François Mitterrand :
Vous représentez une proportion importante de la population, mais il y a également une forte
minorité qui n'a pas les mêmes vues que
vous.
Jacques Lafleur : Il ne lui appartient pas non plus de
faire la loi.
François Mitterrand :
Je ne comprends pas votre remarque. La réalité
du pouvoir appartient bien à la communauté européenne. Vous ne
pouvez nier ce fait. Vous représentez une majorité intolérante.
Vous avez une mentalité guerrière. Vous disposez de tous les atouts
et, de plus, le gouvernement vous soutient. Je crains que,
du fait de la politique actuelle, vous
ne vous dirigiez vers une période d'affrontements. Rien ne sera réglé si le sentiment d'injustice
persiste.
Bernard Pons présente à l'Assemblée le projet de
loi sur les modalités du référendum en Nouvelle-Calédonie. Fortes
réserves des barristes et des centristes, relayées par
l'opposition.
Philippe Séguin s'apprête à prendre des mesures
rapides sur la Sécurité sociale. Le déficit qu'il s'agit de combler
(de l'ordre de 20 milliards) est dû pour l'essentiel à la médecine
de ville (non à l'hôpital) et à la retraite (mais pas aux
conséquences de son abaissement à l'âge de soixante ans). Séguin
propose soit une augmentation, à compter du 1er juillet, de deux points des cotisations
sociales, soit une taxe de 1 % sur l'ensemble des revenus, y
compris les revenus non imposables (soit le double de la taxe de 1
% de 1984, laquelle ne portait que sur les revenus imposables). Ces
mesures seraient annoncées dans les quinze jours. Il faut que
l'opposition s'y prépare.
Samedi 11 avril
1987
Ronald Reagan écrit à François Mitterrand sur
l'Afghanistan. Il lui annonce qu'il veut obtenir de Gorbatchev une
décision claire de retirer promptement ses troupes de ce pays. Un
calendrier de retrait, trop long, et un semblant de réconciliation
nationale, qui ne serait destiné qu'à préserver à Kaboul un régime
dominé par les communistes ne feraient, explique-t-il, que
prolonger la guerre.
George Shultz a pour instructions de concéder aux
Soviétiques le non-retrait du traité ABM pendant sept ans à
condition qu'un accord intervienne cette année ou d'ici à 1994. Si
l'accord intervient plus tard, le non-déploiement de systèmes
spatiaux sera prolongé pendant une année supplémentaire consacrée à
la négociation. Chaque partie aurait le droit de passer à une
interprétation large du traité. La réduction des armements
stratégiques se ferait en sept ans (et non plus en cinq).
La position américaine est donc durcie, les délais
allongés, le lien avec l'IDS maintenu dans toute sa rigidité. Sauf
coup de poker de Gorbatchev misant sur l'incapacité concrète des
États-Unis, même d'ici à 1994, de déployer des systèmes défensifs à
un coût acceptable et avec un minimum d'efficacité, il n'y a aucune
chance de progrès sur le désarmement stratégique.
Lundi 13 avril
1987
Francis Bouygues obtient le renouvellement des
accords entre TF1 et la Ligue nationale
de football : le prix passe de 12 à 75 millions de francs par
saison...
La lettre de Jean-Bernard Raimond à George Shultz
part. Elle est encore pire que le projet. Il dit explicitement que
l'intention soviétique d'inclure les armes nucléaires à courte
portée (c'est-à-dire en deçà de 500 kilomètres) dans une éventuelle
négociation sur les armes conventionnelles n'est pas acceptable
pour la France, et ne devrait pas l'être non plus pour les
États-Unis !...
François Mitterrand,
voyant cela, me dit : N'insistez pas. Cela ne sert à rien. De toute façon, à
Washington, ils ne tiendront pas compte de cette lettre et
décideront une autre option zéro s'ils arrivent à s'entendre avec
les Russes.
Mardi 14 avril
1987
La Turquie dépose à Bruxelles sa demande
d'adhésion à la Communauté.
Mikhaïl Gorbatchev reçoit George Shultz au
Kremlin. La déclaration soviétique publiée à l'issue de cette
rencontre est révélatrice du vertigineux tournant en cours à Moscou
: L'accueil réservé en URSS à George Shultz
traduit le nouveau mode de pensée, la prise en compte du rôle que
jouent et peuvent jouer les États-Unis d'Amérique dans la politique
mondiale, de l'expérience accumulée dans les rapports mutuels, les
contacts, le dialogue avec l'Administration américaine, notamment
au sommet.
Pendant deux ans,
déclare Mikhaïl Gorbatchev à son
interlocuteur, nous avons entrepris beaucoup
de démarches en vue de créer un nouveau climat dans les rapports
entre les deux pays, nous avons offert des chances nouvelles à la
compréhension mutuelle et à des ententes. Aucune Administration
précédente ne s'est vu offrir de pareilles chances. Mais nous
n'avons pas perçu le désir de la partie américaine d'en profiter
pour améliorer les rapports bilatéraux et la situation
internationale. A chacune de nos démarches, on nous a répliqué par
des tentatives visant à compliquer, sinon à saper l'entreprise, ou,
dans le meilleur des cas, on a fait traîner les choses en longueur
dans l'attente de nouvelles démarches de notre part. A en juger par
les faits, et non par les déclarations, on continue, de nos jours,
à estimer, de façon illusoire, que l'Union soviétique a davantage
besoin de la détente et du désarmement que l'Occident. On a
l'impression que cette Administration se comporte comme si, depuis
deux ans, rien ne s'était passé en Union soviétique, comme si
celle-ci n'avait rien fait, en ce qui la concerne, pour amender la
situation internationale.
Qu'est-ce que George Shultz a
apporté avec lui ? L'Administration américaine est-elle réellement
prête à faire quelque chose pendant le temps qui lui reste ? Nos
propositions sur les missiles à moyenne portée sont une tentative
en vue de créer, aussi bien pour l'Administration que pour
nous-mêmes, les meilleures conditions pour faire un grand pas,
peut-être le plus difficile, mais de nature à donner le départ à un
processus réel d'arrêt de la course aux armements nucléaires et de
réduction des armes nucléaires.
Mikhaïl Gorbatchev expose que dans l'accord sur
les missiles à moyenne portée, l'URSS s'engagera à supprimer
complètement, dans un délai relativement court et fixé avec
précision, ses missiles tactiques en Europe. C'est la seconde
option zéro.
Charles Powel m'appelle de Londres :
1 Il voudrait
que l'on se coordonne avant toute réaction publique à cette
proposition de Gorbatchev.
2 Pour lui, elle
signifie l'élimination des SS 12, 22 et 23 qui sont en Europe, et
non leur élimination globale. Or, ces armes sont particulièrement
mobiles.
3 Il pense qu'il
vaut mieux ne pas réagir avant la fin de la visite de George Shultz
à Moscou.
4 Margaret
Thatcher va lancer des invitations pour une réunion à Quatre à
Paris.
Selon le compte rendu des échanges établi par les
Soviétiques, George Shultz insiste un peu plus tard sur le droit
des États-Unis à fabriquer des armes de ce type et à les déployer
en quantité approximativement égale à celle qui restera à l'URSS
après la liquidation des missiles à courte portée retirés de
Tchécoslovaquie et de RDA.
Puis, surprise ! Mikhaïl
Gorbatchev propose à George Shultz la troisième option zéro : Nous
avons tout dit, souligne-t-il, et même
plus, certainement, que vous n'attendiez. Nous
allons même plus loin que ce qui a été dit à Prague : nous sommes
prêts à liquider également les missiles tactiques de théâtre.
Qu'est-ce qui vous fait peur ? Nous sommes pour un accord fiable,
assorti du contrôle le plus rigoureux et le plus universel qui
soit. Si le processus de liquidation des armements nucléaires
commence, nous prendrons sur la question du contrôle la position la
plus rigoureuse, nous exigerons vérification et inspection partout
— sur les sites de démantèlement des missiles, sur les sites de
leur destruction, sur les polygones et dans les bases militaires, y
compris dans les pays tiers, dans les entrepôts et les usines,
qu'ils soient privés ou qu'ils appartiennent à l'État. Il
importe, poursuit Mikhaïl Gorbatchev, de comprendre qu'il est absurde de se lancer dans le
surannement au moment où l'URSS liquidera unilatéralement ses MOT,
en somme toute une catégorie d'armements nucléaires.
Commentaire officiel des Soviétiques :
Le recul américain par
rapport aux positions de Reykjavik est également évident dans la
mesure où les États-Unis étalent maintenant la réalisation d'un
accord sur les armements stratégiques offensifs non plus sur cinq,
mais sur sept ans, et réduisent l'engagement de ne pas se retirer
du traité ABM de dix à sept ans.
Mikhaïl Gorbatehev :
Les allégations selon lesquelles les
recherches sur l'IDS ne mettraient pas en cause cet accord sont
inacceptables. Nous n'admettrons jamais une extension naturelle de
la course aux armements à l'espace. L'idée même de l'IDS est
profondément nuisible. Si les États-Unis déploient des missiles ABM
dans l'espace, il n'y aura aucun accord sur les armements
stratégiques offensifs ; si vous nous y forcez, notre réponse à
l'IDS sera asymétrique, pas nécessairement dans l'espace, et bien
meilleur marché. Mais il en résultera une situation extrêmement
dangereuse. On ne pourra plus avoir aucune confiance, ni nous en
vous, ni vous en nous. Est-il possible que les hommes politiques
les plus responsables envisagent une telle perspective : la
déstabilisation de tout le système de sécurité, et ce, juste au
moment où il y a une possibilité réelle de résoudre le problème des
armements nucléaires ?
Sur les droits de l'homme : Tout ce qui est
légal et humain, nous l'étudierons et
nous le résoudrons positivement, déclare Gorbatchev. En
général, nous ferons en sorte que tous ceux qui, chez nous, ne sont pas
contents de leur pays, le deviennent. J'espère que vous autres, aux
États-Unis, vous ferez, vous aussi, quelque chose pour que des
millions de vos citoyens vivent mieux.
Il n'est pas dans notre
intention de conduire une politique belliqueuse à l'égard des
États-Unis. Nous rejetons le principe vicieux selon lequel plus
cela va mal pour l'Union soviétique, mieux cela vaut pour les États-Unis, et vice-versa...
Entretien sur le terrorisme entre le Président,
Bernard Gérard, patron de la DST, et Ivan Barbot, remplaçant de
Pierre Verbrugghe à la direction de la Police nationale. Le
Président : Vous ne me dites rien, mais
je sais tout. Le Président Assad m'a
téléphoné que... Untel m'a téléphoné
que...
Silence des deux hauts fonctionnaires, qui
préféreraient sans doute rendre compte au Président du travail de
leurs services.
Sur les affaires de terrorisme, le gouvernement
laisse entendre que les responsabilités sont syriennes. Or la main
iranienne y semble omniprésente, ce qui plonge ledit gouvernement
dans un grand embarras : cela remet en effet en cause la politique
de normalisation avec l'Iran.
Mercredi 15 avril
1987
Le Conseil des ministres commence par un exposé de
Jean-Bernard Raimond sur les propositions soviétiques de
désarmement et sur son voyage en Pologne.
Jacques Chirac glisse :
Ce voyage, très bien organisé, a été très
réussi.
Le Président prend alors
la parole :
Sur la Pologne :
Comme vous le savez, j'avais reçu M.
Jaruzelski, il y a dix-huit mois, à Paris. Cela a suscité, c'est le
moins qu'on puisse dire, quelques remous. Je remarque qu'aucune
contestation n'a été opposée à d'autres responsables politiques
allemands, britanniques, sans parler du Pape... J'avais indiqué à
M. Jaruzelski que rien ne serait possible tant qu'il n'aurait pas
accompli un certain nombre d'actions symboliques ou pratiques, en
particulier d'autoriser la sortie de M. Geremek. Bon nombre de mes
demandes ont été satisfaites. C'est ce qui a rendu possible votre visite, qui a en effet été très utile. Il reste quelques
domaines où la Pologne doit faire un
effort. Ce n'est pas facile, en raison de sa situation, mais la Pologne, contrairement à
l'image qui s'est fixée, n'est pas du
tout le pays communiste le plus sévère sur le plan des libertés
publiques.
Sur le désarmement : Ce qui est intéressant, ce
n'est pas ce que les Soviétiques proposent,
c'est ce que les États-Unis acceptent. Cela dépendra de l'état
d'esprit de l'opinion publique américaine, du caractère du futur
Président, quel qu'il soit, et de sa situation politique. C'est ce
qui rend constamment difficile à prévoir l'attitude américaine dans
les relations avec l'Union soviétique. Nous ne serons jamais
assurés qu'elle soit prête à prendre des risques pour l'avenir de
l'Europe. Cela dit, si l'Europe tombait sous la domination
soviétique, les États-Unis deviendraient un petit pays ayant perdu
toute autorité morale... En tout cas, il n'y a pas de proverbe plus
sûr que : « Il faut s'aider soi-même. » La France doit s'arc-bouter
sur ses moyens de défense. Quant à la défense européenne, il ne
faut pas se contenter d'incantations. Tant qu'il n'y aura pas de
pouvoir politique, comment voulez-vous qu'il y ait un pouvoir
militaire ?
Édouard Balladur parle des travaux des G5 et G7
auxquels il a participé à Washington pour conforter l'accord du
Louvre. Il critique la Bundesbank, qui estime que toutes les
banques doivent acheter des marks, mais qui considère qu'elle peut
se limiter à acheter des dollars. Il critique aussi le chancelier
de l'Échiquier qui lui a donné le conseil de libérer tous les
mouvements de capitaux et à qui il a répondu qu'il ne manquerait
pas de suivre son avis quand la livre serait entrée dans le SME. Un
humour froid. Une maîtrise croissante des dossiers.
André Giraud rend compte de son entretien avec le
ministre de la Défense néerlandais. Comme il évoque une fois de
plus les risques de dénucléarisation de l'Europe liés aux options zéro, le Président le
reprend : La dénucléarisation
américaine...
Au Liban, la guerre des camps pousse toutes les
organisations palestiniennes non pro-syriennes, y compris le
Fath-Commandement révolutionnaire d'Abou Nidal, à se regrouper
contre la Syrie et Amal. Abou Nidal aurait révisé toute sa
stratégie. Il se serait engagé à se rallier à la déclaration du
Caire de Yasser Arafat (après l'affaire de l'Achille Lauro)
dénonçant toutes les formes de terrorisme, et à ne plus s'en
prendre à des Palestiniens. Pour autant, son organisation,
dissidente du Fath, n'obtiendrait pas le droit de siéger au Conseil
palestinien. C'est pour obtenir celle du FPLP de Georges Habache
que Yasser Arafat a annoncé l'abrogation de l'accord d'Amman.
Jeudi 16 avril
1987
François Mitterrand répond à Jacques Chirac, qui
lui avait écrit pour s'opposer à la seconde option zéro. Il lui
expose que la double option zéro n'entraîne pas l'Europe dans un
engrenage de dénucléarisation générale auquel elle ne pourrait plus
échapper. Pour lui, notre pays n'a donc pas de raison valable de
décourager les États-Unis de parapher un accord qui éliminerait ou
ramènerait à un niveau très bas les forces nucléaires
intermédiaires américaines et soviétiques en Europe.
Francis Bouygues et Robert Maxwell sont reçus par
Édouard Balladur pour la remise du chèque de 3 milliards
correspondant à l'acquisition de 50 % de TF1.
François Bujon redevient
parfaitement courtois : le prochain voyage de Jacques Chirac à
Moscou est, vient-il me dire, très compromis par les réticences
protocolaires des Soviétiques, qui ne
veulent ni le recevoir ni le traiter en chef d'État. Ce que l'on
peut comprendre... Il me raconte les entretiens de Jacques Chirac à
Londres. Margaret Thatcher, prévoit-il, va prendre parti pour la
première option zéro et contre la seconde, c'est-à-dire pour
l'équilibre à bas niveau des armes intermédiaires à courte portée.
Il considère qu'un accord européen peut encore se faire sur cette
base. Chirac s'apprête à l'expliquer à Helmut Kohl, à Strasbourg
(!). Par ailleurs, il me dit qu'il aimerait bien accompagner le
Président dans un de ses voyages... Enfin, il souhaiterait que le
Président fixe au plus vite le lieu du prochain Sommet
franco-allemand (21 mai). Les Allemands préféreraient une ville de
province, si possible touristique. On peut penser à Montpellier,
Grenoble, Rennes, Biarritz (ce qui permettrait d'aller à Latché),
Évian, Angoulême.
Le Président décide que ce Sommet aura lieu à
Paris.
Vers 21 h 30, l'Élysée est avisé par André Giraud
d'une demande d'aide des Tunisiens afin de déceler et neutraliser
un raid libyen, qu'ils estiment certain, visant à bombarder
l'ambassade américaine à Tunis. Le général Forray se rend à 23 h 15
à la cellule de crise du Quai d'Orsay, où se trouvent déjà
Jean-Bernard Raimond et François Bujon. Malgré l' alarmisme
tunisien, ce raid apparaît comme peu probable. D'après les textes,
nous ne sommes obligés à rien. Raimond téléphone à Jacques Chirac,
lequel demande à Forray d'appeler le Président pour obtenir son
assentiment aux mesures envisagées : alerte renforcée à Solenzara
(Corse), descente du Montcalm vers le sud, envoi d'un avion
Atlantic en écoute-détection au-dessus de la Tunisie. Le Président
donne son accord.
Un peu plus tard dans la nuit, André Giraud
appelle le général Forray pour lui dire qu'il ne souhaite plus
envoyer l'Atlantic, à cause des risques. Forray décide de ne pas
déranger le Président, d'autant que l'on apprend que les Tunisiens
ont présenté les mêmes demandes aux Américains. Il est donc prudent
de ne pas risquer une méprise entre avions. A 1 h 30, la cellule de
crise se sépare.
Tandis que Ronald Reagan
se déclare optimiste sur les chances de conclure un accord historique dès cette année, George Shultz, à
Bruxelles, informe ses alliés de l'OTAN de ses conversations à
Moscou et leur demande de prendre rapidement position sur la
seconde option zéro, qu'il approuve.
Les réticences européennes sont grandes : et si
tout cela n'était qu'une magnifique mise en scène soviétique
destinée à faire partir les armes américaines d'Europe et à pousser
ainsi les Américains à se désintéresser du sort du Vieux Continent,
le laissant seul face à l'URSS ? Certains Européens pensent que, de
toute façon, la France ne les défendra pas avec ses armes
nucléaires contre une attaque soviétique et que tout cela fait de
l'Europe une proie facile pour l'URSS.
François Mitterrand me
dit : Nous risquons d'aller vers la
liquidation totale du nucléaire à la fin du
siècle. Or, il y a des dirigeants sans volonté. Les puissances
nucléaires sont en première ligne là-dessus. Washington fabrique
des arguments de façon accélérée. Il faut freiner. La France
dispose d'un armement qui ne s'accroît pas. Elle ne veut s'en
servir qu'en restant au niveau où sa sécurité est assurée. La
France est prête à participer de bonne foi, à aider à la paix. Si
on ne freine pas dès maintenant, il y aura un accident. La France
refuse d'être un pays surarmé. Et la compétition dans l'espace et à
terre doit être évitée. Des deux côtés, le sentiment est que
l'autre ne respecte pas ses engagements.
Vendredi 17 avril
1987
Entrée en vigueur des sanctions commerciales
américaines contre le Japon.
Le Président, sur le
Tchad : Pour ce qui est du 16e parallèle, je
ne suis pas contre une évolution dans
l'avenir. C'est une décision politique avant d'être une décision
militaire. Il faut une préparation psychologique et politique
extrêmement fine.
Sur les négociations États-Unis/URSS à propos du
désarmement : Pas question que nous
participions aux réunions dans le cadre de l'OTAN, pas question de la réintégrer d'une façon ou d'une
autre. Sur le fond, il ne faut pas que la France ronchonne, il ne
faut pas que la France apparaisse antisoviétique, mais elle ne doit
pas non plus se montrer complaisante.
Lundi 20 avril
1987
Arrestation par la DST de huit ressortissants
étrangers (libanais, sénégalais, algériens, marocains) soupçonnés
de terrorisme.
Mardi 21 avril
1987
Le Président me dit :
Préparez-moi une lettre pour Reagan. Il faut
que je lui demande de réaffirmer son engagement à défendre
l'Europe, même sans armes nucléaires américaines en Europe. Sinon, les options zéro
n'auront pas de sens. Et les Européens
auraient raison de les refuser.
Mercredi 22 avril 1987
Au Conseil des ministres, exposé de Jean-Bernard
Raimond sur les problèmes de désarmement. Il explique qu'on
pourrait obtenir un accord avec un déploiement limité de 80 fusées
américaines dans la catégorie 500 à 1 000 kilomètres de portée.
C'est la position de Jacques Chirac. Pas celle du Président. Mais,
dit-il, si la RFA accepte la double option zéro, nous pourrions
l'accepter aussi.
André Giraud
prend la parole avec une louable
ténacité : Monsieur le Président, il y a une
notion que vous avez développée récemment, qui mérite d'être remise
sur le devant de la scène : celle de la réduction de l'armement
stratégique. La deuxième option zéro serait une étape déterminante,
je dirais la dernière, avant la finlandisation de l'Europe.
Là-dessus, M. Gorbatchev a été diabolique. Il a découplé le
désarmement concernant l'Europe du désarmement en
général.
Le Président sursaute au
mot « finlandisation » : Monsieur le ministre de la Défense, si M.
Gorbatchev est diabolique, alors ses prédécesseurs l'ont été aussi.
Durant toutes les années précédentes, ce débat portait sur les
armes intermédiaires et non sur les armes stratégiques. A Reykjavik
a eu lieu une négociation totalement improvisée du côté américain.
La position consistant à abandonner toutes les armes stratégiques
est totalement irréaliste. [André Giraud opine de la
tête.]
Revenons aux euromissiles :
pour nous, Français, tout l'armement soviétique est composé
d'euromissiles, puisqu'il est en Europe. Les Français se sont
contentés avec obstination et simplicité de dire que les États-Unis
et l'URSS n'avaient pas à disposer des armements français, qui sont
tous stratégiques. Il y a une unité parfaite de la politique
française en ce domaine. [André Giraud approuve, visiblement
satisfait.]
Quant à l'expression
finlandisation, si l'on devait aboutir à une neutralisation de
l'Europe, j'y serais naturellement défavorable. Que ce soit
l'objectif russe, certes, depuis au moins Pierre le Grand ! Que ce
soit dans l'intérêt des Européens, certes non ! Que ce soit dans le
comportement des Européens, cela n'est venu à l'idée de personne.
Peut-être certains Allemands sont-ils parfois tentés, mais ce n'est
pas la position des Chanceliers successifs, et sûrement pas la
nôtre. Quant aux propositions de M. Raimond, grosso modo, je suis
d'accord.
Le problème de la capacité de
première frappe est débattu depuis quarante ans. La position des
États- Unis et de l'URSS a varié selon qui était le plus fort.
Qu'il y ait une capacité de première frappe à partir de l'Europe
pour les Américains, c'est un avantage pour les Américains, mais il
n'est pas sûr que ce soit un avantage pour la défense de
l'Europe.
L'intérêt de la France est que personne ne puisse
faire usage de la première frappe. Je
vous rappelle qu'il ne s'agit pas de
gagner la guerre, il s'agit de ne pas
la faire.
Là, ni Giraud, ni Chirac, ni Raimond
n'approuvent.
Vendredi 24 avril
1987
Vu Édouard Balladur. Nous reprenons le projet
d'une réduction de la dette africaine : allongement des périodes de
remboursement jusqu'à vingt ans, prêts concessionnels, fonds de
stabilisation des prix des matières premières qui ont atteint leur
niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale.
François Mitterrand : Le
couplage défensif entre les États-Unis
et l'Europe n'est pas exclusivement et
mécaniquement lié à la nature et à l'emplacement des armes
nucléaires terrestres de l'OTAN, données contingentes qui ont varié
maintes fois depuis 1949. Il s'enracine d'abord dans la conscience
que les États-Unis ont de ce que la défense de l'Europe reste
vitale pour eux.
Dimanche 26 avril
1987
A La Trinité-sur-Mer, Jean-Marie Le Pen annonce
qu'il sera candidat aux élections présidentielles de 1988.
