SANS FOI NI MATELAS
Le Ruisseau de Wilton se situe au cœur des Grandes Plaines, au nord du Bosquet du Berger, sur la gauche de la Pointe de Dobb, juste au-dessus des falaises qui forment la Constante de Planck. La terre est arable et se trouve principalement au sol. Une fois Tan, les vents tourbillonnants en provenance des plateaux de l'Alta Kicka déferlent à travers champs, soulèvent les paysans occupés à leurs besognes, et les déposent des centaines de kilomètres plus au sud, où ils se réinstallent souvent et ouvrent des boutiques. Par une grise matinée de juin, un mardi, Comfort Tobias, la gouvernante des Washburn, entra chez ses employeurs comme chaque jour depuis dix-sept ans. Le fait d'avoir été licenciée neuf ans plus tôt ne l'empêchait pas de venir faire le ménage, et les Washburn ne l'appréciaient que davantage depuis qu'ils avaient cessé de lui verser son salaire. Avant de travailler pour les Washburn, Tobias murmurait à l'oreille des chevaux dans un ranch du Texas, mais elle était entrée en dépression nerveuse le jour où un cheval lui avait répondu, en chuchotant lui aussi.
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« Ce qui m'a le plus sidérée, se souvient-elle, c est qu'il connaissait mon numéro de Sécurité sociale. »
Lorsque Comfort Tobias pénétra dans la maison des Washbum ce mardi, tous les membres de la famille étaient partis en vacances. (Ils s'étaient embarqués clandestinement sur un bateau de croisière à destination des îles grecques. S'ils avaient dû se cacher dans des tonneaux et se priver d'eau et de nourriture pendant trois semaines, les Washbum avaient néanmoins réussi à se retrouver chaque soir sur le pont, à trois heures du matin, pour jouer au palet.) Tobias monta à l'étage pour changer une ampoule.
« Mme Washbum appréciait qu'on change ses ampoules deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, même si elles étaient encore en bon état, expliqua-t-elle.
Elle adorait avoir des ampoules toutes neuves. Les draps, en revanche, c'était une fois par an. »
À la seconde où la gouvernante entra dans la chambre principale, elle sut qu'il manquait quelque chose.
Soudain, elle comprit - elle n'en crut pas ses yeux !
Quelqu'un s'en était pris au matelas et avait découpé l'étiquette portant la mention : « La loi interdit formellement aux personnes n'étant pas propriétaires de l'article d'en retirer l'étiquette. » Un frisson parcourut Tobias. Ses jambes se dérobèrent sous elle, elle eut envie de vomir. Une petite voix lui commanda d'aller voir dans les chambres des enfants. Comme elle l'avait craint, là aussi les étiquettes avaient été arrachées des matelas. Son sang se figea dans ses veines : une immense ombre menaçante se découpait dans le couloir. Son cœur 90
se mit à battre la chamade. Elle voulut hurler. Puis elle comprit que cette ombre était la sienne. Elle décida de se mettre au régime et appela les autorités. « Je n'avais jamais rien vu de tel, déclara Homer Pugh, le chef de la police. D'habitude, ces choses-là n'arrivent jamais au Ruisseau de Wilton. Il y a bien eu la fois où quelqu'un est entré par effraction dans la boulangerie du coin et a aspiré toute la confiture des beignets. Mais au troisième coup, on a placé des tireurs d'élite sur le toit, et surpris le coupable en flagrant délit ; il a été abattu sur-le-champ.
— Pourquoi ? Pourquoi ? demanda en sanglotant Bonnie Beale, une voisine des Washburn. C'est tellement insensé, tellement cruel. Dans quel monde vivons-nous, si quelqu'un d'autre que l'acheteur du matelas peut découper les étiquettes ?
— Jusqu'alors, déclara Maude Figgins, l'institutrice, quand je sortais, je laissais toujours mes matelas à la maison. Maintenant, à chaque fois que je m'en vais de chez moi, que ce soit pour faire des courses ou pour dîner avec des amis, je suis obligée d'emporter tous mes matelas. »
À minuit ce soir-là, sur la route d'Amarillo, Texas, deux personnes roulaient à grande vitesse à bord d'une Ford rouge. De loin, les plaques d'immatriculation paraissaient authentiques, mais à y regarder de plus près on voyait bien qu'elles étaient en pâte d'amandes. Le chauffeur avait sur l'avant-bras droit un tatouage « PAIX, AMOUR, DECENCE ». Lorsqu'il remontait sa manche gauche, un autre tatouage apparaissait : « Erreur d'impression - Ne pas tenir compte de l'avant-bras droit ».
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À côté de lui se trouvait une jeune femme blonde qu'on aurait pu considérer comme jolie si elle n'avait ressemblé comme deux gouttes d'eau à un parrain de la mafia. Le conducteur, Beau Stubbs, s'était récemment échappé de la prison de San Quentin, où il avait été incarcéré pour abandon de détritus dans un lieu public. Stubbs avait plongé pour une affaire d'emballage de Snickers tombé sur le trottoir. Le juge, déplorant que le coupable ne manifestât pas le moindre regret, l'avait condamné deux fois à la prison à perpétuité.
