tout part d'une question de Margaret Thatcher, qui lance la conversation sur l'engagement américain en Europe :
Margaret Thatcher : Si une guerre éclatait et si les Soviétiques assiégeaient Bonn, est-ce que vous utiliseriez la bombe atomique française ?
François Mitterrand : Mais, madame, certainement pas.
Margaret Thatcher : Comment pouvez-vous dès lors attendre des États-Unis qu'ils viennent un jour au secours de Paris ?
François Mitterrand : Madame, je pense que vous mélangez sciemment deux problèmes distincts. C'est un débat de stratégie et nous n'avons pas la même. De Gaulle, Pompidou, Giscard d'Estaing et moi avons toujours eu un doute sur les intentions des États-Unis. Il n'y a pas d'automatisme d'intervention de leur part, et nous pouvons nous retrouver à découvert. C'est pourquoi nous avons une force autonome de dissuasion. Mais nous ne pouvons pas nous en servir pour n'importe quoi. L'appréciation des intérêts de la France ne dépend que de moi. Or, la mission de la France n'est pas de protéger la République fédérale et l'Europe occidentale. C'est la mission de l'Alliance atlantique, pas celle de la France seule. Madame, la France récuse absolument l'obligation morale sous-entendue dans votre question.
François Mitterrand se tourne alors brusquement vers Ronald Reagan :
Monsieur le Président, les dirigeants de votre pays raisonnent comme le faisait Schuschnigg à propos de l'Anschluss. Vous dites : « Jusqu'ici, et pas plus loin » ; or, si vous acceptez de ne pas agir ici, vous n'acceptez pas d'agir là. C'est l'erreur majeure de l'Alliance. Votre riposte graduée, élastique, n'est faite que pour vous permettre, à vous, Américains, de ne pas intervenir en Europe.
Ronald Reagan : Je peux vous garantir que les États-Unis seront solidaires. Comme nous l'avons fait lors des deux guerres mondiales, nous interviendrons si vos nations sont menacées.
François Mitterrand : Je n'en doute pas, mais je n'ai pas de garantie.
Helmut Kohl, conciliant: La défense de l'Europe, c'est le rôle de l'Alliance.
François Mitterrand : Comprenons-nous bien. S'il y a le moindre doute chez l'adversaire sur notre détermination et notre capacité à intervenir massivement et très vite en cas d'agression, il peut y avoir la guerre. Avec la riposte massive, les Soviétiques ne prendront pas le risque d'une guerre atomique. Madame le Premier ministre britannique, vous ne devez pas imaginer que les Soviétiques soient à Bonn, car si vous entrez dans ce raisonnement, vous avez déjà perdu !
Sur le texte relatif à la libre circulation dans le Golfe, discussion confuse au dîner, qui ne conclut rien. Pendant trois heures, les sherpas reprennent le texte pour en arriver à des phrases vides : les Sept soutiennent activement les efforts de modération entrepris par le secrétaire général de l'ONU et demandent instamment l'adoption de mesures efficaces et justes par le Conseil de sécurité. Le principe de liberté de navigation dans le Golfe est déclaré d'importance primordiale.
Texte achevé à 6 heures. Puis deux heures à rôder dans Venise bourrée de gardes italiens et de policiers américains, entre 6 et 8 heures. Les églises, à l'aube, mais pour moi seul...
Mardi 9 juin 1987
François Mitterrand et Helmut Kohl se voient au petit déjeuner. Ils reprennent la discussion du dîner sur la défense de l'Europe. Est-ce la conversation qu'avait annoncée Horst Teltschik ? Que va proposer le Chancelier ? François Mitterrand explique son opposition à la présence des armes nucléaires américaines sur le sol européen : Je ne crois pas à la riposte graduée. La guerre peut être évitée si on pense que le gouvernement américain interviendra. Avec la riposte graduée, on installe la guerre au centre de l'Europe et on glisse de la petite guerre à la grande guerre. Une petite bombe, c'est quatre fois Hiroshima ! Seule la menace soviétique est efficace. Les armes au sol sont donc les seules efficaces. Les armes intermédiaires n'ont pas beaucoup d'intérêt.
Helmut Kohl : La différence entre nous, c'est que nos populations sont psychologiquement très différentes. Le désarmement est vu différemment selon la nature des armes.
François Mitterrand : Les forces nucléaires intermédiaires américaines ne servent qu'à neutraliser les SS 20. C'est fait, c'est très bien. Cela a servi et ça suffit.
Helmut Kohl : Oui, je suis d'accord, mais il faut absolument renforcer la composante européenne de l'Alliance pour compenser leur départ.
François Mitterrand : Il faut pour cela esquisser un nouveau traité du type de celui de l'Élysée. Il faut quelque chose qui marque une direction. Je suis d'accord pour aller vers l'intégration de nos armées sur des points précis et significatifs.
Helmut Kohl : Oui. Il faut des divisions franco-allemandes complètement intégrées.
François Mitterrand : J'en parlerai au Premier ministre. Il n'y est pas hostile. Mais son milieu politique n'y est pas favorable. Je ferai avancer les choses.
Helmut Kohl : Nos chefs d'état-major sont enthousiasmés par cette idée et peuvent la mettre en pratique. C'est une expérience. Il faut être habile et trouver un commandant français qui pourra symboliser cela. Ce sera un bon signal.
François Mitterrand : Nous allons travailler la question.
Voilà lancée la brigade franco-allemande... C'est la première conséquence concrète de l'option zéro.
La réunion des Sept reprend sur le protectionnisme.
Ronald Reagan souhaite que l'on décide d'une réunion des sept ministres de l'Agriculture. Pas question de réunion à Sept, dit François Mitterrand. Et pas question de réunions concernant les problèmes agricoles seuls, quel que soit le nombre des participants. Le Président impose son point de vue.
Le paragraphe marque un progrès dans la concertation économique internationale, notamment sur le mécanisme de régulation de la monnaie par les banques centrales :
Nous nous félicitons chaleureusement des progrès réalisés par le groupe des sept ministres des Finances en ce qui concerne la formulation et la mise en œuvre de dispositifs renforcés pour la surveillance multilatérale et la coordination économique, comme cela avait été demandé à Tokyo l'an dernier. Le nouveau processus de coordination qui comporte l'utilisation d'indicateurs économiques confortera les efforts faits par nos pays pour poursuivre des politiques plus cohérentes et mutuellement compatibles.
Les chefs d'État ou de gouvernement considèrent que ces mesures sont des étapes importantes pour promouvoir une croissance soutenue et non inflationniste, ainsi qu'une plus grande stabilité des changes. Ils invitent le groupe des sept ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales à :
- intensifier leurs efforts de coordination afin de parvenir à une mise en œuvre rapide et efficace des engagements et des mesures convenus ;
- contrôler étroitement l'évolution de la situation économique en coopération avec le directeur général du FMI ;
- envisager de nouvelles améliorations, si nécessaire, afin de rendre le processus de coordination plus efficace.
Pour l'aide au Tiers Monde, après une bataille de mots, le Président obtient que le chiffre de 0,7 % du PIB soit mentionné dans le communiqué comme un objectif. Surtout, on décide d'inscrire le souhait d'un recyclage des capitaux des pays à excédent de paiements vers les pays les plus endettés, ce qui pourrait aboutir à terme à multiplier par trois l'aide du FMI aux pays les plus pauvres d'Afrique.
Concernant le sida, le Président propose la création du comité international d'éthique qui devrait permettre d'éviter des dérapages sur les libertés. C'est déjà réglé depuis un mois. Pas de problème.
Jacques Chirac débarque dans l'après-midi. Il avait envisagé de faire depuis Venise un journal télévisé sur Antenne 2 ou TF1. Il y a renoncé de peur qu'on ne lui pose des questions sur François Léotard ; en outre, sans doute pour les mêmes motifs, et contrairement à ses habitudes, il ne s'entretient pas avec les journalistes, tard dans la soirée.
François Bujon de l'Estang s'est encore distingué en essayant de faire croire à la presse que les sherpas n'ont pas travaillé toute la nuit dernière sur les textes politiques, et en disant que c'est Jacques Chirac qui a proposé le chiffre de 0,7 % du PIB pour l'aide au Tiers Monde, ce qui est également faux.
Mercredi 10 juin 1987
Fin du Sommet. Conférence de presse. Après une brève promenade avec le Président dans les rues de Venise, départ. Il est 13 heures. Le Président a acheté des cerises sur un marché ambulant de San Giorgio. Ravi de son achat, il commence à les manger dans l'avion tout en se plaignant, comme à chaque vol, de l'effroyable qualité des plateaux-repas : toujours du saumon, du foie gras... Édouard Balladur, Élisabeth Guigou et moi le regardons. Au bout d'une heure, le steward vient timidement nous proposer de déjeuner. Le Président se rend alors compte qu'il mange devant nous depuis le décollage, qu'on atterrit dans vingt minutes et que nous avons sûrement faim. Il demande qu'on serve un plateau à ceux qui le souhaitent. Avec un humour cinglant, Édouard Balladur murmure : Je vous remercie, je viens d'assister au souper du Roi, cela me suffit !
La joaillerie Chaumet dépose son bilan à la suite de la découverte d'un trou de près de 2 milliards.
Le bureau de l'Assemblée juge non recevable la demande de comparution de Charles Pasqua devant la Haute Cour de justice pour l'affaire du « vrai-faux » passeport remis à Yves Chalier.
Jeudi 11 juin 1987
Quelques instants avant le Conseil, Jacques Chirac, à son arrivée dans le bureau de Bianco, arbore une décoration allemande à la boutonnière.
Jean-Louis Bianco : Monsieur le Premier ministre, puis-je vous demander ce qu'est cette décoration ?
Jacques Chirac : C'est parce que je dîne ce soir à Paris avec Helmut Kohl. J'oublie toujours de la mettre...
Ce dîner avec le Chancelier, Jacques Chirac ne l'a annoncé à personne, pas même au Président. Comme Bianco en informe celui-ci, d'un mot passé par l'huissier avant que nous ne pénétrions dans son bureau, François Mitterrand interroge Chirac.
Jacques Chirac : Mais si, monsieur le Président, je vous en avais parlé à Venise !
Ce qui est faux, m'indique le Président.
Kohl non plus, d'ailleurs, n'en a rien dit.
Le Président préfère passer à autre chose.
En l'absence de Jean-Bernard Raimond, retenu à la réunion de l'OTAN à Reykjavik, et de Bernard Bosson, retenu à Bruxelles à une réunion européenne, c'est Didier Bariani qui présentera une communication de politique étrangère. Le Président fait la moue.
Jacques Chirac : Il n'est pas si mal. Il ne dit pas de bêtises. Il lit les papiers qu'on lui passe.
Le Conseil commence. Philippe Séguin, exceptionnellement triste et terne, expose son plan sur la Sécurité sociale.
Edouard Balladur, lugubre : C'est une bonne solution.
Jacques Chirac : C'était un exercice particulièrement difficile, et le ministre des Affaires sociales a réussi à dégager la solution la moins injuste et la moins dangereuse.
François Mitterrand : Je ne sais pas si tout a été dit sur ce dossier. En tout cas, beaucoup a été dit. Nous n'alourdirons donc pas le débat. Mais il reste des questions de fond qu'on peut aborder selon l'idée qu'on en a.
Sur les nominations, François Mitterrand interroge Charles Pasqua à propos d'un préfet limogé parce que des manifestations ont eu lieu lors du déplacement de Jacques Chirac dans son département : Qu'est-ce qu'on lui reproche ?
Pasqua, un peu surpris et embarrassé, bredouille : Une certaine insuffisance et des mauvaises relations avec pratiquement tout le personnel politique.
Longs commentaires du Président sur le Sommet de Venise : rien de nouveau.
Après l'acceptation de Bonn, les ministres des Affaires étrangères des pays de l'OTAN, réunis à Reykjavik, se rallient à l'option double zéro qui envisage un accord américano-soviétique sur l'élimination des euromissiles à longue et à courte portée.
Vendredi 12 juin 1987
Ronald Reagan est à Berlin-Ouest.
Samedi 13 juin 1987
Les frères Chaumet, propriétaires de la célèbre joaillerie, sont écroués.
Lundi 15 juin 1987
Charles Pasqua en Corse. L'île connaît un regain de violences depuis le début de l'année : 284 attentats. Plus du double par rapport à 1986. Le ministre de l'Intérieur est venu, dit-il, apporter le témoignage de la solidarité nationale.
Mercredi 17 juin 1987
Assassinat à Ajaccio du vétérinaire anti-indépendantiste Jean-Paul Lafay. Le voyage du ministre de l'Intérieur n'a pas servi à grand-chose.
Aujourd'hui, justement, le Conseil des ministres doit autoriser Charles Pasqua à ne pas comparaître devant la justice au cours du procès en diffamation intenté à Libération dans l'affaire du « vrai-faux » passeport d'Yves Chalier.