Lundi 27 avril 1987
Vu le père Wresinski, président d'ATD Quart-Monde.
Impressionné par sa force et sa rigueur. Est-ce de l'humour qui
perce derrière sa violence ?
Selon de multiples sources, l'ambassadeur de
France à N'Djamena épouse toutes les revendications de Hissène
Habré au point de les faire siennes, critiquant la politique menée
par la France depuis 1983, attaquant même le Président, affirmant
que la notion de « Tchad utile » est un non-sens. Dans le même
temps, il manifeste une grande irritation envers les autorités
tchadiennes qui lui ont fait attendre une audience de Hissène Habré
et qui ont donné priorité aux Américains pour étudier le matériel
saisi à Ouadidoum. Celui qui nous en parle évoque la tchadite : en cette saison, le climat est tel qu'il
arrive qu'une sorte de délire s'empare de certains individus.
Le Président envisage de demander le remplacement
du diplomate, mais pas dans l'immédiat. Quant à l'attitude du Tchad
vis-à-vis des États-Unis, il dit qu'il faut marquer le coup, mais
sans créer de rupture. Hissène Habré doit sentir notre mauvaise
humeur ; il faut qu'il y ait un ralentissement dans le flux
d'argent et de matériel que nous lui fournissons.
Jacques Chirac est tout à fait d'accord avec la
position du Président.
Les Soviétiques déposent à Genève leur projet de
traité de double option zéro. Ils ne reprennent pas l'idée de
troisième option zéro que Gorbatchev a esquissée devant George
Shultz il y a quelques jours.
Mardi 28 avril
1987
François Mitterrand :
L'URSS a sans doute comme arrière-pensée de
découpler la défense de l'Europe de l'Ouest de celle des
États-Unis. Mais ce n'est pas nouveau et il n'appartient qu'à nous
d'accepter ou de refuser ses propositions, selon qu'elles
coïncident ou non avec nos intérêts. C'est précisément parce que
nous voulons maintenir une défense forte qui ait le soutien des
peuples occidentaux que nous devons nous montrer cohérents avec
nous-mêmes, fermes et disponibles à la fois, et ne pas redouter
plus l'URSS quand elle accède à nos demandes que quand elle les
rejette.
Le Président écrit lui-même à Ronald Reagan et
confie la lettre à Jean-Bernard Raimond. Lettre très importante,
dont les thèmes vont être réévoqués à maintes reprises dans les
trois mois à venir. Il demande au Président américain, par-delà
l'accord avec les Soviétiques, de réaffirmer son engagement en
Europe. Certaines appréhensions se manifestent à ce propos,
explique-t-il, dans les pays européens de l'Alliance aussi bien
qu'aux États-Unis. D'aucuns craignent que la signature d'un ou de
deux accords d'option zéro avec l'URSS ne symbolise — ou ne
préfigure — un moindre engagement des États-Unis dans la défense de
leurs alliés européens, n'entraîne chez ces derniers une perte de
confiance dans la protection américaine, et ne fournisse aux
Soviétiques l'occasion d'exploiter cette situation. Pour François
Mitterrand, l'inquiétude européenne est réelle ; elle est nourrie
par l'Initiative de défense stratégique comme par le débat ouvert
aux États-Unis sur le retrait des troupes américaines stationnées
en Europe. L'un et l'autre peuvent laisser craindre que l'Amérique
ne se replie sur elle-même. Le Président des États-Unis est le
mieux placé, plaide le Chef de l'État, pour dissiper un pareil
sentiment et restaurer la confiance. Il suggère que la signature
des accords sur les forces nucléaires intermédiaires soit
l'occasion d'une réaffirmation solennelle et spectaculaire, par les
Alliés atlantiques, des engagements pris les uns envers les autres.
Les États-Unis réitéreraient leur détermination à défendre
l'Europe, et les Européens proclameraient leur volonté d'édifier,
en accord avec les États-Unis et dans l'Alliance, le pilier
européen de l'OTAN. Les uns et les autres souligneraient à nouveau
le rôle central de la dissuasion nucléaire pour leur sécurité
commune.
Une des filles du général Oufkir, détenue en
secret sur ordre de Hassan II, a pu s'échapper et appeler José
Artur, qui me prévient, entre autres. La presse s'empare de
l'affaire.
Mercredi 29 avril 1987
Au Conseil, intervention du Président après
l'exposé de Jean-Bernard Raimond : J'insiste sur l'aspect très
fâcheux de l'affaire des enfants d'Oufkir. Il ne doit y
avoir aucune indiscrétion, aucune intervention publique. Se tournant vers le
ministre des Affaires étrangères, le Président poursuit : C'est
vous qui devez garder la haute main sur
cette affaire, sans que personne
d'autre s'en mêle. Je crois que je me
suis fait bien comprendre. [Le Président fait allusion à une
intervention publique de Claude Malhuret.] Il
faut faire en sorte que leur situation
évolue favorablement, mais, en même temps, il ne faut pas que la
France apparaisse comme donneuse de leçons. Ce dossier doit être
géré par une seule personne, une seule administration, un seul
canal.
A propos du désarmement, le
Président déclare : Il y a des
tiraillements chez plusieurs de nos voisins.
La France n'a pas intérêt à être tout à fait en première ligne,
même si elle n'est pas naturellement indifférente.
Le Conseil adopte un projet de loi sur
l'indemnisation des rapatriés.
François Mitterrand se
plaint auprès d'Ivan Barbot, directeur de la Police nationale, et
de Bernard Gérard, patron de la DST, de n'avoir aucune information
sur les affaires d'espionnage: Dans l'avenir, il y aura des
difficultés ; je ne suis pas homme à laisser les choses en
l'état.
Fernand Wibaux, conseiller diplomatique du
gouvernement, part avec un message du Président à l'intention de
Hissène Habré. Il n'apporte aucune réponse à ses demandes. Il faut
d'abord que Habré fasse un geste envers la France. Le Président déclare par ailleurs : Le 16e parallèle n'est pas
forcément intangible ; mais c'est à nous d'en décider, et non à M.
Habré.
Des membres des services spéciaux du 11e choc (DGSE) se sont vantés dans un bar de
N'Djamena d'avoir été les véritables artisans de la victoire de
l'armée tchadienne sur les forces libyennes. Hissène Habré,
furieux, se plaint.
Jeudi 30 avril
1987
A propos du Tchad, André Giraud se montre très
va-t-en-guerre. Il est furieux que le 11e choc ait été mis en cause et ne veut plus rien
faire. Au contraire, Jacques Chirac, initialement prudent, veut
maintenant en découdre.
Le Président :
Je le calme...
François Mitterrand
grommelle : Les partis, les partis... Sous la
IVe, j'ai connu ce que
l'on appelle le « régime des partis », eh bien, ce n'était pas
brillant ! Les partis n'ont rien de sacré, pas de valeur en soi. Ce
qui compte, c'est la fraction de la communauté nationale que chacun
représente. A condition que ce ne soit pas un prétexte pour
représenter une simple coalition d'intérêts...
Vendredi 1er mai
1987
Réunion des sherpas à Porto Cervo, en Sardaigne.
Nous établissons une série de textes inoffensifs sur le
désarmement, le Nord/Sud, la dette. Le sommet s'annonce bien vide,
sauf sur le recyclage des capitaux vers le Tiers Monde, si les
Japonais veulent bien donner leur accord, et en attendant
l'inévitable proposition de dernière minute des Américains.
J'obtiens qu'un paragraphe mentionne une idée qui m'est venue en
séance : la création d'un comité international d'éthique sur le
sida.
Lundi 4 mai 1987
La réunion des ministres de l'Intérieur ne sera
pas à Sept, mais à Neuf, de par l'ajout de deux pays européens du
groupe de Trevi. On évite ainsi d'en rester au directoire du
Sommet.
Mardi 5 mai 1987
Le ministre des Finances ne tolère pas d'avoir dû
quitter le Louvre. Coût du retard pris par le chantier du Louvre du
fait de la réinstallation d'Édouard Balladur dans ses anciens
bureaux pour une si brève période : 25 millions de francs.
Mercredi 6 mai 1987
Avant le Conseil, le Président demande à Jacques
Chirac que soit différée la nomination d'un général à la direction
de l'École de cavalerie de Saumur, parce qu'il a critiqué
publiquement la capacité des chars français.
Le Président fait au
Premier ministre des observations sur ses débordements en politique étrangère. Chirac
proteste de sa bonne volonté.
Un peu plus tard, Maurice Ulrich téléphonera,
charmant, à Jean-Louis Bianco pour suggérer qu'avant la réunion de
l'OCDE, où il sera question du GATT, le Président voie Édouard
Balladur, ou que je tienne une réunion dans mon bureau avec les
directeurs de cabinet des ministres concernés, afin de définir la
position de la France. C'est la première fois depuis le 16 mars
1986 qu'il envisage une telle éventualité.
Le Président tiendra lui-même cette réunion.
Au Conseil des ministres, René Monory fait un
interminable compte rendu de son voyage au Brésil, qui n'intéresse
personne. Il est très fier d'avoir été reçu par les gouverneurs de
quatre États et par quatre ministres.
Après la communication de Philippe Séguin sur
l'apprentissage, le Président intervient : Ce texte a fait l'objet de pas mal
d'observations de la part du Conseil
économique et social et des différentes instances que vous avez
consultées. Vous indiquez que vous en avez tenu compte. C'est
important pour éviter que la
discussion ne tourne à l'aigre
sur un sujet de ce type.
Échange — plutôt pittoresque — avec Albin
Chalandon, garde des Sceaux, qui soumet au Conseil la demande du
juge qui réclame sa comparution comme témoin dans l'affaire Chaumet
!
Le Premier ministre :
C'est l'usage constant que les ministres ne se
rendent pas à une telle convocation.
Le Président, très
souriant : Il en est de même pour le Président
de la République.
Le Premier ministre :
C'est aussi l'usage.
Le Président :
D'ailleurs, vous savez que le Président de la
République est très souvent cité. [Se tournant vers Albin
Chalandon :] Mais là, vous auriez été invité à
venir comme témoin apparemment innocent.
Michèle Alliot-Marie rit ouvertement et échange
des clins d'œil ironiques avec Alain Juppé et Michèle
Barzach.
Dans l'après-midi, le Président reçoit pendant
quatre-vingt-dix minutes Valéry Giscard d'Estaing, qui,
visiblement, en est très heureux. En prenant congé, le Président le
taquine à nouveau à propos de son portrait — qu'il refuse toujours
obstinément de faire exécuter —, lequel devrait être installé dans
le vestibule du premier étage au côté de ceux des deux autres
précédents Présidents de la Ve
République, Pompidou et de Gaulle. Le
Président me prend à témoin : Vous voyez, il n'en
a pas envie. Il a peur d'être enterré
avant l'heure.
Valéry Giscard
d'Estaing: Non, non, ce n'est
pas cela... Je ne veux pas y figurer tant que
l'Histoire n'aura pas porté sur mon septennat un jugement
équitable...
Le Président :
On pourrait l'y mettre et si vous reveniez
ici, vous pourriez le faire enlever. Mais, au fond, ce n'est pas
cela. Vous devez avoir un vieux fond de superstition auvergnate. Je
comprends ça. Moi, je suis du Berry, et vous savez, dans le Berry,
les sorciers et les sorcières...
Le Parlement adopte la loi organisant le
référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie.
Une première dans un pays de l'Est : réunion à
Budapest du comité exécutif du Congrès juif mondial.
Manifestation à Moscou de l'organisation
nationaliste et conservatrice Pamiat (la Mémoire).
Le juge Michau se déclare incompétent dans
l'affaire Nucci.
Jean-Marie Le Pen est pour la troisième fois
l'invité de L'Heure de vérité. Il y
réclame la création de sidatoriums pour isoler les malades du reste
de la population.
Jeudi 7 mai 1987
Déjeuner avec Claude Cheysson.
Il s'inquiète pour l'avenir du Maghreb : Si l'on n'y apporte pas toutes les ressources financières
dont nous disposons, un jour prochain, ils basculeront dans le
fondamentalisme. On aura l'Iran à nos portes.
Vendredi 8 mai
1987
Les premiers programmes de la Sept sont diffusés
sur FR3.
Dans son bureau, le Président réunit Jacques
Chirac, Édouard Balladur, Jean-Bernard Raimond, Élisabeth Guigou,
Jean-Louis Bianco et moi à propos de la discussion commerciale du
GATT, lors de la prochaine réunion de l'OCDE.
Le Président : Il
va y avoir
la réunion de l'OCDE, il faut définir la
position de la France. Monsieur le ministre d'État, comment cela se
présente-t-il ?
Édouard Balladur :
Tout le problème est de savoir s'il existe une
chance d'accord dans le cadre de l'OCDE sans que les États-Unis
exigent plus à Venise. Cela me paraît chimérique. J'en conclus donc
qu'il ne faut pas faire trop de concessions à l'OCDE, cela n'en
vaut pas la peine. Je dois vous rendre compte, monsieur le
Président, du comportement toujours négatif des Allemands en
matière monétaire par rapport à leurs engagements. Ils font un
petit effort, mais cela ne
va pas plus loin.
Jacques Chirac : Oui,
monsieur le Président, j'ai d'ailleurs
dit au Chancelier
Kohl que cela ne pouvait pas continuer comme ça ; ou bien on
renonçait au système monétaire européen, et ce n'est pas notre
thèse, ou bien on l'approfondissait.
François Mitterrand : Il est
certain que les Allemands n'ont pas la pratique de la politique qu'ils affichent.
Jacques Chirac :
Et puis, il y a le problème de l'agriculture
!
François Mitterrand :
Le Sommet de Bonn a buté là-dessus, il y a
deux ans. Le Président Reagan est arrivé avec des complicités déjà
acquises par des négociations bilatérales préalables. J'ai toujours
dit qu'il n'était pas question de nouvelles négociations du GATT se
limitant à l'agriculture, avec pour objectif la mise à bas de la
politique agricole commune. Peut-être aujourd'hui y a-t-il un peu
de solidarité au sein de la Communauté européenne. Mais je n'en
suis pas certain.
François Mitterrand évoque à cette occasion un
souvenir du Sommet de Versailles de 1982. Alors qu'un accord était
sur le point de se conclure, Donald Regan, qui était à l'époque le
secrétaire d'État aux Finances américain, déclara à quelques
journalistes : On va céder sur le texte, mais,
après, on ne fera rien. Et le Président de poursuivre :
L'offensive américaine va être très dure, nous
devons être durs. C'est bien votre avis, monsieur le Premier
ministre ?
Jacques Chirac:
Oui.
François Mitterrand :
Monsieur le ministre des Affaires étrangères
?
Jean-Bernard Raimond :
Oui.
Édouard Balladur :
Il faut insister sur le problème de la
dette de l'Afrique.
François Mitterrand :
Oui, tout à fait. Vous savez que j'ai une
variante par rapport à vous à ce sujet. Je suis favorable, dans
certains cas, pour les pays les plus pauvres, à des abandons de
créances. Cela a d'ailleurs déjà été fait par certains pays, y
compris la France. Les États-Unis font dépendre leur aide au Tiers
Monde de leurs intérêts stratégiques. La Grande-Bretagne
sélectionne. Il n'y a que la France et les pays du nord de
l'Europe, y compris les Pays-Bas, qui aient une vraie
politique.
Jacques Chirac :
Je dois vous dire que je suis résolument
hostile à tout abandon de la dette, c'est un problème de
dignité.
Édouard Balladur reste impassible.
François Mitterrand :
Vous avez tort. En tout cas, nous sommes bien
d'accord: fermeté sur l'agriculture, sur le GATT, et insistez sur
le Tiers Monde.
On parle aussi du Tchad. Pas question pour nos
troupes de franchir le 16e
parallèle.
Lundi 11 mai
1987
Vu Françoise Giroud. Nous parlons longuement de
l'AICF, créée chez moi en 1979 et dont elle assure remarquablement
la présidence.
Jean-Louis Bianco plaide en faveur de la
candidature de François Mitterrand à un
second mandat. Celui-ci lui répond : Vous ne voyez que le « pour
» ; moi, je suis
obligé de voir le « pour » et le « contre », et cela n'est pas
seulement politique, comme vous semblez le croire ; il y a aussi
des considérations personnelles. Oui, je sais, on en a vu de plus
âgés. Mais Pétain, Clemenceau... Est-il besoin de rejoindre la
liste des séniles ?
Déclaration de Denis Baudouin, selon laquelle la
France aurait décidé de franchir au Tchad le 16e parallèle, ce qui est contraire à ce qui a été
convenu il y a deux jours entre le Président et le Premier
ministre. La discrétion la plus totale était prescrite, et le
Premier ministre avait même déclaré au Président, vendredi : Il me
semble sage de ne rien annoncer publiquement.
Le Président : C'est
misérable ! Certains comportements témoignent
d'une immoralité incroyable.
Jean-Louis Bianco
appelle Maurice Ulrich ; il lui fait part de l'extrême étonnement du Président et lui demande
des explications. Ulrich est très embarrassé et essaie d'expliquer
les propos de Denis Baudouin par un défaut de communication interne
à Matignon : le Premier ministre ne lui a rien dit là-dessus, et
Denis Baudouin aurait déduit, de propos que lui aurait tenus
Jacques Foccart, que celui-ci avait donné le
feu vert pour une déclaration.
François Mitterrand à
Berlin-Ouest pour le sept cent cinquantième anniversaire de la
ville : La France accueille avec
intérêt et satisfaction toute proposition de
désarmement.
Le procès de Klaus Barbie, officier SS jugé pour
crimes contre l'humanité commis en 1943 et 1944 à Lyon, s'ouvre
devant la cour d'assises du Rhône.
Mardi 12 mai
1987
Promenade rive gauche avec François Mitterrand : Rocard seul peut être
le candidat de tout le parti. Il est le plus
ancien. Et je n'ai aucune animosité contre lui. Je sais bien que
Rocard n'est pas de notre sensibilité, de notre filiation
historique. Mais c'est un homme intelligent. Il a fait ses preuves.
Il peut prétendre à de hautes fonctions. Il y a quinze ans, nous
n'étions pas grand-chose. En fondant le nouveau Parti socialiste,
nous nous sommes donné comme objectif de ramener les socialistes au
pouvoir. Il a fallu dix ans pour cela. Maintenant, il y a dans
l'opinion une crédibilité quant à la capacité des socialistes à
gouverner. Cela crée les conditions d'une alternance dont le Parti
socialiste est désormais l'un des pôles. Mais c'est encore très
fragile. Pour que cela devienne durable et que j'aie rempli ma
mission historique, il faudrait que je sois en mesure de faire
élire un autre socialiste à la Présidence de la République en
1988.
Le Président est très détendu. Il prononce un très
vibrant éloge de Pierre Mauroy, et un autre de Laurent Fabius,
insistant sur son côté brillant. Il s'agace néanmoins de lire, dans
la presse, des commentaires sur Fabius le présentant comme son «
fils spirituel » : En politique, on n'a
jamais d'enfants. Des amis, rarement.
Des disciples, pas longtemps. Mais une filiation, même spirituelle,
ça non !
Mercredi 13 mai
1987
Déjeuner avec Renato Ruggiero et David Mulford
avant la prochaine réunion des sherpas. Nous parlons du G7 et du
G5. Étonnante alliance : dans le G7, nous sommes les trois seuls à
vouloir des zones de référence monétaire.
Conseil des ministres. A propos de la réforme des
études médicales, qui provoque de l'agitation chez les étudiants,
le
Président: Je ne saurais trop
insister sur les bienfaits de la médecine
générale, bienfaits que chacun peut apprécier pour lui-même et pour
sa famille, et sur le sentiment qu'éprouvent les généralistes
d'être tenus pour la piétaille du corps médical. Il serait sage,
dans les circonstances présentes, de ne pas exacerber ce
sentiment.
A propos de la nomination d'un nouveau recteur en
Corse, le Président parle un peu de l'île : Il est nécessaire
d'avoir un homme de caractère pour s'opposer
aux agissements indépendantistes dans l'Université. J'espère que ce
sera le cas de celui que nous nommons.
Le Président parle de
son voyage à Berlin, rappelle qu'il y a été reçu officiellement par
le Président de la République fédérale, ce qui a constitué une
première : Évidemment, la souveraineté des
quatre puissances est une fiction, l'évolution est inévitable mais délicate, d'autant plus que les
Allemands sont en même temps très
attachés à la protection que leur assure le statut de
Berlin.
Jean-Bernard Raimond s'attarde sur les critiques
que ce voyage a suscitées en URSS. François
Mitterrand : Je ne suis pas exagérément
sensible aux critiques soviétiques.
André Giraud parle de sa participation à un
bivouac franco-allemand. Le Président
l'interrompt : Bivouac ? Qu'est-ce que c'est ? Je pense que c'est
ce que le ministre des Affaires étrangères
appellerait un lunch ?...
André Giraud :
En effet, il s'agissait d'une rencontre
sportive et militaire franco-allemande au cours de laquelle on a
bivouaqué et déjeuné.
Jean-Bernard Raimond
reprend en faisant part de sa très grande inquiétude devant
le caractère démoniaque de l'idée de
réunification de l'Allemagne lancée par Gorbatchev et poussée par
Genscher. Il fait allusion à la proposition soviétique,
reprise par Honecker le mois dernier, de corridor dénucléarisé
entre les deux alliances, corridor qui relierait les deux
Allemagne.
Le Président : Cette
tendance existe depuis la minute où le
traité de paix a été signé. Il serait surprenant que l'URSS ne joue pas de cet élément déterminant de
la politique allemande. Un jour ou l'autre, je ne sais pas quand, un
gouvernement français sera devant le
coup de théâtre d'une proposition de ce type. Monsieur le ministre, ce n'est pas longtemps après
que Cassandre a eu raison. Il y a beaucoup de Cassandre
ignorées...
Bernard Bosson, chargé des questions européennes,
rend compte d'une réunion à Bruxelles de ministres européens à
propos de la Défense. Il a entendu un ministre britannique
contredire un autre ministre britannique sur l'option zéro.
Le Président : Ce
n'est pas le privilège des seuls ministres britanniques
!
A propos de la discussion à l'OCDE sur
l'agriculture et l'aide au développement, Jacques Chirac, véhément: Il
n'est pas question d'accepter une réduction quantitative de la production agricole. Sur l'aide
au développement, le Japon dira des choses, et bien entendu ne fera rien. Il se rend compte qu'il est allé trop
loin, craint une fuite, et se corrige immédiatement : Bien entendu,
vous connaissez ma sympathie pour le
Japon et ses dirigeants, il n 'y a là aucune
critique dans mon esprit. Il se
tait, puis reprend : Ils feront des investissements ciblés dans
leur zone d'influence.
Il poursuit: Quand on parle
de l'aide au développement, tout le monde, y compris les
Néerlandais, qui ont pourtant le cœur en bandoulière lorsqu'il
s'agit du Tiers Monde, plongent le nez dans leurs dossiers. A
Venise, on voudra nous faire accepter une diminution de la
production agricole. Comment peut-on expliquer cela aux deux tiers du monde qui ont faim
? Il reprend là son idée — soufflée, semble-t-il, par François
Guillaume — d'envoyer les excédents agricoles européens dans le
Tiers Monde.
Le Président :
Il est vrai que le discours néerlandais est
souvent irritant, mais on ne peut pas ignorer qu'en pourcentage du
PIB, les Pays-Bas font un effort
supérieur au nôtre pour le développement du Tiers Monde.
Dans ce domaine, la France est
maintenant au quatrième rang après les pays scandinaves et la
RFA.
Jeudi 14 mai
1987
Article de Michel Noir
dans Le Monde : Mieux vaut perdre
l'élection présidentielle que son âme en
pactisant avec Le Pen et ses idées. Il appelle son
camp à dépasser les intérêts partisans.
Très courageux.
Vendredi 15 mai
1987
Voyage de Jacques Chirac à Moscou.
Dimanche 17 mai
1987
Un avion irakien attaque une frégate américaine
(Stark) dans le golfe Persique : trente-sept morts. C'est un
missile Exocet qui a frappé le navire. L'Irak affirme qu'il s'agit
d'une erreur.
Lundi 18 mai
1987
Vu longuement Édouard
Balladur pour parler du Sommet de Venise. Il me dit être
très satisfait de l'état actuel du projet de communiqué économique
que j'ai mis au point avec les autres sherpas à Porto Cervo :
Si les Japonais concrétisent leur accord sur
le projet de recyclage des capitaux, le gouvernement français
consacrera des crédits budgétaires à cette opération.