La femme, Doxy Nash, avait été mariée à un entrepreneur des pompes funèbres. Stubbs était entré un jour dans le salon funéraire, juste pour regarder, sans avoir l'intention d'acheter. Il tomba immédiatement fou amoureux d'elle, et tenta d'engager la conversation pour la séduire, mais elle était alors occupée, en pleine séance d'incinération. Stubbs et Doxy Nash ne tardèrent pas à vivre une histoire d'amour secrète, mais bien vite Doxy le découvrit. Son entrepreneur de mari, Wilbur, appréciait Stubbs, à tel point qu'il proposa de l'enterrer gratuitement, s'il était d'accord pour que cela se fasse le jour même.
Stubbs le mit K.-0. et s'enfuit avec sa femme, non sans l'avoir préalablement remplacée par une poupée gonflable. Un soir, après trois années parmi les plus heureuses de sa vie, Wilbur Nash eut soudain des doutes : en effet, alors qu'il demandait à sa femme de lui resservir un peu de poulet, elle émit subitement un bruit sec et s'envola dans la pièce en dessinant des cercles de plus en plus petits, jusqu'à venir se reposer sur la moquette.
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Avec son mètre soixante-douze, Homer Pugh était assez grand, pour sa taille. Aussi loin qu'il se souvienne, Pugh a toujours été policier. Son père était un célèbre braqueur de banque et le seul moyen de passer un peu de temps avec lui, c'était de l'appréhender. Pugh a arrêté son père à neuf reprises ; leurs conversations lui ont laissé un souvenir impérissable, même si la plupart ont eu lieu alors qu'ils se tiraient dessus.
J'ai demandé à Pugh ce qu'il pensait de la situation.
« Ma théorie ? a dit Pugh. Deux êtres à la dérive, partis en goguette pour voir le monde... Two drifters offto see the world... »
Dans la foulée, il s'est mis à chanter la suite des paroles de Moon River, tandis que sa femme Ann servait à boire et qu'on m'apportait une addition de cinquante-six dollars.
À ce moment-là, le téléphone a sonné. Pugh a bondi dessus. La voix à l'autre bout du fil a retenti dans toute la pièce.
« Homer ?
— Willard », a dit Pugh.
C'était Willard Boggs - l'agent Boggs de la Police d'État d'Amarillo. La Police d'État d'Amarillo est un groupe d'élite. Ses membres ne doivent pas seulement être physiquement imbattables mais également réussir un examen écrit particulièrement ardu. Boggs avait échoué à deux reprises à l'épreuve écrite, la première fois parce qu'il avait été incapable d'expliquer la pensée de Wittgenstêin au planton, là deuxième pour avoir fait un contresens dans la traduction d'Ovide. Sa motivation avait cependant été récompensée par des cours particuliers, et sa
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thèse finale sur Jane Austen demeure un classique chez les motards qui sillonnent les routes d'Amarillo. « On a repéré un couple, a-t-il dit à l'agent Pugh. Comportement très suspect.
— Quel genre ?» a demandé Pugh en allumant une autre cigarette.
Parfaitement informé des problèmes de santé liés au tabac, Pugh consomme uniquement des cigarettes en chocolat. Lorsqu'il en allume le bout, le chocolat fond, dégouline sur son pantalon, et il se retrouve avec des notes de teinturier démesurées par rapport à sa modeste solde de policier.
« Le couple est entré dans un restaurant chic du coin, a poursuivi Boggs. Ils ont commandé un copieux dîner au barbecue, du vin, tout le bataclan. Quand la douloureuse est arrivée, ils ont essayé de payer en étiquettes à matelas.
— Coffre-les, a lancé Pugh. Mais garde ça pour toi, personne ne doit connaître le chef d'accusation.
Dis seulement que leur description correspond à celle d'un couple qu'on veut interroger pour une affaire d'attouchements sur une poule. »
La loi de l'État en cas d'arrachage de l'étiquette d'un matelas ne vous appartenant pas remonte au début des années 1900, à l'époque où Asa Chones s'est querellé avec son voisin à propos d'un cochon qui avait pénétré dans son jardin. Les deux hommes se sont battus pendant des heures pour savoir à qui appartenait désormais le porc, jusqu'à ce que Chones se rende compte qu'il ne s'agissait pas du tout d'un cochon mais de son épouse. La question a été tranchée par les anciens du bourg, qui Qjft décidé que les traits de la femme de Chones étaient 94
suffisamment porcins pour justifier le quiproquo.
Submergé par la colère, Chones est entré chez son voisin ce soir-là et a arraché toutes les étiquettes des matelas. Il a été appréhendé et jugé. Les jurés ont fait valoir qu'un matelas dépouillé de ses étiquettes était
« une insulte à l'intégrité du rembourrage ».
