- Je comprends.
L'inspecteur s'adressa ensuite au juge Murphy :
- Pourriez-vous vous libérer aujourd'hui, avec vos autres greffiers, pour vous pencher sur les affaires confiées a Michael Fiske ?
- Oui.
- Et j'apprécierais beaucoup que tous les juges acceptent de se réunir afin d'essayer de déterminer quelle affaire récente pourrait avoir provoqué ce genre d'action.
- Inspecteur, dit Knight, nous traitons de nombreuses affaires susceptibles de déchaaner les passions. Nous ne saurions par oa commencer.
- Bien s˚r. au fond, vous avez de la chance de ne pas avoir été confrontés plus tôt a ce type de situation.
- Peut-atre. Mais, bref, puisque vous nous conseillez de nous en tenir a notre emploi du temps, je suppose que le daner en l'honneur du juge Wilkinson est maintenu pour ce soir.
Murphy se redressa pour protester.
- Enfin, Beth, il me semble que le meurtre de deux greffiers est un motif suffisant pour le reporter. Tout de mame !
- Oh, pour vous, c'est facile, Tommy. Ce n'est pas vous qui avez organisé cette réception. Moi, si. Kenneth Wilkinson a quatre-vingt-cinq ans et souffre d'un cancer du pancréas. Je pense que, dans son cas, un report serait très aléatoire. Cette soirée est très importante pour lui.
- Et pour vous aussi, n'est-ce pas, Beth ? dit Ramsey.
- Parfaitement. Voulez-vous vous lancer une fois de plus dans un débat déontologique, Harold ? Devant tous ces gens ?
- Non. Vous connaissez mes sentiments sur la question.
- En effet. Et le daner aura bien lieu.
Cet échange fascinait John Fiske. Il crut discerner l'ombre d'un sourire sur les lèvres de Ramsey quand le vieil homme reprit :
- Fort bien, Beth. Loin de moi l'idée de vous faire changer d'avis. Déja que je m'y refuse sur les sujets importants, vous pensez bien que je ne m'y risquerai pas pour une question de mondanités.
Chapitre 37
Tremaine posa l'hélicoptère de l'armée sur le pré.
quand la rotation de l'hélice ralentit, ils aperçurent la berline stationnée a la lisière du bois. Ils débouclèrent leurs ceintures de sécurité, descendirent et, baissant le torse en passant sous les pales, se dirigèrent vers la voiture. Rayfield s'assit devant, Tremaine derrière.
- Content que vous ayez pu venir, dit l'homme assis sur le siège du conducteur, en se tournant face a Rayfield.
- qu'est-ce qui vous est arrivé ? demanda le militaire en voyant son visage meurtri.
L'homme avait trois contusions violacées, virant au jaune vers le milieu, l'une sous l'úil droit, les deux autres a la base du cou.
- Fiske, répondit-il.
- Fiske ? Il est mort.
- Son frère, John. Il m'a surpris dans l'appartement de Michael.
- Il vous a reconnu ?
- Je portais une cagoule.
- qu'est-ce qu'il fabriquait dans l'appartement de son frangin ?
- La mame chose que moi. Il cherchait des indices pour aider les flics.
- Et il a trouvé ?
- Il n'y avait rien a trouver. On avait déja l'ordinateur de Fiske. (Il s'adressa a Tremaine :) Et vous avez retiré son attaché-case de la voiture avant de le tuer, exact ? (Tremaine acquiesça.) qu'est-ce que vous en avez fait ?
- Un tas de cendres.
- Bien.
- Son frère pose un problème ? voulut savoir Rayfield.
- Possible. C'est un ancien flic. Il fouine avec une des greffières. Il aide l'inspecteur dans les enquates sur les meurtres.
Rayfield sursauta.
- Les meurtres ? Il y en a eu un autre ?
- Steven Wright.
- qu'est-ce que c'est que ce bordel ? s'écria Rayfield.
- Wright a vu quelqu'un sortir du bureau de Michael Fiske. Et il a entendu quelque chose qu'il n'aurait pas d˚ entendre. Il était capable de l'ouvrir, alors je l'ai entraané dehors sous un prétexte quelconque et je l'ai éliminé. On est parés de ce côté-la.
- Vous ates timbré ? On est en plein délire !
s'emporta Rayfield.
L'homme se pencha vers Tremaine.
- Oh, Vic, dites a votre supérieur de garder son calme. Je crois que le Vietnam a émoussé vos nerfs, Frank. Vous n'ates plus le mame.
- quatre meurtres, et vous voulez que je reste calme ? avec Harms et son frère dans la nature ?
- Deux futurs cadavres. Les deux plus importants.
Vous comprenez ça, Vic, n'est-ce pas ?
- Oui, répondit Tremaine.
L'homme posa un regard glacial sur Rayfield, qui ravala sa salive.
- Je suppose qu'on ne peut pas revenir en arrière.
- Vous commencez enfin a piger.
- Pour John Fiske et cette greffÔère... qu'est-ce que vous comptez faire ? Si Fiske s'est mis en tate de découvrir l'assassin de son frangin, il peut constituer un problème.
- Il constitue déja un problème. Je les tiens en laisse, tous les deux. En attendant de prendre une décision les concernant.
- Ce qui signifie ?
- Ce qui signifie qu'on pourrait bien avoir quatre futurs cadavres au lieu de deux.
Sara était assise dans son nouveau bureau. L'ancien, celui qu'elle partageait avec Wright, avait été déclaré
zone interdite par Chandler, qui avait cependant autorisé le personnel a déménager les affaires de Sara, ordinateur et dossiers, dans le nouveau local. Elle avait emporté la liste des prisons d'…tat que lui avait confiée John Fiske et les appelait toutes, les unes après les autres, au téléphone. au bout d'une demi-heure, elle renonça, découragée. aucune n'hébergeait un détenu du nom de Harms. Elle essaya de se remémorer un mot ou une phrase susceptibles de lui fournir une précision.
Rien a faire. Elle n'avait eu qu'un aperçu furtif de ces documents. Elle abandonna et se leva.
Ce fut alors qu'elle vit le mémo. Dans la précipitation du déménagement, elle ne l'avait pas remarqué. C'était le mémo " Chance ", celui que Wright devait finir co˚te que co˚te la nuit précédente. Une note y était attachée, demandant a Sara de le relire.
Elle se rassit, s'accouda au bureau et enfin posa la tate sur ses bras, a bout de nerfs. Et s'il y avait vraiment un psychopathe en liberté qui s'amusait a faire des cartons sur les greffiers ? Choisissait-il ses cibles au hasard ?
aurait-elle pu atre tuée a la place de Wright ? Elle frémit. Son sang se glaça. Calme-toi, ma petite, reprends-toi. agis ! Elle s'arma de courage et sortit.
Une minute plus tard, elle entrait au greffe. Elle avait une question a poser a son collègue chargé de gérer les données informatiques. Elle l'avait déja interrogé a ce sujet mais voulait en avoir le cúur net.
- Tu pourrais vérifier si on a un dossier au nom de Harms?
Le greffier acquiesça et se mit a tapoter sur son clavier. Il secoua la tate.
- Je ne trouve rien. Il a été enregistré quand ?
- Récemment. Il y a quinze jours au plus.
- Je suis remonté six mois en arrière, et il n'y a rien.
Tu ne m'as pas déja posé la question ?
avant que Sara ait pu répondre, une autre voix parla :
- Harms, tu dis ?
Elle regarda l'autre greffier.
- Oui, Harms, c'est bien ça.
- Bizarre...
- Pourquoi ?
- J'ai reçu un coup de fil d'un type, ce matin, a propos d'une demande a ce nom. Je lui ai dit qu'on n'avait rien.
- Harms ? Tu es s˚r ? (Le greffier confirma.) Et le prénom ? dit-elle en s'efforçant de masquer son émotion.
Il réfléchit.
- «a ne commençait pas par un R ? hasarda Sara.
Il fit claquer ses doigts.
- Tout juste. Rufus. Rufus Harms. S˚rement un péquenot.
- Tu sais qui était le type qui appelait ?
- Non. Il était furibard.
- Tu te souviens d'autre chose ?
Le greffier médita un moment.
- attends... Il a employé un mot qui m'a marqué. Il a dit que le gars pourrissait au " gnouf ". Voila, c'est ça.
La jeune femme écarquilla les yeux et, soudain, tourna les talons.
- De quoi s'agit-il, Sara ? C'est en rapport avec les meurtres ? demanda le greffier.
Elle sortit en coup de vent, sans répondre. Le greffier hésita un instant, puis regarda autour de lui pour s'assurer que personne ne l'observait. alors il décrocha le téléphone, composa un numéro et parla a voix basse.
Sara grimpa les marches deux a deux. Il existait une énorme lacune dans la liste de Fiske. Il n'avait pas pensé
aux prisons militaires. C'était le mot " gnouf " qui lui avait mis la puce a l'oreille. Les civils l'employaient rarement, mais elle savait - par ses longues conversa-
tions avec son oncle préféré, un ancien brigadier général en retraite - que c'était un terme courant dans l'argot de la troupe. Dès qu'elle fut dans son bureau, elle bondit sur son annuaire professionnel et appela le service de la Police militaire, s˚re de son intuition : Rufus Harms était détenu dans une prison de l'armée des …tats-Unis.
Elle fut mise en communication avec le sergent-chef Dillard, le préposé de service.
- Je n'ai pas son numéro de matricule, mais je crois savoir qu'il est incarcéré dans un établissement militaire a moins de six cents kilomètres de Washington, dit-elle.
- Je ne peux pas vous donner cette information. Il y a une procédure, vous devez envoyer une demande par écrit au chef des opérations qui, a son tour, enverra votre demande au service des relations publiques. C'est eux qui décideront, en dernier recours, de donner suite ou non a votre requate.
- L'ennui, c'est que j'ai besoin de ce renseignement tout de suite.
- Vous ates journaliste ?
- Non. Cour suprame des …tats-Unis.
- Oh, oh. qu'est-ce qui me le prouve ?
Sara réfléchit.
- Cherchez le numéro de la Cour suprame dans l'annuaire. appelez et demandez a me parler. Mon nom est Sara Evans.
Dillard semblait sceptique.
- Ce n'est pas très réglementaire.
- Je vous en prie, sergent, c'est d'une extrame importance.
Silence, puis :
- Bon. Donnez-moi quelques minutes.
après cinq minutes interminables, Sara fut a nouveau mise en communication avec le sergent Dillard par l'intermédiaire du standard de la Cour.
- Vous savez, sergent, reprit-elle, j'ai déja obtenu des renseignements sur des prisonniers militaires de la part de vos services sans avoir besoin de toutes ces vérifications.
- C'est possible, mais il y a des règles de sécurité.
On ne transmet pas les informations a la légère.
- Je veux simplement savoir oa se trouve Rufus Harms.
- Il me serait plus facile de vous répondre si vous m'interrogiez sur un autre prisonnier.
- Je ne comprends pas. Rufus Harms a quelque chose de particulier ?
- Vous n'avez pas lu les journaux ?
- Pas aujourd'hui, non. Pourquoi ?
- Ce n'est peut-atre pas une grande nouvelle, mais les gens ont le droit de savoir. Pour leur sécurité...
- Savoir quoi ?
- que Rufus Harms s'est évadé.
Dillard la mit au courant des événements en quelques phrases.
- Oa était-il incarcéré ?
- a Fort Jackson.
- Oa est-ce ?
Il le lui indiqua. Elle nota les coordonnées.
- Maintenant, a moi de vous poser une question, mademoiselle Evans. Pourquoi la Cour suprame s'intéresse-t-elle a Rufus Harms ?
- Il veut faire appel.
- quel genre d'appel ?
- Désolée, sergent, je ne peux pas vous en dire plus.
Moi aussi, j'ai des règles a respecter.
- D'accord. Mais, si je peux vous donner un conseil, a votre place je laisserais tomber cet appel. Les tribunaux ne jugent pas les plaintes des morts.
- Eh bien, si, figurez-vous, ça arrive. Pourquoi a-t-il été condamné, exactement ?
- Il faut consulter son livret militaire...
- Comment puis-je l'obtenir ?
- Vous ates juriste, non ?
- Oui, mais je ne travaille pas souvent avec l'armée.
Elle l'entendit marmonner quelque chose, puis :
- Depuis qu'il est prisonnier, Rufus Harms n'est plus techniquement membre de l'armée des …tats-Unis.
Sa condamnation a d˚ normalement s'accompagner d'une radiation pour mauvaise conduite et son livret militaire a d˚ atre transmis aux annales personnelles de Saint Louis. C'est la qu'on garde les dossiers. Ce n'est pas informatisé. Comme Harms a été condamné il y a vingt-cinq ans environ, son livret doit atre sur micro-film, bien que le service soit un petit peu en retard dans ce domaine. Si vous voulez obtenir le livret de Harms, il vous faudra une commission rogatoire.
Sara nota tous les renseignements.
- Merci encore, sergent, vous m'avez été très utile.
Elle avait un logiciel géographique sur son ordinateur. ¿ l'aide de sa souris, elle releva la distance qui séparait Washington de Fort Jackson. " Presque exactement six cents kilomètres ", se dit-elle.
Elle monta a la bibliothèque du troisième étage et se brancha sur Internet. Pour des raisons de sécurité
évidentes, les ordinateurs des greffiers n'étaient pas reliés a l'extérieur, mais ceux de la bibliothèque étaient équipés d'un modem. Elle tapa le nom Rufus Harms et contempla les lambris sculptés de la salle en attendant que l'écran crache sa neige technologique.
quelques minutes plus tard, elle avait devant les yeux les toutes dernières dépaches sur Rufus Harms et son frère. Elle imprima le tout. L'un des articles comportait une citation d'un rédacteur de presse de la ville natale de Harms. Elle trouva son numéro sur un annuaire Internet.
Il vivait toujours dans la mame bourgade, près de Mobile, en alabama, oa les deux frères avaient grandi.
Elle obtint une réponse après trois sonneries du téléphone. Elle se présenta a l'homme, George Barker, toujours rédacteur en chef du journal local.
- J'ai déja parlé de tout ça a la presse, dit-il.
Son accent sudiste a couper au couteau évoquait pour Sara les croisades racistes, le goudron et les plumes.
- J'aimerais que vous répondiez a quelques questions, c'est tout.
- Vous travaillez pour qui ?
- Une agence de presse indépendante. Je suis a la pige.
- Mouais, qu'est-ce que vous voulez savoir au juste ?
- J'ai lu que Rufus Harms avait été condamné pour le meurtre d'une petite fille dans la base oa il était en garnison. (Elle consulta les comptes rendus qu'elle venait d'imprimer.) Fort Plessy, près de Savannah, en Géorgie.
- Le meurtre d'une petite Blanche. C'est un Noir, vous savez.
- Oui, je sais, dit Sara, sans commentaire.
Connaissez-vous le nom de l'avocat qui l'a représenté
au procès ?
- Y a pas vraiment eu de procès. Il a plaidé
coupable. J'ai couvert l'affaire, parce que Rufus était d'ici.
- Donc vous connaissez le nom de son avocat ?
- Faut que je regarde. Donnez-moi votre numéro et je vous rappellerai.
Sara lui donna le numéro de son domicile.
- Si je n'étais pas la, indiquez-le simplement sur mon répondeur. que pouvez-vous me dire d'autre sur Rufus et son frère ?
- Bof, le seul signe particulier de Rufus était sa taille. ¿ quatorze ans, il devait déja approcher le mètre quatre-vingt-dix. Et pas le genre dégingandé. Il avait déja un corps d'homme.
- Bon élève ? Mauvais ? Des problèmes avec la police ?
- Bon élève, s˚rement pas. Je crois qu'il n'a jamais dépassé l'école primaire, mais il était très habile de ses mains. Il travaillait dans une petite imprimerie avec son père. Son frère aussi. Tenez, je me rappelle, une fois, la rotative de mon journal est tombée en panne. Ils ont envoyé Rufus la réparer. Il devait avoir seize ans a tout casser. Je lui ai donné le manuel de la machine, mais il n'en a pas voulu. " Les mots, c'est pas trop mon truc, m'sieur Barker ", il m'a dit. quelque chose comme ça.
Je l'ai laissé faire et, moins d'une heure après, la vieille rotative tournait comme une neuve.
- Impressionnant.
- Et il a jamais eu d'ennuis avec la police. Sa mère le surveillait de près. C'est une petite ville ici, vous comprenez, on a jamais eu plus de mille ‚mes et ça diminue d'année en année. Je vais sur mes quatre-vingts ans, voyez, et c'est toujours moi qui dirige le canard. Y a pas plus ancien que moi ici. Les Harms vivaient dans le quartier noir, pour s˚r, mais on les connaissait quand mame. Je n'ai jamais invité un Noir chez moi, attention, mais ils avaient l'air de braves gens. Elle travaillait a la conserverie, comme presque tout le monde. Femme de ménage, elle était. Elle devait pas rouler sur l'or, mais elle élevait bien ses garçons.
- Et leur père ?
- Un type réglo. Il buvait pas, il faisait pas le zouave comme tant d'autres de sa race. Il travaillait dur.
Trop dur. Un matin, il s'est pas réveillé. Crise cardiaque.
- Vous avez une sacrée mémoire.
- J'ai rédigé son avis mortuaire.
- Et le frère?
- ah, Josh, c'est une autre paire de manches. Il était ce qu'on appelle ici un mauvais Noir. Tate br˚lée, arro-gant, il se prenait pour quelqu'un. attention, j'ai pas de préjugés et je ne tolère pas qu'on emploie le mot n... en ma présence mais, si je devais l'employer moi-mame, je l'appliquerais a Josh Harms. Un bagarreur.
- J'avais cru comprendre que c'était un héros du Vietnam.
- Oui, c'est vrai aussi, concéda Barker. Il a été le soldat le plus décoré de la région, et de loin, faut reconnaatre. «a a surpris tout le monde, d'ailleurs. Mais, je vous l'ai dit, c'était un bagarreur. Pour ce qui est de se battre, ça, évidemment, il savait.
- quoi d'autre ?
- Il a réussi son lycée. Il a eu son diplôme. (La voix de Barker changea.) Mais oa il épatait vraiment tout le monde, c'était en sport. C'est moi qui fais tout au journal, mame la rubrique sportive. Harms était l'athlète le plus formidable que j'aie jamais rencontré, blanc, noir, vert ou violet. Ce môme courait plus vite, sautait plus haut, lançait plus loin que n'importe qui. Bon, je sais qu'ils ont ça dans le sang, c'est connu, mais Josh était vraiment un phénomène. Il s'est illustré dans tous les sports imaginables. Rendez-vous compte qu'il détient encore une demi-douzaine de records régionaux.
Et pourtant, ajouta-t-il fièrement, laissez-moi vous dire qu'il y a toujours eu de fameux champions en alabama.
Sara soupira.
- Il a joué au niveau universitaire ?
- quelques équipes de football et de basket lui ont fait des offres. Bear Bryant voulait signer avec lui, c'est pour dire. Oh, ce gars-la aurait pu devenir une vedette de la NBa ou de la NFL. Mais il a été mis sur la touche.
- De quelle manière ?
- Eh, vous savez bien. Son gouvernement lui a demandé de défendre son pays dans la guerre contre le communisme.
- En d'autres termes, il a été mobilisé et expédié au Vietnam.
- Tout juste.
- Il est revenu chez lui après ?
- Oh ! oui, sa mère vivait encore. Plus pour longtemps. Et c'est vers cette époque que les ennuis ont commencé pour Rufus. Je vais vous dire, je crois que Rufus s'est engagé a cause de Josh. Il voulait faire comme son grand frère, voyez, devenir un héros. Disons qu'il avait envie de faire quelque chose de bien, pour changer. après la mort de son vieux, il n'y avait plus rien qui le retenait dans cette ville. Seulement, ça a mal fini. Josh est venu me trouver, d'ailleurs, histoire de voir si je pouvais faire quelque chose. Le pouvoir de la presse, vous savez. Mais, bon, qu'est-ce que vous voulez, c'est comme ça, y avait rien a faire.
- Est-ce que son acte vous a surpris ? Je veux dire : était-il violent ?
- ¿ ma connaissance, il avait jamais fait de mal a une mouche. Un gentil géant. quand j'ai appris qu'il avait tué la petite, j'en ai pas cru mes oreilles. Josh, ça m'aurait pas étonné, mais Rufus, jamais de la vie. Enfin, bon, les preuves étaient la.
- Josh est resté vivre en ville ?
- ah, la, vous abordez un épisode un peu ganant de l'histoire de la région.
- Comment ça ?
- Je préfère ne pas le dire.
Sara essaya de réagir en journaliste.
- Je ne m'en servirai pas dans mon article.
- S˚r ? fit Barker, méfiant.
- Promis. «a reste entre nous.
- a tout hasard, je vous préviens que j'ai enregistré
ce que vous venez de dire. Si je lis une seule allusion a ce que je vais vous raconter dans un journal, je vous attaque en justice et votre canard devra cracher au bassinet. Je suis journaliste, je sais comment ça marche.
- Monsieur Barker, je vous promets de ne pas utiliser dans un article ce que vous allez me dire.
- C'est bon. De toute façon, l'eau a coulé sous les ponts, y a prescription. Légalement, je veux dire. Mais on est jamais trop prudent. (Il se racla la gorge.) Eh bien, la nouvelle du meurtre s'est vite répandue dans la ville, c'était inévitable. Une bande de jeunes qui avaient un peu bu ont décidé de sévir. Ils pouvaient rien faire contre Rufus, vu qu'il était sous la garde de l'armée des
…tats-Unis, mais ils pouvaient s'en prendre aux autres Harms.
- qu'est-ce qu'ils ont fait ?
- Ce qu'ils ont fait ? Ils ont mis le feu a la maison de Mme Harms.
- Mon Dieu ! Elle était a l'intérieur ?
