Chapitre VII : La transformation de la vie.

 

Les Occidentaux considèrent qu'ils ont le sens pratique. Ils veulent "obtenir des résultats". Ils n'aiment pas beaucoup les théories et les discussions qui ne débouchent pas immédiatement sur des applications concrètes. En ce sens, leur comportement peut se résumer à : " Beaucoup de bruit pour rien. "À proprement parler, "théorie" ne veut pas dire "futile spéculation", mais vision. Comme on sait, "là où il n'y a pas de vision, le peuple meurt".

Mais en ce sens, "vision" ne signifie ni "rêves" ni "idéaux pour l'avenir". Cela signifie compréhension de la vie telle qu'elle est, de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. Sans cette compréhension, il est ridicule de parler de sens pratique ou d'invoquer le fait que l'on veut obtenir des résultats. Vous ne faites que tourner en rond, comme si vous marchiez dans le brouillard. Vous ne savez pas où vous allez, ni quels résultats vous espérez vraiment. Pour ceux qui pensent ainsi, ce dont nous avons discuté jusqu'ici peut sembler trop théorique. Ces idées sont très bonnes, mais fonctionnent-elles ? Encore faut-il demander : "Qu'entendez-vous par fonctionner ?" Le "test de fonctionnement" ordinaire d'une philosophie est soit de rendre les gens meilleurs et plus heureux, soit d'aboutir à la paix, la coopération et la prospérité. Néanmoins, cela n'a pas beaucoup de sens en dehors de toute compréhension "théorique". Que voulez-vous dire par "bonheur" ? En quoi des gens "meilleurs" sont-il meilleurs ? Sur quoi allez-vous coopérer ? Que ferez-vous de la paix et de la prospérité ?

La réponse à ces questions dépend entièrement de ce que nous sommes et de ce qu'en réalité nous voulons maintenant. Si par exemple nous voulons en même temps paix et isolement, fraternité et sécurité du "je", bonheur et stabilité, nos volontés sont contradictoires. Aussi positifs que nous soyons, leurs conséquences consisteront en nouvelles contradictions. C'est la vieille histoire de vouloir disposer de son gâteau et de le manger, à laquelle la seule conclusion possible est que vous l'ingériez et le gardiez dans votre estomac jusqu'à en avoir une violente indigestion.

Si nous devons être nationalistes et avoir un État souverain, nous ne pouvons pas simultanément attendre la paix mondiale. Si nous voulons tout obtenir au prix le plus bas, nous ne pouvons pas simultanément attendre la meilleure qualité possible, l'équilibre entre les deux étant la médiocrité. Si nous avons pour idéal d'être moralement supérieurs, nous ne pouvons simultanément nous dispenser d'autodiscipline. Si nous nous accrochons à la croyance en Dieu, nous ne pouvons aussi avoir la foi, puisque la foi n'est pas de s'accrocher mais de se laisser entraîner.

Lorsque nous aurons reconstruit notre esprit ainsi que nous le voulons vraiment, il restera en fait bien des problèmes pratiques et techniques. Mais il est sans objet d'en discuter avant d'avoir reconstruit notre esprit, chose impossible aussi longtemps qu'il est séparé en deux, aussi longtemps que "je" est une chose et "l'expérience" une autre. Si l'esprit est la force qui dirige l'action, l'esprit et sa vision de la vie doivent être guéris avant que l'action puisse être autre chose qu'un conflit.

La pleine conscience propose une vision guérie de l'existence, car elle suppose une transformation profonde de notre regard sur le monde. Autant que les mots puissent la décrire, cette transformation consiste à savoir et à ressentir que le monde est une unité organique.

Habituellement, nous "savons" cela en tant qu'information sans ressentir que c'est la vérité. À coup sûr, la plupart des gens se sentent séparés de tout ce qui les entoure. D'un côté il y a moi-même, de l'autre le reste de l'univers. Je ne suis pas enraciné dans la terre comme un arbre.

Je papillonne indépendamment. J'ai l'impression d'être le centre de tout, et pourtant coupé de tout et solitaire. Je peux sentir ce qui se passe à l'intérieur de mon propre corps, mais je ne peux que deviner ce qui se passe chez les autres. Mon esprit conscient doit avoir ses racines et origines dans les plus insondables profondeurs de l'être, pourtant il s'imagine vivre tout seul dans ce petit crâne isolé.

