Conte d’une chose arrivée à Château-Thierry

 

Un savetier, que nous nommerons Blaise,

Prit belle femme ; et fut très avisé

Les bonnes gens qui n’étaient à leur aise,

S’en vont prier un marchand peu rusé,

Qu’il leur prêtât dessous bonne promesse

Mi-muid de grain ; ce que le marchand fait.

Le terme échu, ce créancier les presse.

Dieu sait pourquoi : le galant, en effet,

Crut que par là baiserait la commère.

« Vous avez trop de quoi me satisfaire

(Ce lui dit-il) et sans débourser rien ;

Accordez-moi ce que vous savez bien.

– Je songerai, répond-elle, à la chose. »

Puis vient trouver Blaise tout aussitôt,

L’avertissant de ce qu’on lui propose.

Blaise lui dit : » Par bieu, femme, il nous faut

Sans coup férir rattraper notre somme.

Tout de ce pas allez dire à cet homme

Qu’il peut venir, et que je n’y suis point.

Je veux ici me cacher tout à point.

Avant le coup demandez la cédule.

De la donner je ne crois qu’il recule.

Puis tousserez afin de m’avertir ;

Mais haut et clair, et plutôt deux fois qu’une.

Lors de mon coin vous me verrez sortir

Incontinent, de crainte de fortune. »

 

Ainsi fut dit, ainsi s’exécuta.

Dont le mari puis après se vanta ;

Si que chacun glosait sur ce mystère.

« Mieux eût valu tousser après l’affaire,

(Dit à la belle un des plus gros bourgeois)

Vous eussiez eu votre compte tous trois.

N’y manquez plus, sauf après de se taire.

Mais qu’en est-il ? or ça, belle, entre nous. »

Elle répond : » Ah Monsieur ! croyez-vous

Que nous ayons tant d’esprit que vos dames ? »

Notez qu’illec avec deux autres femmes,

Du gros bourgeois l’épouse était aussi)

« Je pense bien, continua la belle.

Qu’en pareil cas Madame en use ainsi ;

Mais quoi, chacun n’est pas si sage qu’elle. »