- Oui. Jusqu'a ce que Josh vienne la sortir. Et ce qui s'est passé, c'est que Josh leur a couru après. Ils se sont castagnés dans les rues. J'ai tout vu de mon bureau. Oh, ils étaient bien a dix contre un, mais Josh en a envoyé la moitié a l'hôpital. Et puis l'autre moitié lui est tombée dessus. Ils l'ont tabassé. Mais méchamment. Une horreur. J'avais jamais vu une chose pareille, et j'espère que je reverrai jamais ça.
- «a ressemble a une ratonnade. La police est intervenue ?
Barker toussota, gané.
- C'est-a-dire... D'après la rumeur, il semblerait que deux ou trois des gars qui ont participé, enfin, qui ont mis le feu a la maison...
- ... étaient de la police, acheva Sara. (Barker ne dit rien.) J'espère que Josh a porté plainte et que la ville a payé cher.
- Euh, en fait, c'est eux qui ont porté plainte. Ceux qui se sont retrouvés a l'hôpital. Josh pouvait rien prouver pour l'incendie. C'étaient que des suppositions. Et la police l'a fait inculper de rébellion contre les forces de l'ordre. C'était la parole de dix Blancs contre celle d'un Noir. Bref, il a fait un peu de prison, et a sa sortie il a plié bagage avec sa mère et tout ce que sa famille possédait, c'est-a-dire pas beaucoup. Elle est morte peu après. Je pense qu'elle a pas supporté de voir ce qui était arrivé a ses deux fils.
Sara était scandalisée. Elle dut se contenir pour ne pas crier.
- Monsieur Barker, c'est l'histoire la plus révol-tante que j'aie jamais entendue. Je ne sais pas grand-chose sur votre ville, mais je sais que je ne voudrais pas que quelqu'un que j'aime y habite.
- Y a des bons côtés.
- ah oui ? Votre façon de fater le retour d'un soldat couvert de médailles, par exemple ?
- Je vous l'accorde, c'était pas joli joli. C'est ce que je me suis dit aussi. quand on va donner son sang pour son pays et qu'on se fait recevoir comme ça en rentrant, on doit se demander pourquoi on s'est battu.
- Puisque vous saviez la vérité, pourquoi n'avez-vous pas utilisé le pouvoir de la presse, cette fois-ci ?
Barker poussa un soupir.
- Je suis né ici, mademoiselle Evans. C'est pas facile de bousculer les autorités en place, mame si elles le méritent. Maintenant, je vous dirai pas que je suis un grand ami des Noirs, parce que je le suis pas. Et je vous mentirais en prétendant que j'ai soutenu la cause de Josh Harms parce que, franchement, c'est pas le cas.
- J'imagine que c'est en partie pour ça qu'on a inventé les tribunaux : pour empacher des gens comme vos concitoyens de maltraiter des gens comme Josh Harms. S'il vous plaat, rappelez-moi quand vous aurez retrouvé le nom de l'avocat.
La jeune femme raccrocha. Ce qu'elle venait d'entendre l'avait tellement bouleversée qu'elle en tremblait encore. Mais combien de Noirs avait-elle connus en Caroline, hormis les mendiants qu'elle voyait au bord des routes ou les ouvriers saisonniers que son père engageait a la journée ? Elle les observait de loin, suant sous le mince tissu de leurs chemises, luisant comme l'ébène sous la morsure du soleil. avec sa mère, elle leur apportait un casse-cro˚te et de la limonade. Ils marmonnaient un remerciement sans jamais croiser son regard, mangeaient et repartaient trimer dans leur nuit.
L'école de Sara était exclusivement blanche, malgré
toutes les requates auprès de la Cour suprame demandant la mixité. Ces affaires étaient les champs de bataille du vingtième siècle pour l'égalité raciale, en lieu et place des antietam, Gettysburg et Chickamauga du siècle dernier - et tout aussi vains, prétendaient certains. aujourd'hui, a la Cour, il y avait un seul et unique juge noir, qui occupait le siège dit Thurgood Marshall ', et un seul greffier noir sur trente-six. La plupart des juges n'avaient jamais eu de greffier issu d'une minorité ethnique. quel genre de message était-ce, de la part de la plus haute instance judiciaire du pays ?
En se h‚tant d'aller retrouver John, Sara se demandait s'ils découvriraient la vérité. Si l'armée mettait la main sur les frères Harms avant tout le monde, la vérité
risquait fort de mourir avec eux.
1. Célèbre magistrat noir, mort en 1993. (N.d.T.) Chapitre 38
John Fiske attendait devant le bureau de son frère pendant que Chandler supervisait l'équipe technique de l'identité, qui úuvrait sous l'étroite surveillance du représentant de la Cour. Toutefois, avec la mort de deux greffiers, la confidentialité était passée au second plan.
La priorité allait désormais a la recherche du ou des tueurs. quand ils en auraient fini avec le cabinet de Michael, le policier et son aide bénévole iraient s'occuper de celui de Steven Wright.
John examina les deux pièces tour a tour. Une idée germait dans son esprit. Il alla consulter Chandler.
- ¿ quel endroit exactement a-t-on retrouvé le corps de Wright ?
L'inspecteur ouvrit son calepin et se mit a le feuilleter.
- a propos, dit-il, j'ai fait sortir votre voiture de la fourrière. Elle est garée devant mon bureau, dans un joli emplacement autorisé.
- Merci. C'est sympa.
- Ne me remerciez pas trop vite. avec l'amende, ça vous co˚tera dans les deux cents dollars.
- Hein ? Je n'ai pas autant de fric sur moi. Deux cents dollars pour un stationnement interdit ?
- Eh, tout augmente. Maintenant, je peux peut-atre tirer quelques ficelles, voir si je peux vous faire une fleur. Mais il faudra payer de votre personne. J'ai de petits travaux de peinture a faire chez moi... (Il se fendit d'un sourire et cessa de feuilleter ses notes.) ah, nous y voila. Steven Wright habitait tout près de la station de métro Eastern Market. On a retrouvé son corps dans Garfield Park. C'est entre la 2e Rue et la rue F. ¿ un petit kilomètre du Palais.
- Il venait au boulot comment, d'habitude ?
- ¿ pied ou en taxi, d'après les témoignages. quelquefois en métro.
- Garfield Park est sur son chemin ?
Chandler inclina la tate en étudiant ses notes.
- Pas vraiment. Normalement, il aurait d˚ prendre a gauche dans la rue E pour rentrer chez lui. Il n'aurait pas continué jusqu'au parc.
- Il avait un chien ? Il l'a peut-atre emmené pisser après atre rentré.
- Il avait un chien, mais il n'est pas retourné chez lui. Du moins, c'est ce qu'on croit. Et, de toute façon, s'il avait voulu promener son chien, Marion Park est beaucoup plus proche de son domicile.
- Bizarre.
Chandler plissa les yeux. Il gambergeait.
- Maintenant que j'y pense, Marion Park a quelque chose que Garfield n'a pas.
- quoi ?
- Un poste de police de l'autre côté de la rue.
- Le tueur devait le savoir.
- Le poste de police n'est pas spécialement discret.
On tient a se faire voir, au contraire. La peur du gendarme, vous connaissez ?
- ¿ première vue, il a été tué dans le parc ou déposé
la après coup ?
- Il y avait du sang sur l'herbe. Pas de douilles. On n'en a pas encore trouvé, en tout cas. Le tireur a d˚ se servir d'un silencieux, ce qui ne cadre pas tellement avec la thèse de l'agression spontanée. Je vois mal un loubard se balader avec un silencieux. S'il a tiré avec un semi-automatique, on devrait retrouver une douille. a moins qu'il l'ait ramassée.
- La balle était restée dans le corps ?
- Ouaip. J'espère qu'on mettra la main sur un flingue qui correspond.
- Vu ce qui s'est passé dans l'appartement de Michael, vous auriez intérat a poster quelqu'un devant chez Wright.
- Oh, ça alors, c'est une idée. Je n'y aurais jamais pensé.
- Excusez-moi. On sait a quelle heure Wright a quitté le Palais, hier soir ?
- On se renseigne. après les heures ouvrables, il n'y a qu'une porte possible, avec un planton en permanence. Elle ferme a 2 heures du mat'. après, il faut s'adresser a un gardien pour sortir. On peut aussi passer par le garage, mais il est également sous surveillance.
De toute façon, Wright ne possédait pas de voiture, ce qui élimine cette hypothèse.
- alors quelqu'un a d˚ le voir sortir.
- Mes gars interrogent les gardiens de service hier soir.
- Il y a des caméras de surveillance, ici ?
- Dans la salle d'audience, vous voulez dire ?
demanda Chandler en souriant. La réponse est oui, mais pas partout, et malheureusement pas de ce côté du hall.
On vérifie tout de mame les bandes vidéo, a tout hasard.
(Il consulta de nouveau ses notes.) a cette heure de la nuit, a part un greffier faisant des heures sup', il n'y a plus aucune activité a cet étage.
- Vous avez découvert quelque chose dans le passé
de Wright ? questionna John.
- que dalle. Pas de squelette dans ses placards. Il va falloir se creuser pour trouver un mobile.
- Son portefeuille a disparu.
- La ficelle est un peu grosse.
- Comme si on voulait nous faire croire que les deux meurtres sont liés ?
- Vous savez, opina Chandler, ça peut très bien atre un cinglé qui veut régler un compte avec la Cour, en définitive.
- En fait, je crois que les deux meurtres sont effectivement liés, mais pas pour les raisons qu'on pense.
- Expliquez-vous.
- Si Mike a été tué pour une raison particulière qu'on veut nous empacher de découvrir, le meurtre d'un autre greffier pourrait atre un excellent moyen pour nous égarer sur une fausse piste, en cherchant une corrélation la oa il n'y en a pas.
Chandler demeura songeur.
- Pour comprendre ce qui pousserait l'assassin de votre frère a essayer de maquiller son crime, il nous reste donc a découvrir son vrai mobile.
John hésita. Il devenait problématique de maintenir le secret autour du vol de la requate.
- Je ne sais pas, dit-il, mais j'ai peut-atre une idée en ce qui concerne le meurtre de Wright.
- Ce ne serait pas seulement pour brouiller la piste ?
- Disons que sa mort faisait d'une pierre deux coups.
Sara les rejoignit a cet instant, tout excitée.
- John, je peux vous parler une minute ?
- Mademoiselle Evans ! s'exclama Chandler en souriant jusqu'aux oreilles. J'espère que votre voyage a Richmond s'est déroulé sans anicroche.
- Disons que c'était différent, répondit-elle évasi-vement. John, il faut vraiment que je vous parle.
- Je vous revois plus tard, Buford ?
- Ouais, et vous pourrez m'exposer votre théorie.
Comme ils s'éloignaient ensemble, le sourire de Chandler s'effaça. Il se demandait si Sara Evans n'était pas en train de lui piquer son équipier officieux.
quelques minutes après que Sara eut quitté son bureau, le juge Knight passa la voir. Elle s'appratait a laisser un message quand elle aperçut le mémo
" Chance " avec la note de Steven Wright. Elle s'assit sur la chaise de Sara et en lut le texte. quand elle eut fini, un affreux remords la saisit. C'était elle qui avait exigé que Wright fasse des heures supplémentaires, toute la nuit si nécessaire. Il avait obéi, en quittant le Palais après tout le monde, et s'était fait tuer. Pour son précieux mémo. Elle n'avait jamais considéré les événements sous cet angle. Elle eut un haut-le-cúur et sortit précipitamment.
Une minute plus tard, ses greffiers la virent passer comme une flèche et s'enfermer dans son bureau. La, elle se plongea dans ses pensées, a contempler la cheminée éteinte. C'était dans cette pièce que s'étaient élaborées ses petites stratégies, sa philosophie de l'existence. Et cela avait co˚té la vie d'un jeune homme. Elle jeta au loin ses chaussures et, effondrée, se mit a pleurer.
Chapitre 39
De retour dans son bureau, Sara raconta a John ce qu'elle avait découvert. Son récit dura une bonne demi-heure. Tous deux siégeaient face a face.
- quand Barker m'aura donné le nom de l'avocat, on commencera enfin a y voir plus clair. On pourra au moins s'appuyer sur une base solide.
- Ce serait bien.
- Vous croyez que Michael est allé voir Harms en prison ?
- Si le type ne s'était pas évadé, il suffirait de le lui demander.
Sara eut soudain une idée effrayante.
- Vous ne pensez tout de mame pas que Michael est malé a cette évasion ?
- Mon frère n'aurait jamais praté la main a une action illégale.
- Sans le vouloir, je veux dire.
- D'après les comptes rendus de presse, Harms s'est fait la belle après la découverte du corps de Mike.
Mais ça m'étonnerait qu'il s'agisse d'une simple coÔncidence.
- ah ? Vous avez une idée lumineuse ?
- Je crois savoir pourquoi Steven Wright a été tué.
- Pourquoi ? Parce qu'il était au courant pour Harms ? Il savait ce que Michael avait fait ?
- Non, il a été assassiné parce qu'il a vu quelque chose qu'il n'aurait pas d˚ voir.
Elle rapprocha sa chaise.
- que voulez-vous dire ?
- Le bureau de Wright - votre ancien bureau - est tout proche de celui de Mike. Wright était censé
travailler toute la nuit.
- Exact. Parce que je le lui ai demandé.
- Parce que Elizabeth Knight vous a demandé de le lui demander. Nuance. On a retrouvé son corps dans un parc qui n'était pas sur son chemin. Chandler m'a dit qu'il avait été tué entre minuit et 2 heures. S'il a travaillé
toute la nuit ici, que faisait-il dans ce parc ?
- Vous pensez que quelqu'un l'a entraané la-bas pour l'assassiner?
- Plutôt que quelqu'un est venu le chercher ici pour l'entraaner dans le parc et le tuer.
- Vous sous-entendez que le tueur était a l'intérieur du Palais ?
John acquiesça :
- Je ne dis pas qu'il travaille a la Cour, mais sans doute était-il physiquement présent ici hier soir.
- qu'est-ce que Steven aurait pu voir ?
- quelqu'un. Il a vu quelqu'un entrer dans le bureau de Mike. Hier, il a entendu Chandler dire a la cantonade que l'accès au bureau était interdit a tout le monde, sans exception. Or le visiteur ne savait probablement pas que Wright se trouvait dans le bureau contigu. Je présume que vous ne faites pas une annonce radio quand vous travaillez plus tard que d'habitude.
- En général, nous ne le savons nous-mames qu'a la dernière minute.
- Donc, quelqu'un s'introduit dans le bureau de Mike pour chercher quelque chose.
- quoi, par exemple ?
- Je ne sais pas, des copies du document que Mike avait subtilisé, des messages téléphoniques, des notes sur son ordinateur...
- Mais c'est un risque énorme. Il y a une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre ici.
- D'accord. Seulement, si le type savait que la police devait fouiller le bureau le lendemain, il ne lui restait plus beaucoup de temps pour agir.
- «a se tient.
- Wright entend quelque chose, ou il a tout simplement terminé son mémo, et il sort. Il tombe sur le visiteur.
- attendez. Si je vous suis bien, vous pensez que Steven connaissait son assassin ?
John se carra sur sa chaise.
- Vous me suivez bien. «a me semble évident, sans quoi il aurait donné l'alarme tout de suite. Et autre chose : j'ai vu Perkins fermer le bureau de Mike a clé.
Or il n'y a aucune trace d'effraction. L'intrus possédait une clé.
- alors, quelqu'un a d˚ voir quelque chose.
- Pas nécessairement. Si le tueur connaat bien les lieux, il devait savoir comment sortir avec Wright sans se faire repérer.
- Donc, quelqu'un dont Steven ne se méfiait pas.
- L'un des juges, par exemple ? dit-il en la regardant dans les yeux.
- ah non, ça non, hors de question ! protesta-t-elle.
Je veux bien tout envisager, mais pas ça... Et si c'était McKenna ? «a colle. Steven lui aurait fait confiance.
Un agent du FBI !
- Pourquoi McKenna ?
- Eh bien, parce que... Je ne sais pas. C'est le premier qui m'est venu a l'esprit.
- Parce qu'il ne travaille pas a la Cour et qu'il m'a envoyé un direct a l'estomac ?
La jeune femme soupira.
- Probablement, reconnut-elle.
Puis elle se rappela quelque chose et se mit a fourrager dans les paperasses qui jonchaient sa table de travail.
- Voila, dit-elle quand elle eut trouvé. Je peux vous dire a quelle heure Steven est parti.
Elle lui montra le mémo que Wright lui avait laissé.
En haut de la première page figuraient une date et une heure.
- Le traitement de texte indique automatiquement la date et l'heure sur les documents. Vu le nombre de feuillets qu'on manipule, ça nous permet de faire le tri plus facilement.
John examina la page.
- Ce texte a été imprimé a 1 heure 15, ce matin, dit-il.
- Exact. Steven a terminé son mémo, l'a déposé sur mon bureau, il est sorti...
- Et il a vu ce qu'il a vu.
Sara réfléchit.
- Pas si vite, fit-elle. Il y a un truc qui cloche. En principe, quand un greffier travaille tard, il se fait raccompagner chez lui par l'un des policiers de la Cour.
Les flics sont assez sympa avec nous, je dois dire.
- Et, a 1 heure et quart, il n'y a plus de métro, exact ?
- Exact, Et puis, Steven habite tout près d'ici. Il s'est déja fait raccompagner plus d'une fois.
- Donc, il y a de bonnes chances que ce soit quelqu'un de la Cour qui ait reconduit Wright chez lui ?
- a 1 heure et quart du matin, je dirais quatre chances sur cinq.
- Pourquoi pas un taxi ? En pleine nuit, les gardiens avaient peut-atre autre chose a faire.
- Oui, bien s˚r, c'est possible aussi, admit-elle, dubitative.
- Si c'est un policier qui l'a reconduit, ce ne sera pas difficile a vérifier. J'en parlerai a Chandler.
- Et maintenant ? La suite du programme ?
John haussa les épaules.
- Il nous faut le livret de Harms. L'un de mes vieux copains travaille dans les tribunaux militaires. Je vais l'appeler pour voir s'il peut accélérer la procédure. Tant qu'on ne saura pas qui est impliqué dans cette histoire, évitons de faire des vagues. On joue en sourdine, d'accord ?
Sara frissonna.
- Vous savez quoi ? dit-elle. Je commence a avoir peur de découvrir la vérité.
Chapitre 40
Sara retourna a son travail et John téléphona a son ami Phil Jansen, avocat auprès du tribunal militaire.
Entre autres choses, il lui demanda de se procurer une liste des personnes en garnison a Fort Plessy a l'époque oa Rufus Harms s'y trouvait.
quand John rejoignit Chandler, il lui confia son hypothèse sur les raisons du meurtre de Wright. Le policier se montra impressionné.
- On va aussi interroger les compagnies de taxis. Il nous reste a espérer que quelqu'un aura vu ou entendu quelque chose. Bon, a part ça, est-ce que votre escapade avec Mlle Evans, la nuit dernière, vous a appris quelque chose ?
- C'est une fille bien. Un peu impulsive, mais bien.
Très futée.
- quoi d'autre ? Ramsey a laissé entendre qu'elle était proche de votre frère. Elle a une idée sur un éventuel mobile ?
- Demandez-le-lui.
- Ouais, mais, je vous le demande a vous, John. Je croyais qu'on faisait équipe. J'ai déja assez de problèmes comme ça avec cette affaire, sans atre obligé
en plus de surveiller mes arrières.
- Je n'ai jamais laissé tomber un équipier, protesta John.
- Ravi de l'entendre. alors dites-moi tout.
John détourna les yeux. «a se corsait. Il marchait sur des úufs. Ce n'était pas en dissimulant des informations qu'il ferait avancer les choses. Mais comment tout avouer a Chandler sans nuire a Sara et sans détruire la réputation de son frère ?
- Il y a un endroit oa on peut boire un café par ici ?
- ¿ la cafétéria. C'est moi qui régale.
quelques minutes plus tard, ils étaient installés a la cafétéria du rez-de-chaussée. La Cour était en séance et la salle était pratiquement vide.
John buvait son espresso a petites gorgées, sous le regard impatient de Chandler.
- John, ça ne peut pas atre si grave. Sauf si vous m'avouez que c'est vous qui dégommez les greffiers.
- Buford, si je vous livre une information, vous avez un règlement a respecter, vous devez la transmettre a qui de droit.
- C'est vrai. Et c'est ce règlement qui vous empache de vider votre sac ?
- D'après vous ?
- Si on en restait au stade des hypothèses ? Mon boulot consiste a réunir des faits susceptibles de mener ultérieurement a une arrestation. Maintenant, s'il ne s'agit pas d'un fait, mais d'une simple supposition
- comme votre théorie sur le mobile du meurtre de Wright -, je ne suis pas obligé d'en référer a quiconque, du moins tant qu'elle n'est pas corroborée par des faits attestés.
- En somme, on pourrait parler hypothétiquement et ça restera entre vous et moi ?
- Je ne peux pas vous promettre que ça restera entre nous. Pas si ça devient un fait.
John baissa les yeux sur sa tasse. Voyant qu'il était en train de changer d'avis, Chandler tapa sur la soucoupe avec sa cuiller.
- John, notre objectif premier est de découvrir qui a tué votre frère et Wright. Je croyais que c'était ce que vous vouliez.
- C'est ce que je veux.
Chandler en doutait, tout a coup.
- alors ? reprit-il. quel est le problème ?
- Le problème est qu'on peut faire du mal aux gens en essayant de les aider.
- Juste votre frère ou quelqu'un d'autre ?
John comprit qu'il en avait déja trop dit. Il décida de se jeter a l'eau.
- D'accord, Buford, discutons d'hypothèses un instant. Supposons que quelqu'un de la Cour ait détourné un document avant qu'il soit passé par les canaux officiels.
- Pourquoi et comment ?
- Le comment est assez facile. Le pourquoi ne l'est pas.
- Bon, continuez.