Néanmoins, la réalité physique est que mon corps n'existe qu'en relation avec cet univers. En fait, j'y suis attaché et j'en dépends comme une feuille sur un arbre. Je m'en sens coupé seulement parce que je suis séparé à l'intérieur de moi-même, parce que j'essaye d'être dissocié de mes propres sentiments et sensations. Ce que je sens et ressens me semble donc étranger. Si je prends conscience du caractère chimérique de cette dissociation, l'univers cesse de m'être étranger.

Car je suis ce que je connais; et ce que je connais est moi. La perception d'une maison de l'autre côté de la rue ou d'une étoile dans l'espace n'est pas moins moi qu'une démangeaison sur la plante de mon pied ou une idée dans mon cerveau. D'un autre côté, je suis aussi ce que je ne connais pas. Je ne suis pas conscient de mon propre cerveau en tant que cerveau. De même, je ne suis pas conscient de la maison de l'autre côté de la rue en tant que chose séparée de la perception que j'en ai. Je connais mon cerveau en tant que pensées et sentiments, et je connais la maison en tant que perceptions. De la même manière et dans le même sens que je ne connais pas mon propre cerveau, ou la maison en tant que chose en elle-même, je ne connais pas les pensées privées de votre cerveau.

Mais mon cerveau, qui est aussi moi, votre cerveau et les pensées qu'il renferme, comme la maison de l'autre côté de la rue, sont tous des configurations d'un processus extraordinairement compliqué appelé le monde réel. Que j'en sois conscient ou non, tout cela est moi dans le sens où le soleil, l'air et la société humaine me sont tout aussi vitaux que mon cerveau ou mes poumons. Si donc ce cerveau est mon cerveau, inconscient de lui comme je le suis, le soleil est mon soleil, l'air mon air et la société ma société.

Je ne peux certes pas commander au soleil d'être ovoïde, ni forcer votre cerveau à penser différemment. Je ne peux voir l'intérieur du soleil, ni partager vos sentiments privés. Je ne peux pas non plus changer la forme ou la structure de mon cerveau, ni le percevoir comme un truc pareil à un chou-fleur. Mais si mon cerveau n'en demeure pas moins moi, le soleil est moi, l'air est moi, et la société dont vous êtes membre est également moi, car toutes ces choses sont aussi essentielles à mon existence que mon cerveau.

Qu'il y ait un soleil séparé de la perception que j'en ai est une déduction. Le fait que j'aie un cerveau, quoique je ne puisse le voir, est aussi une déduction. Nous connaissons ces choses seulement par la théorie, et non par expérience directe. Mais ce monde "externe" d'objets théoriques est manifestement tout aussi unifié que le monde "interne" de l'expérience. À partir de l'expérience, je déduis que tout cela existe. Et parce que l'expérience est une unité, je suis mes sensations, je dois en déduire que cet univers théorique est une unité, que mon corps et le monde participent d'un processus unique.

Il existe maintes théories sur l'unité de l'univers. Mais elles n'ont pas délivré les êtres humains de l'isolement de l'égoïsme, du conflit et de la peur de la vie, parce qu'il y a un monde de différence entre une déduction et un sentiment. Vous pouvez parvenir à la conclusion que l'univers est une unité sans le ressentir. Vous pouvez édifier la théorie selon laquelle votre corps est un mouvement dans un processus ininterrompu qui inclut tous les soleils et les étoiles, et pourtant continuer de vous sentir à l'écart et solitaire. Car le sentiment ne correspondra pas à la théorie avant que vous n'ayez également découvert l'unité de l'expérience intérieure. En dépit de toutes les théories, vous vous sentirez écarté de la vie aussi longtemps que vous êtes divisé de l'intérieur.