Je sais que les Japonais vont annoncer leur accord
avant Venise. Un accord de recyclage constituera donc un résultat
majeur du Sommet.
Par ailleurs, Edouard Balladur me parle longuement
du prochain Sommet franco-allemand : si des progrès peuvent être
faits sur les montants compensatoires monétaires, aucun accord
n'est imaginable sur le budget européen. Il est aussi tout à fait
déterminé à dire brutalement aux ministres allemands que
si des progrès ne sont pas accomplis sur le
SME, tout est possible — c'est-à-dire qu'il n'exclut pas la
sortie du franc du SME. Il me demande si le Président verrait un
inconvénient à ce qu'il redise cette phrase en séance plénière,
c'est-à-dire publiquement. Je lui réponds que cela pourrait avoir
des effets désastreux sur le marché.
Il me demande enfin si le Président a l'intention
de réunir le Premier ministre et les ministres qui doivent se
rendre à Venise avant ce Sommet.
François Bujon me raconte le voyage du Premier
ministre à Moscou, sans m'apprendre grand-chose de plus que ce qui
est dans la presse : Gorbatchev et Rijkov ont beaucoup insisté sur
la dégradation des relations franco-soviétiques depuis six ans,
malgré l'effort que le premier secrétaire a consenti en venant à
Paris en 1985. Les seuls exemples de dégradation que Gorbatchev
aurait cités sont l'affaire Variguine et les prises de position de
Michel Noir contre les violations des droits de l'homme en
URSS.
Sur les missiles, Mikhail
Gorbatchev a déclaré : Nous sommes très déçus de l'attitude de la France. Nous espérions qu'elle
comprendrait qu'il y a là une occasion unique à saisir et qu'elle
nous aiderait à désembourber le char du désarmement en parlant aux
autres Européens. Elle fait le contraire, et cela nous déçoit
beaucoup. Gorbatchev n'a pas voulu entrer dans une
discussion sur les armes intermédiaires
et Jacques Chirac se serait contenté d'une réflexion philosophique générale sur l'importance de
l'équilibre nucléaire et du caractère global du désarmement.
Il aurait cité le discours de 1983 du Président à l'ONU, mais il
est probable qu'il a dû expliquer en quoi il était contre les
propositions d'option zéro.
Mardi 19 mai
1987
Pataquès diplomatique : reprenant une idée émise
l'année dernière et tombée dans l'oubli, se prépare sans notre
accord pour fin mai, à Paris, sur l'initiative des Américains et de
Charles Pasqua, une réunion à Sept des ministres de l'Intérieur.
Pas question ! Toute réunion de ministres à Sept ouvre la voie à un
directoire à Sept. Le Président l'a toujours refusé. Par deux fois,
en 1985, nous avons même laissé vide la chaise de la France à une
réunion de ministres de l'Intérieur des sept pays convoquée par les
Allemands, que nous n'avions pu empêcher. Si cela se réalisait, les
Américains en concluraient que la France s'est résignée ; nous ne
pourrions plus refuser la moindre réunion de ministres à Sept sur
tous les sujets : Affaires étrangères, Agriculture, Commerce
extérieur. De surcroît, en termes d'efficacité, la lutte
antiterroriste n'a rien à y gagner. De l'avis de Pierre Verbrugghe,
les Américains ne disent rien dans ce genre de réunion ; ils ne
parlent que dans les réunions techniques, à Trevi ou
ailleurs.
Sans compter que nous ne sommes pas les hôtes du
Sommet des Sept, et les Italiens seront furieux de nous voir
organiser une réunion à Sept sans les avoir prévenus. Il faut soit
retirer cette invitation (ce serait le mieux), soit l'étendre à
d'autres pays que les Sept, soit, en dernier ressort, la repousser
à après Venise.
Vu longuement François Bujon ce matin, après
l'avoir eu au téléphone hier soir. Ni lui, ni le Quai d'Orsay, ni
le directeur de cabinet de Charles Pasqua ne sont informés d'une
telle réunion. En revanche, Maurice Ulrich est au courant, et cette
réunion est bel et bien prévue. Comme le Quai d'Orsay, Bujon y est
très hostile. Il a expliqué à Ulrich qu'elle serait contraire à
toute notre attitude à l'égard de ces Sommets depuis six ans, et
qu'elle n'a pas de raison d'être. (Je n'obtiendrai pas son
annulation, mais j'obtiendrai qu'on l'élargisse à d'autres
pays.)
Mercredi 20 mai
1987
Avant le Conseil des ministres, François Mitterrand reparle à Jacques Chirac de cette
réunion à Sept. Il lui rappelle la position constante de la France
sur le sujet : Accord entier pour la
coordination de la lutte contre le terrorisme, mais opposition
totale à une sorte de directoire à Sept.
Le Président :
Que M. Pasqua convoque cinq, neuf, douze ou
vingt-deux ministres de l'Intérieur, très bien. Mais pas à Sept
!
Jacques Chirac, très
embarrassé, répond qu'il va
essayer...
François Mitterrand :
Essayer, cela ne suffit pas.
Avant de descendre au Conseil, le Président s'adresse à nouveau à Jacques Chirac :
Je m'interroge sur la mutualisation du Crédit
Agricole, sur ses conséquences juridiques et même
constitutionnelles. Les caisses régionales sont les seuls acheteurs
de cette privatisation. Les agriculteurs restent entre eux,
conformément à une vision très corporatiste, alors qu'il y a
aujourd'hui beaucoup d'autres parties prenantes au Crédit Agricole.
Je pense qu'il est très important de ne pas léser l'État dans cette
affaire. Le monde paysan mesurera d'ailleurs rapidement à quel
point la réussite indiscutable du Crédit Agricole est due pour
beaucoup aux décisions de l'État. Car cette transformation pourrait
remettre en question bien des avantages acquis.
Jacques Chirac :
Sur le plan juridique, il n'y a pas le moindre
problème. [Ce qui est faux.] Sur le
plan politique, c'est effectivement un projet qui est
discuté. Le monde de la mutualité est
tout à fait pour. Le syndicalisme agricole suit, plutôt par
solidarité. Au fond, c'est un risque
qu'il appartient à la profession agricole
de prendre.
François Mitterrand : Je
serais syndicaliste agricole, je ne
serais pas rassuré
pour l'avenir.
Jacques Chirac : Vous
rejoignez les sentiments des jeunes agriculteurs.
En Conseil des ministres, le
Président reprend en la résumant sa démonstration :
Cette transformation du Crédit Agricole ne va
pas forcément servir les intérêts des agriculteurs. Le pourcentage
des sièges attribués aux représentants des agriculteurs dans les
caisses régionales a soulevé des objections du Conseil d'État et
pourrait provoquer des difficultés au Conseil
constitutionnel.
Charles Pasqua et Michel Aurillac ayant été cités
à comparaître dans le procès qui les oppose au Monde, Jacques
Chirac répète que la tradition veut que les ministres ne
comparaissent pas. Ils ne comparaîtront donc pas.
René Monory parle de l'accord Erasmus.
François Mitterrand :
Je me réjouis de cet accord. Cela n'a pas dû
être facile. L'accord sur les
idées, c'est facile; mais, quand il s'agit de
payer, c'est plus dur.
Le Conseil autorise le Premier ministre à recourir
à l'article 49-3 pour accélérer la discussion du projet de loi sur
l'aménagement du temps de travail, qui dure depuis deux
semaines.
François Mitterrand :
La Nouvelle-Calédonie exige beaucoup de
sérénité. Je suis révolté par ce qui s'y passe. Il faut y dissoudre
les milices privées.
Un peu plus tard, le
Président me confie à propos d'André Giraud et de ses
nouvelles idées sur le désarmement : C'est un
esprit en bouillonnement permanent, qui raisonne comme un
polytechnicien. Il voudrait que nous passions notre temps à nous
mêler de ce qui ne nous regarde pas!
Jean-Christophe Mitterrand est parti pour
N'Djamena où semble régner un grand désordre. André Giraud est
toujours très remonté contre Hissène Habré. Jacques Chirac n'a pas
le temps de prendre des décisions. Maurice Ulrich n'en a pas le
pouvoir. Michel Aurillac se rendra à N'Djamena le 27.
Le Comité central du PCF désigne André Lajoinie
comme candidat à la présidentielle.
Jacques Chirac engage la responsabilité du
gouvernement sur le projet de loi d'aménagement du temps de
travail. C'est la huitième fois depuis le 2 avril 1986 !
Aveu de faiblesse pour Pierre Joxe, qui dépose une motion de censure au nom
du Parti socialiste.
Michel Camdessus me téléphone : le projet de
recyclage des capitaux pour la dette des pays « intermédiaires »
avance vite avec les Japonais.
L'évolution de la position allemande peut mettre
au premier plan, dans les jours qui viennent, le problème des armes
nucléaires d'une portée inférieure à 500 kilomètres. Le Chancelier
Kohl déclare qu'il faut prendre en considération ces armements dans
la négociation sur la première et la seconde option zéro... Prendre
en considération et non pas prendre en
compte. Cela veut dire que, conformément à ce que Hans-Dietrich
Genscher commence à déclarer, l'Allemagne souhaitera que soit
rétablie par la négociation, dans cette catégorie, l'égalité des
forces, alors que l'Union soviétique dispose actuellement d'une
très forte supériorité grâce à ses Scud et à ses Frog : il y a 1
255 armes soviétiques face à 88 armes américaines.
Les États-Unis, l'OTAN et Margaret Thatcher
envisagent de déployer de nouvelles armes du côté américain pour
rééquilibrer. Il vaudrait mieux rééquilibrer par le bas...
Je consulte successivement Charles Powel et Horst
Teltschik par télégramme.
Powel considère qu'il faut absolument décrocher un
accord européen sur les armes intermédiaires avant le Sommet de
Venise et propose une rencontre à Paris en fin de semaine
prochaine.
Teltschik me raconte le déjeuner d'aujourd'hui
entre Amintore Fanfani et Helmut Kohl. Le Chancelier pense, après
cette rencontre, qu'il faut arriver à un accord entre Européens sur
les armes intermédiaires dans les dix
jours. Il propose aussi que nous nous voyions à trois très
vite. Il se montre très amer vis-à-vis des Britanniques qui lui
avaient promis de faire un pas en faveur de sa position.
A propos de la prochaine réunion des Sept
ministres de l'Intérieur, les Japonais s'affolent : qu'en
attendons-nous en matière de lutte contre le terrorisme ?
Le sherpa japonais : Une telle conférence est-elle compatible avec le processus
retenu pour la préparation des Sommets occidentaux par les
sherpas ? N'y a-t-ilpas là un risque de
duplication et de confusion des genres ? Cette initiative ne
va-t-elle pas dans le sens contraire à la doctrine constante de la
France selon laquelle les Sommets à Sept ne doivent pas fournir
l'occasion de créer de nouvelles enceintes ou de nouvelles
institutions ?
Les Italiens aussi paniquent. Ils ont appris par
les Américains l'existence d'une initiative franco-allemande
tendant à réunir les ministres de l'Intérieur des sept pays
concernés. L'effet de surprise passé, la Présidence italienne
s'interroge sur cette initiative : Tient-elle toujours debout ? Quel est le sentiment de la France
à son égard
? A Rome, on n'ose y croire.
Dîner entre Fanfani et François Mitterrand à Paris
:
Amintore Fanfani :
On ne gagne pas une élection avec un bilan,
mais avec une espérance.
François Mitterrand :
Vous avez raison ; en France, celui qui
réussira à la créer en 1988 gagnera l'élection.
Jeudi 21 mai 1987
Philippe Séguin m'explique longuement son état
d'esprit, qui l'amène à renoncer à accompagner le Président dans
son voyage au Canada alors qu'il a demandé à y être invité :
J'avais proposé de rétablir le 1 % [de
prélèvement exceptionnel sur les revenus pour la Sécurité sociale]
dès avril 1986, mais Matignon avait refusé.
Comment reprocher maintenant aux socialistes de l'avoir supprimé
alors que je ne l'ai pas rétabli tout de suite ?
J'ai appris au cours d'une
réunion à Matignon avec les syndicalistes qu'on allait réunir des
états généraux sur la Sécurité sociale, alors que j'étais contre.
J'ai appris par la presse qu'on créait une commission d'experts
pour les préparer, alors que j'étais contre. J'apprends, en
lisant Le Monde d'hier, que M. Balladur
et M. Juppé veulent taxer tous les revenus, alors que je
suis contre. Cette situation ne peut
pas durer!
Il n'y a plus de pilote dans
l'avion. Toute la semaine prochaine va être consacrée à
hésiter sur une décision à propos de la
Sécurité sociale. Si je pars au Canada avec le Président, ils
m'imposeront quelque chose d'absurde.
Je suis tout à fait désolé de
ne pouvoir partir, et j'écris une lettre personnelle
au Président pour expliquer mon
désistement.
Vendredi 22 mai
1987
Le Président écrit à Jacques Chirac à propos de la
réunion des ministres de l'Intérieur pour dire que, s'il est bien
entendu tout à fait favorable à tout ce qui peut renforcer
utilement la coopération internationale dans la lutte contre le
terrorisme, il s'est toujours opposé à toute institutionnalisation
de réunions à Sept sur n'importe quel sujet. Il rappelle que les
sommets des grands pays industrialisés doivent être consacrés à une
concertation sur les grandes questions économiques, et qu'il ne
saurait être question d'accepter, pas plus aujourd'hui qu'hier, de
les voir transformés en directoire politique mondial. Il existe,
souligne-t-il, des formes bilatérales et multilatérales de
coopération contre le terrorisme, en particulier le groupe dit de
Trevi, qui réunit les douze pays membres de la Communauté
européenne. Pourraient s'y adjoindre, pour la réunion à Paris des
ministres de l'Intérieur, les pays dont la présence semblerait
nécessaire. Autrement dit : oui à une réunion, mais pas à Sept
!
Vu Jean-Bernard Raimond. Il est contre la seconde
option zéro et, évidemment, également contre la troisième.
Le 49e Sommet
franco-allemand s'ouvre à Paris. Réunion entre Helmut Kohl,
François Mitterrand et Jacques Chirac. On discute de la Politique
agricole commune et du GATT avant le Sommet de Venise.
François Mitterrand :
Il faut définir une position d'attente sur
l'agriculture.
Jacques Chirac :
La presse va poser des questions.
François Mitterrand :
Oui, mais enfin, il ne faut pas s'occuper que
de la presse.
On parle aussi du désarmement et de la troisième
option zéro que les Allemands se disent prêts à prendre en considération.
Impolitesse : je reçois, pour la communiquer au
Président, une note du directeur de cabinet du Quai d'Orsay, Éric
Desmarets, adressée à Maurice Ulrich, à propos de la position que
Jean-Bernard Raimond entend prendre dans son entretien de tout à
l'heure avec le ministre pakistanais des Affaires étrangères,
Yacoub Khan, au sujet de la coopération nucléaire
franco-pakistanaise. Il s'apprête à lui dire que nous sommes prêts
à étudier la livraison d'une centrale française. Le Président refuse de se prononcer : On n'avait qu'à me saisir plus tôt. La position de
Raimond est cependant très proche de celle de Claude Cheysson : oui
à la coopération nucléaire, mais à condition qu'il n'y ait rien de
dangereux ni de « proliférant ».
Jean-Bernard Raimond communique aussi à l'Élysée
son projet de lettre à George Shultz à propos du désarmement
conventionnel : pas de négociations d'alliance à alliance ;
négociation à 35, pas à 15 contre 8. La lettre est approuvée telle
quelle par le Président.
Lundi 25 mai
1987
François Mitterrand se rend en voyage officiel au
Canada jusqu'au 29. Entretien en tête à tête entre le Président et
Brian Mulroney dans le parc de la résidence présidentielle.
Brian Mulroney :
Le gouvernement canadien est divisé sur le
point de savoir s'il faut s'adresser à la France pour s'équiper en
sous-marins à propulsion nucléaire. Moi, j'étais très favorable à
cette solution, mais le dossier est très mal parti depuis que M.
Giraud a dit à notre ministre de la Défense: « Je vous poserai
seulement deux questions : est-ce que vous êtes capables de payer ?
Est-ce que les Américains vous le permettront ? » Vous comprenez
que nous ayons jugé cela offensant!
Les questions sont bonnes. La manière ne l'est
pas, quand il s'agit de plaire à un client...
Bernard Boyer, directeur d'Amérique au Quai,
déclare à quelques journalistes qui suivent le voyage que ce que
dit François Mitterrand sur le Canada ou le Québec n'a aucune
importance, puisque la diplomatie dépend de Matignon. François
Mitterrand demande son remplacement.
Mikhaïl Gorbatchev est à Bucarest. C'est la
première visite d'un secrétaire général du PCUS depuis 1976. Il
lance un appel à la démocratisation de la société, seule voie à
emprunter pour réaliser les restructurations nécessaires.
Mardi 26 mai 1987
La motion de censure déposée par les socialistes
sur le projet de loi d'aménagement du temps de travail est votée
par 250 députés. Il en a manqué 49 pour qu'elle soit adoptée.
Charles Pasqua a accepté de composer : ce sont
neuf ministres qui se réunissent à Paris, et non pas sept, et il
n'est fait aucune référence au Sommet de Venise. Cela n'empêche pas
les responsables britannique et américain de déclarer que cette
réunion constitue une préparation pour le Sommet de Venise.
Au cours de la réunion, Maurice Ulrich intervient
à de nombreuses reprises pour éviter des dérapages. Jean-David
Levitte, directeur adjoint du cabinet de Jean-Bernard Raimond, de
même que François Guillaume, directeur des affaires juridiques
internationales au Quai d'Orsay, se montrent tout à fait à la
hauteur.
François Mitterrand reçoit Helmut Kohl, venu voir
Jacques Chirac.
Le Président :
Je me réjouis de vos contacts avec le Premier
ministre. Je ne regarde pas les problèmes par le petit bout de la
lorgnette, et je me réjouis que vous soyez l'hôte de la
France.
Helmut Kohl :
Je connais la Constitution ; le plus
important, ce sont les rencontres entre le Président et le
Chancelier. Et plus encore entre François Mitterrand et moi-même
!...
Sur le terrorisme, la
conférence des ministres de l'Intérieur doit réfléchir à
l'intensification des contacts. Les terroristes se recrutent parmi
les classes aisées. La Police a de gros problèmes pour infiltrer
ces milieux. Ce sont des petites cellules très fermées. En RFA,
l'époque nazie et la culpabilité sont évacuées de la
conscience...
Mercredi 27 mai
1987
256 députés RPR, UDF et FN déposent sur le bureau
de l'Assemblée nationale une demande de comparution de Christian
Nucci devant la Haute Cour de justice. Les socialistes répliquent
en réclamant celle de Charles Pasqua pour avoir délivré à Yves
Chalier son « vrai-faux » passeport.
L'accord sur la seconde option zéro bute toujours
sur le même obstacle : il faudrait que les États-Unis obligent les
Allemands à renoncer aux Pershing 1A, leurs fusées nucléaires.
S'ils ne veulent pas prendre le risque d'une crise avec la RFA, ni
l'humilier, l'accord sur la seconde option zéro sera
impossible.
Tout cela va intensifier les pressions sur la
France pour qu'elle accepte un compromis avec les thèses
américaines sur les modalités des négociations conventionnelles. On
nous fera valoir que notre refus de lier nucléaire et conventionnel
complique cette négociation. Le problème de nos armes nucléaires à
courte portée sera reposé. Des pressions accrues s'exerceront
également en faveur de l'augmentation et de la modernisation des
forces conventionnelles de l'OTAN.
Le gouvernement allemand se réunit demain pour se
prononcer sur la seconde option zéro. Que va-t-il faire ?
Margaret Thatcher veut toujours sa réunion à
Quatre. Le Président n'en veut pas :
Réglons les problèmes, on verra
après.
Jeudi 28 mai
1987
Le Sommet annuel du Pacte de Varsovie se réunit à
Berlin-Est. La seule véritable nouveauté est la proposition faite
aux pays de l'Alliance de tenir des consultations ayant pour objectif de comparer les doctrines
militaires et de discuter les déséquilibres militaires.
Si cette proposition devait être acceptée par nos
partenaires de l'Alliance, elle permettrait de disposer de toute la
gamme de forums possibles pour le dialogue Est-Ouest : un bilatéral
américano-soviétique sur le nucléaire; un multilatéral paneuropéen
sur le nucléaire et le conventionnel (c'est le cas des futures
négociations à Trente-cinq qui, dans l'optique soviétique, incluent
le nucléaire tactique) ; enfin, un bloc à bloc sur le nucléaire et
le conventionnel.
Vendredi 29 mai
1987
Philippe Séguin a obtenu gain de cause : mesures
d'urgence (hausse des cotisations d'assurance-maladie et
vieillesse) pour le financement de la Sécurité sociale : 21,3
milliards.
Dès le retour du Canada, Horst Teltschik et
Charles Powel viennent à Paris déjeuner avec moi à l'Élysée.
Teltschik nous raconte la discussion de la veille au sein du
gouvernement allemand, la plus terrible depuis
vingt ans, dit-il. Le gouvernement allemand s'est résigné à
accepter la double option zéro, espérant, sans trop y croire,
conserver les Pershing 1A. Le Chancelier annoncera cela jeudi
prochain. Le lendemain, une réunion à Bruxelles des ambassadeurs à
l'OTAN devrait l'entériner (sauf l'Espagne, la Norvège, la Grèce,
le Danemark et peut-être les Pays-Bas, qui veulent s'assurer de la
destruction des Pershing 1A), ce qui permettrait de présenter un
front commun des Européens avant le Sommet de Venise.
L'affaire de l'ambassade d'Iran à Paris évolue. Le
juge Boulouque délivre une commission rogatoire concernant Wahid
Gordji. Il estime que cet attaché d'ambassade iranien peut avoir
été en relation avec certains des inculpés des deux réseaux
terroristes pro-iraniens démantelés ces derniers mois en France. Au
cours de leur interrogatoire, plusieurs des principaux inculpés, en
particulier le Franco-Libanais Mohamed Mouhajer, n'ont pas fait
mystère de leurs relations avec Gordji. Les enquêteurs ont établi
qu'une BMW ayant appartenu à Mouhajer était devenue la propriété de
Gordji.
Samedi 30 mai
1987
Les treize pays du Forum du Pacifique-Sud
dénoncent le référendum en Nouvelle-Calédonie.
Dimanche 31 mai
1987
Nouvelle réunion de sherpas, en partie à Venise, à l'hôtel Gritti, en
partie dans une villa de Palladio, près de Venise. Difficile de se
concentrer dans un tel cadre...
La semaine prochaine, le Sommet de Venise
consacrera le dîner de lundi et le mardi, déjeuner compris, aux
sujets politiques, entre chefs de délégation seuls. Il approuvera
les textes élaborés entre sherpas sur le désarmement Est/ Ouest, le
terrorisme, peut-être la guerre Iran/Irak. Ces textes seront rendus publics en
début de l'après-midi de mardi. Cet aspect du Sommet sera très
conflictuel. Il pose de redoutables problèmes d'explication.
Nous aurons en outre obtenu l'accord sur le
recyclage des capitaux des pays à surplus vers le Sud, et sur la
création d'un comité d'éthique sur le sida.
Lundi 1er juin 1987
Le Président reçoit à
déjeuner Françoise Sagan, Maria Pacôme et François-Marie Banier. Il
leur répète qu'il n'a pas l'intention d'être candidat à l'élection
présidentielle. Il parle de Pierre Laval, et, tout en condamnant
son action, le défend plutôt : C'était, dans
le personnel politique de l'avant-guerre, le seul, avec Léon Blum
et André Tardieu, à avoir une véritable stature. Mais son manque de
convictions et sa trop grande confiance en soi l'ont perdu.
Le Président ajoute cette formule étrange à son propos : Il y
a des moments dans la vie où les événements se précipitent sur vous comme un mur
de glace ; le héros essaie d'empêcher que les deux côtés se
rejoignent, il meurt écrasé. Les autres essaient de trouver un
passage...
Avec deux jours d'avance sur ce qu'a prédit Horst
Teltschik, le gouvernement allemand annonce qu'il approuve
officiellement la double option zéro, moyennant le maintien des 72
Pershing A.