Le Président donne la parole à Albin Chalandon, mais celui-ci semble perdu. Il n'a pas le dossier et ne sait pas de quelle affaire il s'agit. Finalement, c'est le Président qui rapporte en lieu et place du garde des Sceaux : L'usage constant en la matière... M. Pasqua est donc autorisé à ne pas comparaître.
L'exposé de politique étrangère de Jean-Bernard Raimond est plus terne que jamais, d'une platitude désespérante. Il ne dit rien qui ne soit dans la presse, qu'il s'agisse du désarmement ou des élections britanniques ou italiennes...
Le Président prend la parole. A propos de la Grande-Bretagne : Avoir une avance d'une centaine de sièges avec 43 % des suffrages, tout le monde en rêverait en France. C'est là où règne la division qu'il y a l'échec. En face, il y avait trois partis, dont une coalition (libéraux et PSD).
Sur l'Italie : Les deux partis responsables de la crise voient leurs scores s'améliorer. Sans doute parce qu'ils apparaissent comme les deux partis de gouvernement. Ils s'arrangeront, je ne sais pas comment, mais ils s'arrangeront.
A propos de la Pologne : La visite du Pape s'est déroulée sous les acclamations de tous les bien-pensants d'Europe. Lorsque j'ai reçu M. Jaruzelski, ce n'étaient pas tout à fait les mêmes applaudissements, et pourtant le pouvoir polonais avait accepté de se déplacer, de venir à Paris. Mais si Jaruzelski a accepté cette visite du Pape et lui a accordé beaucoup de facilités pour aller là où il voulait, c'est sans doute qu'il doit penser qu'il y a là quelque chose de rentable. Sinon, pourquoi courir ce risque ? Cela dit, il n'y a aucun espoir à avoir : si l'URSS l'estime nécessaire, elle ne relâchera pas sa pression.
A propos de l'assassinat du vétérinaire Lafay, en Corse : Personne ne peut être indifférent au nouveau drame qui endeuille la Corse, donc la France. Au nom de tous les Français, je condamne le crime qui vient d'être commis et je présente aux proches de la victime les condoléances de la Nation. Je souhaite que tous les moyens de la loi soient mis en œuvre pour découvrir et frapper les coupables, en même temps qu'il conviendra de rechercher plus que jamais les voies de l'unité de la Nation et l'apaisement des esprits.
Puis il ajoute : Il y a déjà eu d'autres crimes, mais les crimes de sang étaient assez peu nombreux. Ce n'était pas le système de lutte de ceux qui veulent ruiner l'unité nationale. Il s'agit d'un acte délibéré qui suit immédiatement la visite du ministre de l'Intérieur.
Ni Jacques Chirac, ni Charles Pasqua ne demandent la parole pour évoquer le drame corse.
Sur le perron de l'Élysée, Charles Pasqua s'adresse aux journalistes, leur exposant ce qui a été dit au Conseil.
Jean-Louis Bianco appelle Maurice Ulrich, à la demande du Président, pour lui dire qu'il est inadmissible que le ministre de l'Intérieur, contrairement aux usages, se soit exprimé sur le perron de l'Élysée à l'issue du Conseil des ministres.
Jeudi 18 juin 1987
En URSS, une amnistie partielle est décrétée ; applicable dans les six mois, elle devrait permettre à de nombreux détenus politiques de voir leur peine de prison réduite.
Vendredi 19 juin 1987
Helmut Kohl propose officiellement à la France la création d'une unité de défense franco-allemande.
Samedi 20 juin 1987
François Mitterrand décide d'ajourner la remise des lettres de créance du nouvel ambassadeur de Pretoria à Paris, pour protester contre le maintien en détention du coopérant Pierre-André Albertini.
Il estime que la proposition allemande va dans la bonne direction.
Lundi 22 juin 1987
François Mitterrand est en voyage officiel en Basse-Normandie. Ce voyage se passe bien. Le Président s'en prend à la mode intellectuelle qui voudrait que la France soit en déclin. Il faut se rassembler autour d'idées fortes et justes, dit-il. Cela dépend de vous, qui que vous soyez. C'est la première fois que des élus de l'actuelle majorité entrecoupent le discours du Président d'applaudissements.
Débat Jospin/Le Pen sur RTL. Jospin est excellent. Il résume ainsi la pensée sociale de M. Le Pen : mort aux faibles. Il démontre que mettre le leader du Front national en difficulté est faisable, pour peu qu'on sorte des peurs fantasmatiques qu'il inspire.
Mercredi 24 juin 1987
Conseil des ministres. A propos de la réforme du Conseil d'État :
Jacques Chirac : C'est une très bonne réforme, très attendue.
François Mitterrand : Oui, elle était très attendue.
A propos de la réforme des enseignements artistiques :
Jacques Chirac : C'est une réforme importante. C'est même la plus importante que le gouvernement ait élaborée depuis le 16 mars 1986.
(Il s'agit de rendre obligatoire l'enseignement artistique de la sixième à la troisième. Mais rien ne prouve qu'on en ait les moyens. Cette réforme rappelle la réforme de la gymnastique dans les lycées, qui instituait cinq heures de cours par semaine. Faute de moyens, il n'y a que deux heures.)
Exposé de Michèle Barzach sur le sida. Elle précise que la création du comité international d'éthique décidée à Venise est une initiative du Président. André Giraud demande la parole pour résumer tout ce que l'armée fait pour lutter contre le sida. Hervé de Charette et François Guillaume ricanent sans se cacher.
Jacques Chirac reprend la parole pour souligner à quel point tout ce que fait Mme Barzach est bien. Il dit qu'il ne faut pas affoler inutilement l'opinion, et il a cette formule qui n'est peut-être pas très heureuse à propos du sida : Ce n'est pas la Terreur blanche !
Après le Conseil, le Premier ministre me dit être très content des communications au Conseil. François Mitterrand, à qui je rapporte ce propos : On peut les comprendre, ils n'ont pas tellement de motifs de satisfaction.
Afin de préparer le Conseil européen, le Président réunit dans son bureau Jacques Chirac, Bernard Bosson, Edouard Balladur, Jean-Bernard Raimond, François Guillaume, Élisabeth Guigou et moi. Jacques Chirac est violemment opposé à l'aide que les pays riches de la Communauté apportent aux régions pauvres — grecques, portugaises, italiennes. Il a des propos étonnants : Les Portugais ne savent même pas lire. C'est un piège à cons ! Il est furieux que le Président insiste.
A l'issue de cette réunion, Jean-Bernard Raimond dit à Jean-Louis Bianco combien il en est heureux, car elle lui permet d'être parfaitement « cadré » pour son travail. Il espère qu'il y en aura d'autres, plus souvent.
Dans le hall d'honneur, Jacques Chirac, de fort mauvaise humeur : Cette fois, je ne vais pas céder. S'il veut la crise, il l'aura ! Sans doute fait-il allusion au seul point de vraie divergence, qui concerne les fonds structurels, c'est-à-dire l'aide aux régions pauvres.
Informé des propos de Chirac, le Président, très détendu, commente : De toute manière, Il est velléitaire, ce n'est pas grave. La droite française, décidément, ne change pas. Elle n'aura jamais que les idées de ses intérêts et les projets de ses mandants.
François Mitterrand déjeune avec Willy Brandt, Lionel Jospin, Louis Mermaz, Michel Charasse et Jean-Louis Bianco. Rien de particulier, si ce n'est cette phrase taquine à Jospin : Vous vous êtes sacrifié pour garder le Parti, c'est admirable.
Le Président félicite Jospin pour son débat avec Le Pen. Il a pour Lionel Jospin de l'estime, pas d'amitié. La froideur les habite l'un et l'autre. Ils n'ont ni culture ni passions communes. Sauf celle du service public — et le goût d'expliquer.
La fête de SOS Racisme s'est très bien passée. Discours du Président sur la France multiraciale.
Jeudi 25 juin 1987
Déjeuner avec Shimon Pérès. Je lui suggère de lancer, dans le contexte de la conférence internationale, l'idée d'un Marché commun du Moyen-Orient et d'une Banque du Moyen-Orient. Ce qui s'est passé en Europe après la guerre entre la France et la RFA doit servir de modèle à ce qui peut se passer entre l'Égypte et Israël, qui peut ensuite s'étendre à d'autres. Ils devraient ouvrir des discussions sur les droits de douane, l'harmonisation des normes, la mise en place d'une recette budgétaire commune prélevée sur les droits de douane. Ce budget servirait d'abord à amortir les chocs inévitables d'une telle ouverture des frontières, mais, surtout, à fournir le cadre juridique d'une Banque internationale de développement du Moyen-Orient. Il est évidemment illusoire de penser qu'on pourrait réunir d'un seul coup les moyens nécessaires à son fonctionnement (de l'ordre de 3 milliards de dollars par an). Une telle banque aurait une structure du type de celle de la Banque des règlements internationaux à Bâle. Elle aurait pour fonction de cofinancer (soit directement, soit sous forme de bonification des intérêts des emprunts) les projets industriels du Marché commun ; de coordonner les projets d'aide bilatérale financée dans chacun des pays par des institutions internationales et d'autres pays ; de servir de garantie bancaire aux emprunts du Marché commun. Elle serait financée par des fonds accordés par le Fonds monétaire international (qui dispose de crédits ad hoc dans le cadre de la « facilité d'ajustement structurel »), la Banque mondiale, la Communauté européenne, les institutions privées et surtout le Japon et la RFA.
Pour réussir, il faudrait montrer aux pays développés que tel est leur intérêt. Financer un tel projet coûte beaucoup moins cher que la lutte contre le terrorisme, en partie engendré par la misère et l'état de guerre ; ils obtiendraient ainsi de nouveaux clients potentiels pour leurs produits ; aux yeux de leur opinion, ils assumeraient un réel leadership dans la résolution du conflit.
Il faut aussi faire tout de suite acter par le FMI que la région sera éligible à la «facilité d'ajustement structurel» qui, au 1er janvier prochain, disposera sans doute de 10 milliards de dollars.
Le Japon est le principal financier possible, mais est le plus difficile à convaincre. Il faut lui montrer qu'un tel plan n'est pas contraire à ses intérêts dans le Golfe.
Pérès est enthousiaste sur l'un et l'autre projet. Il en saisira son gouvernement.
En URSS, le plénum du Comité central ratifie la réforme de la gestion économique et élit au Bureau politique trois personnalités proches de Mikhaïl Gorbatchev.
Kurt Waldheim est reçu au Vatican. Honte, provocation.
Vendredi 26 juin 1987
Avant le Conseil européen de Bruxelles, où les montants compensatoires monétaires doivent être renégociés, François Guillaume déclare : J'espère que le chef de l'État fera preuve de la fermeté indispensable, comparable à celle dont fait preuve le Premier ministre. François Mitterrand, furieux, commente : Cet homme n'est que le porte-voix du lobby des gros agriculteurs.
Samedi 27 juin 1987
Adoption de la loi sur la prévention et la lutte contre le chômage de longue durée.
Privatisation de la Société Générale.
Dimanche 28 juin 1987
Sur Europe 1, Charles Villeneuve révèle la présence de Wahid Gordji à l'ambassade d'Iran. Le gouvernement le savait déjà, mais ne voulait pas le savoir... Il va falloir réagir.
Lundi 29 juin 1987
Nous sommes à Bruxelles, au Conseil européen. Il s'agit de préparer l'Acte unique de 1992.
Il est d'abord question du démantèlement des montants compensatoires. Le Président ne souhaitait pas que ce point vienne en discussion : ce n'est pas, selon lui, un sujet pour ce Sommet. Jacques Chirac négocie pied à pied en séance. François Mitterrand l'approuve. Le Président est surpris de l'esprit conciliant, particulièrement inhabituel, des Britanniques.
Jacques Chirac sort raconter la discussion à la délégation française. Il explose : J'en ai plein le cul de l'Europe ! Depuis dix ans, les paysans français paient trop ! François Guillaume est là : pourquoi ? Il organise toute une dramatisation : il se livre à d'incessants briefings auprès des journalistes avec Denis Baudouin, disant le contraire de ce que Michèle Gendreau-Massaloux dit au nom du Président.
10,5 millions d'actions de TF1 sont mises en vente auprès du public au prix unitaire de 165 francs.
Redoutant d'être accusés de faiblesse, Charles Pasqua et Robert Pandraud établissent un contrôle policier draconien autour de l'ambassade d'Iran. Ni l'Élysée ni le Quai ne sont informés officiellement de ce que toute la presse raconte.
De Bruxelles, François Mitterrand impose le général Forray comme chef d'état-major des armées. Il prévient le Premier ministre : Soit le général Forray remplace le général Saulnier au poste de chef d'état-major général des armées, soit le général Saulnier reste en fonction jusqu'au terme de mon mandat.