Au départ, Nash et Stubbs ont clamé leur innocence, tâchant de se faire passer pour une marionnette et son ventriloque. Mais sur le coup de deux heures du matin, les deux suspects ont commencé à craquer sous la pression, l'interrogatoire étant en effet mené par Pugh en français, langue que les deux suspects ignoraient, et dans laquelle par conséquent ils ne risquaient pas de mentir. Stubbs
a fini par avouer.
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« On s'est garés devant chez les Washburn au clair de lune, a-t-il reconnu. On savait que la porte d'entrée restait toujours ouverte, mais on est quand même entrés par effraction, histoire de pas perdre la main. Doxy a retourné toutes les photos de famille face contre le mur, pour pas qu'il y ait de témoin.
C'est en prison que j'avais entendu parler des Washburn, par Wade Mullaway, un tueur en série qui dépeçait ses victimes et les mangeait. Il avait été employé comme cuisinier chez les Washburn, mais s'était fait renvoyer le jour où ils avaient retrouvé un nez dans le soufflé. Je savais que c'était non seulement interdit par la loi mais considéré comme un crime contre Dieu d'ôter les étiquettes des matelas alors que je les avais pas achetés, mais il y avait toujours cette petite voix qui m'obligeait à le faire, celle du présentateur télé Walter Cronkite, je crois bien.
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J ai découpé les étiquettes des Washbum, Doxy s'est chargée des matelas des enfants. Je transpirais - la pièce tremblait autour de moi - toute mon enfance a défilé sous mes yeux, puis l'enfance d'un autre gamin, et pour finir l'enfance du Nizam dïlyderabad. »
Au procès, Stubbs a choisi d'assumer lui-même sa propre défense, refusant la présence d'un avocat.
Toutefois, il n'a pas réussi à se mettre d'accord sur les honoraires, ce qui a créé certaines tensions. J'ai rendu visite à Beau Stubbs dans le « couloir de la mort ». Cela fait maintenant une décennie que plusieurs recours lui ont évité la potence. Il a mis à profit cette période pour apprendre un métier : il est devenu pilote de ligne. J'étais présent quand la sentence finale a été prononcée. Une somme d'argent importante a été versée à Stubbs par Nike pour les droits télévisés, autorisant la compagnie à placer son logo sur le devant de la cagoule noire. Quant à savoir si la peine de mort a un pouvoir effectivement dissuasif, cela demeure discutable, en dépit des études tendant à prouver que les criminels commettent statistiquement moitié moins d'infractions après leur exécution.
L'ERREUR EST HUMAINE,
LA LÉVITATION DIVINE
Je suffoquais, ma vie défilait sous mes yeux en une série de vignettes nostalgiques. C'était il y a quelques mois. Ce jour-là, comme chaque matin après le kipper, je croulais sous une avalanche de prospectus publicitaires qui se déversaient par la fente de la boîte aux lettres, à travers ma porte : invitations à des expositions, à des œuvres dites de bienfaisance, sans parler de tous les gros lots que j'avais gagnés à des concours de « pyrates ». Ayant entendu une voix de fausset étouffée sous les imprimés, Grendel, notre femme de ménage wagné-rienne, m'extirpa à l'aide de l'aspi-bébêtes. Comme je classais mon courrier, minutieusement, et par ordre alphabétique, dans la déchiqueteuse à papiers, je remarquai parmi la pléthore de catalogues vantant tout et n'importe quoi - des mangeoires à oiseaux aux livraisons mensuelles de drupes et agrumes divers - une petite brochure que je n'avais pas commandée, mais au titre néanmoins évocateur : Magic Mélange. Visant manifestement le public new âge, les services qu'on y trouvait allaient du pouvoir des cristaux à la guérison holistique, en 99
passant par les vibrations télépathiques. On y proposait des astuces pour développer son énergie spirituelle, l'amour plutôt que le stress, et savoir exactement à quelle porte frapper et quel formulaire remplir pour se réincarner. Les publicités, scrupuleusement rédigées de manière à se protéger de la curiosité intempestive de la Brigade de la répression des fraudes, proposaient des «
ioni-seurs thérapeutiques », des « aqua-énergiseurs pour le vortex », et un produit baptisé « Phyto-grobuste », conçu pour augmenter le volume des Cavaïllons de madame. Les conseils parapsycho-logiques ne manquaient pas : une « ultra-lucide spirituelle » vérifiait toutes ses intuitions auprès d'un « consortium d'anges »
baptisé « Consortium Sept » ; une certaine Saleena - un nom d'effeuilleuse, assurément - proposait de «
rééquilibrer votre énergie, d'éveiller votre ADN et de faire venir à vous l'abondance ». Naturellement, pour tous ces voyages éducatifs au centre de l'âme, de modestes émoluments étaient requis, afin de couvrir les frais du gourou -timbre postaux et autres dépenses qu'il ou elle n'aurait pas manqué d'accumuler dans une vie antérieure.