Provocation : François
Léotard, dans une interview au Point, reproche au RPR un
goût pour le pouvoir sans partage, et
traite ses membres de moines-soldats. Il s'affirme ni chiraquien,
ni barriste.
Édouard Balladur pousse Jacques Chirac à réagir
brutalement.
Mardi 2 juin
1987
Jacques Chirac convoque François Léotard. A
l'issue de la réunion, communiqué de Matignon : Il faut savoir choisir entre les fonctions ministérielles
et le rôle de militant.
Menaces de démission de la « bande à Léo ».
Shimon Pérès me téléphone : il souhaiterait faire
une tournée en Europe et rencontrer le Président, ainsi que
Margaret Thatcher. Jean-Bernard Raimond est actuellement à
Jérusalem, mais le message n'est pas passé par lui.
Mercredi 3 juin
1987
Charles Pasqua et Robert Pandraud me prennent à
part, avant le Conseil, pour me raconter la réunion des neuf
ministres de l'Intérieur de la semaine dernière. Le ton de
l'entretien est aimable et confiant :
Nous avons vu chaque ministre
avant et leur avons dit, conformément à ce que souhaitait le
Président, qu'il n'était pas question d'institutionnaliser
ces réunions ni de les faire à Sept. Nous
avons exposé à nos partenaires nos résultats en matière de
terrorisme.
Les autres ne nous ont rien
dit, sinon que chacun s'attend à une vague de terrorisme chez lui. En France même, nous nous attendons à
des commandos-suicide iraniens (ils sont fonnés, mais n'ont pas
quitté l'Iran); à des attentats libyens à la Réunion et en
Nouvelle-Calédonie.
Ce genre de réunion sert
surtout à permettre aux politiques de contrôler leurs services.
Aucune autre réunion n'est prévue pour l'instant. Enfin, nous
n'avons jamais laissé savoir que l'Élysée ne couvrait pas cette
opération.
Sans qu'une décision formelle
soit prise, il a été entendu qu'une nouvelle réunion en formation
identique (les Sept, plus la « troïka » de Trevi) aurait lieu juste
avant le prochain Sommet au Canada.
Le ministre américain a
beaucoup insisté pour obtenir qu'un véritable directoire soit mis
en place, avec secrétariat, groupe de travail et rapport détaillé.
Rien de tel n'a été décidé.
Par contre, plusieurs
délégations (États-Unis et Canada) ont dit que le texte préparé
pour Venise n'était pas suffisant, et il faut donc s'attendre à une
nouvelle contre-attaque au Sommet pour que le texte soit modifié, que la
réunion des ministres de l'Intérieur y soit mentionnée
positivement, et que le principe d'une collaboration
institutionnelle à Sept soit décidé...
Je comprends que les bénéfices tirés de cette
rencontre sont purement politiques : l'affichage d'une volonté de
coopération internationale ne peut qu'être payant auprès de
l'opinion. Cette initiative place la France en flèche dans la
course à la coopération antiterroriste, mais elle apparaît avant
tout comme un succès inattendu de la diplomatie américaine, un an
après l'affaire libyenne et quelques jours avant le Sommet de
Venise. Enfin, en termes de coopération technique et
opérationnelle, les résultats sont, pour l'instant, nuls. Aucune
décision précise n'a été prise lors de la rencontre, qui n' a pas
réellement abordé cet aspect. En revanche, une reprise des sujets
débattus au sein du groupe de Trevi (échange d'informations,
réseaux de communication, etc.) semble être désormais
envisagée.
Mesuré à l'aune des principes qui ont jusqu'à
présent guidé notre politique étrangère en matière de terrorisme,
le bilan de cette réunion est préoccupant : le chaînon
euro-américain tant recherché par l'Administration Reagan est enfin
trouvé. L'objectif inavoué de Washington est de l'introduire dans
le processus de décision des Douze en matière de terrorisme, en
particulier en ce qui concerne la politique de sanctions à l'égard
des États impliqués dans des actes de terrorisme. Cette formation
aboutit à exclure de la table des pays gênants pour les Américains
(Grèce), des États particulièrement visés par le terrorisme
(Espagne, Irlande), et des États très engagés dans la construction
européenne (Pays-Bas). La solidarité des Douze est ainsi, de fait,
mise à mal.
Le Congrès américain réclame à intervalles
réguliers la constitution de 1'« OTAN
de l'antiterrorisme ». Vis-à-vis des pays du Tiers Monde,
l'alliance des pays riches, vieilles nations colonialistes et
puissances impérialistes, à quelques jours du Sommet de Venise,
diminue la portée de notre discours dans le dialogue Nord/Sud. Le
gain en termes d'efficacité opérationnelle est nul.
Avant l'ouverture du Conseil, j'observe les
séquelles de 1'« affaire Léotard ». Un peu de tension dans l'air.
Alain Madelin et Hervé de Charette sont plutôt « rigolards ».
François Léotard a les traits tirés. Il a un long aparté avec André
Rossinot et Pierre Méhaignerie avant l'arrivée du Président et du
Premier ministre.
Le Conseil commence. Jacques Chirac annonce la
reconduction du général Biard comme grand chancelier de l'Ordre de
la Légion d'honneur.
Le Président :
C'est la sagesse. Il est respecté, remplit
très bien ses fonctions. Il ne doit pas être très âgé — pas plus
que moi, en tout cas.
Après l'exposé routinier de Jean-Bernard Raimond,
André Giraud prend la parole :
Nous avions évoqué la position que devait
prendre notre gouvernement sur la deuxième option zéro, et indiqué
notre préférence pour 80 têtes de chaque côté. J'entends dire
aujourd'hui que nous allons accepter cette deuxième option zéro. Je
tiens à souligner qu'il s'agit là d'un recul
Jacques Chirac sursaute
: Nous avons assisté à une évolution sur le
désarmement, d'ailleurs prévisible, à
savoir un alignement progressif sur les Américains des Européens
concernés. La France n'est pas directement concernée et ses forces
nucléaires ne sont pas en cause. La France réagit en fonction non
pas de ses intérêts nationaux, mais dans un souci de solidarité
européenne. La France est favorable à des accords équilibrés
globaux et vérifiables entre les États-Unis et l'URSS, mais elle
rappelle que la dissuasion nucléaire est indispensable en Europe.
Pour la France, les véritables priorités du désarmement sont la
réduction des armements stratégiques des superpuissances et la
correction des déséquilibres conventionnels et chimiques en
Europe.
Position impeccable, mais qui ne tranche pas sur
l'essentiel : les relations avec la RFA.
François Mitterrand met
les pieds dans le plat : La position de la
France n'est pas de soutenir l'idée de 80 têtes de chaque côté.
C'est un chiffre un peu fantaisiste cité par M. Shultz. Cela
impliquerait l'installation de nouveaux missiles à l'ouest, et
personne n'en veut. Donc, ce chiffre n'a pas été adopté par le
gouvernement français comme une règle de négociation. Notre
objectif, c'est l'unité de vues entre grands pays européens. Les
Allemands ont résisté d'abord brutalement, puis timidement, ce qui
était prévisible. La position de la France consiste à dire : « Nous
ne serons pas un embarras. » Si la position avait été 80 têtes de
chaque côté, bien que cela me paraisse absurde, nous aurions
accepté. Quant aux Allemands, ils veulent tenir en dehors de la
négociation les 72 Pershing IA. A vrai dire, je n'en vois pas
l'utilité pour la sécurité. Si les Allemands l'estiment nécessaire
et si les États-Unis y consentent, nous n'y ferons pas
obstacle.
Mon pronostic : je serais
étonné qu'au bout du compte Américains et Soviétiques l'acceptent.
Encore une fois, nous ne voulons pas compliquer la tâche de nos
amis allemands dans cette affaire qui est difficile pour
eux.
Sur les fusées de portée
inférieure à 500 kilomètres, il faut bien comprendre que si nous
étions dans la même situation, nous raisonnerions comme
eux.
Pour l'instant, les
Soviétiques n'ont pas posé la question de la troisième option zéro.
Nous n'avons pas à soulever le problème. Bien sûr, il peut être
tentant pour les Soviétiques de le faire. En particulier parce que
c'est là une manière d'essayer de faire entrer dans la négociation
un système interdit, le système français. Nous avons refusé la
prise en compte des armes françaises pour une première raison : ce
ne sont pas des armes intermédiaires, notre système est un système
central ; et pour une raison purement volontariste : nous disons
non. Nous supposons que nos successeurs maintiendront une position
autonome et intransigeante de la France. Ce qu'a dit le Premier
ministre est conforme à notre doctrine.
Sourire de Jacques Chirac. Étrange coalition du
Président et du Premier ministre contre le ministre de la Défense !
Puis François Mitterrand conclut :
Quand j'entends dire qu'il ne fallait pas
aller à Bonn prononcer le discours du Bundestag [le
Président vise Raymond Barre], je remarque que
certains, qui avaient pris une attitude douce, prennent maintenant
une attitude dure envers l'URSS, pour des raisons qui sont
exclusivement de politique intérieure. On ne mêle pas la politique
étrangère de la France à de petites manœuvres de politique
intérieure. On fait ce que l'on croit devoir faire dans l'intérêt
du pays. Si l'on veut aller vers la défense européenne, ce que tout
le monde dit, il est capital de ne pas embarrasser les
Allemands.
Le bureau de l'Assemblée juge recevable la demande
de comparution de Christian Nucci devant la Haute Cour de
justice.
Jeudi 4 juin
1987
Une surprise de taille, comme chaque année, à
trois jours du Sommet : Ronald Reagan fait part de son intention de
soulever à Venise la question de la protection de la navigation
dans le Golfe où un Exocet irakien a touché, il y a quinze jours,
une vedette américaine. Il veut créer un condominium sous contrôle
américain des flottes européennes ! On n'en a pas du tout parlé
entre sherpas.
Le sherpa britannique
Robert Armstrong, m'appelle :
Je suis sûr que vous avez réfléchi à la façon
d'y répondre. Nous pensons qu'il s'agit d'une question qui peut
créer des difficultés au moins pour quelques-uns des participants.
Il convient donc de la manipuler avec précaution afin de ne pas
détourner l'attention des problèmes économiques ou, pire, d'aboutir
publiquement à des divisions.
Il propose pour Venise un texte qui ne me pose
aucun problème, sauf un paragraphe :
Les chefs d'État ont affirmé
leur résolution commune de ne pas accepter des attaques contre les
bateaux, dans cette zone vitale, de nature à menacer le
ravitaillement mondial en pétrole. Ceux d'entre eux qui disposent
d'une présence navale dans la zone continueront à se consulter et à
soutenir la liberté internationale de navigation tout en continuant
à ne pas prendre part au conflit.
Robert Armstrong
poursuit : Je n'ai pas pu montrer ce projet au
Premier ministre [difficile à croire !], mais je crois qu'elle devrait accepter ce type de langage. Il
me serait très utile de connaître votre propre réaction. Si vous —
et votre collègue américain auquel j'écris — êtes sur la même
ligne, je pourrais faire circuler le projet informellement comme
contribution à nos discussions à Venise la semaine
prochaine.
Armstrong semble avoir trouvé une façon d'amortir
le choc américain, d'éviter que les États-Unis nous imposent au
Sommet une action militaire dans le Golfe pour y assurer la liberté
de circulation.
Vendredi 5 juin
1987
Lettre du Président à Jacques Chirac pour demander
pourquoi, au dernier moment, l'autorisation accordée à Me Soulez-Larivière d'aller voir ses clients, le
commandant Mafart et le capitaine Prieur, à Hao, a été annulée par
le ministre de la Défense.
Samedi 6 juin
1987
Deuxième étape... Comme on pouvait le craindre, le
contre-feu de Robert Armstrong n'a pas suffi : un texte américain
nous tombe du ciel, comme toujours à la veille du Sommet, sur la
guerre Iran/Irak ! Le Président Reagan souhaite le soumettre au
dîner de lundi, à Venise. Il proposera une action à Sept pour assurer le libre passage à
Ormuz. Les Britanniques, comme nous, sont hostiles à une action
intégrée.
Voici le projet américain de communiqué (j'ai
souligné les membres de phrase qui, à mon sens, posent problème)
:
Nous sommes d'accord pour
penser que de nouveaux efforts internationaux concertés sont
nécessaires d'urgence pour arrêter la guerre Iran/Irak. Nous sommes
favorables à une issue négociée le plus tôt possible de cette
guerre, stipulant l'intégrité territoriale et l'indépendance de
l'Irak et de l'Iran. Les deux pays ont très gravement souffert de
cette guerre longue et tragique. Les pays voisins sont menacés par
une possible extension de ce conflit. Le moment est
maintenant venu d'agir.
Nous lançons une nouvelle
fois un appel aux deux parties pour qu'elles négocient un arrêt
immédiat de cette guerre. Nous apportons tout notre soutien aux
efforts de médiation du secrétaire général des Nations-Unies et
demandons l'adoption d'urgence de mesures effectives par le Conseil
de sécurité des Nations-Unies. Au-delà, nous sommes d'accord pour
penser que les principes de liberté de navigation dans le golfe
Persique — comme partout ailleurs — devront être défendus par les
pays occidentaux. Le libre passage du pétrole à travers le détroit
d'Ormuz doit se poursuivre sans entrave. Nous nous engageons
à continuer à nous consulter et à travailler ensemble en vue
d'atteindre ces objectifs primordiaux.
Il est convenu que Jacques Chirac viendra le
second jour du Sommet et n'assistera pas à la conférence de presse
finale. Je ne comprends pas son insistance à être présent.
Les détails commencent à arriver sur ce qui est en
train de devenir l' « affaire Gordji ». Trois Iraniens de
l'ambassade sont concernés par la commission rogatoire du juge
Boulouque : deux employés de bas niveau, non couverts par le statut
diplomatique, et Wahid Gordji, qui ne l'est pas non plus.
Contrairement aux allégations de la presse, Wahid
Gordji n'a pas fui à l'étranger. Il serait toujours à l'ambassade,
ce qui explique que les policiers ne l'aient pas trouvé à son
domicile. C'est son père qui a indiqué qu'il était parti mardi soir
pour Genève.
Pour l'instant, les conséquences diplomatiques et
politiques sont circonscrites. Le chargé d'affaires iranien a fait
une protestation diplomatique en bonne et due forme. Téhéran n'a
pas réagi excessivement, sans doute parce qu'il n'y a pas eu
d'arrestation d'Iraniens.
Mais tout basculera si Gordji, au lieu de rester
tranquillement et discrètement là où l'on suppose qu'il se trouve,
se fait arrêter. On entrerait alors dans un processus extrêmement
grave dont la première étape prévisible consisterait en
représailles contre nos agents diplomatiques à Téhéran.
Dimanche 7 juin
1987
François Léotard annonce
qu'il ne démissionnera pas, mais qu'il veut conserver sa
liberté de parole. Le Parti républicain
n'entend pas être caporalisé.
Solutré : le Président commente avec délices les
remous au sein de la droite et les disputes de Chirac avec ses
ministres.
A l'occasion de concerts de musique rock devant
l'ancien Reichstag, les jeunes Est-Allemands affrontent la police
en criant : Le Mur doit tomber !
Lundi 8 juin
1987
Le 13e Sommet des pays
industrialisés s'ouvre à Venise dans l'île de San Giorgio.
Foule de gardes. Valse de bateaux. A l'arrivée au
palais Grassi pour le dîner, trois bateaux s'arrêtent l'un après
l'autre pour faire semblant de débarquer Reagan. Lequel débarque
finalement d'un quatrième !
Le Président a enfin l'occasion, qu'il cherche
depuis quelques mois, de mettre les Américains devant leurs
responsabilités au lieu d'accepter la discussion, que souhaite
provoquer Reagan, sur la libre circulation dans le détroit d'Ormuz.
Tout part d'une question de Margaret Thatcher, qui lance la
conversation sur l'engagement américain en Europe :
Margaret Thatcher :
Si une guerre éclatait et si les Soviétiques
assiégeaient Bonn, est-ce que vous utiliseriez la bombe atomique
française ?
François Mitterrand :
Mais, madame, certainement pas.
Margaret Thatcher :
Comment pouvez-vous dès lors attendre des
États-Unis qu'ils viennent un jour au secours de Paris
?
François Mitterrand :
Madame, je pense que vous mélangez sciemment
deux problèmes distincts. C'est un débat de stratégie et nous
n'avons pas la même. De Gaulle, Pompidou, Giscard d'Estaing et moi
avons toujours eu un doute sur les intentions des États-Unis. Il
n'y a pas d'automatisme d'intervention de leur part, et nous
pouvons nous retrouver à découvert. C'est pourquoi nous avons une
force autonome de dissuasion. Mais nous ne pouvons pas nous en
servir pour n'importe quoi. L'appréciation des intérêts de la
France ne dépend que de moi. Or, la mission de la France n'est pas
de protéger la République fédérale et l'Europe occidentale. C'est
la mission de l'Alliance atlantique, pas celle de la France seule.
Madame, la France récuse absolument l'obligation morale
sous-entendue dans votre question.
François Mitterrand se
tourne alors brusquement vers Ronald Reagan :
Monsieur le Président, les
dirigeants de votre pays raisonnent comme le faisait Schuschnigg à
propos de l'Anschluss. Vous dites : « Jusqu'ici, et pas plus loin »
; or, si vous acceptez de ne pas agir ici, vous n'acceptez pas
d'agir là. C'est l'erreur majeure de l'Alliance. Votre riposte
graduée, élastique, n'est faite que pour vous permettre, à vous,
Américains, de ne pas intervenir en Europe.
Ronald Reagan :
Je peux vous garantir que les États-Unis
seront solidaires. Comme nous l'avons fait lors des deux guerres
mondiales, nous interviendrons si vos nations sont
menacées.
François Mitterrand :
Je n'en doute pas, mais je n'ai pas de
garantie.
Helmut Kohl, conciliant:
La défense de l'Europe, c'est le rôle de
l'Alliance.
François Mitterrand :
Comprenons-nous bien. S'il y a le moindre
doute chez l'adversaire sur notre détermination et notre capacité à
intervenir massivement et très vite en cas d'agression, il peut y
avoir la guerre. Avec la riposte massive, les Soviétiques ne
prendront pas le risque d'une guerre atomique. Madame le Premier
ministre britannique, vous ne devez pas imaginer que les
Soviétiques soient à Bonn, car si vous entrez dans ce raisonnement,
vous avez déjà perdu !
Sur le texte relatif à la libre circulation dans
le Golfe, discussion confuse au dîner, qui ne conclut rien. Pendant
trois heures, les sherpas reprennent le
texte pour en arriver à des phrases vides : les Sept soutiennent
activement les efforts de modération entrepris
par le secrétaire général de l'ONU et demandent instamment
l'adoption de mesures efficaces et justes par le Conseil de
sécurité. Le principe de liberté de navigation dans le Golfe est
déclaré d'importance primordiale.
Texte achevé à 6 heures. Puis deux heures à rôder
dans Venise bourrée de gardes italiens et de policiers américains,
entre 6 et 8 heures. Les églises, à l'aube, mais pour moi
seul...
Mardi 9 juin
1987
François Mitterrand et Helmut Kohl se voient au
petit déjeuner. Ils reprennent la discussion du dîner sur la
défense de l'Europe. Est-ce la conversation qu'avait annoncée Horst
Teltschik ? Que va proposer le Chancelier ? François Mitterrand explique son opposition à la
présence des armes nucléaires américaines sur le sol européen :
Je ne crois pas à la riposte graduée. La
guerre peut être évitée si on pense que le gouvernement américain
interviendra. Avec la riposte graduée, on installe la guerre au
centre de l'Europe et on glisse de la petite guerre à la grande
guerre. Une petite bombe, c'est quatre fois Hiroshima ! Seule la
menace soviétique est efficace. Les armes au sol sont donc les
seules efficaces. Les armes intermédiaires n'ont pas beaucoup
d'intérêt.
Helmut Kohl :
La différence entre nous, c'est que nos
populations sont psychologiquement très différentes. Le désarmement
est vu différemment selon la nature des armes.
François Mitterrand :
Les forces nucléaires intermédiaires
américaines ne servent qu'à neutraliser
les SS 20. C'est fait, c'est très bien. Cela a servi et ça
suffit.
Helmut Kohl :
Oui, je suis d'accord, mais il faut absolument
renforcer la composante européenne de l'Alliance pour compenser
leur départ.
François Mitterrand :
Il faut pour cela esquisser un nouveau traité
du type de celui de l'Élysée. Il faut quelque chose qui marque une
direction. Je suis d'accord pour aller vers l'intégration de nos
armées sur des points précis et significatifs.
Helmut Kohl :
Oui. Il faut des divisions franco-allemandes
complètement intégrées.
François Mitterrand :
J'en parlerai au Premier ministre. Il n'y est
pas hostile. Mais son milieu politique n'y est pas favorable. Je
ferai avancer les choses.
Helmut Kohl :
Nos chefs d'état-major sont enthousiasmés par
cette idée et peuvent la mettre en pratique. C'est une expérience.
Il faut être habile et trouver un commandant français qui pourra
symboliser cela. Ce sera un bon signal.
François Mitterrand :
Nous allons travailler la
question.
Voilà lancée la brigade franco-allemande... C'est
la première conséquence concrète de l'option zéro.
La réunion des Sept reprend sur le
protectionnisme.
Ronald Reagan souhaite que l'on décide d'une
réunion des sept ministres de l'Agriculture. Pas question de réunion à Sept, dit François Mitterrand. Et pas
question de réunions concernant les problèmes agricoles seuls, quel
que soit le nombre des participants. Le Président impose son
point de vue.
Le paragraphe marque un progrès dans la
concertation économique internationale, notamment sur le mécanisme
de régulation de la monnaie par les banques centrales :
Nous nous félicitons chaleureusement des progrès
réalisés par le groupe des sept ministres des
Finances en ce qui concerne la formulation et la mise en œuvre de
dispositifs renforcés pour la surveillance multilatérale et la
coordination économique, comme cela avait été demandé à Tokyo l'an
dernier. Le nouveau processus de coordination qui comporte
l'utilisation d'indicateurs économiques
confortera les efforts faits par nos pays pour poursuivre des
politiques plus cohérentes et
mutuellement compatibles.
Les chefs d'État ou de
gouvernement considèrent que ces mesures sont des étapes
importantes pour promouvoir une croissance soutenue et non
inflationniste, ainsi qu'une plus grande stabilité des changes. Ils
invitent le groupe des sept ministres des Finances et les
gouverneurs des Banques centrales à :
- intensifier leurs efforts de coordination afin de parvenir
à une mise en œuvre rapide et efficace des engagements et des
mesures convenus ;
- contrôler étroitement l'évolution de la situation
économique en coopération avec le directeur général du FMI
;
- envisager de nouvelles améliorations, si nécessaire, afin
de rendre le processus de coordination plus efficace.
Pour l'aide au Tiers Monde, après une bataille de
mots, le Président obtient que le chiffre de 0,7 % du PIB soit
mentionné dans le communiqué comme un objectif. Surtout, on décide
d'inscrire le souhait d'un recyclage des capitaux des pays à
excédent de paiements vers les pays les plus endettés, ce qui
pourrait aboutir à terme à multiplier par trois l'aide du FMI aux
pays les plus pauvres d'Afrique.
Concernant le sida, le Président propose la
création du comité international d'éthique qui devrait permettre
d'éviter des dérapages sur les libertés. C'est déjà réglé depuis un
mois. Pas de problème.
Jacques Chirac débarque dans l'après-midi. Il
avait envisagé de faire depuis Venise un journal télévisé sur
Antenne 2 ou TF1. Il y a renoncé de peur qu'on ne lui pose des
questions sur François Léotard ; en outre, sans doute pour les
mêmes motifs, et contrairement à ses habitudes, il ne s'entretient
pas avec les journalistes, tard dans la soirée.
François Bujon de l'Estang s'est encore distingué
en essayant de faire croire à la presse que les sherpas n'ont pas travaillé toute la nuit dernière
sur les textes politiques, et en disant que c'est Jacques Chirac
qui a proposé le chiffre de 0,7 % du PIB pour l'aide au Tiers
Monde, ce qui est également faux.
Mercredi 10 juin
1987
Fin du Sommet. Conférence de presse. Après une
brève promenade avec le Président dans les rues de Venise, départ.