Face au blocage, le Président impose alors Forray au secrétariat général de la Défense nationale, contre Jean Picq, candidat de Jacques Chirac. Le général est d'autant plus ravi de ce poste que le Président lui laisse entendre que s'il se représente et qu'il est réélu, il le nommera chef d'état-major des armées.
Mardi 30 juin 1987
Petit déjeuner avec Helmut Kohl. Le Conseil européen se passe mal. L'affrontement franco-allemand devient inévitable sur les sujets agricoles.
François Mitterrand : L'année prochaine à la même époque, les dirigeants français, quels qu'ils soient, seront tous pro-européens. La gauche est pour ; la moitié de la droite aussi.
Helmut Kohl : Nous devons montrer que nous pouvons faire des choses ensemble. C'est la seule voie. En RFA, il y aura une élection difficile en septembre, qui peut changer la majorité au Bundestag. La CSU s'éloigne de l'Europe et devient populiste.
François Mitterrand : Aucun gouvernement français ne peut transiger sur les questions agricoles (prix, montants compensatoires). Il est très important qu'une solution soit trouvée ce matin pour éviter une crise entre nos deux pays. L'échec du Sommeton ne peut encore l'exclurene doit pas se cristalliser sur des points qui nous sont communs, afin de ne pas en porter le poids devant l'opinion et dégrader notre relation. L'actuel gouvernement français est le moins pro-européen depuis vingt-cinq ans. Il faut un arrangement provisoire sur les prix et les montants compensatoires.
Helmut Kohl : D'accord. En ce qui concerne la coopération militaire, il faut mettre au point une coopération puissante.
François Mitterrand : Oui. Jacques Chirac ne prendra pas de risques. Moi, je peux en prendre, car c'est un domaine où j'ai compétence.
Helmut Kohl : La préparation doit être discrète, entre Attali et Teltschik.
François Mitterrand : Oui, car le Premier ministre est en arrière de la main. Ce n'est pas l'enthousiasme. Il faut avancer avec sagesse. La politique de la France changera beaucoup, quel que soit le résultat. Elle sera plus européenne. La gauche est pour ; la moitié de la majorité est pour. Nous serons en manœuvres en septembre ; cela peut être l'occasion d'une déclaration.
En séance, l'accord se fait.
Le Conseil décide que la Communauté doit disposer de ressources stables et garanties. La Commission devra décider du nouveau plafond de ressources propres, fondé sur un pourcentage du PNB communautaire.
Demain entre en vigueur l'Acte unique européen.
En conférence de presse, à propos des montants compensatoires, François Mitterrand : C'est un bon compromis. Jacques Chirac le contredit : C'est une grande victoire pour nos agriculteurs.
Jacques Chirac et François Guillaume font comme si le succès leur revenait. Jacques Chirac s'est bien battu sur les montants compensatoires. L'Europe ne l'intéresse peut-être pas, mais les agriculteurs, oui.
De retour de Bruxelles, je réunis tous ceux qui s'intéressent à la Grande Arche de la Défense : Maxwell, Lion, Biasini, Hoss et Subileau, pour voir ce qui peut être fait sur le toit. On décide d'y installer une Fédération des droits de l'homme.
Le conflit est déclenché : en riposte à l'installation d'un cordon de police autour de l'ambassade d'Iran à Paris, blocus de l'ambassade de France à Téhéran. Nous avons là un petit nombre d'agents. On peut craindre pour eux.
Mercredi 1er juillet 1987
Au Conseil des ministres, Jean-Bernard Raimond et François Guillaume font un compte rendu du Conseil européen.
Jacques Chirac prend la parole : Ce Conseil, qui était une opération délicate, peut être considéré comme un succès, malgré le pessimisme de la presse et des experts.
François Mitterrand : La Grande-Bretagne est isolée, ce qui ne lui plaît guère. Cet isolement, nous ne le recherchons pas, mais il s'impose de lui-même. Elle n'a pas encore acquis une conception claire de la Communauté européenne. Elle rêve toujours d'une simple zone de libre-échange. C'est le point noir...
Je suis heureux de constater que la décision prise par le Sommet européen de Fontainebleau, en 1984, de démanteler progressivement les montants compensatoires monétaires, a été pour l'essentiel respectée, en dépit des difficultés rencontrées au cours de ces derniers mois. Les MCM, institués en 1969, avaient causé un grand tort aux agriculteurs français. Sur ce sujet et sur d'autres, le sommet de Bruxelles permettra à la Communauté européenne d'aller vers l'échéance de 1992 dans les meilleures conditions. Il faut se convaincre qu'un échec pour l'Europe n'est jamais, ne peut pas être un succès pour la France.
Après le Conseil, François Mitterrand part pour la Finlande. Il y déclare notamment :
Nous faisons des essais nucléaires en Océanie. Cela nous vaut des protestations. Les États-Unis, l'URSS et la Grande-Bretagne procèdent aussi à des essais. Nous, en France, nous sommes plus proches des essais soviétiques que la Nouvelle-Zélande ne l'est de Mururoa. Aucun accident pour les personnes n'a jamais été à déplorer. Nous avons aussi une armée conventionnelle et divers corps spécialisés très loin d'équivaloir à la force soviétique.
Nous avons exprimé le vœu d'une zone nordique dénucléarisée. En temps de paix, elle existe, puisqu'il n'y a pas d'armes nucléaires au Danemark et en Suède. Une telle solution ne peut remplacer le désarmement. Elle peut en être un élément. C'est notre « intérêt légitime », et une réflexion de foi en l'avenir. Il est difficile de s'avouer incapable d'influer sur sa destinée. Nous sommes pour un tel projet.
Jeudi 2 juillet 1987
Entretiens en Finlande avec un Président brillant et lucide : L'URSS ne nous menace pas. Sa présence est pour nous un défi permanent, qui nous tient debout.
Coup de théâtre : Wahid Gordji réapparaît à l'ambassade d'Iran à Paris où il est l'interprète du chargé d'affaires iranien lors d'une conférence de presse consacrée à son cas ! Il prétend qu'un diplomate français, Didier Destremau, aurait affirmé aux Iraniens que le ministère français des Affaires étrangères ne souhaitait pas que M. Gordji soit arrêté, et qu'il valait donc mieux qu'il reste à l'ambassade jusqu'à ce que le calme revienne.
Le ministre iranien Velayati déplore la détérioration des rapports franco-iraniens, due, dit-il étrangement, aux dissensions internes du gouvernement français.
A 17 heures, Jean-Louis Bianco reçoit un appel de Maurice Ulrich. Selon celui-ci, il a été décidé à Téhéran que demain, à l'occasion de la prière, un appel sera lancé pour une manifestation devant l'ambassade de France ; la police sera débordée et l'ambassade mise à sac.
Jean-Louis Bianco rend compte au Président, encore en Finlande. Celui-ci décide de convoquer Jacques Chirac et les ministres concernés dès son retour. La réunion est fixée à 22 h 30, puisque le Premier ministre est retenu auparavant par un dîner avec le maire de Pékin.
A 22 heures, dans le bureau de Jean-Louis Bianco et le mien arrivent successivement Robert Pandraud et Charles Pasqua. Pandraud, dévoré de tics, n'arrête pas de croiser et décroiser nerveusement les jambes. Tous deux semblent désemparés. Pasqua fournit de nombreux détails sur ce qu'il sait des affrontements entre clans en Iran : Autour des milieux du renseignement et des « durs », on veut à tout prix récupérer Gordji. On craint que les services spéciaux français ne s'en emparent et ne le fassent parler. Les politiques, quant à eux, préféreraient éviter une crise avec la France, qui s'ajouterait à tous les problèmes déjà existants avec la Grande-Bretagne et la RFA. En tout cas, une manifestation devant l'ambassade de France à l'occasion de la prière du vendredi a été prévue pour demain, et cette manifestation se terminera par la mise à sac de l'ambassade. Mais il a été décidé d'en référer d'abord à l'imam Khomeyni.
Charles Pasqua explique qu'il ne dira rien de tout cela devant Jean-Bernard Raimond, et qu'il n'en a même jamais parlé auparavant au Président. Il ajoute avoir connaissance de menaces tout à fait précises d'attentats pour cet été à la gare de Lyon, à Deauville et à Cannes.
Jean-Bernard Raimond débarque, l'air malheureux. A partir de ce moment, Pasqua et Pandraud ne disent plus rien. Visiblement, leurs relations avec le ministre des Affaires étrangères sont glaciales.
Jacques Chirac arrive enfin, l'air las, de son dîner chinois. Il n'est au courant de rien, s'enquiert des faits, de la conférence de presse de Gordji dont il ne connaît pas le contenu, et soupire : Que faire ?
Le Président nous appelle. Dans son bureau, nous assistons à une métamorphose instantanée de Jacques Chirac qui, en quelques minutes, retrouve sa vivacité et fait une synthèse étonnamment précise de ce qu'il a entendu de la bouche des ministres.
Le Président : Nous devons évaluer toutes les hypothèses en partant des meilleures, qui ne sont pas très bonnes, jusqu'aux pires.
Charles Pasqua : Gordji est une plaque tournante, pour la France et l'Europe, des agents iraniens.
Il relate la réunion de presse qui s'est tenue à l'ambassade d'Iran. Il cite Rafik Doust, lequel a déclaré : Les Français, de toute façon, sont incapables de réagir, d'autant qu'ils sont déjà dans leur campagne électorale.
Le Président interroge Jean-Bernard Raimond : Cette affaire Destremau, est-ce totalement imaginaire ?
Jean-Bernard Raimond : Il y a ce qu'a dit Gordji, et il y a le communiqué du Quai.
Le Président : Je ne vous demande pas ce qu'il y a, je vous demande votre position.
Jean-Bernard Raimond : Le Quai dément.
François Mitterrand, visiblement agacé : J'ai bien compris ! Mais vous, est-ce que vous considérez que c'est totalement infondé ?
Après un silence, Jean-Bernard Raimond, visiblement très mal à l'aise, prend sa respiration : Oui, monsieur le Président de la République, je démens.
Jacques Chirac : Moi, je crois que Gordji a voulu faire une provocation. Certains ont l'idée de l'échanger contre nos otages. [Il fait probablement allusion à Charles Pasqua.] Il n'en est pas question. S'ils prennent les gens de notre ambassade en otages, ma proposition est de rompre les relations diplomatiques instantanément et de renvoyer immédiatement tout le personnel de l'ambassade d'Iran en France.
Au fur et à mesure qu'il s'exprime et improvise, Jacques Chirac s'exalte. Il parle de renvoyerpar charter, excusez-moi, monsieur le Présidentles quatre ou cinq cents Iraniens considérés comme suspects en France.
Robert Pandraud l'interrompt et précise qu'il faudrait tout de même qu'il y ait à l'aérodrome un panneau « Irak » et un panneau « Iran », car certains suspects iraniens sont des opposants à Khomeyni !
Jacques Chirac : Oui, oui... Si notre ambassade est mise à sac, je propose de renvoyer au plus tôt tous les diplomates iraniens, sauf un, et peut-être de fermer les consulats. [Et il conclut :] Voilà mes propositions, monsieur le Président. Mais je n'en ai pas parlé avec les ministres et je leur demande très sincèrement de me dire tout ce qu'ils en pensent, y compris s'ils doivent me contredire. Et vous, monsieur Raimond ? interroge-t-il en se tournant vers le ministre des Affaires étrangères, assis à sa gauche.
Jean-Bernard Raimond, toujours très sombre : On est dans une situation de fait qu'on aurait dû éviter, mais il n'y a que de mauvaises solutions pour en sortir.
Charles Pasqua se déclare tout à fait d'accord avec Jacques Chirac.
A nouveau, Robert Pandraud insiste sur la nécessité d'offrir aux éventuels expulsés le choix entre l'Irak et l'Iran.
Jacques Chirac parle de Gordji. Il raconte qu'il a toujours été là comme interprète lors des réunions importantes : Il y a quelque temps, un haut personnage iranien voulait me remettre un message. J'ai refusé de le recevoir, mais il a à son tour refusé d'être reçu par qui que ce soit d'autre. Finalement, M. Ulrich est désigné. Accompagné du chargé d'affaires iranien à Paris et de M. Gordji, le visiteur pénètre dans le bureau de mon directeur de cabinet. Là, il refuse de parler. On le fait donc entrer dans mon bureau. « Je veux vous parler en tête à tête », me dit-il. M. Ulrich et le chargé d'affaires iranien quittent la pièce, M. Gordji reste ; or, sa présence était d'autant moins indispensable que mon visiteur parlait parfaitement le français.
Étrange ! On ne saura rien de plus de cette scène surréaliste. De quel haut responsable iranien s'agit-il ?