Le personnage le plus saisissant de tous était sans doute la truculente « fondatrice et présidente du Cercle de la Divine Ascension sur la Planète Terre ». Connue de ses disciples sous le nom de Gabrielle Hathor, la déesse autoproclamée était, à en croire le rédacteur, « la plénitude incarnée ». Cette figure emblématique de la Côte Ouest annonçait... « une accélération de la rétroaction kar-mique... » La Terre était entrée « dans un hiver spirituel », qui durerait « 426 000 années ». Sou-100
eieuse de parer aux rudesses de cet hiver sans fin, Mme Hathor avait initié un mouvement visant à enseigner aux êtres Fart de l'ascension, afin d'atteindre des « dimensions de fréquences supérieures », où il serait sans doute possible de sortir davantage et de jouer un peu au golf.
« Lévitation, déplacement dans l'espace, omni-science, matérialisation et dématérialisation des personnes, sont désormais à la portée de tous », proclamait le baratin racoleur destiné au gogo. « Du haut de ces fréquences supérieures, l'être élevé peut percevoir les fréquences du dessous, alors qu'inversement les êtres en fréquence basse ne peuvent percevoir les dimensions plus élevées. »
Une certaine Pléiades Moonstar - un nom qui me plongerait dans une consternation sans bornes si j'apprenais à la dernière minute que c'était celui du pilote de mon avion ou de mon neurochirurgien -apportait sa garantie morale à l'entreprise. Les adeptes du mouvement de Mme (ou Mlle) Hathor devaient se soumettre à une «
procédure d'humiliation » visant à purifier chacun de ses tendances égoïstes pour booster ses fréquences. Les paiements sonnants et trébuchants n'étaient pas vus d'un bon œil ; en revanche, moyennant un peu de servilité crasse et de labeur productif, il y avait moyen d'obtenir le gîte et le couvert (haricots mungo), tout en montant - ou en descendant - sur l'échelle de la conscience.
Si je raconte tout cela, c'est que le même jour, alors que je sortais du magasin Hammacher Schlemmer, en proie à une indécision' obsessionnelle - devais-je acheter une presse à canard infor-101
matisée ou le massicot portable le plus perfectionné du monde ? -je heurtai, tel le Titanic, Max Flummery, un vieil iceberg dont j avais fait la connaissance à la fac : la cinquantaine grassouillette, des yeux de morue et un postiche aux mèches suffisamment entassées pour créer un effet banane en trompe-l'œil, il me serra la main en me secouant comme un prunier et se lança dans le récit de sa récente bonne fortune.
« Qu est-ce que tu veux que je te dise, bonhomme, j'ai touché le gros lot. Je suis entré en contact avec mon moi spirituel intérieur, et à partir de là, ça a été bingo.
— Tu peux détailler un peu ? fis-je, remarquant le costume taillé sur mesure et, à son petit doigt, une bague grosse comme une tumeur déjà bien avancée.
— Je suppose que je ne devrais pas tailler une bavette avec quelqu'un d'une fréquence inférieure, mais depuis le temps qu'on se connaît, hein...
— Fréquence ?
— Attention, je parle de dimensions, là. À ceux d'entre nous qui se situent dans la frange supérieure, on apprend à ne pas gaspiller nos hyper-ions avec de simples mortels arriérés, groupe dont tu fais partie, sans vouloir t'offenser.
Ce qui ne veut pas dire que nous n'étudions pas et n'apprécions pas les formes inférieures - merci à Leewenhoek et à ses microscopes, si tu vois ce que je veux dire. »
Soudain, avec l'instinct du faucon repérant sa proie, Flummery tourna la tête et aperçut une blonde aux longues jambes, en jupe mini mini, qui cherchait un taxi.
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« Vise un peu la donzelle ! Ce petit minois ! s'exclama-t-il, tandis que ses glandes salivaires enclenchaient la troisième.
— Une vraie pin-up de magazine, reconnus-je, sentant les premiers symptômes du gros coup de chaud. Enfin, si j'en juge par son chemisier transparent.
— Regarde bien », dit Flummery.
Sur ce, il prit une profonde inspiration et commença à s élever au-dessus du sol. Au plus grand étonnement de la Miss Juillet et de moi-même, il était en pleine lévitation à trente centimètres au-dessus de la chaussée, juste devant Hammacher Schlemmer. Cherchant les fils accrochés au plafond, la môme s'approcha.
« Hé, comment faites-vous ça ? roucoula-t-elle.
— Tiens. Voici mon adresse, lui susurra-t-il. Je serai à la maison ce soir après vingt heures. Passe donc. Avec moi, tu auras toi aussi les pieds en l'air en un clin d'œil.
— J'apporterai du petrus », gazouilla-t-elle, fourrant dans l'abîme de son décolleté les détails logistiques de son rendez-vous galant, avant de s'éloigner en tortillant des hanches, tandis que Flummery redescendait sur le plancher des vaches.
« Qu'est-ce qui t'arrive ? demandai-je. Tu t'es réincarné en Houdini ?
