Le bureau de Dellasandro se situait au rez-de-chaussée. John frappa a la porte et attendit. Il frappa encore, puis ouvrit et jeta un úil a l'intérieur, dans l'antichambre oa travaillait la secrétaire. Personne. Elle doit déjeuner, supposa-t-il. Il entra.

- Chef Dellasandro ?

Il voulait savoir si le visionnage des bandes de vidéosurveilla'nce avait donné quelque chose et si Steven Wright avait été raccompagné par un gardien.

Il alla frapper a la porte de communication.

- Chef Dellasandro, c'est John Fiske. On peut parler un instant ?

Pas de réponse. Il décida de laisser un message, mais pas sur le pupitre de la secrétaire.

Il se faufila dans le bureau de Dellasandro, prit une feuille et un stylo, et griffonna quelques mots. Il posa le billet bien en évidence et regarda autour de lui. Il y avait toutes sortes de médailles et autres distinctions sur les étagères, gages d'une carrière brillante. Sur un mur, une photo d'un Dellasandro beaucoup plus jeune, en uniforme.

John se tourna pour partir. Une veste était accrochée derrière la porte. Elle devait appartenir a Dellasandro, selon toute vraisemblance. En passant, il remarqua quelques taches sur le col. Il frotta. Du fond de teint.

Dans l'antichambre, il étudia les photos posées sur le pupitre. Il avait déja vu la secrétaire de Dellasandro.

Une grande brune, jeune, avec un visage qu'on n'oubliait pas. Une des photos la montrait avec le chef Dellasandro. Il avait un bras autour de son épaule. Tous deux souriaient a l'objectif. De nombreuses secrétaires devaient avoir la photo de leur patron, mais il y avait dans ses yeux, dans sa façon de se serrer contre lui, quelque chose qui laissait supposer une relation plus intime et, pour tout dire, moins platonique. Il se demanda si la Cour avait des règles de fraternisation spécifiques. Dellasandro avait en tout cas une excellente raison de garder ses mains et sa braguette a distance respectable de sa secrétaire... John se tourna vers une autre photo, qui figurait en bonne place dans le bureau : un portrait de groupe avec sa femme et ses enfants. Une famille heureuse. En apparence.

En sortant du bureau, il se dit que décidément, dans ce palais comme partout dans le monde, les apparences étaient trompeuses. Ce n'était qu'en grattant la surface qu'on pouvait voir apparaatre la vérité.

Rufus arrata la Jeep.

- Je vais alerter le premier flic que je vois, dit-il.

T'as besoin de secours.

Josh s'assit avec peine.

- «a va pas, non ? Si les flics te mettent la main dessus et qu'ils trouvent les deux macchabées dans la cabane, t'es cuit.

- T'as besoin d'un docteur, Josh !

- Fais pas chier. (Il prit son revolver.) On va finir ce qu'on a commencé. (Il pointa le canon sur son propre ventre.) Si tu stoppes, je me perce un gros trou juste ici.

- T'es siphonné. qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

Josh toussa. Du sang.

- Va trouver Fiske et cette fille. Moi, je peux plus t'aider. Eux, ils peuvent peut-atre. Et commence pas a gamberger, le coup part vite, avec ces flingues.

Rufus enclencha une vitesse et reprit la route. Josh le surveilla, en gardant difficilement les yeux ouverts.

- arrate ces conneries, dit-il.

- quoi ?

- Je t'ai vu. J'ai vu tes lèvres bouger. Ne prie pas pour moi.

- Je parle au Seigneur quand ça me plaat.

- Ne lui parle pas de moi, c'est tout.

- Je lui demande de veiller sur toi. De te garder en vie.

- ah ouais, c'est fou ce que ça marche, t'as qu'a me regarder. Tu perds ton temps.

- Dieu m'a donné la force de soulever cette Jeep.

- Tu l'as soulevée tout seul. J'ai pas vu d'anges descendre du ciel pour te filer un coup de main.

- Josh...

- Roule. (La douleur le fit grimacer.) J'en ai marre de parler.

Dans son bureau, Sara reçut une convocation urgente d'Elizabeth Knight. Ce fut une surprise car, d'ordinaire, le mercredi après-midi, les juges étaient en conférence pour récapituler les affaires entendues le lundi. Chaque juge avait deux secrétaires et un assistant personnel. En entrant, Sara salua Harriet, la secrétaire qui avait suivi Knight presque tout au long de sa carrière. Habituellement chaleureuse et amicale, Harriet répondit avec froideur :

- Entrez directement, mademoiselle Evans.

Sara traversa le vestibule et s'arrata devant la porte de Knight. Elle se retourna. Harriet, qui l'observait de biais, baissa vite les yeux. Sara inspira profondément et ouvrit.

Dans le bureau il y avait, debout ou assis sur des chaises, Ramsey, l'inspecteur Chandler, Perkins et l'agent McKenna. Derrière son antique bureau, Elizabeth Knight manipulait nerveusement un coupe-papier.

- asseyez-vous, s'il vous plaat, dit-elle d'un ton peu cordial.

Sara prit place dans un fauteuil de cuir, disposé de telle sorte qu'elle puisse atre vue de tous dans la pièce.

Un interrogatoire ?

- Vous vouliez me voir ? demanda-t-elle a Knight.

Ramsey fit un pas en avant.

- Nous voulions tous vous voir, et surtout vous entendre, mademoiselle Evans. Mais je vais laisser la parole a l'inspecteur Chandler.

Elle n'avait jamais vu Ramsey aussi grave. Il s'appuya contre la cheminée en la regardant fixement, en serrant et desserrant ses grandes mains.

Chandler s'assit en face d'elle, si près que leurs genoux se touchaient presque.

- J'ai quelques questions a vous poser et je veux la vérité, dit-il calmement.

Sara promena ses yeux autour d'elle et répondit en plaisantant a demi :

- ai-je besoin d'un avocat ?

- Seulement si vous avez quelque chose a vous reprocher, Sara, dit Knight. C'est a vous de savoir si vous avez besoin d'une assistance judiciaire ou non.

Elle avala sa salive et se tourna vers Chandler.

- que voulez-vous savoir ?

- avez-vous déja entendu le nom de Rufus Harms?

Elle ferma les yeux. Oh, merde.

- Laissez-moi vous expliquer...

- Répondez par oui ou par non. Les explications viendront plus tard.

- Oui.

- Comment se fait-il que vous connaissiez ce nom ?

Elle bougea dans son fauteuil.

- J'ai lu dans le journal que c'était un prisonnier militaire évadé.

- quand avez-vous entendu parler de lui pour la première fois ?

Elle ne répondit pas. Chandler insista :

- Vous avez posé des questions au greffe au sujet d'une demande d'appel envoyée, selon vous, par Rufus Harms. Et c'était avant son évasion, n'est-ce pas ? que cherchiez-vous ?

- Je pensais... enfin...

- Est-ce John Fiske qui vous a forcée a le faire ?

demanda sèchement Knight.

Elle avait l'air si déçue que Sara se sentit encore plus coupable.

- Non. Je l'ai fait de ma propre initiative.

- Pourquoi ? s'enquit Chandler.

Depuis sa conversation allusive avec John Fiske a la cafétéria, il avait déja sa petite idée sur le pourquoi.

Mais il voulait l'entendre de la bouche de Sara.

Elle soupira et regarda de nouveau le bataillon aligné

contre elle. John, oa es-tu ? Si seulement il avait pu s l'aider...

- Un jour, par hasard, j'ai aperçu un document ressemblant a une réclamation avec le nom de Rufus Harms. J'ai vérifié ce nom au greffe, parce que je ne me rappelais pas l'avoir vu au sommier. Il n'était pas inscrit.

- Oa avez-vous vu cette réclamation ? intervint Ramsey, devançant Chandler.

- quelque part, répondit-elle, penaude.

- Sara, reprit Knight, il est inutile d'essayer de protéger quelqu'un. Dites-nous simplement la vérité.

Ne g‚chez pas votre carrière pour ça.

- Je ne me rappelle pas oa je l'ai vue. Je l'ai vue, un point c'est tout. Et pendant quelques secondes a peine.

J'ai lu le nom de Rufus Harms, pas ce qu'il y avait dans le document.

- Mais, si vous soupçonniez qu'il s'agissait d'un appel non répertorié, dit Perkins, pourquoi ne pas l'avoir déposé au greffe pour le faire inscrire ?

que pouvait-elle répondre a ça ?

- Le moment n'était pas propice, et je n'ai pas eu d'autre occasion de le faire.

- Pas propice ? s'indigna Ramsey. J'ai cru comprendre que vous vous étiez récemment renseignée au greffe sur cet appel " manquant ". Il n'était toujours pas propice de le faire inscrire a ce moment-la ?

- a ce moment-la, je ne savais pas oa il était.

McKenna entra en scène :

- Mademoiselle Evans, que vous nous le disiez ou non, nous finirons bien par le découvrir, de toute façon.

Elle se leva.

- Je n'aime pas votre ton et je n'apprécie pas qu'on me traite de la sorte.

- Je crois que votre intérat est de coopérer, dit McKenna, et de cesser de protéger les frères Fiske.

- De quoi parlez-vous ?

- Nous avons des raisons de soupçonner Michael Fiske d'avoir détourné ce document a des fins personnelles et nous pensons que vous y ates malée d'une manière ou d'une autre, répondit Chandler.

- S'il y a eu détournement, mademoiselle Evans, si vous en étiez informée et que vous ayez gardé le silence, c'est un manquement grave a la déontologie, avertit Ramsey.

- Vous faites tout ça parce que John Fiske vous y a forcée, n'est-ce pas ? reprit le fédéral.

- Cela peut vous sembler incroyable, agent McKenna, mais j'agis uniquement de mon propre chef, rétorqua-t-elle.

- Vous savez que Michael Fiske avait souscrit une assurance vie d'un demi-million de dollars avec son frère comme bénéficiaire ?

- Oui, il me l'a dit.

- Et vous savez aussi que Fiske n'a pas d'alibi pour l'heure de la mort de son frère ?

- Vous perdez votre temps en essayant de lui imputer la mort de son frère. Il n'y est pour rien. au contraire, il fait tout ce qu'il peut pour découvrir qui a tué Michael.

McKenna mit les mains dans les poches et changea de tactique :

- Diriez-vous que les frères Fiske étaient proches ?

- qu'entendez-vous par " proches " ?

Il leva les yeux au ciel.

- Ce qu'on entend d'habitude par ce mot, tout simplement.

- Non, je ne pense pas qu'ils aient été particulièrement proches. Et alors ?

- Nous avons trouvé cette police d'assurance dans l'appartement de Michael Fiske. Dites-moi pourquoi il a signé pour une pareille somme en désignant commes bénéficiaire son frère " pas particulièrement proche ".

Pourquoi pas ses parents ? D'après ce que je sais, ils ne roulent pas sur l'or.

- Je ne connais pas les raisons de Michael. Je suppose que nous ne les connaatrons jamais.

- Peut-atre que Michael Fiske n'était pas lui-mame au courant...

Elle fut époustouflée.

- que voulez-vous dire ?

- C'est très facile de souscrire une assurance vie a la place d'un autre. On ne demande pas de photo d'identité. Une infirmière vient chez vous, prend vos mesures et vous fait une prise de sang. Vous imitez quelques signatures et vous faites prélever les primes sur un compte bidon.

Elle écarquilla les yeux.

- Vous insinuez que John s'est fait passer pour son frère afin de souscrire une assurance vie a son nom ?

- Pourquoi pas ? «a expliquerait mieux comment deux frères, qu'on savait en froid, ont pu conclure un pacte financier de cette envergure.

- On voit que vous ne connaissez pas John.

- Vous non plus, je le crains, mademoiselle Evans.

Les propos suivants de McKenna la sidérèrent :

- Saviez-vous que Michael Fiske a été tué par une balle de 9 mm ? (Il marqua une pause.) Et que John Fiske possède un calibre 9 mm enregistré a son nom ? Il a d˚ vous dire, j'en suis s˚r, que cet appel détourné était en rapport avec la mort de son frère, non ?

Elle se tourna vers Chandler.

- Dites-moi que je rave ?

- Rien n'est encore prouvé, répondit le policier.

Perkins hocha la tate, les bras croisés.

- Nous avons reçu un coup de téléphone du service des Opérations militaires spéciales, mademoiselle Evans. Un certain sergent Dillard. Il dit que vous l'avez appelé au sujet de Rufus Harms, en affirmant que cet homme avait envoyé une demande d'appel a la Cour suprame et que vous souhaitiez vous renseigner sur lui.

- aucun règlement ne m'interdit de passer un coup de fil pour obtenir des éclaircissements sur une affaire, il me semble.

- Donc vous reconnaissez lui avoir téléphoné, triompha Perkins en regardant tour a tour Ramsey et Knight. Vous reconnaissez aussi avoir utilisé les moyens de la Cour pour une enquate personnelle sur un évadé. Et vous avez menti a l'armée, puisqu'il n'existe aucun appel a ce nom au greffe.

- Vos fautes s'accumulent vite, ajouta McKenna.

- Je ne reconnais rien de tout cela. J'ai agi dans le cadre de mes attributions, de façon parfaitement réglementaire.

- Mademoiselle Evans, intervint Ramsey en la toisant avec la mame insistance que les avocats pendant le débat oral de la matinée, allez-vous enfin nous dire qui a eu ce document entre les mains ? Si quelqu'un de cette cour a volé un appel avant son enregistrement - ce qui me paraat impensable - et si vous savez de qui il s'agit, votre devoir est de nous le révéler.

Ils connaissaient tous la réponse a cette question ou pensaient la connaatre, elle n'en doutait pas. Mais la jeune femme n'avait pas l'intention de leur apporter la moindre confirmation. Puisant dans ses dernières forces, elle se leva lentement.

- Je crois que j'ai répondu a assez de questions, monsieur le président.

Ramsey regarda Perkins, puis Elizabeth Knight. Sara crut percevoir un signe d'assentiment entre eux.

- En ce cas, Sara, je vais vous demander de me remettre votre démission. ¿ effet immédiat, dit Knight d'une voix brisée.

Sara ne parut pas trop surprise.

- Je comprends, madame. Je suis désolée que nous en arrivions la.

- Moins désolée que moi. M. Perkins va vous raccompagner. Vous pouvez récupérer vos affaires personnelles dans votre bureau, ajouta Knight avant de détourner brusquement les yeux.

Comme Sara se dirigeait vers la porte, la voix de Ramsey tonna derrière elle :

- Mademoiselle Evans, sachez que, si vos actes nuisent a cette institution, les dispositions appropriées seront prises contre vous et toute autre personne responsable. Malheureusement, si je comprends bien la situation, le mal est déja fait et probablement irréversible.

Puisse votre mauvaise conscience vous hanter toute votre vie !

Ramsey était rouge d'indignation. Un scandale sous sa juridiction ! Dans cette institution qui avait toujours été au-dessus du scandale, au cúur d'une ville qui en était pleine ! Sa place dans l'histoire, sa carrière dure-

ment gagnée ternies par les calembredaines de quelque obscure greffière ! Sa biographie officielle réduite a une série de notes en bas de page ! Sara Evans n'aurait pu l'accabler davantage si elle avait abattu toute sa famille sous ses yeux.

Elle sortit en h‚te avant d'éclater en sanglots.

Chapitre 51

John attendait Sara dans son bureau. quand elle apparut sur le seuil, il se leva pour lui parler, mais se ravisa en remarquant Perkins derrière elle. Sara commença a emballer ses affaires, sous la surveillance de Perkins, debout a la porte.

- Sara, que s'est-il passé ?

- «a ne vous regarde pas, monsieur Fiske, dit Perkins. Mais, puisque vous ates la, je vais informer l'inspecteur Chandler et l'agent McKenna de votre présence. Ils ont une question a vous poser.

- C'est ça, allez-y et laissez-moi parler a Sara en privé.

- Je dois escorter Mlle Evans jusqu'a la sortie.

Sara empila toutes ses affaires dans un grand cabas et posa son sac a main par-dessus. En passant a côté de John, elle chuchota :

- Rejoins-moi au parking.

Devant la porte, Perkins lui dit :

- J'ai aussi besoin de toutes vos clés.

Elle ouvrit son sac a main, piocha les clés et les lança a Perkins.

- Je ne fais pas ça de gaieté de cúur, protesta-t-il.

Le Palais est sens dessus dessous, des gens ont été tués, nous sommes cernés par une armée de médias et il y a des policiers partout. Je ne souhaitais pas que vous perdiez votre emploi.

Sara sortit sans un mot.

Dans le couloir, le groupe rencontra Chandler et McKenna.

- Il faut que je vous parle, John, dit Chandler.

John regarda Sara.

- ¿ tout de suite, lui dit-il.

Perkins et Sara s'en allèrent.

- Vous avez quelque chose a me demander ? dit John.

- C'est exact.

- Serait-ce au sujet de l'assurance vie de mon frère ?

- quelque chose comme ça, répondit le policier.

McKenna pense que vous avez souscrit cette police vous-mame a l'insu de votre frère et que vous l'avez tué.

- Vous avez trouvé l'assurance dans l'appartement de mon frère ? (Chandler acquiesça.) alors, mon frère était manifestement au courant.

L'inspecteur interrogea des yeux McKenna. L'agent du FBI ne dit rien.

- Je ne savais pas que mon frère avait souscrit cette police. La femme de l'agence vous le dira. Je vais vous donner son nom. Elle a rencontré mon frère, si vous pensez vraiment que j'ai combiné toute cette affaire. (Le fédéral s'assombrit.) Désolé de casser votre baraque, McKenna. L'argent ira a nos parents, Mike savait que c'était ce que je ferais. ¿ moins que vous ne pensiez que je suis de mèche avec la femme de l'agence. Pourquoi s'arrater la ? Peut-atre ai-je mis les neuf juges dans ma poche, pendant qu'on y est.

- Donc vous avez persuadé votre frère de souscrire une assurance pour aider vos parents, mais en insistant pour atre le seul et unique bénéficiaire. «a reste un mobile en béton. (McKenna se tourna vers Chandler.) Vous vous décidez a lui poser cette question ou vous voulez que je le fasse ?

Chandler regarda John Fiske.

- Votre frère a été tué par une balle de 9 mm.

- Vraiment ?

- Vous possédez un 9 mm, n'est-ce pas ?

- Tiens, tiens, vous avez papoté avec la police d'…tat de Virginie ?

- Répondez a la question, dit McKenna.

- ¿ quoi bon, si vous connaissez déja la réponse ?

- John..., commença Chandler.

- D'accord. Oui, je possède un 9 mm. Un SIG-Sauer P 226, pour atre précis, a quinze coups.

- Oa est-il ?

- Dans mon cabinet, a Richmond.

- Nous aimerions l'avoir.

- Pour une expertise balistique ?

- Entre autres.

- Buford, c'est une perte de temps...

- avons-nous votre permission pour aller le chercher dans votre cabinet ?

- Non.

- Eh bien, on va demander un mandat de perquisition, dit McKenna. C'est l'affaire d'une heure.

- Pas la peine. Je vous donnerai l'arme.

McKenna ne cacha pas sa surprise.

- Mais vous venez de dire...

- Je ne veux pas que les flics entrent dans mon bureau. Je connais la musique. Ce ne sont pas des joueurs de pipeau. Et je n'arriverais jamais a me faire rembourser la réparation de la porte. (Il s'adressa a Chandler.) Je suppose que je ne fais plus partie de l'équipe officieuse, mais dites-moi une ou deux choses : avez-vous parlé aux gardes de service la nuit oa Steven Wright a été assassiné et a-t-on visionné les bandes de vidéosurveillance ?

- Je vous déconseille fortement de lui répondre, Chandler, dit McKenna.

- J'en prends acte, répondit Chandler. Mais, au nom du bon vieux temps, je vais répondre quand mame.

Nous avons parlé aux gardes. ¿ moins qu'il n'y ait un menteur dans leurs rangs, aucun d'eux n'a raccompagné Wright chez lui. quelqu'un le lui a proposé, mais Wright a refusé.

- Il était quelle heure ?

- Environ 1 heure et demie du matin. Les bandes vidéo ont été visionnées. Rien a signaler.

- Wright a donné une raison de son refus ?

- Le garde dit qu'il est simplement sorti. Il ne l'a plus revu après.

- Bon, revenons a ce pistolet, dit McKenna. Je vous accompagne dans votre bureau.

- Vous ne m'accompagnez nulle part.

- Je vous suis, si vous préférez.

- Faites ce que vous voulez, mais je veux un policier de Richmond en uniforme sur les lieux, je veux qu'il prenne le flingue sous sa garde et le fasse transférer a la brigade criminelle. Je ne veux pas que vous le touchiez.

- Je n'aime pas vos insinuations.

- Tant pis, c'est comme ça. Sinon, allez chercher votre mandat. ¿ vous de choisir.

- D'accord, intervint Chandler. Vous voulez un flic en particulier ?

- L'agent William Hawkins. Il a ma confiance, il peut donc avoir la vôtre aussi.

John regarda dans le couloir.

- Donnez-moi une demi-heure. Il faut que je parle a quelqu'un.

Chandler posa une main sur l'épaule de John Fiske.

- OK, John, mais si la police de Richmond n'a pas votre arme dans trois heures, vous aurez un gros problème avec votre serviteur, pigé ?

John fonça au parking a la recherche de Sara.

Deux minutes plus tard, Dellasandro rejoignit Chandler et McKenna.

- J'aimerais atre informé de ce qui se passe ici, dit-il d'un ton peu aimable. Deux greffiers assassinés, une troisième renvoyée pour détournement de document !

- C'e'st un peu long a expliquer, répondit McKenna en haussant les épaules.

- Je sens que ça va me plaire, dit Dellasandro.

- Je ne suis pas payé pour vous plaire, répliqua McKenna.

- Exact, vous ates payé pour découvrir qui est derrière tout ça. Et vous aussi, inspecteur Chandler.

- Mais c'est ce que nous faisons, rétorqua l'inspecteur d'un ton sec.

- «a va, ça va, fit Dellasandro avec lassitude.

Perkins m'a mis au parfum. Vous pensez vraiment que Fiske a tué son frère ? Il avait un mobile, je veux bien, mais quand mame ! Une demi-brique, ça paraat beaucoup, comme ça, mais de nos jours, vous savez...

- Une demi-brique, comme vous dites, c'est énorme quand vous avez un trou dans votre compte en banque, répondit McKenna. Il a le mobile, il n'a pas d'alibi et, dans quelques heures, on saura s'il a l'arme du crime.

Dellasandro n'était pas convaincu.

- Et la mort de Wright ? «a ne colle pas.

McKenna écarta les mains.

- Si, ça peut coller, en suivant mon raisonnement.

Mettons que Sara Evans se soit fait balader par Fiske.

Elle accepte de l'aider. Or elle a le mame bureau que Wright. Il est tout a fait imaginable que Wright ait entendu ou vu quelque chose qui lui ait mis la puce a l'oreille.

- Mais je croyais que Fiske avait un alibi pour la mort de Wright, dit Dellasandro.

- Oh ouais : Sara Evans.

- Et cette histoire de prisonnier évadé ? Les questions qu'Evans posait autour d'elle ?

Chandler fit la moue.

- Je ne prétends pas que nous ayons tout élucidé, dit-il, mais cette histoire-la est peut-atre un écran de fumée.