Le Président : Bon, bon. Très bien. Alors, il faut faire comme cela... Il est donc entendu que nous suivrons les propositions du Premier ministre s'ils vont jusqu'à des voies de fait sur des personnes, c'est-à-dire, en clair, s'ils prennent le personnel de l'ambassade de France en otage. Si c'est la mise à sac de l'ambassade, éventuellement assortie de sa destruction, nous apprécierons. Nous serons en contact, mais je pense qu'il faut marquer un cran d'arrêt ; qu'il faut, dans ce cas, rompre les relations diplomatiques, expulser tous les diplomates iraniens et aussi, sans doute, certains suspects. Si c'est seulement le siège de notre ambassade qui continue, nous avons le temps de réagir : quarante-huit heures. Cette sortie publique de Gordji tend à prouver qu'ils engagent une partie de bras de fer.
Robert Pandraud, interrogé par le Président sur la possibilité pour Gordji d'échapper à la police française, répond : Monsieur le Président de la République, on a un gros dispositif ; mais il est malheureusement tout à fait possible qu'il puisse passer au travers... Et puis, même s'il se rendait à la convocation du juge... Nous sommes entre nous : dans le dossier, il n'y a pas grand-chose, et je pense que le juge le libérerait.
Jean-Bernard Raimond explose littéralement. Il se lève à demi de son fauteuil et apostrophe en éructant Robert Pandraud : Comment a-t-on pu en arriver là ! Alors qu'il n'y a rien dans le dossier du juge ! Vous m'avez parlé de preuves... Mais ces preuves, je ne les ai jamais vues ! On m'a toujours tenu à l'écart, on ne me dit rien !
Pandraud s'énerve. Le ton monte sous le regard catastrophé de Jacques Chirac, et intéressé du Président.
Robert Pandraud réplique : Le contrôle de la Police, ça appartient à la Justice, pas aux Affaires étrangères.
Jean-Bernard Raimond : Mais ces preuves, avouez que vous les avez détruites ! [Il se rend compte qu'il est allé trop loin et se reprend :] Je m'arrête, j'ai dit ce que j'avais à dire.
Robert Pandraud : Moi aussi, j'aurais beaucoup à dire, mais je m'arrête...
Le Président, avec un geste apaisant : Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas sortir de ce qui a été convenu.
Et il interroge Charles Pasqua sur les éléments de preuves en sa possession contre Gordji.
Charles Pasqua : Nous avons des écoutes téléphoniques, des émissions de radio vers Téhéran et des informations de services étrangers.
Le Président : Je ne doute pas, monsieur le ministre, de votre conviction. Mais ce qui est déplaisant, inquiétant, irritant, c'est que tout est déjà dans les journaux avant que nous ne sachions quoi que ce soit. Et, une fois que c'est dans les journaux, cela devient une vérité première. C'est d'ailleurs une attitude constante de la Police, qui ne date pas de vous ni de vos prédécessseurs immédiats ; c'est détestable !
Charles Pasqua : Vous savez, il y a aussi le secret de l'instruction qui n'est pas respecté...
Le Président : Vous avez raison, et il y a aussi les avocats. Quoi qu'il en soit, nous sommes les responsables du pays, nous devons trouver la meilleure solution pour la France. Alors, nous sommes bien d'accord sur l'attitude à tenir. Les Iraniens spéculent sur notre faiblesse supposée. C'est pourquoi nous devons avoir une réaction instantanée et, même s'il n'y a pas prise d'otages, marquer tout de suite un cran d'arrêt. Je ne crois pas que l'on puisse, dans ce cas [la mise à sac], éviter la rupture diplomatique.
La réunion est terminée. Les participants s'en vont, la mine sombre.
Le Président s'adresse alors à moi : Alors, on a retrouvé notre Chirac toujours aussi flambard ! Mais je ne sais pas s'il va tenir jusqu'à demain, ou même cette nuit ! Ils doivent être en train de se réunir, de décider tout autre chose que ce dont nous venons de convenir...
Vendredi 3 juillet 1987
Jack Lang me confie : J'aimerais beaucoup revoir Renaud, en particulier pouvoir lui parler de l'éventuelle constitution d'un comité d'initiative en faveur de la candidature de François Mitterrand et de l'inscription des jeunes sur les listes électorales.
Samedi 4 juillet 1987
La cour d'assises du Rhône condamne l'ancien officier SS Klaus Barbie à la réclusion criminelle à perpétuité pour crimes contre l'humanité commis à Lyon en 1943 et 1944.
Dimanche 5 juillet 1987
Jacques Chirac et Helmut Kohl se rendent ensemble à Colombey-les-Deux-Églises.
Mardi 7 juillet 1987
Le Premier ministre dit au Président que l'Algérie est entièrement d'accord sur la vente éventuelle de Mirage 2000 au Maroc. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Taleb Ibrahimi, lui aurait même déclaré que si les Marocains ne pouvaient être fournis en avions par la France, ils achèteraient aux États-Unis des F16, ce qui obligerait les Algériens à acheter des avions aux Soviétiques.
Le Président demande à Jean-Louis Bianco de se rendre à Alger pour connaître l'attitude de l'Algérie.
Évidemment, tout cela est faux : l'idée que la France vende des Mirage 2000 au Maroc ne plaît pas du tout aux Algériens ; les Mirage ne pourraient être utiles au Maroc que dans une guerre contre l'Algérie. Néanmoins, les Algériens ne feraient pas un drame de ce marché...
Pour les affaires iraniennes, il semble que les juges Marsaud et Boulouque entendent faire leur métier ; que le Quai d'Orsay voudrait reprendre sa « grande politique » de normalisation avec l'Iran ; que Charles Pasqua voudrait échanger Wahid Gordji contre les otages, ce qui est irréaliste : d'une part, nous ne tenons pas Gordji ; d'autre part, il existe peut-être quand même des preuves qui conduiraient le juge à l'inculper.
Les Iraniens empêchent les Français (y compris même une femme et son bébé) de quitter Téhéran. Cela est inacceptable, dit le Président, il faut rompre avec ces gens-là !
Mercredi 8 juillet 1987
Pendant que le Président reçoit le Premier ministre dans son bureau, se repose le problème du préfet dont le Premier ministre souhaite le départ immédiat — pour l'avoir mal reçu dans son département — alors que le Président estime qu'il doit rester jusqu'à sa retraite, prévue à l'automne. Le Président téléphone à Jean-Louis Bianco : Le Premier ministre me dit que ce préfet est d'accord et est volontaire pour partir. Voulez-vous vérifier ?
Bianco appelle Charasse, qui appelle le préfet en question : Je ne suis pas volontaire. Ils m'ont mis le couteau sur la gorge...
Bianco appelle le Président et lui fait part de cette conversation. Le préfet est maintenu.
Au Conseil des ministres, il ne se passe pratiquement rien.
A la sortie du Conseil, François Mitterrand prend Albin Chalandon à part pour lui demander... de ne pas faire construire de prison à Précy-le-Sec, car on pourrait la voir depuis la colline de Vézelay. Jules Roy lui a écrit à ce propos. Chalandon accepte.
C'est sûrement une des décisions les plus importantes prises depuis trois mois !...
Après le Conseil, le Président réunit dans son bureau le Premier ministre, Jean-Bernard Raimond, Charles Pasqua et Jean-Louis Bianco, sur l'Iran.
Le Premier ministre, à qui Jean-Bernard Raimond tend un télégramme, en prend connaissance et dit : Les Iraniens, en vertu du principe de symétrie, prétendent avoir des soupçons sur le numéro deux de l'ambassade de France, Paul Torri, et souhaitent qu'il soit entendu par le juge compétent. Je suis partisan qu'il accepte, bien qu'il soit couvert par l'immunité diplomatique.
D'autre part, nous ne pouvons rester longtemps dans la situation actuelle. D'autant que Gordji, si jamais il était entendu par le juge, serait vraisemblablement remis en liberté.
Je propose que l'on rompe avant la fin de la semaine les relations diplomatiques. Mais je n'ai pas eu le temps d'en parler avec le ministre des Affaires étrangères, et je souhaite connaître son avis.
Jean-Bernard Raimond, toujours aussi lugubre : La rupture des relations diplomatiques, cela me paraît quand même trop fort ! Si l'on veut absolument faire quelque chose, on pourrait se contenter de déclarer leur représentant, Haddadi, persona non grata.
Le Premier ministre : Oui, oui, je me rallie à la proposition de M. le ministre des Affaires étrangères.
Charles Pasqua : D'après les informations dont nous disposons, ils n'ont d'abord pas cru à notre détermination ; ensuite, ils ont cru que, d'une manière ou d'une autre, nous laisserions Gordji partir. Ils ont craint que nous donnions l'assaut à leur ambassade. C'est pourquoi ils ont brûlé leurs archives et demandé l'autorisation à Téhéran, en cas de nécessité, de se servir des armes.
Le Président : Si, comme vous le dites, si, comme vous croyez le savoir, le dossier Gordji est aussi léger, nous ne sommes pas très bien partis.
Charles Pasqua : On ne sait pas. Il est difficile de préjuger de ce que fera le juge. Les juges travaillent beaucoup. Ils connaissent mieux le terrorisme que personne.
Le Premier ministre : Et puis, les Algériens se sont entremis, il faut peut-être leur laisser un peu de temps.
Le Président : Très bien. Je vous remercie. Nous allons réfléchir et on en reparlera.
Fin de la réunion.
Après leur départ, le Président résume : Ce matin 8 juillet à 9 h 15, dans mon bureau, je trouve le Premier ministre très flambard à propos de l'Iran, me disant : « Il faut rompre les relations diplomatiques dans les quarante-huit heures. » A 10 h 45, il me dit : « Il faut rompre avant la fin de la semaine. » Trois minutes plus tard, à peine M. Raimond a-t-il formulé l'hypothèse de déclarer persona non grata Haddadi, qu'il s'y rallie. Une demi-heure plus tard, il dit : « Il faut attendre un peu, puisque l'Algérie s'en occupe. »
Sur le contenu du dossier, ils se contredisent aussi. Le Premier ministre est vraiment toujours le même ! Vous avez vu son interview dans Le Monde ? Il fait des mouvements de menton dans son style habituel : « En aucun cas il ne saurait être question... » Cela ne préjuge en rien de ce qu'il fera en définitive...
Dans l'après-midi, le Président m'emmène faire les librairies : Je ne me présenterai que si Jacques Chirac passe durablement devant Raymond Barre dans les sondages. Il n'est pas capable d'être Président.
Adoption définitive de trois lois sur la lutte antiterroriste.
Vendredi 10 juillet 1987
415 741 petits porteurs sont devenus actionnaires de 40 % du capital de TF1.
Samedi 11 juillet 1987
La population de la Terre, qui a doublé par rapport à 1950, franchit le cap des 5 milliards.
François Mitterrand, Lionel Jospin, Pierre Joxe, Roland Dumas, Louis Mermaz sont en conclave à Latché. La candidature de François Mitterrand semble se préciser. Un des participants m'appelle, triomphant, pour me rapporter une remarque déterminante, m'assure-t-il, du Président : Avant d'être élu, je pensais que sept ans, c'était bien assez, qu'en sept ans je pourrais faire bouger, évoluer le pays. Et puis, une fois en place, j'ai réalisé tous les obstacles qu'il fallait surmonter, contourner, le plus terrible étant la résistance passive de l'Administration, rétive au seul mot de changement. Non, je n'ai pas achevé ma tâche, loin de là ! Il reste encore beaucoup à faire.
Arrestation au pays Basque de deux dirigeants d'Iparretarrak. Philippe Bidart échappe aux policiers.
Des députés français (3 UDF, 3 RPR, 3 FN), en voyage en Afrique du Sud, déclarent que l'apartheid n'existe plus et que règnent la paix et la sécurité. L'un d'eux (Charles Deprez, UDF) précise que les Noirs ne sont pas en état d'exercer le droit de vote...
Incident à l'aéroport de Genève : deux douaniers français retiennent un diplomate iranien.
Dimanche 12 juillet 1987
Mission consulaire soviétique en Israël, pour la première fois depuis vingt ans.
Lundi 13 juillet 1987
L'affaire iranienne pourrit. Le Président reçoit le Premier ministre à midi, avant un déjeuner avec Hissène Habré.
Le Premier ministre propose au Président ce qui suit : Nous avons l'accord des juges Boulouque et Marsaud pour que Gordji soit entendu par le juge Boulouque au Palais de Justice, car les Iraniens ne veulent pas qu'il soit entendu par la DST. Il est quasi certain que le juge n'inculpera pas Gordji. À ce moment-là, nous pourrions relâcher-Gordji et obtenir en échange deux otages, soit par l'intermédiaire des Algériens, soit par l'intermédiaire des Pakistanais. M. Desmarest doit partir immédiatement pour Genève, où il rencontrera M. Ahani, le directeur d'Europe au ministère iranien des Affaires étrangères. J'ai besoin de votre accord tout de suite.