— Bon, soupira-t-il avec condescendance. Puisque je daigne m'entretenir avec une paramécie, autant te déballer la totale. Allons au Stage Delicatessen Restaurant décimer quelques
schnecken
et je te
raconterai. »
J'entendis alors comme un bruit sec de bouchon de Champagne, et Flummery se volatilisa. Je retins 103
ma respiration et mis la main sur ma bouche ouverte, à la manière effarouchée des sœurs Gish. Quelques secondes plus tard, il réapparaissait, penaud.
« Navré. J'avais oublié que vous autres larves rampantes n'entendiez que couic à la dématérialisation et au déplacement dans l'espace. Au temps pour moi.
Allons-y à pinces. »
J étais justement encore en train de me pincer quand Flummery commença son histoire.
« Bien, dit-il, retour en arrière. C'était il y a six mois.
À1 époque, le petit Max à sa maman Flummery était au trente-sixième dessous. Une série de pépins, mon vieux, et si tu ajoutes la déchirure que je me suis faite à l'épaule, la misère de Job, à côté, c'est de la gnognote. D'abord, là petite bridée de Taïwan à qui je donnais des cours particuliers d'horizontalité débridée me zappe pour le zozo qui double Brad Pitt dans ses cascades ; ensuite, je me retrouve sur la paille à la suite d'un procès, tout ça parce que je suis entré en marche arrière avec ma Jaguar dans une salle de lecture de l'Église scientiste. Pour finir, mon fiston, né d'un précédent holocauste conjugal, qui gagnait bien sa vie en fabriquant des tartes, a plaqué son boulot pour rejoindre les Talibans. Et me voilà avec le moral dans les chaussettes, à errer dans New York en quête d'une raison d'être, d'un point d'équilibre spirituel pour ainsi dire, lorsque brusquement, comme par miracle, je tombe sur une pub dans Vibrations Illustrated. Un établissement genre station thermale qui aspire ton mauvais karma comme par liposuccion, et te fait accéder à une fréquence supérieure, d'où tu peux enfin domi-104
ner la nature façon Faust. Je metais fixé pour règle de ne jamais tomber dans les attrape-nigauds de ce genre, mais lorsque j'ai pigé que le directeur général était une véritable déesse ayant pris forme humaine, je me suis dit, après tout, qu'est-ce que je risque ? D'autant que c'est gratuit. Ils n'acceptent pas de pognon. Le système s'appuie sur une variante de l'esclavage, mais en contrepartie, tu as droit à des cristaux qui te rendent plus fort et à tous les millepertuis que tu peux cueillir. Ah, et aussi, j'ai failli oublier : elle t'humilie. Mais ça fait partie de la thérapie - ses sbires ont, par exemple, fait mon lit en portefeuille et ont attaché, sans que je m'en rende compte, une queue d'âne à mon fond de pantalon. Certes, j'ai été le souffre-douleur pendant un certain temps, mais je vais te dire, mes chevilles ont sacrement désenflé. Soudain je me suis rendu compte que j'avais vécu des vies antérieures, d'abord comme simple bourgmestre, puis dans la peau de Cranach le Vieux - ou non, je ne sais plus, c'était peut-
être le Jeune. Enfin bref, je me suis réveillé sur ma paillasse rudimentaire avec ma fréquence propulsée dans la stratosphère. J'avais un nimbus autour de l'occiput et j'étais omniscient. Figure-toi que dans la foulée j'ai gagné le tiercé dans l'ordre à Belmont. Pendant une semaine, j'ai attiré les foules à chaque fois que je me suis pointé au Bellagio de Vegas. Et si par hasard j'ai un doute sur un canasson, ou si j'hésite à redemander une carte au blackjack, il y a un consortium d'anges que je peux consulter à loisir. C'est vrai, après tout, ce n'est pas parce qu'on a des ailes et qu'on est taillé dans l'ectoplasme qu'on ne peut pas empocher du
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flouze aux courses, hein. Tiens, zyeute un peu le paquet de biftons. »
Flummery sortit de chaque poche plusieurs liasses de billets de mille dollars, épaisses comme des balles de coton.
« Oups, excuse-moi, dit-il en récupérant quelques rubis tombés de sa veste lorsqu'il en avait sorti ses billets verts.
— Et elle ne réclame aucune rémunération en contrepartie ? demandai-je, tandis que déjà mon cœur s'emplissait de joie, telle une baudruche gavée à l'hélium.
— Ma foi, c'est comme ça avec les avatars. Ils ont le cœur sur la main. »
Le soir même, en dépit des imprécations de ma douce et tendre, ponctuées d'un bref coup de fil passé par ses soins au cabinet Shmeikel et Fils pour vérifier que notre contrat de mariage couvrait les cas de démence précoce, je m'envolai vers l'ouest, cap sur le Cercle de la Divine Ascension, où résidait la déesse Galaxie Sunstroke, une splendeur qui se présenta en sous-vêtements Fredericks of Hollywood. Elle m'invita à entrer dans le sanctuaire qui dominait son fief - une ferme à l'abandon qui rappelait curieusement le fameux Spahn Ranch où Charles Manson avait naguère élu domicile - posa sa lime à ongles et s'installa confortablement sur le divan.