Il est 13 heures. Le Président a acheté des cerises sur un marché
ambulant de San Giorgio. Ravi de son achat, il commence à les
manger dans l'avion tout en se plaignant, comme à chaque vol, de
l'effroyable qualité des plateaux-repas :
toujours du saumon, du foie gras... Édouard Balladur,
Élisabeth Guigou et moi le regardons. Au bout d'une heure, le
steward vient timidement nous proposer de déjeuner. Le Président se
rend alors compte qu'il mange devant nous depuis le décollage,
qu'on atterrit dans vingt minutes et que nous avons sûrement faim.
Il demande qu'on serve un plateau à ceux qui le souhaitent. Avec un
humour cinglant, Édouard Balladur murmure
: Je vous remercie, je viens d'assister au
souper du Roi, cela me suffit !
La joaillerie Chaumet dépose son bilan à la suite
de la découverte d'un trou de près de 2 milliards.
Le bureau de l'Assemblée juge non recevable la
demande de comparution de Charles Pasqua devant la Haute Cour de
justice pour l'affaire du « vrai-faux » passeport remis à Yves
Chalier.
Jeudi 11 juin
1987
Quelques instants avant le Conseil, Jacques
Chirac, à son arrivée dans le bureau de Bianco, arbore une
décoration allemande à la boutonnière.
Jean-Louis Bianco :
Monsieur le Premier ministre, puis-je vous
demander ce qu'est cette décoration ?
Jacques Chirac :
C'est parce que je dîne ce soir à Paris avec
Helmut Kohl. J'oublie toujours de la mettre...
Ce dîner avec le Chancelier, Jacques Chirac ne
l'a annoncé à personne, pas même au Président. Comme Bianco en
informe celui-ci, d'un mot passé par l'huissier avant que nous ne
pénétrions dans son bureau, François Mitterrand interroge
Chirac.
Jacques Chirac :
Mais si, monsieur le Président, je vous en
avais parlé à Venise !
Ce qui est faux, m'indique le Président.
Kohl non plus, d'ailleurs, n'en a rien dit.
Le Président préfère passer à autre chose.
En l'absence de Jean-Bernard Raimond, retenu à la
réunion de l'OTAN à Reykjavik, et de Bernard Bosson, retenu à
Bruxelles à une réunion européenne, c'est Didier Bariani qui
présentera une communication de politique étrangère. Le Président
fait la moue.
Jacques Chirac :
Il n'est pas si mal. Il ne dit pas de bêtises.
Il lit les papiers qu'on lui passe.
Le Conseil commence. Philippe Séguin,
exceptionnellement triste et terne, expose son plan sur la Sécurité
sociale.
Edouard Balladur,
lugubre : C'est une bonne
solution.
Jacques Chirac :
C'était un exercice particulièrement
difficile, et le ministre des Affaires sociales a réussi à dégager
la solution la moins injuste et la moins dangereuse.
François Mitterrand :
Je ne sais pas si tout a été dit sur ce
dossier. En tout cas, beaucoup a été dit. Nous n'alourdirons donc
pas le débat. Mais il reste des questions de fond qu'on peut
aborder selon l'idée qu'on en a.
Sur les nominations, François
Mitterrand interroge Charles Pasqua à propos d'un préfet
limogé parce que des manifestations ont eu lieu lors du déplacement
de Jacques Chirac dans son département : Qu'est-ce qu'on lui reproche ?
Pasqua, un peu surpris
et embarrassé, bredouille : Une certaine
insuffisance et des mauvaises relations avec pratiquement tout le
personnel politique.
Longs commentaires du Président sur le Sommet de
Venise : rien de nouveau.
Après l'acceptation de Bonn, les ministres des
Affaires étrangères des pays de l'OTAN, réunis à Reykjavik, se
rallient à l'option double zéro qui envisage un accord
américano-soviétique sur l'élimination des euromissiles à longue et
à courte portée.
Vendredi 12 juin
1987
Ronald Reagan est à Berlin-Ouest.
Samedi 13 juin
1987
Les frères Chaumet, propriétaires de la célèbre
joaillerie, sont écroués.
Lundi 15 juin
1987
Charles Pasqua en
Corse. L'île connaît un regain de violences depuis le début de
l'année : 284 attentats. Plus du double par rapport à 1986. Le
ministre de l'Intérieur est venu, dit-il, apporter le témoignage de la solidarité
nationale.
Mercredi 17 juin
1987
Assassinat à Ajaccio du vétérinaire
anti-indépendantiste Jean-Paul Lafay. Le voyage du ministre de
l'Intérieur n'a pas servi à grand-chose.
Aujourd'hui, justement, le Conseil des ministres
doit autoriser Charles Pasqua à ne pas comparaître devant la
justice au cours du procès en diffamation intenté à Libération dans l'affaire du « vrai-faux »
passeport d'Yves Chalier.
Le Président donne la parole à Albin Chalandon,
mais celui-ci semble perdu. Il n'a pas le dossier et ne sait pas de
quelle affaire il s'agit. Finalement, c'est le
Président qui rapporte en lieu et place du garde des Sceaux
: L'usage constant en la matière... M. Pasqua
est donc autorisé à ne pas comparaître.
L'exposé de politique étrangère de Jean-Bernard
Raimond est plus terne que jamais, d'une platitude désespérante. Il
ne dit rien qui ne soit dans la presse, qu'il s'agisse du
désarmement ou des élections britanniques ou italiennes...
Le Président prend la
parole. A propos de la Grande-Bretagne : Avoir
une avance d'une centaine de sièges avec 43 % des suffrages, tout
le monde en rêverait en France. C'est là où règne la division qu'il
y a l'échec. En face, il y avait trois partis, dont une coalition
(libéraux et PSD).
Sur l'Italie :
Les deux partis responsables de la crise
voient leurs scores s'améliorer. Sans doute parce qu'ils
apparaissent comme les deux partis de gouvernement. Ils
s'arrangeront, je ne sais pas comment, mais ils
s'arrangeront.
A propos de la Pologne : La
visite du Pape s'est déroulée sous les acclamations de tous les
bien-pensants d'Europe. Lorsque j'ai reçu M. Jaruzelski, ce
n'étaient pas tout à fait les mêmes applaudissements, et pourtant
le pouvoir polonais avait accepté de se déplacer, de venir à Paris.
Mais si Jaruzelski a accepté cette visite du Pape et lui a accordé
beaucoup de facilités pour aller là où il voulait, c'est sans doute
qu'il doit penser qu'il y a là quelque chose de rentable. Sinon,
pourquoi courir ce risque ? Cela dit, il n'y a aucun espoir à avoir
: si l'URSS l'estime nécessaire, elle ne relâchera pas sa
pression.
A propos de l'assassinat du
vétérinaire Lafay, en Corse : Personne
ne peut être indifférent au nouveau drame qui endeuille la Corse,
donc la France. Au nom de tous les Français, je condamne le crime
qui vient d'être commis et je présente aux proches de la victime
les condoléances de la Nation. Je souhaite que tous les moyens de
la loi soient mis en œuvre pour découvrir et frapper les coupables,
en même temps qu'il conviendra de rechercher plus que jamais les
voies de l'unité de la Nation et l'apaisement des
esprits.
Puis il ajoute : Il y a déjà
eu d'autres crimes, mais les crimes de sang étaient assez peu
nombreux. Ce n'était pas le système de lutte de ceux qui veulent
ruiner l'unité nationale. Il s'agit d'un acte délibéré qui suit
immédiatement la visite du ministre de l'Intérieur.
Ni Jacques Chirac, ni Charles Pasqua ne demandent
la parole pour évoquer le drame corse.
Sur le perron de l'Élysée, Charles Pasqua
s'adresse aux journalistes, leur exposant ce qui a été dit au
Conseil.
Jean-Louis Bianco appelle Maurice Ulrich, à la
demande du Président, pour lui dire qu'il est inadmissible que le
ministre de l'Intérieur, contrairement aux usages, se soit exprimé
sur le perron de l'Élysée à l'issue du Conseil des ministres.
Jeudi 18 juin
1987
En URSS, une amnistie partielle est décrétée ;
applicable dans les six mois, elle devrait permettre à de nombreux
détenus politiques de voir leur peine de
prison réduite.
Vendredi 19 juin
1987
Helmut Kohl propose officiellement à la France la
création d'une unité de défense franco-allemande.
Samedi 20 juin
1987
François Mitterrand
décide d'ajourner la remise des lettres
de créance du nouvel ambassadeur de Pretoria à Paris, pour
protester contre le maintien en détention du coopérant Pierre-André
Albertini.
Il estime que la proposition allemande
va dans la bonne direction.
Lundi 22 juin
1987
François Mitterrand est en voyage officiel en
Basse-Normandie. Ce voyage se passe bien. Le
Président s'en prend à la mode
intellectuelle qui voudrait que la France soit en déclin. Il
faut se rassembler autour d'idées fortes et
justes, dit-il. Cela dépend de vous,
qui que vous soyez. C'est la première fois que des élus de
l'actuelle majorité entrecoupent le discours du Président
d'applaudissements.
Débat Jospin/Le Pen sur RTL. Jospin est
excellent. Il résume ainsi la pensée
sociale de M. Le Pen : mort aux
faibles. Il démontre que mettre le leader du Front national
en difficulté est faisable, pour peu qu'on sorte des peurs
fantasmatiques qu'il inspire.
Mercredi 24 juin
1987
Conseil des ministres. A propos de la réforme du
Conseil d'État :
Jacques Chirac :
C'est une très bonne réforme, très
attendue.
François Mitterrand :
Oui, elle était très attendue.
A propos de la réforme des enseignements
artistiques :
Jacques Chirac :
C'est une réforme importante. C'est même la
plus importante que le gouvernement ait élaborée depuis le 16 mars
1986.
(Il s'agit de rendre obligatoire l'enseignement
artistique de la sixième à la troisième. Mais rien ne prouve qu'on
en ait les moyens. Cette réforme rappelle la réforme de la
gymnastique dans les lycées, qui instituait cinq heures de cours
par semaine. Faute de moyens, il n'y a que deux heures.)
Exposé de Michèle Barzach sur le sida. Elle
précise que la création du comité international d'éthique décidée à
Venise est une initiative du Président. André Giraud demande la
parole pour résumer tout ce que l'armée fait pour lutter contre le
sida. Hervé de Charette et François Guillaume ricanent sans se
cacher.
Jacques Chirac reprend
la parole pour souligner à quel point tout ce que fait Mme Barzach
est bien. Il dit qu'il ne faut pas affoler inutilement l'opinion,
et il a cette formule qui n'est peut-être pas très heureuse à
propos du sida : Ce n'est pas la Terreur
blanche !
Après le Conseil, le Premier ministre me dit être
très content des communications au Conseil. François Mitterrand, à qui je rapporte ce propos :
On peut les comprendre, ils n'ont pas
tellement de motifs de satisfaction.
Afin de préparer le Conseil européen, le
Président réunit dans son bureau Jacques Chirac, Bernard Bosson,
Edouard Balladur, Jean-Bernard Raimond, François Guillaume,
Élisabeth Guigou et moi. Jacques Chirac
est violemment opposé à l'aide que les pays riches de la Communauté
apportent aux régions pauvres — grecques, portugaises, italiennes.
Il a des propos étonnants : Les Portugais ne
savent même pas lire. C'est un piège à cons ! Il est furieux
que le Président insiste.
A l'issue de cette réunion, Jean-Bernard Raimond
dit à Jean-Louis Bianco combien il en est heureux, car elle lui
permet d'être parfaitement « cadré » pour son travail. Il espère
qu'il y en aura d'autres, plus souvent.
Dans le hall d'honneur, Jacques Chirac, de fort mauvaise humeur :
Cette fois, je ne vais pas céder. S'il veut la
crise, il l'aura ! Sans doute fait-il allusion au seul point
de vraie divergence, qui concerne les fonds structurels,
c'est-à-dire l'aide aux régions pauvres.
Informé des propos de Chirac, le Président, très
détendu, commente : De toute manière, Il est
velléitaire, ce n'est pas grave. La droite française, décidément,
ne change pas. Elle n'aura jamais que les idées de ses intérêts et
les projets de ses mandants.
François Mitterrand
déjeune avec Willy Brandt, Lionel Jospin, Louis Mermaz, Michel
Charasse et Jean-Louis Bianco. Rien de particulier, si ce n'est
cette phrase taquine à Jospin : Vous vous êtes
sacrifié pour garder le Parti, c'est admirable.
Le Président félicite Jospin pour son débat avec
Le Pen. Il a pour Lionel Jospin de l'estime, pas d'amitié. La
froideur les habite l'un et l'autre. Ils n'ont ni culture ni
passions communes. Sauf celle du service public — et le goût
d'expliquer.
La fête de SOS Racisme s'est très bien passée.
Discours du Président sur la France multiraciale.
Jeudi 25 juin
1987
Déjeuner avec Shimon Pérès. Je lui suggère de
lancer, dans le contexte de la conférence internationale, l'idée
d'un Marché commun du Moyen-Orient et d'une Banque du Moyen-Orient.
Ce qui s'est passé en Europe après la guerre entre la France et la
RFA doit servir de modèle à ce qui peut se passer entre l'Égypte et
Israël, qui peut ensuite s'étendre à d'autres. Ils devraient ouvrir
des discussions sur les droits de douane, l'harmonisation des
normes, la mise en place d'une recette budgétaire commune prélevée
sur les droits de douane. Ce budget servirait d'abord à amortir les
chocs inévitables d'une telle ouverture des frontières, mais,
surtout, à fournir le cadre juridique d'une Banque internationale
de développement du Moyen-Orient. Il est évidemment illusoire de
penser qu'on pourrait réunir d'un seul coup les moyens nécessaires
à son fonctionnement (de l'ordre de 3 milliards de dollars par an).
Une telle banque aurait une structure du type de celle de la Banque
des règlements internationaux à Bâle. Elle aurait pour fonction de
cofinancer (soit directement, soit sous forme de bonification des
intérêts des emprunts) les projets industriels du Marché commun ;
de coordonner les projets d'aide bilatérale financée dans chacun
des pays par des institutions internationales et d'autres pays ; de
servir de garantie bancaire aux emprunts du Marché commun. Elle
serait financée par des fonds accordés par le Fonds monétaire
international (qui dispose de crédits ad
hoc dans le cadre de la « facilité d'ajustement structurel
»), la Banque mondiale, la Communauté européenne, les institutions
privées et surtout le Japon et la RFA.
Pour réussir, il faudrait montrer aux pays
développés que tel est leur intérêt. Financer un tel projet coûte
beaucoup moins cher que la lutte contre le terrorisme, en partie
engendré par la misère et l'état de guerre ; ils obtiendraient
ainsi de nouveaux clients potentiels pour leurs produits ; aux yeux
de leur opinion, ils assumeraient un réel leadership dans la résolution du conflit.
Il faut aussi faire tout de suite acter par le
FMI que la région sera éligible à la «facilité d'ajustement
structurel» qui, au 1er janvier
prochain, disposera sans doute de 10 milliards de dollars.
Le Japon est le principal financier possible,
mais est le plus difficile à convaincre. Il faut lui montrer qu'un
tel plan n'est pas contraire à ses intérêts dans le Golfe.
Pérès est enthousiaste sur l'un et l'autre
projet. Il en saisira son gouvernement.
En URSS, le plénum du Comité central ratifie la
réforme de la gestion économique et élit au Bureau politique trois
personnalités proches de Mikhaïl Gorbatchev.
Kurt Waldheim est reçu au Vatican. Honte,
provocation.
Vendredi 26 juin
1987
Avant le Conseil européen de Bruxelles, où les
montants compensatoires monétaires doivent être renégociés,
François Guillaume déclare : J'espère que le chef de l'État fera preuve de la fermeté
indispensable, comparable à celle dont fait preuve le Premier
ministre. François Mitterrand,
furieux, commente : Cet homme n'est que le
porte-voix du lobby des gros agriculteurs.
Samedi 27 juin
1987
Adoption de la loi sur la prévention et la lutte
contre le chômage de longue durée.
Privatisation de la Société Générale.
Dimanche 28 juin
1987
Sur Europe 1, Charles
Villeneuve révèle la présence de Wahid Gordji à l'ambassade d'Iran.
Le gouvernement le savait déjà, mais ne voulait pas le savoir... Il
va falloir réagir.
Lundi 29 juin
1987
Nous sommes à Bruxelles, au Conseil européen. Il
s'agit de préparer l'Acte unique de 1992.
Il est d'abord question du démantèlement des
montants compensatoires. Le Président ne souhaitait pas que ce
point vienne en discussion : ce n'est pas, selon lui, un sujet pour
ce Sommet. Jacques Chirac négocie pied à pied en séance. François
Mitterrand l'approuve. Le Président est surpris de l'esprit
conciliant, particulièrement inhabituel, des Britanniques.
Jacques Chirac sort
raconter la discussion à la délégation française. Il explose :
J'en ai plein le cul de l'Europe ! Depuis dix
ans, les paysans français paient trop ! François Guillaume
est là : pourquoi ? Il organise toute une dramatisation : il se
livre à d'incessants briefings auprès des journalistes avec Denis
Baudouin, disant le contraire de ce que Michèle Gendreau-Massaloux
dit au nom du Président.
10,5 millions d'actions de TF1 sont mises en vente auprès du public au prix
unitaire de 165 francs.
Redoutant d'être accusés de faiblesse, Charles
Pasqua et Robert Pandraud établissent un contrôle policier
draconien autour de l'ambassade d'Iran. Ni l'Élysée ni le Quai ne
sont informés officiellement de ce que toute la presse
raconte.
De Bruxelles, François
Mitterrand impose le général Forray comme chef d'état-major
des armées. Il prévient le Premier ministre : Soit le général Forray remplace le général Saulnier au
poste de chef d'état-major général des armées, soit le général
Saulnier reste en fonction jusqu'au terme de mon
mandat.
Face au blocage, le Président impose alors Forray
au secrétariat général de la Défense nationale, contre Jean Picq,
candidat de Jacques Chirac. Le général est d'autant plus ravi de ce
poste que le Président lui laisse entendre que s'il se représente
et qu'il est réélu, il le nommera chef d'état-major des
armées.
Mardi 30 juin
1987
Petit déjeuner avec Helmut Kohl. Le Conseil
européen se passe mal. L'affrontement franco-allemand devient
inévitable sur les sujets agricoles.
François Mitterrand :
L'année prochaine à la même époque, les
dirigeants français, quels qu'ils soient, seront tous
pro-européens. La gauche est pour ; la moitié de la droite
aussi.
Helmut Kohl :
Nous devons montrer que nous pouvons faire des
choses ensemble. C'est la seule voie. En RFA, il y aura une
élection difficile en septembre, qui peut changer la majorité au
Bundestag. La CSU s'éloigne de l'Europe et devient
populiste.
François Mitterrand :
Aucun gouvernement français ne peut transiger
sur les questions agricoles (prix, montants compensatoires). Il est
très important qu'une solution soit trouvée ce matin pour éviter
une crise entre nos deux pays. L'échec du Sommet —
on ne peut encore l'exclure —
ne doit pas se cristalliser sur des points qui
nous sont communs, afin de ne pas en porter le poids devant
l'opinion et dégrader notre relation. L'actuel gouvernement
français est le moins pro-européen depuis vingt-cinq ans. Il faut
un arrangement provisoire sur les prix et les montants
compensatoires.
Helmut Kohl :
D'accord. En ce qui concerne la coopération
militaire, il faut mettre au point une coopération
puissante.
François Mitterrand :
Oui. Jacques Chirac ne prendra pas de risques.
Moi, je peux en prendre, car c'est un domaine où j'ai
compétence.
Helmut Kohl :
La préparation doit être discrète, entre
Attali et Teltschik.
François Mitterrand :
Oui, car le Premier ministre est en arrière de
la main. Ce n'est pas l'enthousiasme. Il faut avancer avec sagesse.
La politique de la France changera beaucoup, quel que soit le
résultat. Elle sera plus européenne. La gauche est pour ; la moitié
de la majorité est pour. Nous serons en manœuvres en septembre ;
cela peut être l'occasion d'une déclaration.
En séance, l'accord se fait.
Le Conseil décide que la
Communauté doit disposer de ressources stables et garanties.
La Commission devra décider du nouveau plafond
de ressources propres, fondé sur un pourcentage du PNB
communautaire.
Demain entre en vigueur l'Acte unique
européen.
En conférence de presse, à propos des montants
compensatoires, François Mitterrand :
C'est un bon compromis. Jacques Chirac le contredit : C'est une grande victoire pour nos
agriculteurs.
Jacques Chirac et François Guillaume font comme
si le succès leur revenait. Jacques Chirac s'est bien battu sur les
montants compensatoires. L'Europe ne l'intéresse peut-être pas,
mais les agriculteurs, oui.
De retour de Bruxelles, je réunis tous ceux qui
s'intéressent à la Grande Arche de la Défense : Maxwell, Lion,
Biasini, Hoss et Subileau, pour voir ce qui peut être fait sur le
toit. On décide d'y installer une Fédération des droits de
l'homme.
Le conflit est déclenché : en riposte à
l'installation d'un cordon de police autour de l'ambassade d'Iran à
Paris, blocus de l'ambassade de France à Téhéran. Nous avons là un
petit nombre d'agents. On peut craindre pour eux.
Mercredi 1er juillet 1987
Au Conseil des ministres, Jean-Bernard Raimond et
François Guillaume font un compte rendu du Conseil européen.
Jacques Chirac prend la
parole : Ce Conseil, qui était une opération
délicate, peut être considéré comme un succès, malgré le pessimisme
de la presse et des experts.
François Mitterrand :
La Grande-Bretagne est isolée, ce qui ne lui
plaît guère. Cet isolement, nous ne le recherchons pas, mais il
s'impose de lui-même. Elle n'a pas encore acquis une conception
claire de la Communauté européenne. Elle rêve toujours d'une simple
zone de libre-échange. C'est le point noir...
Je suis heureux de constater
que la décision prise par le Sommet européen de Fontainebleau, en
1984, de démanteler progressivement les montants compensatoires
monétaires, a été pour l'essentiel respectée, en dépit des
difficultés rencontrées au cours de ces derniers mois. Les MCM,
institués en 1969, avaient causé un grand tort aux agriculteurs
français. Sur ce sujet et sur d'autres, le sommet de Bruxelles
permettra à la Communauté européenne d'aller vers l'échéance de
1992 dans les meilleures conditions. Il faut se convaincre qu'un
échec pour l'Europe n'est jamais, ne peut pas être un succès pour
la France.
Après le Conseil, François
Mitterrand part pour la Finlande. Il y déclare notamment
:
Nous faisons des essais
nucléaires en Océanie. Cela nous vaut des protestations. Les
États-Unis, l'URSS et la Grande-Bretagne procèdent aussi à des
essais. Nous, en France, nous sommes plus proches des essais
soviétiques que la Nouvelle-Zélande ne l'est de Mururoa. Aucun
accident pour les personnes n'a jamais été à déplorer. Nous avons
aussi une armée conventionnelle et divers corps spécialisés très
loin d'équivaloir à la force soviétique.
Nous avons exprimé le vœu
d'une zone nordique dénucléarisée. En temps de paix, elle existe,
puisqu'il n'y a pas d'armes nucléaires au Danemark et en Suède. Une
telle solution ne peut remplacer le désarmement. Elle peut en être
un élément. C'est notre « intérêt légitime », et une réflexion de
foi en l'avenir. Il est difficile de s'avouer incapable d'influer
sur sa destinée. Nous sommes pour un tel projet.
Jeudi 2 juillet
1987
Entretiens en Finlande avec un Président brillant
et lucide : L'URSS ne nous menace pas. Sa
présence est pour nous un défi permanent, qui nous tient
debout.
Coup de théâtre : Wahid Gordji réapparaît à
l'ambassade d'Iran à Paris où il est l'interprète du chargé
d'affaires iranien lors d'une conférence de presse consacrée à son
cas ! Il prétend qu'un diplomate français, Didier Destremau, aurait
affirmé aux Iraniens que le ministère français des Affaires
étrangères ne souhaitait pas que M. Gordji
soit arrêté, et qu'il valait donc mieux qu'il reste à l'ambassade
jusqu'à ce que le calme revienne.
Le ministre iranien Velayati déplore la détérioration des rapports
franco-iraniens, due, dit-il étrangement, aux
dissensions internes du gouvernement français.