- Pas " peut-atre ", dit McKenna, j'en suis s˚r. S'il y avait vraiment quelque chose la-dessous, ils en auraient parlé a quelqu'un. Evans n'a mame pas pu nous dire ce qu'il y avait dans la lettre. Supposons que Michael Fiske ait piqué un document. Et alors ? John Fiske le dégomme pour le fric et se sert ensuite de ce prétexte pour embobiner Evans et tout le monde.

- En tout cas, je ne baisse pas la garde tant que nous n'avons pas de certitude, dit Dellasandro. Les gens de cette maison sont sous ma responsabilité et on en a déja perdu deux. (Il regarda McKenna.) J'espère que vous savez ce que vous faites avec Fiske.

- Je sais parfaitement ce que je fais.

John retrouva Sara sur le parking. Il ne fallut pas longtemps a la jeune femme pour lui expliquer ce qui s'était passé.

- Sara, c'est ma faute, dit-il. Chandler m'a coincé

l'autre jour, il m'a fait parler a demi-mot. C'est a cause de moi que tu as perdu ton boulot.

Sara déposa son sac dans le coffre de sa voiture.

- Je suis une grande fille. Je suis responsable de mes actes.

- Je pourrais peut-atre aller expliquer la situation a Ramsey et Knight.

- Expliquer quoi ? Tout ce dont ils m'accusent, je l'ai fait. (Elle referma le coffre.) Je suppose qu'ils t'ont parlé de ton arme ?

John acquiesça.

- McKenna me gratifie d'une escorte armée jusqu'a mon cabinet pour que je la leur remette...

qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?

- Je ne sais pas. Mais j'ai beaucoup de temps libre, désormais. Je vais essayer d'en savoir plus sur Tremaine et Rayfield.

- Tu es s˚re que tu veux continuer ?

- Comme ça, au moins, je n'aurai pas bousillé ma carrière pour rien. Et toi ?

- Je n'ai pas le choix.

Il consulta sa montre.

- Si je passais chez toi ce soir vers 19 heures ?

- Je devrais atre en mesure de nous préparer un daner. Je vais nous acheter une bonne bouteille et, qui sait, je pourrais mame atre assez ambitieuse pour faire le ménage. On fatera mon dernier jour a la Cour suprame. On pourra mame faire un petit tour en bateau.

(Elle lui prit le bras.) Et finir comme l'autre nuit ?

- Je peux laisser tomber Richmond et rester avec toi. Je sais ce que tu dois ressentir.

- Mais Chandler et McKenna ?

- Je ne suis pas obligé de faire ce qu'ils veulent.

- Si tu n'y vas pas, McKenna va probablement réclamer la chaise électrique. D'ailleurs, pour tout te dire, je me sens très bien.

- Tu es s˚re ?

- Certaine, John, mais merci quand mame. (Elle lui caressa la joue.) Tu seras avec moi cette nuit.

après le départ de John, Sara se rappela qu'elle avait laissé son sac a main, avec la clé de sa voiture, dans le cabas. Elle rouvrit le coffre et, en soulevant le cabas, vit la photo qu'elle avait rangée sur le dessus. Elle l'avait prise dans le bureau de Michael avant la perquisition de la police. Tout a coup, elle se dit qu'elle avait quelque chose de très important a faire. Elle monta dans sa voiture et sortit du garage.

Elle venait d'atre virée de la Cour suprame et pour-

tant, bizarrement, elle n'avait pas envie de pleurer, encore moins de se mettre la tate dans une cuisinière a gaz. Elle avait envie de faire un brin de conduite.

Jusqu'a Richmond. Elle avait quelqu'un a voir la-bas.

alors pourquoi pas aujourd'hui ?

En passant devant la colonnade de son ancien lieu de travail, une grande vague de soulagement monta en elle.

Ce fut si soudain qu'elle en perdit le souffle. Elle se ressaisit peu a peu et accéléra dans Independence avenue, sans se retourner.

Chapitre 52

John Fiske gagna en h‚te le cabinet d'Elizabeth Knight et, étonnamment, fut autorisé a entrer. Knight était assise derrière son bureau. Ramsey était encore la, affalé dans un fauteuil. Il se leva quand John entra.

John n'y alla pas par quatre chemins :

- Je veux que vous sachiez que tout ce que Sara a fait ou n'a pas fait avait pour seul but de protéger mon frère. Et tout ce qu'elle essaie de faire maintenant, c'est de m'aider a découvrir qui l'a tué.

- Ne pensez-vous pas que le meilleur moyen de le découvrir est tout simplement de vous regarder dans la glace ? l‚cha Ramsey.

John p‚lit.

- Vous ates a côté de la plaque, monsieur.

- ah bon ? Les autorités ne semblent pas de cet avis. Si vous ates un assassin, j'espère que vous passerez le reste de vos jours en prison. quant a votre frère, j'ai bien peur qu'il ne mérite plus la moindre considération.

- Mon frère a fait ce qu'il croyait atre juste.

- Je trouve cette remarque tout bonnement risible.

- Harold..., commença Knight.

Il l'interrompit d'un geste de la main.

- Et vous, monsieur Fiske, reprit-il, je veux que vous sortiez immédiatement de ce bureau et de ce palais, sinon je vous fais arrater pour effraction.

John les regarda tous deux. La colère qui le submer-geait était le contrecoup des trois jours d'enfer qu'il venait de vivre. Il avait l'impression déraisonnable que tout ce qui lui arrivait était la faute de Harold Ramsey.

- En entrant dans ce palais, j'ai vu une jolie petite inscription sur le fronton : " La justice est la mame pour tous. " Moi, je trouve ça tout bonnement risible.

Ramsey semblait prat a lui sauter a la gorge.

- Comment osez-vous ?

- J'ai un client qui attend d'atre exécuté en ce moment mame. Si j'ai jamais l'" honneur " de plaider devant vous, pouvez-vous m'affirmer que la vie de cet homme aura une quelconque importance a vos yeux ?

Ou vous servirez-vous de lui et de moi pour renverser un précédent qui vous a déplu dix ans plus tôt ?

- Espèce de...

- Pouvez-vous me l'affirmer ? cria John. Parce que, sinon, je ne sais pas ce que vous ates, mais je sais que vous n'ates pas un juge.

Ramsey était blame.

- qui ates-vous pour parler ainsi ? Le système...

John se tapa la poitrine.

- Je suis le système. Moi et les gens que je représente. Pas vous. Pas ce tribunal.

- Mesurez-vous seulement la portée des cas que nous traitons ici ?

- quand avez-vous, pour la dernière fois, " traité "

le cas d'une femme battue ? ou d'un enfant molesté ?

avez-vous jamais vu un homme mourir sur la chaise électrique ? Vous trônez et vous ne voyez jamais une personne réelle. Vous n'entendez jamais de témoins en direct, vous n'écoutez qu'une poignée d'avocats de luxe qui vous lancent des textes de loi. Vous n'avez aucune idée des visages, des cúurs brisés, de la douleur qui se cachent derrière ces paperasses. Pour vous, c'est un jeu intellectuel. Un jeu ! Rien de plus. Si vous pensez que les grands problèmes sont si difficiles, essayez donc de

" traiter " les petits !

- Je crois que vous devriez partir, dit Knight, presque suppliante. Tout de suite.

John foudroya Ramsey du regard, puis se calma et se tourna vers Knight.

- C'est un excellent conseil, madame. Je crois que je vais le suivre.

Il prit la porte.

- Monsieur Fiske ! appela Ramsey. J'ai quelques bons amis au barreau de Virginie. Je pense qu'ils méritent d'atre informés de la situation. Je veillerai a ce que les mesures appropriées soient prises a votre encontre, par exemple une suspension et une radiation du barreau.

- Présumé coupable jusqu'a preuve du contraire ?

C'est ça, votre conception du système judiciaire ?

- Je suis convaincu que la preuve de votre culpabilité n'est plus qu'une question de temps.

John voulut contre-attaquer, mais Knight avait déja la main sur le téléphone.

- John, je préférerais que vous sortiez sans y atre forcé par les gardes.

quand John Fiske eut déguerpi, Ramsey hocha la tate.

- aucun doute, cet homme est un psychopathe.

Knight regardait droit devant elle.

- Beth, reprit-il, sachez que je suis disposé a vous céder l'un de mes greffiers tant que vous n'aurez pas trouvé de remplaçant pour Sara.

Elle l'observa. L'offre était sympathique. En apparence. En réalité, c'était peut-atre pour lui une occasion d'infiltrer un espion dans son camp.

- Je m'en sortirai très bien, ne vous inquiétez pas.

Nous n'aurons qu'a retrousser nos manches.

- Vous m'avez donné du fil a retordre au débat oral, aujourd'hui. C'était très bien, mais je ne voudrais pas que vous preniez ces choses trop a cúur. Le public n'a pas besoin d'assister a nos prises de bec.

- Comment pourrais-je ne pas les prendre a cúur, Harold ? Dites-moi comment.

Ses yeux étaient enflés, sa voix soudain éraillée.

- Il le faut, dit-il. Une affaire ne m'a jamais empaché de dormir. Mame avec une peine de mort a la clé. Nous ne décrétons pas la culpabilité ou l'innocence.

Nous interprétons des mots. C'est ainsi que vous devez envisager le problème. Sinon, vous craquerez.

- Mieux vaut craquer que tenir, peut-atre, si c'est pour me complaire dans une carrière qui ne s'adresse-rait qu'a mon intellect. Je veux sentir la douleur. Tout le monde est comme ça. Pourquoi ferions-nous exception ? Bon sang, ces affaires devraient nous briser le cúur !

Ramsey hocha tristement la tate.

- alors, vous ne tiendrez pas le coup, j'en ai peur.

Or vous le devez, si vous voulez faire la différence ici.

- Nous verrons bien. Je peux vous surprendre. Pas plus tard qu'aujourd'hui.

- Vous n'avez aucune chance de renverser

" Stanley ". Mais j'admire votre ténacité, mame si c'est en pure perte.

- Les voix n'ont pas encore été comptées, que je sache.

Ramsey sourit.

- Bien s˚r, bien s˚r. Simple formalité. (Il mit les mains dans les poches et se campa devant elle.) Et, a titre indicatif, je suis au courant de votre projet de réexa-miner la question du droit des pauvres...

- Harold, nous venons de perdre notre troisième greffier. Un troisième atre humain. Une femme pour qui j'ai beaucoup d'affection. Tout part a vau-l'eau. Je n'ai pas envie de parler de la Cour maintenant. Je n'en aurai peut-atre plus jamais envie, en fait.

- Beth, nous devons continuer. Il y a une crise, c'est vrai, mais nous persévérerons.

- Harold, je vous en prie.

Ramsey n'en démordit pas.

- Les affaires continuent. Nous...

Knight se leva.

- Sortez.

- Je vous demande pardon ?

- Sortez de mon bureau.

- Beth...

- Sortez ! Sortez !

Ramsey disparut sans un mot de plus. Knight hésita une minute, puis quitta précipitamment la pièce.

après son affrontement avec Ramsey, John Fiske descendit dans le parking souterrain de la Cour et monta directement dans sa voiture. Il était vanné. quel bilan !

Il avait fait virer Sara, on voulait l'agrafer pour le meurtre de son frère et il venait de s'engueuler avec le président de la Cour suprame des …tats-Unis. Le tout en moins d'une heure. C'était ce qu'on pouvait appeler une sale journée. Il n'avait aucune envie d'aller a Richmond pour voir McKenna mettre la touche finale a la destruction de sa vie.

Il se frotta les yeux avec un gémissement et sursauta en entendant taper a la fenatre. C'était Elizabeth Knight.

Il baissa la vitre.

- Je voudrais vous parler.

Il se redonna une contenance.

- ¿ quel sujet ?

- Nous pouvons rouler un peu ? Je ne veux pas courir le risque de vous parler dans mon bureau. Je n'avais jamais vu Harold dans cet état.

John crut déceler l'ombre d'un sourire sur ses lèvres.

- Vous voulez qu'on roule dans ma voiture ? dit-il.

- Pourquoi, elle a un défaut ?

Il lorgna sa robe de prix.

- Eh bien, l'intérieur est fait de rouille recouverte d'un vernis de chagrin.

- J'ai grandi dans un ranch du Texas. quand ma famille nous emmenait dans les quelques baraquements qui constituaient la ville voisine, j'étais accrochée a l'arrière d'une charrette avec mes six frères et súurs, et j'adorais ça. En outre, il faut vraiment que je vous parle.

John acquiesça et Knight se glissa sur le siège passager.

- Oa on va ? demanda-t-il en sortant du parking.

- Prenez a gauche au feu. J'espère que vous n'avez pas d'affaire urgente. Je suis très impolie, j'aurais d˚

commencer par vous le demander.

Il pensa a McKenna qui l'attendait.

- Rien d'important.

après le tournant, Knight se mit a parler.

- Vous avez eu tort de nous tenir ces grands discours, vous savez.

- C'est pour me dire ça que vous ates venue ?

- Je suis venue vous dire que je me faisais beaucoup de mauvais sang pour Sara.

- Bienvenue au club. Elle a d'abord essayé d'aider mon frère, ensuite moi. Elle doit bénir le jour oa elle a rencontré les frères Fiske.

- Le jour oa elle a rencontré l'un des deux, oui.

- qu'est-ce que ça signifie ?

- Sara avait de l'amitié et du respect pour Michael.

Mais elle ne l'aimait pas, bien que, très franchement, je croie qu'il était amoureux d'elle. Son cúur est pris ailleurs.

- Sans blague ? C'est elle qui vous l'a dit ?

- John, je ne crois pas beaucoup aux différences entre les sexes, mais je ne peux pas ignorer certaines réalités de base. Je doute que mes huit collègues masculins s'en soient aperçus, mais il est clair pour moi que Sara Evans est très amoureuse de vous.

- Intuition féminine ?

- quelque chose comme ça. Et j'ai deux filles. (Elle remarqua l'étonnement de John Fiske.) Mon premier mari est mort. Mes filles sont grandes et indépendantes.

(Elle posa les mains sur ses genoux et regarda par la vitre.) Mais ce n'est pas de cela que je voulais vous parler. Tournez a droite, juste la.

- Bon, quel est votre ordre du jour ? Vous autres semblez toujours avoir un programme bien défini.

- Vous trouvez que nous avons tort ?

- Disons que, quand je vois les jeux auxquels vous jouez, j'ai du mal a vous donner raison.

- Je peux comprendre ce point de vue.

- Je ne suis pas en situation de vous critiquer mais, pour moi, vous n'ates pas des juges, vous ates des notaires. Et l'acte notarié dépend de celui qui saura faire pression sur les autres pour obtenir cinq voix. quel rapport avec les droits d'un plaignant et d'un accusé ?

Ils roulèrent en silence quelque temps.

- J'ai commencé comme procureur, reprit Knight.

Ensuite, je suis devenue juge local. Et je peux vous dire que vous vous trompez. On pourrait en débattre pendant des journées entières, mais le fait est qu'il y a un système établi et qu'il faut s'en accommoder. Si cela suppose de se plier a ses règles, quitte a les tordre de temps en temps, eh bien, allons-y. C'est peut-atre une philosophie simpliste pour une situation complexe, mais quelquefois il faut savoir écouter ses tripes. Vous comprenez ce que je veux dire ?

Il acquiesça.

- J'ai des tripes, moi aussi. Et je me fie a mon intuition.

- qu'est-ce que votre intuition vous dit au sujet de la mort de Michael et de Steven ? C'est sérieux, cette histoire d'appel manquant ? Si oui, j'aimerais vraiment atre au courant.

- Pourquoi me le demander a moi ?

- Parce que vous semblez en savoir plus long que les autres. C'est la raison pour laquelle je voulais vous parler en privé.

- «a vous arrangerait bien que j'aie tué mon frère et que je me serve de cet appel pour faire diversion, non ?

Comme ça, personne n'aurait les mains sales a la Cour.

- Je n'ai pas dit ça.

- C'est a peu près ce que vous avez dit a Sara pendant votre réception.

- Je ne sais pas pourquoi je l'ai fait. Peut-atre pour l'éloigner de vous.

- Je n'ai pas tué mon frère.

- Je vous crois. Donc, cet appel manquant peut avoir une importance ?

- Oui. Mon frère a été tué car il savait ce qu'il y avait dedans. Je pense que Wright a été tué parce qu'il travaillait tard et a vu quelqu'un sortir du bureau de mon frère.

Elle p‚lit.

- Vous croyez que Steven a été tué par quelqu'un de la Cour ? (John acquiesça.) Vous pouvez le prouver ?

- J'espère.

- C'est impossible, John ! Pourquoi ?

- Il y a un type qui a passé la moitié de sa vie en prison et qui aimerait bien avoir la réponse a ça.

- L'inspecteur Chandler est au courant ?

- En partie. Mais l'agent McKenna a réussi a le persuader que j'étais un sale type.

- Je ne suis pas certaine que l'inspecteur Chandler le croie.

- On verra.

Il la déposa derrière le Palais.

- Si vos soupçons sont fondés, dit-elle, et que quelqu'un de la Cour soit malé a ceci... (Elle hésita, comme si elle n'osait pas achever sa phrase.) Vous vous rendez compte de l'impact que ça aurait sur la réputation de la Cour ?

- Je n'ai pas beaucoup de certitudes dans la vie, mais j'en ai au moins une. La réputation de la Cour ne vaut pas la mort d'un innocent en prison.

Chapitre 53

Rufus regarda anxieusement son frère, qui venait d'atre pris d'une quinte de toux. Josh essaya de se redresser pour mieux respirer. Ses entrailles étaient dans un sale état, il le sentait. a tout moment, un organe vital pouvait le l‚cher. Il tenait toujours son pistolet contre son flanc. Mais, vu son état, il ne semblait pas avoir besoin d'une balle supplémentaire pour mettre fin a ses jours.

C'était une chance pour eux que Tremaine et Rayfield ne soient pas venus dans un véhicule militaire, bien que la Jeep civile ne f˚t pas non plus des plus discrètes : le télescopage avec le camion lui avait embouti une aile et son aspect branlant pouvait attirer l'attention sur eux. Heureusement qu'elle avait une capote ; ça leur permettait au moins de ne pas atre reconnus de l'extérieur.

Rufus ne savait pas oa il allait et Josh, qui oscillait entre conscience et inconscience, ne lui était pas d'un grand secours. Rufus ouvrit la boate a gants et sortit une carte routière. Puis il tira de sa poche le bristol avec les noms et les numéros. Tout ce qu'il avait a faire a présent, c'était trouver un téléphone.

John Fiske arriva devant son cabinet avec McKenna.

- Ne perdons pas de temps, dit le fédéral.

- On attend la police, répliqua John avec fermeté.

au mame moment, une voiture de police s'arratait le long du trottoir. L'agent Hawkins en descendit.

- qu'est-ce que c'est que cette embrouille, John ?

demanda Hawkins, perplexe.

John montra le fédéral du doigt.

- M. McKenna, du FBI, pense que j'ai tué Mike. Il est ici pour prendre mon pistolet afin de procéder a une expertise balistique.

Hawkins regarda McKenna d'un úil mauvais.

- C'est la plus belle connerie que j'aie jamais entendue.

- Je vous remercie, dit McKenna, c'est un point de vue intéressant. agent Hawkins, c'est ça ?

- C'est ça, fit Hawkins sans se dérider.

- Eh bien, agent Hawkins, vous ates autorisé par M. Fiske a rechercher dans son cabinet un pistolet 9 mm enregistré a son nom. (Il se tourna vers John.) Je suppose que vous ates toujours consentant. (John ne répondit pas.) Maintenant, agent Hawkins, si ça vous pose un problème, on peut aller en discuter ensemble avec votre patron. après tout, vous ne tenez peut-atre pas a prolonger votre carrière dans la police.

Voyant que Hawkins regimbait, John le prit par la manche et lui dit :

- Finissons-en, Billy.

Ils entrèrent dans l'immeuble.

- Tu as moins de bleus sur la figure, on dirait, commenta John.

- Ouais, ça s'arrange, merci, dit Hawkins en souriant.

- que s'est-il passé ? demanda McKenna.

- Un mec avec un penchant pour la drogue, qui voulait pas se laisser arrater, répondit Hawkins en faisant la gueule.

Il y avait un tas de lettres et de paquets devant son cabinet. John les ramassa, déverrouilla la porte et précéda les deux autres a l'intérieur. Il alla directement a son bureau, déposa le courrier et ouvrit le tiroir du haut. Il parut surpris, fourragea, puis regarda les deux hommes.

- Il était la, dans ce tiroir. J'en suis s˚r, je l'ai vu le jour oa tu es venu m'annoncer la mort de Mike, Billy.

McKenna croisa les bras et toisa John.

- quelqu'un d'autre a-t-il accès a votre cabinet ?

Femme de ménage, secrétaire, livreur, laveur de carreaux ?

- Non, personne. Personne n'a la clé, a part le proprio.

- T'es resté absent, quoi, deux jours, pas plus ? dit Hawkins.

- C'est ça.

McKenna inspecta la porte.

- Il n'y a aucune trace d'effraction.

- «a prouve rien, objecta Hawkins. Un mec qui sait ce qu'il fait peut crocheter cette serrure les doigts dans le nez.

- qui savait que vous aviez ce pistolet ici ?

demanda McKenna.

- Personne.

- Un de vos clients a pu le prendre pour braquer une banque ?

- Je ne reçois pas mes clients dans mon cabinet, McKenna. quand ils m'appellent, ils sont généralement déja en prison.

- Eh bien, il semblerait que votre cas s'aggrave.

Votre frère a été tué avec une balle de 9 mm. Vous avez un 9 mm SIC enregistré a votre nom et vous reconnaissez qu'il était encore en votre possession il y a quelques jours. Cette arme s'est tout a coup volatilisée, vous n'avez pas d'alibi et la mort de votre frère vous a enrichi d'un demi-million.

Hawkins haussa les sourcils.

- Mike avait souscrit une assurance vie, lui expliqua John. C'était pour maman et papa.

- «a, c'est votre théorie, rectifia McKenna.

- Si vous pensez avoir assez d'éléments pour m'inculper, allez-y. Sinon, foutez le camp.

McKenna ne se démonta pas.

- Je crois que l'agent Hawkins a votre autorisation pour fouiller votre cabinet. La fouille ne se limite pas a un seul tiroir. alors, copain ou pas, j'entends qu'il fasse son devoir jusqu'au bout.

John s'inclina.

- Vas-y, Billy. Je vais boire un verre au café du coin. Tu veux quelque chose ?

Hawkins secoua la tate.

- Moi, je boirais bien un petit jus, dit McKenna en suivant John. «a nous donnera l'occasion de bavarder un peu.

Sara s'arrata dans l'allée. Elle inspira profondément.

La Buick était la. quand elle descendit de voiture, l'odeur de l'herbe coupée la réconforta. «a lui rappelait son enfance, les terrains de football du lycée, les étés en Caroline. ¿ peine eut-elle frappé que la porte s'ouvrit.

Elle sursauta. Ed Fiske avait d˚ la voir arriver. avant qu'il ne lui claque la porte au nez, elle brandit la photo.

C'était un portrait de groupe. Il y avait Ed Fiske, Gladys et leurs deux fils. Tous souriaient jusqu'aux oreilles.

- Michael l'avait dans son bureau, expliqua-t-elle.

Je voulais vous la donner.

- Pourquoi ça ?

Il avait toujours un ton glacial mais, au moins, il ne lui criait pas d'insultes.