- Supposons que quelqu'un d'autre ait vu ce document, ait découvert qu'il n'était pas enregistré officiellement et n'en ait rien dit.
- Je présume que le pourquoi de cette affaire est également compliqué ?
- Peut-atre pas. Supposons encore que la personne qui a détourné le document l'ait fait pour une bonne raison. Et que cette personne soit allée rendre visite a la personne de qui émanait cette lettre.
- Les six cents kilomètres sur le compteur de la Honda ?
John resta de glace.
- «a, c'est un fait, Buford. Je ne discute pas des faits.
Chandler but une gorgée.
- Continuez.
- Imaginez que l'auteur de cette lettre soit un prisonnier.
- C'est un fait ou encore une spéculation ?
- Je n'ai pas l'intention de vous éclairer sur ce point.
- Mais j'ai l'intention de le demander. Oa se trouve ce prisonnier ?
- Je l'ignore.
- Comment ça, vous " l'ignorez " ? Si c'est un prisonnier, il est dans une prison quelque part, non ?
- Pas forcément.
- qu'est-ce que c'est que cet... (Chandler s'interrompit brusquement.) Hola, hola ! J'ai peur de comprendre. Il ne se serait pas évadé, tout de mame ?
(John ne répondit pas.) Malheur, ne me dites pas que votre frère s'est attendri sur la complainte d'un taulard, est allé le voir en prison, l'a aidé a se faire la malle et que le type l'a refroidi après. Par pitié, ne me dites pas ça.
- Je ne vous dis pas ça. Ce n'est pas ce qui s'est passé.
- Bon. Cette lettre... vous savez ce qu'il y avait dedans ?
Ils avaient largement dépassé le stade des hypothèses et John Fiske s'en rendait compte. Il secoua la tate.
- Je ne l'ai jamais lue.
- alors comment savez-vous qu'elle existe ?
- Buford, je ne répondrai pas a cette question.
- John, je peux vous forcer a y répondre.
- Eh bien, vous serez obligé d'en arriver la.
- Vous savez que vous prenez un gros risque ?
- Oui. (John finit son espresso et se leva.) Je vais attraper un taxi pour aller récupérer ma voiture.
- Je vous y conduis. J'ai d'autres enquates en cours, mame si tout le monde a l'air de ne s'intéresser qu'a celle-ci.
- Buford, je crois que ce serait mieux pour nous deux que vous ne me reconduisiez pas.
Chandler fit la moue.
- Comme vous voudrez. Votre charrette est dans le parking de derrière. Les clés sont sur le siège avant.
- Merci.
L'inspecteur regarda John Fiske sortir de la cafétéria.
- J'espère qu'elle en vaut la peine, John, dit-il a voix basse.
Chandler n'avait pas chômé, de son côté. quand il arriva a son bureau, il trouva une pile de papiers sur la table. C'était le relevé des appels téléphoniques de Michael Fiske, a son lieu de travail et a son domicile. La routine de l'enquate. Il n'y avait plus qu'a se farcir le listing. Plusieurs appels a la famille, dont celui a son frère. Une douzaine d'autres a un numéro identifié
comme celui de Sara Evans. Intéressant, se dit-il. Et si les deux frères Fiske étaient tombés amoureux de la mame femme ? quand Chandler atteignit le bas de la liste, son pouls s'accéléra. Il y avait longtemps que ça ne lui arrivait plus. Michael Fiske avait appelé Fort Jackson, en Virginie, a plusieurs reprises, la dernière fois trois jours avant la découverte de son cadavre.
Chandler savait que Fort Jackson abritait une prison militaire. Et ce n'était pas tout. Il fouilla dans les avis de recherche qui encombraient son bureau. Le télex avait été envoyé a toutes les polices, avec un mandat d'arrat national. quand il l'avait reçu, il s'en était désintéressé.
Maintenant, c'était différent. Il examina soigneusement la photo de Rufus Harms. Il avait juste besoin d'une petite information supplémentaire, qu'il obtint en moins d'une minute. Fort Jackson se trouvait approxi-mativement a six cents kilomètres de Washington.
Harms était-il l'auteur de la lettre dont John Fiske lui avait parlé ? Et, si oui, pourquoi, selon l'" hypothèse "
de Fiske, son frère l'avait-il détournée ?
Chandler consulta de nouveau la liste des communications téléphoniques. Ses yeux passèrent sur un numéro qui ne l'arrata pas, parce que c'était celui d'un cabinet d'avocat et qu'il y en avait de nombreux autres sur le relevé. D'ailleurs, mame s'il y avait praté attention, le nom de Samuel Rider ne lui aurait rien dit. Il reposa la liste et se demanda si le moment n'était pas venu de convoquer John Fiske et Sara Evans pour les faire parler. Mais que diraient-ils ? En trente ans d'expérience, il avait adopté un précepte inaltérable :
" Ne te fie a personne. "
- allez, John, implora Sara.
Ils étaient dans le bureau de la jeune femme. La journée de travail touchait a sa fin.
- Sara, je ne connais pas le juge Wilkinson.
- Mais rendez-vous compte, si quelqu'un de la Cour a trempé dans cette histoire, c'est l'occasion ravée pour piocher des renseignements, parce que tout le gratin y sera.
John voulut protester encore, puis se ravisa. Il se frotta le menton.
- «a commence quand ?
- a 7 heures et demie. ¿ part ça... vous avez pu joindre votre copain du tribunal militaire ?
- Oui. Il y a deux dossiers utiles, en fait. Le livret militaire proprement dit, qui contient non seulement les états de service de Rufus Harms, mais aussi les notes de ses supérieurs, des informations personnelles, son contrat d'engagement, sa solde et son carnet de santé.
L'autre est le rapport de la cour martiale. Il doit se trouver a Fort Jackson. La plaidoirie et les divers documents de l'avocat qui a assuré sa défense sont normalement conservés au secrétariat de l'attorney général.
Mais, depuis le temps, ça s'est peut-atre perdu. Jansen vérifie. Il m'enverra ce qu'il peut.
Sara rassembla ses affaires pour partir. John resta assis.
- Parlez-moi un peu des Knight, dit-il. Leur passé
et tout ça.
- Pourquoi ?
- Eh bien, ce sont eux qui invitent, non ? Elle est une diva de la Cour, et lui un ténor du Sénat. C'est suffisant pour qu'on s'intéresse a eux dans notre enquate, vous ne trouvez pas ?
- Vous en savez s˚rement plus que moi sur le passé
de Jordan Knight. Il vient de votre ville.
John haussa les épaules.
- En effet. Jordan Knight est une grosse pointure a Richmond. Du moins, il l'était avant de se lancer dans la politique. Il s'est fait un paquet de fric.
- Et un paquet d'ennemis ?
- Non, je ne pense pas. Il a beaucoup donné pour la Virginie. Et c'est un type plutôt réservé.
- Tout le contraire de sa femme, alors.
- J'ai remarqué qu'elle ne s'embarrassait pas de diplomatie.
- Vous pouvez le dire. «a vient avec la fonction.
Les procureurs austères font des juges encore plus austères. Tout le monde savait qu'elle était pressentie pour un siège a la Cour. Comme elle n'appartient a aucun camp déterminé, c'est souvent son vote qui fait pencher la balance dans les cas litigieux, ce qui énerve prodigieusement Ramsey. C'est pour ça qu'il prend toujours des gants avec elle, quoique, parfois, il ne résiste pas a l'envie de lui tirer dans les pattes.
" C'est donc ça ", se dit John en repensant a leur récent échange de politesses.
- Vous connaissez bien les autres juges ? apparemment assez bien, en tout cas, pour refuser d'admettre qu'ils puissent commettre un meurtre.
- Je ne les connais pas bien, non. Nous avons des relations très superficielles.
- quel est le parcours de Ramsey ?
- Il est le patron de la plus haute cour du pays et vous ne savez pas ?
- Mettez-moi au parfum.
- Il était juge assesseur avant d'atre élevé au grade suprame, il y a dix ans.
- Rien d'anormal dans son histoire ?
- Il était dans l'armée. L'armée de terre ou la marine, peut-atre. (John tiqua.) Non, John, n'y pensez pas. Ramsey n'est pas du genre a tuer son monde. Pour le reste, tout est dans sa bio officielle.
John semblait perplexe.
- J'aurais pensé que vous saviez tout sur les petits côtés des juges. Vous ne papotez jamais entre greffiers ?
- Les greffiers d'une mame chambre ont tendance a se tenir les coudes. Mais on se réunit tous ensemble autour d'un verre le jeudi après-midi. Et, périodiquement, les greffiers d'un certain juge invitent un autre juge a déjeuner, pour faire connaissance. autrement, les chambres sont très cloisonnées... Il n'y a guère que les mémos qui circulent de l'une a l'autre.
- Mike m'avait parlé d'un truc comme ça a ses débuts.
- «a ne m'étonne pas. Les greffiers sont les porte-voix de leur juge. On envoie des ballons-sondes, pour essayer de jauger les positions des autres. Par exemple, Michael me demandait souvent ce que voulait Knight pour se rallier a Murphy, quand elle était minoritaire.
- Je ne comprends pas. Si Murphy avait déja la majorité, pourquoi cherchait-il encore des voix ?
- Je vois que vous n'ates vraiment pas dans le bain.
- Je ne suis qu'un petit avocat de la campagne.
- Très bien, monsieur le petit avocat de la campagne. Si j'avais reçu un billet de dix dollars chaque fois qu'un juge du camp majoritaire est passé dans l'opposition, je serais milliardaire. Pour que votre opinion l'emporte, il vous faut cinq voix. Mais l'opposition ne reste pas les bras croisés pendant que vous mijotez votre texte. «a discute ferme en coulisse. On fait circuler des opinions contradictoires. C'est une lutte d'influences permanente. Du grand art, croyez-moi.
John errait toujours dans le brouillard.
- Mais, dit-il, puisque les opposants sont minoritaires, ils sont dans le camp des perdants. De quelle influence peuvent-ils disposer ?
- Mettons qu'un juge n'aime pas la façon dont l'opinion majoritaire se dessine. Il peut faire circuler un texte contradictoire virulent, qui risque de placer la Cour tout entière dans une situation ganante s'il est publié, ou mame de court-circuiter la majorité. Mieux encore, et plus simple, il lui suffit de laisser entendre qu'il va rédiger un texte de ce genre pour que la majorité mette de l'eau dans son vin. Ils le font tous. Ramsey, Knight, Murphy. C'est comme ça, c'est le jeu.
- Comme une interminable campagne électorale, résuma-t-il. Toutes les mesquineries sont permises pour gratter des voix. La version légale du maquignonnage.
Je te donne ça et tu me donnes ta voix.
- Et il faut savoir choisir le moment. Supposons qu'un ou plusieurs juges soient en désaccord avec un arrat rendu cinq ans plus tôt. La Cour ne revient pas a la légère sur sa propre jurisprudence, il faut donc procéder d'une manière stratégique. Ces juges peuvent utiliser une affaire nouvelle pour préparer le terrain et aboutir finalement au renversement de la jurisprudence. «a vaut aussi pour la sélection des affaires. Ils guettent toujours l'affaire idoine pour contredire le précédent qui ne leur plaat pas. C'est comme une partie d'échecs.
- alors, il faut souhaiter qu'ils ne perdent pas de vue le but du jeu.
- C'est-a-dire ?
- La justice. C'est peut-atre tout ce que demande Rufus Harms. La raison de son courrier. Vous croyez qu'il peut obtenir justice ici ?
Sara baissa les yeux.
- Je ne sais pas. En fait, les individus concernés par les affaires ne comptent pas vraiment. Ce qui compte, c'est la jurisprudence que leur cas permet d'établir. Tout dépend de ce qu'il demande. De l'impact que ça aura sur les autres.
- Eh bien, il s'en passe de belles ! (Il secoua la tate et la regarda droit dans les yeux.) Un endroit drôlement intéressant, cette Cour suprame.
- alors, vous viendrez a la réception ?
- Je ne veux pas manquer ça.
Chapitre 41
Josh Harms supposait que la police quadrillerait les routes secondaires, et il avait choisi la tactique du culot : il suivait la nationale. Le soir tombait et, avec les vitres fermées, ils ne risquaient guère d'atre reconnus par un policier en maraude. Toutefois, malgré ses précautions, il savait qu'ils allaient au-devant de la catastrophe.
après toutes les épreuves que son frangin avait traversées, c'était tout de mame dingue, se disait-il, que sa première pensée aille a sa réhabilitation, au risque de se faire tuer et de perdre la liberté qu'on lui avait injustement ravie. au fond, tout en maudissant Rufus, il lui tirait son chapeau. Josh avait une vision assez simple de la vie : c'était lui contre tous. Il ne cherchait pas les ennuis, mais gare a qui le provoquait. Il avait des réactions explosives. C'était un miracle qu'il soit encore en vie.
Ouais, un type comme Rufus forçait l'admiration : il était prat a renverser des montagnes, a faire plier les puissants qui prétendaient régir le monde a leur guise.
T'as peut-atre raison, frérot, songeait-il, peut-atre que la vérité te rendra la liberté, après tout.
Du coin de l'úil, il aperçut quelque chose dans le rétroviseur. Il empoigna son flingue.
- Rufus ! appela-t-il. On a un problème.
Le visage de Rufus apparut dans la lucarne de la cabine.
- qu'est-ce que c'est ?
- Baisse-toi ! Baisse-toi, merde ! (Il lorgna de nouveau la voiture de police, qui restait cadrée dans le rétroviseur.) Y a un perdreau qui nous a croisés deux fois et le voila qui revient.
- T'as roulé trop vite ?
- Tu rigoles, je plafonne a quatre-vingt-dix.
- Un problème avec le camion ? Le feu arrière ou quelque chose ?
- Je suis pas si con. Le bahut est nickel.
- alors quoi ?
- …coute, Rufus, faut pas croire que le monde a changé pendant que t'étais a l'ombre. Je suis un Black dans un camion presque neuf, sur l'autoroute, la nuit.
Pour un flic, y a que deux explications : soit je l'ai volé, soit je transporte de la dope. Tu risques ta peau rien qu'en allant acheter du lait, de nos jours. (Il regarda encore dans le rétroviseur.) Je le sens mal, le mec, il va nous allumer.
- qu'est-ce qu'on fait ? Je peux pas me cacher derrière.
Les yeux rivés sur le rétro, Josh glissa son flingue sous le siège.
- Ouaip, il va nous allumer d'une seconde a l'autre, et on est foutus. Planque-toi sous cette b‚che, Rufus.
Vite.
Josh enfonça sa casquette de base-ball jusqu'aux oreilles. On ne voyait plus que ses tempes grisonnantes.
Il se donna un air d'abruti, prognathe, la lippe saillante comme s'il n'avait plus de dents. Il sortit un paquet de chewing-gums de la boate a gants et en cala quelques-uns sous ses joues pour les faire gonfler. Il vo˚ta ses épaules. Puis il baissa la vitre, tendit le bras au-dehors pour faire signe au policier de s'arrater sur le bas-côté, ralentit et se rangea au bord de la route. La voiture de police stoppa derrière le camion. Son gyro-phare bleu avait quelque chose de sinistre dans la nuit.
Josh attendit sur son siège. Faut toujours les laisser venir a toi ; pas de mouvements brusques. La lampe torche du flic, braquée sur le rétroviseur, l'éblouit.
C'était un de leurs trucs pour déboussoler le client, Josh connaissait la chanson. Il entendit des bottes crisser sur le gravier. Il imaginait le gars, la main sur le revolver, les yeux fixés sur la portière.
Josh s'était déja fait arrater trois fois sur la route.
Toujours le mame cirque : un coup de matraque sur le feu arrière, l'ampoule pétée, et on lui collait une amende pour conduite dans un véhicule non réglementaire. De la pure provocation, pour le faire sortir de ses gonds et avoir une raison de l'envoyer au bloc. «a n'avait jamais marché avec lui.
Oui, m'sieur l'agent, non, m'sieur Vagent, bien s˚r, m'sieur l'agent - mame quand ça lui démangeait de claquer la tate du type contre la portière.
Et il avait encore de la chance : ils ne lui avaient jamais fourré de la drogue dans sa voiture pour l'agrafer comme dealer. Il avait plusieurs potes qui croupissaient actuellement en prison pour des gentillesses de ce style.
- Défends-toi, lui disait toujours Louise, son ex-femme.
- avec quoi ? rétorquait-il. autant me battre contre Dieu, pour ce que j'y gagnerai.
Les bruits de pas cessèrent. Josh regarda par la vitre.
L'homme le toisa. Josh remarqua qu'il était hispanique.
- qu'est-ce qui se passe, monsieur ? demanda le flic.
Les joues pleines de chewing-gum, Josh répondit :
- La 'oute de Louzane, missié ? (Il pointa le doigt devant lui.) C'est pa' la ?
Le flic croisa les bras.
- Vous pourriez me répéter ça ?
- Louzane. Bat' Rouge.
- B‚ton Rouge, en Louisiane ? (Le gars se mit a rire.) Vous en ates loin.
Josh se gratta le cou et regarda autour de lui.
- J'ai mes gosses la-bas qui z'ont pas vu leur papa depuis longtemps.
Le flic devint sérieux, tout a coup.
- ah, bien.
- Y a un homme, y m'a dit c'est ça la 'oute.
- Eh bien, cet homme vous a mal renseigné.
- ah. Savez oa c'est, alo' ?
- Ouais, suivez-moi. Mais je ne peux pas vous conduire jusqu'au bout.
Josh observait le type d'un úil vide.
- Mes gosses, y sont sages. Y veut voir leur papa.
Vous m'aidez ?
- D'accord. Voila ce qu'on va faire. On n'est pas loin de la sortie que vous devez prendre pour retrouver la bonne route. Vous me suivez jusque-la. Ensuite, il faudra vous débrouiller seul. arratez-vous en chemin pour demander a quelqu'un. «a vous va ?
- Oui, missié, répondit Josh en touchant la visière de sa casquette.
En regagnant sa voiture, le policier regarda la cabine.
Il pointa sa lampe sur la lucarne latérale et vit les piles de conserves.
- «a vous ennuie si je jette un úil la-dedans ?
Josh ne s'affola pas. Il avança simplement sa main vers le siège oa se trouvait son arme.
- Oh, non, dit-il.
Le flic monta a l'arrière et souleva le hayon vitré. Il se trouva face a un mur de boates. Rufus était recroquevillé
derrière la pile, sous la b‚che.
- qu'est-ce que vous transportez, monsieur ?
- ¿ manger, répondit Josh en se penchant par la vitre.
Le flic ouvrit un carton, agita une boate de soupe, en ouvrit un autre rempli de biscuits et le replaça. Enfin il referma la porte et revint devant la fenatre du conducteur.
- Vous avez beaucoup de provisions. La route n'est pas si longue.
- C'est mes gosses. J'y ai demandé ce qu'y veut. Y
z'ont dit : a manger.
- Oh. Eh bien, c'est gentil de votre part. Très gentil.
- Z'avez des gosses ?
- Deux.
- C'est bien, ça.
- Bon voyage, monsieur.
Le policier remonta dans sa voiture.
Josh reprit la route dans son sillage.
Rufus pointa la tate par la lucarne.
- Je suais toute l'eau de mon corps, la derrière.
Josh sourit.
- Faut savoir les prendre. Si tu fais le méchant, ils te mettent les bracelets. Si t'es trop poli, ils pensent que tu les charries et t'as droit aux bracelets aussi. Mais si t'as l'air d'un vieux con, alors ils s'en tapent.
- On a quand mame eu chaud, Josh.
- On a eu du pot de tomber sur un Mexicain. La famille, les gosses, pour eux c'est sacré. Tu leur sers ces salades, et ils te foutent la paix. avec un visage p‚le, ça aurait été moins coton. Si un Blanc avait fourré son nez dans la cabine, il aurait tout vidé jusqu'a ce qu'il te trouve. Un Noir aurait peut-atre été plus cool, mais tu peux jamais savoir. Des fois, avec l'uniforme, ils se prennent pour des Blancs.
Rufus regarda son frère avec un air de reproche.
- Maintenant, les pires, c'est les Jaunes, continua Josh. Tu peux rien leur dire. Ils sont la, devant toi, ils écoutent pas un mot et ils font ce qu'ils ont décidé de faire. Ils pourraient tuer leur propre mère sans piper et te bourrer le cul de kung-fu juste après. Ouais, on est vraiment vernis d'atre tombés sur l'agent Pedro.
Sur quoi, Josh cracha par la fenatre.
- T'as catalogué tout le monde ? dit Rufus, mécontent.
- Et alors ? T'as quelque chose contre ?
- Peut-atre.
- Eh ben, tu vis ta vie comme tu veux, laisse-moi vivre la mienne. On verra lequel de nous deux ira le plus loin. Je sais que t'en as bavé, la-bas, mais, dehors, faut pas croire que c'est un pique-nique. Je suis dans ma petite prison, moi aussi. Et pourtant personne ne m'a condamné.
- Dieu nous a tous créés, Josh. On est tous ses enfants. C'est pas bien de faire des différences comme ça. J'ai vu des tas de Blancs se faire tabasser en prison.
Le mal peut prendre toutes les formes et toutes les couleurs. C'est dit dans la Bible. Faut juger les hommes sur leurs actes. Pas sur leur gueule.
- arrate, je vais chialer. après tout ce que Tremaine et les autres t'ont fait endurer, tu veux me faire croire que t'as pas la haine, que t'as pas envie de les buter ?
- Oui. Si j'étais comme ça, ça voudrait dire que Tremaine a tué l'amour que j'ai dans le cúur. M'a éloigné de Nôtre-Seigneur. S'il avait fait ça, il aurait gagné. Personne sur cette terre n'est assez fort pour me détourner de Dieu. Ni le vieux Vic, ni toi, ni personne.
Je suis pas un crétin, Josh. Je sais bien que la vie n'est pas une partie de rigolade. Je sais que les Noirs ne font pas la loi. Mais c'est pas la haine qui fera avancer les choses.