A 17 heures, Jean-Louis Bianco reçoit un appel de
Maurice Ulrich. Selon celui-ci, il a été décidé à Téhéran que
demain, à l'occasion de la prière, un appel sera lancé pour une
manifestation devant l'ambassade de France ; la police sera
débordée et l'ambassade mise à sac.
Jean-Louis Bianco rend compte au Président,
encore en Finlande. Celui-ci décide de convoquer Jacques Chirac et
les ministres concernés dès son retour. La réunion est fixée à 22 h
30, puisque le Premier ministre est retenu auparavant par un dîner
avec le maire de Pékin.
A 22 heures, dans le bureau de Jean-Louis Bianco
et le mien arrivent successivement Robert Pandraud et Charles
Pasqua. Pandraud, dévoré de tics, n'arrête pas de croiser et
décroiser nerveusement les jambes. Tous deux semblent désemparés.
Pasqua fournit de nombreux détails sur ce
qu'il sait des affrontements entre clans en Iran : Autour des milieux du renseignement et des « durs », on
veut à tout prix récupérer Gordji. On craint que les services
spéciaux français ne s'en emparent et ne le fassent parler. Les
politiques, quant à eux, préféreraient éviter une crise avec la
France, qui s'ajouterait à tous les problèmes déjà existants avec
la Grande-Bretagne et la RFA. En tout cas, une manifestation devant
l'ambassade de France à l'occasion de la prière du vendredi a été
prévue pour demain, et cette manifestation se terminera par la mise
à sac de l'ambassade. Mais il a été décidé d'en référer d'abord à
l'imam Khomeyni.
Charles Pasqua explique qu'il ne dira rien de
tout cela devant Jean-Bernard Raimond, et qu'il n'en a même jamais
parlé auparavant au Président. Il ajoute avoir connaissance de
menaces tout à fait précises d'attentats pour cet été à la gare de
Lyon, à Deauville et à Cannes.
Jean-Bernard Raimond débarque, l'air malheureux.
A partir de ce moment, Pasqua et Pandraud ne disent plus rien.
Visiblement, leurs relations avec le ministre des Affaires
étrangères sont glaciales.
Jacques Chirac arrive
enfin, l'air las, de son dîner chinois. Il n'est au courant de
rien, s'enquiert des faits, de la conférence de presse de Gordji
dont il ne connaît pas le contenu, et soupire : Que faire ?
Le Président nous appelle. Dans son bureau, nous
assistons à une métamorphose instantanée de Jacques Chirac qui, en
quelques minutes, retrouve sa vivacité et fait une synthèse
étonnamment précise de ce qu'il a entendu de la bouche des
ministres.
Le Président :
Nous devons évaluer toutes les hypothèses en
partant des meilleures, qui ne sont pas très bonnes, jusqu'aux
pires.
Charles Pasqua :
Gordji est une plaque tournante, pour la
France et l'Europe, des agents
iraniens.
Il relate la réunion de presse qui s'est tenue à
l'ambassade d'Iran. Il cite Rafik Doust, lequel a déclaré :
Les Français, de toute façon, sont incapables
de réagir, d'autant qu'ils sont déjà
dans leur campagne électorale.
Le Président interroge
Jean-Bernard Raimond : Cette affaire
Destremau, est-ce totalement imaginaire ?
Jean-Bernard Raimond :
Il y a ce qu'a dit Gordji, et il y a le
communiqué du Quai.
Le Président :
Je ne vous demande pas ce qu'il y a, je vous
demande votre position.
Jean-Bernard Raimond :
Le Quai dément.
François Mitterrand,
visiblement agacé : J'ai bien compris ! Mais
vous, est-ce que vous considérez que c'est totalement
infondé ?
Après un silence, Jean-Bernard
Raimond, visiblement très mal à l'aise, prend sa respiration
: Oui, monsieur le Président de la République,
je démens.
Jacques Chirac :
Moi, je crois que Gordji a voulu faire une
provocation. Certains ont l'idée de l'échanger contre nos otages.
[Il fait probablement allusion à Charles Pasqua.] Il n'en est pas
question. S'ils prennent les gens de notre ambassade en otages, ma
proposition est de rompre les relations diplomatiques
instantanément et de renvoyer immédiatement tout le personnel de
l'ambassade d'Iran en France.
Au fur et à mesure qu'il s'exprime et improvise,
Jacques Chirac s'exalte. Il parle de
renvoyer — par
charter, excusez-moi, monsieur le Président — les quatre ou cinq cents Iraniens considérés comme
suspects en France.
Robert Pandraud
l'interrompt et précise qu'il faudrait tout de même qu'il y ait à l'aérodrome un panneau « Irak » et un
panneau « Iran », car certains suspects iraniens sont des opposants
à Khomeyni !
Jacques Chirac :
Oui, oui... Si notre ambassade est mise à sac,
je propose de renvoyer au plus tôt tous les diplomates iraniens,
sauf un, et peut-être de fermer les consulats. [Et il
conclut :] Voilà mes propositions,
monsieur le Président. Mais je n'en ai pas parlé avec les ministres
et je leur demande très sincèrement de me dire tout ce qu'ils en
pensent, y compris s'ils doivent me contredire. Et vous, monsieur
Raimond ? interroge-t-il en se tournant vers le ministre des
Affaires étrangères, assis à sa gauche.
Jean-Bernard Raimond,
toujours très sombre : On est dans une
situation de fait qu'on aurait dû éviter, mais il n'y a que de
mauvaises solutions pour en sortir.
Charles Pasqua se déclare tout à fait d'accord
avec Jacques Chirac.
A nouveau, Robert Pandraud insiste sur la
nécessité d'offrir aux éventuels expulsés le choix entre l'Irak et
l'Iran.
Jacques Chirac parle de
Gordji. Il raconte qu'il a toujours été là comme interprète lors
des réunions importantes : Il y a quelque
temps, un haut personnage iranien voulait me remettre un message.
J'ai refusé de le recevoir, mais il a à son tour refusé d'être reçu
par qui que ce soit d'autre. Finalement, M. Ulrich est désigné.
Accompagné du chargé d'affaires iranien à Paris et de M. Gordji, le
visiteur pénètre dans le bureau de mon directeur de cabinet. Là, il
refuse de parler. On le fait donc entrer dans mon bureau. « Je veux
vous parler en tête à tête », me dit-il. M. Ulrich et le chargé
d'affaires iranien quittent la pièce, M. Gordji reste ; or, sa
présence était d'autant moins indispensable que mon visiteur
parlait parfaitement le français.
Étrange ! On ne saura rien de plus de cette scène
surréaliste. De quel haut responsable iranien s'agit-il ?
Le Président :
Bon, bon. Très bien. Alors, il faut faire
comme cela... Il est donc entendu que nous suivrons les
propositions du Premier ministre s'ils vont jusqu'à des voies de
fait sur des personnes, c'est-à-dire, en clair, s'ils prennent le
personnel de l'ambassade de France en otage. Si c'est la mise à sac
de l'ambassade, éventuellement assortie de sa destruction, nous
apprécierons. Nous serons en contact, mais je pense qu'il faut
marquer un cran d'arrêt ; qu'il faut, dans ce cas, rompre les
relations diplomatiques, expulser tous les diplomates iraniens et
aussi, sans doute, certains suspects. Si c'est seulement le siège
de notre ambassade qui continue, nous avons le temps de réagir :
quarante-huit heures. Cette sortie publique de Gordji tend à
prouver qu'ils engagent une partie de bras de fer.
Robert Pandraud,
interrogé par le Président sur la possibilité pour Gordji
d'échapper à la police française, répond : Monsieur le Président de la République, on a un
gros dispositif ; mais il est malheureusement
tout à fait possible qu'il puisse passer au travers... Et puis,
même s'il se rendait à la convocation du juge... Nous sommes entre
nous : dans le dossier, il n'y a pas grand-chose, et je pense que
le juge le libérerait.
Jean-Bernard Raimond
explose littéralement. Il se lève à demi de son fauteuil et
apostrophe en éructant Robert Pandraud : Comment a-t-on pu en arriver là ! Alors qu'il n'y a rien
dans le dossier du juge ! Vous m'avez parlé de preuves... Mais ces
preuves, je ne les ai jamais vues ! On m'a toujours tenu à l'écart,
on ne me dit rien !
Pandraud s'énerve. Le ton monte sous le regard
catastrophé de Jacques Chirac, et intéressé du Président.
Robert Pandraud
réplique : Le contrôle de la Police, ça
appartient à la Justice, pas aux Affaires étrangères.
Jean-Bernard Raimond :
Mais ces preuves, avouez que vous les avez
détruites ! [Il se rend compte qu'il est allé trop loin et
se reprend :] Je m'arrête, j'ai dit ce que
j'avais à dire.
Robert Pandraud :
Moi aussi, j'aurais beaucoup à dire, mais je
m'arrête...
Le Président, avec un
geste apaisant : Quoi qu'il en soit, nous ne
pouvons pas sortir de ce qui a été convenu.
Et il interroge Charles Pasqua sur les éléments
de preuves en sa possession contre Gordji.
Charles Pasqua :
Nous avons des écoutes téléphoniques, des
émissions de radio vers Téhéran et des informations de services
étrangers.
Le Président :
Je ne doute pas, monsieur le ministre, de
votre conviction. Mais ce qui est déplaisant, inquiétant, irritant,
c'est que tout est déjà dans les journaux avant que nous ne
sachions quoi que ce soit. Et, une fois que c'est dans les
journaux, cela devient une vérité première. C'est d'ailleurs une
attitude constante de la Police, qui ne date pas de vous ni de vos
prédécessseurs immédiats ; c'est détestable !
Charles Pasqua :
Vous savez, il y a aussi le secret de
l'instruction qui n'est pas respecté...
Le Président :
Vous avez raison, et il y a aussi les avocats.
Quoi qu'il en soit, nous sommes les responsables du pays, nous
devons trouver la meilleure solution pour la France. Alors, nous
sommes bien d'accord sur l'attitude à tenir. Les Iraniens spéculent
sur notre faiblesse supposée. C'est pourquoi nous devons avoir une
réaction instantanée et, même s'il n'y a pas prise d'otages,
marquer tout de suite un cran d'arrêt. Je ne crois pas que l'on
puisse, dans ce cas [la mise à sac], éviter la rupture diplomatique.
La réunion est
terminée. Les participants s'en vont, la mine sombre.
Le
Président s'adresse alors à moi : Alors, on a retrouvé notre Chirac toujours aussi flambard
! Mais je ne sais pas s'il va tenir jusqu'à demain, ou même cette
nuit ! Ils doivent être en train de se réunir, de décider tout
autre chose que ce dont nous venons de convenir...
Vendredi 3 juillet
1987
Jack Lang me confie :
J'aimerais beaucoup revoir Renaud, en
particulier pouvoir lui parler de l'éventuelle constitution d'un
comité d'initiative en faveur de la candidature de François
Mitterrand et de l'inscription des jeunes sur les listes
électorales.
Samedi 4 juillet
1987
La cour d'assises du Rhône condamne l'ancien
officier SS Klaus Barbie à la réclusion criminelle à perpétuité
pour crimes contre l'humanité commis à Lyon en 1943 et 1944.
Dimanche 5 juillet
1987
Jacques Chirac et Helmut Kohl se rendent ensemble
à Colombey-les-Deux-Églises.
Mardi 7 juillet
1987
Le Premier ministre dit au Président que
l'Algérie est entièrement d'accord sur la vente éventuelle de
Mirage 2000 au Maroc. Le ministre algérien des Affaires étrangères,
Taleb Ibrahimi, lui aurait même déclaré que si les Marocains ne
pouvaient être fournis en avions par la France, ils achèteraient
aux États-Unis des F16, ce qui obligerait les Algériens à acheter
des avions aux Soviétiques.
Le Président demande à Jean-Louis Bianco de se
rendre à Alger pour connaître l'attitude de l'Algérie.
Évidemment, tout cela est faux : l'idée que la
France vende des Mirage 2000 au Maroc ne plaît pas du tout aux
Algériens ; les Mirage ne pourraient être utiles au Maroc que dans
une guerre contre l'Algérie. Néanmoins, les Algériens ne feraient
pas un drame de ce marché...
Pour les affaires iraniennes, il semble que les
juges Marsaud et Boulouque entendent faire leur métier ; que le
Quai d'Orsay voudrait reprendre sa « grande politique » de
normalisation avec l'Iran ; que Charles Pasqua voudrait échanger
Wahid Gordji contre les otages, ce qui est irréaliste : d'une part,
nous ne tenons pas Gordji ; d'autre part, il existe peut-être quand
même des preuves qui conduiraient le juge à l'inculper.
Les Iraniens empêchent les Français (y compris
même une femme et son bébé) de quitter Téhéran. Cela est inacceptable, dit le
Président, il faut rompre avec ces
gens-là !
Mercredi 8 juillet
1987
Pendant que le Président reçoit le Premier
ministre dans son bureau, se repose le problème du préfet dont le
Premier ministre souhaite le départ immédiat — pour l'avoir mal
reçu dans son département — alors que le Président estime qu'il
doit rester jusqu'à sa retraite, prévue à l'automne. Le Président
téléphone à Jean-Louis Bianco : Le Premier
ministre me dit que ce préfet est d'accord et est volontaire pour
partir. Voulez-vous vérifier ?
Bianco appelle Charasse, qui appelle le préfet en
question : Je ne suis pas volontaire. Ils
m'ont mis le couteau sur la gorge...
Bianco appelle le Président et lui fait part de
cette conversation. Le préfet est maintenu.
Au Conseil des ministres, il ne se passe
pratiquement rien.
A la sortie du Conseil, François Mitterrand prend
Albin Chalandon à part pour lui demander... de ne pas faire
construire de prison à Précy-le-Sec, car on pourrait la voir depuis
la colline de Vézelay. Jules Roy lui a écrit à ce propos. Chalandon
accepte.
C'est sûrement une des décisions les plus
importantes prises depuis trois mois !...
Après le Conseil, le Président réunit dans son
bureau le Premier ministre, Jean-Bernard Raimond, Charles Pasqua et
Jean-Louis Bianco, sur l'Iran.
Le Premier ministre, à qui Jean-Bernard Raimond
tend un télégramme, en prend connaissance et dit : Les Iraniens, en vertu du principe de symétrie, prétendent
avoir des soupçons sur le numéro deux de l'ambassade de France,
Paul Torri, et souhaitent qu'il soit entendu par le juge compétent.
Je suis partisan qu'il accepte, bien qu'il soit couvert par
l'immunité diplomatique.
D'autre part, nous ne
pouvons rester longtemps dans la situation actuelle. D'autant que
Gordji, si jamais il était entendu par le juge, serait
vraisemblablement remis en liberté.
Je propose que l'on rompe
avant la fin de la semaine les relations diplomatiques. Mais je
n'ai pas eu le temps d'en parler avec le ministre des Affaires
étrangères, et je souhaite connaître son avis.
Jean-Bernard Raimond,
toujours aussi lugubre : La rupture des
relations diplomatiques, cela me paraît quand même trop fort ! Si
l'on veut absolument faire quelque chose, on pourrait se contenter
de déclarer leur représentant, Haddadi, persona non
grata.
Le Premier ministre :
Oui, oui, je me rallie à la proposition de M.
le ministre des Affaires étrangères.
Charles Pasqua :
D'après les informations dont nous disposons,
ils n'ont d'abord pas cru à notre détermination ; ensuite, ils ont
cru que, d'une manière ou d'une autre, nous laisserions Gordji
partir. Ils ont craint que nous donnions l'assaut à leur ambassade.
C'est pourquoi ils ont brûlé leurs archives et demandé
l'autorisation à Téhéran, en cas de nécessité, de se servir des
armes.
Le Président : Si,
comme vous le dites, si, comme vous croyez le
savoir, le dossier Gordji est aussi léger, nous ne sommes pas très
bien partis.
Charles Pasqua :
On ne sait pas. Il est difficile de préjuger
de ce que fera le juge. Les juges travaillent beaucoup. Ils
connaissent mieux le terrorisme que personne.
Le Premier ministre :
Et puis, les Algériens se sont entremis, il
faut peut-être leur laisser un peu de temps.
Le Président :
Très bien. Je vous remercie. Nous allons
réfléchir et on en reparlera.
Fin de la réunion.
Après leur départ, le
Président résume : Ce matin 8 juillet à
9 h 15, dans mon bureau, je trouve le Premier ministre très
flambard à propos de l'Iran, me disant : « Il faut rompre les
relations diplomatiques dans les quarante-huit heures. » A 10 h 45,
il me dit : « Il faut rompre avant la fin de la semaine. » Trois
minutes plus tard, à peine M. Raimond a-t-il formulé l'hypothèse de
déclarer persona non grata Haddadi, qu'il s'y rallie. Une
demi-heure plus tard, il dit : « Il faut attendre un peu, puisque
l'Algérie s'en occupe. »
Sur le contenu du dossier,
ils se contredisent aussi. Le Premier ministre est vraiment
toujours le même ! Vous avez vu son interview dans Le Monde
? Il fait des mouvements de menton dans son
style habituel : « En aucun cas il ne saurait être question... »
Cela ne préjuge en rien de ce qu'il fera en
définitive...
Dans l'après-midi, le
Président m'emmène faire les librairies : Je ne me présenterai que si Jacques Chirac passe
durablement devant Raymond Barre dans les sondages. Il n'est pas
capable d'être Président.
Adoption définitive de trois lois sur la lutte
antiterroriste.
Vendredi 10 juillet
1987
415 741 petits porteurs sont devenus actionnaires
de 40 % du capital de TF1.
Samedi 11 juillet 1987
La population de la Terre, qui a doublé par
rapport à 1950, franchit le cap des 5 milliards.
François Mitterrand, Lionel Jospin, Pierre Joxe,
Roland Dumas, Louis Mermaz sont en conclave à Latché. La
candidature de François Mitterrand semble se préciser. Un des
participants m'appelle, triomphant, pour me rapporter une remarque
déterminante, m'assure-t-il, du
Président : Avant
d'être élu, je pensais que sept ans, c'était bien assez, qu'en sept
ans je pourrais faire bouger, évoluer le pays. Et puis, une fois en
place, j'ai réalisé tous les obstacles qu'il fallait surmonter,
contourner, le plus terrible étant la résistance passive de
l'Administration, rétive au seul mot de changement. Non, je n'ai
pas achevé ma tâche, loin de là ! Il reste encore beaucoup à
faire.
Arrestation au pays Basque de deux dirigeants
d'Iparretarrak. Philippe Bidart échappe aux policiers.
Des députés français (3 UDF, 3 RPR, 3 FN), en
voyage en Afrique du Sud, déclarent que l'apartheid n'existe plus et que règnent la paix et la
sécurité. L'un d'eux (Charles Deprez, UDF) précise que les
Noirs ne sont pas en état d'exercer le droit
de vote...
Incident à l'aéroport de Genève : deux douaniers
français retiennent un diplomate iranien.
Dimanche 12 juillet 1987
Mission consulaire soviétique en Israël, pour la
première fois depuis vingt ans.
Lundi 13 juillet
1987
L'affaire iranienne pourrit. Le Président reçoit
le Premier ministre à midi, avant un déjeuner avec Hissène
Habré.
Le Premier ministre
propose au Président ce qui suit : Nous avons
l'accord des juges Boulouque et Marsaud pour que Gordji soit
entendu par le juge Boulouque au Palais de Justice, car les
Iraniens ne veulent pas qu'il soit entendu par la DST. Il est quasi
certain que le juge n'inculpera pas Gordji. À ce moment-là, nous
pourrions relâcher-Gordji et obtenir en échange deux otages, soit
par l'intermédiaire des Algériens, soit par l'intermédiaire des
Pakistanais. M. Desmarest doit partir immédiatement pour Genève, où
il rencontrera M. Ahani, le directeur d'Europe au ministère iranien
des Affaires étrangères. J'ai besoin de votre accord tout de
suite.
Le Président :
Une décision pareille ne peut pas se prendre
en quelques minutes, cela mérite réflexion. Je vous reverrai cet
après-midi. Mais ma première réaction est que je ne suis pas chaud
pour entrer dans une négociation avec un État qui se reconnaît
comme terroriste, surtout pour ne libérer que deux otages. Une
telle négociation n'est envisageable que si tous les otages doivent
être libérés. Encore faudrait-il être sûr que l'Iran contrôle les
preneurs d'otages, ce qui n'est pas établi.
Pour que rien ne se fasse sans son accord,
Jean-Louis Bianco rédige un projet de lettre dans laquelle le
Président répète à Jacques Chirac : Je ne
donnerai mon feu vert qu'en échange de la libération de tous les
otages français.
Au cours du déjeuner, le Président et le Premier
ministre disent tous deux très nettement à Hissène Habré que la
France n'interviendra en aucun cas pour la reconquête éventuelle de
la bande d'Aouzou. D'ailleurs, lorsque l'ambassadeur, Christian de
la Rochère, lui a transmis la position de la France, Hissène Habré
n'a pas paru surpris.
A 15 h 30, à la demande du Président, Jean-Louis
Bianco interroge Jacques Chirac pour savoir si la simple audition
de Wahid Gordji par le juge est conforme à la loi et à nos
traditions judiciaires. Le Premier
ministre répond à Bianco : Je n'en sais
rien, appelez Chalandon.
Jean-Louis Bianco appelle Albin Chalandon qui lui dit : Le
juge peut annuler la commission rogatoire qu'il a délivrée à la DST
et décider d'entendre lui-même Gordji. Mais c'est une décision qui
ne dépend que du juge lui-même. Moi, je suis partisan de laisser
jouer notre système judiciaire sans faire aucune pression. Je
trouve que si tout cela était fait pour n'avoir que deux otages, ce
serait vraiment faire preuve de faiblesse. Ce ne serait pas bien.
J'ai fait valoir mon point de vue auprès du Premier
ministre.
Bianco appelle le Président au téléphone (il se
trouve dans ses appartements). Il lui fait part des propos d'Albin
Chalandon. Le Président n'émet aucun commentaire.
A 16 heures, Jacques Chirac revient à l'Élysée.
Le Président lui remet sa lettre. Il y résume la situation. Le
Premier ministre lui a demandé si la France serait à même
d'accepter les propositions suivantes pour le règlement de
l'affaire Gordji : celui-ci serait entendu au Palais de Justice par
le juge d'instruction qui recourrait à un autre canal que la
commission rogatoire délivrée à la DST ; si Gordji n'était pas
inculpé, il serait aussitôt expulsé, soit vers le Pakistan, soit
vers l'Algérie ; Gordji ne serait remis aux autorités iraniennes
qu'après que deux des cinq otages français auraient été eux-mêmes
remis aux autorités des pays susmentionnés. Quelles que soient ses
réserves sur ce type de négociation, le Président admet qu'il
pourrait être envisagé un accord conforme au processus décrit par
Jacques Chirac. Mais il ne souscrit pas à ce schéma et pense que la
France doit réclamer la restitution de tous les otages
français.
Jacques Chirac :
Dans ces conditions, je préfère renoncer
complètement.
Le Président insiste pour que les conditions
stipulées dans sa lettre soient admises.
Jacques Chirac :
Vous allez faire
craquer la négociation.
François Mitterrand :
Vous ne m'avez jamais informé qu'il y avait
une négociation !
(D'après Gilles Ménage, il semble que ce soit le
gouvernement qui ait pris l'initiative de cette négociation, pas
les Iraniens.)
En quittant le bureau du Président, Jacques Chirac dit à Jean-Louis Bianco : Vous connaissez la position du Président. C'est ce que
nous allons faire. Mais cela ne marchera pas. Nous nous sommes mis
d'accord pour donner aux Iraniens un délai de quarante-huit heures
au-delà duquel nous déclarerons Haddadi persona non grata, puis
nous irons rapidement à la rupture. Chirac ajoute :
Je vais appeler devant vous Jean-Bernard
Raimond pour que vous voyiez bien que je respecte ce qui a été
convenu avec le Président.
Il appelle donc le ministre des Affaires
étrangères et lui dit ce qui a été convenu : tous les otages ou
rien. Jean-Bernard Raimond essaie de demander du « mou ».
Jacques Chirac :
Non, non, aucune souplesse dans la
négociation.
Et Chirac rend alors à Bianco la lettre que le
Président vient de lui remettre en mains propres, disant : Sur ces
affaires-là, je pense qu'il vaut mieux
qu'il n'y ait pas d'écrit.