- Parce qu'il m'a semblé que c'était la meilleure chose a faire.

Il prit la photo.

- J'ai rien a vous dire, fit-il.

- Moi, j'ai beaucoup a vous dire. J'ai fait une promesse a quelqu'un, et j'aime tenir mes promesses.

- ¿ qui ? ¿ Johnny ? Eh ben, vous pouvez lui dire que ça sert a rien de vous envoyer réparer les pots cassés.

- Il ne sait pas que je suis venue. Il ne voulait pas que je m'en male.

- alors, pourquoi vous ates ici ?

- ¿ cause de cette promesse. Ce que vous avez vu l'autre nuit n'était pas la faute de John. C'était la mienne.

- Il faut atre deux pour danser le tango, vous m'ôterez pas ça de l'idée.

- Je peux entrer ?

- Je vois pas pourquoi.

- J'aimerais vraiment vous parler de vos fils. Je pense que vous devez savoir certaines choses. «a vous permettra d'y voir plus clair. Ce ne sera pas très long et je vous promets de ne plus vous ennuyer après ça. S'il vous plaat.

Ed hésita et finit par s'écarter pour lui céder le passage. Il referma bruyamment la porte derrière eux.

Le living-room était a peu près dans l'état oa elle l'avait vu la première fois, c'est-a-dire impeccablement rangé. L'homme aimait l'ordre. Elle imagina le garage plein d'outils soigneusement alignés. Ed lui indiqua le divan. Elle s'assit, pendant qu'il plaçait la photo entre les autres dans la salle a manger.

- Vous voulez boire quelque chose ? demanda-t-il a contrecúur.

- Seulement si vous m'accompagnez.

Il s'installa sur une chaise en face d'elle.

- J'ai pas soif, dit-il.

En l'observant plus attentivement, elle lui reconnaissait un certain air de famille avec ses deux fils. Michael, toutefois, tenait plus de sa mère que John. Ed voulut allumer une cigarette, puis renonça.

- Vous pouvez fumer, vous savez. Vous ates chez vous.

Ed rangea le paquet et le briquet dans sa poche.

- Gladys ne voulait pas que je fume dans la maison, seulement dehors. Les vieilles habitudes sont tenaces.

Il croisa les bras et attendit qu'elle prenne la parole.

- J'étais une amie très proche de Michael.

- Vous devez avoir une drôle d'idée de l'amitié, après ce que j'ai vu l'autre nuit, dit Ed en s'échauffant.

- Le fait est, monsieur Fiske...

- appelez-moi Ed, j'aime pas les salamalecs.

- D'accord, Ed, le fait est que nous étions de bons amis. Enfin, c'est ainsi que je voyais la chose. Michael en voulait plus.

- qu'est-ce que vous voulez dire ?

Sara déglutit et rougit légèrement.

- Il m'a demandée en mariage.

Ed parut choqué.

- Il m'en avait jamais parlé.

- C'est normal. Je... (elle hésita, craignant sa réaction)... j'ai refusé.

Elle se redressa, mal a l'aise, pendant que le vieux digérait la nouvelle.

- ah bon ? Bah, je suppose que vous ne l'aimiez pas.

- En effet. Du moins, pas de cette manière-la. C'est difficile a expliquer. Il était parfait. C'était peut-atre ça qui m'effrayait, au fond, l'idée de passer ma vie avec un homme aussi exigeant. Et il était tellement captivé par son métier... Mame si je l'avais aimé, je ne sais pas s'il y aurait eu de la place pour moi dans sa vie.

Ed baissa les yeux.

- «a a pas été facile d'élever ces deux garçons.

Johnny était bon dans presque tout, mais Mike... Mike était plus que ça, il réussissait tout ce qu'il voulait. Je m'en rendais pas bien compte a l'époque, je passais le plus clair de mon temps au garage. J'étais tellement fier de Mike ! «a se voyait trop. Beaucoup trop. Je m'aperçois mieux de mon erreur, avec le recul. Mike m'a dit que Johnny ne voulait plus le voir, et sans lui dire pourquoi. Johnny n'est pas très communicatif.

C'est dur de le faire parler.

Sara regarda, derrière lui, un cardinal voleter et se poser sur une branche du saule pleureur.

- Je sais, dit-elle. J'ai passé pas mal de temps avec lui ces derniers jours. Voyez-vous, j'ai toujours pensé

que, le jour oa je rencontrerais l'homme avec qui je voudrais passer ma vie, je le reconnaatrais au premier coup d'úil. C'est idiot, n'est-ce pas ?

Un vague sourire passa sur le visage du vieux.

- La première fois que j'ai vu Gladys, elle était serveuse dans le petit restaurant en face du garage oa je travaillais. J'y suis allé un jour avec des potes et, dès que je l'ai vue, je n'ai plus entendu un seul mot de ce qu'ils me disaient. Y avait plus qu'elle et moi au monde. De retour au boulot, j'ai failli bousiller un moteur Diesel Cummins. J'avais plus ma tate a moi.

Sara sourit.

- Connaissant l'obstination de John et de Michael, je ne pense pas que vous en soyez resté la.

Il sourit aussi.

- Je suis allé prendre mon breakfast, mon déjeuner et mon daner dans ce resto pendant six mois. On a commencé a sortir ensemble. Puis j'ai eu le courage de la demander en mariage. Je l'aurais fait dès le premier jour, si j'avais pas eu peur qu'elle me prenne pour un cinglé. (Il se tut un instant.) ah, on peut dire qu'on a eu une belle vie, tous les deux. (Il observa Sara.) C'est ce qui s'est passé quand vous avez vu John ? (Elle acquiesça.) Mike le savait ?

- Je crois qu'il s'en est douté. quand j'ai finalement rencontré John, je lui ai demandé pourquoi ils ne s'entendaient pas, tous les deux. Je pensais que ça pouvait atre une des raisons mais, en fait, ils étaient déja en froid avant cela. Ce que vous avez vu cette nuit-la sur le bateau, c'était... une tentative de séduction de ma part. Votre fils venait de vivre une journée d'enfer et je n'ai pensé qu'a moi. (Elle le regarda en face.) Il m'a repoussée.

Elle repensa a la nuit précédente, aux tendresses qu'ils avaient échangées, dans son lit et plus tard. Puis au lendemain. Elle croyait avoir tout compris, tout savoir de lui. Un sentiment agréable. Maintenant, elle se disait qu'elle ne savait rien de l'homme et de ses sentiments. Elle eut un rire gané et prit un mouchoir de papier pour s'essuyer les yeux.

- Ce fut une expérience assez humiliante, reprit-elle. C'est tout ce que j'étais venue vous dire. Si vous voulez haÔr quelqu'un, haÔssez-moi. Mais pas votre fils.

Ed contempla le tapis et se leva.

- Je viens de tondre la pelouse. J'ai envie d'un thé

glacé. Pas vous ?

Surprise, elle accepta.

quelques minutes plus tard, Ed revint avec des verres remplis de glace et une théière.

- J'ai beaucoup réfléchi a cette nuit-la, dit-il en versant le thé. Je ne me souviens pas de tout. J'avais une méchante gueule de bois le lendemain. J'aurais jamais d˚ taper Johnny. Pas dans le ventre.

- Il est solide.

- C'est pas ce que je veux dire. (Il avala une gorgée et se rassit en se mordant la lèvre.) Il vous a déja expliqué pourquoi il avait quitté la police ?

- Il m'a dit qu'il avait arraté un jeune pour détention de drogue, que le gosse lui avait fait pitié et qu'il avait décidé d'aider les types comme lui.

Ed acquiesça.

- Mouais, sauf qu'il l'a pas exactement arraté. Le gars est mort dans l'opération. Idem pour le policier qui était venu en renfort.

Sara faillit renverser son thé.

- quoi ?

Ed était un peu ennuyé d'avoir abordé ce sujet, mais il continua.

- Johnny n'a jamais aimé en parler, mais j'ai appris l'histoire par un des agents qui sont arrivés sur les lieux après coup. Johnny avait arraté la voiture pour une raison quelconque. Elle avait été volée, je crois. Bref, il a appelé du renfort et fait sortir les deux gars de la bagnole. Il a trouvé la drogue et c'est a ce moment-la que son collègue s'est pointé. Ils allaient commencer a les fouiller et voila qu'un des gars s'écroule, comme s'il faisait une crise de quelque chose. Johnny essaie de l'aider. Son collègue aurait d˚ ouvrir l'úil, mais il n'a pas fait gaffe, l'autre a sorti un revolver et l'a tué.

Johnny a réussi a dégainer, il a tiré, mais le gosse a eu le temps de lui mettre deux balles dans la peau... Ils sont tombés tous les deux, face a face. Son copain leur avait fait du cinéma. Sa crise, c'était du bidon. Il a sauté dans la voiture et filé. Ils l'ont rattrapé un peu plus tard.

Johnny et l'autre type étaient affalés a cinquante centimètres de distance. Ils pissaient le sang.

- Mon Dieu !

- Johnny a enfoncé un doigt dans une de ses blessures. «a a un peu arraté le sang. Et puis - ça, je l'ai appris de sa bouche pendant qu'il délirait a l'hôpital - le gars a dit un truc a Johnny. J'ai jamais pu savoir quoi exactement, mais, quand ils les ont retrouvés, Johnny avait passé un bras autour de lui. Il avait d˚ se traaner jusqu'a lui. Le gosse était mort. Certains flics ont trouvé

ça un peu louche, ça leur plaisait pas. Mais, bon, ils ont enquaté et Johnny a été blanchi. C'était la faute de l'autre flic. Johnny a failli mourir pendant son transport a l'hôpital. Il y est resté des semaines. Les pruneaux du môme lui avaient lacéré les tripes.

Sara revit tout a coup Fiske rabattant son T-shirt avant de faire l'amour.

- Il a une cicatrice ?

- Pourquoi vous demandez ça ?

- Pour rien. ¿ cause d'une chose qu'il a dite.

Ed acquiesça lentement.

- Du ventre jusqu'au cou.

" Trop vieux pour faire trempette ", songea Sara.

- Je suppose qu'ils auraient pu lui faire de la chirurgie plastique, mais Johnny en avait marre des hôpitaux. D'ailleurs, je crois qu'il s'est dit que, s'ils pouvaient pas le réparer en dedans, a quoi bon se faire bichonner l'extérieur ?

Sara s'affola.

- que voulez-vous dire ? Il est complètement guéri, n'est-ce pas ?

Ed secoua tristement la tate.

- Les balles l'ont salement amoché, elles ont ricoché a l'intérieur. Ils l'ont recousu, mais presque tous les organes ont été touchés. Ils pourraient peut-atre le retaper plus correctement si Johnny acceptait de passer quelques années a l'hôpital pour des greffes, des trucs comme ça. Mais il veut rien entendre. Les toubibs l'ont prévenu que ça allait s'aggraver avec le temps. Comme un genre de diabète, voyez, qui vous ronge les organes petit a petit. Ils ont dit que ces balles lui co˚teraient vingt ans de sa vie, peut-atre plus. Et qu'y avait rien a faire. ¿ l'époque, il s'en fichait. Il était vivant, ça lui suffisait. Mais je sais que ça lui trotte encore dans la tate. Il fait des haltères, il court comme un fou, il se maintient en forme. Extérieurement seulement. quand il a quitté la police, il a mame pas voulu d'indemnités, alors qu'il y avait droit, et pas qu'un peu. Il est devenu avocat, il bosse comme un dingue pour des clopinettes et il nous donne le plus gros de ce qu'il gagne, a sa maman et a moi. J'ai pas de retraite et les factures médicales de Gladys représentent une jolie ardoise. On a d˚

hypothéquer cette maison, après avoir passé trente ans a la payer. Mais quand on n'a pas le choix...

Sara jeta un úil vers la table oa était exposée la médaille de John Fiske. Un bout de métal pour prix de toutes ces souffrances.

- Si je vous raconte tout ça, c'est pour vous faire comprendre que Johnny n'a pas vraiment les mames espérances que vous ou moi dans la vie. Jamais marié, pas de gosses. Tout va trop vite pour lui. Il pense qu'il aura de la veine s'il atteint cinquante ans. Il me l'a dit lui-mame. (Ed baissa les yeux, la gorge serrée.) J'aurais jamais pensé survivre a Mike. Dieu veuille que je survive pas a mon autre garçon.

Sara retrouva sa voix.

- Je vous remercie de m'avoir dit cela. Je me rends compte que ce n'était pas facile pour vous. Vous me connaissez a peine.

- «a dépend. Des fois, en dix minutes on arrive a connaatre une personne mieux que quelqu'un qu'on fréquente depuis toujours.

Sara se leva pour partir.

- Merci de m'avoir accordé votre temps. Et John a vraiment besoin d'avoir de vos nouvelles.

Il acquiesça gravement.

- Je l'appellerai.

au moment oa elle tournait le bouton de la porte, Ed lui dit :

- Vous aimez toujours mon fils ?

Elle sortit sans répondre.

Dans le petit troquet en face de son bureau, John Fiske commanda un café au bar et alla s'asseoir en terrasse. McKenna fit de mame. au début, John choisit d'ignorer complètement l'agent du FBI et regarda les passants en buvant son café. Le soleil projetait l'ombre des deux hommes sur les briques derrière eux et John, ébloui, mit ses lunettes noires. McKenna m‚chonnait silencieusement des biscuits secs en faisant tourner son gobelet de plastique entre ses doigts.

- Comment va votre estomac ? Je regrette de vous avoir frappé.

- La seule chose que vous regrettiez, c'est de ne pas avoir frappé plus fort.

- Non, parole. J'ai pris peur en voyant le fusil.

- Ben voyons ! Vous pensiez que j'allais pouvoir ouvrir la porte de la bagnole, sortir le fusil, me retourner et épauler avant que vous ayez eu le temps de m'ajuster a une distance de... quoi, dix centimètres ?

- Pour votre information, j'avais lu vos états de service. Vous étiez un bon flic. En tout cas, jusqu'a votre démission.

- qu'est-ce que ça sous-entend ?

- Rien, sinon que votre dernière prestation a soulevé quelques questions. Vous voulez m'en dire plus?

John retira ses lunettes pour mieux le regarder.

- Je préférerais encore que vous me tiriez une balle dans la tate.

McKenna s'adossa contre le mur et alluma une cigarette.

- Vous savez, si vous tenez tant a prouver votre innocence, vous devriez commencer par atre un peu plus coopératif.

- Vous ates persuadé que j'ai tué mon frère, McKenna. alors, a quoi bon ?

- J'ai travaillé sur pas mal d'enquates dans ma carrière. Une fois sur deux, ma première hypothèse s'est révélée fausse. Il ne faut jamais dire " jamais ", c'est ma devise.

- Mais c'est que vous avez l'air presque sincère, dites donc !

McKenna adopta un ton plus amical.

- John, ça fait un certain temps que je suis dans la partie. Les enquates ficelées d'avance, ça n'existe pratiquement pas. Il y a des failles dans celle-ci, et je ne les ignore pas.

Il s'interrompit et reprit, l'air de rien :

- alors, pourquoi votre frère s'intéressait tellement a Rufus Harms ? Et qu'est-ce qu'il y avait dans cette lettre ?

John remit ses lunettes.

- Tiens, je croyais que c'était moi qui avais tué mon frère. Faudrait savoir.

- Ce n'est qu'une de mes théories. J'essaie de la vérifier en cherchant votre 9 mm mystérieusement disparu. En attendant, j'étudie une autre possibilité : Rufus Harms. Votre frère a pris le document et il semble qu'il soit allé voir ce type en prison.

- C'est Chandler qui vous a dit ça ?

- J'ai de nombreuses sources d'information. Evans et vous avez fouillé dans le passé de Harms. Il s'est évadé d'une prison de Virginie et, comme par hasard, vous venez de louer un avion pour vous rendre dans la région. Pourquoi ne pas m'affranchir ? Oa ates-vous allé et pourquoi ?

John était soufflé. McKenna les avait mis sous surveillance. Ce n'était pas tellement étonnant, en fait, mais il n'avait pas envisagé cette possibilité.

- Puisque vous savez tout, pourquoi me poser la question ?

- Vous possédez peut-atre des renseignements qui peuvent m'aider a élucider cette affaire.

- avant Chandler ?

- quand il y a un tueur en liberté, peu importe qui l'arrate le premier.

En apparence, c'était le simple bon sens. Mais John savait que cela ne se passait pas ainsi, en réalité. C'était très important d'atre le premier. au FBI comme a la police, on était noté. Il se leva.

- allons rejoindre Billy. ¿ l'heure qu'il est, il a d˚

trouver les deux cadavres que j'ai planqués dans mon placard.

Hawkins finissait son inspection quand ils arrivèrent.

- Rien, dit-il en réponse a McKenna. Vous pouvez chercher vous-mame si vous voulez, ajouta-t-il par défi.

- Pas la peine, je vous fais confiance, dit McKenna.

John fixait Hawkins des yeux.

- qu'est-ce que c'est que ça, Billy ? demanda-t-il en pointant le doigt sur son col.

- «a, quoi ?

John lui frotta le col et montra son index.

Hawkins rougit un peu.

- Oh, hum, une idée de Bonnie pour masquer les bleus. C'est pour ça que j'ai meilleure mine. Je m'étais jamais fait cogner aussi dur de toute ma vie. Je veux dire : je suis costaud, mais le mec était balèze aussi.

- Moi, je lui aurais vidé mon chargeur dans le bide, dit McKenna.

John n'en crut pas ses oreilles. Il en resta bouche bée.

- J'ai été tenté de le faire, reconnut Hawkins. Enfin, pour en revenir a ces bleus, l'idée de Bonnie est pas mauvaise, mais le problème, c'est la chaleur : quand on se met a transpirer, ça tache les fringues. Je sais pas comment font les femmes.

- Tu veux dire que c'est...

- Ouais, du fond de teint.

Malgré le choc que lui causa cette révélation, John afficha un calme apparent, tout en frottant son épaule encore endolorie.

McKenna le regardait fixement.

Juste a ce moment-la, le téléphone sonna. John décrocha. C'était l'hospice de sa mère.

- J'ai appris la mort de Michael dans le journal, dit l'infirmière. Je suis catastrophée, John.

La femme travaillait a l'hospice depuis de longues années et John Fiske la connaissait bien.

- Merci, anne. …coutez, je n'ai pas beaucoup le temps, la, maintenant...

- L'autre jour encore, il était ici et... oh, c'est affreux, je n'arrive pas a le croire.

John se raidit.

- Ici ? Vous voulez dire a l'hospice ?

- Oui. Pas plus tard que la semaine dernière.

Jeudi... non, vendredi.

Le jour de sa disparition.

- Je m'en souviens parce que, d'habitude, il venait le samedi.

John se gratta la tate, désorienté.

- attendez, attendez, qu'est-ce que vous me racontez la ? Michael ne venait jamais voir maman.

- Bien s˚r que si. Pas aussi souvent que vous, mais tout de mame.

- Vous ne me l'aviez jamais dit.

- ah non ? autant vous l'avouer maintenant, Michael ne voulait pas que vous le sachiez.

- Mais pourquoi, bon sang ? J'en ai marre des gens qui me cachent des choses sur mon frère !

- Je suis désolée, John, mais il m'avait demandé de ne pas vous le dire et j'ai respecté son désir. C'est tout.

Mais maintenant qu'il nous a quittés... je ne pensais pas que ça vous f‚cherait de l'apprendre.

- Il a vu maman vendredi ? Il vous a parlé ?

- Non, pas vraiment. Il m'a paru un peu nerveux.

Comme si... comme s'il avait peur de quelque chose. Il est arrivé très tôt et il n'est resté qu'une demi-heure environ.

- alors il lui a parlé, a elle ?

- Il l'a vue. Je n'irai pas jusqu'a dire qu'ils se sont

" parlé "... avec Gladys, c'est un peu délicat. quand pensez-vous venir la voir ? Elle ne peut pas atre au courant pour Michael, bien s˚r, mais... je ne sais pas, elle semble déprimée par quelque chose.

Cette femme avait l'air de croire que les liens maternels étaient plus forts que la maladie, mame la maladie d'alzheimer.

- Je suis très pris en ce moment...

John s'interrompit brusquement. Ce serait un miracle si sa mère pouvait se souvenir de sa conversation avec Michael, se souvenir d'un détail susceptible de les aider.

Mais on ne savait jamais.

- J'arrive tout de suite.

Il raccrocha, attrapa son porte-documents et y fourra son courrier.

- Votre frère a rendu visite a sa mère le jour de sa disparition ? demanda McKenna. alors, elle est peut-atre en mesure de nous apprendre quelque chose.

- McKenna, ma mère est atteinte de l'alzheimer.

Elle croit que John Kennedy est toujours Président.

- Bon, mais quelqu'un du service, une infirmière peut-atre ?

John griffonna une adresse et un numéro de téléphone au verso d'une de ses cartes.

- Laissez ma mère en dehors de ça.

- Vous allez pourtant la voir, n'est-ce pas ? Vous avez une raison ?

- C'est ma mère.

John disparut derrière la porte.

Hawkins regarda McKenna.

- Vous avez l'intention de prendre racine ? Parce que je veux fermer a clé. J'ai pas envie que quelqu'un d'autre vienne piquer des trucs.

Il y avait dans l'intonation de Hawkins quelque chose qui fit tiquer McKenna. Le type ne pouvait pas se douter qu'il avait subtilisé le flingue, si ? Il avait des scrupules.

Mais ces scrupules-la n'étaient rien en comparaison du poids bien plus lourd qui pesait sur sa conscience.

Chapitre 54

Sara avait freiné a un feu rouge, en allant chez John Fiske, quand elle le vit traverser le carrefour en direction de l'ouest. Elle n'eut pas le temps de klaxonner.

Elle voulut lui faire des appels de phares, mais il avait l'air si tendu qu'elle se contenta de tourner a droite pour le suivre.

Trente minutes plus tard, elle vit sa voiture s'engager dans le parking d'un établissement hospitalier du West End. Elle y était déja venue avec Michael, pour rendre visite a sa mère. Elle se gara derrière un cèdre et regarda John entrer dans l'hospice.

Il alla trouver anne, qui s'excusa encore et le conduisit dans le salon des visiteurs, oa Gladys était sagement assise en pyjama et pantoufles. quand John apparut, elle leva les yeux et joignit les mains.

Il prit place en face d'elle. Gladys lui caressa tendrement le visage en souriant. Elle avait les yeux grands ouverts, mais sur un monde irréel.

- Comment va mon Mike ? Comment va le bébé de sa maman ?

Il lui prit les mains.

- Je vais bien. Papa va bien aussi. «a t'a fait plaisir que je vienne te voir, l'autre jour, hein ?

- «a me fait toujours plaisir.

Elle regarda derrière lui et sourit. Elle faisait souvent cela. C'était difficile de retenir son attention. Elle retombait en enfance, la boucle était bouclée.

Elle lui caressa de nouveau la joue.

- Ton papa était ici.

- quand ?

Elle hocha la tate.

- L'an dernier. Il avait une permission. Son bateau a coulé. Les Japonais l'ont eu.

- aÔe, c'est vrai ? Il va bien, j'espère ?

Elle se mit a rire.

- Oh oui, il pète le feu. (Elle se pencha et murmura sur un ton de conspirateur.) Mike, mon petit, tu peux garder un secret ?

- Bien s˚r, m'man.

Elle regarda autour d'elle, rougissante.

- Je suis de nouveau enceinte.