- Merde. Dieu te donne le feu vert pour haÔr tous les Blancs du monde.
- Tu te goures. Si je les haÔssais, c'est comme si je me haÔssais moi-mame. J'étais comme toi avant d'aller en taule. Je haÔssais tout le monde. J'avais le diable en moi, mais Dieu l'a chassé. Je peux plus haÔr. C'est fini.
- C'est ton problème. Plus tôt tu le régleras, mieux ce sera.
- quelle perspicacité, Frank ! Vous éliminez Rider et sa bourgeoise, mais vous n'avez pas fouillé son bureau ?
Rayfield serra le combiné du téléphone.
- Puisque vous ates si malin, dites-moi ce que j'aurais d˚ faire. S'il m'avait surpris dans son bureau, qui sait ce qui aurait pu se passer ? Si on y va maintenant et qu'on se fait pincer, les flics nous poseront des tas de questions indiscrètes.
- Mais vous venez de me dire qu'ils prenaient cette double mort pour un meurtre suivi d'un suicide. Il n'y aura plus d'enquate, l'affaire est classée.
- C'est probable, en effet.
- Donc, vous pouvez aller faire un tour dans son bureau. Dès cette nuit.
- D'accord, si la voie est libre, ce sera fait.
- Vous avez récupéré la lettre que Harms a reçue de l'armée ?
- Pas encore...
Il s'interrompit. Tremaine venait d'entrer, en brandis-sant une feuille de papier.
- attendez, dit-il.
Tremaine posa le papier sur la table devant lui.
Rayfield le parcourut en blamissant. Il regarda Tremaine, qui ne rigolait pas non plus.
- Oa tu l'as trouvée ?
- Cet enfoiré a évidé un des montants du lit. Futé, reconnut-il de mauvaise gr‚ce.
Rayfield reprit le téléphone et rapporta succinctement le contenu de la lettre.
- C'est votre úuvre, Frank ?
- …coutez, si le type était mort en prison comme prévu, il y aurait eu une autopsie, pas vrai ? Bon. C'était le seul moyen d'assurer le coup. On était tous d'accord.
- Sauf que Harms a la vie dure. Et maintenant on est dans la mouise. Vous ne pouviez pas expurger les archives quand il en était encore temps, merde ?
- Je l'ai fait ! Sinon, ça serait ressorti pendant l'instruction, qu'est-ce que vous croyez ? Rider n'était pas un imbécile, il s'en serait servi comme argument de défense.
- Si vous avez tout effacé il y a vingt-cinq ans, pourquoi l'armée lui a-t-elle envoyé cette lettre maintenant ?
- qui sait ? Un fouille-merde de l'administration a pu tomber sur un bout de papier a l'époque, il l'a rangé
quelque part et, aujourd'hui, avec leur manie de l'infor-matique, ça s'est retrouvé dans l'ordinateur central. Une fois qu'une information est dans les archives officielles, on ne sait jamais quand elle peut refaire surface. Plus moyen de l'enterrer. C'est la plus grande bureaucratie du monde. On ne peut pas tout contrôler.
- C'était votre boulot de l'étouffer.
- Ne m'apprenez pas mon boulot. J'ai essayé de l'étouffer, mais je ne pouvais pas consacrer toutes mes journées, pendant un quart de siècle, a surveiller l'administration.
Soupir a l'autre bout du fil.
- Bref, on sait maintenant ce qui a rafraachi la mémoire de Harms.
- Toute stratégie comporte des risques.
- Rider a peut-atre une copie de cette lettre.
- Je ne vois pas comment Rufus Harms aurait pu avoir accès a une photocopieuse, et la lettre ne se trouvait pas dans le courrier qu'il a envoyé a la Cour, on le sait.
- Mais on ne peut pas en atre s˚r. Raison de plus pour aller fouiller le bureau de Rider cette nuit.
Rayfield consulta Tremaine du regard, puis répondit :
- D'accord. Cette nuit. Vite fait, bien fait.
Chapitre 42
Le sénateur Knight accueillit chaleureusement John et Sara a leur entrée dans le hall. Derrière lui, la salle était pleine. Rien que du beau linge. La fine fleur des affaires et de la politique.
- Ravi que vous ayez pu venir, John, dit Jordan Knight en lui serrant la main. Sara, vous ates tout simplement radieuse. Comme toujours.
Il la prit dans ses bras et l'embrassa.
John la couvait des yeux. Elle avait troqué son tailleur contre une robe d'été légère, dont les couleurs pastel flattaient son bronzage, et changé de coiffure. Sans chignon, sa chevelure avait des ondulations aguicheuses.
Devinant qu'elle se sentait observée, John détourna le regard, gané, et accepta le verre que lui offrait un serveur. Sara et le sénateur firent de mame.
Jordan Knight semblait un peu embarrassé, lui aussi, mais pour une autre raison.
- Je me rends compte que le moment est mal choisi pour une sauterie mondaine, dit-il. (Il se tourna vers Sara.) Je sais que Beth pense la mame chose, bien qu'elle refuse de l'admettre.
Tu parles, songea John.
Jordan désigna discrètement un vieil homme dans un fauteuil roulant.
- Kenneth Wilkinson, dit-il a voix basse, ne sera plus longtemps de ce monde, hélas. ¿ moins que... qui sait ? C'est un acharné, il est capable de nous enterrer tous. Il a vécu une vie longue et exemplaire. Il a été mon mentor et mon ami. Le fait de l'avoir connu m'a rendu meilleur.
- N'est-ce pas lui qui vous a présenté votre femme ? demanda Sara.
- Une dette de plus que j'ai envers lui.
John Fiske regarda Elizabeth Knight aller de convive en convive, policée, papillonnante et affectée comme le premier politicard venu. Il examina la salle sans apercevoir Ramsey ni Murphy. avaient-ils boycotté la soirée ?
Il remarqua plusieurs autres juges, apparemment mal a l'aise. On perd facilement son assurance quand on se dit qu'il y a peut-atre un fou en liberté quelque part qui veut accrocher votre tate dans sa vitrine de trophées.
Il aperçut Richard Perkins au fond de la salle. Il y avait des flics en armes un peu partout. Le grand sujet de conversation de la soirée était évidemment le meurtre des deux greffiers. John épia plus attentivement Warren McKenna, qui naviguait dans la foule comme un requin en quate de chair fraache.
- Vous formez une belle équipe, tous les deux, dit Sara.
Jordan Knight trinqua avec elle avant de répondre :
- Je le pense aussi.
- Votre femme n'a jamais été tentée par la politique ? demanda John.
- John ! dit Sara. Elle est juge a la Cour suprame.
C'est une nomination a vie.
- Ce ne serait pas la première fois qu'un haut magistrat quitte la Cour pour entamer une nouvelle carrière, répliqua John sans l‚cher Jordan des yeux.
- Non, en effet, John, reconnut le sénateur. Très sincèrement, nous avons souvent évoqué cette question entre nous, Beth et moi. Je n'ai pas l'intention de finir ma vie au Sénat. J'ai un ranch de trois mille hectares au Nouveau-Mexique. Je me verrais bien gentleman-farmer sur mes vieux jours.
- Et votre femme reprendrait éventuellement votre siège de sénateur de Virginie ?
- Je ne sais jamais d'avance ce que fera Beth. Elle est totalement imprévisible. C'est ce qui met du piment dans notre couple, commenta-t-il avec un sourire communicatif.
Sara parut soudain préoccupée.
- Monsieur le sénateur, puis-je téléphoner ?
- Bien s˚r. allez dans mon bureau, vous serez plus tranquille.
Elle lança un coup d'úil a John, puis s'éclipsa sans rien ajouter.
- Un sacré brin de femme, nota Jordan.
- Je partage cet avis, répondit John.
- Depuis qu'elle travaille pour Beth, j'ai appris a la connaatre. J'ai mame un peu, je crois, incarné la figure du père pour elle. Sara a un brillant avenir devant elle.
- Votre femme est un grand exemple pour elle, dit John en manquant s'étouffer dans son verre.
- Le meilleur, assurément. Beth ne fait rien a moitié.
La remarque laissa John songeur.
- Je sais que Mme Knight est très entreprenante, mais elle aurait peut-atre intérat a réduire son activité
tant que cette affaire n'est pas résolue. S'il y a un déséquilibré dans les parages, il vaut mieux éviter de lui offrir une cible trop facile.
Jordan observa John par-dessus le bord de son verre.
- Vous croyez vraiment que les juges sont en danger ?
Non, John ne le croyait pas, mais il pouvait se tromper et il ne voulait pas que quiconque baisse la garde.
- Peu importe ce que je pense, sénateur. S'il arrivait malheur a votre femme, il serait trop tard pour s'intéresser a mon opinion.
- Je vois ce que vous voulez dire, murmura Jordan, un peu refroidi.
John remarqua qu'une file se formait pour parler au maatre de maison.
- Je ne vais pas vous accaparer davantage, dit-il.
Continuez a faire du bon travail !
- Merci, John.
Le sénateur reporta son attention sur les autres invités. Il pouvait se permettre de prendre son rôle d'hôte a la légère, se dit John. Inutile pour lui de faire le tour de la salle en serrant des mains, sa femme avait déja d˚ entreprendre tous les convives importants.
Dans le bureau de Jordan Knight, Sara composa son numéro de téléphone personnel, pour consulter ses messages a distance. Elle avait oublié de le faire avant de venir et attendait impatiemment la réponse de George Barker, le rédacteur du journal de l'alabama.
Ses espoirs furent exaucés quand elle reconnut la voix rocailleuse - et un peu contrite, lui sembla-t-il - du vieil homme sur son répondeur.
Elle détacha une feuille d'un bloc-notes sur la table et écrivit : Samuel Rider. Ce nom était le seul renseignement que le journaliste avait pu lui fournir. Il fallait qu'elle trouve immédiatement le numéro du cabinet de Rider. Facile : sur l'un des rayonnages d'en face, elle aperçut la dernière édition du Martindale-Hubbell, l'annuaire juridique officiel, oa étaient répertoriés tous les noms et adresses des avocats inscrits dans les différents barreaux américains, classés par …tats et régions. Elle commença par la Virginie et fit mouche.
Les coordonnées de Samuel Rider étaient accompagnées d'une biographie succincte. Il avait effectivement été attaché aux tribunaux militaires au début des années 1970. C'était bien son homme.
Elle appela son cabinet. Pas de réponse. Elle appela alors les renseignements et demanda le numéro de son domicile. Liste rouge. Elle raccrocha, frustrée. Il fallait qu'elle lui parle. Elle réfléchit. Le temps pressait. Il y avait un annuaire sur le bureau. Elle chercha un certain numéro et, en quelques minutes, tout fut arrangé. Elle verrait Rider. John et elle devraient patienter encore deux heures environ avant de pouvoir tirer leur révé-rence mais, avec un peu de chance, ils seraient de retour le lendemain matin.
En ouvrant la porte pour sortir, elle se retrouva face a face avec Elizabeth Knight.
- Jordan m'a dit que vous étiez ici.
- J'avais un coup de fil a donner.
- Je vois.
- Je dois retourner a la réception maintenant.
- Sara, je voudrais vous parler en privé un instant.
Elizabeth Knight entra et referma la porte derrière elle. Elle portait une simple robe blanche, un maquillage extramement discret et un collier de saphirs très raffiné. Le blanc de sa robe n'atténuait en rien la p‚leur de sa peau, qu'accentuaient encore les mèches noires de sa longue chevelure. quand elle voulait s'en donner la peine, songea Sara, Elizabeth Knight pouvait atre très séduisante. apparemment, elle choisissait ses occasions. Dans l'immédiat, en tout cas, elle paraissait très mal a l'aise.
- Il y a un problème ? demanda Sara.
- Je déteste me maler de la vie privée de mes greffiers, Sara, je vous assure, mais, quand elle affecte l'image de la Cour, il me semble que j'ai le devoir d'intervenir.
- J'ai peur de ne pas comprendre.
Knight rassembla ses pensées. Depuis qu'elle avait pris conscience de son rôle involontaire dans la mort de Steven Wright, elle avait les nerfs a fleur de peau. Elle avait envie de se venger sur quelqu'un, mame injustement. Ce n'était pas dans son caractère mais, pour une fois, elle était contrariée par la conduite de Sara Evans, alors mame qu'elle pensait le plus grand bien d'elle par ailleurs.
- Vous ates une jeune femme très intelligente. Très intelligente et très attirante.
- Je ne comprends touj...
Knight changea de ton.
- Je parle de vos relations avec John Fiske. Richard Perkins m'a dit avoir vu John Fiske sortir de chez vous, en votre compagnie, ce matin.
- Madame Knight, avec tout le respect que je vous dois, ça ne regarde que moi.
- Si cela doit avoir un effet négatif sur la Cour, ça me regarde aussi.
- Je ne vois pas en quoi.
- alors, je vais vous mettre les points sur les i. Vous ne pensez pas que, si l'on apprenait qu'une greffière couche avec le frère d'un de ses collègues assassiné, le lendemain mame de la découverte du cadavre, la réputation de la Cour en p‚tirait ?
- Je ne couche pas avec lui.
- La n'est pas la question. Ce qui compte, c'est ce qu'on croit, c'est l'opinion publique, particulièrement dans cette ville. Si un journaliste vous avait vue sortir de chez vous avec John Fiske, imaginez les gros titres. Et mame s'il s'était contenté de rapporter ce simple fait, sans broder, comment croyez-vous que les lecteurs auraient perçu la chose ? Nous n'avons pas besoin de complications supplémentaires, Sara. La situation est déja suffisamment embarrassante.
- Je n'avais pas réfléchi a ça...
- Eh bien, il est temps d'y penser, si vous ne voulez pas vous cantonner dans une carrière médiocre.
- Je suis désolée. Je ne commettrai plus cette erreur.
Knight la fusilla du regard.
- Je vous le conseille.
Elle alla lui ouvrir la porte et, quand Sara passa devant elle, ajouta :
- Si j'étais vous, je ne ferais confiance a personne tant que l'identité du meurtrier n'est pas établie. Vous l'ignorez peut-atre, mais un grand pourcentage des meurtres ont pour auteurs des membres de la famille.
Sara en fut soufflée.
- Vous n'insinuez pas...
- Je n'insinue rien, dit Knight, tranchante. J'énonce une réalité. Faites-en ce que vous voulez.
John Fiske s'ennuyait ferme. Il errait dans la salle quand il sentit tout a coup une présence derrière son épaule.
- J'ai une question a vous poser.
Il se retourna. C'était l'agent McKenna.
- McKenna, j'envisage sérieusement de porter plainte contre vous, alors l‚chez-moi les baskets.
- Je ne fais que mon boulot. Et je veux savoir oa vous étiez a l'heure oa votre frère a été assassiné.
John finit son verre et regarda vers la baie vitrée.
- Vous oubliez un détail, dit-il.
- Lequel ?
- L'heure de la mort n'est pas encore établie.
- Vous retardez.
- ah bon ? fit-il, surpris.
- Entre 3 et 4 heures, samedi matin. Oa étiez-vous a ce moment-la ?
- Je suis suspect ?
- quand vous serez suspect, je vous le ferai savoir.
- J'étais dans mon cabinet, a Richmond. J'ai travaillé jusqu'a 4 heures du matin environ. Maintenant, vous allez me demander si j'ai des témoins, je suppose ?
- Vous avez des témoins ?
- Non. Mais je suis allé a la laverie automatique vers 10 heures.
- Richmond n'est qu'a deux heures de route de Washington. «a vous laissait le temps.
- Donc, d'après vous, je serais monté a Washington pour tuer mon frère de sang-froid, j'aurais déposé son corps au cúur d'un quartier mal famé en prenant toutes les précautions nécessaires pour ne pas me faire remarquer et je serais rentré a Richmond pour laver mon slip.
Et le mobile ?
¿ peine eut-il prononcé le mot que sa gorge se serra.
Il avait le mobile idéal : cinq cent mille dollars d'assurance vie. Merde !
- On s'occupera du mobile plus tard. Vous n'avez pas d'alibi, ce qui signifie que vous avez eu la possibilité matérielle de commettre le crime.
- alors vous pensez que j'ai tué Wright, lui aussi ?
Rappelez-vous, vous avez dit aux juges que, selon vous, les meurtres étaient liés. J'ai un alibi pour celui-la.
- Ce que je dis n'est pas parole d'…vangile.
- Génial. Vous avez la mame philosophie quand vous témoignez sous serment ?
- L'expérience m'a enseigné qu'il valait mieux ne pas toujours dévoiler son jeu au cours d'une enquate, répliqua l'agent du FBI. Les meurtres peuvent atre tout a fait indépendants l'un de l'autre, auquel cas votre alibi pour Wright ne vaut rien du tout.
En le regardant s'en aller, John sentit un frisson très désagréable lui parcourir la colonne vertébrale.
McKenna était un imbécile, mais tout de mame pas au point de lui coller le meurtre de son frère sur le dos...
si ? Et pourquoi n'avait-il pas été informé des résultats de l'autopsie ? La réponse s'imposait : sa source était tarie, Chandler avait fermé les vannes.
- John ?
Il pivota. C'était Richard Perkins.
- Vous avez une minute ?
Les deux hommes s'isolèrent dans un coin. Perkins pesa longuement ses mots avant de commencer :
- Je suis huissier de la Cour suprame depuis deux ans seulement. Ce n'est pas un simple titre honorifique, loin de la, je cumule les fonctions de chef du personnel, de chef du protocole et de chef de la sécurité, mais enfin ce n'est pas trop stressant et la paie est bonne. J'ai près de deux cents employés sous ma responsabilité, depuis les coiffeurs jusqu'aux officiers de police. Je travaillais au Sénat, avant, je pensais continuer jusqu'a la retraite et puis cette occasion s'est présentée.
- Je vous félicite, dit John en se demandant pourquoi Perkins lui racontait tout ça.
- Bien que votre frère ne soit pas mort au Palais, je me sentais responsable de sa sécurité, comme de celle de tous ceux qui travaillent ici. Maintenant, avec la mort de Wright, je suis dépassé par les événements. Je ne suis pas formé pour gérer ce genre de situation. Je suis bien meilleur pour rédiger des feuilles de paie et superviser la bureaucratie que pour diriger une enquate criminelle.
- Chandler est la pour ça et il m'a l'air très calé.
Sans compter que vous bénéficiez du concours du FBI.
John Fiske faillit s'étrangler en prononçant ces mots.
Perkins le remarqua.
- L'agent McKenna semble avoir une dent contre vous. Vous l'aviez déja rencontré auparavant ?
- Non.
Perkins contempla ses mains.
- Vous pensez vraiment qu'il y a un dingue quelque part avec des idées de vendetta ?
- C'est dans le domaine du possible.
- Mais pourquoi maintenant ? Et pourquoi s'en prendre aux greffiers ? Pourquoi pas aux juges ?
- Ou a d'autres membres du personnel...
- que voulez-vous dire ?
- Vous pouvez atre en danger aussi, Richard.
- Moi ? fit Perkins, ébahi.
- Vous ates le chef de la sécurité. Si le tueur cherche a prouver qu'il est capable d'atteindre n'importe qui, il vise directement la sécurité de la Cour, donc il vous vise.
Perkins médita.
- autrement dit, vous pensez qu'il y a bel et bien un rapport entre ces deux meurtres.
- Je veux bien croire aux coÔncidences mais, a ce point-la, c'est un peu gros.
- C'est aussi ce que pense Chandler ?
- qui sait ? Je suis s˚r qu'il vous tiendra au courant.
au moment oa Perkins se retirait, Elizabeth Knight arrivait en fendant la foule, qui s'écartait spontanément sur son passage.
Une main se posa sur l'épaule de John.
- Rejoignez-moi dehors dans dix minutes.
C'était Sara. Le temps pour lui de se retourner, elle disparaissait déja dans la cohue.
agacé, il regarda autour de lui et s'attarda sur Elizabeth Knight. Elle avait d˚ oublier complètement l'existence de Kenneth Wilkinson, qui était pourtant le héros de la fate, songea-t-il. Il se trompait. Elle se dirigeait justement vers Wilkinson. Il la vit pousser le fauteuil roulant du vieux magistrat vers la terrasse déserte et éclairée, puis s'accroupir devant lui et converser en lui tenant les mains.
Désúuvré, John louvoya quelque temps entre les convives ; incapable de résister a la tentation, il sortit sur la terrasse. Elizabeth Knight se releva immédiatement en le voyant arriver.
- Excusez-moi de vous interrompre, dit-il, mais je dois partir et je voulais saluer le juge Wilkinson.
Knight s'écarta, laissant John se présenter lui-mame et adresser des félicitations de circonstance a l'ancatre pour sa longue carrière au service de l'…tat. Comme il regagnait la grande salle, Knight l'arrata.
- Je suppose que vous partez avec Sara ?
- Cela pose un problème ?
- ¿ vous de voir.
- Comment dois-je comprendre ça ?
- Sara a un merveilleux avenir devant elle. Et les grandes carrières peuvent atre brisées par de petites choses.
- Madame Knight, je m'aperçois que vous avez quelque chose contre moi, mais je ne sais pas quoi.
- Je ne vous connais pas, monsieur Fiske. Si vous ressemblez un tant soit peu a votre frère, je n'ai peut-atre rien contre vous.
- J'espère ne ressembler a personne. Je me méfie des comparaisons et des idées toutes faites. Elles se révèlent rarement vraies.
Knight fut un peu prise de court et se rattrapa comme elle put :
- Je ne peux pas vous donner tort sur ce point.
- Je suis ravi que nous soyons d'accord sur quelque chose.
- Mais je connais Sara et je tiens beaucoup a elle.
S'il s'avère que votre conduite a un mauvais effet sur elle et, par conséquent, sur la Cour, alors oui, j'ai quelque chose contre.
- Ma seule préoccupation est de découvrir qui a tué
mon frère.