Le Président : Une décision pareille ne peut pas se prendre en quelques minutes, cela mérite réflexion. Je vous reverrai cet après-midi. Mais ma première réaction est que je ne suis pas chaud pour entrer dans une négociation avec un État qui se reconnaît comme terroriste, surtout pour ne libérer que deux otages. Une telle négociation n'est envisageable que si tous les otages doivent être libérés. Encore faudrait-il être sûr que l'Iran contrôle les preneurs d'otages, ce qui n'est pas établi.
Pour que rien ne se fasse sans son accord, Jean-Louis Bianco rédige un projet de lettre dans laquelle le Président répète à Jacques Chirac : Je ne donnerai mon feu vert qu'en échange de la libération de tous les otages français.
Au cours du déjeuner, le Président et le Premier ministre disent tous deux très nettement à Hissène Habré que la France n'interviendra en aucun cas pour la reconquête éventuelle de la bande d'Aouzou. D'ailleurs, lorsque l'ambassadeur, Christian de la Rochère, lui a transmis la position de la France, Hissène Habré n'a pas paru surpris.
A 15 h 30, à la demande du Président, Jean-Louis Bianco interroge Jacques Chirac pour savoir si la simple audition de Wahid Gordji par le juge est conforme à la loi et à nos traditions judiciaires. Le Premier ministre répond à Bianco : Je n'en sais rien, appelez Chalandon.
Jean-Louis Bianco appelle Albin Chalandon qui lui dit : Le juge peut annuler la commission rogatoire qu'il a délivrée à la DST et décider d'entendre lui-même Gordji. Mais c'est une décision qui ne dépend que du juge lui-même. Moi, je suis partisan de laisser jouer notre système judiciaire sans faire aucune pression. Je trouve que si tout cela était fait pour n'avoir que deux otages, ce serait vraiment faire preuve de faiblesse. Ce ne serait pas bien. J'ai fait valoir mon point de vue auprès du Premier ministre.
Bianco appelle le Président au téléphone (il se trouve dans ses appartements). Il lui fait part des propos d'Albin Chalandon. Le Président n'émet aucun commentaire.
A 16 heures, Jacques Chirac revient à l'Élysée. Le Président lui remet sa lettre. Il y résume la situation. Le Premier ministre lui a demandé si la France serait à même d'accepter les propositions suivantes pour le règlement de l'affaire Gordji : celui-ci serait entendu au Palais de Justice par le juge d'instruction qui recourrait à un autre canal que la commission rogatoire délivrée à la DST ; si Gordji n'était pas inculpé, il serait aussitôt expulsé, soit vers le Pakistan, soit vers l'Algérie ; Gordji ne serait remis aux autorités iraniennes qu'après que deux des cinq otages français auraient été eux-mêmes remis aux autorités des pays susmentionnés. Quelles que soient ses réserves sur ce type de négociation, le Président admet qu'il pourrait être envisagé un accord conforme au processus décrit par Jacques Chirac. Mais il ne souscrit pas à ce schéma et pense que la France doit réclamer la restitution de tous les otages français.
Jacques Chirac : Dans ces conditions, je préfère renoncer complètement.
Le Président insiste pour que les conditions stipulées dans sa lettre soient admises.
Jacques Chirac : Vous allez faire craquer la négociation.
François Mitterrand : Vous ne m'avez jamais informé qu'il y avait une négociation !
(D'après Gilles Ménage, il semble que ce soit le gouvernement qui ait pris l'initiative de cette négociation, pas les Iraniens.)
En quittant le bureau du Président, Jacques Chirac dit à Jean-Louis Bianco : Vous connaissez la position du Président. C'est ce que nous allons faire. Mais cela ne marchera pas. Nous nous sommes mis d'accord pour donner aux Iraniens un délai de quarante-huit heures au-delà duquel nous déclarerons Haddadi persona non grata, puis nous irons rapidement à la rupture. Chirac ajoute : Je vais appeler devant vous Jean-Bernard Raimond pour que vous voyiez bien que je respecte ce qui a été convenu avec le Président.
Il appelle donc le ministre des Affaires étrangères et lui dit ce qui a été convenu : tous les otages ou rien. Jean-Bernard Raimond essaie de demander du « mou ».
Jacques Chirac : Non, non, aucune souplesse dans la négociation.
Et Chirac rend alors à Bianco la lettre que le Président vient de lui remettre en mains propres, disant : Sur ces affaires-là, je pense qu'il vaut mieux qu'il n'y ait pas d'écrit.
Un cargo français, le Ville d'Anvers, est attaqué par les Iraniens dans le Golfe.
François Mitterrand : Comment Barre peut-il s'en tenir à cette distance hautaine ? S'il continue, il va s'effondrer.
Mardi 14 juillet 1987
Cérémonies de la Fête nationale. On n'entend pas un seul sifflet sur les Champs-Élysées, mais l'on perçoit parfaitement la réflexion bourrue d'un CRS vexé que le Président passe devant lui les yeux fixés sur l'Arc de Triomphe : Alors, François, nom de Dieu, regarde-nous !
Dans la tribune officielle, les esprits sont ailleurs.
A la télévision, interview du Président. Il réaffirme nettement que Wahid Gordji doit se soumettre à la loi : Ce qui me paraît important, c'est que la justice française estime devoir entendre cet Iranien parce qu'il est soupçonné d'avoir pris partà quel degré, je n'en sais rienà des actions terroristes en France... Il y a suffisamment de soupçons pour qu'il ait été appelé à s'expliquer.
Le Président dément un éventuel arrangement prôné par certains membres du gouvernement de façon à permettre à Gordji d'être entendu par le juge dans les locaux de l'ambassade d'Iran, avenue d'Iéna, protégés par l'extraterritorialité.
Gordji ne disposant que d'un passeport de service délivré par le Quai d'Orsay, document qui n'est pas un passeport diplomatique et ne donne donc droit à aucune immunité, il devra se rendre dans le bureau du juge Boulouque.
En début d'après-midi, Maurice Ulrich, puis Jacques Chirac téléphonent à Jean-Louis Bianco : le message convenu a bien été délivré à Genève par Desmarest. Les interlocuteurs demandent un délai supplémentaire de vingt-quatre heures. Nous le leur accordons jusqu'au 16 juillet à 24 heures.
Les juges Marsaud et Boulouque demandent à rencontrer Gilles Ménage : ils ne sont pas au courant de l'opération envisagée par Jacques Chirac, ils n'ont pas donné leur accord pour l'audition de Gordji au Palais de Justice !
A Téhéran, Paul Torri, premier secrétaire de l'ambassade de France, est officiellement accusé d'espionnage. Il est convoqué pour être entendu par la justice islamique.
Les Iraniens sont convaincus que la France a des preuves de l'implication de l'Iran dans les attentats de septembre. Mais s'il y a des preuves, qui les a ?
Dès la fin des cérémonies du 14 Juillet, Jean-Bernard Raimond s'envole pour l'Afrique comme si de rien n'était. Fureur du Président. Un Mystère 20, dépêché en catastrophe à Dakar, le ramène discrètement à Paris dans la nuit.
Mercredi 15 juillet 1987
François Bujon de l'Estang vient me voir : Depuis le début, j'étais contre ces négociations et pour la fermeté. Le Quai d'Orsay s'est fait des illusions. Maintenant, il faut en sortir. Je crois que la meilleure solution sera d'obtenir le départ de tous les Français, sauf Torri, en échange de tous les Iraniens, sauf Gordji. Nous demanderons alors l'accréditation d'un diplomate qui ne sera pas Torri, car les Iraniens demanderaient l'accréditation de Gordji. Nous laisserons alors Torri seul dans l'ambassade, sans protection diplomatique ni aucune immunité. C'est la meilleure solution, je crois. Elle prendra tout l'été.
Surréaliste !
Avant le Conseil des ministres, dans son bureau, le Président attire l'attention du Premier ministre sur... le cas dramatique des conservateurs des Archives et sur la nécessité d'améliorer leur situation indiciaire. Le Premier ministre en prend note.
Le Président expose au Premier ministre que la petite guerre des ambassades a assez duré et que la France doit trancher. Mais Jacques Chirac souhaite encore attendre : il espère toujours éviter la crise ouverte en négociant par des canaux discrets, notamment par l'entremise de l'Algérie.
Au Conseil, dissolution d'Iparretarrak.
Il est aussi question des tribunaux administratifs :
Le Président : C'est un vieux débat. Ne faut-il pas rattacher les tribunaux administratifs au ministère de la Justice ?
Au cours de son exposé de politique étrangère, Jean-Bernard Raimond fait le point sur l'Iran et préconise une ligne de fermeté.
Le Président : Vous avez raison. Il ne faut pas que l'on puisse jouer avec l'honneur de notre pays.
Pas un mot de plus.
A propos du tunnel sous la Manche, Hubert Védrine demande : M. Raimond partage-t-il les appréhensions de son ambassadeur à Londres ? François Mitterrand le reprend : Non, c'est le mien !
Jeudi 16 juillet 1987
Jean-Bernard Raimond continue de croire qu'un accord est possible avec l'Iran et que le juge Boulouque entendra Wahid Gordji à l'ambassade. Nous notons le silence prudent des capitales européennes sur cette affaire. Seuls les Britanniques nous encouragent.
A quelques heures de l'expiration de l'ultimatum, les Iraniens rejettent notre proposition. Ils nous demandent de relâcher Gordji et de retirer nos policiers de devant leur ambassade à Paris, ou bien ils rompront les relations diplomatiques. Peut-être ont-ils moins d'influence que certains ne le croient sur les preneurs d'otages ?
A la demande du Président, Jean-Louis Bianco appelle Maurice Ulrich : il serait opportun d'éviter le départ des Iraniens du territoire français, puisqu'eux-mêmes, sans aucun motif légal, viennent d'empêcher deux Français de quitter Téhéran. Ulrich approuve : un groupe de quatorze Iraniens est refoulé à la frontière suisse dans la nuit du 16 au 17 juillet.
A 22 heures, François Mitterrand demande au téléphone à Jacques Chirac de prendre la décision ferme de rompre les relations diplomatiques avec l'Iran avant que l'Iran ne le fasse, et de parler aux Français. Chirac ne décide rien.
Vendredi 17 juillet 1987
A l'aube, François Mitterrand revient de Latché. Dans l'avion, il note sur une feuille de papier blanc ce qu'il compte dire au Premier ministre, et me le lit :
Rupture :
1 Annoncer que nos agents sont interdits de départ ;
2 Saisir les institutions internationales (dont la CEE) d'une plainte contre l'Iran. État terroriste ;
3 Commencer d'ouvrir le dossier du terrorisme iranien ;
4 Retenir un nombre d'agents iraniens égal à celui des nôtres empêchés de revenir.
Pas de rupture :
1 au terme de l'ultimatum iranien, l'Iran réclamera Gordji contre le retour des Français avec la même fermeté ;
2 nous aurons montré de la faiblesse et serons dans une situation pire.
Le gouvernement français, mis au pied du mur par les exigences de Téhéran, hésite à prendre la seule décision possible.
Jusqu'au bout, Jacques Chirac tergiverse. Il fait une ultime visite à l'Élysée, ce matin, avant de se résoudre à une rupture que le Président, lui, a souhaité voir prononcer depuis le début de la semaine.
A l'Élysée, le Premier ministre remet au Président un projet de communiqué où il est écrit : Le processus de rupture des relations diplomatiques est engagé. François Mitterrand modifie : La France décide de rompre dès maintenant les relations diplomatiques avec l'Iran.
Le Président : Vous m'avez très précisément informé. Il faut qu'on soit tous sur le pont. L'ensemble des arguments nous conduit à la rupture. Si nous ne rompons pas, ils le feront.
Le Premier ministre note fidèlement toutes les suggestions du Président.
Jacques Chirac : Je voulais avoir l'avis du ministre des Affaires étrangères. J'imaginais qu'il préférerait éviter la rupture. C'est bien le cas. Je voulais avoir l'avis de M. Lafrance [chargé d'affaires à Téhéran]. Lui pense que la rupture n'aggraverait pas la situation des diplomates français.
Le Président : Ne pas réagir vite nous conduirait à donner aux Iraniens le sentiment que nous sommes hésitants.
Le Premier ministre, visiblement ennuyé : Ils risquent de faire savoir qu'ils ont proposé deux otages en échange de Gordji.
Le Président : Cela risque tout à fait, en effet, d'être rendu public.
Jacques Chirac : Il vaudrait mieux pas.
François Mitterrand : En plus de ce que vous suggérez, il y a d'autres dispositions à prendre tout de suite. Donc, à 12 h 30, la France prend l'initiative de la rupture des relations diplomatiques. Il y a alors tout un schéma de droit international qui s'enclenche. Il faut veiller à une stricte symétrie pour le départ de nos diplomates et de notre personnel et celui des Iraniens. Tout notre arsenal diplomatique doit être mis en jeu tout de suite pour bien faire comprendre que l'Iran refuse d'appliquer la loi française qui veut que le juge puisse entendre quelqu'un d'étranger qui n'a pas le statut de diplomate (sur ce point, nous avons agi conformément à nos lois et aux lois de tout pays civilisé) ; que, depuis plusieurs jours, l'Iran retient nos agents, les empêche de partir et nous menace. Il a toutes les allures d'un État terroriste. Il faut aussi saisir le Conseil de Sécurité et la Communauté européenne, sans demander à ce stade des sanctions : nous aurions forcément des difficultés avec la Grande-Bretagne et la RFA, qui commercent avec l'Iran.