John soupira. C'était nouveau, ça.

- Vraiment ? dit-il. Tu le sais depuis quand ?

- allons, mon chéri, ne t'inquiète pas, va, maman a assez d'amour pour vous tous.

Elle lui pinça la joue et lui baisa le front. Il serra sa main en se forçant a sourire.

- On a eu une conversation intéressante, l'autre jour, hein ? reprit-il.

Elle acquiesça distraitement. C'était de la folie, il le savait mais, puisqu'il était la, pourquoi ne pas tenter le coup ? Il insista :

- J'ai fait un long trajet. Tu te rappelles oa je suis allé?

- Tu es allé a l'école, Mike, comme tous les jours.

Ton papa t'a emmené sur son bateau. (Elle fronça les sourcils.) Sois prudent, surtout. Il y a des combats terribles, tu sais. Ton papa est en train de se battre, en ce moment. (Elle leva le poing.) Vas-y, Eddie, tu les auras !

- Je serai prudent, maman.

La regarder, c'était comme regarder un portrait qui jaunissait au soleil. ¿ la longue, les couleurs finiraient par s'effacer et il ne resterait plus qu'un souvenir de son image. ainsi va la vie.

- Il faut que je me sauve, dit-il. Je... je vais atre en retard a l'école.

- Comme elle est jolie ! s'exclama Gladys en faisant signe a quelqu'un derrière lui. Hello, ma belle !

John se retourna et se figea en voyant Sara debout a quelques mètres.

- Je suis enceinte, ma chérie, lui dit Gladys.

- Félicitations, fut tout ce que Sara trouva a répondre.

John fonça vers la sortie a grands pas, avec Sara sur ses talons. Il ouvrit la porte si brusquement que le battant heurta le mur.

- John, veux-tu bien m'écouter une minute ?

supplia-t-elle.

Il se retourna.

- Comment oses-tu venir m'espionner ?

- Je n'espionnais pas.

- alors, male-toi de tes oignons, dit-il en montant dans sa voiture.

Elle se glissa a côté de lui.

- Sors de ma voiture.

- Je ne bougerai pas tant que nous n'aurons pas parlé.

- Des clous !

- Si tu veux que je descende, jette-moi dehors.

- quelle emmerdeuse ! cria-t-il en ressortant.

Elle le suivit.

- Emmerdeur toi-mame. John Fiske, vas-tu enfin me parler, oui ou non ?

- Nous n'avons rien a nous dire.

- Nous avons tout a nous dire.

Il pointa un doigt accusateur.

- Pourquoi tu me fais ça, Sara ?

- Parce que tu m'inquiètes.

- J'ai pas besoin de ton aide.

- Je pense que si. J'en suis mame s˚re.

Ils se regardèrent longuement.

- On ne peut pas aller quelque part pour en parler ?

Je t'en prie !

Elle contourna lentement la voiture et lui prit le bras.

- Si la nuit dernière compte a moitié autant pour toi que pour moi, dit-elle, nous devrions atre au moins capables de parler.

Elle attendit, presque certaine qu'il allait sauter dans sa voiture et disparaatre de sa vie.

Il hésita, puis baissa la tate et s'appuya contre la carrosserie avec lassitude. Sara chercha sa main et l'étreignit. Il observa une voiture, un peu plus loin, garée le long de la route, avec deux hommes a l'intérieur.

- Je crois que les fédés nous filent le train, dit-il.

Il semblait s'y résigner. Peut-atre parce que McKenna n'était pas a bord.

- Tant mieux, je me sentirai en sécurité, répondit-elle sans le quitter des yeux.

Elle s'aperçut enfin qu'elle ne l'avait pas perdu, du moins pour l'instant.

Ils montèrent dans leurs voitures respectives et Sara suivit John jusqu'a un petit centre commercial, a un kilomètre environ, oa ils s'assirent a une terrasse et burent de la limonade dans la chaleur de fin d'après-midi.

- Je comprends que tu en veuilles a ton frère, mais ce n'est pas sa faute, dit Sara.

- Rien n'était jamais la faute de Mike, répliqua-t-il amèrement.

- Ta mère ne sait pas ce qu'elle dit. Elle aurait tout aussi bien pu appeler Michael par ton nom.

- Ouais, c'est ça. Elle choisit de ne pas se souvenir de moi.

- Peut-atre qu'elle t'appelle ainsi parce que tu lui rends visite beaucoup plus souvent que Mike et que c'est sa façon de réagir.

- Tu ne me feras pas avaler ça.

- Très bien, si tu veux absolument atre jaloux de ton frère mame après sa mort, continue comme ça.

John lui jeta un regard glacial. Elle s'attendit a le voir exploser, mais il répondit simplement :

- Oui, je suis, ou j'étais, si tu préfères, jaloux de mon frère. qui ne l'aurait pas été ?

- Ce n'est pas une raison pour te conduire comme tu le fais.

- Possible, concéda-t-il, a bout d'arguments. (Il détourna les yeux.) La première fois que je suis allé voir maman et qu'elle m'a appelé Mike, j'ai cru que c'était provisoire, tu vois, qu'elle avait eu une mauvaise journée. Mais au bout de deux mois... Eh bien, j'en ai eu marre et c'est alors que j'ai coupé les ponts avec Mike. Pour de bon. Tous les petits trucs qui me ganaient chez lui, mame les plus dérisoires, ont pris des proportions énormes. Je ne voyais plus en lui qu'un salopard sans cúur. Il m'avait pris ma mère.

- John, le jour oa nous sommes venus te voir au tribunal, j'ai accompagné Mike a l'hospice.

Il se raidit.

- quoi ?

- Ta mère ne lui a mame pas parlé. Il lui a apporté

un cadeau, elle ne l'a pas voulu. Il m'a dit qu'elle était toujours comme ça. Il supposait que c'était parce qu'elle t'aimait trop, qu'elle n'avait plus de place pour lui.

- Tu mens.

- Non. C'est la vérité.

- Tu mens !

- Demande aux gens qui travaillent la-bas. Ils le savent.

quelques minutes s'écoulèrent en silence. John avait la tate baissée. quand il leva les yeux, il dit :

- Je n'avais jamais pensé qu'il avait perdu sa mère, lui aussi.

- Tu en es bien s˚r ?

Il serra les poings.

- qu'est-ce que tu veux dire ? s'écria-t-il d'une voix tremblante.

- qu'est-ce qui t'empachait de parler a ton frère ?

Michael m'a dit que c'était toi qui avais coupé les ponts, comme tu viens de le reconnaatre toi-mame. Mais je n'arrive pas a croire que tu n'aies jamais su comment elle le traitait.

Il y avait une telle souffrance dans le visage de John qu'elle en frémit.

- Je ne voulais pas m'en soucier, dit-il. (Elle lui saisit l'épaule.) Je crois que je me suis servi de tout ça comme d'un prétexte pour bannir mon frère de ma vie.

Et puis, il y a autre chose... Mike m'a téléphoné, juste avant d'aller a la prison. Je ne l'ai pas rappelé. En tout cas, pas tout de suite. quand je m'y suis décidé, c'était trop tard... Je l'ai tué.

- Tu ne peux pas te reprocher ça. (Voyant que ce genre de propos rassurant était sans effet, elle changea de tactique.) Si tu veux te reprocher quelque chose, ne te trompe pas de remords. Tu as injustement chassé ton frère de ton existence. «a, c'est vrai, ça, tu peux le regretter. Maintenant, il est mort. Il faudra que tu vives toute ta vie avec ces regrets-la, John.

- Tu crois que je ne le sais pas ?

Puisqu'il s'était confié a elle, Sara estima qu'elle lui devait la pareille.

- J'ai vu ton père aujourd'hui. (Elle arrata aussitôt ses protestations.) Je te l'avais promis. Je lui ai expliqué

ce qui s'était réellement passé.

- Et tu t'imagines qu'il t'a crue ! fit-il, sceptique.

- Je lui ai dit la vérité. Il va t'appeler.

- Merci, mais j'aurais préféré que tu restes en dehors de ça.

- Il a comblé certaines lacunes pour moi.

- quoi, par exemple ? demanda-t-il sèchement.

- Par exemple, la raison pour laquelle tu as quitté la police.

- Sara, tu n'avais pas besoin de savoir ça !

- Oh, si. Et pour une excellente raison.

- Laquelle ?

- Tu t'en doutes bien !

Ils se turent. John regardait la table en jouant négligemment avec sa paille. Enfin, il croisa les bras.

- alors, mon père t'a tout raconté ?

- au sujet des coups de feu, oui, répondit-elle prudemment.

- Donc, tu sais que je ne serai probablement plus dans un excellent état de fraacheur a soixante ans. Je n'atteindrai peut-atre mame pas la cinquantaine.

- Je crois que rien n'est joué d'avance.

- Et si c'était le cas ? Si j'étais déja condamné ?

- Pour moi, ça ne changerait rien.

- Mais pour moi, ça changerait tout, Sara, dit-il en se penchant vers elle.

- alors, tu renonces a la vie ?

- Je mène ma vie comme je l'entends.

- Bon, si tu le dis...

- «a ne marcherait jamais, tu sais, rétorqua-t-il.

- Donc, tu y as pensé ?

- Oui, j'y ai pensé. Pas toi ? Comment sais-tu que ce n'est pas une passade, un coup de tate comme quand tu as acheté ta maison ?

- Je connais mes sentiments.

- Les sentiments peuvent changer, objecta-t-il.

- Et c'est tellement plus facile de s'avouer vaincu que d'essayer de résister !

- quand je veux quelque chose, je me bats pour l'obtenir.

Il ne savait pas pourquoi il disait ça, mais il comprit qu'il l'avait blessée.

- Je vois, reprit-elle. Et je suppose que je compte pour rien dans ta décision.

- Sara, ce n'est pas ça, je... …coute, mon père ne t'a pas tout dit, parce qu'il ne sait pas tout.

- Il m'a dit que tu avais failli mourir, que les deux autres étaient morts, le policier et le type qui t'a tiré

dessus. Je peux comprendre que ça ait changé ta manière de vivre, ton attitude face a l'existence. Je pense que c'est très noble, en fait, si c'est le mot juste.

- Tu n'y es pas du tout. Tu veux vraiment savoir pourquoi j'ai cette attitude ?

Elle sentait qu'il s'adoucissait.

- Oui, dit-elle.

- Parce que j'ai peur. C'est la peur qui dicte mes actes. quand j'étais flic, c'était toujours " nous contre eux ". Mon meilleur copain était mon flingue.

Il s'interrompit pour observer les gens qui comman-daient des rafraachissements. Ils étaient insouciants, heureux, poursuivaient des buts tangibles dans la vie ; ils étaient tout ce qu'il n'était pas, ne pouvait pas atre.

- Je passais mon temps a arrater les mames types.

J'avais a peine rédigé mon rapport qu'ils étaient déja libérés. Et ils t'auraient descendue comme ils auraient écrasé un cafard, sans état d'‚me. Parce que, pour eux aussi, c'était " nous contre eux ". Ils ne faisaient pas le détail. Jeunes, Noirs, toujours le mame refrain, attrape-moi si tu peux. Les flics arrivent ? Tue-les si tu peux. Et sans réfléchir. Simple réflexe. Comme une drogue.

- Tout le monde n'est pas comme ça. Il n'y a pas que des gens comme eux sur terre.

- Je sais. Je sais que la plupart des gens, noirs, blancs ou ce que tu veux, mènent des existences relativement normales. Je veux le croire. Seulement, en tant que flic, je n'ai pas vu ces gens-la. Les navires sans avaries ne'croisaient pas devant mon port.

- C'est cette bavure qui t'a fait reconsidérer les choses ?

Il ne répondit pas tout de suite.

- Bavure... est-ce que c'était une bavure ? dit-il enfin. Je me rappelle m'atre agenouillé devant le type.

J'ai entendu le coup de feu et le cri de mon équipier. J'ai dégainé en me retournant. Je ne sais pas comment j'ai réussi a tirer, mais je l'ai touché en pleine poitrine. On s'est écroulés tous les deux ensemble. Il a perdu son flingue, j'avais toujours le mien. Je le visais. Il n'était mame pas a cinquante centimètres de moi. Chaque fois qu'il respirait, le sang giclait comme un geyser rouge du trou que je lui avais fait... avec un bruit de ventouse qui me hante encore dans mes raves. Ses yeux commen-

çaient a se voiler, mais on ne peut jamais atre s˚r. Tout ce que je savais, c'était qu'il venait de tuer mon équipier et m'avait tiré dessus. J'avais l'impression de me dissoudre de l'intérieur. (Il poussa un long soupir.) J'attendais qu'il meure, Sara.

Ce souvenir le tenaillait encore. Il ne pouvait pas oublier qu'il avait failli finir dans un cercueil, oublié au fond d'un cimetière comme tant d'autres flics anonymes.

- Ton père m'a dit qu'on t'avait retrouvé avec un bras autour de lui.

- Je pensais qu'il essayait de me prendre mon flingue. J'avais un doigt sur la détente, un autre enfoncé

dans le trou de mes boyaux. Mais il ne bougeait mame pas la main. Il marmonnait. Je n'arrivais pas a comprendre ce qu'il disait, au début, mais il répétait sans arrat la mame chose...

- que disait-il ? demanda-t-elle doucement.

John soupira encore, comme s'il s'attendait a voir du sang jaillir de ses vieilles blessures, de ses organes lacérés qui criaient gr‚ce.

- Il voulait que je l'achève...

En réponse a la question muette de Sara, il ajouta :

- Je ne pouvais pas. C'était sans importance, remarque, il a cessé de parler quelques secondes après.

Sara se redressa lentement, incapable de dire quelque chose.

- En fait, je crois qu'il avait peur que je meure. (Il hocha la tate. Les mots lui co˚taient.) Il n'avait que dix-neuf ans. J'étais déja un vieux a côté de lui. Il s'appelait Darnell. Darnell Jackson. Sa mère était une droguée.

quand il avait huit ou neuf ans, elle le prostituait pour payer ses doses. «a te paraat horrible ?

- Bien s˚r que ça me paraat horrible !

- Pour moi, c'était la routine. Je voyais ça tout le temps. J'étais immunisé. Du moins, je le pensais. (Il humecta ses lèvres sèches.) Je pensais qu'il n'y avait plus de place pour la compassion en moi. Mais, après Darnell, j'ai su qu'il y en avait encore. (Il eut un demi-sourire.) J'appelle ça mon épiphanie en gilet pare-balles. Deux bastos dans le corps, un môme en train de crever devant moi, qui voulait que je l'achève. On imagine difficilement qu'un événement unique puisse avoir assez de force pour remettre en question tout ce en quoi on croyait. Pourtant, c'est ce qui m'est arrivé, ce soir-la... Désormais, je n'envisage l'avenir que dans le contexte Darnell Jackson. C'est ma version de l'holocauste nucléaire, mais un holocauste au ralenti.

Voila la terreur qui guide mes actes.

- Je pense que tu es un homme sincère et que tu fais beaucoup de bien autour de toi.

Il secoua la tate, les yeux brillants.

- Je ne suis pas un riche et élégant avocat blanc en croisade pour sauver tous les petits Enis du monde. Et il a fallu qu'un gosse perdu me troue les tripes pour que je prenne vaguement conscience du problème. Tout le monde s'en fout, je t'assure.

- Tu ne peux pas atre cynique a ce point.

Il la regarda longuement avant de répondre :

- En vérité, je suis le cynique le plus optimiste que tu aies jamais rencontré.

Chapitre 55

- Tu as fait ce que tu devais faire, Beth. Mame si c'est dur. Mais j'ai tout de mame du mal a croire ça de Sara.

Jordan Knight hocha la tate. Ils étaient a l'arrière de sa limousine de fonction, qui se faufilait cahin-caha dans les embouteillages en direction de leur appartement du Watergate.

- Peut-atre a-t-elle simplement craqué, continua-t-il. La pression est énorme.

- Je sais, dit Elizabeth.

- C'est tellement bizarre ! Un greffier vole un recours en appel. Sara est au courant mais ne dit rien. Le greffier est assassiné. Puis le frère du greffier est soup-

çonné. John Fiske n'a pourtant pas une tate d'assassin.

- Non.

Sa conversation avec Fiske avait renforcé ses craintes.

Jordan Knight tapota la main de sa femme.

- Je me suis renseigné sur Chandler et McKenna.

Ils sont solides. McKenna a une excellente réputation au FBI. Si quelqu'un peut élucider cette affaire, je crois que ce sont ces deux-la.

- Je trouve Warren McKenna grossier, pour ne pas dire odieux.

- Ma foi, dans son genre de boulot, il est parfois obligé de l'atre.

- Ce n'est pas tout. Je ne le crois pas sincère. Il a l'air de prendre l'enquate très au sérieux, mais... (elle chercha ses mots) ... on dirait qu'il fait semblant, qu'il joue la comédie.

- allons bon !

- Je sais que ça paraat aberrant, mais c'est mon impression.

Le sénateur se gratta pensivement le menton.

- J'ai toujours dit que l'intuition d'une femme avait plus de valeur que la logique d'un homme. Je crois que nous jouons tous un peu la comédie dans cette ville. Et ça devient lassant.

- Je sens que tu vas me parler du ranch au Nouveau-Mexique.

- J'ai une douzaine d'années de plus que toi, Beth.

Chaque jour qui passe est un peu plus précieux.

- Mais nous sommes ensemble.

- tre ensemble a Washington, ce n'est pas pareil.

Nous sommes si occupés, tous les deux !

- J'ai été nommée a vie a la Cour suprame, Jordan.

- Je veux simplement que tu n'aies pas de regrets.

Et j'aimerais ne pas en avoir non plus.

Ils se turent et regardèrent par la vitre. La limousine suivait Virginia avenue.

- Tu as eu une prise de bec avec Ramsey

aujourd'hui ? Tu penses avoir une chance ?

- Jordan, tu sais que je n'aime pas parler de ces choses.

- Voila bien ce que je déteste dans cette ville, et dans nos fonctions ! Les affaires du gouvernement ne doivent pas interférer dans les liens du mariage.

- Drôle de langage pour un homme politique.

Jordan rit de bon cúur.

- ah, justement ! En tant qu'homme politique, il faut bien que je proteste de temps en temps, non ? (Il lui prit la main.) Je te félicite d'avoir maintenu le daner en l'honneur de Kenneth. Je sais que certains t'en ont voulu.

Elizabeth haussa les épaules.

- Harold profite de tous les prétextes, mame les plus infimes, pour me mettre des b‚tons dans les roues.

Mais j'ai la peau dure.

Elle l'embrassa sur la joue et il lui caressa tendrement les cheveux :

- On ne s'en est tout de mame pas mal sortis, toi et moi, non ? Notre vie n'est pas si ratée ?

- Notre vie est magnifique.

Elle l'embrassa encore.

- Voici ce que je décrète, reprit-il en passant un bras protecteur autour de sa femme. On annule tous nos rendez-vous pour ce soir, on dane en amoureux, on regarde un film et on parle. «a ne nous arrive plus tellement, depuis quelque temps.

- J'ai peur de ne pas atre de bonne compagnie.

Jordan la serra contre lui.

- Tu es toujours de bonne compagnie, Beth.

Toujours.

Lorsque les Knight arrivèrent a leur appartement, Mary, la gouvernante, tendit un message téléphonique a Elizabeth. quand elle lut le nom sur le papier, une curieuse expression passa sur son visage.

Jordan, lui, se frottait les mains. Il regarda la gouvernante.

- J'espère que vous avez prévu un bon petit daner, Mary, dit-il.

- Votre plat préféré. Du tendron de búuf.

- J'ai dans l'idée que nous allons traaner a table. Ce soir, c'est repos complet pour madame et moi. Pas d'interruptions. (Il se tourna vers sa femme.) Un problème ? demanda-t-il en voyant le message.

- Non. Les affaires de la Cour. «a ne finit jamais.

- ¿ qui le dis-tu ! Bon, je vais prendre une douche bien chaude. (Il s'éloigna dans le couloir.) Si tu veux me rejoindre, tu es la bienvenue ! lança-t-il par-dessus son épaule.

Mary s'éclipsa dans la cuisine, avec un sourire au coin des lèvres. Elizabeth en profita pour filer dans le bureau et composer le numéro de téléphone noté sur le message.

- Vous m'avez demandé de vous rappeler, dit-elle a l'appareil.

- Il faut que nous parlions, juge Knight. Tout de suite, si possible.

- ¿ quel sujet ?

- Ce que j'ai a vous dire vous causera un choc.

Vous ates bien assise ?

Sans savoir pourquoi, Elizabeth Knight eut l'impression que son interlocuteur prenait plaisir a dramatiser la situation.

- assez de mystères, dit-elle. Vous semblez aimer le suspense, mais je n'ai pas le temps de jouer les espions.

- Eh bien, en ce cas, accrochez-vous.

- Venez-en au fait, je vous prie.

- …coutez attentivement.

Ce qu'elle fit.

Vingt minutes plus tard, elle laissa tomber le télé-

phone, sortit précipitamment et faillit renverser Mary, qui traversait le couloir. Elle alla s'asperger d'eau dans son cabinet de toilette, s'agrippa au lavabo, se redonna une contenance, ouvrit la porte et se dirigea vers le palier d'un pas plus calme.

au passage, elle entendit Jordan fredonner sous la douche. Elle regarda sa montre, prit l'ascenseur et attendit dans le hall du rez-de-chaussée.

Le temps semblait s'éterniser. En fait, dix minutes a peine s'étaient écoulées depuis sa conversation téléphonique quand, enfin, un homme qu'elle ne reconnut pas mais qui, lui, la connaissait manifestement de vue entra et lui remit quelque chose. Elle inspecta rapidement l'objet ; lorsqu'elle releva les yeux, l'homme avait déja disparu. Elle rangea ce qu'il lui avait donné dans sa poche et remonta dans son appartement.

- Oa est Jordan ? demanda-t-elle a Mary.

- Je crois qu'il est dans sa chambre. Il s'habille.

Vous allez bien, madame ?

- Oui, oui, je... j'avais un peu mal au cúur, mais c'est passé. Je suis allée me dégourdir les jambes et prendre un peu l'air en bas, en faisant du lèche-vitrines.

Vous seriez gentille de nous préparer des cocktails et de les servir sur la terrasse.

- Il commence a pleuvoir.

- Il y a l'auvent. Et je me sens claustrophobe tout a coup. J'ai besoin d'air. Il a fait très chaud ces jours-ci, la pluie nous rafraachira. C'est ce qu'il me faut : de la fraacheur, dit-elle tristement. Préparez le cocktail préféré de Jordan, voulez-vous ?

- Martini-vodka avec une rondelle d'orange. Bien, madame.

- Et pour le daner, Mary... s'il vous plaat, faites en sorte qu'il soit vraiment réussi.

- Bien s˚r, madame.

Mary se rendit vers le bar, la mine perplexe.

Elizabeth serra ses mains l'une contre l'autre pour contenir la panique qui montait en elle. Il fallait qu'elle cesse d'y penser. Si elle voulait surmonter cette épreuve, elle devait se contenter de réagir, sans penser.

Par pitié, mon Dieu, aidez-moi, pria-t-elle.

Chapitre 56

John Fiske, maussade, regarda les nuages noirs par la vitre de la voiture. Sara et lui avaient fait la moitié du chemin jusqu'a Washington pratiquement sans dire un mot.

La pluie commençait a tomber. Sara mit les essuie-glaces.