Elle le sonda du regard.
- Vous ates s˚r qu'il n'y a rien d'autre ?
- Mame s'il y avait autre chose, je suis un citoyen libre dans un pays libre.
John crut voir une expression amusée passer sur le visage de son interlocutrice.
Elle croisa les bras.
- Vous n'avez pas l'air intimidé de parler a un juge de la Cour suprame, monsieur Fiske.
- Si vous me connaissiez mieux, vous
comprendriez.
- Peut-atre devrais-je apprendre a vous connaatre, en effet. Peut-atre ai-je déja commencé.
- «a marche dans les deux sens.
Knight se rembrunit.
- La confiance en soi est une chose, monsieur Fiske, l'irrespect en est une autre.
- «a aussi, ça marche dans les deux sens.
- Ne vous méprenez pas sur mes sentiments pour Sara. Ils sont sincères.
- Je n'en doute pas.
Elle se tourna pour partir, puis hésita.
- Votre frère était très doué. Une grande intelligence. Un juriste hors pair.
- C'était quelqu'un.
- Cela dit, je ne suis pas s˚re qu'il ait été le plus brillant homme de loi de la famille.
Elle s'en alla, laissant John Fiske complètement déboussolé. Il resta planté une minute, essayant d'inter-préter ses paroles. Puis il fonça vers l'ascenseur et sortit.
Il chercha Sara des yeux sur le perron. Oa était-elle ?
Un coup de klaxon. Elle arrivait en voiture et s'arrata devant la porte. Il monta.
- Oa allons-nous ? demanda-t-il.
- ¿ l'aéroport.
- qu'est-ce que vous me chantez ?
- Nous allons voir l'honorable Samuel Rider.
- Et qui est l'honorable Samuel Rider ?
- L'avocat de Rufus Harms. George Barker m'a rappelée pour me donner son nom. Son cabinet est dans les faubourgs de Blacksburg, a deux heures seulement de la prison. J'ai téléphoné. Pas de réponse. Et son numéro personnel n'est pas dans l'annuaire.
- alors pourquoi on y va ?
- Nous avons l'adresse de son cabinet. Vu l'heure, on a peu de chances de le trouver dans son bureau. Mais ce n'est pas une grande ville. Il y aura bien quelqu'un qui saura nous dire oa il habite ou, au moins, nous donner son téléphone. S'il est réellement malé a tout ça, comme nous le pensons, il peut atre en danger. Et, s'il lui arrive quelque chose, nous risquons de ne jamais découvrir la vérité.
- Donc, vous croyez que c'est lui qui a téléphoné a la Cour ? Lui qui a rédigé la demande en recours ?
- «a me semble une hypothèse raisonnable.
Chapitre 43
Vingt-cinq minutes plus tard, John et Sara arrivèrent a National airport. Sara se gara dans un des parkings souterrains et ils se h‚tèrent vers le terminal.
- Vous ates s˚re qu'il y a un vol et qu'on aura des places ? demanda John.
- J'ai loué un avion privé.
- quoi ? Vous savez combien ça co˚te ?
- Et vous, vous le savez ?
John eut l'air penaud.
- Euh... non, reconnut-il, je n'ai jamais pris d'avion-taxi. Mais ce n'est s˚rement pas donné.
- Deux mille deux cents dollars pour un aller-retour a Blacksburg. «a me vaudra un petit découvert sur ma carte de crédit.
- alors je vous rembourserai.
- Vous n'ates pas obligé.
- Je n'aime pas atre en dette.
- Parfait, je suis certaine de trouver toutes sortes de moyens de vous faire rembourser, répondit-elle en souriant.
quelques minutes plus tard, ils trottaient vers un biréacteur Falcon 2000, qui les attendait sur le tarmac.
John regarda un énorme 737 se propulser sur la piste centrale et s'élever gracieusement dans les airs. On entendait partout des moteurs vrombir, et l'odeur enva-hissante du kérosène était nauséabonde.
En haut de la courte passerelle du Falcon, ils furent accueillis par un homme aux cheveux blancs, d'une cinquantaine d'années, sans un poil de graisse. Il se présenta comme le pilote, Chuck Herman.
- Le plan de vol est enregistré, dit Herman, mais on va devoir retarder un peu l'heure du décollage. Ils ont eu une panne d'ordinateur a la tour de contrôle, cet après-midi, et tout le monde en paie les conséquences.
- Nous sommes vraiment pressés, Chuck, déclara Sara.
S'ils arrivaient trop tard au cabinet de Rider, ils auraient beaucoup de mal a trouver quelqu'un susceptible de les aider. En outre, Sara ne pouvait se permettre d'atre de nouveau en retard a son travail.
- Ne vous en faites pas, dit fièrement Chuck Herman. En soixante-dix minutes, on y est. Et, s'il le faut, je forcerai sur les gaz.
Ils montèrent tous dans la carlingue. Herman leur indiqua de confortables fauteuils.
- Excusez-moi, je n'ai pas eu le temps de contacter un steward. Vous désirez quelque chose ?
- Un verre de vin blanc, dit-elle.
- Et vous, John, je peux vous proposer quelque chose ? (John déclina l'offre.) Le frigo est plein.
Servez-vous.
Dix minutes après le décollage, l'avion glissait en douceur, comme un canoÎ sur un lac tranquille. Sara déboucla sa ceinture. John contemplait le soleil couchant par le hublot.
- Si je nous préparais quelque chose a manger ? dit-elle. J'ai des choses intéressantes a vous raconter.
- Moi aussi.
John se détacha a son tour, s'assit a table et regarda Sara confectionner des sandwiches.
- Café ?
Il accepta.
- Mon petit doigt me dit que la nuit va atre longue.
Sara acheva sa petite cuisine et remplit deux tasses de café. Elle s'assit en face de John et consulta sa montre.
- Le vol est si court que nous n'aurons pas tellement de temps devant nous. Je me suis renseignée, il n'y a pas de service de location de voitures a l'aéroport de Blacksburg. On pourrait prendre un taxi jusqu'en ville et en louer une sur place.
John mordit dans son sandwich et avala une gorgée de café.
- Je vous écoute. qu'aviez-vous a me dire ?
- Je suis tombée sur le juge Knight.
Elle lui relata brièvement la rencontre, et John lui rapporta l'échange qu'il avait eu avec elle.
- Une femme difficile a cerner, commenta-t-il.
- quoi d'autre ?
- McKenna m'a demandé si j'avais un alibi pour l'heure du meurtre de mon frère.
- Vous me faites marcher ?
- Je n'ai pas d'alibi, Sara.
- John, personne ne peut croire sérieusement que vous ayez tué votre frère. Et que fait-il de la mort de Steven ?
- Les deux ne sont pas nécessairement liées.
- Et le mobile ? McKenna a une théorie la-dessus, aussi ?
John reposa sa tasse. autant la mettre au courant, se dit-il. Il pouvait toujours atre utile d'avoir un avis extérieur.
- Non, mais le fait est que j'ai un excellent mobile.
Elle ne cacha pas sa surprise.
- Lequel ?
- J'ai appris aujourd'hui que Mike avait souscrit une assurance vie d'un demi-million de dollars a mon bénéfice. «a fait un mobile de premier ordre, non ?
- Mais, puisque vous ne l'avez appris
qu'aujourd'hui...
- Vous croyez vraiment que McKenna avalera ça ?
- C'est curieux.
- qu'est-ce qui est curieux ?
- Knight m'a dit que la plupart des crimes étaient commis par des membres de la famille et m'a conseillé
de ne faire confiance a personne - sous-entendu : a vous.
- ¿ votre connaissance, elle a été dans l'armée ?
Sara faillit en rire.
- Non, pourquoi ?
- Je me demandais seulement si elle pouvait avoir quelque chose a voir avec Rufus Harms.
La jeune femme eut un petit sourire, puis devint songeuse.
- Remarquez, on pourrait se poser la question pour son mari. Le sénateur, lui, peut très bien avoir un passé
militaire.
- Non, expliqua John. Il a été réformé. Je l'ai lu dans les journaux de Richmond lors de sa première campagne électorale. Je m'en souviens parce que son adversaire, qui était bardé de décorations, avait voulu monter ça en épingle en l'accusant d'atre un planqué.
En fait, ça s'est terminé en eau de boudin, parce que Knight avait tout de mame servi la patrie en travaillant pour le contre-espionnage... «a devient ridicule. On essaie de faire entrer des pions carrés dans des cases rondes. J'espère que Rider pourra nous aider, ajouta-t-il en soupirant.
L'homme en bleu de travail qui poussait le chariot de nettoyage dans le couloir s'arrata devant une porte de verre dépoli sur laquelle on pouvait lire : MçTRE
SaMUEL RIDER, aVOCaT. Il pencha la tate et regarda autour de lui en tendant l'oreille. L'immeuble n'était pas grand, il n'y avait qu'une demi-douzaine de bureaux au premier étage. ¿ cette heure, les lieux étaient déserts.
Josh Harms frappa a la porte et attendit une réponse.
Il frappa encore, un peu plus fort. Il avait laissé Rufus dans le camion, garé dans une rue latérale, pour venir reconnaatre le secteur. Il avait déniché sa panoplie d'agent de nettoyage dans le placard du personnel. Il tapa une dernière fois a la porte, attendit encore une ou deux minutes, puis siffla. Vingt secondes plus tard, Rufus, qui rôdait dans l'ombre du hall, le rejoignit. Il n'était pas en bleu de travail : il n'avait trouvé aucune tenue a sa taille dans le placard.
Josh s'arma des ustensiles ad hoc, crocheta la serrure et, en un clin d'úil, ils se retrouvèrent de l'autre côté de la porte.
- Faut se magner. quelqu'un peut se pointer, dit-il.
Vas-y, commence a ratisser, je fais le guet.
Il avait son revolver chargé dans sa ceinture.
Rufus était déja en train de fouiller un placard avec sa lampe torche. Josh jeta un úil dans la rue, constata que tout était calme, puis ferma les rideaux et sortit une seconde lampe torche pour se mettre a fouiller, lui aussi.
Il s'intéressa immédiatement au tiroir fermé a clé. Il fit sauter le loquet, découvrit un paquet scotché sous le fond du tiroir et siffla discrètement.
- Rufus, je l'ai.
Son frère inspecta rapidement les documents sous le faisceau de sa lampe.
- Tu m'as toujours pas expliqué comment ces papelards t'aideront a sauver ta peau.
- J'y ai pas encore vraiment réfléchi, mais je préfère les avoir.
- Ouais, ben, tirons-nous avant de nous faire avoir.
Ils étaient encore dans le vestibule quand ils entendirent des pas. Deux personnes. Ils se regardèrent. Josh sortit son flingue et retira le cran de s˚reté.
- Les poulets. Ils savent qu'on est la.
Rufus secoua la tate.
- C'est pas les poulets. Et c'est pas l'armée non plus. La baraque est déserte. Si c'étaient eux, t'enten-drais gueuler des sirènes et ils auraient déja balancé des grenades lacrymogènes. Viens par la.
Ils regagnèrent le bureau et refermèrent la porte en silence. Tout ce qu'ils pouvaient faire, c'était attendre.
Chapitre 44
Chandler faisait le tour de l'appartement de Michael.
Il s'agenouilla pour examiner la marque laissée par le cric de John Fiske. Si le coup avait porté, le mystère aurait peut-atre d'ores et déja été élucidé. Il se releva en hochant la tate. Ce n'était jamais aussi facile. Les hommes de l'identité achevaient leurs relevés. Il y avait de la poussière de carbone un peu partout, comme de la poudre de perlimpinpin - ce qu'elle était d'une certaine manière. Ils avaient pris les empreintes de Michael pour les éliminer. Il faudrait qu'ils prennent aussi celles de son frère. Comme John était inscrit au barreau de Virginie, elles étaient s˚rement consignées au sommier de la police de l'…tat. Ils auraient besoin de celles de Sara également ; elle était probablement déja venue dans l'appartement. Dans la chambre ? D'après ce qu'il savait, ils étaient de simples amis, sans plus.
Il avait eu un entretien avec Murphy et ses greffiers.
Ils avaient passé en revue toutes les affaires dont Michael s'occupait. Sans résultat pour l'instant. Les recherches auraient été trop longues, de toute façon ; c'était un travail de bénédictin et, pendant ce temps, les cadavres s'accumulaient.
Les cachotteries de John Fiske l'avaient fortement contrarié et Chandler avait effectivement, comme Fiske l'avait supposé, cessé de lui transmettre des informations. Mais il avait joué franc jeu avec les fédés et, mame si le personnage lui déplaisait, communiqué tout ce qu'il savait a McKenna, y compris l'évasion de Rufus Harms et les coups de téléphone de Michael Fiske a la prison. Il lui avait mame parlé du document détourné auquel Fiske avait fait allusion. McKenna l'avait remercié, mais sans pouvoir rien lui apprendre en retour.
Comme par télépathie, l'agent du FBI fit son apparition juste a ce moment-la. Une apparition sonore d'abord. L'inspecteur reconnut sa voix a la porte d'entrée, quand le nouveau venu montra sa carte pour obtenir l'accès sur le lieu du crime. " Lieu du crime "...
pas au sens propre, mais c'était un peu ça tout de mame.
- Vous travaillez tard, ce soir, agent McKenna.
- Vous aussi, répondit le fédéral en balayant la pièce du regard - ou plutôt en l'époussetant, miette par miette, du milieu vers les côtés.
- Le directeur du FBI vous pousse a la roue pour boucler cette affaire ?
- Comme votre patron. au FBI, on a une prime quand on élucide un crime a temps pour les infos du soir.
McKenna se fendit d'un sourire, ce qui était exceptionnel chez lui, tellement exceptionnel que ses zygo-matiques rouillés ne lui permirent d'incurver qu'une moitié de sa bouche.
Le policier se demanda si ce type faisait exprès d'exaspérer les gens ou si c'était chez lui une seconde nature. Il s'était discrètement renseigné sur le personnage. Le parcours de Warren McKenna était irrépro-chable. après huit années au service action de Washington, il avait été muté a l'antenne du FBI de Richmond. avant cela, il avait servi quelque temps dans l'armée, et suivi une formation universitaire. Depuis sa sortie de fac, il avait toujours favorablement impressionné ses supérieurs. Dans l'évolution de sa carrière, un seul détail était curieux : il avait refusé plusieurs avancements qui l'auraient éloigné du terrain.
- Vous avez de la veine que John Fiske n'ait pas porté plainte contre vous.
La réponse de McKenna fut surprenante :
- Il devrait. ¿ sa place, je l'aurais déja fait.
- Je le lui dirai, faites-moi confiance.
McKenna continua de scruter la pièce avec un úil de Polaroid, puis reporta son attention sur Chandler.
- Vous ates quoi pour lui ? Son mentor ?
- Je ne le connaissais pas il y a encore deux jours.
- Eh bien, vous vous faites vite des amis. «a vous ennuie si j'inspecte les lieux ?
- Ne vous ganez pas. …vitez seulement de laisser vos empreintes sur des endroits qu'on n'a pas relevés.
McKenna marcha de long en large. Il repéra la marque sur le sol.
- Fiske essayant d'assommer son agresseur putatif ?
- Exact. Mais je ne savais pas qu'il était seulement putatif.
- Il l'est tant qu'il n'est pas accrédité par un témoignage complémentaire. Du moins, c'est comme ça que je travaille.
Chandler déballa un chewing-gum et le m‚cha comme pour mieux ruminer les propos de l'agent du FBI, avant de rétorquer :
- Sara Evans m'a dit avoir vu un homme sortir de l'immeuble en courant, poursuivi par Fiske. «a ne vous suffit pas ?
- Un témoignage commode. Fiske est un petit veinard. Il devrait jouer a la loterie pendant que la chance est de son côté.
- Je ne dirais pas que la mort d'un frère est un coup de chance.
McKenna regarda la porte du cagibi, entrouverte et couverte de poudre de carbone.
- question de point de vue.
- qu'est-ce que vous avez contre lui ? Vous ne le connaissez mame pas.
- C'est exact, inspecteur. Et vous savez quoi ?
Vous non plus.
Chandler voulut protester, mais le fait était que McKenna n'avait pas tort. Ses réflexions furent interrompues par l'un de ses hommes :
- Inspecteur, on a trouvé quelque chose qui peut vous intéresser.
Chandler prit les feuilles de papier que lui tendait le technicien. McKenna s'approcha.
- On dirait une police d'assurance, observa le fédéral.
- On les a trouvées sur une étagère du cagibi. Le type ne s'en servait pas comme garde-manger mais pour le rangement. Il y a aussi des factures, des bons de garantie, des trucs comme ça.
- Une assurance vie d'un demi-million de dollars, murmura Chandler. (Il feuilleta rapidement le document, passant sur le charabia juridique pour ne s'intéresser qu'au nom.) L'assuré était Michael Fiske.
McKenna posa son index sur le bas de la dernière page. Chandler p‚lit légèrement en voyant la clause indiquée.
- Et John est le bénéficiaire.
Les deux hommes se regardèrent.
- Vous voulez faire quelques pas dehors avec moi ?
J'ai une théorie a vous soumettre, proposa McKenna.
Le policier hésitait.
- Ce ne sera pas long, reprit le fédéral. D'ailleurs, vous devez déja vous douter en partie de ce que c'est.
- D'accord. Je vous donne cinq minutes.
Ils sortirent ensemble sur le trottoir devant l'immeuble. McKenna alluma une cigarette et en offrit une a Chandler. L'inspecteur lui montra son paquet de chewing-gums.
- J'ai le choix entre fumer et grossir. Or j'aime bien manger.
Ils déambulèrent dans la rue sombre. McKenna commença :
- J'ai découvert que Fiske n'avait pas d'alibi pour le meurtre de son frère.
- «a peut atre un bon point pour lui. S'il l'avait tué, il se serait démerdé pour en inventer un.
- Je ne suis pas d'accord, et ce pour deux raisons.
La première est qu'il n'a jamais d˚ penser qu'on le mettrait sur la liste des suspects.
- avec une assurance vie d'un demi-million de dollars ?
- Il a d˚ croire qu'on ne l'apprendrait jamais et qu'on suivrait une autre piste. Il lui suffisait d'attendre avant de palper son fric.
- Pas très convaincant. Votre deuxième raison ?
- L'alibi parfait n'existe pas, quand on est vraiment le coupable. Il a d˚ penser qu'on trouverait une faille a un moment ou a un autre. alors, autant ne rien faire. Il n'est pas tombé de la dernière pluie, il a été flic, il est avocat. Il sait a quoi s'en tenir, question alibis. En proclamant tout de suite qu'il n'en a pas, il n'a pas a se faire de bile. Il mise sur le fait que tout le monde arrivera a la mame conclusion que vous, a savoir : s'il était coupable, il aurait pris la peine de s'en fabriquer un.
McKenna aspira une longue bouffée de cigarette et contempla les rares étoiles qui scintillaient dans le ciel :
- Donc, il a le mobile et, de son propre aveu, le temps matériel. Je me suis rencardé sur lui. Il a un cabinet juridique minable a Richmond. Il défend la lie de la terre. Il n'est jamais passé par l'…cole de droit.
C'est un avocat de troisième ordre. La trentaine, célibataire, pas de gosses, une vie de merde. Un vrai solitaire.
Et il a quitté la police de Richmond pour des raisons pas très claires.
- Comment ça ?
- Une bavure. On ne sait pas trop ce qui s'est passé.
Mais résultat des courses : deux morts, un civil et un policier.
Chandler parut un peu ébranlé. Il se ressaisit vite :
- alors pourquoi serait-il venu me proposer son aide dans l'enquate ?
- Toujours pareil : une couverture. «a lui donne un excellent argument. " Comment aurais-je pu tuer mon petit frère alors que je me démène pour retrouver son assassin ? "
- Et la mort de Wright, qu'est-ce que vous en faites ?
- Vous l'avez dit vous-mame, les deux meurtres n'ont peut-atre rien a voir. Si j'étais Fiske, j'aurais sauté
sur l'occasion. J'aurais soutenu mordicus qu'ils sont liés. Puisqu'il a un alibi pour Wright.
Encore Sara Evans, songea Chandler.
- Tant qu'on croit que les deux vont de pair, reprit l'agent du FBI, il est hors du coup.
- Et Evans ? Elle dit avoir vu un type sortir de l'immeuble de Michael Fiske. Vous pensez qu'elle ment, elle aussi ?
McKenna s'arrata, tira une dernière bouffée de sa cigarette, la jeta sur le trottoir oa elle ricocha plusieurs fois, et regarda l'inspecteur droit dans les yeux.
- Elle aussi, répondit-il.
Le policier secoua la tate.
- allons, McKenna !
- Je ne dis pas qu'elle est dans le coup depuis le début. Je dis qu'elle en pince peut-atre pour Fiske et qu'elle lui obéit.
- Ils ne se connaissaient pas.
- ah bon ? Vous avez vérifié ?
- Non.
- Bon. Il la persuade qu'il n'a rien a se reprocher mais que certaines personnes veulent lui faire porter le chapeau.
- Vous ne pouvez pas le blairer, hein ? qu'est-ce qu'il vous a fait ?
La, McKenna perdit son calme.
- Ce qu'il m'a fait ? Il a une grande gueule, voila ce qu'il m'a fait. Il joue les petits saints, le gardien de la mémoire de son frère, seulement ils ne se parlaient plus depuis un bail. Il a passé la nuit avec Evans, chez elle, je ne sais pas dans quel lit, le lendemain de la découverte du cadavre de son frangin. Et il se promène avec un fusil. Il fourre son nez dans l'enquate, de sorte qu'il est au courant de tout ce qu'on fait. Il n'a pas d'alibi pour la nuit du meurtre et, depuis cinq minutes, on sait que la mort de son frère lui rapporte une demi-brique. Et il ne faudrait rien en déduire ? Votre flair de flic ne vous titille pas un peu les narines ?