Mais vous cesserez de vous sentir à l'écart lorsque vous reconnaîtrez, par exemple, que vous n'avez pas de perception du ciel : vous êtes cette perception. En ce qui la concerne, votre perception du ciel est le ciel lui-même, et il n'y a pas de "vous" à côté de ce que vous sentez, ressentez et savez. C'est pourquoi les mystiques et de nombreux poètes expriment de multiples façons le sentiment qu'ils sont "un avec le Tout" ou "unis à Dieu" ou, comme l'exprima Sir Edwin Arnold :

Précédant le moi, l'univers développe je.

 

Quelquefois cette sensation est en fait purement sentimentale, le poète étant "un avec la Nature" juste aussi longtemps qu'elle fonctionne bien :

Je ne vis pas en moi-même, mais je deviens

Partie de qui m'entoure; et pour moi

Les hautes montagnes sont un sentiment, mais le ronflement

Des cités humaines torture : je ne peux voir

Rien à abhorrer dans la nature, sauf d'être

Un maillon récalcitrant dans une chaîne de chair,

Rangé parmi les créatures, quand l'âme peut s'enfuir,

Et avec le ciel, le pic, la plaine palpitante

De l'océan, ou les étoiles, se mélanger, et non en vain.

 

Cette ivresse rurale de Byron est complètement à côté de la question. Il s'accommode de la nature seulement dans la mesure où il a secouru sa propre nature humaine. La mouche aime la douceur du miel mais non sa viscosité qui fait de lui

Un maillon récalcitrant dans une chaîne de chair,

Rangé parmi les créatures.

 

Le sentimental n'examine pas les profondeurs de la nature pour voir

 

Les existences paresseuses qui effleurent ici, suspendues, ou qui rampent lentement vers le fond...

Le requin aux yeux couleur de plomb, le morse, la tortue, le léopard de mer hirsute, et la pastenague,

Des passions ici, des guerres, des visées, des tribus, apparues dans ces profondeurs océanes, respirant cet air épais à respirer.

 

L'homme doit découvrir que tout ce qu'il voit dans la nature, le monde pâteux et étranger des profondeurs de l'océan, les étendues de glace, les reptiles des marais, les araignées et scorpions, les déserts des planètes sans vie, a son pendant à l'intérieur de lui-même. Il n'est donc pas réunifié avec lui-même avant d'avoir admis que cette "face cachée" de la nature et les sentiments d'horreur qu'elle lui inspire sont aussi "je".

Car toutes les qualités que nous admirons ou qui nous répugnent dans le monde autour de nous sont des reflets de l'intérieur, quoique d'un intérieur qui soit aussi un au-delà, inconscient, immense, inconnu. Les sentiments que le monde rampant du nid de guêpes et de la fosse au serpent nous inspirent se rapportent à des aspects cachés de nos propres corps et cerveaux, des aspects cachés de toutes leurs potentialités de cheminements et frissons méconnus, de vilaines maladies et de douleurs inimaginables.

Je ne sais pas s'il est vrai que certains grands sages et "saints hommes" ont un pouvoir apparemment surnaturel sur des bêtes et des reptiles toujours dangereux pour les mortels ordinaires. Si c'est vrai, c'est sûrement parce qu'ils sont capables de vivre en paix avec les "bêtes et reptiles" en eux-mêmes. Ils n'ont pas besoin d'appeler l'éléphant sauvage Behemoth ou le monstre marin Léviathan ; ils s'adresse familièrement à eux en terme de "Long Nez" et "Visqueux".

Le sentiment d'unité avec le "Tout" n'est cependant pas un état d'esprit nébuleux, un genre de transe dans laquelle toute forme et distinction serait abolie, comme si l'homme et l'univers se fondaient dans une lumineuse brume mauve pâle. Tout comme le processus et la forme ou l'énergie et la matière, moi-même et l'expérience sont des façons différentes de nommer et de contempler la même chose, ainsi, un et plusieurs, unité et multiplicité, identité et différence ne sont pas des opposés qui s'excluent mutuellement : ils sont l'un l'autre, pour autant que le corps est ses divers organes. Découvrir que le multiple est un et que l'un est multiple revient à réaliser que les deux ne sont que des mots et des sons, représentant ce qui est instantanément évident pour les sens et les sentiments mais demeure une énigme pour la logique et la description.