- John, dit-elle en fronçant les sourcils, nous avons beaucoup d'informations nouvelles a récapituler. On pourrait mettre a profit l'heure qui vient pour essayer d'y voir plus clair.

- En effet. Tu as un stylo et du papier quelque part ?

- Tu n'as pas ça dans ta serviette ?

Il déboucla sa ceinture de sécurité, attrapa sa serviette sur la banquette arrière et l'ouvrit. Il glissa la main sous la pile de courrier et buta contre un paquet épais.

- Mince ! dit-il.

- quoi ?

- Je crois que c'est le livret militaire de Harms.

John le décacheta et se mit a lire. Dix minutes plus tard, il expliqua :

- C'est en deux parties. Ses états de service, des fragments du compte rendu de la cour martiale et la nomenclature du personnel présent a Fort Plessy quand Harms y était en garnison.

Il sortit une section marquée DOSSIER M…DICaL. Il l'examina et tomba en arrat.

- Devine un peu pourquoi Rufus Harms était indiscipliné, refusait d'obéir et s'attirait toujours des ennuis.

- Il était dyslexique, répondit Sara du tac au tac.

- «a alors, comment tu le sais ?

- Deux ou trois choses. J'ai a peine vu son écriture, mais les lettres étaient mal formées et il y avait des fautes incroyables. C'est un signe de dyslexie. Ce n'est pas concluant, bien s˚r, mais tu te souviens de ce que m'a dit George Barker au sujet des talents de réparateur de Rufus ? Il m'a dit que Rufus n'avait pas voulu lire le manuel de la rotative, que les mots n'étaient pas " son truc ". Eh bien, ça m'a rappelé une copine d'école, qui utilisait toujours la mame expression. Elle était dyslexique, justement, les mots écrits étaient un vrai casse-tate pour elle. C'est comme si tu étais dans une bulle et que tu n'arrives pas a communiquer avec le monde extérieur - quoique, d'après ce qu'on a vu l'autre nuit, Rufus semble avoir bien surmonté son handicap.

- S'il a pu survivre en prison pendant toutes ces années au milieu de types qui essayaient de le tuer, c'est qu'il a une volonté de fer. (John reprit sa lecture.) apparemment, sa dyslexie a été diagnostiquée après le meurtre. Probablement pendant l'instruction. C'est peut-atre Rider qui s'en est aperçu. Pour préparer une défense, on a besoin de la coopération du client.

- La dyslexie n'est pas une défense dans un procès pour meurtre.

- Non, mais il avait un autre argument.

- Lequel ? demanda Sara, tout excitée. Lequel ?

- D'abord, une question : Léo Dellasandro... est-ce qu'il a une liaison avec sa secrétaire ?

- Pourquoi tu me demandes ça ?

- Il avait du fond de teint sur le col de sa veste.

- «a venait peut-atre de sa femme, suggéra Sara.

- Peut-atre, mais je ne pense pas.

- «a m'étonnerait qu'il ait une liaison, sa secrétaire vient de se marier.

- Je m'en doutais.

- alors pourquoi le demander ?

- Pour ne rien négliger. Et je ne pense pas non plus que ça vienne de sa femme. Je crois plutôt que c'est lui-mame qui met du fond de teint.

- allons donc, un chef de police qui se farde ! Tu plaisantes?

- Pour maquiller les blessures que je lui ai faites dans l'appartement de mon frère...

- Hein ?

- Je n'ai pas revu Dellasandro depuis ce soir-la. Il n'assistait pas a la réunion après le meurtre de Wright.

J'étais souvent avec Chandler, et Dellasandro n'est jamais venu demander des nouvelles de l'enquate. Du moins jamais en ma présence. Je crois qu'il m'évitait. Il avait peut-atre peur que je le reconnaisse.

- attends. qu'est-ce que Dellasandro serait allé

faire dans l'appartement de ton frère ?

En réponse, John brandit une liasse de feuillets.

- La liste du personnel en garnison a Fort Plessy.

C'est classé par ordre alphabétique. (Il commença par la fin.) Sergent Victor Tremaine. (Il tourna la page.) Capitaine Frank Rayfield. (Il tourna encore une page.) Deuxième classe Rufus Harms...

Il remonta vers le début de la liste, entoura un nom au stylo et dit, triomphant :

- Caporal Léo Dellasandro.

- quoi ? alors ce seraient Rayfield, Tremaine et Dellasandro qui seraient venus trouver Rufus dans son cachot cette nuit-la ?

- Je crois.

- Comment as-tu su que Dellasandro était dans l'armée ?

- J'ai vu une photo de lui dans son bureau. Beaucoup plus jeune, en uniforme. Un uniforme militaire. Je crois qu'ils sont allés tous les trois donner une leçon a Rufus Harms. Je pense qu'on va découvrir qu'ils ont tous trois combattu au Vietnam, et pas Rufus. Il était indiscipliné, n'obéissait jamais aux ordres.

- Mais qu'est-ce qu'ils lui ont fait ?

- Je crois que...

Le téléphone portable sonna. Sara décrocha. Elle écouta et p‚lit.

- Oui, dit-elle, j'accepte la communication. allô ?

quoi ? D'accord, calmez-vous. Il est a côté de moi.

(Elle passa l'appareil a John.) Rufus Harms. Et il n'a pas l'air bien.

Il prit le téléphone.

- Rufus, oa ates-vous ?

Rufus se trouvait dans la Jeep, garée a côté d'un téléphone public. Il avait une main sur le combiné, l'autre sur Josh, qui oscillait entre conscience et inconscience mais tenait toujours son revolver contre son flanc.

- Richmond, répondit-il. ¿ deux minutes de l'adresse que vous m'avez donnée. Josh a salement morflé. J'ai besoin d'un toubib, et en vitesse.

- D'accord, dites-moi ce qui s'est passé.

- Rayfield et Tremaine nous ont serrés.

- Oa sont-ils maintenant ?

- Morts. Et mon frangin va pas tarder a les rejoindre. Vous avez dit que vous m'aiderez. Eh ben, c'est maintenant.

John lorgna dans le rétroviseur. Une berline noire les suivait toujours. Il réfléchit vite.

- OK, je vous retrouve a mon cabinet dans deux heures.

- Josh tiendra pas deux heures. Il a pris du plomb.

- On va s'occuper de lui tout de suite, Rufus. Ce n'est pas Josh que je veux voir, c'est vous.

- qu'est-ce que vous racontez ?

- Je vais appeler un copain a moi, qui est flic. Il enverra une ambulance. Ils le prendront en charge. Il y a un CHU a quelques minutes de mon cabinet.

- Pas la police !

John s'impatienta.

- Vous voulez que Josh meure ? (Silence au bout du fil.) Décrivez-moi la voiture et dites-moi exactement oa vous ates. (Rufus répondit point par point.) Mon ami sera la dans un instant. Laissez Josh dans la voiture. Dès que vous aurez raccroché, allez dans l'immeuble de mon cabinet. C'est ouvert. Il y a un escalier sur votre gauche. Descendez par la. En bas, a droite, vous verrez une porte marquée " Fournitures ". Elle n'est pas fermée. Cachez-vous la-dedans et attendez. Je fais aussi vite que je peux. avant, prenez le portefeuille de votre frère, je ne veux pas qu'il ait de papiers d'identité sur lui. S'ils savent que c'est Josh, ils vont vous chercher dans les parages, y compris dans mon cabinet. Or, si la police quadrille le secteur, mon plan est foutu.

- Et si quelqu'un me voit ? Si quelqu'un me reconnaat ?

- On n'a pas le choix, Rufus.

- Je vous fais confiance. aidez mon frère. S'il vous plaat, ne le laissez pas tomber.

- Rufus, je vous fais confiance aussi. Ne me laissez pas tomber non plus.

quand Rufus raccrocha, il regarda Josh. Il glissa un revolver sous sa chemise et toucha son frère, qu'il croyait complètement évanoui. Il tapota du doigt sur son épaule. Josh ouvrit les yeux.

- Josh...

- J'ai entendu, répondit-il d'une voix faiblarde.

- Il veut que je prenne ton portefeuille, pour qu'ils sachent pas qui t'es.

- Dans ma poche arrière. (Rufus l'extirpa.) Maintenant, tire-toi.

Rufus hésita.

- Je peux rester avec toi. On attend ensemble.

- Pas la peine. (Josh cracha encore un peu de sang.) Les toubibs vont me recoudre. J'ai déja eu des blessures plus graves.

Josh tendit une main tremblante, toucha le visage de son frère et essuya l'humidité de ses yeux.

- Je reste avec toi, Josh.

- Si tu restes, on aura fait tout ça pour rien.

- Je peux pas te laisser tout seul. Pas comme ça. Pas après toutes ces années perdues.

Josh se redressa en grimaçant de douleur.

- Je serai pas tout seul. Donne-la-moi.

- Te donner quoi ?

- La Bible.

Sans détacher ses yeux de son frère, Rufus t‚tonna derrière le siège et lui passa le livre. En échange, Josh retira le revolver qu'il gardait braqué contre ses côtes.

Rufus l'interrogea du regard.

- Donnant donnant, dit Josh.

Rufus crut voir un petit sourire incurver les lèvres de son frère avant qu'il ne ferme les yeux. Josh respirait péniblement mais avec régularité et tenait le livre si fermement que la tranche se gondolait.

Rufus descendit de la Jeep, regarda une dernière fois derrière lui et laissa son frère.

John Fiske put enfin joindre Hawkins chez lui.

- Ne me demande ni pourquoi ni comment, Billy.

Je ne peux pas te dire qui c'est. Pour l'instant, c'est Monsieur X. Il n'a pas de papiers. Conduis la Jeep a l'hosto, c'est tout.

John raccrocha.

- John, comment faire pour parler a Rufus avec le FBI qui nous suit ? dit Sara.

- J'y vais seul. Tu ne viens pas.

- Eh, minute, je...

- Sara...

- Je veux connaatre le fin mot de l'histoire, protesta-t-elle.

- Crois-moi, tu le connaatras. Il faut que tu passes un coup de fil pour moi, a mon copain du tribunal militaire.

- ¿ quel sujet ? Et tu ne m'as toujours pas donné

ton hypothèse sur ce qui s'était passé dans ce cachot, il y a vingt-cinq ans.

Il posa une main sur son épaule.

- " …tats-Unis contre Stanley. " Un soldat innocent et le LSD, dit-il. (Elle ouvrit des yeux ronds.) Mais en pire, ajouta-t-il.

après un bref arrat chez Sara, ils se dirigèrent vers National airport et se garèrent dans le parking. La pluie s'intensifiait. John s'emmitoufla dans un imperméable, enfonça un chapeau sur sa tate et ouvrit un parapluie pour abriter Sara. Ils se rendirent d'abord au terminal général, puis devant le hall d'embarquement, oa ils montèrent dans une voiture aux vitres teintées.

quelques minutes plus tard, la voiture démarra.

Derrière eux, les deux agents du FBI suivaient toujours. L'un d'eux informait déja ses supérieurs de l'évolution de la situation. Puis il alla au comptoir des réservations pour savoir quelle était la destination du vol de John et Sara, pendant que son collègue filait la voiture, qu'il vit s'arrater devant le Falcon 2000.

Dans la voiture, John et le chauffeur, le copilote de Chuck Herman, changèrent de place. Le chauffeur enfila l'imper et le chapeau, afin de se faire passer pour Fiske. De loin, la méprise était totale. Leur plan était simple : Sara resterait dans l'avion une heure durant, pendant qu'elle essaierait de contacter Phil Jansen, l'ami de John qui travaillait au tribunal militaire.

Ensuite, elle repartirait. Ils savaient que le FBI l'interro-gerait sur la disparition de John, mais elle ne pourrait pas atre inquiétée, puisqu'elle n'aurait commis aucun délit et n'était mame pas censée savoir qu'on la suivait.

L'agent du FBI aperçut un homme mince, aux cheveux blancs, qui descendait la passerelle du Falcon pour accueillir Sara et un type en imperméable, qu'il prit pour Fiske. Le groupe monta dans l'avion. La voiture s'en alla, passa devant le fédéral, qui ne quittait pas l'avion des yeux, et s'engagea sur la bretelle de sortie de l'aéroport.

au volant, John poussa un profond soupir en tournant dans George Washington Parkway. Dix minutes plus tard, il roulait sur l'Interstate 95, en direction de Richmond. Il y avait beaucoup de circulation ; il lui fallut presque trois heures pour atteindre son immeuble.

Il avait pu joindre Billy Hawkins entre-temps. Josh Harms était en chirurgie a l'hôpital. Les médecins étaient pessimistes, lui avait dit Hawkins.

John se gara et, deux précautions valant mieux qu'une, entra par la porte de service. Il descendit au sous-sol. Pourvu que Rufus soit la, se dit-il. Il frappa a la porte.

- Rufus ? chuchota-t-il. C'est John Fiske.

Rufus entrouvrit avec méfiance.

- Sortons d'ici, dit John.

- Comment va mon frère ? demanda Rufus en lui saisissant le bras.

- Il est en chirurgie. Vous n'avez plus qu'a prier pour lui.

- Je fais que ça.

Ils sortirent par-derrière et gagnèrent rapidement la voiture de John.

- Oa on va ? dit Rufus.

- Vous voulez me parler de la lettre de l'armée ?

- qu'est-ce que vous voulez savoir ?

- C'était une convocation pour un suivi d'examen dans l'expérimentation de la phénocyclidine, n'est-ce pas?

- Phéno-quoi ?

- La PCP, vous savez bien.

- Comment vous ates au courant ?

- Il est arrivé la mame chose a un autre gars de l'armée, nommé Stanley, qui avait participé a un programme expérimental. Ils ont testé le LSD sur lui.

- J'ai jamais été dans leur programme PCP a la con, ils peuvent dire ce qu'ils veulent.

Il sortit la lettre et la tendit a John, qui mit un moment a la lire.

- Racontez-moi tout, Rufus.

Harms essaya de s'asseoir plus confortablement. Il était si grand que ses genoux touchaient le tableau de bord ; sa tate frôlait le plafond.

- Ils sont venus pour me rentrer dans le lard.

Tremaine et Rayfield.

- Et Dellasandro ? Le caporal Léo Dellasandro ?

- Ouais, lui aussi. Ils ont jamais pu digérer que je sois resté peinard au pays, mame si c'était au trou.

- Ils ne savaient pas que vous étiez dyslexique ?

- Vous avez l'air drôlement informé !

- Continuez.

- C'était pas la première fois qu'ils me cherchaient, ces mecs. J'avais déja dégusté, avec eux. Un soir, Tremaine s'est fait coffrer pour une cuite, il s'est retrouvé au gnoufavec moi. Il s'est pas gané pour me dire ce qu'il pensait des types comme moi. Je crois qu'ils ont préparé leur coup ensemble. Ils se sont pointés, une nuit. Léo avait un flingue. Ils m'ont foutu par terre. Y en a un qui m'a mis les mains sur les yeux, puis ils m'ont fait une piq˚re. quand j'ai pu ouvrir les yeux, j'ai vu l'aiguille qui sortait de mon bras. Ils se marraient, ils attendaient que je crève. C'était leur idée, j'entendais ce qu'ils disaient. Ils voulaient que je crève d'overdose, qu'ils disaient.

- Comment avez-vous fait pour vous évader s'ils vous avaient drogué ?

- J'ai eu l'impression de gonfler de partout, comme si mon corps avait doublé. Je me rappelle, quand je me suis levé, c'était comme si la pièce était trop petite pour moi. Je les ai dégommés comme des marionnettes, je sentais plus ma force. Ils avaient laissé la porte ouverte.

Le garde de service a rappliqué aussi sec pour voir ce qui se passait. Je l'ai balancé contre le mur et je me suis taillé en courant.

Il respirait par saccades, serrait et desserrait ses grosses mains en revivant ces instants.

- Et vous ates tombé sur Ruth ann Mosley ?

- Elle était venue voir son frère, dit Rufus en tapant du poing sur le tableau de bord. Si seulement le bon Dieu m'avait fait mourir avant que je rencontre cette petite fille ! Pourquoi il fallait que ce soit une enfant ?

Pourquoi ?

Des larmes ruisselèrent sur ses joues.

- Ce n'était pas votre faute, Rufus. La PCP peut vous faire faire n'importe quoi. Ce n'était pas votre faute.

En réponse, Rufus leva les mains et gémit.

- C'est ces mains-la qui l'ont fait. C'est peut-atre a cause de ce qu'ils m'ont enfilé dans le corps, n'empache que c'est moi qui ai tué cette jolie petite fille. On peut rien changer a ça, hein, dites ? Hein, dites ?

Rufus braqua un regard affolé sur John, puis ferma les yeux et s'affaissa, anéanti.

John s'efforça de garder son calme.

- Et vous ne vous ates souvenu de rien jusqu'a cette lettre ?

Rufus sortit peu a peu de son abattement.

- De rien. quand je repensais a cette nuit, je me voyais assis en train de lire la bible de ma mère et, tout de suite après, a côté de cette petite fille morte. C'est tout.

Il essuya ses larmes d'un revers de manche.

- La PCP agit aussi sur la mémoire. Elle peut tout effacer. Pour refouler le choc, probablement.

- Des fois, je me demande si cette saloperie est pas restée dans mes veines.

- Mais vous avez plaidé coupable quand mame ?

- Y avait des tas de témoins. Samuel Rider a dit que, si j'acceptais pas l'arrangement, je serais condamné et exécuté. Est-ce que j'avais le choix ?

John médita un instant, puis répondit calmement :

- Je crois que j'aurais fait la mame chose.

- Mais, quand j'ai eu leur lettre, c'est comme si une lumière s'était allumée dans ma tate. «a s'est éclairé

d'un seul coup et tout m'est revenu. Dans les moindres détails.

- alors, vous avez écrit cette lettre pour la Cour et demandé a Rider de l'envoyer pour vous ?

Rufus acquiesça.

- Et puis, votre frère est venu me voir. Il m'a dit qu'il croyait a la justice, qu'il voulait m'aider si je disais la vérité. C'était un type bien.

- Oui, dit John d'une voix rauque.

- Seulement, il avait apporté la lettre avec lui.

Rayfield et Vic pouvaient pas le laisser partir. Pas question. Je suis devenu fou quand je l'ai su. Ils m'ont emmené a l'infirmerie, ils ont essayé de me tuer. Puis je suis allé a l'hôpital et Josh m'a sorti de la.

- Vous avez dit que Tremaine et Rayfield étaient morts.

Rufus confirma. Il inspira profondément, regarda la pluie tomber sur l'horizon obscurci de Richmond et se tourna vers John.

- Maintenant, vous en savez autant que moi. alors, qu'est-ce qu'on fait ?

- Bonne question, fut tout ce que John trouva a répondre.

Chapitre 57

- C'est la première fois qu'on me paie pour ne pas voler, dit Chuck Herman, tout sourires, en passant a côté

de Sara dans l'avion.

- Nous sommes a Washington, Chuck, répondit-elle. On paie bien les fermiers pour ne pas cultiver leurs champs !

Elle décrocha le téléphone pour la dixième fois et composa le numéro du domicile de Phil Jansen. ¿ son bureau, on lui avait dit que Jansen s'était absenté pour la journée. Heureusement que John avait pensé a lui donner aussi son numéro personnel. Soulagement : Jansen répondit enfin. Elle se présenta rapidement et expliqua quels étaient ses liens avec John Fiske.

- Je n'ai pas beaucoup de temps, monsieur Jansen, alors j'irai droit au but. Dans le passé, l'armée a-t-elle testé la PCP ?

Jansen parut méfiant.

- Pourquoi me demandez-vous cela au juste, made-

moiselle Evans ?

- John pense que Rufus Harms a été drogué a son insu pendant qu'il était aux arrats a Fort Plessy, il y a vingt-cinq ans. Il pense que la PCP lui a fait perdre la raison et tuer une petite fille. Il est en prison depuis la date du crime.

Sara lui rapporta tout ce que John et elle avaient déduit, ainsi que ce qu'ils avaient appris de la bouche de Rufus au cabinet de Rider.

- Rufus Harms a reçu dernièrement une lettre de l'armée lui demandant de se prater a un examen complémentaire pour déterminer les effets a long terme de la PCP, continua-t-elle. C'est ce qui s'est passé avec le sergent James Stanley, n'est-ce pas ? L'armée lui a envoyé une lettre. Sans quoi il n'aurait jamais su qu'on lui avait fait prendre du LSD. Eh bien, nous croyons que certains militaires ont administré de force de la PCP a Rufus Harms, mais pas dans le cadre d'un programme expérimental. Ils ont voulu se servir de la drogue pour le tuer. Seulement, il s'est évadé et a commis un meurtre.

- attendez, fit Jansen. Si Harms ne participait pas a ce programme, pourquoi l'armée lui aurait-elle envoyé

une lettre en ce sens ?

- Nous pensons que ceux qui ont donné la PCP a Harms l'ont inscrit dans le programme a son insu.

- Et pourquoi auraient-ils fait ça ?

- S'il avait succombé a la dose et qu'il y ait eu une autopsie, on aurait probablement retrouvé des traces de la drogue dans son sang, non ?

- Oui, en effet. Donc, ils l'auraient inscrit pour maquiller le meurtre. Le médecin légiste aurait attribué

la mort a un effet secondaire imprévu de la drogue.

C'est incroyable !

- Comme vous dites. Donc, ce programme a existé ?

- Oui, reconnut Jansen. C'est de notoriété

publique, aujourd'hui. Le secret défense a été levé.

C'était une expérimentation menée conjointement par l'armée et la CIa. Elles voulaient voir si la PCP permettait de " fabriquer " des supersoldats. Si Harms était inscrit dans le programme, il a d˚ effectivement recevoir récemment une convocation pour un

contre-examen. (Il hésita.) qu'est-ce que vous et John allez faire maintenant ?

- Si seulement je le savais !

Sara remercia Jansen et raccrocha.

Elle attendit encore quelque temps, puis descendit de l'avion et traversa le tarmac en direction du terminal.

Elle fut immédiatement interceptée par les deux agents du FBI.

- Oa est Fiske ?

- John Fiske ? dit-elle innocemment.

- allons, mademoiselle Evans !

- Il est parti tout a l'heure.

Les fédéraux tombèrent des nues.

- Parti ? Comment ?

- En voiture, je crois. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser...

Elle sourit en voyant les deux hommes courir vers l'avion. Ils n'avaient aucune charge contre elle et ne pouvaient la retenir. Elle en profita pour sauter dans la navette et récupérer sa voiture au garage. au sortir de l'aéroport, elle mit le cap au sud.

Pendant un arrat dans une station-service, une idée lui traversa l'esprit. Sans couper le moteur, elle ouvrit la serviette de John et sortit les documents qu'il avait reçus de Saint Louis. Elle pensait que John les avait peut-atre examinés un peu vite et espérait trouver une copie de la lettre de l'armée a Rufus Harms dans le rapport officiel

- mame si son livret militaire était clos depuis le jugement de la cour martiale. «a valait la peine d'y jeter un úil.

au bout d'une demi-heure, elle renonça. Rien. Elle commença a ranger les documents et, ce faisant, feuilleta négligemment la liste du personnel de Fort Plessy.

Victor Tremaine... Frank Rayfield... quand elle vit le nom de Rufus Harms, son cúur se serra. Tant d'années perdues !

Elle continua de tourner les pages... et se figea.