- OK, vous marquez un point. J'ai peut-atre été
laxiste avec lui. Règle numéro un : ne faire confiance a personne.
- Une règle a ne pas enfreindre... si on ne veut pas risquer de le payer cher plus tard.
Il tourna les talons, laissant derrière lui un Chandler profondément perturbé.
Chapitre 45
John Fiske frappa a la porte du cabinet de Rider puis regarda a travers la vitre.
- Pas de lumière.
- Il doit atre chez lui. Il faut le retrouver.
- Il est peut-atre allé daner en ville. Ou il s'est absenté : en voyage d'affaires, en vacances ou...
- Ou décédé de mort violente.
- N'en rajoutez pas.
Il essaya le bouton de la porte, qui tourna facilement.
Il adressa un regard entendu a Sara et observa le couloir.
La vue du chariot de nettoyage le rassura un peu.
- La femme de ménage ? questionna-t-il.
- Elle s'amuserait a passer le balai dans le noir ?
- C'est ce que je me dis aussi...
Il fouilla dans le chariot et en retira une pince-monseigneur.
- allez vers l'escalier de secours, chuchota-t-il. Si vous entendez quelque chose, foncez dans la voiture et appelez les flics.
Elle lui prit le bras.
- J'ai une bien meilleure idée. allons ensemble a la police, tout de suite, pour déclarer le cambriolage.
- On ne sait pas si c'est un cambriolage.
- On ne sait pas si ce n'en est pas un.
- Si on s'en va, ils pourront filer.
- Et si vous entrez et que vous vous fassiez tuer, ça nous avancera a quoi ? Vous n'ates mame pas armé, vous n'avez que cette espèce de truc.
- Une pince-monseigneur.
- Super, vous pourrez leur faire un sermon.
- Vous avez peut-atre raison.
- Bien s˚r qu'elle a raison, la dame. Vous auriez d˚
l'écouter.
John et Sara sursautèrent et firent volte-face.
Josh Harms braquait son revolver sur eux.
- La cloison est mince. quand on a entendu la porte et tous vos chuchotements, on s'est dit que vous auriez envie d'aller voir les flics. Et on peut pas vous laisser faire ça.
John l'observa. Il était costaud, mais pas énorme. a moins qu'il ne s'agisse réellement d'un cambriolage, cet homme devait atre Josh Harms. Il lorgna le flingue et étudia le visage de Josh, pour jauger sa détermination. aurait-il le cran d'appuyer sur la détente ? Il avait tué au Vietnam, John l'avait appris dans les bulletins de presse. Mais un meurtre de sang-froid exigeait un autre genre de culot, que John ne percevait pas dans les yeux de Josh - quoiqu'un regard puisse atre trompeur. Tu es avocat, John, c'est le moment d'utiliser tes talents d'orateur.
- Salut, Josh, je m'appelle John Fiske. Et voici Sara Evans, de la Cour suprame des …tats-Unis. Oa est votre frère ?
Un homme apparut dans l'encadrement de porte, derrière lui. au vu de ses proportions herculéennes, ce ne pouvait atre que Rufus Harms. Il avait forcément tout entendu.
- Comment vous savez tout ça ? dit Rufus.
Son frère tenait toujours le couple en joue.
- Je serais ravi de vous répondre si vous nous lais-siez entrer pour en discuter. Toutes les radios parlent de vous. (Il se tourna vers la jeune femme.) après vous, Sara.
Il lui adressa un clin d'úil en douce pour la rassurer, bien qu'il f˚t beaucoup moins confiant qu'il ne voulait le paraatre. Ils étaient confrontés a un homme condamné
pour meurtre, que vingt-cinq ans d'enfer n'avaient pas transformé en enfant de chúur, et a un ancien du Vietnam que la g‚chette semblait chatouiller.
Sara entra, suivie de John.
Josh et Rufus échangèrent un regard perplexe, puis suivirent les deux visiteurs dans le bureau, en refermant la porte derrière eux.
La Jeep se dirigeait vers le cabinet de Samuel Rider par des routes secondaires. Tremaine était au volant, Rayfield a côté. C'était la voiture personnelle de Tremaine. Ils n'étaient pas en service et avaient renoncé
a prendre un véhicule de l'armée, pour éviter les complications. au cas oa quelqu'un les surprendrait dans le bureau de Rider, ils avaient une histoire toute prate : l'ancien avocat militaire de Rufus Harms exer-
çait dans la région et avait récemment rendu visite a Rufus en prison. Il était mort avec sa femme et on pouvait légitimement soupçonner les frères Harms de les avoir tués, Rider ayant fort bien pu confier a son client qu'il conservait de l'argent liquide a son domicile ou dans son cabinet.
Tremaine regarda Rayfield de travers.
- qu'est-ce que tu as ?
- On fait une connerie. C'est nous qui prenons tous les risques.
- Tu crois que je le sais pas ?
- Si on récupère la lettre de Harms et celle de Rider, on est sortis de l'auberge. On oublie Harms.
- Tu débloques ?
- Harms a écrit cette lettre parce qu'il voulait sortir de taule, répondit Rayfield. Il a tué cette gosse, mais il ne l'a pas assassinée, au sens propre, on est d'accord ?
Bon, maintenant, ça y est, il est sorti. ¿ l'heure qu'il est, son frère et lui sont probablement au Mexique, en train d'attendre un avion pour l'amérique du Sud. C'est ce que je ferais, a leur place.
- Seulement, t'es pas a leur place.
- qu'est-ce qu'il peut faire d'autre, Vic ? …crire une deuxième lettre a la Cour ? Pour dire quoi ? " Votre Honneur, je vous ai déja raconté cette histoire a dormir debout que je ne peux pas prouver, mais ma lettre s'est perdue, le greffier qui s'en est chargé est mort et mon avocat aussi. alors, je me suis évadé de prison, je suis en cavale et je veux que mon affaire passe en jugement. "
«a ne tient pas la route, Vic. Il ne fera jamais ça. Il va se tailler sans demander son reste. Il s'est déja taillé.
- Possible, admit Tremaine. Mais, au cas oa il serait moins futé que tu penses, je veux faire tout ce qui est en mon pouvoir pour le liquider. Et son frangin avec.
J'aime pas Rufus Harms, j'ai jamais pu l'encadrer. J'ai morflé chez les Viets pendant que cet enfoiré restait planqué au pays, logé et nourri. On n'aurait jamais d˚ le laisser pourrir en taule.
- C'est trop tard, maintenant.
- J'ai envie de lui faire un cadeau. Une nouvelle cellule, de deux mètres vingt de long, un mètre cinquante de large et tout en sapin. Mais sans drapeau dessus. Je veux pas trop le g‚ter quand mame.
Tremaine enfonça la pédale.
Rayfield secoua la tate et se carra sur son siège. Il regarda sa montre. Ils étaient presque arrivés.
Les frères Harms étaient debout en face de Sara et John, assis côte a côte sur un divan en cuir.
- qu'est-ce qu'on attend pour les ligoter et se barrer en vitesse ? dit Josh a son frère.
John Fiske s'en mala :
- Vous allez découvrir que nous sommes dans le mame camp.
- Ne le prends pas mal, lui rétorqua Josh, mais je t'emmerde.
- Il a raison, fit Sara. Nous sommes ici pour vous aider.
Josh ne répondit pas.
- John Fiske ? dit Rufus. (Il scruta le visage de John, en le comparant de mémoire a celui de Michael.) Le greffier qu'ils ont tué était de votre famille ? Un frère ?
John acquiesça.
- Oui. qui l'a tué?
- Ne leur dis rien, Rufus, intervint Josh. On sait pas qui ils sont, ni ce qu'ils veulent.
- Nous sommes venus pour parler a Sam Rider, répondit Sara.
- Eh ben, sauf si vous ates médium, ma belle, ça va pas atre facile.
John et Sara se regardèrent.
- Il est mort ? demanda-t-elle.
- Lui et sa femme, dit Rufus. Ils ont maquillé ça en suicide.
John remarqua les documents qu'il tenait a la main.
- Ce sont les papiers que vous avez envoyés a la Cour?
- C'est moi qui pose les questions, coupa Rufus.
- Je vous répète que nous sommes vos amis.
- Désolé, mais je fais pas ami ami si vite. De quoi vous vouliez parler avec Samuel ?
- C'est lui qui a envoyé votre demande a la Cour, n'est-ce pas ?
- C'est moi qui pose les questions !
- D'accord, d'accord. Je vais vous dire ce que nous savons et vous aviserez. «a vous va ?
- J'écoute.
- Rider a rédigé la demande. Mon frère l'a reçue et l'a détournée. Il est venu vous voir en prison. Et on l'a retrouvé mort dans une impasse mal famée de Washington. Ils ont voulu faire croire a une agression.
Maintenant, vous nous dites qu'ils ont liquidé Rider. Un autre greffier s'est fait descendre aussi. Je suppose que c'est en rapport avec la mort de mon frère, mais je ne peux pas l'affirmer. (John s'interrompit pour observer les deux hommes.) C'est tout ce que nous savons. Je pense que vous en savez beaucoup plus. Par exemple, pourquoi tout ceci est arrivé.
- Vous marchez avec les flics, pour atre si bien informés ? demanda Josh.
- J'aide l'inspecteur chargé de l'enquate.
- Tu vois, Rufus, je te l'avais dit. Tirons-nous vite fait. Les keufs vont rappliquer dans deux minutes.
- Non, dit Sara. J'ai vu votre nom sur les papiers que Michael avait pris, monsieur Harms, mais c'est tout ce que j'ai vu. Je ne sais pas pourquoi vous voulez faire appel, ni ce que contenait ce document.
- Pourquoi un prisonnier fait appel a la Cour, d'après vous ? demanda Rufus.
- Pour atre libéré, répondit John. (Rufus acquiesça.) Mais il faut avoir une raison sérieuse pour ça.
- J'ai la meilleure de toutes : la simple vérité.
- Dites-la-moi.
Josh entraana son frère vers la porte.
- Rufus, je le sens pas, ce mec. Il te tient le crachoir en attendant que les flics se pointent.
- Ils ont tué son frère, Josh.
- qu'est-ce qui te dit que c'est vraiment son frère ?
John sortit son portefeuille avec son permis de conduire.
- Ceci vous prouvera au moins que nous portons le mame nom.
Rufus repoussa le portefeuille.
- J'ai pas besoin de ça. Vous avez un air de famille.
- Mame s'ils sont pas avec les flics, comment ils pourraient nous aider ? reprit Josh.
Rufus se tourna vers eux.
- Puisque vous avez réponse a tout, vous pouvez répondre a ça ?
- Je travaille a la Cour suprame, monsieur Harms, dit Sara. Je connais tous les juges. Si vous avez la preuve de votre innocence, je vous promets que vous serez entendu. Sinon par la Cour suprame, au moins par une cour d'appel, croyez-moi.
- L'inspecteur sait qu'il y a du louche, ajouta John.
Si vous nous dites ce qui se passe, on pourra aller le trouver et il enquatera dans ce sens.
- Je connais la vérité, dit Rufus.
- Très bien, Rufus, mais, devant un tribunal, ça ne suffit pas, il faut des preuves.
- qu'y avait-il dans votre lettre ? interrogea Sara.
- Rufus, ne réponds pas, merde ! cria Josh.
Rufus passa outre.
- quelque chose que l'armée m'a envoyé.
- Vous avez tué la petite fille, Rufus ?
- Oui, dit-il en baissant les yeux. En tout cas, mes mains l'ont tuée. Le reste de moi ne savait pas ce qui se passait. Pas après ce qu'ils m'avaient fait.
- Expliquez-vous. qui vous a fait quoi ?
- Rufus, il essaie de te feinter, dit Josh.
- Ils m'ont déréglé la tate, c'est ça qu'ils m'ont fait.
John Fiske le regarda en face.
- Vous essayez de plaider la folie passagère ? Si c'est le cas, laissez-moi vous dire tout de suite que vous n'avez aucune chance. (Il guetta sa réaction.) Il y a autre chose, n'est-ce pas ?
- Pourquoi vous dites ça ?
- Parce que mon frère a pris votre demande très au sérieux. Suffisamment pour enfreindre la loi en détournant ce document et perdre la vie en essayant de vous aider. Il n'aurait pas fait ça pour une demande de circonstances atténuantes après vingt-cinq ans.
Dites-moi ce qui a co˚té la vie de mon frère.
Josh plaqua une énorme pogne sur la poitrine de John et le poussa violemment contre le dossier du divan.
- …coute-moi, petit malin : Rufus a pas demandé a ton frangin de venir foutre la merde. C'est ton frangin qui a tout fait foirer. Il a voulu vérifier l'histoire de Rufus parce que c'est un vieux bamboula enchristé pour un vieux crime. alors, ton couplet sur le petit frère vertueux, tu peux te le garder.
- Va donc voir ailleurs si j'y suis, pauvre con, répliqua John en se dégageant.
Josh lui mit le pistolet sur la tempe.
- Tu vas bientôt atre ailleurs. Chauffe-moi la place en enfer, je te rejoins plus tard, d'accord, cul-blanc ?
- arratez, implora Sara. Je vous en supplie, il ne demande qu'a vous aider.
- L'aide d'un faux derche, je m'en passe.
- Nous essayons seulement d'obtenir la révision du procès de votre frère.
- Je fais les révisions moi-mame. On en a marre de vos gueules enfarinées. Les prisons sont bourrées de mecs comme nous, vous ates seulement trop radins pour en construire d'autres. On la connaat, votre justice.
Toujours a l'ombre. Moi, je veux la justice au grand jour, je crains pas le soleil, je veux rester dehors.
- Commence pas a tout embrouiller, dit Rufus.
- ah bon ? Parce que tu sais comment débrouiller les choses, toi, tout d'un coup ?
John redoutait le pire. Josh Harms n'allait pas tarder a perdre les pédales, mame son frère ne semblait plus avoir prise sur lui. que faire ? Tenter de le désarmer ?
Josh devait avoir une quinzaine d'années de plus que lui, mais il avait l'air solide comme un roc. Si John ratait son coup, il risquait d'avaler son certificat de baptame avec sept dragées de 9 mm.
Un crissement de pneus sur l'asphalte leur fit tourner la tate. Rufus se posta a la fenatre pour voir ce qui se passait. Ils purent tous lire la peur dans ses yeux.
- C'est Vic Tremaine et Rayfield, dit-il.
- Merde ! pesta Josh. Ils ont de la quincaillerie ?
- Vic a une mitraillette.
- Merde !
Bruit de bottes sur le trottoir. Dans deux minutes, peut-atre moins, ils seraient ici. Josh posa un regard glacial sur John et Sara.
- Je te l'avais dit, Rufus. Ils nous ont baisés. Ils nous ont fait tchatcher pendant que l'armée cernait la baraque.
- au cas oa ça vous aurait échappé, on ne porte pas d'uniforme, dit John. Ils vous ont peut-atre suivis ?
- On est pas venus de la prison. Dès qu'ils vont nous voir, ils vont envoyer la purée, ça fait pas un pli.
- Sauf si vous vous rendez.
- Tu crois au Père NoÎl ? lança Josh.
- C'est pas une solution, dit Rufus. Ils me laisseront jamais en vie, avec ce que je sais.
John Fiske sonda Rufus. L'homme était aux abois. Il avait reconnu avoir tué la fillette. alors, l'affaire était close, non ? Pourquoi vouloir prendre sa défense ? que l'armée le remette dans sa cage, et on n'en parlait plus.
Mais ce n'était pas si simple. Mike avait essayé de l'aider. Il y avait une raison.
John se leva d'un bond.
Josh pointa son arme sur lui.
- Ne complique pas les choses, mec.
John ne le regarda mame pas. Il gardait les yeux braqués sur son frère.
- Rufus ! Rufus ! dit-il. (Le géant sortit enfin de son inertie.) Je peux peut-atre vous tirer de la, si vous faites exactement ce que je dis.
- On n'a pas besoin de toi, dit Josh.
- Dans trente secondes, ces deux types franchiront cette porte et vous n'aurez mame plus le temps de faire vos prières. Vous ne pouvez pas rivaliser avec leur armement.
- Tu veux que j'essaie mon pétard sur toi, pour voir ? dit Josh.
- Rufus, faites-moi confiance. Mon frère est venu vous aider. Laissez-moi finir ce qu'il a commencé.
Donnez-moi une chance, Rufus.
Une goutte de sueur perla sur le front de John. Sara était pétrifiée, obnubilée par le bruit des bottes qui se rapprochaient et la vision de la mitraillette.
Rufus finit par acquiescer lentement de la tate.
John entra en action.
- Planquez-vous dans les toilettes, tous les deux, dit-il.
Josh voulut protester, mais Rufus le poussa vers la salle de bains contiguÎ au bureau.
- Sara, accompagnez-les.
Elle ouvrit des yeux ronds.
- quoi?
- Faites ce que je vous dis. Si vous m'entendez appeler votre nom, tirez la chasse et sortez. Sinon, ne bougez pas. Vous deux, dit-il aux frères, restez derrière la porte.
- Et tu t'imagines que les petits soldats vont pas vouloir jeter un úil dans les chiottes, surtout si la porte est fermée ? jeta Josh, sarcastique.
- Je m'occupe d'eux.
- D'accord. Mais pas d'entourloupe, mec. Si tu joues au con, ma première balle t'atteindra juste ici, dit-il en visant la base du cr‚ne de Fiske. T'entendras mame pas le coup de feu. Tu seras mort avant !
John fit un signe de la tate, montrant qu'il acceptait le défi. Sara était blame, tremblante, haletante. Les bruits de bottes étaient tout près.
- John, je ne peux pas faire ça, dit-elle.
Il la saisit vigoureusement par les épaules.
- Vous le pouvez, Sara, et vous allez le faire. Tout de suite. Hop.
Docile, elle s'enferma dans le cabinet de toilette avec les frères Harms. John étudia la pièce autour de lui, en essayant de rassembler ses idées. Il repéra un porte-documents contre un mur. Il l'ouvrit. Rien dedans. Vite, il y fourra divers dossiers qu'il trouva sur le bureau de Rider. Les bottes résonnaient dans le couloir. Il s'installa devant la petite table de conférence.
au moment oa il s'asseyait, il entendit la porte du vestibule s'ouvrir. Le temps de sortir un dossier de la serviette, et c'était la porte intérieure qui s'ouvrait. Bien calé dans son fauteuil, il faisait semblant de déchiffrer des papiers et leva un regard étonné vers les intrus.
- qu'est-ce que...
Il n'eut pas le temps d'en dire plus. La vue de la mitraillette pointée dans sa direction lui imposa le silence.
- qui ates-vous ? demanda Rayfield, autoritaire.
- J'allais vous poser la mame question. J'ai rendez-vous avec Sam Rider. «a va faire un quart d'heure que je poireaute et il n'a toujours pas donné
signe de vie.
Rayfield avança de quelques pas.
- Vous ates un de ses clients ?
- Oui. Je suis arrivé de Washington par un vol charter spécialement pour le voir. Il y a des semaines que le rendez-vous est fixé.
- Un peu tard pour une réunion d'affaires, non ? fit Tremaine, l'úil mauvais.
- J'ai un emploi du temps chargé. C'était la seule heure possible. (Il regarda les deux hommes sans aménité.) Et d'abord, qu'est-ce que l'armée vient faire ici avec des mitraillettes ?
Tremaine faillit s'énerver, mais Rayfield calma le jeu. D'un ton plus diplomatique, il répondit :
- Vous n'avez pas a le savoir, monsieur...
monsieur ?
John ne commit pas l'erreur de leur donner son vrai nom. Si Rufus connaissait ces hommes, cela signifiait qu'ils avaient trempé dans l'affaire, auquel cas ils avaient peut-atre joué un rôle dans la mort de Mike.
- Michaels, répondit-il. John Michaels. Je dirige une agence immobilière, et Rider est mon conseiller juridique.
- Eh bien, vous allez devoir en trouver un autre, commenta Rayfield.
- Je suis satisfait des services de Sam.
- Ce n'est pas la question. Il ne vous donnera pas signe de vie, parce qu'il est mort. Il s'est suicidé après avoir tué sa femme.
John se leva, catastrophé. Ce n'était pas une vedette de l'écran, mais il n'avait pas trop a se forcer pour se donner un air horrifié : pris en sandwich entre deux soldats armés et deux flingueurs planqués dans les toilettes, il n'était pas particulièrement détendu. En cas d'échec, il serait le premier sur la liste des victimes.
- qu'est-ce que vous me racontez la ? Je lui ai parlé
dernièrement. Il n'avait pas l'air déprimé.
- «a va, ça vient, vous savez. Le fait est qu'il est mort.
John se laissa retomber dans son fauteuil et contempla avec accablement les dossiers étalés devant lui.
- Je n'arrive pas a le croire, dit-il. Je pouvais toujours attendre ! J'ai l'air de quoi, maintenant ?
Personne ne m'avait rien dit ! La porte du bureau n'était pas fermée. Oh, c'est vache. (Il repoussa les paperasses, dépité, puis changea de ton.) Mais... et vous, la-dedans ? L'armée est impliquée ?
Tremaine et Rayfield hésitèrent.
- Un homme s'est évadé d'une prison militaire des environs, dit Rayfield.
- Bon Dieu, vous pensez qu'il se cache par ici ?
- On ne sait pas. Il se trouve que Rider était l'avocat du fugitif. On a pensé qu'il pouvait atre venu ici pour voler de l'argent ou autre chose. C'est peut-atre lui qui a tué Rider, rien n'est impossible.
- Mais vous avez dit que c'était un suicide.
- C'est ce que suppose la police. C'est pourquoi nous sommes ici. Pour vérifier, a tout hasard.
quand John vit Tremaine se diriger vers la salle de bains, son cúur se mit a danser la samba.
- Susan, vous pouvez sortir, s'il vous plaat ?
appela-t-il.