Un cargo français, le Ville
d'Anvers, est attaqué par les Iraniens dans le Golfe.
François Mitterrand :
Comment Barre peut-il s'en tenir à cette
distance hautaine ? S'il continue, il va s'effondrer.
Mardi 14 juillet
1987
Cérémonies de la Fête nationale. On n'entend pas
un seul sifflet sur les Champs-Élysées, mais l'on perçoit
parfaitement la réflexion bourrue d'un CRS vexé que le Président
passe devant lui les yeux fixés sur l'Arc de Triomphe :
Alors, François, nom de Dieu, regarde-nous
!
Dans la tribune officielle, les esprits sont
ailleurs.
A la télévision, interview du Président. Il réaffirme nettement que Wahid Gordji
doit se soumettre à la loi : Ce qui me paraît
important, c'est que la justice française estime devoir entendre
cet Iranien parce qu'il est soupçonné d'avoir pris part —
à quel degré, je n'en sais rien —
à des actions terroristes en France... Il y a
suffisamment de soupçons pour qu'il ait été appelé à
s'expliquer.
Le Président dément un éventuel arrangement prôné
par certains membres du gouvernement de façon à permettre à Gordji
d'être entendu par le juge dans les locaux de l'ambassade d'Iran,
avenue d'Iéna, protégés par l'extraterritorialité.
Gordji ne disposant que d'un passeport
de service délivré par le Quai d'Orsay,
document qui n'est pas un passeport diplomatique et ne donne donc
droit à aucune immunité, il devra se rendre dans le bureau du juge
Boulouque.
En début d'après-midi, Maurice Ulrich, puis
Jacques Chirac téléphonent à Jean-Louis Bianco : le message convenu
a bien été délivré à Genève par Desmarest. Les interlocuteurs
demandent un délai supplémentaire de vingt-quatre heures. Nous le
leur accordons jusqu'au 16 juillet à 24 heures.
Les juges Marsaud et Boulouque demandent à
rencontrer Gilles Ménage : ils ne sont pas au courant de
l'opération envisagée par Jacques Chirac, ils n'ont pas donné leur
accord pour l'audition de Gordji au Palais de Justice !
A Téhéran, Paul Torri, premier secrétaire de
l'ambassade de France, est officiellement accusé d'espionnage. Il est convoqué pour être entendu par
la justice islamique.
Les Iraniens sont convaincus que la France a des
preuves de l'implication de l'Iran dans les attentats de septembre.
Mais s'il y a des preuves, qui les a ?
Dès la fin des cérémonies du 14 Juillet,
Jean-Bernard Raimond s'envole pour l'Afrique comme si de rien
n'était. Fureur du Président. Un Mystère 20, dépêché en catastrophe
à Dakar, le ramène discrètement à Paris dans la nuit.
Mercredi 15 juillet 1987
François Bujon de
l'Estang vient me voir : Depuis le
début, j'étais contre ces négociations et pour la fermeté. Le Quai
d'Orsay s'est fait des illusions. Maintenant, il faut en sortir. Je
crois que la meilleure solution sera d'obtenir le départ de tous
les Français, sauf Torri, en échange de tous les Iraniens, sauf
Gordji. Nous demanderons alors l'accréditation d'un diplomate qui
ne sera pas Torri, car les Iraniens demanderaient l'accréditation
de Gordji. Nous laisserons alors Torri seul dans l'ambassade, sans
protection diplomatique ni aucune immunité. C'est la meilleure
solution, je crois. Elle prendra tout l'été.
Surréaliste !
Avant le Conseil des ministres, dans son bureau,
le Président attire l'attention du Premier ministre sur... le cas
dramatique des conservateurs des Archives et sur la nécessité
d'améliorer leur situation indiciaire. Le Premier ministre en prend
note.
Le Président expose au Premier ministre que la
petite guerre des ambassades a assez duré et que la France doit
trancher. Mais Jacques Chirac souhaite encore attendre : il espère
toujours éviter la crise ouverte en négociant par des canaux
discrets, notamment par l'entremise de l'Algérie.
Au Conseil, dissolution d'Iparretarrak.
Il est aussi question des tribunaux
administratifs :
Le Président :
C'est un vieux débat. Ne faut-il pas rattacher
les tribunaux administratifs au ministère de la Justice
?
Au cours de son exposé de politique étrangère,
Jean-Bernard Raimond fait le point sur l'Iran et préconise une
ligne de fermeté.
Le Président :
Vous avez raison. Il ne faut pas que l'on
puisse jouer avec l'honneur de notre pays.
Pas un mot de plus.
A propos du tunnel sous la Manche, Hubert Védrine demande : M. Raimond partage-t-il les
appréhensions de son ambassadeur à
Londres ? François Mitterrand le
reprend : Non, c'est le mien !
Jeudi 16 juillet
1987
Jean-Bernard Raimond continue de croire qu'un
accord est possible avec l'Iran et que le juge Boulouque entendra
Wahid Gordji à l'ambassade. Nous notons le silence prudent des
capitales européennes sur cette affaire. Seuls les Britanniques
nous encouragent.
A quelques heures de l'expiration de l'ultimatum,
les Iraniens rejettent notre proposition. Ils nous demandent de
relâcher Gordji et de retirer nos policiers de devant leur
ambassade à Paris, ou bien ils rompront les relations
diplomatiques. Peut-être ont-ils moins d'influence que certains ne
le croient sur les preneurs d'otages ?
A la demande du Président, Jean-Louis Bianco
appelle Maurice Ulrich : il serait opportun d'éviter le départ des
Iraniens du territoire français, puisqu'eux-mêmes, sans aucun motif
légal, viennent d'empêcher deux Français de quitter Téhéran. Ulrich
approuve : un groupe de quatorze Iraniens est refoulé à la
frontière suisse dans la nuit du 16 au 17 juillet.
A 22 heures, François Mitterrand demande au
téléphone à Jacques Chirac de prendre la décision ferme de rompre
les relations diplomatiques avec l'Iran avant que l'Iran ne le
fasse, et de parler aux Français. Chirac ne décide rien.
Vendredi 17 juillet
1987
A l'aube, François Mitterrand revient de Latché.
Dans l'avion, il note sur une feuille de papier blanc ce qu'il
compte dire au Premier ministre, et me le lit :
Rupture :
1 Annoncer que nos agents sont interdits de départ
;
2 Saisir les institutions internationales (dont la CEE)
d'une plainte contre l'Iran. État terroriste ;
3 Commencer d'ouvrir le dossier du terrorisme iranien
;
4 Retenir un nombre d'agents iraniens égal à celui des
nôtres empêchés de revenir.
Pas de rupture
:
1 au terme de l'ultimatum iranien, l'Iran réclamera Gordji
contre le retour des Français avec la même fermeté ;
2 nous aurons montré de la faiblesse et serons dans une
situation pire.
Le gouvernement français, mis au pied du mur par
les exigences de Téhéran, hésite à prendre la seule décision
possible.
Jusqu'au bout, Jacques Chirac tergiverse. Il fait
une ultime visite à l'Élysée, ce matin, avant de se résoudre à une
rupture que le Président, lui, a souhaité voir prononcer depuis le
début de la semaine.
A l'Élysée, le Premier ministre remet au
Président un projet de communiqué où il est écrit : Le processus de rupture des relations diplomatiques est
engagé. François Mitterrand modifie : La France décide de rompre dès maintenant les relations
diplomatiques avec l'Iran.
Le Président :
Vous m'avez très précisément informé. Il faut
qu'on soit tous sur le pont. L'ensemble des arguments nous conduit
à la rupture. Si nous ne rompons pas, ils le feront.
Le Premier ministre note fidèlement toutes les
suggestions du Président.
Jacques Chirac :
Je voulais avoir l'avis du ministre des
Affaires étrangères. J'imaginais qu'il préférerait éviter la
rupture. C'est bien le cas. Je voulais avoir l'avis de M.
Lafrance [chargé d'affaires à Téhéran]. Lui pense que la rupture n'aggraverait pas la situation
des diplomates français.
Le Président :
Ne pas réagir vite nous conduirait à donner
aux Iraniens le sentiment que nous sommes hésitants.
Le Premier ministre, visiblement ennuyé :
Ils risquent de faire savoir qu'ils ont
proposé deux otages en échange de Gordji.
Le Président :
Cela risque tout à
fait, en effet, d'être rendu public.
Jacques Chirac :
Il vaudrait mieux pas.
François Mitterrand :
En plus de ce que vous suggérez, il y a
d'autres dispositions à prendre tout de suite. Donc, à 12 h 30, la
France prend l'initiative de la rupture des relations
diplomatiques. Il y a alors tout un schéma de droit international
qui s'enclenche. Il faut veiller à une stricte symétrie pour le
départ de nos diplomates et de notre personnel et celui des
Iraniens. Tout notre arsenal
diplomatique doit être mis en jeu tout de suite pour bien faire
comprendre que l'Iran refuse
d'appliquer la loi
française qui veut que le juge puisse entendre quelqu'un
d'étranger qui n'a pas le statut de
diplomate (sur ce point, nous avons agi
conformément à nos lois et aux lois de
tout pays civilisé) ; que, depuis
plusieurs jours, l'Iran retient nos agents, les empêche de partir et nous menace. Il
a toutes les allures d'un État terroriste. Il faut aussi saisir le Conseil de Sécurité et la Communauté européenne, sans demander
à ce stade des sanctions : nous aurions
forcément des difficultés avec la Grande-Bretagne et la RFA, qui
commercent avec l'Iran.
Le Premier ministre :
Je suis tout à fait de votre
avis.
Fin de l'entretien.
François Mitterrand, en
souriant, à Jean-Louis Bianco (à propos de Jacques Chirac) :
Il se comporte en ce moment pratiquement comme
mon chef de cabinet. Le Président ajoute à propos de
l'attitude du gouvernement dans cette affaire : Ils sont déjà effrayés par leur propre
audace.
Concernant la suggestion de renvoyer à nouveau
quelques Moudjahidin expulsés avec Massoud Radjavi il y a quelques
semaines, mais depuis lors revenus en France, le
Président n'est pas favorable : Ce
serait donner un signal de faiblesse à l'Iran.
Samedi 18 juillet
1987
Déjeuner à Culloz chez Antoine Riboud avec
François Mitterrand. On visite la maison de Gertrude Stein, où elle
vivait avec Alice Toklas et où lui-même est venu en 1943. Deux
juives américaines en France, qui pour rien au monde n'auraient
quitté ce pays où elles connurent les plus grands.
Longue discussion sur la prochaine élection
présidentielle. François Mitterrand
considère que seul Raymond Barre a le sens de
l'État. Je ne pense pas me présenter, sauf si Jacques Chirac a
vraiment des chances. (Pour le moment, l'élection de Raymond
Barre paraît assurée dans les sondages.)
Sur la crise France/Iran : J'ai dit à M. Chirac que la gestion des relations avec
l'Iran est un désastre. Faux calculs et naïveté. Ils m'empêchent de
réagir, car je leur dois la solidarité.
Le Pakistan s'occupera des intérêts de l'Iran à
Paris, et l'Italie — dont l'ambassade jouxte la nôtre — s'occupera
à Téhéran de nos intérêts.
Mardi 21 juillet
1987
Gilbert Mitterrand et ses filles, Pascale, huit
ans, Justine, six ans, sont victimes d'un accident de voiture en
Espagne. Justine a la boîte crânienne ouverte. Diagnostic réservé.
Le Président est bouleversé.
Sur la situation à Téhéran, Pierre Lafrance, qui
nous y représente, explique que, malgré les dangers qui ont pesé et
pèsent encore sur l'ambassade, ses collaborateurs font preuve d'un
sang-froid et d'une cohésion exceptionnels. La destruction des
archives « sensibles » vient de s'achever. Elle a nécessité
plusieurs jours, en raison du volume des documents à incinérer,
notamment des dizaines de milliers de demandes de visas. Le
chiffreur et le chef du détachement de sécurité se relaient au
chiffre jour et nuit, et, en dehors de leurs heures de service,
prêtent main-forte à leurs collègues employés aux tâches
domestiques. Nul ne souhaite être rapatrié avant le départ,
pourtant problématique, de M. Torri, retenu en parallèle à Gordji.
Si leur courage reste intact, une certaine lassitude commence
néanmoins à se faire sentir. La tension à laquelle ils sont soumis
depuis le début de juin, les heures de veille, le confinement,
l'angoisse du lendemain, celle des familles en France, expliquent
cette fatigue. Admirable grandeur du personnel diplomatique
français.
L'ambassadeur d'Italie a pu enfin rendre visite à
Pierre Lafrance ce soir. Depuis le 15 juillet, c'est la première
fois qu'un diplomate étranger pénètre dans l'ambassade. Selon
l'Italien, les Iraniens ont ouvert une enquête sur les activités
exactes de Gordji, et sont convaincus qu'il n'est ni auteur ni
complice d'actes de terrorisme perpétrés contre la population
française. L'Italien a compris que les Iraniens craignent que
Gordji ne soit inculpé pour des affaires inter-iraniennes, et
surtout que les Moudjahidin, collaborant avec la police française,
ne fabriquent de fausses preuves. Pour le reste, il confirme à
notre ambassadeur que Gordji n'aurait pas de responsabilité dans
les attentats de l'été dernier. Les Iraniens, dit-il, sont prêts à
accepter le principe de son audition dans les locaux de l'ambassade
d'Iran à Paris, tout en protestant de sa qualité de diplomate. Ils
veulent bien le laisser dire ce qu'il sait, c'est-à-dire rien, tout
en lui épargnant des pressions policières.
Arrestation à Saint-Vincent de quatre militants
indépendantistes guadeloupéens, dont Luc Reinette, chef présumé de
l'ARC. Les quatre hommes sont remis aux autorités françaises, puis
incarcérés à Paris.
Horst Teltschik souhaite me rencontrer vendredi
pour que nous travaillions ensemble en détail sur ce que pourrait
être une brigade franco-allemande, et sur le texte d'une éventuelle
déclaration commune sur la Défense tel qu'il a été esquissé au
petit déjeuner à Bruxelles, il y a quelques jours. Il insiste sur
le fait que tout cela devrait être coordonné entre la Chancellerie
et la Présidence seules. Il souhaite être assisté, dans cette
première réunion, par M. von Richstoffen (directeur des Affaires
politiques au ministère des Affaires étrangères) et par l'amiral
Brost, du ministère de la Défense. Il me laisse libre d'associer ou
de ne pas associer, d'informer ou de ne pas informer les ministères
concernés et le Premier ministre. Nous décidons, pour cette
première réunion, d'en rester aux collaborateurs du Président ;
j'emmènerai le général Forray et Hubert Védrine.
Mercredi 22 juillet
1987
Mikhaïl Gorbatchev accepte l'option double zéro
globale.
La situation dans le Golfe est tendue. La crise
avec l'Iran la complique.
André Giraud veut faire partir le porte-avions
Clemenceau dans le détroit d'Ormuz. Raimond est contre. Chirac
hésite. François Mitterrand l'impose, critiquant derechef la
faiblesse de Chirac.
Thomson conclut avec le groupe américain General
Electric un accord prévoyant le rachat de la division électronique
grand public de la société américaine et la cession de la CGR,
spécialisée dans l'électronique médicale, par le groupe
français.
François Mitterrand reçoit à sa demande Charles
Pasqua, venu à nouveau l'entretenir de la réforme des voyages
officiels. Le ministre de l'Intérieur :
Le nouveau responsable sera celui que vous
désirerez. Le responsable actuel sera nommé inspecteur général, ce
qu'il souhaite, et chargé en totale indépendance de tout ce qui
concerne l'Élysée. Je suis prêt à prendre par écrit tous les
engagements que vous souhaiterez.
Le Président ne dit pas non.
Jeudi 23 juillet
1987
Les faits semblent établis : selon plusieurs
sources, Didier Destremau, responsable du dossier Proche-Orient au
Quai d'Orsay, a rencontré Wahid Gordji, avant que celui-ci ne se
réfugie dans l'enceinte de l'ambassade d'Iran, dans une brasserie
tout près de l'Ecole-Militaire, à Paris, le 1er juin dans l'après-midi, soit deux jours après le
lancement, le 29 mai, par le juge Boulouque, de trois commissions
rogatoires, dont une concernant nommément Gordji. Qui le lui a
demandé ? Est-ce cela qui a poussé Gordji à se réfugier à
l'ambassade ?
Jean-Louis Bianco envoie une note à Maurice
Ulrich afin qu'il lui communique, s'il existe, un rapport de la
DST, mentionné par la presse, sur la responsabilité de l'Iran dans
les attentats de septembre, et pour s'étonner que l'Élysée n'en ait
pas eu connaissance. Charles Pasqua dément l'existence de ce
rapport. Le gouvernement est affreusement gêné vis-à-vis du
Président, car ce rapport existe bel et bien.
Vendredi 24 juillet
1987
Le général Forray, Hubert Védrine et moi-même
rencontrons à Bonn Horst Teltschik, le directeur des Affaires
politiques auprès du ministre des Affaires étrangères (M. von
Richstoffen) et le chef des Plans auprès du ministre de la Défense
(l'amiral Brost), pour entamer la discussion sur la coopération de
défense franco-allemande :
Horst Teltschik :
Cette réunion de travail vise à préparer des
décisions politiques que le Chancelier et le Président pourraient
annoncer à leur prochaine rencontre, le 24 septembre, ou à
l'occasion du 50e Sommet
franco-allemand, en novembre. Aucun autre groupe ne préparera ces
décisions, et rien ne sera annoncé par qui que ce soit d'autre sur
ces sujets. Le Chancelier souhaite avancer des propositions très
précises pour faire progresser, militairement et stratégiquement,
la coopération franco-allemande. La France et la RFA doivent
renforcer leur coopération dans la mesure où les États-Unis vont, à
moyen terme, laisser à Paris et à Bonn une part croissante de la
défense et de la sécurité de l'Europe dans le cadre de l'Alliance.
Le traité de l'Élysée a institutionnalisé la politique de sécurité.
Nos intérêts en matière de sécurité convergent. Pour nous, les
territoires de la France et de la RFA représentent un espace de
sécurité unique. Il faut développer l'accord de février 1985 de
façon bilatérale, comme base d'une communauté de défense élargie,
dans la perspective d'une fusion de la CEE et de l'UEO. C'est
l'occasion unique d'une discussion de principes bilatérale. Nous
devons continuer de progresser jusque dans tous les détails
militaires, telle l'organisation d'une brigade...
Le diplomate von
Richstoffen est affolé. Teltschik, à ses yeux, va trop loin.
Il le corrige : La charte de l'UEO doit
maintenir cette organisation dans l'OTAN !
Horst Teltschik
continue sans se troubler le moins du monde : La brigade doit-elle être une unité territoriale ? de
combat ? de formation ? Y aura-t-il des éléments de troupes
intégrés ? Nos problèmes : comment institutionnaliser cette
coopération ? Comment avoir un espace de sécurité commun ? Quelles
consultations nucléaires ? Quels rapports avec les autres Européens
?
Les deux chefs d'état-major
travaillent sur une brigade commune. Sa structure, son équipement,
son plan d'emploi devraient être mis au point de concert. La
commission franco-allemande de Défense et de Sécurité doit
soumettre une proposition de décision pour le cinquantième sommet
franco-allemand de novembre. Deux hypothèses se font jour : une
unité partiellement active dans la zone rhénane ou (c'est notre
préférence) un élément actif dans le domaine territorial (le Groupe
54 de Trèves) avec des éléments mécanisés pour protéger les
passages du Rhin et les renforts américains qui s'y trouveraient.
Ce serait simple et peu coûteux.
Sur l'intégration des logistiques : La France et la RFA formant un espace de sécurité commun,
utilisé de façon globale pour la défense, nos forces armées doivent
accroître leur coopération directe. Il faut renforcer des exercices
en commun dans les trois armes, compléter et élargir les
logistiques communes. Un rapport sur ce sujet devra être fait au
50e
Sommet franco-allemand. Le Luxembourg, les
Pays-Bas et l'Italie ont déjà demandé à entrer dans une brigade
franco-allemande pour en faire une brigade de l'UEO.
Mais Teltschik souhaite aller plus loin et que
l'Allemagne ait un droit de regard sur l'usage par la France de
l'arme nucléaire : A la suite de l'accord
du 28 février 1986, il convient
de trouver un accord général sur les
conditions de ces consultations, d'établir des directives générales
d'emploi et des conditions de consultation, en premier lieu pour les armements préstratégiques. Naturellement, la
décision d'emploi de l'arme nucléaire
reste de la compétence souveraine du
Président de la République française...
Cela, c'est trop !
Puis Teltschik lance une idée neuve :
Pourquoi ne pas créer un Conseil de Défense
franco-allemand ? Ses missions consisteraient à définir une
conception commune de l'usage de toutes les forces armées pour la
défense de l'Europe occidentale ; à mettre au point une position
commune dans le domaine des négociations sur le désarmement ; à
diriger la coopération franco-allemande en matière de défense dans
tous les domaines, d'abord sur les seuls territoires français et
allemand, « espace commun de sécurité » ; à diriger les troupes
intégrées franco-allemandes ; et à organiser les consultations
nucléaires au plus haut niveau. Ce Conseil se réunirait à trois
niveaux : les représentants permanents (qui pourraient être les
directeurs des Affaires politiques et les chefs d'état-major) ; les
ministres des Affaires étrangères et de la Défense ; le chef d'État
français et le Chancelier. Un état-major permanent serait issu de
celui qui se réunit pour l'actuelle Commission de Défense commune
franco-allemande (à l'occasion des sommets franco-allemands). Ce
Conseil est pour nous essentiel. Il aura la plus éminente
signification politique. C'est un élément visible et de haute
politique.
Je réponds en improvisant : Très bien. On peut étudier cela. Mais, simultanément,
pouvons-nous étudier exactement le même projet sur le terrain
économique et financier ? Un Conseil économique et financier pour
coordonner nos politiques ?
Panique en face... Le ministre allemand des
Finances n'est pas associé à cette négociation. Les Allemands
veulent la coopération en matière de défense, ils ne sont pas ici
pour parler d'autre chose. Mais ils tiennent tant à cette
coopération en matière de défense qu'ils accepteront une
coopération monétaire.
On prévoit donc d'en reparler. Nous devons nous
revoir le 28 août, à Paris, pour préciser ce qui pourrait être
décidé par le Chancelier et le Président à l'automne.
Le Président, à qui
j'en parle à mon retour, est sceptique : Il
faudrait obtenir autant sur le monétaire que sur la défense, mais
nous ne l'aurons pas.
La CNCL rend publique une liste des radios
qu'elle envisage d'autoriser sur la bande FM parisienne.
A propos du départ du porte-avions Clemenceau, envisagé avant-hier :
André Giraud,
finalement : Je ne le propose
pas.
Le Président :
Si le gouvernement ne le propose pas, je ne
veux pas l'imposer.
Samedi 25 juillet
1987
Nouveau changement. Le Président téléphone au
Premier ministre : la décision d'appareillage du Clemenceau est prise.
Lundi 27 juillet
1987
Jimmy Goldsmith cède le contrôle de la Générale
Occidentale (donc de L'Express) à la
CGE.
Mardi 28 juillet
1987
A Paris, déjeuner avec Franck Carlucci, le
conseiller pour la Sécurité de Ronald Reagan. Un professionnel
calme et précis. Il m'explique que Washington se rallie à l'option
double zéro globale. Les 72 Pershing I A de l'armée
ouest-allemande, dont Moscou demande la liquidation mais dont
Washington refuse toujours qu'ils fassent partie de la négociation,
restent le dernier obstacle à un accord.
Consensus d'experts lors d'une réunion à l'Élysée
sur la crise avec l'Iran. Les Iraniens ont sans doute été à
l'origine des attentats de l'automne 1986. Mais ils n'ont pas
déclenché la crise politico-diplomatique des dernières semaines. Il
semble qu'ils restent plus réactifs que moteurs. Ils continuent à
tout faire pour ne pas paraître directement responsables des actes
terroristes ni des enlèvements d'otages.
Au-delà du maintien de la pression judiciaire sur
Wahid Gordji, certains proposent l'expulsion ou l'arrestation
(selon les présomptions de la police) de personnes liées aux
réseaux terroristes.