Le nom qu'elle avait sous les yeux la pétrifiait. Elle secoua la tate pour se ressaisir, si fort qu'elle se cogna contre la vitre. Le choc la réveilla tout a fait. Elle jeta le dossier sur le plancher et démarra sur les chapeaux de roue, faisant crisser ses pneus sur le macadam mouillé.

Sur le tapis de sol oa avait atterri la liste du personnel, le nom de Warren McKenna semblait la défier. Elle fonça sans se retourner, et sans remarquer la voiture qui la suivait depuis l'aéroport.

Chapitre 58

Harold Ramsey se renversa en arrière dans son fauteuil. Il avait le visage grave.

- Je n'aurais jamais imaginé qu'une chose pareille puisse arriver ici.

McKenna et Chandler étaient assis dans son bureau.

McKenna regardait fixement le président. Leurs yeux se croisèrent, puis le fédéral baissa les paupières et se tourna vers Chandler.

- C'est-a-dire que... nous n'avons pas la preuve formelle que Michael Fiske ait réellement volé un recours en appel, s'il s'agissait bien de ça, dit Chandler.

Ramsey secoua la tate.

- Peut-on encore en douter après notre entretien avec Sara Evans ?

Entretien ? pensa Chandler. Inquisition, plutôt.

- Ce n'est encore qu'une spéculation. Et, selon moi, il est trop tôt pour divulguer l'information.

- Je suis d'accord, approuva McKenna. «a pourrait compliquer l'enquate.

- Je croyais que vous étiez persuadés que John Fiske était derrière tout ça, dit Ramsey. Si vous changez d'avis maintenant, il me semble que nous ne sommes guère plus avancés qu'avant-hier.

- Les meurtres ne s'élucident pas tout seuls, objecta McKenna. Celui-ci est un peu plus complexe que la moyenne, et je n'ai jamais dit que j'avais changé d'avis.

Le pistolet de Fiske a disparu de son cabinet. «a ne me surprend pas. Vous verrez, les pièces du puzzle vont se mettre en place.

Ramsey ne parut pas convaincu.

- Pourquoi se précipiter ? dit Chandler. D'ailleurs, si les choses tournent comme nous l'espérons, il ne sera peut-atre jamais nécessaire d'informer le public.

- Je ne vois pas comment ce serait possible, dit Ramsey. Mais enfin, au point oa nous en sommes, la situation ne peut pas atre pire et je ne risque rien a suivre votre conseil. Pour le moment. qu'en est-il de Fiske et d'Evans ? Oa sont-ils ?

- Nous les faisons surveiller, répondit McKenna.

- Donc, vous savez oa ils sont actuellement ?

McKenna garda un visage de pierre. Il ne voulait pas avouer que les deux fugitifs avaient échappé a la vigi-lance du FBI. On venait juste de lui annoncer la nouvelle.

- Oui, répondit-il.

- Oa sont-ils ? demanda Ramsey.

- J'ai peur de ne pas pouvoir vous communiquer cette information, monsieur le président. Je ne demande qu'a vous atre agréable, mais je suis obligé de garder le secret sur ce point pour l'instant.

Ramsey ne cacha pas son agacement.

- agent McKenna, protesta-t-il, vous avez promis de tenir la Cour informée des progrès de cette enquate.

- En effet. C'est pourquoi je suis ici maintenant.

- La Cour possède sa propre force de police. Dellasandro et Ron Klaus travaillent en ce moment mame a résoudre cette affaire. Nous menons nos propres investigations et j'exige la transparence au nom de l'intérat général. alors je vous prie de répondre a ma question.

Oa sont-ils ?

- Je comprends votre position, mais je vous répète que je ne peux pas divulguer cette information. Le FBI a ses méthodes.

Ramsey haussa les sourcils.

- En ce cas, je vais m'adresser a quelqu'un du FBI.

Je n'aime pas passer par-dessus la tate des gens, agent McKenna, mais la situation est très particulière.

- Je tiens les noms et les numéros de mes supérieurs a votre disposition, a commencer par celui du directeur en personne. Vous pouvez les appeler, monsieur le président.

- C'est tout ce que vous avez a me dire ? En somme, vous n'avez aucun élément important a m'apprendre ?

McKenna se leva.

- Nous faisons tout notre possible pour démaler le fond de cette affaire. Et j'ai la conviction que, avec un peu de chance, nous y parviendrons.

Ramsey se leva aussi, impérieux.

- Un conseil, agent McKenna. Ne laissez rien au hasard. quand on compte sur la chance, on le regrette généralement toute sa vie.

Sara tourna la clé dans la serrure de sa maison et entra en h‚te. Dans sa voiture, elle avait essayé de téléphoner a John. Il n'était ni a son cabinet ni a son domicile. Elle avait aussi appelé Ed Fiske. En vain : il n'avait aucune nouvelle de son fils. Elle lança son sac a main sur la table de la cuisine et monta se changer. Elle retira ses vatements mouillés pour enfiler un jean et un T-shirt.

Proche de la panique, elle ne savait plus que faire. Si Dellasandro était dans le coup, leurs affaires étaient mal engagées. Il était renseigné sur toutes les évolutions de l'enquate. Mais si McKenna y était malé aussi, c'était la catastrophe. C'était pratiquement lui qui la dirigeait, cette enquate. Et on voyait le résultat : sa démission forcée de la Cour, l'implication de John et toutes ces manigances pour le faire accuser du meurtre de son frère. Un tissu de mensonges tellement bien ficelé que ça tenait la route.

Elle essaya le bureau de Chandler. Elle voulait savoir avec certitude si l'agent McKenna avait bien été en garnison a Fort Plessy ou s'il s'agissait d'une simple homonymie. Elle n'y croyait pas - deux McKenna, ça faisait trop de coÔncidences - mais elle ne voulait rien négliger. Hélas, Chandler n'était pas la. qui pouvait lui donner cette information ? Jansen ? Possible, mais ça lui prendrait du temps. alors qui ?

Il y avait bien quelqu'un... Elle composa le numéro.

après trois sonneries, une femme répondit. C'était la gouvernante.

- Il est la ? C'est Sara Evans.

Une minute plus tard, Jordan Knight prit la communication.

- Sara?

- Je sais que l'heure est mal choisie, monsieur le sénateur.

- J'ai appris ce qui s'était passé aujourd'hui,dit-il avec froideur.

- J'imagine ce que vous devez penser et je suis s˚re que je ne pourrai pas vous faire changer d'avis.

- Je le crois, en effet. Cela dit, si ça peut vous rassurer, sachez que Beth est très mal a l'aise. Elle était l'une de vos plus ferventes alliées.

- J'en suis très touchée.

Elle prit son courage a deux mains. Chaque seconde comptait, maintenant.

- J'ai besoin d'un service...

- Tiens donc, fit Jordan, perplexe.

- Une information sur quelqu'un...

- Sara, vous me ganez beaucoup.

- Sénateur, je vous jure que je ne vous demanderai plus rien, mais j'ai vraiment besoin de cette information et, avec toutes vos relations, vous ates la seule personne a qui je puisse m'adresser. S'il vous plaat. En souvenir d'autrefois.

Jordan hésita un instant.

- Je ne suis pas a mon bureau. Pour ne rien vous cacher, je danais en amoureux avec Beth.

- Mais vous pouvez appeler votre bureau, ou mame le FBI.

- Le FBI ?

- Un simple coup de fil, c'est tout ce que je vous demande. Je ne bouge pas de chez moi. Vous n'aurez mame pas besoin de me rappeler vous-mame, vous n'aurez qu'a donner mon numéro a la personne qui pourra me renseigner. Vous n'entendrez plus jamais parler de moi ensuite.

Jordan finit par céder.

- Bon, que voulez-vous savoir ?

- C'est au sujet de l'agent McKenna.

- Eh bien?

- Je veux savoir s'il a été dans l'armée. Plus précisément a Fort Plessy dans les années 1970.

- qu'est-ce que ça signifie ?

- Sénateur, ce serait trop long a expliquer.

Il soupira.

- C'est bon. Je vais voir ce que je peux faire. Je vais demander a quelqu'un de mon bureau de se renseigner et de vous rappeler. Vous serez chez vous ?

- Oui.

- Sara, j'espère que vous savez ce que vous faites.

- Oui, sénateur, mame si vous en doutez.

- Puisque vous le dites, répondit-il sans conviction.

quand il regagna la salle a manger, environ un quart d'heure plus tard, Elizabeth était intriguée.

- Sara ? qu'est-ce qu'elle te voulait ?

- Très bizarre. Ce type du FBI, tu vois qui, celui que tu trouvais louche.

Elle tiqua.

- Warren McKenna ?

- Elle voulait savoir s'il avait été dans l'armée.

Elizabeth Knight laissa tomber sa fourchette.

- Et... pourquoi voulait-elle savoir ça ?

- Je l'ignore. Elle ne me l'a pas dit.

Jordan la regarda, intrigué. Il la voyait soudain très tendue.

- qu'est-ce que tu as, tout a coup ? dit-il. Tu vas bien ?

- Oui, ce n'est rien. Je... j'ai eu une journée difficile, c'est tout.

- Je sais, ma chérie, je sais, dit-il d'un ton apaisant.

(Il regarda son assiette froide.) J'ai l'impression que notre souper fin vient de passer par la fenatre.

- qu'est-ce que tu lui as dit ?

- Hein ? Oh, je lui ai dit que je vérifierais. Et que je demanderais a quelqu'un de la rappeler. C'est ce que je viens de faire. J'ai téléphoné a mon bureau. Je pense qu'ils vont trouver ça sur l'ordinateur.

- Oa est Sara?

- Chez elle. Elle attend la réponse.

Elizabeth changea de couleur. Elle se leva.

- Beth, qu'est-ce que tu as ?

- Mal a la tate. J'ai besoin d'une aspirine.

- Je vais t'en chercher.

- Non, laisse. Finis ton daner. Ensuite, nous pourrons peut-atre enfin nous détendre.

Un Jordan Knight très soucieux regarda sa femme disparaatre dans le couloir. Elizabeth avala en effet deux aspirines, car elle avait réellement mal a la tate. Puis elle s'éclipsa dans sa chambre et décrocha le téléphone.

- allô ? répondit la voix.

- Sara Evans vient d'appeler. Elle a posé une question a Jordan.

- quelle question ?

- Elle voulait savoir si vous aviez été dans l'armée.

Warren McKenna desserra sa cravate et but une gorgée d'eau dans le verre qui était sur son bureau. Il venait de rentrer de sa réunion avec Ramsey.

- Et qu'est-ce qu'il lui a répondu ?

- qu'il vérifierait et lui ferait parvenir la réponse.

Elizabeth avait du mal a réprimer ses larmes.

- Oa est-elle ?

- Elle a dit a Jordan qu'elle était chez elle.

- EtJohnFiske?

- Je ne sais pas. Elle n'a pas d˚ le lui dire.

McKenna prit son veston.

- Merci, juge Knight. Ce renseignement sera peut-atre plus efficace qu'un de vos verdicts.

Elizabeth reposa lentement le combiné sur sa fourche, puis décrocha de nouveau. Elle ne pouvait pas en rester la. Elle appela les renseignements et obtint le numéro qu'elle cherchait.

- Je voudrais parler a l'inspecteur Chandler, s'il vous plaat. Dites-lui que c'est de la part d'Elizabeth Knight et que c'est urgent.

Chandler prit la communication.

- que puis-je pour vous, madame le juge ?

- Inspecteur, ne me demandez pas comment je le sais, mais il faut que vous alliez chez Sara Evans. Je pense qu'elle court un grand danger. Faites vite, je vous en conjure.

Chandler ne se perdit pas en vaines questions. Il sortit en trombe de son bureau, sans mame prendre le temps de raccrocher.

Elizabeth reposa le combiné pour la deuxième fois, toujours aussi lentement. Elle avait cru que rien ne pourrait atre plus épuisant pour elle que son travail a la Cour, mais la... la, elle touchait le fond. quelle que soit la manière dont tournent les choses, elle sentait déja que sa vie serai brisée. Pour elle, il n'existait plus d'issue.

Ironie du sort, songeait-elle : elle avait consacré sa vie a la justice, et c'était la justice qui allait la détruire.

Une silhouette vatue de noir, un passe-montagne sur la figure. L'homme avait filé Sara jusqu'a Richmond, puis jusqu'a Washington avec John Fiske, derrière les agents du FBI. Il était très content qu'elle ait l‚ché les fédéraux ; ça lui simplifierait grandement le boulot. En se baissant, il se faufila jusqu'a la voiture et ouvrit la portière conducteur. Le plafonnier s'alluma automatiquement. Vite, il tourna le variateur pour l'éteindre. Il épia les fenatres de la maison et vit passer Sara derrière une vitre. Il sortit une lampe de poche et promena le faisceau a l'intérieur de la voiture. Il aperçut les papiers sur le plancher, remarqua le nom encerclé, rassembla les documents et les fourra dans son sac. Puis il tira un pistolet de son holster et y adapta un silencieux. Il ne voyait plus Sara, mais il savait qu'elle était la. Seule. Il éteignit sa lampe de poche et se dirigea vers la maison.

Sara faisait les cent pas dans la cuisine. Elle regardait constamment sa montre en attendant l'appel du bureau de Jordan Knight. ¿ bout de nerfs, elle sortit sur la terrasse et regarda un avion trouer un écheveau de nuages noirs. Puis elle contempla son voilier, qui ballottait doucement le long du ponton garni de pneus pour absorber les chocs de la coque en fibre de verre contre le bois. Elle sourit en songeant a la nuit précédente mais son sourire s'effaça vite au souvenir de sa discussion avec John au sortir de l'hospice. Elle appuya ses pieds nus sur le plancher moite et huma les senteurs repo-santes de son environnement rustique.

Elle rentra, monta et s'arrata sur le seuil de sa chambre. Le lit était encore défait. Elle s'assit sur le matelas et tira un coin du drap, qui lui rappela leur nuit d'amour... et ce geste de John pour rabattre son T-shirt.

La cicatrice allait du nombril au cou, lui avait dit Ed.

Comme si cela pouvait avoir une importance pour elle !

Pourtant, John semblait penser que oui.

Un autre avion passa dans le ciel, puis ce fut a nouveau le silence... Un silence si complet qu'elle entendit distinctement la porte de la maison s'ouvrir.

Elle se leva d'un bond et courut sur le palier.

- John ?

Pas de réponse. quand la lumière d'en bas s'éteignit, un frisson de peur lui parcourut le dos. Elle s'enferma dans sa chambre et mit le verrou. Le sang battait dans ses tempes. Haletante, elle chercha désespérément une arme. Elle ne pouvait pas fuir. Impossible de sauter par la fenatre a guillotine : l'ouverture était trop étroite et, mame si elle parvenait a s'y glisser, il n'y avait en bas qu'un sol en ciment pour recevoir sa chute. Une fracture des deux jambes n'était pas la solution.

Son angoisse se transforma en panique quand elle entendit les pas se rapprocher. Elle se maudit de ne pas avoir de téléphone dans sa chambre. Elle retint son souffle en voyant la poignée de la porte tourner lentement, puis se bloquer. Le loquet tenait encore, mais pour combien de temps ? Il était vieux. La porte aussi.

Un grand coup fit vibrer le battant. Elle recula en laissant échapper un petit cri. Une arme, vite, une arme, quelque chose, n'importe quoi... Son lit était a baldaquin. Il n'y avait pas de baldaquin proprement dit, elle n'avait jamais pris la peine d'installer du tissu, mais le lit avait quatre colonnes terminées par un ornement en forme de pomme de pin. Elle en dévissa un. Il était en bois massif et pesait une bonne livre.

Elle s'approcha de la porte et arma son bras. Un second coup contre le battant tordit le loquet. Le cham-branle se fissura près des gonds. Elle tendit la main et retira silencieusement le verrou. N'offrant plus de résistance, la porte céda au coup suivant, l'homme fut emporté par son élan et s'affala sur le tapis. Elle frappa dans le mouvement. La pomme de pin mordit dans la chair.

Pendant que l'intrus gémissait en se frottant l'épaule, elle fila dans le couloir.

Elle savait que Rayfield et Tremaine étaient morts.

L'homme qu'elle venait de frapper était donc soit Dellasandro, soit - et cette pensée la glaça - Warren McKenna. Elle dévala l'escalier quatre a quatre, attrapa au passage sa clé de contact sur la table, ouvrit la porte a la volée pour foncer vers sa voiture et poussa un cri de terreur.

Un deuxième homme se tenait devant elle, immobile, l'úil fixe. Comme elle reculait, Léo Dellasandro pointa un revolver sur elle. Derrière Sara, l'homme en noir descendait l'escalier, revolver au poing lui aussi. Dellasandro referma la porte. Elle regarda l'autre type, qui ne pouvait atre que McKenna. Et pourtant non : il était loin d'avoir la carrure de l'agent du FBI.

Le passe-montagne tomba et Richard Perkins la toisa, en souriant de sa stupéfaction. Il retira quelques papiers de son sac.

- Vous avez d˚ survoler un peu vite la liste du personnel de Fort Plessy, dit-il. Mon nom semble vous avoir échappé, Sara. C'est trop bate.

Elle le foudroya du regard.

- L'huissier de la Cour suprame et le chef de sa police complices d'un crime odieux.

- C'est Harms qui a tué cette petite fille, pas moi, dit Dellasandro.

- Vous croyez ça, Léo ? Vous l'avez tuée aussi s˚rement que si vous aviez eu les mains autour de son cou. Vous, et non Rufus.

- Ce salopard, fit Dellasandro avec une affreuse expression du visage. Si on m'avait écouté, c'est du plomb qu'on lui aurait injecté, et pas leur drogue a la gomme. Il faisait honte a l'uniforme.

- Il était dyslexique. Il n'exécutait pas les ordres parce qu'il ne les comprenait pas, imbécile ! Vous avez détruit sa vie et celle de cette petite fille pour rien.

Dellasandro ricana batement.

- Je ne vois pas la chose comme ça, dit-il. Pas du tout. Il a eu ce qu'il méritait.

- Comment va votre bosse, Léo ? John vous a bien amoché, hein ? Il sait tout, évidemment.

- Nous lui rendrons une petite visite aussi.

- " Nous " ? Vous voulez dire avec Vie Tremaine et Frank Rayfield ?

- Tout juste, ma poule.

- Vos copains sont morts. (Le sourire de Della-

sandro se figea.) Ils ont essayé de liquider Rufus et son frère mais, comme la dernière fois, ils n'ont pas réussi a finir le travail, dit-elle, provocante.

- Bah, j'espère avoir l'occasion de le finir pour eux.

Sara le regarda de haut en bas et secoua la tate avec dégo˚t.

- Dites-moi une chose, Léo. Comment une vermine de votre espèce a-t-elle pu devenir chef de police ?

Il la gifla violemment et l'aurait frappée encore si Perkins ne s'était interposé.

- On n'a pas le temps, Léo.

Il agrippa Sara par l'épaule et ce fut a ce moment-la que le téléphone sonna.

Perkins regarda Dellasandro.

- Fiske ? (Il se tourna vers Sara.) Fiske est avec Harms, hein ? C'est pour ça que vous vous ates séparés ?

Elle ne répondit pas. Le téléphone sonnait toujours.

Perkins lui colla son revolver sous le menton, le doigt sur la détente.

- Je te pose la question pour la dernière fois. Est-ce que Fiske est avec Rufus Harms ? Dans deux secondes, ta petite tate va exploser, je le jure devant Dieu.

Réponds !

- Oui, oui, il est avec lui, dit-elle d'une voix étranglée par le canon contre sa trachée-artère.

Il l'entraana vers le téléphone.

- Décroche. Si c'est Fiske, donne-lui rendez-vous quelque part. Près d'ici, dans un endroit s˚r. Raconte-lui que tu as découvert quelque chose. Mais gaffe : si tu dis quoi que ce soit pour l'avertir, tu es morte. Obéis ou crève.

Sara voyait maintenant que le Perkins aux manières mielleuses qu'elle avait connu était en fait le plus dangereux des deux hommes. Elle décrocha lentement le téléphone. Perkins écoutait, le revolver sur sa tempe.

Elle inspira pour tenter de se calmer.

- allô ?

- Sara?

C'était John Fiske.

- J'ai essayé de te joindre partout, dit-elle.

- Je sais. Je viens d'écouter mes messages. Je suis avec Rufus.

Perkins tenait toujours le revolver contre sa tempe, sans perdre un mot de la communication.

- Oa es-tu ? demanda-t-elle.

- Dans une aire de repos, a mi-chemin de Washington.

- qu'est-ce que tu comptes faire ?

- Le moment est venu d'aller trouver Chandler.

J'en ai parlé avec Rufus.

Perkins fit un signe négatif.

- Je ne pense pas que ce soit une très bonne idée, John.

- Pourquoi ?

- Je... j'ai découvert certaines choses que tu dois savoir d'abord. avant d'aller voir Chandler.

- Raconte.

- Je ne peux pas te le dire maintenant. Mon téléphone est peut-atre sur écoute.

- allons, Sara !

- Je te propose un truc. Donne-moi le numéro de ta cabine téléphonique et je te rappellerai de ma voiture.

(Elle regarda Perkins.) On pourra se fixer rendez-vous quelque part. Ensuite, on ira voir Chandler. Le FBI a l'immatriculation de la voiture que tu conduis, il faudra que tu t'en débarrasses de toute manière.

Il lui donna le numéro, qu'elle griffonna sur un bloc-notes.

- Tu es s˚re de ne pas pouvoir me dire de quoi il s'agit au téléphone ?

- J'ai parlé a ton ami du tribunal militaire...

Elle pria en silence pour que John Fiske réagisse bien a ce qu'elle allait lui dire. Un faux pas et elle était morte.

Elle devait lui faire confiance.

- Darnell Jackson m'a tout expliqué au sujet des tests de la PCP.

John haussa les sourcils et regarda Rufus, assis dans l'obscurité de l'aire de repos. Darnell Jackson. Il répondit vite :

- Darnell ne m'a jamais laissé tomber.

Sara poussa un soupir.

- Je te rappelle dans cinq minutes.

Elle raccrocha et se tourna vers les deux hommes.

Perkins eut un mauvais sourire.

- Bien joué, Sara. ¿ présent, allons retrouver tes amis.

Chapitre 59

quand Sara l'eut rappelé pour lui indiquer un lieu de rendez-vous, John passa un autre coup de fil. Les nouvelles n'étaient pas bonnes. Pas bonnes du tout. En rejoignant Harms dans la voiture, il lui dit :

- Il a Sara.

- qui " il " ?

- Votre vieux copain Dellasandro. C'est le dernier qui reste.

- Comment ça, le dernier ?

- Rayfield et Tremaine sont morts. Reste Dellasandro. Sara me l'a fait comprendre sans qu'il s'en dou... (Il s'interrompit net devant la mine perplexe de Rufus.) attendez, ils étaient combien dans la prison, cette nuit-la ?

- Cinq.

John s'effondra.

- Merde, je croyais qu'il n'y avait que ces trois-la.

qui sont les deux autres ?

- Perkins. Dick Perkins.

John en eut presque un haut-le-cúur.

- Nom de Dieu... Richard Perkins est l'huissier de la Cour suprame !

- Je sais pas ce qu'il est devenu, je l'ai pas revu depuis. Et heureusement. C'était le pire du lot, avec Tremaine. Il m'a pas loupé, avec sa matraque, le salaud.