Le Premier ministre : Je suis tout à fait de votre avis.
Fin de l'entretien.
François Mitterrand, en souriant, à Jean-Louis Bianco (à propos de Jacques Chirac) : Il se comporte en ce moment pratiquement comme mon chef de cabinet. Le Président ajoute à propos de l'attitude du gouvernement dans cette affaire : Ils sont déjà effrayés par leur propre audace.
Concernant la suggestion de renvoyer à nouveau quelques Moudjahidin expulsés avec Massoud Radjavi il y a quelques semaines, mais depuis lors revenus en France, le Président n'est pas favorable : Ce serait donner un signal de faiblesse à l'Iran.
Samedi 18 juillet 1987
Déjeuner à Culloz chez Antoine Riboud avec François Mitterrand. On visite la maison de Gertrude Stein, où elle vivait avec Alice Toklas et où lui-même est venu en 1943. Deux juives américaines en France, qui pour rien au monde n'auraient quitté ce pays où elles connurent les plus grands.
Longue discussion sur la prochaine élection présidentielle. François Mitterrand considère que seul Raymond Barre a le sens de l'État. Je ne pense pas me présenter, sauf si Jacques Chirac a vraiment des chances. (Pour le moment, l'élection de Raymond Barre paraît assurée dans les sondages.)
Sur la crise France/Iran : J'ai dit à M. Chirac que la gestion des relations avec l'Iran est un désastre. Faux calculs et naïveté. Ils m'empêchent de réagir, car je leur dois la solidarité.
Le Pakistan s'occupera des intérêts de l'Iran à Paris, et l'Italie — dont l'ambassade jouxte la nôtre — s'occupera à Téhéran de nos intérêts.
Mardi 21 juillet 1987
Gilbert Mitterrand et ses filles, Pascale, huit ans, Justine, six ans, sont victimes d'un accident de voiture en Espagne. Justine a la boîte crânienne ouverte. Diagnostic réservé. Le Président est bouleversé.
Sur la situation à Téhéran, Pierre Lafrance, qui nous y représente, explique que, malgré les dangers qui ont pesé et pèsent encore sur l'ambassade, ses collaborateurs font preuve d'un sang-froid et d'une cohésion exceptionnels. La destruction des archives « sensibles » vient de s'achever. Elle a nécessité plusieurs jours, en raison du volume des documents à incinérer, notamment des dizaines de milliers de demandes de visas. Le chiffreur et le chef du détachement de sécurité se relaient au chiffre jour et nuit, et, en dehors de leurs heures de service, prêtent main-forte à leurs collègues employés aux tâches domestiques. Nul ne souhaite être rapatrié avant le départ, pourtant problématique, de M. Torri, retenu en parallèle à Gordji. Si leur courage reste intact, une certaine lassitude commence néanmoins à se faire sentir. La tension à laquelle ils sont soumis depuis le début de juin, les heures de veille, le confinement, l'angoisse du lendemain, celle des familles en France, expliquent cette fatigue. Admirable grandeur du personnel diplomatique français.
L'ambassadeur d'Italie a pu enfin rendre visite à Pierre Lafrance ce soir. Depuis le 15 juillet, c'est la première fois qu'un diplomate étranger pénètre dans l'ambassade. Selon l'Italien, les Iraniens ont ouvert une enquête sur les activités exactes de Gordji, et sont convaincus qu'il n'est ni auteur ni complice d'actes de terrorisme perpétrés contre la population française. L'Italien a compris que les Iraniens craignent que Gordji ne soit inculpé pour des affaires inter-iraniennes, et surtout que les Moudjahidin, collaborant avec la police française, ne fabriquent de fausses preuves. Pour le reste, il confirme à notre ambassadeur que Gordji n'aurait pas de responsabilité dans les attentats de l'été dernier. Les Iraniens, dit-il, sont prêts à accepter le principe de son audition dans les locaux de l'ambassade d'Iran à Paris, tout en protestant de sa qualité de diplomate. Ils veulent bien le laisser dire ce qu'il sait, c'est-à-dire rien, tout en lui épargnant des pressions policières.
Arrestation à Saint-Vincent de quatre militants indépendantistes guadeloupéens, dont Luc Reinette, chef présumé de l'ARC. Les quatre hommes sont remis aux autorités françaises, puis incarcérés à Paris.
Horst Teltschik souhaite me rencontrer vendredi pour que nous travaillions ensemble en détail sur ce que pourrait être une brigade franco-allemande, et sur le texte d'une éventuelle déclaration commune sur la Défense tel qu'il a été esquissé au petit déjeuner à Bruxelles, il y a quelques jours. Il insiste sur le fait que tout cela devrait être coordonné entre la Chancellerie et la Présidence seules. Il souhaite être assisté, dans cette première réunion, par M. von Richstoffen (directeur des Affaires politiques au ministère des Affaires étrangères) et par l'amiral Brost, du ministère de la Défense. Il me laisse libre d'associer ou de ne pas associer, d'informer ou de ne pas informer les ministères concernés et le Premier ministre. Nous décidons, pour cette première réunion, d'en rester aux collaborateurs du Président ; j'emmènerai le général Forray et Hubert Védrine.
Mercredi 22 juillet 1987
Mikhaïl Gorbatchev accepte l'option double zéro globale.
La situation dans le Golfe est tendue. La crise avec l'Iran la complique.
André Giraud veut faire partir le porte-avions Clemenceau dans le détroit d'Ormuz. Raimond est contre. Chirac hésite. François Mitterrand l'impose, critiquant derechef la faiblesse de Chirac.
Thomson conclut avec le groupe américain General Electric un accord prévoyant le rachat de la division électronique grand public de la société américaine et la cession de la CGR, spécialisée dans l'électronique médicale, par le groupe français.
François Mitterrand reçoit à sa demande Charles Pasqua, venu à nouveau l'entretenir de la réforme des voyages officiels. Le ministre de l'Intérieur : Le nouveau responsable sera celui que vous désirerez. Le responsable actuel sera nommé inspecteur général, ce qu'il souhaite, et chargé en totale indépendance de tout ce qui concerne l'Élysée. Je suis prêt à prendre par écrit tous les engagements que vous souhaiterez.
Le Président ne dit pas non.
Jeudi 23 juillet 1987
Les faits semblent établis : selon plusieurs sources, Didier Destremau, responsable du dossier Proche-Orient au Quai d'Orsay, a rencontré Wahid Gordji, avant que celui-ci ne se réfugie dans l'enceinte de l'ambassade d'Iran, dans une brasserie tout près de l'Ecole-Militaire, à Paris, le 1er juin dans l'après-midi, soit deux jours après le lancement, le 29 mai, par le juge Boulouque, de trois commissions rogatoires, dont une concernant nommément Gordji. Qui le lui a demandé ? Est-ce cela qui a poussé Gordji à se réfugier à l'ambassade ?
Jean-Louis Bianco envoie une note à Maurice Ulrich afin qu'il lui communique, s'il existe, un rapport de la DST, mentionné par la presse, sur la responsabilité de l'Iran dans les attentats de septembre, et pour s'étonner que l'Élysée n'en ait pas eu connaissance. Charles Pasqua dément l'existence de ce rapport. Le gouvernement est affreusement gêné vis-à-vis du Président, car ce rapport existe bel et bien.
Vendredi 24 juillet 1987
Le général Forray, Hubert Védrine et moi-même rencontrons à Bonn Horst Teltschik, le directeur des Affaires politiques auprès du ministre des Affaires étrangères (M. von Richstoffen) et le chef des Plans auprès du ministre de la Défense (l'amiral Brost), pour entamer la discussion sur la coopération de défense franco-allemande :
Horst Teltschik : Cette réunion de travail vise à préparer des décisions politiques que le Chancelier et le Président pourraient annoncer à leur prochaine rencontre, le 24 septembre, ou à l'occasion du 50e Sommet franco-allemand, en novembre. Aucun autre groupe ne préparera ces décisions, et rien ne sera annoncé par qui que ce soit d'autre sur ces sujets. Le Chancelier souhaite avancer des propositions très précises pour faire progresser, militairement et stratégiquement, la coopération franco-allemande. La France et la RFA doivent renforcer leur coopération dans la mesure où les États-Unis vont, à moyen terme, laisser à Paris et à Bonn une part croissante de la défense et de la sécurité de l'Europe dans le cadre de l'Alliance. Le traité de l'Élysée a institutionnalisé la politique de sécurité. Nos intérêts en matière de sécurité convergent. Pour nous, les territoires de la France et de la RFA représentent un espace de sécurité unique. Il faut développer l'accord de février 1985 de façon bilatérale, comme base d'une communauté de défense élargie, dans la perspective d'une fusion de la CEE et de l'UEO. C'est l'occasion unique d'une discussion de principes bilatérale. Nous devons continuer de progresser jusque dans tous les détails militaires, telle l'organisation d'une brigade...
Le diplomate von Richstoffen est affolé. Teltschik, à ses yeux, va trop loin. Il le corrige : La charte de l'UEO doit maintenir cette organisation dans l'OTAN !
Horst Teltschik continue sans se troubler le moins du monde : La brigade doit-elle être une unité territoriale ? de combat ? de formation ? Y aura-t-il des éléments de troupes intégrés ? Nos problèmes : comment institutionnaliser cette coopération ? Comment avoir un espace de sécurité commun ? Quelles consultations nucléaires ? Quels rapports avec les autres Européens ?
Les deux chefs d'état-major travaillent sur une brigade commune. Sa structure, son équipement, son plan d'emploi devraient être mis au point de concert. La commission franco-allemande de Défense et de Sécurité doit soumettre une proposition de décision pour le cinquantième sommet franco-allemand de novembre. Deux hypothèses se font jour : une unité partiellement active dans la zone rhénane ou (c'est notre préférence) un élément actif dans le domaine territorial (le Groupe 54 de Trèves) avec des éléments mécanisés pour protéger les passages du Rhin et les renforts américains qui s'y trouveraient. Ce serait simple et peu coûteux.
Sur l'intégration des logistiques : La France et la RFA formant un espace de sécurité commun, utilisé de façon globale pour la défense, nos forces armées doivent accroître leur coopération directe. Il faut renforcer des exercices en commun dans les trois armes, compléter et élargir les logistiques communes. Un rapport sur ce sujet devra être fait au 50e Sommet franco-allemand. Le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Italie ont déjà demandé à entrer dans une brigade franco-allemande pour en faire une brigade de l'UEO.
Mais Teltschik souhaite aller plus loin et que l'Allemagne ait un droit de regard sur l'usage par la France de l'arme nucléaire : A la suite de l'accord du 28 février 1986, il convient de trouver un accord général sur les conditions de ces consultations, d'établir des directives générales d'emploi et des conditions de consultation, en premier lieu pour les armements préstratégiques. Naturellement, la décision d'emploi de l'arme nucléaire reste de la compétence souveraine du Président de la République française...
Cela, c'est trop !
Puis Teltschik lance une idée neuve : Pourquoi ne pas créer un Conseil de Défense franco-allemand ? Ses missions consisteraient à définir une conception commune de l'usage de toutes les forces armées pour la défense de l'Europe occidentale ; à mettre au point une position commune dans le domaine des négociations sur le désarmement ; à diriger la coopération franco-allemande en matière de défense dans tous les domaines, d'abord sur les seuls territoires français et allemand, « espace commun de sécurité » ; à diriger les troupes intégrées franco-allemandes ; et à organiser les consultations nucléaires au plus haut niveau. Ce Conseil se réunirait à trois niveaux : les représentants permanents (qui pourraient être les directeurs des Affaires politiques et les chefs d'état-major) ; les ministres des Affaires étrangères et de la Défense ; le chef d'État français et le Chancelier. Un état-major permanent serait issu de celui qui se réunit pour l'actuelle Commission de Défense commune franco-allemande (à l'occasion des sommets franco-allemands). Ce Conseil est pour nous essentiel. Il aura la plus éminente signification politique. C'est un élément visible et de haute politique.
Je réponds en improvisant : Très bien. On peut étudier cela. Mais, simultanément, pouvons-nous étudier exactement le même projet sur le terrain économique et financier ? Un Conseil économique et financier pour coordonner nos politiques ?
Panique en face... Le ministre allemand des Finances n'est pas associé à cette négociation. Les Allemands veulent la coopération en matière de défense, ils ne sont pas ici pour parler d'autre chose. Mais ils tiennent tant à cette coopération en matière de défense qu'ils accepteront une coopération monétaire.