« Mets-toi à ton aise, me dit-elle sur un ton plus proche de l'actrice Iris Adrian que de la danseuse Martha Graham. Alors comme ça, tu veux entrer en contact avec ton centre spirituel ?
—
Oui. J'aimerais grimper dans les fréquences, pouvoir léviter, me téléporter, me dématérialiser et 106
être assez omniscient pour deviner à l'avance les numéros qui vont sortir à la Loterie de New York.
— Que fais-tu dans la vie ? demanda-t-elle, éton-namment peu omnisciente pour une majesté d un si haut rang.
— Gardien de nuit dans un musée de cire, répon-dis-je, mais ce n'est pas aussi épanouissant qu'on pourrait croire.
»
Se tournant vers un des Nubiens qui l'éventait avec des feuilles de palmier, elle demanda :
« Qu'en pensez-vous, les gars ? Il ferait un bon gardien, non ? Il pourrait peut-être s'occuper de la fosse sceptique.
— Merci, dis-je en m'agenouillant, posant le visage à terre en signe de mortification.
— Bien, dit-elle en tapant dans ses mains, tandis que cinq de ses loyaux sbires surgissaient de derrière des rideaux de perles.
— Donnez-lui un bol de riz et rasez-lui la tête. En attendant qu'un lit se libère, il peut dormir avec les poulets.
— Vos désirs sont des ordres », murmurai-je, détournant le regard de Mme (ou Mlle) Sunstroke, de peur de la distraire des mots croisés qu'elle venait de commencer. Je fus reconduit au dehors, craignant confusément qu'on me marque au fer rouge.
D'après ce que je pus voir au fil des jours qui suivirent, la propriété grouillait de paumés de tout poil : une ribambelle de poltrons, des casse-pieds de première, des actrices qui ne levaient pas le petit doigt sans consulter les astres, sans parler des obèses, d'un type qui avait été impliqué dans une
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affaire d'empaillage ayant fait scandale et d'un nain qui refusait d'admettre qu'il n'était pas à la hauteur. Tous cherchaient à atteindre un niveau supérieur, tout en trimant non-stop, dans une soumission lobotomisée à la déesse suprême. Celle-ci se montrait à l'occasion, sur ses terres. Elle dansait comme Isadora Duncan ou fumait une longue pipe, avant de hennir de rire, tel Seabiscuit le Pur-Sang. En échange de quelques pauses et permissions concédées par le chaman en chef du camp - un ex-videur que j'avais déjà vu, me semblait-il, dans un documentaire sur la « loi Megan » sur la délinquance sexuelle - on exigeait des fidèles qu'ils consacrent douze à seize heures de leur journée à récolter des fruits et des légumes pour la consommation du personnel et à fabriquer diverses denrées destinées à la vente : cartes à jouer coquines, dés en mousse à suspendre aux rétroviseurs, ramasse-miettes pour restaurants, etc. Outre mes responsabilités dans la maintenance du système d'écoulement des eaux usées, j'avais pour mission, en tant que gardien, de ramasser au pique-feuilles les papiers d'emballage des friandises à la caroube bio qui jonchaient le sol. Au début, il fut difficile de s'adapter au régime essentiellement composé de graines de luzerne, de tofu et d'eau ionisée ; mais un billet de dix allongé à l'un des gourous les moins stricts, dont le frère tenait une gargote des environs, permettait de se faire livrer de temps en temps un sandwich thon-mayo.
La discipline était plutôt laxiste, on attendait de chacun qu'il prenne ses responsabilités ; toutefois, contrevenir aux règles de diététique ou tirer au flanc pendant le travail pouvait occasionner des
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sanctions : la flagellation, par exemple, ou la pendaison à un téléphone portatif de campagne. Les humiliations se succédaient, cela participait du rituel purificateur pour débarrasser chacun de ses tendances égoïstes. Et lorsque enfin il fut décrété que j'allais pouvoir faire l'amour à une prêtresse karmique qui ressemblait comme deux gouttes d'eau au mafioso Vincent Coll, dit Mad Dog, je décidai qu'il était temps de plier les gaules. Après être passé sous le grillage barbelé en rampant sur le dos, je m'échappai dans la nuit noire et hélai le dernier 747 à destination de l'Upper West Side.
« Alors, fit ma femme avec cette tolérance mâtinée de bonté qu'on réserve aux individus irrémédiablement atteints de sénilité. Tu t'es dématérialisé pour te téléporter jusqu'ici ou est-ce là une serviette de cocktail Continental Airlines que je vois pendouiller à ton cou ?
— Je ne suis pas resté assez longtemps pour ça, ripostai-je, fulminant contre elle et son subtil mépris, mais j'en ai suffisamment sué pour apprendre ce petit numéro. Regarde bien. »
Sur ce, je m'élevai quinze centimètres au-dessus du sol et me déplaçai ainsi dans la pièce, tandis que sa bouche s'ouvrait comme celle du requin des Dents de la mer.
« Vous êtes tous pareils, les jé-sais-tout à basse fréquence », dis-je, remuant le couteau dans la plaie avec une joie non dissimulée, mais avec indulgence cependant.