C'est lui qui m'a fait la piq˚re de PCP.

- Et le cinquième homme ?

- Je le connaissais pas. Je l'avais jamais vu.

- Eh bien, moi, je crois savoir qui c'est.

Sara ne lui avait pas dit qu'elle avait vu le nom de Warren McKenna sur la liste du personnel de Fort Plessy, mais il avait fait la déduction lui-mame. Tout se tenait. C'était pour ça que l'agent du FBI voulait l'épin-gler a tout prix. Il démarra.

- Oa on va ?

- Sara vient de me rappeler. Elle... ils veulent qu'on aille les retrouver quelque part du côté de George Washington Parkway. J'ai essayé de prévenir Chandler, mais il n'était pas la. Je lui ai laissé un message pour lui dire oa on serait. J'espère seulement qu'il l'aura a temps.

- Et on y va quand mame ?

- Sinon ils tueront Sara. Si vous voulez rester hors du coup, vous n'ates pas obligé de me suivre.

En guise de réponse, Rufus sortit un revolver de sa poche et le lui tendit.

- Vous savez vous servir de ce machin ?

John prit le flingue et s'assura qu'il était chargé.

- Je crois que je pourrai me débrouiller, dit-il.

Il était minuit passé, et la route était déserte. «a et la, on rencontrait des coins aménagés pour des pique-niques, oa les gens venaient faire un barbecue et fl‚ner en famille dans la journée. Pour l'heure, l'endroit était sombre, isolé, sinistre. John passa en revue les panneaux de sortie jusqu'a celui qu'il cherchait. Il aperçut en mame temps la voiture de Sara, sur le parking vide.

L'aire de pique-nique était bordée de grands arbres. En arrière-plan, on distinguait la coulée sombre du Potomac.

Rufus, recroquevillé sur la banquette, les yeux a hauteur du bord de la vitre, scruta la demi-obscurité.

- Y a quelqu'un dans la bagnole, dit-il. Je vois pas si c'est un homme ou une femme.

John plissa les yeux et acquiesça. Ils avaient improvisé un plan en cours de route. Maintenant qu'ils avaient repéré les lieux, ils pouvaient le mettre a exécution. Il continua jusqu'a un virage qui les fit disparaatre du champ de vision de la voiture de Sara. La, il s'arrata. La portière arrière s'ouvrit, Rufus descendit en catimini et s'enfonça a couvert des arbres.

John entra dans le parking et se gara a quelque distance de la voiture de Sara. Il fut soulagé de la voir sur le siège du conducteur. Il empoigna son revolver et sortit lentement.

- Sara ? appela-t-il par-dessus le toit de son véhicule.

Elle le regarda et hocha la tate avec un sourire crispé, qui s'évapora quand l'homme a côté d'elle se leva et pointa un pistolet sur sa tate. Ils sortirent ensemble.

Dellasandro lui enserrait le cou d'un bras et, de l'autre, tenait le canon de son arme contre sa tempe.

- Par ici, Fiske, dit-il.

John feignit la surprise.

- Oa est Harms ? demanda Dellasandro.

John se frotta ostensiblement la joue.

- Il a eu un état d'‚me. Il ne voulait pas aller chez les flics. Il m'a cogné et il s'est barré.

- En vous laissant la voiture ? «a m'étonnerait.

Répondez-moi la vérité ou votre copine se fait plomber la cervelle.

- C'est la vérité. Il n'a pas pris la voiture parce qu'il ne sait mame plus conduire après toutes ces années de prison.

Dellasandro gambergea.

- Venez par ici. Les mains en l'air, bien haut.

John glissa son revolver a l'arrière de sa ceinture et leva les mains. Il contourna lentement sa voiture et marcha vers eux. En approchant, il remarqua une ecchymose sur la joue de Sara.

- Tu vas bien, Sara ?

Elle acquiesça.

- Je suis désolée, John.

- «a va, ça va, fermez-la, aboya Dellasandro. a quel endroit exactement Harms s'est fait la malle ?

- quand on a quitté l'autoroute. On est venus par lai.

- C'était vraiment idiot de sa part de se tailler en pleine nature. Il n'ira pas loin.

- Eh, comme on dit, chat échaudé...

- Pourquoi ai-je l'impression que vous me prenez pour un gogo ?

- Peut-atre parce que vous avez toujours été un gros con.

Dellasandro braqua son arme sur John.

- «a va atre un vrai plaisir de te buter.

- Plutôt difficile de se débarrasser de deux cadavres.

Dellasandro indiqua le fleuve du coin de l'úil.

- Pas quand Dame Nature offre ses services.

- Et vous croyez que Chandler ne soupçonnera rien?

- Y a rien de suspect. Les flics pensent que t'as tué

ton frère pour toucher l'assurance. La fille s'est fait virer a cause de toi et de ton crétin de frère. Toute sa carrière foutue. Vous vous donnez rendez-vous ici, ça tourne a l'aigre, tu la descends et tu te flingues. Ou l'inverse, peu importe. Ils trouvent sa bagnole et, dans quelques jours ou quelques semaines, on repache vos corps ou ce qu'il en reste dans le Potomac. affaire classée.

- ah, y a pas a dire, c'est futé. Tellement futé mame que tu n'as pas pu trouver ça tout seul. Oa sont tes potes ?

- De qui tu parles ?

- Les deux autres mecs dans la prison cette nuit-la.

- L'un d'eux est Perkins, dit Sara. Il est ici aussi.

- Ta gueule ! cria Dellasandro.

- Pour celui-la, je savais déja. Et je crois avoir deviné qui est l'autre.

- Garde tes théories pour les poissons. allons-y.

Ils se dirigèrent vers la rive. John se retourna vers Dellasandro.

- Pas de blague, Fiske. Je peux t'abattre a cinquante mètres, alors a deux pas je risque pas de te rater. Et si ton gorille est planqué quelque part derrière les arbres, eh bien, qu'il vienne, j'ai une balle pour lui aussi.

Le moral de John baissa d'un cran.

Soudain, un coup de feu souleva une motte de terre juste a droite de la jambe de Dellasandro. Il poussa un cri et pointa son arme de ce côté.

John le frappa au ventre, puis a la tate. avant que Dellasandro n'ait pu récupérer, Rufus surgit de derrière un arbre et le percuta avec la force d'un char d'assaut.

L'homme roula jusqu'a la rive et tomba a l'eau. John sortit son revolver. Rufus allait fondre sur Dellasandro quand d'autres balles sifflèrent a leurs oreilles. Ils se couchèrent tous.

John protégea Sara sous son bras.

- Vous voyez quelque chose, Rufus ?

- Ouais, mais ça va pas vous plaire. Je crois que les tirs viennent de deux endroits différents.

- Super, ses deux copains sont ici. Merde ! (John serra son pistolet.) Rufus, voici ce qu'on va faire. On tire deux coups chacun pour les faire réagir, histoire de voir d'oa vient le feu. Ensuite, je vous couvre et vous emmenez Sara. Vous sautez dans sa bagnole et vous vous barrez. Il faut que quelqu'un prévienne Chandler, ajouta-t-il avant que Sara ait pu protester.

- Je reste, dit Rufus. C'est moi qui ai le plus gros compte a régler avec ces salauds.

- Je pense que vous payez depuis assez longtemps.

(John pointa son revolver.) Vous tirez a gauche et vous ouvrez l'úil. Un, deux, trois, maintenant !

Sara se boucha les oreilles. quelques secondes plus tard, les autres ripostèrent.

John et Rufus repérèrent les étincelles.

- Y en a un qui vise n'importe comment, dit John.

On l'a peut-atre touché. Bon, je vais tirer dans les deux directions. Tenez-vous prat, mais ne tirez pas. Je vais me déporter d'une dizaine de mètres sur la droite. J'atti-rerai le feu vers moi. Comptez jusqu'a vingt et, quand vous entendrez les premières notes de samba, foncez.

John s'écarta, mais Sara le retint par la main. Elle ne pouvait se résigner a le laisser partir.

Il chercha des mots rassurants, voire bravaches, pour lui montrer qu'il n'avait pas peur - alors qu'il était malade de trouille.

- Je sais ce que je fais, Sara. Et je me dis que cinquante ans d'espérance de vie, c'est mieux que rien du tout.

Elle le regarda s'éloigner en rampant, persuadée qu'elle le voyait vivant pour la dernière fois.

Une minute plus tard, la pétarade commença. Rufus entraana Sara vers la voiture, en la portant presque dans ses bras. Il ouvrit la portière, poussa Sara a l'intérieur et monta derrière elle.

John pénétra a pas de loup dans les broussailles. «a sentait le métal chaud et la poudre. L'odeur de la peur.

Il avait compté les balles qu'il avait tirées, mais ignorait que son chargeur n'était pas plein au départ. Il n'avait plus de munitions. Il sourit en entendant la voiture démarrer. L'autre bruit, derrière lui, il ne l'entendit pas

- ou trop tard.

Dellasandro, dégoulinant d'eau sale, pointait son flingue sur lui. Il avait la bouche sèche, il ne pouvait plus parler. Il ne pouvait plus respirer non plus : par une sorte de réflexe, ses poumons avaient décidé de cesser leur fonction avant d'y atre contraints par une balle. Car cette balle-la serait la bonne. Les deux premières, celles de Darnell Jackson, n'avaient pas fait leur office, parce que Darnell n'avait pas eu le temps de l'ajuster. Dellasandro n'aurait pas ce problème, il mettrait dans le mille a coup s˚r. John regarda vers la rivière. après une semaine de marinade dans cette flotte, mame son père ne pourrait pas l'identifier. Il regarda Dellasandro : sa dernière image avant la mort.

Le coup partit.

assourdi et hébété, John vit Léo Dellasandro piquer du nez et s'effondrer, inerte.

Il leva les yeux, et ce qu'il vit alors lui fit regretter que Dellasandro n'ait pas eu le temps d'appuyer sur la détente. L'homme qui avait tiré était son vieux copain Warren McKenna, la, devant lui. Pourquoi n'était-ce pas Chandler ? Pourquoi la chance n'aurait-elle pas pu atre de son côté, pour une fois ?

Il aperçut le pistolet de Dellasandro, qui avait atterri tout près de lui.

- N'essayez pas, Fiske ! dit McKenna.

- Fumier !

- Je crois que vous devriez plutôt me remercier.

- Pourquoi ? Pour avoir refroidi ton complice avant de me descendre ?

McKenna sortit un autre pistolet de sa poche.

- Voila votre arme. Je viens de la retrouver.

- Sympa. Mais ne t'en fais pas, ordure, un jour, tu paieras.

McKenna considéra Dellasandro.

- En fait, je viens d'effacer une partie de mon ardoise.

Ce que fit alors McKenna stupéfia John.

Il retourna le pistolet et le lui passa, la crosse devant.

- Maintenant, du calme, ne me tirez pas dessus. (Il lui tendit la main pour l'aider a se relever.) Chandler est en route. J'ai pu le joindre chez Evans. Je suis arrivé

la-bas quand Perkins et Dellasandro emmenaient la fille. Je me suis douté qu'ils essaieraient de se servir d'elle pour vous coincer. J'ai suivi. Vous aviez besoin d'un renfort, c'était moi. Et je suis un peu meilleur que votre dernier équipier. Moi, je ne baisse jamais la garde.

John était ébahi. Sans voix.

- Perkins a mis les voiles. C'était le deuxième tireur. J'ai essayé de le toucher, mais il était trop loin.

C'est moi qui ai tiré le premier coup de feu pour détourner l'attention de Léo. Je me doutais que Rufus était caché quelque part.

- Je croyais que vous étiez l'un des types dans la prison de Fort Plessy.

- J'en étais.

- alors, qu'est-ce que vous essayez de faire ? Vous avez des remords ? Si c'est le cas, vous ates bien le seul des cinq.

- Je n'étais pas un des cinq.

- Mais vous venez de dire que vous étiez dans la prison.

- Il y avait six hommes, cette nuit-la.

John perdait le nord.

- Je ne pige pas...

- J'étais le garde de service, John. Il m'a fallu vingt-cinq ans pour comprendre ce qui s'était passé.

Sans vous et Sara, je serais resté dans le brouillard. Je crois que j'ai eu l'idée de la PCP juste après vous. Je n'étais mame pas au courant de ces essais de drogue a Fort Plessy, remarquez, je suppose qu'ils ne le criaient pas sur les toits.

- Mame si quelqu'un l'avait su, je pense que tout le monde se foutait de ce qui arrivait a Rufus.

- Non, pas moi, dit McKenna en baissant les yeux.

J'ai seulement manqué de couilles pour faire quelque chose avant qu'il soit trop tard. J'aurais pu tout empacher. (Il soupira, accablé encore par son passé.) Mais j'ai pas levé le petit doigt.

John l'observa un instant, toujours sous le choc de cette dernière révélation.

- Vous n'avez peut-atre rien fait alors, mais vous faites beaucoup maintenant.

- avec vingt-cinq ans de retard.

- Rufus sera libéré, au moins ? C'est tout ce qu'il demande.

- Rufus est déja libre, John. Personne ne le remettra en taule. S'ils essaient, ils devront me passer sur le corps. Et je vous jure qu'ils n'y arriveront pas.

John regarda vers la route.

- Et Perkins ?

McKenna sourit.

- Je sais exactement oa il se dirige. On peut appeler Sara dans sa voiture pour la mettre au courant. Dès que Chandler sera la, on y va.

- Oa?

- Perkins est parti rejoindre la cinquième personne présente au mitard, cette fameuse nuit.

- qui c'est?

- Vous le saurez. Bientôt, vous saurez tout.

Chapitre 60

quand la femme ouvrit la porte, Perkins se rua dans le vestibule.

- Oa est-il ?

- Dans son bureau.

Il déboula dans le couloir et entra sans frapper.

L'homme le regarda, tranquille et digne.

Perkins referma derrière lui.

- C'est la panade complète. J'en sors, dit-il.

Jordan Knight s'adossa dans son fauteuil et hocha la tate.

- Si vous fuyez, vous avouez votre culpabilité.

- Ils savent déja que je suis coupable. J'ai enlevé

Sara Evans. Léo doit manger les pissenlits par la racine, a l'heure qu'il est.

- Vous l'avez suivie depuis qu'elle a quitté la Cour.

quand je vous ai contacté, j'espérais que l'affaire serait promptement réglée. Mais tout n'est pas fichu, c'est sa parole contre la vôtre.

- Pourquoi inventerait-elle une histoire pareille ?

Jordan se frotta le menton.

- Réfléchissez. Elle s'est fait renvoyer aujourd'hui.

C'est vous qui l'avez escortée jusqu'a la sortie. Elle vous a lancé toutes sortes d'accusations a la figure... je ne sais pas, vous pouvez trouver quantité de prétextes pour vous justifier.

- Rufus Harms est toujours dans la nature. Je l'ai vu.

Jordan se rembrunit.

- ah ! Le célèbre M. Harms.

- Il a tué Frank et Vie.

- Deux soucis en moins, alors.

- Vous ne manquez pas d'air ! C'est vous qui leur avez dit de tuer Michael Fiske. C'est vous qui avez tout déclenché.

Jordan restait songeur.

- Je n'ai toujours pas compris comment Rufus Harms avait réussi a m'identifier dans cette lettre. Vous, il vous connaissait, mais moi, je n'étais mame pas dans l'armée.

- Il ne vous a pas identifié.

La couleuvre lui resta sur l'estomac. Knight finit par la digérer, puis une lueur d'espoir passa dans ses yeux.

- J'ai parlé a Tremaine, expliqua Perkins. Rayfield vous a menti. Votre nom n'apparaissait pas dans la lettre. Il n'y avait que nous quatre.

- Donc, je suis le seul inconnu.

Jordan se leva et regarda Perkins. Cela signifiait qu'il avait encore une porte de sortie. Il ne restait qu'une personne, une seule, a effacer du tableau et ce cauchemar serait fini. Rien que d'y penser, il en avait des fourmillements dans les doigts.

- qui sait pour combien de temps ? dit Perkins. Et tout ça pour quoi ? Pour votre saleté de PCP. Regardez oa ça nous a menés, votre connerie.

- C'est vous qui avez fait la piq˚re, Richard.

- Oh, descendez de vos grands chevaux, ce n'est plus le moment de faire le malin. C'était votre idée, monsieur CIa.

- Naturellement... j'étais la pour diriger les tests. a force de vous entendre r‚ler contre Harms, j'ai voulu vous rendre service. (Il considéra Perkins avec un calme exaspérant.) Je suis très antidrogue aujourd'hui, bien s˚r.

- Sans blague, des scrupules ? Et pourquoi pas anti-meurtre aussi ? «a ne vous titille pas la conscience, ça, sénateur ?

- Je n'ai jamais tué personne.

- ah non ? Et cette petite fille ? Vous l'avez oubliée ?

- Rufus Harms a avoué le crime. ¿ ma connaissance, le procès n'a pas été révisé.

- Eh bien, ça ne va pas tarder si on ne réagit pas.

- Vous ates certain de vouloir fuir ?

- Je ne vais pas attendre, les bras croisés, que le couperet tombe.

- Je suppose que vous aurez besoin d'argent ?

Perkins acquiesça :

- Je n'ai pas de bas de laine pour mes vieux jours comme Vie et Frank. Et j'ai la mauvaise habitude de vivre au-dessus de mes moyens.

Jordan prit une petite clé dans sa poche et ouvrit un tiroir de son bureau.

- J'ai un peu d'argent liquide ici. Pour le reste, il faudra que je vous fasse un chèque. Je peux vous donner cinquante mille dollars, pour commencer.

- «a me va. Pour commencer.

Jordan sortit un revolver du tiroir et le pointa sur Perkins.

- qu'est-ce que ça veut dire ?

- Vous avez fait irruption chez moi, dans un état de démence, vous m'avez révélé les crimes odieux que vous avez commis, y compris l'enlèvement de Sara Evans, pour je ne sais quelle raison. Vous m'avez menacé. J'ai réussi a me saisir de mon arme et je vous ai tué.

- Vous déraillez. Personne ne vous croira.

- Oh, si, Richard, dit Jordan en appuyant sur la détente.

Perkins s'effondra sur le sol. Entendant un cri dans le vestibule, le sénateur fouilla rapidement le corps, trouva un revolver, le plaça dans la main du mort et tira une balle dans le mur.

- Tout va bien ! cria-t-il en se relevant. Je suis sauf !

Il alla ouvrir la porte et se retrouva nez a nez avec Rufus Harms. Derrière le colosse, il y avait Chandler, McKenna, Fiske et Sara.

Jordan s'adressa directement a Chandler :

- Richard Perkins est entré comme un fou et m'a menacé. Il était armé. Par chance, j'ai mieux tiré que lui.

McKenna s'avança.

- Vous ne devez pas vous souvenir de moi, sénateur, n'est-ce pas ? Je veux dire en dehors de mes fonctions au FBI. (Jordan le détailla ; ce visage n'évoquait rien pour lui.) Perkins et Dellasandro ne se souvenaient pas de moi non plus. L'eau a coulé sous les ponts et nous avons tous beaucoup changé. D'ailleurs, tout le monde était saoul, cette nuit-la. Tout le monde sauf vous.

- Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez.

- J'étais le planton de service, la nuit oa vous ates venu voir Rufus avec vos amis a Fort Plessy. C'était la première et la dernière fois que je montais la garde devant la prison. C'est s˚rement pour ça que personne ne se souvenait de moi.

Jordan Knight sourcilla.

- Suis-je censé comprendre de quoi il s'agit ?

- Je vous ai laissé entrer parce que j'étais un bleu et qu'un capitaine m'en donnait l'ordre. Puis Rufus est sorti de sa cellule comme un bolide, il m'a renversé et la vie de chacun de nous a été changée pour toujours.

Pendant vingt-cinq ans, je me suis demandé ce qui s'était réellement passé. Je me suis tenu a carreau parce que j'avais les jetons. Rayfield était un gradé. Il a arrangé le coup pour que je ne sois pas inquiété, mais il m'a bien fait comprendre que j'avais intérat a la boucler. Je ne savais pas ce qui s'était passé, de toute façon. quand j'ai eu le courage de dire quelque chose, c'était trop tard, Rufus était en prison. J'ai vécu avec ce remords pendant toutes ces années. Je me suis écrasé. (Il se tourna vers Harms.) Je suis désolé, Rufus. J'ai été

l‚che. «a ne changera probablement rien pour vous, mais je n'ai jamais pu me regarder froidement dans la glace depuis.

Jordan s'éclaircit la gorge.

- Très touchant, agent McKenna. Cependant, si vous croyez m'avoir vu dans cette prison a ce moment-la, vous vous trompez.

- Les archives de la CIa révéleront que vous étiez a Fort Plessy pour diriger les essais de PCP sur les soldats de la base.

- Si vous pouvez obtenir ces archives, tant mieux pour vous. admettons que j'aie été la-bas : et après ?

J'étais dans les services secrets. Je ne l'ai jamais caché, mes électeurs le savent.

- Je ne suis pas s˚r que vos électeurs sachent que vous avez administré de la PCP aux soldats, dit Chandler en s'échauffant.

- Mame si c'est le cas - bien que je ne reconnaisse pas les faits -, je suis blanc comme neige, le programme était parfaitement légal, ainsi que ma femme pourra vous le certifier.

" …tats-Unis contre Stanley ? " dit Sara avec amertume.

Jordan gardait les yeux fixés sur McKenna.

- Drôle de coÔncidence, tout de mame. Vous prétendez avoir été présent dans cette prison et, comme par hasard, vous voila malé a l'enquate.

- «a n'a rien d'une coÔncidence, fut la réponse surprenante de McKenna. après l'armée, j'ai terminé

mes études et je suis allé au centre de formation du FBI.

Mais je ne vous ai jamais perdus de vue. aucun de vous.

quand Rayfield et Tremaine ont été affectés a la garde de Rufus, j'ai trouvé ça suspect, mais je ne pouvais rien en conclure. Perkins et Dellasandro vous ont suivi.

Vous leur'avez toujours trouvé des situations dans vos différentes affaires. Je me suis fait muter a l'antenne FBI de Richmond pour vous avoir a l'úil. quand vous vous ates lancé dans la politique, ils vous ont encore suivi. Dès votre installation a Washington, vous avez réussi a faire engager Dellasandro et Perkins au Sénat.

alors, je me suis fait muter a Washington. quand vous avez été élu a la commission juridique du Sénat, il y a quelques années, vous leur avez trouvé une jolie situation a la Cour suprame. Vous ates vraiment un bon copain. «a devait faire partie de votre pacte. Rayfield et Tremaine surveillent Rufus. Vous vous occupez de Perkins et de Léo. Je parie que, si on épluche leurs comptes en banque, on trouvera de beaux petits placements sur un fonds de retraite... quand j'ai eu vent du meurtre de Michael Fiske, j'ai sauté sur l'occasion, parce qu'il travaillait a la Cour. quand j'ai découvert que le nom de Rufus était malé a l'affaire, je me suis dit que toutes ces années de traque allaient peut-atre enfin payer. Maintenant, la vérité est sortie du puits.

- Une spéculation absurde, vous voulez dire, contra Jordan Knight. De l'acharnement : vous venez d'avouer vous-mame que vous aviez une rancune personnelle contre moi. De telles accusations, dans mon domicile privé, sont un scandale, surtout après qu'un déséquilibré a tenté de m'assassiner et m'a forcé a le tuer. ¿

l'exception de l'inspecteur Chandler, qui doit procéder aux constatations d'usage sur cet acte de légitime défense, j'exige que vous sortiez tous de chez moi.