Un jeune homme en quête de sagesse spirituelle se plaça sous le patronage d'un saint homme renommé. Le sage en fit son serviteur personnel, et après quelques mois, le jeune homme se plaignit que jusqu'ici, il n'avait reçu aucun enseignement. "Que veux-tu dire !" s'exclama le saint homme. "Lorsque tu m'apportais mon riz, ne le mangeais-je pas ? Lorsque tu m'apportais mon thé, ne le buvais-je pas ? Lorsque tu me saluais, ne te saluais-je pas en retour ? Quand ai-je jamais négligé de t'instruire ?" "J'ai peur de ne pas comprendre", dit le jeune homme, totalement mystifié. "Quand tu veux examiner une chose, répondit le sage, examine-la directement. Dès que tu commences à penser à elle, tu te trompes entièrement."

Cueillir des chrysanthèmes le long de la clôture de l'Est;

Contempler en silence les collines méridionales ;

Les oiseaux volent à leur nid par couples

À travers l'air doux des montagnes au crépuscule

Dans ces choses gît une signification profonde,

Mais lorsque nous sommes sur le point de l'exprimer,

Nous oublions soudainement les mots.

 

Il ne s'agit pas ici de l'atmosphère contemplative, crépusculaire et peut-être superficiellement idyllique qu'aiment les poètes chinois. Ces choses ont déjà été exprimées, mais le poète ne parle pas en vain. Il ne va pas, comme tant de poètes occidentaux, virer au philosophe et dire qu'il est "un avec" les fleurs, la clôture, les collines et les oiseaux. Ce serait superflu, ou, dans son propre idiome oriental, ce serait "poser les jambes sur un serpent". Car quand vous comprenez réellement que vous êtes ce que vous voyez et savez, vous ne sillonnez pas la campagne en pensant : "Je suis tout cela." Il y a simplement "tout cela ".

Le sentiment que nous faisons face au monde, coupé de lui et mis à part, influence beaucoup la pensée et l'action. Les philosophes, par exemple, ne parviennent souvent pas à reconnaître que leurs remarques sur l'univers s'appliquent aussi à eux-mêmes et à leurs remarques. Si l'univers n'a pas de signification, l'énoncé qui dit cela n'en a pas non plus. Si ce monde est un piège vicieux, il en va également ainsi de celui qui le dit, et c'est l'hôpital qui se moque de la charité.

Dans le sens le plus strict, nous ne pouvons en fait pas du tout penser à la vie et à la réalité, parce que cela impliquerait la pensée sur la pensée, la pensée sur la pensée sur la pensée, et ainsi ad infinitum. On ne peut esquisser de philosophie rationnelle et descriptive de l'univers que dans l'hypothèse où on en est totalement séparé. Mais si vous et vos pensées font partie de cet univers, vous ne pouvez vous tenir au-dehors d'elles pour les décrire. C'est pourquoi tous les systèmes philosophiques et théologiques sont finalement voués à s'écrouler. Pour "connaître" la réalité, vous ne pouvez pas vous tenir en dehors d'elle et la définir; vous devez entrer en elle, être elle et la ressentir.

La philosophie spéculative, telle que nous la connaissons en Occident, est presque entièrement un symptôme de la division de l'esprit, de l'homme essayant de se tenir en dehors de lui-même et de son expérience, afin de la mettre en mots et de la définir. C'est un cercle vicieux, comme toute entreprise de l'esprit divisé.

D'un autre côté, bien concevoir que l'esprit est en réalité non divisé aura une influence correspondante et également de grande portée sur la pensée et l'action. Alors que le philosophe essaye de se tenir en dehors de lui-même et de sa pensée, l'homme ordinaire essaye comme nous l'avons vu de se tenir en dehors de lui-même et de ses émotions et sensations, de ses sentiments et désirs. La fantastique confusion et la manière inappropriée de se conduire qui en résultent ne peuvent prendre fin qu'avec la découverte de l'unité de l'esprit.