Un expert fait remarquer que deux livres
américains récents sur le terrorisme attirent l'attention sur le
danger des dates symboliques chez les terroristes, par exemple,
pour les Iraniens, les jours où ils célèbrent la chute du shah et
le retour de Khomeyni à Téhéran (du 16 janvier au début de
février). Il faut ainsi relever que de très nombreux actes de
terrorisme ont été déclenchés un vendredi. Dans l'hypothèse d'une
crise franco-iranienne longue, il vaudrait mieux avoir à l'esprit
les temps forts politiques, religieux ou diplomatiques : le
pèlerinage à La Mecque, qui débute ces jours-ci ; fin septembre :
anniversaire de l'attaque irakienne de 1980 et saison d'offensives
iraniennes régulières ; le débat à l'ONU sur le conflit Irak/Iran,
généralement en novembre, etc.
Erich Honecker visitera la RFA du 7 au 11
septembre. A Bonn, il rencontrera le Chancelier Kohl, mais pas
Hans-Dietrich Genscher (puisqu'il ne s'agit pas officiellement d'un
État étranger). A Düsseldorf, il rencontrera M. Rau. A Essen, de
nombreux industriels. A Sarrebruck, Oskar Lafontaine. A Munich,
Franz-Josef Strauss. Il visitera Dachau, puis la Sarre où il ira
voir la maison et la tombe de ses parents à Neuenkirchen ; il y
rencontrera sa sœur qui y vit toujours. Ce voyage est envisagé
depuis 1981 à partir d'une invitation lancée par Helmut Schmidt.
Les seuls précédents ont été, en 1969, les difficiles rencontres
entre Willy Brandt et W. Stoph à Erfurt et Kassel.
Cette visite avait été empêchée depuis six ans
par les Soviétiques, essentiellement en raison des euromissiles.
C'est le signe d'un réel dégel.
La signature de plusieurs accords sur la
protection de l'environnement est envisagée. Il n'a pas encore été
décidé si Honecker pourra s'adresser ou non à la foule, ou parler à
la télévision. Cela dépendra du climat de la visite.
Jean-Bernard Raimond me
dit : Sur les otages, je fais de l'agitation,
de la dentelle ; mais il n'y a pas de négociation. Je ne contrôle
rien. Tout est entre les mains du juge, qui doit avoir des choses
sur Gordji. La DST doit avoir des écoutes. Moi, je ne les connais
pas.
Mercredi 29 juillet
1987
En Conseil des ministres, François Léotard rend
hommage à l'action d'Émile Biasini, qui achève sa mission au Grand
Louvre. Il souligne que l'on opère pour lui une reconstitution de
carrière afin qu'il soit à l'abri des problèmes matériels. En
outre, il sera nommé président d'honneur de la mission du Grand
Louvre et chargé des rapports avec l'étranger.
Le ministre rend également hommage à Pierre-Yves
Ligen qui le remplace.
Le Président :
Ces propositions m'ont été soumises. Le choix
de M. Ligen est excellent. M. Biasini est un homme difficile, il a
le caractère de ses qualités. Je l'ai connu aux côtés d'André
Malraux dont il était le bras séculier. Il a bien réussi également
à la mission Aquitaine. Il pourra continuer d'être utile. Les
choses pourront s'harmoniser dans l'intérêt de tous.
Jean-Bernard Raimond prononce quelques banalités
à propos de l'Iran et du tunnel sous la Manche.
André Giraud rend compte de la situation dans le
golfe Persique. Il n'évoque pas le problème de l'envoi du
Clemenceau, qui est toujours en
suspens.
Après le Conseil, réunion sur le golfe Persique
dans le bureau du Président, avec André Giraud et Jacques Chirac ;
Jean-Bernard Raimond n'y participe pas. (Le
Président me signale : Jacques Chirac
ne m'a pas proposé que M. Raimond soit là ; je n'ai pas jugé
indispensable de le faire venir dès lors que le Premier ministre ne
me l'avait pas demandé.)
André Giraud se montre très réticent sur le
départ du Clemenceau et demande qu'on y sursoie ; sinon, il suggère
qu'on l'envoie au Liban.
Le Président :
On ne va pas bombarder le Liban !
La décision d'appareillage est confirmée avec
pour destination l'entrée du golfe Persique.
André Giraud explique que les Américains n'ont de
toute façon aucun dragueur de mines, pas même aux États-Unis : Les
Américains se protègent derrière les
pétroliers. L'Arabie Saoudite ne veut rien
faire. Il n'y a pas de danger de
mines.
Il est convenu de la façon la plus formelle qu'il
n'y aura aucune déclaration publique ni du Président, ni du Premier
ministre. Rien en dehors d'un communiqué de la Présidence de la
République :
A l'issue de l'entretien qui
a eu lieu ce matin au palais de l'Élysée entre le Président de la
République et le Premier ministre, le ministre de la Défense a
donné instruction au groupe aéronaval de l'escadre de la
Méditerranée d'appareiller pour une mission de protection de nos
intérêts en Méditerranée et dans l'océan Indien.
Mais, à 16 h 30, Jacques Chirac fait savoir aux
journalistes qu'après avoir reçu Mme Thatcher, de passage à Paris
pour l'échange des instruments de ratification sur la liaison fixe
trans-Manche, il leur parlera du départ du Clemenceau. Ce qu'il
fera !
Le Président :
Une malhonnêteté de plus envers moi
!
Après Matignon, Margaret Thatcher se rend à
l'Élysée. Elle souhaite parler de la situation dans le Golfe.
Le Président :
La politique française a été très engagée dans
cette affaire, à partir de 1976, par des accords d'armement signés
avec l'Irak. Je n'aurais pas souhaité que la France y soit mêlée
d'aussi près. Mais, en 1981, renverser la position aurait été pire.
Le contrat de confiance avec les pays arabes modérés, avec tous les
pays arabes en fait, sauf la Syrie et la Libye, aurait été rompu.
Donc, en 1982, j'ai autorisé — ce que
je ne souhaitais pas vraiment — la
continuation de l'application des accords antérieurs.
Il est vrai que cela
rejoignait aussi la conception que je me fais de la nécessaire
stabilité de cette frontière historique entre la Syrie et la Perse,
les Arabes et les Iraniens.
Margaret Thatcher :
En effet, le Chatt-el-Arab est une
frontière essentielle.
Le Président :
Chatt-el-Arab que les Iraniens n'appellent pas
ainsi, bien sûr ! La suite rejoint l'idée que je me fais de
l'équilibre mondial et des équilibres partout. Si j'avais été
complètement maître de la situation, j'aurais sans doute cherché à
éviter un tel engagement, mais c'est fait. Il faut donc accepter
les conséquences de ses options.
En attaquant l'Iran, l'Irak a
pris une décision folle. C'était une erreur profonde de miser sur
la faiblesse de l'Iran. Souvent, dans l'Histoire, de telles erreurs
ont été faites : un pays divisé intérieurement n'est pas pour
autant affaibli extérieurement. Ainsi, face à tous les alliés de
l'Europe coalisée, la Révolution française a trouvé son aliment
dans cette menace même.
Margaret Thatcher :
Il faut pour cela qu'il y ait un vrai
nationalisme. Le Président :
Oui ! Prenez également l'exemple de l'URSS en
1917. Lénine et Trotski n'ont pas gagné, mais ils ont sauvé
l'essentiel. Et, de même, Hitler a duré plus longtemps qu'il
n'aurait dû, car il a été soutenu par le profond pangermanisme de
son peuple.
De la part des Irakiens, cela
a été une erreur historique stupide. Évidemment, ils ont conquis
deux ou trois petites îles. Mais cela a exacerbé le nationalisme
iranien ; et cela a permis à l'Iran d'occuper son armée, que le
régime ne souhaitait pas voir rester à Téhéran.
Très vite, ensuite, je me
suis trouvé devant les prises d'otages qui étaient clairement
reliées à l'Iran par l'intermédiaire du Hezbollah et du
Djihad.
Les conditions iraniennes,
connues très tôt, n'étaient pas acceptables. C'était soit la fin
complète de l'aide à l'Irak, soit l'aide à l'Iran.
Dans la période récente, M.
Chirac et M. Raimond ont pensé qu'ils pourraient régler la
situation. Cependant, mon opinion a toujours été qu'il ne fallait
ni négociations ni concessions. Des choses ont été faites, elles
n'ont pas permis d'aboutir. Puis on s'est aperçu que les attentats
n'étaient pas d'origine syrienne, du moins ceux-là, mais plutôt
iranienne. Les présomptions de preuves se sont accumulées entre les
mains de la Justice et de la Police. L'affaire s'est concentrée
autour de M. Gordji, qui n'a pas le statut diplomatique. Et nous en
sommes arrivés au drame que vous connaissez, à partir d'une
audition demandée par la Justice.
Nous ne pouvons pas
l'autoriser à rentrer en Iran sans être passé chez le juge.
Peut-être le juge dira-t-il qu'il n'est pas coupable. Je n'en sais
rien. Mais, en tout cas, on ne peut pas enjamber les nécessités de
la Justice.
L'Iran a fini par nous lancer
un ultimatum de soixante-douze heures. J'ai estimé alors que ce
n'était pas tolérable, que nous devions prendre les devants. Nous
avons rompu. Ces gens sont des drogués de l'esprit !
Nous sommes donc maintenant
confrontés à des menaces. Nous avons donné l'ordre à notre flotte
d'appareiller pour la Méditerranée et l'océan Indien. Il n'est pas
question qu'elle entre dans le détroit. Cela dit, nous disposons
d'une force aéronavale susceptible d'arrêter la menace. Nous
n'avons pas l'intention d'atteindre l'Iran, mais, si nous sommes
attaqués, j'aviserai.
Margaret Thatcher :
Nous avons eu nous-mêmes, comme vous le savez,
une crise avec l'Iran. Je voulais qu'il reste un très faible nombre
de diplomates de part et d'autre. Les Iraniens, au début, voulaient
autre chose. Finalement, il n'en reste qu'un, le chargé
d'affaires.
Le Président :
L'action de notre police a été brusque, il
faut dire. On aurait pu nous prévenir plus tôt. J'avais demandé à
l'avance le retour de nos diplomates, mais, déjà quinze jours avant
la crise, nos personnels pouvaient circuler dans Téhéran mais ne
pouvaient plus rentrer à Paris ! C'est un des éléments qui m'ont
décidé à rompre. A l'heure actuelle, il reste onze personnes à
l'ambassade, dont une femme et son bébé ; elle a cherché à rentrer,
les Iraniens l'en ont empêchée.
Margaret Thatcher :
Ces gens ne sont vraiment pas civilisés
!
Le Président :
La situation est donc gelée pour longtemps.
Cela peut ressembler à la situation du cardinal Midzenty à
Budapest.
Margaret Thatcher :
Quand même, c'est une situation qui n'est pas
bonne !
Le Président :
Je conseille au gouvernement d'être dur.
Beaucoup d'hommes politiques — et
encore, je ne parle pas des diplomates ! — n'arrivent pas à admettre qu'il y ait des problèmes sans
solution.
Nos intérêts vont être
représentés par l'Italie. Nous avions songé, vous comprenez
pourquoi, à l'Algérie. Mais l'ambassade d'Italie est juste
mitoyenne de la nôtre et nous avions envisagé de faire passer nos
personnels d'un jardin à l'autre. Malheureusement, les Iraniens ont
mis un cordon de troupes entre les deux.
Margaret Thatcher :
Que pensez-vous des suites de l'adoption de la
résolution du Conseil de sécurité ? Si rien ne se passe, la suite
logique est un embargo. Comme ni vous ni nous ne fournissons quoi
que ce soit à l'Iran, nous ne serions pas gênés par un embargo sur
l'Iran.
Le Président :
La presse a signalé de temps en temps quelques
trafics d'armes vers l'Iran. Cela n'a pas de signification, nous
les avons condamnés... J'espère que M. Perez de Cuellar fera
preuve de détermination.
Margaret Thatcher
: Il me semble qu'il est de l'intérêt des deux
pays, Iran et Irak, d'accepter le cessez-le-feu dans le Golfe.
Quant aux mines, elles sont placées, je crois, par les
Iraniens.
Le Président :
C'est
probable.
Margaret Thatcher :
S'il y a une nouvelle attaque, les États-Unis
seront obligés de réagir. Nous devons veiller à ce que cette voie
de navigation reste ouverte.
Le Président :
Il n'est pas possible de se laisser
psychologiquement diminuer. D'un autre côté, nous n'avons pas
intérêt à ce que la guerre se généralise. Après tout, ce n'est pas
notre problème, cette guerre !
Cependant, la France ne peut
pas s'abstraire des affaires arabes, pour toutes sortes de raisons.
Quand on voit le comportement intégriste fanatique de certains
musulmans, quand on pense que le Maghreb comptera dans vingt ans
100 millions d'habitants, quand on songe au nombre des émigrés en
France, on est obligé de penser à ce qui se produira dans vingt ans
!
Margaret Thatcher :
En tout cas, il ne faut pas que l'Irak
perde.
Le Président :
Cela serait terrible. Dans l'affaire qui nous
occupe, je n'accepterai pas de faux accords. Mais il est bien
difficile de tracer un schéma à l'heure actuelle.
Ce matin, j'ai été humilié en
entendant à la radio la déclaration d'un responsable du canton de
Genève qui expliquait que dans la crise entre l'Iran et la France,
l'Iran n'avait pas tous les torts. Que voulez-vous que pensent les
Iraniens quand ils entendent cela ! Vous savez que lors du récent
détournement d'avion, le gouvernement local de Genève avait déjà
donné du kérosène aux pirates de l'air pour repartir ! Vous savez
par ailleurs qu'ils ont expulsé vers le Liban un Libanais recherché
par la Justice française...
Margaret Thatcher :
C'est navrant. Avec les détournements
d'avions, il faut être très ferme. Il faut les empêcher de
repartir, ne jamais donner de carburant. C'est ce que nous faisons.
Nous n'avons plus de détournements. Malheureusement, trop de pays
ne songent qu'à se débarrasser sur le voisin.
Le Président :
Si les Suisses n'étaient pas intervenus, nous
aurions fait conduire l'avion sur la partie française de la piste,
et l'ordre avait été donné au GIGN d'intervenir. Bien sûr, c'est
tragique, mais on ne peut accepter une telle
situation.
Margaret Thatcher et François Mitterrand font
ensuite le point sur les négociations concernant le
désarmement.
Puis Mme Thatcher demande à visiter les
appartements privés de l'Élysée, sur lesquels elle a lu des
reportages dans des magazines. Le Président les lui montre.
Jeudi 30 juillet
1987
Le Président choisit le
général Fleury comme chef d'état-major particulier pour succéder au
général Forray, qui part au secrétariat général de la Défense
nationale : C'est un homme de caractère, qui
saura se faire respecter.
Vendredi 31 juillet
1987
402 morts parmi les pèlerins présents à La Mecque,
dont 275 Iraniens, à la suite de violents affrontements entre
pèlerins venus d'Iran et policiers saoudiens.
Comment sortir de la « guerre des ambassades »,
qui dure maintenant depuis un mois ? Peut-on désamorcer cette
guerre des nerfs aux conséquences imprévisibles ?
Samedi 1er août 1987
Violentes manifestations à Téhéran, par suite de
la mort des pèlerins iraniens à La Mecque. Les ambassades d'Arabie
Saoudite et du Koweït sont mises à sac.
Le Président iranien laisse entendre que le RPR a
bloqué la libération des otages en mars 1986. Chirac est fou de
rage.
Lundi 3 août
1987
Par suite des événements de La Mecque,
Khomeyni s'en prend à la famille royale
saoudienne, incapable d'assurer la garde des
Lieux saints.
Mardi 4 août 1987
Attentat en Corse : un gendarme tué et trois
autres blessés.
La situation reste bloquée à Téhéran et à
l'ambassade d'Iran à Paris.
Mercredi 5 août
1987
Devant Jacques Chirac qui attend d'être reçu par
le Chef de l'État, Jean-Louis Bianco informe Renaud Denoix de Saint
Marc que le Président accepte la nomination de Jean-Claude Groshens
au Conseil d'État à condition que le problème du statut d'Émile
Biasini soit correctement réglé, comme prévu, et que le prochain
poste libre au Conseil d'État soit réservé au choix du
Président.
Le Premier ministre :
Moi, les nominations, vous savez, je ne m'en
occupe pas du tout. J'accepterai tout candidat pourvu qu'il soit
convenable, qu'il ait des diplômes et qu'il ne s'agisse pas
d'un ancien ministre pourvu du CAP
!
Entretien entre François Mitterrand et Jacques
Chirac avant le Conseil des ministres.
Le Président :
J'ai vu que vous aviez évoqué publiquement les
affaires du Rainbow Warrior et des «
Irlandais de Vincennes ». Je suppose que vous avez des informations
que la Justice ignore. Votre devoir est de communiquer ces
informations à la Justice.
Le Premier ministre :
Non, non, ce n'est pas le moment. Ce ne serait
pas du tout opportun.
Le Président :
Pas du tout. Je me sens tout à fait tranquille
sur ces deux dossiers. Mais, même si je ne l'étais pas, vous devez
suivre la Justice, lui remettre les pièces dont vous
disposez.
Le Premier ministre
passe alors à l'affaire Gordji : Dans le
dossier... vous savez... pour le juge... Il y a vraiment peu de
chose.
(Gilles Ménage, lui, dit avoir eu un contact avec
le juge Marsaud, et que le juge Boulouque a bien de quoi inculper
Gordji.)
François Mitterrand :
Vous imaginez les conséquences de ce que vous
venez de dire ? Rupture des relations diplomatiques, menaces de
terrorisme et même de guerre... et tout cela pour rien ? Vous ne
pouvez pas penser que le gouvernement serait exonéré de ses
responsabilités si les choses se passaient ainsi.
Jacques Chirac :
Ce n'est pas le gouvernement, c'est le
juge.
François Mitterrand :
Le juge travaille à partir des éléments que
lui a fournis la Police. Or rappelez-vous, lors de la réunion que
j'ai tenue dans ce bureau, M. Pasqua avait dit que le dossier était
très chargé.
Jacques Chirac évoque un
article du Canard enchaîné selon lequel
il aurait écrit à Saddam Hussein à propos des livraisons d'armes :
Je trouve scandaleux que ce texte soit sorti
dans la presse !
François Mitterrand :
J'allais justement m'en plaindre auprès de
vous. Vous l'envoyez à tout le monde, sauf à moi !
Jacques Chirac :
Je n'ai pas pensé à vous prévenir ; c'était
une affaire banale qui concernait la réévaluation de la dette
irakienne.
(Les termes utilisés dans le télégramme
diplomatique dont nous avons eu indirectement connaissance prouvent
qu'il ne peut s'agir d'une banale réévaluation de la dette
irakienne. En fait, cela concerne très probablement un gros contrat
militaire.)
Au Conseil, Édouard Balladur arbore un blazer à
boutons dorés. Philippe Séguin me souffle
: Ces boutons sont sûrement en or !
Rarement vu deux hommes aussi dissemblables dans leur comportement
et leur idéal.
Après le Conseil, le Chef de l'État prend à part
François Guillaume au sujet d'un article de Paris-Match dans lequel le ministre de
l'Agriculture met en cause la fermeté du Président dans les
négociations européennes. François
Guillaume proteste : Je n'ai pas dit
cela !
Jeudi 6 août
1987
Robert Armstrong m'interroge sur le Premier
janvier de l'an 2000 ! Margaret Thatcher lui a demandé de réfléchir
à ce que pourrait être la célébration de ce jour-là. Elle lui a
demandé de voir si cela ne pourrait pas être l'occasion d'une
cérémonie « franco-english » ou «
anglo-french ».
Importante déclaration d'Edouard Chevarnadze dans le cadre de la CSCE sur
les Pershing IA : Notre opinion publique ne
comprendrait pas qu'au moment où se signe un accord de désarmement,
les Allemands puissent rester dotés de l'arme nucléaire. En
revanche, Iouri Vorontsov, de passage à Paris, pense qu'un accord
sur le maintien de ces missiles n'est pas impossible, sous réserve
de leur non-modernisation et que soit clairement indiquée une date
pour leur liquidation définitive (dans les cinq ans ?)
En dehors de cette question, l'accord semble très
rapidement possible avec les Américains.
Iouri Vorontsov rentre
d'une mission en Syrie, en Irak puis en Iran. Il me dit :
Les Iraniens n'ont pas de haine envers la
France... Ils estiment que c'est aux Français de trouver une
solution à l'affaire des ambassades, puisque ce sont eux qui ont
commencé. Les Iraniens ne s'opposeraient pas à ce que M. Gordji
soit entendu par les autorités françaises, sous réserve que l'on
trouve une solution appropriée (dans l'embrasure d'une fenêtre de
l'ambassade, par exemple !).
Il estime qu'une sorte d'accord tacite entre les
différentes parties existe pour qu'il n'y ait pas d'incident
militaire majeur dans le Golfe, où les Iraniens ne pensent pas que
les Français pénétreront. (Cela recoupe les informations nous
suggérant le retrait de l'escorte des pétroliers koweïtiens.)
Samedi 8 août 1987
Jacques Chirac est furieux d'apprendre l'attaque
du village d'Aouzou par Hissène Habré. Le Président tchadien
justifie son action en se référant à une déclaration
franco-britannique du 21 mars 1899 qui plaçait Aouzou en
territoire tchadien. La Libye, elle,
fonde sa propre revendication sur un accord passé entre Laval et
Mussolini en 1935, mais qui n'a jamais été ratifié. Le Premier
ministre veut que la France condamne cet acte. Informé par
Jean-David Levitte, directeur-adjoint du cabinet de Raimond, qui
s'est toujours comporté de manière très loyale à notre égard, le
Président décide de réunir à 23 h 15 le général Fleury, Gilles
Ménage et Jean-Louis Bianco.
A l'issue de cette réunion, le
Président téléphone au Premier ministre : Aucune aide ne sera apportée à Hissène Habré pour la
reconquête de la bande d'Aouzou. Nous ne pouvons que très
difficilement reprendre la fiction du 16e parallèle. Mais le 16e parallèle doit être maintenu comme une réalité aux yeux de
Kadhafi, ce qui ne préjuge pas de ce que nous ferions plus au nord.
La rapidité d'action de Hissène Habré a précédé l'installation que
nous avions envisagée à Faya-Largeau. Notez bien les trois points
sur lesquels nous resterons fermes : nous n'aidons en rien à la
reconquête de la bande d'Aouzou ; nous suspendons toute décision
pour Faya-Largeau, sachant qu'il y a déjà des démineurs français,
mais pas plus ; si le Sud est touché, nous réagissons. Donc, nous
sommes bien d'accord ? On ne peut pas approuver l'attaque d'Aouzou,
mais, en même temps, il ne faut pas faire signe à Kadhafi comme
pour lui dire : « Allez-y ! » D'autre part, tout ce qui peut être
fait pour protéger l'acquis et nos propres forces au Tchad devra
être fait.
La France n'est pas engagée
dans une action qui reste à nos yeux de l'ordre de l'arbitrage
international. Nous ne disons pas que la bande d'Aouzou ne fait pas
partie du Tchad, nous disons seulement qu'elle relève de
l'arbitrage international.
Et le Président fait transformer en instructions
diplomatiques à notre ambassadeur le message que Jacques Chirac
projetait d'envoyer en son propre nom à Hissène Habré.
Lundi 10 août
1987
François Mitterrand :
Chirac pense comme il monte les escaliers ; il
parle comme il serre les mains ; il devrait prendre le temps de
s'asseoir.
L'aviation irakienne reprend ses raids contre des
installations pétrolières en Iran, tandis que, pour la première
fois, un pétrolier heurte une mine en mer d'Oman, à la sortie du
détroit d'Ormuz.
Une note d'André Giraud au Président nous apprend
qu'à l'encontre des instructions reçues, le général Saulnier
négocierait avec son homologue allemand, l'amiral Wallershoff, les
conditions d'emploi de l'arme nucléaire française en RFA.
Le Président : Pas
question ! J'ai toujours refusé de négocier cela avec les
Allemands. Je ne l'accepte pas plus aujourd'hui.
Le Président publie un
communiqué pour rappeler que si la France
soutient le Tchad pour la reconquête de son indépendance et de son
unité, elle reste réservée sur le problème d'Aouzou, qui
devrait faire l'objet d'un arbitrage
international.