Elle poussa un ululement de sirène annonçant les bombardements ennemis, et ordonna à nos enfants de courir aux abris pour échapper à cet envoûte-109
ment cauchemardesque. C'est à ce moment-là que je commençai à réaliser que je n'arrivais pas à redescendre. J'eus beau faire tout mon possible, la manœuvre se révéla impossible. Un tohu-bohu digne de la scène de la grande salle de réception dans Une nuit à Vopéra s'ensuivit : les enfants étaient incontrôlables, ils tremblaient et mugissaient. Les voisins accoururent pour nous sauver de ce qu'ils croyaient sans doute être un massacre. Pendant ce temps, à grand renfort de grimaces et de contorsions, je déployais des efforts faramineux pour perdre de l'altitude. En vain. Finalement, ma moitié passa à l'action. S'emparant d'une planche qui se trouvait à portée de main, elle prit le parti de résoudre cette anomalie de la physique conventionnelle en me tapant sur le crâne. Elle m'envoya au tapis en trois coups. Aux dernières nouvelles, Max Flummery s'était définitivement dématérialisé. Quant à Galaxie Surishine et son Cercle de la Divine Ascension, la rumeur veut que le fisc s'en soit mêlé : l'organisation aurait été démantelée et, faute d'être réincarnée, Galaxie aurait été réincarcérée. En ce qui me concerne, je n'ai plus jamais pu m'élever à nouveau dans les airs, ni deviner à l'avance le nom d'un seul cheval qui fasse mieux que sixième au tiercé d'Aqueduct.
THÉORIE DES CORDES
ET DÉSACCORD
Je suis grandement soulagé d'apprendre qu'on est enfin en mesure d'expliquer l'univers. J'allais finir par croire que c'était moi qui déraillais. H s'avère que finalement la physique, telle une vieille tante qui radote, a réponse à tout. Le big-bang, les trous noirs et la soupe primordiale se rappellent à notre bon souvenir tous les mardis dans le « cahier sciences »
du Times, tant et si bien que je comprends désormais les subtilités de la relativité générale et de la mécanique quantique aussi bien qu'Einstein -
Einstein Moomjy, j'entends, le marchand de tapis.
Comment ai-je pu ignorer si longtemps qu'il existe dans l'univers des unités aussi infimes que la « longueur de Planck », qui mesure un millionième de milliardième de milliardième de milliardième de centimètre ? Vous vous rendez compte, si vous en faites tomber une dans la salle obscure d'un cinéma, pour la retrouver ? Comment fonctionne l'attraction universelle ? Si la gravité devait soudain cesser, certains restaurants exigeraient-ils encore le port du veston ? Ce que je sais, en physique, c'est que pour un homme se tenant sur la berge, le temps 113
passe plus vite que pour celui qui se trouve en bateau
- surtout si ce dernier est avec sa femme. Le dernier miracle de la physique est la théorie des cordes, ou «
théorie du tout ». Une théorie globale qui expliquerait l'ensemble des phénomènes physiques, y compris l'incident de la semaine dernière ci-des-sous décrit.
Je me suis réveillé vendredi, mais comme l'univers est en pleine expansion, il m'a fallu plus de temps que de coutume pour trouver ma robe de chambre.
Du coup, je suis parti en retard au travail. En outre, compte tenu de la relativité du concept de haut et de bas, l'ascenseur que j'ai pris montait et je me suis retrouvé au dernier étage de l'immeuble, où j'ai eu toutes les peines du monde à trouver un taxi. Il ne faut pas oublier qu'un homme voyageant dans un vaisseau spatial à une vitesse proche de celle de la lumière aurait donné l'impression de ne pas être en retard au bureau - voire d'être un peu en avance, et en tout cas mieux sapé que moi. Quand je suis finalement arrivé au travail, je suis allé voir mon patron, M. Muchnick, pour lui expliquer la raison de mon retard, sauf que ma masse a augmenté en proportion inverse du carré de la distance, ce qu'il a considéré comme de l'insubordination. Il a été question d'une retenue sur mon salaire, lequel, rapporté à la vitesse de la lumière, est de toute façon assez négligeable. D'ailleurs, comparé au nombre d'atomes dans la galaxie d'Andromède, je gagne assez peu. J'ai essayé de faire part de mes réflexions à M. Muchnick. Il a dit que je ne tenais pas compte du fait que le temps et l'espace, c'était la même chose. Il a d'ailleurs juré que si cette situa-
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tion venait à changer, j'aurais droit à une augmentation. Je lui ai alors répondu que dans la mesure où le temps et l'espace revenaient au même, comme il faut trois heures pour fabriquer un article qui à l'arrivée mesure moins de quinze centimètres, on ne peut décemment pas le vendre à plus de cinq dollars.
Le seul aspect positif de l'identité du temps et de l'espace, c'est que lorsque vous bourlinguez aux confins de l'univers pour un voyage de trois mille années terrestres, certes, à votre retour, vos amis seront morts, mais au moins vous n'aurez pas besoin de Botox.