On prévoit donc d'en reparler. Nous devons nous revoir le 28 août, à Paris, pour préciser ce qui pourrait être décidé par le Chancelier et le Président à l'automne.
Le Président, à qui j'en parle à mon retour, est sceptique : Il faudrait obtenir autant sur le monétaire que sur la défense, mais nous ne l'aurons pas.
La CNCL rend publique une liste des radios qu'elle envisage d'autoriser sur la bande FM parisienne.
A propos du départ du porte-avions Clemenceau, envisagé avant-hier :
André Giraud, finalement : Je ne le propose pas.
Le Président : Si le gouvernement ne le propose pas, je ne veux pas l'imposer.
Samedi 25 juillet 1987
Nouveau changement. Le Président téléphone au Premier ministre : la décision d'appareillage du Clemenceau est prise.
Lundi 27 juillet 1987
Jimmy Goldsmith cède le contrôle de la Générale Occidentale (donc de L'Express) à la CGE.
Mardi 28 juillet 1987
A Paris, déjeuner avec Franck Carlucci, le conseiller pour la Sécurité de Ronald Reagan. Un professionnel calme et précis. Il m'explique que Washington se rallie à l'option double zéro globale. Les 72 Pershing I A de l'armée ouest-allemande, dont Moscou demande la liquidation mais dont Washington refuse toujours qu'ils fassent partie de la négociation, restent le dernier obstacle à un accord.
Consensus d'experts lors d'une réunion à l'Élysée sur la crise avec l'Iran. Les Iraniens ont sans doute été à l'origine des attentats de l'automne 1986. Mais ils n'ont pas déclenché la crise politico-diplomatique des dernières semaines. Il semble qu'ils restent plus réactifs que moteurs. Ils continuent à tout faire pour ne pas paraître directement responsables des actes terroristes ni des enlèvements d'otages.
Au-delà du maintien de la pression judiciaire sur Wahid Gordji, certains proposent l'expulsion ou l'arrestation (selon les présomptions de la police) de personnes liées aux réseaux terroristes.
Un expert fait remarquer que deux livres américains récents sur le terrorisme attirent l'attention sur le danger des dates symboliques chez les terroristes, par exemple, pour les Iraniens, les jours où ils célèbrent la chute du shah et le retour de Khomeyni à Téhéran (du 16 janvier au début de février). Il faut ainsi relever que de très nombreux actes de terrorisme ont été déclenchés un vendredi. Dans l'hypothèse d'une crise franco-iranienne longue, il vaudrait mieux avoir à l'esprit les temps forts politiques, religieux ou diplomatiques : le pèlerinage à La Mecque, qui débute ces jours-ci ; fin septembre : anniversaire de l'attaque irakienne de 1980 et saison d'offensives iraniennes régulières ; le débat à l'ONU sur le conflit Irak/Iran, généralement en novembre, etc.
Erich Honecker visitera la RFA du 7 au 11 septembre. A Bonn, il rencontrera le Chancelier Kohl, mais pas Hans-Dietrich Genscher (puisqu'il ne s'agit pas officiellement d'un État étranger). A Düsseldorf, il rencontrera M. Rau. A Essen, de nombreux industriels. A Sarrebruck, Oskar Lafontaine. A Munich, Franz-Josef Strauss. Il visitera Dachau, puis la Sarre où il ira voir la maison et la tombe de ses parents à Neuenkirchen ; il y rencontrera sa sœur qui y vit toujours. Ce voyage est envisagé depuis 1981 à partir d'une invitation lancée par Helmut Schmidt. Les seuls précédents ont été, en 1969, les difficiles rencontres entre Willy Brandt et W. Stoph à Erfurt et Kassel.
Cette visite avait été empêchée depuis six ans par les Soviétiques, essentiellement en raison des euromissiles. C'est le signe d'un réel dégel.
La signature de plusieurs accords sur la protection de l'environnement est envisagée. Il n'a pas encore été décidé si Honecker pourra s'adresser ou non à la foule, ou parler à la télévision. Cela dépendra du climat de la visite.
Jean-Bernard Raimond me dit : Sur les otages, je fais de l'agitation, de la dentelle ; mais il n'y a pas de négociation. Je ne contrôle rien. Tout est entre les mains du juge, qui doit avoir des choses sur Gordji. La DST doit avoir des écoutes. Moi, je ne les connais pas.
Mercredi 29 juillet 1987
En Conseil des ministres, François Léotard rend hommage à l'action d'Émile Biasini, qui achève sa mission au Grand Louvre. Il souligne que l'on opère pour lui une reconstitution de carrière afin qu'il soit à l'abri des problèmes matériels. En outre, il sera nommé président d'honneur de la mission du Grand Louvre et chargé des rapports avec l'étranger.
Le ministre rend également hommage à Pierre-Yves Ligen qui le remplace.
Le Président : Ces propositions m'ont été soumises. Le choix de M. Ligen est excellent. M. Biasini est un homme difficile, il a le caractère de ses qualités. Je l'ai connu aux côtés d'André Malraux dont il était le bras séculier. Il a bien réussi également à la mission Aquitaine. Il pourra continuer d'être utile. Les choses pourront s'harmoniser dans l'intérêt de tous.
Jean-Bernard Raimond prononce quelques banalités à propos de l'Iran et du tunnel sous la Manche.
André Giraud rend compte de la situation dans le golfe Persique. Il n'évoque pas le problème de l'envoi du Clemenceau, qui est toujours en suspens.
Après le Conseil, réunion sur le golfe Persique dans le bureau du Président, avec André Giraud et Jacques Chirac ; Jean-Bernard Raimond n'y participe pas. (Le Président me signale : Jacques Chirac ne m'a pas proposé que M. Raimond soit là ; je n'ai pas jugé indispensable de le faire venir dès lors que le Premier ministre ne me l'avait pas demandé.)
André Giraud se montre très réticent sur le départ du Clemenceau et demande qu'on y sursoie ; sinon, il suggère qu'on l'envoie au Liban.
Le Président : On ne va pas bombarder le Liban !
La décision d'appareillage est confirmée avec pour destination l'entrée du golfe Persique.
André Giraud explique que les Américains n'ont de toute façon aucun dragueur de mines, pas même aux États-Unis : Les Américains se protègent derrière les pétroliers. L'Arabie Saoudite ne veut rien faire. Il n'y a pas de danger de mines.
Il est convenu de la façon la plus formelle qu'il n'y aura aucune déclaration publique ni du Président, ni du Premier ministre. Rien en dehors d'un communiqué de la Présidence de la République :
A l'issue de l'entretien qui a eu lieu ce matin au palais de l'Élysée entre le Président de la République et le Premier ministre, le ministre de la Défense a donné instruction au groupe aéronaval de l'escadre de la Méditerranée d'appareiller pour une mission de protection de nos intérêts en Méditerranée et dans l'océan Indien.
Mais, à 16 h 30, Jacques Chirac fait savoir aux journalistes qu'après avoir reçu Mme Thatcher, de passage à Paris pour l'échange des instruments de ratification sur la liaison fixe trans-Manche, il leur parlera du départ du Clemenceau. Ce qu'il fera !
Le Président : Une malhonnêteté de plus envers moi !
Après Matignon, Margaret Thatcher se rend à l'Élysée. Elle souhaite parler de la situation dans le Golfe.
Le Président : La politique française a été très engagée dans cette affaire, à partir de 1976, par des accords d'armement signés avec l'Irak. Je n'aurais pas souhaité que la France y soit mêlée d'aussi près. Mais, en 1981, renverser la position aurait été pire. Le contrat de confiance avec les pays arabes modérés, avec tous les pays arabes en fait, sauf la Syrie et la Libye, aurait été rompu. Donc, en 1982, j'ai autoriséce que je ne souhaitais pas vraimentla continuation de l'application des accords antérieurs.
Il est vrai que cela rejoignait aussi la conception que je me fais de la nécessaire stabilité de cette frontière historique entre la Syrie et la Perse, les Arabes et les Iraniens.
Margaret Thatcher : En effet, le Chatt-el-Arab est une frontière essentielle.
Le Président : Chatt-el-Arab que les Iraniens n'appellent pas ainsi, bien sûr ! La suite rejoint l'idée que je me fais de l'équilibre mondial et des équilibres partout. Si j'avais été complètement maître de la situation, j'aurais sans doute cherché à éviter un tel engagement, mais c'est fait. Il faut donc accepter les conséquences de ses options.
En attaquant l'Iran, l'Irak a pris une décision folle. C'était une erreur profonde de miser sur la faiblesse de l'Iran. Souvent, dans l'Histoire, de telles erreurs ont été faites : un pays divisé intérieurement n'est pas pour autant affaibli extérieurement. Ainsi, face à tous les alliés de l'Europe coalisée, la Révolution française a trouvé son aliment dans cette menace même.
Margaret Thatcher : Il faut pour cela qu'il y ait un vrai nationalisme. Le Président : Oui ! Prenez également l'exemple de l'URSS en 1917. Lénine et Trotski n'ont pas gagné, mais ils ont sauvé l'essentiel. Et, de même, Hitler a duré plus longtemps qu'il n'aurait dû, car il a été soutenu par le profond pangermanisme de son peuple.
De la part des Irakiens, cela a été une erreur historique stupide. Évidemment, ils ont conquis deux ou trois petites îles. Mais cela a exacerbé le nationalisme iranien ; et cela a permis à l'Iran d'occuper son armée, que le régime ne souhaitait pas voir rester à Téhéran.
Très vite, ensuite, je me suis trouvé devant les prises d'otages qui étaient clairement reliées à l'Iran par l'intermédiaire du Hezbollah et du Djihad.
Les conditions iraniennes, connues très tôt, n'étaient pas acceptables. C'était soit la fin complète de l'aide à l'Irak, soit l'aide à l'Iran.
Dans la période récente, M. Chirac et M. Raimond ont pensé qu'ils pourraient régler la situation. Cependant, mon opinion a toujours été qu'il ne fallait ni négociations ni concessions. Des choses ont été faites, elles n'ont pas permis d'aboutir. Puis on s'est aperçu que les attentats n'étaient pas d'origine syrienne, du moins ceux-là, mais plutôt iranienne. Les présomptions de preuves se sont accumulées entre les mains de la Justice et de la Police. L'affaire s'est concentrée autour de M. Gordji, qui n'a pas le statut diplomatique. Et nous en sommes arrivés au drame que vous connaissez, à partir d'une audition demandée par la Justice.
Nous ne pouvons pas l'autoriser à rentrer en Iran sans être passé chez le juge. Peut-être le juge dira-t-il qu'il n'est pas coupable. Je n'en sais rien. Mais, en tout cas, on ne peut pas enjamber les nécessités de la Justice.
L'Iran a fini par nous lancer un ultimatum de soixante-douze heures. J'ai estimé alors que ce n'était pas tolérable, que nous devions prendre les devants. Nous avons rompu. Ces gens sont des drogués de l'esprit !
Nous sommes donc maintenant confrontés à des menaces. Nous avons donné l'ordre à notre flotte d'appareiller pour la Méditerranée et l'océan Indien. Il n'est pas question qu'elle entre dans le détroit. Cela dit, nous disposons d'une force aéronavale susceptible d'arrêter la menace. Nous n'avons pas l'intention d'atteindre l'Iran, mais, si nous sommes attaqués, j'aviserai.
Margaret Thatcher : Nous avons eu nous-mêmes, comme vous le savez, une crise avec l'Iran. Je voulais qu'il reste un très faible nombre de diplomates de part et d'autre. Les Iraniens, au début, voulaient autre chose. Finalement, il n'en reste qu'un, le chargé d'affaires.
Le Président : L'action de notre police a été brusque, il faut dire. On aurait pu nous prévenir plus tôt. J'avais demandé à l'avance le retour de nos diplomates, mais, déjà quinze jours avant la crise, nos personnels pouvaient circuler dans Téhéran mais ne pouvaient plus rentrer à Paris ! C'est un des éléments qui m'ont décidé à rompre. A l'heure actuelle, il reste onze personnes à l'ambassade, dont une femme et son bébé ; elle a cherché à rentrer, les Iraniens l'en ont empêchée.
Margaret Thatcher : Ces gens ne sont vraiment pas civilisés !
Le Président : La situation est donc gelée pour longtemps. Cela peut ressembler à la situation du cardinal Midzenty à Budapest.
Margaret Thatcher : Quand même, c'est une situation qui n'est pas bonne !
Le Président : Je conseille au gouvernement d'être dur. Beaucoup d'hommes politiqueset encore, je ne parle pas des diplomates !n'arrivent pas à admettre qu'il y ait des problèmes sans solution.