McKenna tira un téléphone portable de sa poche, dit quelques mots et écouta la réponse.

- Je vous mets en état d'arrestation, sénateur Jordan. Je suis s˚r que l'inspecteur Chandler va en faire autant.

- Sortez d'ici. Immédiatement !

- Je vais vous lire vos droits.

- Je vous ferai virer du FBI. Dès demain matin, vous ates a la rue. Vous n'avez aucune preuve de quoi que ce soit.

- Mais si, vos propres paroles constituent mon chef d'accusation.

Sous les regards de tous, McKenna s'accroupit a côté

du meuble de bureau, t‚tonna un instant et extirpa un micro.

- Vos déclarations ont été reçues 5 sur 5 dans la camionnette de surveillance garée juste en bas. (Il regarda John Fiske.) C'est Knight qui a dit a Rayfield de tuer votre frère.

Jordan étouffait de rage.

- Ceci est illégal. Il n'y a pas un juge dans cette ville qui ait pu vous donner un mandat pour ces écoutes.

C'est vous qui irez en taule, pas moi.

- Nous n'avions pas besoin de mandat. Nous avions l'accord de la personne.

- qu'est-ce que c'est que ces ‚neries ? J'exige que vous me remettiez ces bandes immédiatement. Votre coup monté ne tient pas. Vous ates vraiment un imbécile si vous pensez que quelqu'un croira que vous avez eu mon accord.

- Pas le tien, Jordan. Le mien.

Le visage du sénateur vira au jaun‚tre quand il vit sa femme entrer dans la pièce. Elle n'eut pas un regard pour le corps de Perkins. Elle ne voyait que son mari.

- Le tien ? fat-il.

- J'habite ici aussi, Jordan. J'ai donné mon accord.

- au nom du ciel, pourquoi ?

Elizabeth toucha la manche de Rufus Harms.

- Pour cet homme, Jordan. Cet homme était la seule raison assez forte pour m'amener a agir ainsi.

- Pour lui ? C'est un tueur d'enfant.

- Inu'tile, Jordan. Je connais la vérité. Et je te maudis pour ce que tu as fait.

- qu'est-ce que j'ai fait ? Je n'ai rien fait d'autre que servir mon pays. (Il montra Rufus du doigt.) Cet homme ne s'est jamais foulé pour personne, lui. C'est un salaud qui méritait de mourir.

avec une promptitude étonnante pour son poids et son immense carcasse, Rufus se jeta a la gorge du sénateur, qui se retrouva plaqué contre le mur.

- Fumier ! cria Rufus en serrant ses grosses mains autour de son cou.

Jordan Knight était violet. McKenna et Chandler dégainèrent, mais aucun ne put se résoudre a tirer.

Impuissants, ils essayèrent de saisir Rufus, mais autant vouloir déplacer une montagne.

- Jordan ! s'exclama Elizabeth.

- Rufus, arratez ! cria Sara.

Jordan commençait a tourner de l'úil.

John s'interposa.

- Rufus ! Rufus ? (Il inspira et l‚cha le morceau.) Josh n'a pas survécu.

Rufus desserra instantanément son étreinte et regarda John en écarquillant les yeux.

- Il est mort, Rufus. Nous avons tous deux perdu nos frères.

John tremblait. Sara posa une main sur son épaule.

- Si vous le tuez, poursuivit-il, vous retournerez en prison et Josh sera mort pour rien. (Des larmes coulèrent sur les joues du colosse.) Vous ne pouvez pas faire ça, Rufus. Vous ne pouvez pas.

Les deux hommes meurtris par un mame deuil se regardèrent, puis Rufus l‚cha prise et un Jordan Knight au bord de l'asphyxie s'avachit sur le tapis.

Le sénateur n'eut pas un regard pour sa femme en sortant, menottes aux poignets, sous la conduite de McKenna. Une heure plus tard, l'équipe de l'identité

avait fini son travail et le corps de Perkins fut évacué.

Chandler, Rufus, Sara et John restèrent. Elizabeth Knight était dans sa chambre.

- Dites-moi un peu, Buford, que saviez-vous au juste ? demanda John.

- Deux ou trois choses. McKenna me tenait au courant. au début, il vous croyait vraiment mouillé, me semble-t-il. En tout cas, il ne vous aimait pas, dit Chandler en souriant. quand il a su que l'affaire avait quelque chose a voir avec Rufus, son opinion a changé.

Mais je n'étais pas trop d'accord avec sa machination pour vous coller le meurtre sur le dos. C'est aussi lui qui a poussé a la roue pour faire virer Sara.

- Pourquoi ? demanda l'intéressée.

- Vous vous approchiez trop de la vérité, tous les deux. Vous étiez donc en danger. Il savait que les types impliqués étaient capables de tout. Seulement, il n'avait pas de preuves et il voulait qu'ils pensent que vous étiez les suspects principaux. Chaque fois que Perkins ou Dellasandro étaient près de nous, il laissait clairement entendre que, pour lui, l'histoire de l'appel de Rufus était bidon et que le tueur était John. Il a volé votre arme et s'est arrangé pour que Perkins et Dellasandro sachent qu'elle manquait. Il espérait que, tant qu'ils vous croiraient dans son collimateur, ils ne se sentiraient pas inquiétés et vous foutraient la paix. C'était pour votre sécurité, a tous les deux.

- Eh bien, on peut dire que, sur ce dernier point en tout cas, il s'est planté, commenta Sara en frémissant.

- Il ne pensait pas que vous échapperiez a son équipe de surveillance. Dès lors qu'il avait obtenu l'accord du juge Knight pour le micro, il n'avait plus qu'a tendre le piège. Comme il lui avait déja dit qu'il avait connu son mari a Fort Plessy, elle a su que le sénateur mentait en prétendant avoir d˚ téléphoner a son bureau pour obtenir cette information.

- En somme, le juge Knight m'a probablement sauvé la vie, dit Sara.

Chandler acquiesça.

- quand les choses ont commencé a tourner mal, McKenna savait que Perkins courrait demander de l'aide a Jordan Knight. Tout s'est déroulé comme il l'imaginait, a une exception près : on n'avait pas prévu que le sénateur tuerait Perkins. Mais je vous avouerai que ça ne m'empachera pas de dormir.

Il se tourna vers Rufus en disant :

- Je vais devoir vous placer en garde a vue, mais ce ne sera pas long.

- Je veux voir mon frère.

- Je peux arranger ça.

- Je vous accompagne, Rufus, dit John.

En se dirigeant vers la porte, ils croisèrent Elizabeth Knight dans le couloir.

- Vous avez été très courageuse, madame, déclara Chandler. Je sais que ça a d˚ atre très pénible pour vous.

Elizabeth tendit la main a Rufus Harms.

- après ce que vous avez souffert, monsieur Harms, les mots n'ont pas de valeur, mais sachez que je suis profondément désolée.

Il accepta sa poignée de main.

- Ils ont beaucoup de valeur, madame. Pour moi et pour mon frère.

Elizabeth Knight les raccompagna sur le palier et leur dit adieu avec gravité.

Ils montèrent dans l'ascenseur.

Sara hésita.

- Je vous rejoins plus tard, dit-elle aux trois hommes.

Elle retourna précipitamment a l'appartement. Mary ouvrit la porte.

- Oa est le juge Knight?

- Elle est allée dans sa chambre. Pourquoi...

Sara entra en coup de vent et courut dans la chambre.

Elizabeth Knight était assise sur son lit. Elle leva les yeux vers son ancienne greffière. Elle serrait un poing.

Il y avait un flacon a pilules vide a côté d'elle.

Sara s'approcha lentement d'elle, lui prit la main, ouvrit son poing et les pilules tombèrent.

- Elizabeth, ce n'est pas une façon de régler le problème.

- Vous appelez ça un problème ? Ma vie vient de s'en aller par cette porte, avec des menottes.

- Jordan Knight vient de s'en aller par cette porte.

Le juge Elizabeth Knight est assise ici, a côté de moi. Ce mame juge Knight qui dirigera la Cour suprame au siècle prochain.

- Sara..., murmura-t-elle, les joues mouillées de larmes.

- C'est une nomination a vie. Et vous avez une longue vie devant vous. J'aimerais vous aider dans votre travail, votre important travail. Si vous voulez encore de moi.

Sara la prit dans ses bras.

- Je ne sais pas si je pourrai... survivre a ça.

- Si, vous pourrez, j'en suis certaine. Et vous ne serez pas seule, je vous le promets.

Elizabeth s'accrocha a l'épaule de la jeune femme.

- Vous voulez bien rester avec moi cette nuit, Sara?

- Je resterai aussi longtemps que vous voudrez.

Chapitre 61

En vertu de ses décorations, l'…toile d'argent, le Cúur pourpre et la Valeur militaire, Josh Harms avait le droit d'atre enterré avec les " honneurs modifiés " - la plus haute distinction accordée a un soldat du contin-gent - au cimetière national d'arlington. Toutefois, le représentant de l'armée chargé de régler les formalités essaya de dissuader Rufus.

- Il a été blessé, il a sauvé de nombreux gars de sa compagnie et il a récolté une boate pleine de médailles, répondit Rufus. Il en avait plus que vous, ajouta-t-il en reluquant les décorations du type en uniforme.

Le militaire fit la moue.

- Ses états de service ne sont pas blanc bleu non plus. Il avait un problème avec l'autorité. D'après ce que j'ai lu, il n'avait aucun respect pour l'institution qu'il représentait.

- Donc vous pensez que ce serait un manque de respect pour vos généraux et vos gradés de l'enterrer la?

- Le cimetière commence a manquer de place. Ce serait un beau geste de laisser les concessions restantes aux soldats qui étaient vraiment fiers de leur uniforme, c'est tout ce que je dis.

- Mame s'il y adroit ?

- Je ne conteste pas ça. Mais j'ai du mal a croire qu'il aurait lui-mame souhaité atre enterré la.

- Il risque de passer l'éternité a dire a ces officiers morts ce qu'il pense d'eux, c'est ça ?

- quelque chose comme ça. Donc, nous sommes d'accord ? Vous l'enterrerez ailleurs ?

Rufus le regarda dans le blanc des yeux.

- Ma décision est prise.

ainsi, par un clair et frais matin d'octobre, l'ancien sergent Joshua Harms fut inhumé au cimetière national d'arlington. Il y avait une telle profusion de croix blanches que, sous un certain angle de vue, le gazon semblait couvert d'une neige d'automne. quand la garde d'honneur eut tiré la salve et que le clairon eut retenti, le cercueil fut mis en terre. Rufus et l'un des fils de Josh reçurent le drapeau plié en trois des mains d'un officier austère et solennel, sous les regards de John, Sara, McKenna et Chandler.

Plus tard, en se recueillant sur la tombe de son frère, Rufus eut une pensée pour tous les corps enterrés la au nom de la guerre, tous les hommes et toutes les femmes que la sentence des armes avait condamnés a ce dernier séjour. Pour tous ces morts qui, comme Rufus, faisaient remonter leur histoire au livre de la Genèse et au-dela, c'était le prix a payer pour la faute d'un homme nommé

CaÔn, qui avait un jour inventé la guerre en frappant son frère abel.

après sa prière, après sa conversation avec son Seigneur et son frère, Rufus passa un bras autour du neveu qu'il voyait aujourd'hui pour la première fois.

Son cúur était triste, mais son ‚me était joyeuse, car il savait que son frère avait émigré dans un monde meilleur. Tant que Rufus vivrait, Josh Harms ne serait pas oublié. Et quand Rufus a son tour rejoindrait son Seigneur, il pourrait a nouveau embrasser son frère.

Chapitre 62

Deux jours plus tard, Michael Fiske fut enterré dans un cimetière privé des environs de Richmond. Tous les juges de la Cour suprame assistaient aux obsèques. Ed Fiske, attifé d'un vieux costume et soigneusement peigné, debout a côté de son fils aané, reçut, mal a l'aise, les condoléances de ces sommités juridiques et de l'élite politique et sociale de Virginie.

Harold Ramsey consola le père et se tourna vers le fils.

- Je vous sais gré de tout ce que vous avez fait, John. Et je mesure le sacrifice de votre frère.

- Son dernier, répliqua John sans aménité.

Ramsey acquiesça.

- Je respecte aussi vos opinions et j'espère que vous respectez les miennes.

John lui serra la main.

- Je suppose qu'il faut de tout pour faire un monde.

En regardant Ramsey, John songeait a l'avenir de Rufus. Il l'avait encouragé a engager des poursuites tous azimuts, y compris contre l'armée et Jordan Knight. Il n'y avait pas prescription et les agissements de Jordan et des autres pour couvrir leur tentative de meurtre avaient enfreint de nombreuses lois.

Mais Rufus avait refusé de suivre le conseil de John.

- ¿ part Knight, ils ont tous été déja condamnés au ch‚timent suprame, avait-il dit. Et Knight devra porter sa croix jusqu'a la fin de ses jours. «a me suffit. J'ai pas envie de m'embringuer dans des histoires de tribunaux et tout ça. Je veux vivre en homme libre, rattraper le temps perdu avec les enfants de Josh et aller voir la tombe de ma mère. C'est tout.

John avait essayé de le faire changer d'avis, puis s'était rendu compte que Rufus avait raison. D'ailleurs, au nom de la jurisprudence établie par la Cour suprame, on ne pouvait pas poursuivre l'armée - a moins qu'Elizabeth Knight ne réussisse finalement a utiliser l'affaire Barbara Chance pour offrir aux militaires les mames droits fondamentaux qu'a tous les citoyens du pays. Pour cela, il faudrait qu'elle triomphe de Ramsey.

Ce ne serait pas chose facile mais, a la réflexion, Elizabeth Knight était, d'entre tous les juges, le mieux a mame d'y parvenir. John aurait aimé atre une petite souris dans la salle des délibérations de la Cour suprame pendant les années a venir.

Mais il restait deux choses que John - aidé de Phil Jansen, son ami avocat auprès du tribunal militaire -

avait juré d'obtenir pour Rufus : sa réhabilitation dans les archives de l'armée et une pension militaire complète avec dommages et intérats. après ce que Rufus Harms avait enduré, il n'était pas question qu'il trime pour gagner sa cro˚te.

Il en était la de ses méditations quand Sara vint le rejoindre avec Elizabeth Knight. Elle avait été réinté-grée dans sa qualité de greffière. La Cour reprenait peu a peu son fonctionnement normal - si tant est qu'on p˚t parler de normalité avec Elizabeth Knight et Ramsey sous le mame toit.

- Je me sens profondément responsable de tout cela, dit Elizabeth.

John savait qu'elle était en instance de divorce. Le gouvernement, en particulier le ministère de la Défense, voulait éviter les vagues. On commençait a tirer des ficelles, en haut lieu a Washington. Cela signifiait que Jordan Knight n'irait peut-atre pas en prison. Malgré

l'accord d'Elizabeth Knight, la légalité des écoutes avait déja été remise en question par les très habiles avocats du sénateur. McKenna avait toujours eu conscience des risques que comportait son choix tactique, ainsi qu'il l'avait avoué a John en privé, mais ce micro espion était le seul stratagème qu'il avait pu imaginer pour impliquer Jordan Knight. Malheureusement, sans cet enregistrement, McKenna et Chandler n'avaient strictement rien pour l'inculper. ¿ l'idée que Jordan pouvait s'en tirer sans atre inquiété, John avait envie de lui rendre une visite nocturne avec son 9 mm.

Mais l'homme avait déja souffert et n'avait pas fini de payer : il avait d˚ démissionner de son siège de sénateur et renoncer a la femme qu'il aimait. Certes, il y avait toujours son ranch au Nouveau-Mexique, mais ce serait pour lui une prison de trois mille hectares.

- Si je peux faire quoi que ce soit pour vous..., déclara Elizabeth Knight.

- Et réciproquement, dit John.

Trente minutes après le départ du dernier visiteur, on retira les chaises et le tapis vert sous les yeux de John, de son père et de Sara. Le caveau fut refermé. On jeta de la terre sur la pierre tombale. John parla a son père et a Sara pendant quelques minutes, puis leur dit qu'il les retrouverait plus tard a la maison. Il les regarda s'éloigner.

Les fossoyeurs étaient repartis et il se croyait seul.

Mais quelqu'un restait agenouillé devant la tombe, les yeux fermés, une bible serrée dans la main : Rufus Harms.

John s'approcha de lui et posa une main sur son épaule.

- Vous allez bien, Rufus ? Je ne savais pas que vous étiez encore la.

Rufus, les paupières closes, ne répondit pas. Ses lèvres remuaient en silence.

- qu'est-ce que vous faites ?

Il leva enfin les yeux vers John et dit :

- Je prie.

- ah.

- Et vous ?

- quoi, moi ?

- Vous avez déja fini de prier pour votre frère ?

- Rufus, je ne suis pas allé a la messe depuis le lycée.

Rufus le tira par la manche pour le forcer a s'agenouiller.

- C'est le moment de vous reprendre en main.

Soudain p‚le, John contempla la sépulture.

- arratez, Rufus, ce n'est pas drôle.

- Pourquoi ça serait drôle ? Dites au revoir a votre frère et parlez a votre Seigneur.

- Je ne me rappelle aucune prière.

- alors, priez pas. Parlez avec des mots simples.

- qu'est-ce que je suis censé raconter ?

Rufus ne répondit pas. Il avait déja refermé les yeux.

John regarda autour de lui pour s'assurer que personne ne l'observait, puis, mal a l'aise, joignit les mains. Gané, il les laissa vite retomber le long de son corps. Il résistait encore ; bientôt ses yeux semblèrent se fermer d'eux-mames. Malgré l'humidité du sol qui traversait le tissu de son pantalon, il resta immobile.

Sans la présence réconfortante de Rufus a côté de lui, il n'aurait pas tenu dans cette position.

Il se concentra sur tout ce qui s'était passé. Il pensa a sa mère et a son père. Gr‚ce a l'argent de l'assurance, Gladys avait pu se rendre dans un salon de beauté pour la première fois depuis des années et s'offrir de nouveaux habits pour s'admirer dans la glace. Pour elle, il était toujours Mike, mais au moins se souvenait-elle de l'un d'eux. Ed Fiske roulerait bientôt dans un pick-up Ford tout neuf et pourrait racheter l'hypothèque de la maison. Il projetait un voyage avec son fils, l'année suivante, pour aller pacher dans les Ozarks. Du bon temps en perspective.

avec un sourire, John pensa a Sara. Les choses ne seraient pas simples avec elle, mais ça valait la peine de tenter sa chance. Cinquante, soixante, soixante-dix ans peut-atre ? Pourquoi ne pas s'accorder le bénéfice du doute ? Il avait une vie a vivre. Une vie potentiellement satisfaisante. Surtout si Sara en faisait partie. Il renversa la tate en arrière et huma l'air. On br˚lait des feuilles quelque part.

au loin, un enfant cria. Puis ce fut a nouveau le silence de la mort. Plus s˚r de lui a présent, il s'accroupit. Le sol était froid, mais presque accueillant.

Enfin, avec difficulté, il pensa a son frère. Il oublia ses griefs passés pour regarder la réalité en face. La vérité. Un petit frère qu'il avait laissé tomber. Il se rappela combien il avait été fier de cet atre exceptionnel, comment il avait partagé cette fierté avec son père et sa mère. avec l'‚ge, Mike Fiske était devenu un homme bien, malgré ses petits défauts, comme eux tous.

Un frère qui, par ses actes, avait montré qu'il respectait John Fiske. qu'il l'aimait. ¿ travers les six pieds de terre sous les couronnes de fleurs, a l'intérieur du cercueil de bronze, John voyait clairement le visage de son frère, le costume sombre dans lequel il avait été

enseveli, ses cheveux coiffés sur le côté, ses mains croisées sur la poitrine, ses yeux clos. Tranquille.

Paisible. anéanti bien trop tôt. Un esprit exceptionnel retranché du monde avant d'avoir donné sa pleine mesure.

Peu a peu, il se mit a trembler. Le vide que John Fiske avait imposé dans leurs relations n'était rien en comparaison de la béance qui s'ouvrait a présent devant lui. Il avait l'impression que Billy Hawkins venait juste de franchir la porte pour lui annoncer que Mike, l'alter ego de son enfance, était mort. Mais ce n'étaient plus les mames épreuves qui l'attendaient : il n'aurait plus a identifier le corps, il n'aurait plus a partager un faux chagrin avec son père, plus a entendre sa mère l'appeler par le nom d'un autre, plus a risquer sa vie pour découvrir les assassins de son frère. La t‚che qui lui restait était la plus dure de toutes.

Il ressentit une br˚lure dans sa poitrine. Ce n'était pas la douleur de sa vieille cicatrice qui se réveillait. Cette-douleur-ci ne risquait pas de le tuer, ce n'était pas une blessure par balle, c'était infiniment pis. Ce qu'il avait récemment découvert sur son frère lui faisait prendre conscience de l'injustice de sa conduite. C'était peut-atre par ignorance qu'il lui avait fermé sa porte, mais l'ignorance n'est pas une excuse : s'il avait été moins tatu, s'il avait accepté d'ouvrir les yeux quand il en était encore temps, il aurait su tout cela du vivant de Mike.

Maintenant, Mike était mort, et John se prosternait sur sa tombe. Mike ne reviendrait pas. Il l'avait perdu. Il devait lui dire adieu et ne pouvait s'y résoudre. Il ne voulait plus le quitter, il voulait le revoir. Il avait tant de choses a partager avec lui, tant d'amour a lui donner !

S'il ne se relevait pas tout de suite, son cúur allait éclater.

- ‘ mon Dieu, dit-il en poussant un soupir vers le ciel.

Mais son corps refusait de se lever. Il pesait des tonnes. Un flot de larmes inonda son visage, si chaudes et abondantes qu'il crut saigner du nez. Il s'affaissa. Il allait s'effondrer sur le sol quand une main puissante le saisit et le redressa. John se sentit tout a coup léger et fragile. ¿ travers le rideau des larmes, il vit Rufus.

L'homme soutenait John, une main sous son bras, mais la tate tournée vers le ciel, les yeux toujours fermés et les lèvres toujours en mouvement. Il continuait sa prière.

En cet instant, John Fiske envia Rufus Harms, un homme qui, lui aussi, avait perdu son frère, un homme qui n'avait réellement plus rien et qui pourtant, en un sens, était le plus riche du monde. Comment pouvait-on avoir une telle foi ? Comment pouvait-on atre a ce point imperméable au doute et croire avec une telle force d'‚me ?

En contemplant le visage calme de son nouvel ami, John songea que ce devait atre rassurant de pouvoir se dire avec certitude que l'atre aimé était dans un monde meilleur, dans l'éternelle et indéfectible étreinte de l'infiniment bon. Pouvoir se dire cela au moment précis oa on en avait besoin... Combien de fois dans une vie ce moment-la se produisait-il ? La mort comme une joie.

La mort comme un commencement, qui rendait la vie a la fois dérisoire et plus précieuse.

John détourna les yeux et regarda la tombe. L'image d'une main blame sous un drap blanc lui revint, puis s'en alla comme un oiseau cherchant de la nourriture. Il planta ses genoux en terre, ferma les paupières, inclina la tate, joignit les mains et trouva la paix intérieure.

avec son frère en dessous de lui, et il ne savait quoi au-dessus.

FIN