Ils entendirent tous la chasse d'eau. La porte s'entreb‚illa et Sara sortit. Elle joua l'hébétude. Pour elle non plus, ce n'était pas vraiment un rôle de composition.
" Elle panique totalement ", se dit John.
- que se passe-t-il, John ?
- J'ai dit a ces messieurs que nous avions rendez-vous avec Sam Rider et, vous n'allez pas me croire, il est mort.
- Mon Dieu !
- Susan est mon assistante. Messieurs, vous ne m'avez pas dit vos noms, je crois.
- En effet, répondit sèchement Tremaine.
- Ces messieurs sont des militaires, Susan. Ils cherchent un prisonnier évadé qui, d'après eux, a peut-atre quelque chose a voir avec la mort de Sam.
- Oh, mon Dieu, mon Dieu... John, retournons a l'aéroport et allons-nous-en d'ici.
- C'est pas une mauvaise idée, dit Tremaine. On sera plus tranquilles pour fouiller les lieux si on vous a pas dans les jambes.
Il s'intéressa de nouveau a la porte de la salle de bains. Il tenait son arme d'une main et tendait l'autre vers la poignée.
- Je peux vous assurer que personne ne se cache la, dit Sara.
- Si ça vous ennuie pas, ma jolie, j'aime bien vérifier ce genre de choses par moi-mame.
John observa Sara. Il sentit qu'elle était sur le point de craquer. Tiens bon, Sara, tiens bon.
Derrière la porte de la salle de bains obscure, Josh Harms visait directement la tate de Tremaine avec son revolver, a travers l'interstice entre le battant et le cham-branle. Il estimait avoir un avantage tactique. Vic Tremaine d'abord, puis Rayfield. C'était un très léger avantage, compte tenu de son faible champ de vision, mais il ne pouvait pas rater le premier. Il avait Vic en point de mire comme un petit tank Sherman, et déja le doigt sur la détente...
Son frère, blotti contre lui, faisait de son mieux pour loger son grand corps dans l'encoignure. Dès que Tremaine pousserait la porte, le carnaval commencerait.
John se mit a ranger les dossiers dans le porte-documents en bougonnant.
- quelle journée, je vous jure ! D'abord, ces deux Noirs qui manquent nous renverser, et maintenant ça.
Tremaine et Rayfield réagirent au quart de tour.
- quels deux Noirs ? demandèrent-ils d'une mame voix.
- La, tout a l'heure, quand on est entrés dans l'immeuble. Ils arrivaient comme des bolides, ils nous ont télescopés. Susan a failli rester sur le carreau.
- ¿ quoi ils ressemblaient ? demanda Rayfield.
Tremaine oublia la salle de bains pour venir aux renseignements.
- Eh bien, ils étaient noirs, comme je vous le dis.
L'un des deux devait atre un ancien pilier de football américain. Une vraie armoire a glace, vous vous rappelez, Susan ? (Elle acquiesça et commença a mieux respirer.) L'autre était assez costaud aussi, un mètre quatre-vingt-dix, par la, mais beaucoup plus mince.
Dans les quarante-cinq, cinquante ans, je dirais.
- Vous avez vu par oa ils sont partis ? demanda Tremaine.
- Ils ont sauté dans un vieux tacot et ont filé vers le nord. Je ne m'y connais pas beaucoup en voitures, je ne saurais pas vous dire la marque, mais c'était un modèle ancien. Vert, il me semble. (Il prit un air effrayé.) Vous ne pensez pas que c'était le prisonnier évadé, dites ?
Il n'obtint pas de réponse. Tremaine et Rayfield avaient déja disparu. quand ils entendirent les bottes s'éloigner dans le couloir, John et Sara s'effondrèrent ensemble sur le divan et se donnèrent l'accolade.
- T'as sauvé ta peau. T'as de la tchatche.
Ils levèrent les yeux. Josh renfonçait son revolver dans son pantalon en souriant.
- Nous sommes juristes tous les deux, répondit John en serrant toujours Sara dans ses bras.
- Eh, personne n'est parfait, dit Josh.
Rufus apparut derrière son frère.
- Merci, dit-il simplement.
- J'espère que vous nous croyez, maintenant.
- Ouais, mais je vais pas accepter votre aide.
- Rufus...
- Tous ceux qui ont essayé de m'aider jusqu'ici sont morts. Sauf Josh, mais on a failli tous y passer, ce soir. Je veux pas avoir ça sur la conscience. Foncez a l'aéroport et oubliez cette histoire.
- Je ne peux pas. C'était mon frère.
- Faites ce que vous voulez, mais sans moi. (Par la fenatre, il regarda la Jeep s'éloigner vers le nord.) Faut pas moisir ici, Josh. Ils peuvent avoir envie de revenir.
Comme les deux hommes s'apprataient a partir, John sortit quelque chose de sa poche.
- Tenez, Rufus, dit-il. C'est ma carte professionnelle. Il y a le téléphone de mon bureau et de mon domicile. Réfléchissez bien, Rufus. Seul, nous n'arriverez a rien. quand vous l'aurez compris, appelez-moi.
Sara lui prit la carte des mains, griffonna quelque chose sur le verso et la lui rendit.
- C'est le numéro de chez moi et de mon portable.
Vous pouvez me joindre de jour comme de nuit.
Rufus glissa la carte dans sa poche. Une minute plus tard, Sara et John étaient seuls. Epuisés, ils se dévisagè-rent longuement sans rien dire. Ce fut John qui rompit le silence.
- Eh bien, il était moins une.
- John, je ne veux plus jamais, jamais revivre ça.
Elle s'éloigna en titubant.
- Oa allez-vous ?
Elle ne prit pas la peine de se retourner pour répondre :
- aux toilettes, a moins que vous ne vouliez me voir vomir ici.
Chapitre 46
Une heure après sa conversation avec Warren McKenna, Chandler remontait lentement l'allée de sa maison, un confortable pavillon de brique dans un quartier de constructions standardisées. Un endroit s˚r et agréable pour élever des enfants - du moins l'était-il vingt ans plus tôt. C'était un peu moins agréable et beaucoup moins s˚r aujourd'hui ; mais pouvait-on encore atre en sécurité quelque part ? se demandait-il.
autrefois, quand il voulait se détendre après le travail, il faisait quelques passes de basket avec ses gosses. Il avait fixé un panier au-dessus de la porte du garage. Depuis le temps, le filet avait pourri et Chandler avait fini par démonter l'anneau, qui commençait a rouiller. Il alla s'asseoir dans le jardin, sur un banc de cèdre blanc, sous un magnolia, devant une petite fontaine. ah, cette fontaine... Il en avait bavé, pour l'installer. Une idée de sa femme ! Il l'avait maudite, a l'époque. Maintenant, il comprenait son insistance. Les travaux de maçonnerie avaient agi sur lui a la façon d'une catharsis. Les plans, les mesures, le choix des matériaux... C'était un peu comme un boulot de détective, un casse-tate oa il fallait autant de chance que de compétence pour que toutes les pièces s'emboatent et tiennent ensemble.
après dix minutes de calme, il se leva et, le veston sur l'épaule, marcha vers la maison. Il regarda dans la cuisine tranquille. Elle était bien décorée, toute la maison l'était, gr‚ce aux soins jaloux de sa femme, Juanita. L'éducation des enfants, les visites médicales, le paiement des factures, l'entretien des fleurs, la tonte de la pelouse, le désherbage, le ménage, la lessive, le repassage, la cuisine, la vaisselle, c'était elle qui s'était chargée de tout, pendant que, de son côté, il bossait dur pour faire bouillir la marmite. C'était un partenariat.
Une fois que les gosses avaient été casés, elle avait repris des études, était devenue infirmière et travaillait dans le service de pédiatrie d'un hôpital local. Trente-trois ans de mariage, et toujours en pleine forme.
Chandler ne savait pas combien de temps encore il continuerait ce boulot. Il commençait a accuser le coup.
L'odeur du sang, le contact des gants de caoutchouc, les petits pas, la peur de marcher sur un indice qui permet-trait de coffrer un salopard et éviterait une prochaine victime. La paperasse, les avocats mielleux qui posent des questions insidieuses, magouillent dans les prétoires, les juges blasés qui proclament des verdicts comme des laborantins énonçant des résultats d'analyse sanguine. Le mutisme des accusés qui, tels des robots, vont sans la moindre émotion rejoindre leurs semblables en prison pour parfaire leur apprentissage et en ressortir maatres en matière de criminalité.
La sonnerie du téléphone coupa court a ses idées noires.
- allô ?
Il écouta, donna quelques instructions et raccrocha.
On avait retrouvé une douille dans la ruelle oa avait été
découvert le corps de Michael Fiske. apparemment, elle avait ricoché contre un mur et atterri dans un tas d'ordures derrière une poubelle. Elle était en bon état et le labo devait atre en mesure de déterminer si c'était la balle qui avait tué le greffier. Ce ne serait pas difficile, pour une raison répugnante : si c'était la bonne, elle aurait des traces de sang et de tissu cérébral. Maintenant, restait a mettre la main sur l'arme du crime.
Ensuite, ce serait la routine : expertise balistique et relevé d'empreintes, s'il y en avait.
Chandler passa dans le living-room, laissant son revolver derrière lui, et s'assit dans un fauteuil a la mesure de sa corpulence. La pièce était sombre, mais il n'alluma pas. Il était entouré de trop de lumières au boulot. Les néons de son bureau lui tapaient sur les nerfs ; l'éclairage cru de la salle d'autopsie, qui n'épar-gnait aucun détail sordide, lui retournait l'estomac et l'avait contraint plus d'une fois a inventer une excuse pour ne pas assister aux dissections aseptisées des char-cutiers officiels. Et les flashes des photographes sur les lieux d'un crime ou dans les tribunaux ! Non, assez, ça suffisait comme ça. Un peu d'obscurité, ça reposait.
C'était ainsi qu'il imaginait sa retraite : sombre et fraache. Comme la fontaine dans le jardin.
Les propos de Warren McKenna l'avaient troublé, mame s'il s'était efforcé de ne pas le montrer. Il ne pouvait se résoudre a l'idée que John Fiske e˚t tué son frère. Mais n'était-ce pas exactement ce que Fiske cherchait ?
Il y avait cependant un autre point, qu'on ne pouvait négliger : les appels téléphoniques de Michael a Fort Jackson. Et maintenant l'évasion de Rufus Harms. Existait-il une corrélation ? Fiske protégeait Sara Evans, c'était clair. Chandler hocha la tate. Il devrait dormir avec ce dilemme, parce que, pour l'instant, sa vieille cervelle tournait a vide.
Il sursauta. Deux bras lui encerclèrent le cou. Son flingue ! Oa était son flingue ?
- On peine au travail ou on travaille a peine ?
Il se détendit aussitôt et leva les yeux vers Juanita.
Elle avait de petites rides rieuses aux coins de la bouche.
Son visage avait constamment cette mame expression amusée, comme si elle était toujours sur le point de raconter une histoire drôle. Pour Chandler, c'était un rayon de soleil qui effaçait les tracas de la journée et lui remontait le moral en un clin d'úil.
- Femme, dit-il en se tenant la poitrine, si tu me refais un coup comme ça, je vais devoir me fabriquer des ailes d'ange.
Elle s'assit sur ses genoux. Elle portait une robe de chambre blanche et avait les pieds nus.
- allons, un grand gaillard comme toi ? Et qu'est-ce qui te dit que tu auras droit a des ailes d'ange ?
Il passa un bras autour de sa taille qui, après trois maternités, n'était plus aussi fine que la nuit de leurs noces. Idem pour lui, d'ailleurs. Il n'avaient pas grandi, mais grossi ensemble, aimait-il dire. L'équilibre était essentiel dans la vie. Un gros avec une maigre, c'était la catastrophe assurée.
Personne au monde ne le connaissait mieux que Juanita. C'était peut-atre ça, un mariage réussi : savoir qu'il y a quelqu'un, près de vous, qui connaat votre formule personnelle. Pour Chandler, ce quelqu'un-la était Juanita.
- Je suis peut-atre un grand gaillard, dit-il en souriant, mais je suis aussi un sentimental. Et on ne sait jamais ce qui peut faire craquer un sentimental. après avoir passé ma vie a pourchasser le crime, je pense que le bon Dieu est en train de me coudre une jolie petite paire d'ailes d'ange, taille XL, bien s˚r. Puisqu'il sait tout, il doit savoir que je me suis un peu enveloppé avec l'‚ge.
Il lui baisa la joue, et elle caressa son cr‚ne dégarni.
Elle sentait que sa bonne humeur était forcée.
- Buford, si tu me disais ce qui te chiffonne, on pourrait peut-atre en parler ? Tu dormirais mieux. Il se fait tard, tu sais. Et demain est un autre jour.
Il se dérida.
- Oa sont passés mes talents de bluffeur ? Je croyais que j'étais impénétrable et que je pouvais regarder un suspect en face sans qu'il se doute de rien.
- Tu n'as jamais été bon au poker menteur. alors, dis-moi tout.
Elle lui massa la nuque et il lui caressa les pieds.
- Tu te souviens de ce jeune gars dont je t'ai parlé ?
John Fiske ? Le frère de ce greffier de la Cour suprame ?
- Je m'en souviens. Un deuxième greffier a été
assassiné, c'est ça ?
- C'est ça. Eh bien, j'étais dans l'appartement de son frère, ce soir. Je cherchais des indices. Et McKenna, cet agent du FBI, s'est pointé.
- Celui qui est aussi nerveux qu'une grenade dégoupillée et que tu n'arrivais pas a cerner ?
- Lui-mame.
- Eh bien... ?
- Eh bien, on est tombés sur une police d'assurance. La mort du jeune greffier rapporte un demi-million a John Fiske.
- Et après ? Ils sont de la mame famille, pas vrai ?
Toi aussi, tu as une assurance vie, non ? quand tu te décideras a mourir, je serai riche, dit-elle en posant une bise sur le sommet de sa tate. Et j'espère que tu vas te dépacher. Il serait temps de tenir toutes ces belles promesses que tu m'as faites. ¿ moi la grosse galette, vite.
Ils rirent et se c‚linèrent.
- Fiske ne m'avait jamais parlé de cette assurance.
C'est pourtant un mobile classique pour un meurtre.
- Il n'était peut-atre pas au courant ?
- Possible, concéda Chandler. N'empache que McKenna m'a exposé toute une théorie selon laquelle Fiske aurait tué son frère pour la prime, aurait embringué dans sa combine une greffière qui a le béguin pour lui et serait venu me proposer son aide pour pouvoir me lancer sur une fausse piste. Il aurait mame menti en prétendant avoir surpris un intrus dans l'appartement de son frère. Et je dois reconnaatre que les arguments de McKenna étaient très convaincants, du moins en surface.
- Donc, John a eu accès a l'appartement de son frère ?
- Oui. Il affirme qu'un type l'a sonné et s'est enfui, peut-atre en emportant des indices compromettants.
- Puisque ton John a pu entrer dans l'appartement et inventer cette histoire d'effraction, s'il savait que cette police d'assurance existait, pourquoi ne l'a-t-il pas prise ? Pour vous laisser le plaisir de la trouver vous-mame et diriger les soupçons sur lui ?
Chandler la regarda en écarquillant les yeux.
- Buford, ça ne va pas ?
- Chérie, je croyais que c'était moi, le policier de la famille. Bon sang de bonsoir, comment n'y ai-je pas pensé ?
- Parce que tu es surmené et sous-estimé, voila comment. (Elle se leva et lui tendit la main.) Mais, si tu montes maintenant, je vais te prouver qu'il y en a qui t'estiment a ta juste valeur. Viens un peu me montrer a quel point tu es sentimental, Buford.
Elle l'observa avec des paupières mi-closes, et Chandler comprit que ce n'était pas un signe de sommeil.
Il se leva, lui prit la main et ils gravirent l'escalier ensemble.
Chapitre 47
La Jeep turbinait plein pot. Tremaine épiait les passagers de toutes les voitures qu'ils dépassaient.
- Tu parles d'une déveine, maugréait Rayfield. a quelques minutes près, on leur tombait dessus.
Tremaine ne l'écoutait pas. Il gardait les yeux fixés sur la voiture qui les précédait. quand il doubla, le plafonnier s'alluma, éclairant le conducteur et le passager, qui dépliait une carte.
Tremaine lorgna l'intérieur de la voiture, puis écrasa les freins, vira brusquement a gauche, franchit le terre-plein central dans un tressautement d'amortisseurs et s'engagea sur la voie opposée. Retour au point de départ : il fonçait vers le bureau de Rider.
- qu'est-ce qui te prend, t'es cinglé ? s'écria Rayfield.
- Ils nous ont baladés. Le mec et la poule. Leur histoire, c'était du bidon.
- Comment tu le sais ?
- La lumière dans les chiottes.
- Eh ben, quoi, la lumière ?
- Elle était pas allumée. La salope était dans le noir.
«a m'est revenu quand j'ai vu le plafonnier de cette bagnole. Y avait pas de lumière sous la porte pendant qu'elle y était. quand elle est sortie, elle a pas touché
l'interrupteur, parce que c'était déja éteint. Elle était pas sur le trône. Elle était debout derrière la porte, en pleine obscurité. Devine pourquoi...
Rayfield p‚lit.
- Parce que Harms et son frère y étaient aussi. (Il cogita.) Le type a dit qu'il s'appelait John Michaels.
John... Michael... ça pourrait atre John Fiske, tu penses ?
- Et la fille était Sara Evans ? Oui, c'est ce que je pense. appelle les autres pour les mettre au courant.
Rayfield prit le téléphone cellulaire.
- On rattrapera jamais Harms, maintenant.
- Si.
- ah ouais ? Et comment ?
Tremaine avait trente ans d'armée derrière lui. Il avait appris a jauger la tactique du camp adverse.
- Fiske a dit qu'ils étaient partis dans une voiture.
Le contraire d'une voiture, c'est un camion. Il a dit que c'était une vieille caisse. Le contraire, c'est un camion neuf. Il a dit qu'ils allaient au nord, donc on va au sud.
On n'a perdu que cinq minutes. On les rattrapera.
- J'espère que tu as raison. S'ils étaient dans le bureau de Rider...
Il s'interrompit. Tremaine acheva la déduction :
- «a signifie qu'ils ont pas pris le large. «a signifie qu'ils sont venus chercher quelque chose chez Rider. Et ça peut pas atre une bonne nouvelle pour nous. (Il indiqua le téléphone d'un signe de tate.) appelle. On s'occupe de Harms et de son frère. qu'ils s'occupent de Fiske et de la femme.
Vu les implications de l'affaire en haut lieu, le FBI avait offert son propre laboratoire pour l'analyse de la douille trouvée dans la ruelle. après une étude compara-tive avec les tissus prélevés sur la dépouille de Michael Fiske, il apparaissait qu'il s'agissait bien de la balle qui lui avait transpercé le cerveau. C'était du 9 mm, calibre couramment employé par les forces de l'ordre.
Fort de cette information, l'agent McKenna s'assit devant un terminal d'ordinateur, au siège du FBI, et envoya une requate prioritaire a la police d'…tat de Virginie. La réponse ne tarda pas. John Fiske possédait un 9 mm SIG-Sauer enregistré a son nom, reliquat de ses années de flic. McKenna sauta dans sa voiture et, deux heures plus tard, il quittait la 95 pour s'engager dans les rues sombres de Richmontd. au bout de Shockoe Slip, il se rangea dans un parking isolé près de la vieille gare.
après dix petites minutes de trotte, il était debout dans le bureau de John Fiske. Il avait eu raison des serrures de l'immeuble et du cabinet d'avocat avec beaucoup de facilité. Il promena une lampe de poche dans la pièce. Il avait décidé de fouiller le bureau de Fiske avant son appartement. Il ne lui fallut que quelques instants pour dénicher le pistolet, une arme légère et compacte. Il le soupesa dans sa main gantée et le fourra dans sa poche.
Il continua son inspection. Le faisceau de sa lampe capta une photo encadrée sur un rayon de la bibliothèque. Il la prit. Comme la lumière électrique se reflé-tait trop vivement sur le verre, il l'emporta devant la fenatre pour la regarder au clair de lune.
Les frères Fiske n'avaient rien de particulier a première vue. Michael était plus grand et plus beau que son aané, mais il y avait dans le regard de John - ici en uniforme, ce qui laissait supposer que la photo était déja ancienne - une intensité saisissante. McKenna connaissait ce genre de regard, il avait fait l'essentiel de sa carrière au FBI, et Fiske l'essentiel de la sienne sous cet uniforme. L'expérience de flic vous donnait ces yeux-la, ou vous les éteignait a jamais.
Il reposa la photo et s'en alla.
Deux heures de trajet de retour, et McKenna était rentré chez lui, dans un faubourg tranquille du nord de la Virginie. assis dans son petit bureau, il buvait de la bière en fumant une cigarette. Il tenait le pistolet de Fiske. Un joli outil de travail, ce P 226. Entretenu avec soin. L'animal avait bien choisi sa pétoire. Un flic devait se fier a son arme pour survivre. Naguère encore, les policiers dégainaient rarement. «a avait bien changé
aujourd'hui.
Fiske avait tué un homme avec ce flingue, McKenna le savait. Il avait tiré un coup mortel. Une sale expérience. McKenna connaissait ça. quelques secondes, et tout était joué. La chaleur du métal, l'odeur écúurante de la poudre. au cinéma, une balle expédiait son homme ad patres comme une baguette magique. Dans la vie réelle, ce n'était pas du tout ça. Le type ne reculait pas de trois mètres sous le choc ; on le voyait tomber sur place, on le voyait pisser et chier dans son froc en s'écroulant dans la poussière. McKenna avait tué un homme, lui aussi. Un réflexe. On appuie sur la détente et adieu l'ami, le mec a les yeux qui lui sortent de la tate, il chancelle et s'effondre. Plus tard, McKenna était retourné sur le lieu de la fusillade et avait repéré deux impacts de balle sur le mur, de part et d'autre de l'endroit oa il se trouvait quand l'autre l'avait visé. Le gars avait tiré le premier et l'avait raté miraculeusement
- en apparence seulement, parce que McKenna avait appris par la suite qu'il était pratiquement borgne et appréciait mal les distances. L'agent du FBI ne devait sa survie qu'a la déficience oculaire du malfrat. En rentrant chez lui pour retrouver sa femme et ses gosses, Warren McKenna avait mouillé son slip.