Aussi longtemps que l'esprit est coupé en deux, la vie est conflit, tension, frustration et désillusion perpétuels. La souffrance est entassée sur la souffrance, la peur sur la peur et l'ennui sur l'ennui. Plus la mouche lutte pour s'extraire du miel, plus vite elle s'y englue. Soumis à tant de tension et de vanité, il n'est pas étonnant du tout que les hommes cherchent à se libérer par la violence et le sensationnalisme, ainsi qu'en exploitant imprudemment leur corps, leurs appétits, le monde matériel et leurs prochains. Les douleurs nécessaires et inévitables de l'existence s'en trouvent considérablement empirées.

Mais l'esprit non divisé est affranchi de cet effort de toujours vouloir se tenir en dehors de lui-même et d'être ailleurs qu'ici et maintenant. Chaque instant est vécu complètement, ce qui procure un sentiment d'accomplissement et de plénitude. L'esprit divisé vient à la table du dîner et chipote un plat après l'autre, il se presse, ne digère rien ni ne trouve une chose meilleure que la précédente. Il ne trouve rien bon, parce qu'il n'y a rien qu'il goûte réellement.

Quand par contre vous comprenez que vous vivez, que vous êtes en fait cet instant présent et non un autre, et qu'à part cela il n'y a ni passé ni futur, vous vous calmez et percevez complètement les saveurs, que ce soit du plaisir ou de la douleur. Pourquoi cet univers existe devient instantanément évident, pourquoi des êtres conscients ont été créés, pourquoi les organes sensoriels, pourquoi l'espace, le temps et le changement. Tout le problème de justifier la nature, de vouloir donner à l'existence une signification en fonction de son avenir disparaît totalement. À l'évidence, elle existe entièrement pour cet instant. C'est une danse, et lorsque vous dansez vous ne vous préoccupez pas d'aller quelque part. Vous tournez et tournez, mais sans l'illusion de poursuivre quelque chose ou de fuir les mâchoires de l'enfer.

Combien de temps les planètes ont-elles fait le tour du soleil ? Vont-elles quelque part, et vont-elles de plus en plus vite pour y arriver ? Combien de fois le printemps est-il revenu sur terre ? Vient-il plus vite et est-il plus beau chaque année, afin de s'assurer d'être encore meilleur l'année suivante dans sa course vers le printemps qui surpassera tous les printemps ?

La signification et le but de danser est la danse. Semblable à la musique, elle s'accomplit à chaque instant de son déroulement. Vous ne jouez pas une sonate dans le but d'arriver au coeur final, et si la signification des choses résidait simplement en leurs fins, les compositeurs n'écriraient rien d'autre que des finals. On peut toutefois observer en passant que la musique la plus caractéristique de notre culture est à certains égards progressive, et semble parfois se diriger vers une apothéose. Mais lorsqu'elle y arrive, elle ne sait pas quoi faire d'elle-même. Beethoven, Brahms et Wagner furent particulièrement coupables de préparer des conclusions et apogées colossaux, puis de tout faire exploser dans le même choeur, encore et encore, gâchant ces moments par leur incapacité à y mettre fin.

Lorsque chaque instant devient une espérance, la vie est privée d'accomplissement, et la mort est crainte car l'espérance semble prendre fin avec elle. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir et si l'on vit dans l'espoir, la mort est réellement une fin. Mais pour l'esprit non divisé, la mort est un autre instant, entier comme chaque moment, et qui ne peut pas livrer ses secrets à moins d'être vécu complètement :

Et je me suis étendu de mon plein gré.

 

La mort résume la vérité selon laquelle en chaque instant nous sommes poussés dans l'inconnu. Là, tout attachement à la sécurité doit cesser, et la vie est renouvelée partout où le passé s'en va progressivement et où la sécurité est abandonnée. La mort est l'inconnu dans lequel nous vivions tous avant la naissance.

Rien n'est plus créateur que la mort, puisqu'elle est tout le secret de la vie. Elle signifie que le passé doit être abandonné, que l'inconnu ne peut être évité, que "je" ne peut perdurer et que rien ne peut être finalement fixé. Quand un homme sait cela, il vit pour la première fois dans sa vie. En retenant sa respiration, il la perd. En la laissant aller, il la trouve.

Et aussi longtemps que tu ne sais pas

Comment mourir et revenir à la vie

Tu n'es qu'un hôte désorienté

De la terre obscure[12].