Les Amours de Mars et de Vénus

 

Gélaste montre à Acante une tapisserie, ou sont représentées les Amours de Mars et de Vénus, et lui parle ainsi.

 

« Vous devez avoir lu qu’autrefois le dieu Mars,

Blessé par Cupidon d’une flèche dorée,

Après avoir dompté les plus fermes remparts,

Mit le camp devant Cythèrée.

Le siège ne fut pas de fort longue durée :

À peine Mars se présenta,

Que la belle parlementa.

 

Dans les formes pourtant il entreprit l’affaire :

Par tous moyens tâcha de plaire :

De son ajustement prit d’abord un grand soin.

Considérez-le en ce coin,

Qui quitte sa mine fière.

Il se fait attacher son plus riche harnois.

Quand ce serait pour des jours de tournois,

On ne le verrait pas vêtu d’autre manière.

L’éclat de ses habits fait honte à l’œil du jour.

Sans cela, fit-on mordre aux Géants la poussière,

Il est bien malaisé de rien faire en amour.

En peu de temps Mars emporta la dame.

Il la gagna peut-être, en lui contant sa flamme :

Peut-être conta-t-il ses sièges, ses combats ;

Parla de contrescarpe, et cent autres merveilles

Que les femmes n’entendent pas,

Et dont pourtant les mots sont doux à leurs oreilles.

Voyez combien Vénus en ces lieux écartés

Aux yeux de ce guerrier étale de beautés :

Quels longs baisers ! la gloire a bien des charmes ;

Mais Mars en la servant ignore ces douceurs.

Son harnois est sur l’herbe : Amour pour toutes armes

Veut des soupirs et des larmes :

C’est ce qui triomphe des cœurs.

 

Phébus pour la déesse avait même dessein ;

Et charme de l’espoir d’une telle conquête

Couvait plus de feux dans son sein,

Qu’on n’en voyait à l’entour de sa tête.

C’était un dieu pourvu de cent charmes divers.

Il était beau mais il faisait des vers ;

Avait un peu trop de doctrine ;

Et qui pis est, savait la médecine.

Or soyez sûr qu’en amours,

Entre l’homme d’épée et l’homme de science,

Les dames au premier inclineront toujours ;

Et toujours le plumet aura la préférence.

Ce fut donc le guerrier qu’on aima mieux choisir.

Phébus outré de déplaisir

Apprit à Vulcan ce mystère ;

Et dans le fond d’un bois voisin de son séjour,

Lui fit voir avec Mars la reine de Cythère,

Qui n’avaient en ces lieux pour témoins que l’amour.

 

La peine de Vulcan se voit représentée :

Et l’on ne dirait pas que les traits en sont feints.

II demeure immobile, et son âme agitée

Roule mille pensers qu’en ses yeux on voit peints.

Son marteau lui tombe des mains.

Il a martel en tète, et ne sait que résoudre,

Frappé comme d’un coup de foudre.

Le voici dans cet autre endroit

Qui querelle et qui bat sa femme.

Voyez-vous ce galant qui les montre du doigt ?

Au palais de Vénus il s’en allait tout droit,

Espérant y trouver le sujet qui l’enflamme.

La dame d’un logis, quand elle fait l’amour

Met le tapis chez elle à toutes les coquettes

Dieu sait si les galants lui font aussi la cour.

Ce ne sont que jeux et fleurettes,

Plaisants devis et chansonnettes :

Mille bons mots, sans compter les bons tours,

Font que sans s’ennuyer chacun passe les jours.

Celle que vous voyez apportait une lyre,

Ne songeant qu’à se réjouir.

Mais Vénus pour le coup ne la saurait ouïr :

Elle est trop empêchée, et chacun se retire.

Le vacarme que fait Vulcan,

A mis l’alarme au camp.

 

Mais avec tout ce bruit que gagne le pauvre homme ?

Quand les cœurs ont goûté les délices d’Amour,

Ils iraient plutôt jusqu’à Rome,

Que de s’en passer un seul jour.

Sur un lit de repos voyez Mars et sa dame

Quand l’Hymen les joindrait de son nœud le plus fort,

Que l’un fut le mari, que l’autre fut la femme,

On ne pourrait entre eux voir un plus bel accord.

Considérez plus bas les trois Grâces pleurantes :

La maîtresse a failli, l’on punit les suivantes.

Vulcan veut tout chasser. Mais quels dragons veillants

Pourraient contre tant d’assaillants,

Garder une toison si chère ?

Il accuse sur tous l’enfant qui fait aimer :

Et se prenant au fils des pêchés de la mère

Menace Cupidon de le faire enfermer.

 

Ce n’est pas tout : plein d’un dépit extrême

Le voilà qui se plaint au monarque des dieux ;

Et de ce qu’il devrait se cacher à soi-même,

Importune sans cesse et la terre et les cieux.

L’adultère Jupin, d’un ris malicieux,

Lui dit que ce malheur est pure fantaisie,

Et que de s’en troubler les esprits sont bien fous.

Plaise au ciel que jamais je n’entre en jalousie ;

Car c’est le plus grand mal, et le moins plaint de tous.

 

Que fait Vulcan ? car pour se voir vengé,

Encor faut-il qu’il fasse quelque chose.

Un rets d’acier par ses mains est forgé :

Ce fut Momus qui je pense en fut cause.

Avec ce rets le galant lui propose

D’envelopper nos amants bien et beau.

L’enclume sonne ; et maint coup de marteau,

Dont maint chaînon l’un à l’autre s’assemble,

Prépare aux dieux un spectacle nouveau

De deux Amants qui reposent ensemble.

 

Les noires Sœurs apprêtèrent le lit :

Et nos amants trouvant l’heure opportune,

Sous le réseau pris en flagrant délit,

De s’échapper n’eurent puissance aucune.

Vulcan fait lors éclater sa rancune :

Tout en clopant le vieillard éclopé

Semond les dieux, jusqu’au plus occupé,

Grands et petits, et toute la séquelle.

Demandez-moi qui fut bien attrapé ;

Ce fut, je crois, le galant et la belle.