De retour dans mon bureau, où les rayons du soleil entraient par la fenêtre, je me suis dit que si cet immense astre doré explosait soudain, notre planète quitterait son orbite et prendrait la tangente pour l'éternité - une bonne raison de plus de ne jamais se séparer de son téléphone portable. D'un autre côté, si j'avais un jour la possibilité d'aller à une vitesse supérieure à trois cent mille kilomètres par seconde et, ainsi, de rémonter à travers les siècles, pourrais-je atterrir en Egypte antique ou dans la Rome impériale
? Mais une fois sur place, qu'est-ce que j'y ferais ? Je ne connaissais pratiquement personne, là-bas. C'est alors que notre secrétaire, Mlle Lola Kelly, est entrée. Pour revenir au débat opposant les tenants d'un univers exclusivement particulaire aux théoriciens d'un monde ondulatoire, je peux témoigner : la démarche de Mlle Kelly est assurément ondoyante. Aucun scientifique ne contestera l'ondoiement de ses hanches lorsqu'elle se rend au distributeur d'eau réfrigérée. Je pense pouvoir affirmer qu'elle et moi avons des atomes 115
crochus, et ses courbes ne laissent pas insensibles les hommes, qui tendent à filer chez Tiffany lui acheter des breloques. Ma femme aussi est plus ondulatoire que particulaire, bien que ses ondes aient maintenant tendance à s'affaisser un peu. À moins que le problème de ma femme soit lié à un excès de quarks, ou du moins à un léger surquark. À vrai dire, ces temps-ci on pourrait croire qu'elle a franchi l'horizon des événements pour se faire happer par un trou noir, dans lequel elle s'est trouvée partiellement engloutie. Ça lui confère une drôle de forme qui, je l'espère, pourra être corrigée par fusion à froid.
Moi, je conseille toujours d'éviter les trous noirs car une fois qu'on est pris dans ces machins-là, on a toujours un mal fou à s'en sortir. Sans parler des risques d'une perte d'acuité auditive tout à fait préjudiciable au mélomane. Si d'aventure vous tombez tout au fond d'un trou noir et émei^ez à l'autre bout, alors il y a de bonnes chances pour que vous reviviez en boucle votre vie entière, mais vous serez certainement trop compressé pour sortir et rencontrer des nanas.
Je me suis donc approché du champ gravitationnel de Mlle Kelly et j'ai senti qu'elle était dans mes cordes. Je n'ai plus eu qu'une seule idée en tête : envelopper ses gluons de mes bosons à faible interaction, me glisser par un trou de ver et m'abandon-ner aux plaisirs de l'effet tunnel. À cet instant précis j'ai perdu mes moyens, frappé de plein fouet par le principe d'incertitude d'Heisenberg.
Comment passer à l'action si je ne pouvais mesurer simultanément sa position et sa vitesse ? Et que se passerait-il en cas de singularité initiale, autrement dit si 116
une rupture dans l'espaee-temps venait à se produire ? Ça fait un tel barouf. Tout le monde allait lever la tête et j'aurais l'air malin devant Mlle Kelly. Ah, pourtant cette jeune femme possède une telle « énergie noire » !
L'énergie noire - ou « énergie sombre » - m'a toujours excité, surtout chez les femmes qui ont des dents de lapin.
J'ai alors eu ce fantasme : j'arrive à l'attirer dans un accélérateur de particules, oh cinq minutes, pas plus, je suis à côté d'elle avec une bouteille de château-lafite, elle me chante un quantique, et nos noyaux entrent en collision. Évidemment, juste à ce moment-là je me suis retrouvé avec une poussière d'étoile dans l'œil et en guise d'entrée en antimatière il a fallu que je trouve un Coton-tige. J'avais pratiquement perdu tout espoir lorsqu'elle s'est tournée vers moi.
— Je suis navrée, a-t-elle dit. J'avais l'intention de commander un café et un pain aux raisins mais je n'arrive plus à me souvenir de l'équation de Schrôdinger. C'est tout de même idiot, non ? Pourtant, je l'ai sur le bout de la langue.
— Ah, l'évolution des ondes probabilistes, ai-je susurré. Dites, puisque vous y allez, pouniez-vous me commander un muffin aux muons et du thé lepton ?
— Avec plaisir, a-t-elle répondu en souriant avec coquetterie, s'enroulant sur elle-même jusqu'à prendre la forme de Cabali-Yau. J'ai senti que ma constante de couplage envahissait son champ faible tandis que je posais mes lèvres sur son neutrino humide. J'ai apparemment accompli une sorte de fission, car l'instant d'après, je me suis relevé avec un œil au beurre noir gros comme une supernova.
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À croire que si la physique peut presque tout expliquer, la gent féminine demeure néanmoins un mystère. Quant au coquard, j'ai raconté à ma femme que c était à cause de Funivers qui est non pas en expansion, comme on a pu le croire, mais en phase de contraction ; je ne faisais pas bien attention, c'est tout. Ce que je peux être tête en 1 air, je vous jure.