Nos intérêts vont être représentés par l'Italie. Nous avions songé, vous comprenez pourquoi, à l'Algérie. Mais l'ambassade d'Italie est juste mitoyenne de la nôtre et nous avions envisagé de faire passer nos personnels d'un jardin à l'autre. Malheureusement, les Iraniens ont mis un cordon de troupes entre les deux.
Margaret Thatcher : Que pensez-vous des suites de l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité ? Si rien ne se passe, la suite logique est un embargo. Comme ni vous ni nous ne fournissons quoi que ce soit à l'Iran, nous ne serions pas gênés par un embargo sur l'Iran.
Le Président : La presse a signalé de temps en temps quelques trafics d'armes vers l'Iran. Cela n'a pas de signification, nous les avons condamnés... J'espère que M. Perez de Cuellar fera preuve de détermination.
Margaret Thatcher : Il me semble qu'il est de l'intérêt des deux pays, Iran et Irak, d'accepter le cessez-le-feu dans le Golfe. Quant aux mines, elles sont placées, je crois, par les Iraniens.
Le Président : C'est probable.
Margaret Thatcher : S'il y a une nouvelle attaque, les États-Unis seront obligés de réagir. Nous devons veiller à ce que cette voie de navigation reste ouverte.
Le Président : Il n'est pas possible de se laisser psychologiquement diminuer. D'un autre côté, nous n'avons pas intérêt à ce que la guerre se généralise. Après tout, ce n'est pas notre problème, cette guerre !
Cependant, la France ne peut pas s'abstraire des affaires arabes, pour toutes sortes de raisons. Quand on voit le comportement intégriste fanatique de certains musulmans, quand on pense que le Maghreb comptera dans vingt ans 100 millions d'habitants, quand on songe au nombre des émigrés en France, on est obligé de penser à ce qui se produira dans vingt ans !
Margaret Thatcher : En tout cas, il ne faut pas que l'Irak perde.
Le Président : Cela serait terrible. Dans l'affaire qui nous occupe, je n'accepterai pas de faux accords. Mais il est bien difficile de tracer un schéma à l'heure actuelle.
Ce matin, j'ai été humilié en entendant à la radio la déclaration d'un responsable du canton de Genève qui expliquait que dans la crise entre l'Iran et la France, l'Iran n'avait pas tous les torts. Que voulez-vous que pensent les Iraniens quand ils entendent cela ! Vous savez que lors du récent détournement d'avion, le gouvernement local de Genève avait déjà donné du kérosène aux pirates de l'air pour repartir ! Vous savez par ailleurs qu'ils ont expulsé vers le Liban un Libanais recherché par la Justice française...
Margaret Thatcher : C'est navrant. Avec les détournements d'avions, il faut être très ferme. Il faut les empêcher de repartir, ne jamais donner de carburant. C'est ce que nous faisons. Nous n'avons plus de détournements. Malheureusement, trop de pays ne songent qu'à se débarrasser sur le voisin.
Le Président : Si les Suisses n'étaient pas intervenus, nous aurions fait conduire l'avion sur la partie française de la piste, et l'ordre avait été donné au GIGN d'intervenir. Bien sûr, c'est tragique, mais on ne peut accepter une telle situation.
Margaret Thatcher et François Mitterrand font ensuite le point sur les négociations concernant le désarmement.
Puis Mme Thatcher demande à visiter les appartements privés de l'Élysée, sur lesquels elle a lu des reportages dans des magazines. Le Président les lui montre.
Jeudi 30 juillet 1987
Le Président choisit le général Fleury comme chef d'état-major particulier pour succéder au général Forray, qui part au secrétariat général de la Défense nationale : C'est un homme de caractère, qui saura se faire respecter.
Vendredi 31 juillet 1987
402 morts parmi les pèlerins présents à La Mecque, dont 275 Iraniens, à la suite de violents affrontements entre pèlerins venus d'Iran et policiers saoudiens.
Comment sortir de la « guerre des ambassades », qui dure maintenant depuis un mois ? Peut-on désamorcer cette guerre des nerfs aux conséquences imprévisibles ?
Samedi 1er août 1987
Violentes manifestations à Téhéran, par suite de la mort des pèlerins iraniens à La Mecque. Les ambassades d'Arabie Saoudite et du Koweït sont mises à sac.
Le Président iranien laisse entendre que le RPR a bloqué la libération des otages en mars 1986. Chirac est fou de rage.
Lundi 3 août 1987
Par suite des événements de La Mecque, Khomeyni s'en prend à la famille royale saoudienne, incapable d'assurer la garde des Lieux saints.
Mardi 4 août 1987
Attentat en Corse : un gendarme tué et trois autres blessés.
La situation reste bloquée à Téhéran et à l'ambassade d'Iran à Paris.
Mercredi 5 août 1987
Devant Jacques Chirac qui attend d'être reçu par le Chef de l'État, Jean-Louis Bianco informe Renaud Denoix de Saint Marc que le Président accepte la nomination de Jean-Claude Groshens au Conseil d'État à condition que le problème du statut d'Émile Biasini soit correctement réglé, comme prévu, et que le prochain poste libre au Conseil d'État soit réservé au choix du Président.
Le Premier ministre : Moi, les nominations, vous savez, je ne m'en occupe pas du tout. J'accepterai tout candidat pourvu qu'il soit convenable, qu'il ait des diplômes et qu'il ne s'agisse pas d'un ancien ministre pourvu du CAP !
Entretien entre François Mitterrand et Jacques Chirac avant le Conseil des ministres.
Le Président : J'ai vu que vous aviez évoqué publiquement les affaires du Rainbow Warrior et des « Irlandais de Vincennes ». Je suppose que vous avez des informations que la Justice ignore. Votre devoir est de communiquer ces informations à la Justice.
Le Premier ministre : Non, non, ce n'est pas le moment. Ce ne serait pas du tout opportun.
Le Président : Pas du tout. Je me sens tout à fait tranquille sur ces deux dossiers. Mais, même si je ne l'étais pas, vous devez suivre la Justice, lui remettre les pièces dont vous disposez.
Le Premier ministre passe alors à l'affaire Gordji : Dans le dossier... vous savez... pour le juge... Il y a vraiment peu de chose.
(Gilles Ménage, lui, dit avoir eu un contact avec le juge Marsaud, et que le juge Boulouque a bien de quoi inculper Gordji.)
François Mitterrand : Vous imaginez les conséquences de ce que vous venez de dire ? Rupture des relations diplomatiques, menaces de terrorisme et même de guerre... et tout cela pour rien ? Vous ne pouvez pas penser que le gouvernement serait exonéré de ses responsabilités si les choses se passaient ainsi.
Jacques Chirac : Ce n'est pas le gouvernement, c'est le juge.
François Mitterrand : Le juge travaille à partir des éléments que lui a fournis la Police. Or rappelez-vous, lors de la réunion que j'ai tenue dans ce bureau, M. Pasqua avait dit que le dossier était très chargé.
Jacques Chirac évoque un article du Canard enchaîné selon lequel il aurait écrit à Saddam Hussein à propos des livraisons d'armes : Je trouve scandaleux que ce texte soit sorti dans la presse !
François Mitterrand : J'allais justement m'en plaindre auprès de vous. Vous l'envoyez à tout le monde, sauf à moi !
Jacques Chirac : Je n'ai pas pensé à vous prévenir ; c'était une affaire banale qui concernait la réévaluation de la dette irakienne.
(Les termes utilisés dans le télégramme diplomatique dont nous avons eu indirectement connaissance prouvent qu'il ne peut s'agir d'une banale réévaluation de la dette irakienne. En fait, cela concerne très probablement un gros contrat militaire.)
Au Conseil, Édouard Balladur arbore un blazer à boutons dorés. Philippe Séguin me souffle : Ces boutons sont sûrement en or ! Rarement vu deux hommes aussi dissemblables dans leur comportement et leur idéal.
Après le Conseil, le Chef de l'État prend à part François Guillaume au sujet d'un article de Paris-Match dans lequel le ministre de l'Agriculture met en cause la fermeté du Président dans les négociations européennes. François Guillaume proteste : Je n'ai pas dit cela !
Jeudi 6 août 1987
Robert Armstrong m'interroge sur le Premier janvier de l'an 2000 ! Margaret Thatcher lui a demandé de réfléchir à ce que pourrait être la célébration de ce jour-là. Elle lui a demandé de voir si cela ne pourrait pas être l'occasion d'une cérémonie « franco-english » ou « anglo-french ».
Importante déclaration d'Edouard Chevarnadze dans le cadre de la CSCE sur les Pershing IA : Notre opinion publique ne comprendrait pas qu'au moment où se signe un accord de désarmement, les Allemands puissent rester dotés de l'arme nucléaire. En revanche, Iouri Vorontsov, de passage à Paris, pense qu'un accord sur le maintien de ces missiles n'est pas impossible, sous réserve de leur non-modernisation et que soit clairement indiquée une date pour leur liquidation définitive (dans les cinq ans ?)
En dehors de cette question, l'accord semble très rapidement possible avec les Américains.
Iouri Vorontsov rentre d'une mission en Syrie, en Irak puis en Iran. Il me dit : Les Iraniens n'ont pas de haine envers la France... Ils estiment que c'est aux Français de trouver une solution à l'affaire des ambassades, puisque ce sont eux qui ont commencé. Les Iraniens ne s'opposeraient pas à ce que M. Gordji soit entendu par les autorités françaises, sous réserve que l'on trouve une solution appropriée (dans l'embrasure d'une fenêtre de l'ambassade, par exemple !).
Il estime qu'une sorte d'accord tacite entre les différentes parties existe pour qu'il n'y ait pas d'incident militaire majeur dans le Golfe, où les Iraniens ne pensent pas que les Français pénétreront. (Cela recoupe les informations nous suggérant le retrait de l'escorte des pétroliers koweïtiens.)
Samedi 8 août 1987
Jacques Chirac est furieux d'apprendre l'attaque du village d'Aouzou par Hissène Habré. Le Président tchadien justifie son action en se référant à une déclaration franco-britannique du 21 mars 1899 qui plaçait Aouzou en territoire tchadien. La Libye, elle, fonde sa propre revendication sur un accord passé entre Laval et Mussolini en 1935, mais qui n'a jamais été ratifié. Le Premier ministre veut que la France condamne cet acte. Informé par Jean-David Levitte, directeur-adjoint du cabinet de Raimond, qui s'est toujours comporté de manière très loyale à notre égard, le Président décide de réunir à 23 h 15 le général Fleury, Gilles Ménage et Jean-Louis Bianco.
A l'issue de cette réunion, le Président téléphone au Premier ministre : Aucune aide ne sera apportée à Hissène Habré pour la reconquête de la bande d'Aouzou. Nous ne pouvons que très difficilement reprendre la fiction du 16e parallèle. Mais le 16e parallèle doit être maintenu comme une réalité aux yeux de Kadhafi, ce qui ne préjuge pas de ce que nous ferions plus au nord. La rapidité d'action de Hissène Habré a précédé l'installation que nous avions envisagée à Faya-Largeau. Notez bien les trois points sur lesquels nous resterons fermes : nous n'aidons en rien à la reconquête de la bande d'Aouzou ; nous suspendons toute décision pour Faya-Largeau, sachant qu'il y a déjà des démineurs français, mais pas plus ; si le Sud est touché, nous réagissons. Donc, nous sommes bien d'accord ? On ne peut pas approuver l'attaque d'Aouzou, mais, en même temps, il ne faut pas faire signe à Kadhafi comme pour lui dire : « Allez-y ! » D'autre part, tout ce qui peut être fait pour protéger l'acquis et nos propres forces au Tchad devra être fait.
La France n'est pas engagée dans une action qui reste à nos yeux de l'ordre de l'arbitrage international. Nous ne disons pas que la bande d'Aouzou ne fait pas partie du Tchad, nous disons seulement qu'elle relève de l'arbitrage international.
Et le Président fait transformer en instructions diplomatiques à notre ambassadeur le message que Jacques Chirac projetait d'envoyer en son propre nom à Hissène Habré.
Lundi 10 août 1987
François Mitterrand : Chirac pense comme il monte les escaliers ; il parle comme il serre les mains ; il devrait prendre le temps de s'asseoir.
L'aviation irakienne reprend ses raids contre des installations pétrolières en Iran, tandis que, pour la première fois, un pétrolier heurte une mine en mer d'Oman, à la sortie du détroit d'Ormuz.
Une note d'André Giraud au Président nous apprend qu'à l'encontre des instructions reçues, le général Saulnier négocierait avec son homologue allemand, l'amiral Wallershoff, les conditions d'emploi de l'arme nucléaire française en RFA. Le Président : Pas question ! J'ai toujours refusé de négocier cela avec les Allemands. Je ne l'accepte pas plus aujourd'hui.
Le Président publie un communiqué pour rappeler que si la France soutient le Tchad pour la reconquête de son indépendance et de son unité, elle reste réservée sur le problème d'Aouzou, qui devrait faire l'objet d'un arbitrage international.