Il reposa le pistolet et médita. Son obstination avait payé. Demain, Fiske et Sara devraient répondre a quelques questions sans complaisance. Il s'en ouvrirait d'abord a Chandler, lui exposerait les faits et laisserait l'inspecteur faire son devoir.
Il se leva et marcha de long en large. Sur les murs, il y avait des photos de lui avec des gens importants et, soigneusement disposées sur une table, les nombreuses décorations et citations que lui avaient values son courage et sa présence d'esprit. Il avait derrière lui une belle carrière au service de la loi et de l'ordre, mais tous ces honneurs ne compensaient pas la tache qui souillait son passé, une mauvaise action de jadis qu'il avait toujours traanée comme un boulet. C'était de l'histoire ancienne aujourd'hui, mais elle aveuglait encore sa mémoire. Et c'était cela, ce fantôme du passé, qui le contraignait maintenant a faire coffrer Fiske pour meurtre.
Il écrasa sa cigarette et se promena silencieusement dans la maison. Sa femme était au lit depuis longtemps.
Ses deux enfants étaient grands et indépendants. Financièrement, il s'en était bien tiré, bien que les fédéraux n'aient jamais jonglé avec les dollars, a moins de renoncer a leur carte pour pantoufler dans le privé. Mais sa femme, qui travaillait dans un grand cabinet juridique de Washington, avait collectionné les billets verts. La maison était donc spacieuse, richement meublée et pratiquement vide. Il regarda a nouveau vers son bureau. Toute sa carrière était résumée sur cette table et dans ces photos. Telle une épitaphe. Il inspira profondément dans le noir. Le repentir était un boulot a temps plein, qui durait toute la vie.
L'avion se posa et se rangea sur la piste. quelques minutes plus tard, John et Sara se dirigeaient vers le parking de National airport.
- On s'est tapé un aller-retour en avion, on a failli se faire massacrer et on rentre bredouilles, bougonna Sara. quelle belle idée j'ai eue !
- Vous vous trompez, dit John.
Ils montèrent en voiture.
- ah ? Et qu'est-ce qu'on a appris au juste ?
demanda-t-elle.
- Plusieurs choses. Premièrement, on a vu Rufus Harms en face. Je pense qu'il dit la vérité, quelle qu'elle soit.
- Vous ne pouvez pas en atre s˚r ?
- Réfléchissez, Sara, il a pris le risque de venir dans le bureau de Rider au lieu de passer la frontière. Il est venu pour récupérer la demande qu'il avait écrite. Pourquoi aurait-il fait ça s'il n'était pas convaincu de son bon droit ?
- Je ne sais pas. S'il croit tellement en cet appel, pourquoi ne l'a-t-il pas simplement récrit ?
- Parce que Rider avait envoyé le document dont il avait besoin. Vous l'avez vu vous-mame dans la mallette de mon frère. Maintenant que Rider est mort, il veut un double. Il a aussi parlé d'une lettre de l'armée. Il doit penser qu'il lui faut les deux.
- «a se défend.
- Nos deux copains de l'armée ne sont pas venus la pour chercher Rufus Harms, mais pour fouiller le bureau de Rider.
- qu'en savez-vous ?
- Ils ne nous ont mame pas demandé si on avait vu quelqu'un de suspect correspondant au signalement de Rufus. C'est moi qui ai mis ça sur le tapis. Et ils n'étaient pas en service commandé. au milieu de la nuit, avec des mitraillettes... Non, ce n'étaient pas des policiers militaires. D'après leur ‚ge et leur comportement, c'étaient des gradés, de haut gradés. Débarquer dans le bureau d'un civil en pleine nuit, mitraillette au poing, ce n'est pas ainsi que procède l'armée.
- Vous avez peut-atre raison.
- Donc je pense que ce document contenait quelque chose qui concerne personnellement ces hommes.
- Nous ne savons mame pas qui ils sont, objecta la jeune femme.
- Si. Rufus a prononcé leurs noms. L'un s'appelle Tremaine, Vic Tremaine, l'autre Rayfield. Comme ce sont des militaires, ils ont s˚rement quelque chose a voir avec Fort Jackson. Rufus a dit qu'ils lui avaient fait du mal. Je suis certain qu'il voulait parler de la prison.
- John, mame s'ils l'ont poussé a tuer cette petite fille, ou mame s'ils lui ont ordonné de le faire pour une raison sordide, ils risquent au pire une inculpation pour homicide par délégation, au mieux pour incitation au meurtre. Et encore. après toutes ces années ? Si Harms n'a pas d'élément plus sérieux contre eux, il n'a rien et vous le savez très bien.
- Je sais surtout que nous ignorons ce qui s'est passé exactement. Si des gens ont rendu visite a Harms dans sa cellule la nuit du meurtre, ça doit figurer sur un registre.
Sara semblait sceptique.
- après vingt-cinq ans ?
- Et il y a aussi cette lettre de l'armée. quel genre de lettre l'armée pourrait-elle envoyer a un ancien trou-
fion condamné par la cour martiale ?
- Vous croyez que c'est cette lettre qui a tout déclenché ?
- Elle pouvait contenir une information dont Rufus n'avait jamais eu connaissance, bien que je ne voie pas ce que ça peut atre, reconnut-il.
- attendez un peu. Si Tremaine et Rayfield sont de Fort Jackson, pourquoi auraient-ils laissé cette lettre parvenir a Harms ? Le courrier des prisonniers n'est pas censuré ?
John réfléchit.
- Elle est peut-atre passée au travers.
- Ou peut-atre n'a-t-elle pas été envoyée a la prison. Josh semblait au courant de tout. Peut-atre est-ce lui qui a reçu la lettre. Il l'a lue et en a parlé a son frère.
- Du coup, Rufus s'arrange pour feindre une crise cardiaque, se fait transférer a l'hôpital le plus proche et son frère l'aide a s'évader.
- «a colle.
- Si seulement on pouvait découvrir ce qui s'est passé ce jour-la a Fort Jackson ! D'après les propos de Rufus et de Josh, il est clair que mon frère lui a rendu visite en prison.
- On pourrait s'en assurer en téléphonant ou en allant a Fort Jackson.
John rejeta cette idée.
- Si ces deux types sont de la-bas, ils auront effacé
toutes les traces, peut-atre mame muté tous ceux qui ont vu Mike sur place. Et on ne peut pas s'en remettre a Chandler. qu'est-ce qu'on lui dirait ? Deux militaires recherchent un fugitif évadé d'une prison de l'armée : et alors ? quoi de plus normal ?
- En tout cas, si Rayfield et Tremaine travaillent a la prison, Michael est allé se jeter dans la gueule du loup. Je sais que vous n'étiez plus très proches, tous les deux, mais c'est tout de mame curieux que Michael n'ait pas essayé de vous joindre pour vous demander de l'aide. Il serait peut-atre encore en vie.
John se raidit et ferma les yeux. Il ne voulait pas en dire plus.
En arrivant chez Sara, John alla directement au réfrigérateur pour prendre une bière.
- Vous avez des cigarettes ?
Elle haussa les sourcils.
- Je ne savais pas que vous fumiez.
- Il y a des années que j'ai arraté. Mais j'ai besoin d'une cigarette maintenant.
- Eh bien, vous avez de la chance.
Elle tira une chaise, la cala devant le comptoir de la cuisine et monta dessus après avoir enlevé ses chaussures.
- Je cache ma réserve dans un endroit difficilement accessible pour atre moins tentée. Je crois que je manque de volonté.
John la regarda se hisser sur la pointe des pieds pour atteindre le dessus du placard. Ses doigts touchaient a peine le rebord.
- Sara, laissez-moi faire, vous allez vous casser le cou.
- Je l'ai, John. Enfin presque...
Elle s'étira pour t‚tonner avec la main et John se surprit a reluquer le haut de ses cuisses sous sa jupe relevée. Comme elle chancelait un peu, il posa une main sur sa taille pour la stabiliser. Elle avait une petite tache de naissance derrière la cuisse droite, un triangle ros‚tre, qui semblait palpiter au rythme de ses efforts.
La main de John glissa un peu vers la hanche. Il baissa les yeux. Elle avait les orteils longs et souples, elle devait marcher souvent pieds nus. Il détourna la tate.
- «a y est, dit-elle en montrant le paquet. Des Camel, ça ira ?
- Du moment que ça se fume, ça m'est égal.
Il l'aida a descendre, prit une cigarette et lui tendit le paquet.
- Vous aussi ? dit-il. C'est vous qui avez fait tout le boulot.
Elle accepta. Il en piocha une pour elle, lui donna du feu, et Sara se servit une bière a son tour. Puis ils allèrent s'asseoir dans une vieille balancelle sur la petite terrasse afin de contempler la rivière.
- Vous avez bien choisi votre coin, commenta-t-il.
- «a a été le coup de foudre. Je me verrais bien ici toute ma vie.
Elle ramena ses jambes sous elle, tapa sa cigarette contre la rambarde et regarda la brise emporter la cendre. La jeune femme renversa la tate en arrière et but une longue gorgée de bière.
- Vous ates impulsive.
Elle l'observa.
- Vous ne vous fiez jamais a votre premier mouvement ?
Il ne répondit pas tout de suite.
- Rarement. Et maintenant, quels sont vos projets ?
Un mari, des enfants ? Ou la carrière avant tout ?
Il tira une bouffée, elle but une autre gorgée de bière.
Un ange passa. Elle suivait des yeux les phares des voitures sur Woodrow Wilson Bridge, au loin, et, tout a coup, se leva.
- Vous voulez faire du bateau ?
Il ne s'attendait pas a ça.
- Ce n'est pas un peu tard ? s'étonna-t-il.
- Pas plus tard que pour notre dernière promenade sur l'eau. J'ai le permis et les lanternes réglementaires.
Juste un petit tour et on revient.
Elle s'éclipsa dans la maison sans lui laisser le temps de répondre et repar˚t, quelques minutes plus tard, en short, débardeur et chaussures de pont, les cheveux en chignon.
John considéra sa chemise, son pantalon de toile et ses mocassins.
- Je n'ai pas apporté mon costume de marin, dit-il.
- aucune importance. C'est moi le marin, vous ates le passager.
Elle avait deux bières fraaches. Ils descendirent sur le ponton. L'air était très humide et John transpira vite en aidant Sara a préparer les voiles. En se dressant sur la proue pour fixer le foc, il glissa et faillit passer pardessus bord.
- Si vous étiez tombé dans le Potomac, dit-elle en riant, on n'aurait pas eu besoin de la lune pour naviguer, vous auriez été un vrai ver luisant.
La surface de l'eau était lisse, il n'y avait pas un souffle de vent près de la berge, et Sara alluma le moteur auxiliaire pour atteindre le milieu du fleuve, oa les voiles captèrent enfin une brise et gonflèrent. Ils louvoyèrent lentement pendant une heure. Le bateau comportait une lanterne, la lune était encore presque pleine et il n'y avait aucune autre embarcation en vue.
John s'occupait du foc, Sara était a la barre. Il ne se sentait pas très a l'aise a la manúuvre et, a chaque virement de bord, quand il voyait la grand-voile faseyer, il baissait la tate pour éviter la borne, anticipant le commandement de Sara. quand la toile reprenait le vent et redonnait de la vitesse au bateau, elle souriait.
- C'est magique, non, disait-elle avec un enthousiasme de petite fille, de maatriser ces forces invisibles et d'en faire ce qu'on veut ?
Ils burent de la bière et fumèrent une autre cigarette, qu'ils eurent un mal fou a allumer dans la brise. Ils plaisantèrent, parlèrent de tout et de rien, en se réjouissant de pouvoir oublier un temps les événements qui les avaient réunis.
- Vous avez un beau sourire, dit Sara. Vous devriez vous en servir plus souvent.
quand ils regagnèrent la rive, John avait une ampoule sur le pouce a force de serrer l'écoute de foc. Ils accostè-rent et ferlèrent les voiles.
Sara courut a la maison et redescendit avec d'autres bières, un paquet de chips et de la sauce piquante.
- qu'il ne soit pas dit que je ne nourris pas mes invités !
assis sur le bateau, ils firent un sort aux canettes et grignotèrent en regardant passer les avions. Le bruit assourdissant des moteurs s'estompait en mame temps que la traanée de leur sillage, comme avalé par un aspi-rateur géant. Il y avait de l'orage dans l'air. Le vent se levait et la température fraachissait. Des nuages noirs s'amoncelaient et un premier éclair déchira l'horizon.
Dans son débardeur, Sara frissonna. John passa un bras autour d'elle et elle se blottit contre lui.
Bientôt, quelques gouttes de pluie tombèrent. Elle se leva d'un bond et, avec l'aide de John, tendit une b‚che en vinyle sur le pont.
- On ferait bien de rentrer, dit-elle.
Ils remontèrent vers la maison, lentement d'abord, puis au pas de course quand la pluie s'intensifia.
- La journée sera longue demain, dit Sara en regardant l'horloge de la cuisine et en s'épongeant les cheveux avec une serviette en papier.
- Et on a une nuit blanche a rattraper, ajouta John en b‚illant.
Ils éteignirent les lumières et grimpèrent l'escalier.
Sara lui souhaita bonne nuit et alla dans sa chambre.
John l'épia par l'embrasure de la porte. Elle ouvrit la fenatre pour laisser entrer la brise. Un éclair illumina le ciel et la foudre s'abattit non loin de la maison. Le tonnerre fut assourdissant. Sacré voltage, songea John.
Il passa dans l'autre chambre, au bout du couloir, se déshabilla et, assis sur son lit, en caleçon et T-shirt, écouta la pluie. La pièce était étouffante, mais il avait la flemme d'ouvrir la fenatre. La maison était trop ancienne pour avoir une climatisation centrale et il n'y avait aucun appareil d'appoint. Sara préférait sans doute la brise pour se rafraachir. Une horloge murale égrenait les secondes. Il compta les battements de son pouls. Son cúur s'emballait, pompait des torrents de sang.
Il enfila son pantalon et retourna dans le couloir. La chambre de Sara était éteinte, mais la porte restait ouverte. Les rideaux se soulevaient et s'abaissaient au gré des courants d'air. Elle était allongée sur son lit, simplement couverte d'un drap.
Elle le regardait la regarder. Il voyait briller ses pupilles. L'attendait-elle ? Voulait-elle qu'il entre ?
Il entra.
Son pas était un peu hésitant, comme si c'était la première fois qu'il pénétrait dans la chambre d'une femme. Elle ne prononça aucun mot, ni pour l'encou-rager, ni pour le décourager.
Il se coucha a côté d'elle et, immédiatement, elle se serra contre lui, comme pour l'empacher de revenir sur sa décision, l'empacher de fuir. Elle était nue. Son corps était chaud, sa peau soyeuse, ses seins doux et br˚lants.
L'air était imprégné d'odeurs de la campagne. Ses cheveux en bataille tombaient sur son visage. Ses lèvres s'entrouvrirent, ses doigts le caressèrent tendrement, partout. Ensemble, ils défirent son pantalon et le jetèrent sur le sol.
Ils s'embrassèrent, d'abord légèrement, puis avec fougue. Elle voulut soulever son T-shirt pour lui caresser la poitrine et le ventre. Il repoussa sa main et rabattit le T-shirt. La pluie martelait le toit et les carreaux. Il retira son caleçon et s'allongea sur elle.
Sara se réveilla de bonne heure. Les premiers rayons de soleil touchaient l'appui de fenatre. L'orage avait laissé sur son passage une délicieuse vague d'air frais, et un ciel teinté de gris et de rose qui, dans une heure, ne serait qu'une seule grande étendue bleue. Elle t‚ta le lit a côté d'elle. La place était vide. Elle se leva sans tarder, s'enveloppa a la h‚te dans un drap et alla voir dans la chambre d'amis. Personne. La salle de bains ? Personne non plus. Prise de panique, elle courut vers l'escalier et s'arrata en haut des marches, un sourire sur les lèvres.
John se servait une tasse de café et cassait des úufs dans un bol oa il versa ensuite du cheddar r‚pé. Une odeur d'oignons frits flottait dans l'air. Il s'était déja douché et habillé. Il avait encore les cheveux mouillés.
En se tournant pour ouvrir le frigo, il la vit.
Elle resserra ses coudes autour du drap.
- J'ai'cru que tu étais parti, dit-elle.
- Je voulais te laisser dormir. La nuit a été courte.
Et merveilleuse, voulut-elle ajouter.
- Tu vas bien ? demanda-t-elle d'un ton aussi neutre que possible.
La jeune femme était incapable de deviner les pensées qui se cachaient derrière ses paroles, ses gestes, ses expressions. Surtout après leurs ébats nocturnes. Cet empressement a cuire des úufs au lieu de rester couché
près d'elle, était-ce un mauvais signe ?
- Je me porte comme un charme, répondit-il avec un sourire persuasif.
Sara sourit a son tour.
- «a sent drôlement bon, ce que tu prépares.
- Rien d'extraordinaire. Une omelette campa-gnarde.
- Pour moi qui me contente d'habitude de pain sec arrosé de jus de chaussette, c'est Byzance. J'ai le temps de prendre une douche ?
- Fais vite.
- Pas comme cette nuit, dit-elle avec un regard entendu.
Elle tourna les talons, le drap ouvert dans son dos.
La vue de sa nudité, avec la cambrure de son dos, le galbe de ses jambes et de ses fesses, réveilla le désir de John. Il s'assit devant la table de la cuisine. La pièce était coquette. Il était resté quelque temps sur la terrasse pour contempler le lever du soleil. L'aube semblait toujours plus pure au-dessus des eaux, comme si l'asso-ciation de ces deux éléments essentiels a la vie, l'eau et le feu, avait un effet mystique sur l'observateur. En entendant le bruit de la douche, il leva les yeux. Il avait regardé Sara s'endormir. Dans les ombres de la nuit, leurs odeurs malées étaient comme une seconde peau. Il avait eu le sentiment que sa place était a jamais a côté
d'elle, qu'ils s'appartenaient réciproquement. Mais la clarté du jour l'avait fait redescendre sur terre.
Il porta sa tasse a ses lèvres et la reposa aussitôt. S'il avait rappelé son frère tout de suite, Mike aurait encore été de ce monde. Comment éluder cette vérité-la ? Il la garderait en lui toute sa vie.
Chapitre 48
Elizabeth Knight se réveilla elle aussi a l'aube, se doucha et s'habilla vite. Jordan Knight dormait encore a poings fermés. Elle prépara le café, remplit une tasse et emporta ses notes sur la terrasse pour les feuilleter en profitant des premiers rayons du soleil. Parmi les documents dont elle aurait besoin pour le débat oral du jour se trouvait le mémo de Steven Wright - le dernier de sa main. Son sang se figea. Elle réprima difficilement ses larmes et se jura qu'il n'était pas mort en vain. Ramsey n'aurait pas gain de cause, cette fois. Knight était déterminée a créer un précédent, a faire en sorte que Barbara Chance et les femmes dans sa situation puissent désormais poursuivre l'armée et demander réparation du comportement cruel, sadique et illégal de son personnel masculin. L'immunité pour les actes de ce genre n'avait jamais été inscrite dans les textes. Sa motivation, sa volonté de battre Ramsey avaient été multi-pliées par mille. Elle finit son café, boucla sa mallette et prit un taxi pour la Cour suprame.
John frotta ses yeux rougis. Il essayait de chasser de son esprit les souvenirs de la nuit et ses complications.
Il était assis dans une travée réservée aux membres du barreau de la Cour suprame. Il regarda Sara, qui siégeait avec les autres greffiers dans une rangée perpendiculaire au banc des juges. Elle lui sourit de loin.
quand Perkins eut terminé son petit speech et que les juges prirent place, toute l'attention se focalisa sur eux.
John Fiske observa Knight. appuyée sur un coude, elle feuilletait quelques papiers. Il y avait en elle une espèce d'énergie contenue, très impressionnante. Une fusée luttant contre ses amarres pour s'arracher du sol. Il fixa Ramsey. L'homme était souriant, calme, s˚r de lui. Si John avait été parieur, il aurait tout misé sur le côté droit du banc, sur le juge Elizabeth Knight.
On appela l'affaire " Chance contre …tats-Unis ".
L'avocat de Chance, un mercenaire sorti de la fac de droit de Harvard, qui s'était fait une spécialité des plaidoiries devant la Cour suprame, oa il avait toujours brillé, passa d'emblée a l'attaque. Ramsey ne lui laissa pas longtemps l'offensive.
- avez-vous jamais entendu parler de la doctrine Feres, maatre Barr ? demanda-t-il, se référant a une décision de 1950 de la Cour suprame, garantissant l'immunité judiciaire aux militaires.
- Hélas, oui, répondit Barr.
- Et vous voudriez que nous renversions cinquante ans de jurisprudence ? Comment la Cour pourrait-elle se prononcer en faveur de votre cliente sans se contredire elle-mame ?
Knight répondit a la place de Barr :
- La jurisprudence n'a pas empaché la Cour de rendre caduque la ségrégation a l'école. La justesse d'une cause justifie les moyens. Un précédent n'a pas force de loi.
- S'il vous plaat, répondez a ma question, maatre Barr, persista Ramsey.
- Je pense que nous sommes en présence d'un cas différent.
- Vraiment ? Il n'est pas contestable que Barbara Chance et ses supérieurs masculins étaient en uniforme, dans une base du gouvernement et en service commandé quand les événements se sont produits.
- Je ne sache pas que l'humiliation sexuelle fasse partie du " service commandé ". Cela étant, l'officier incriminé a bel et bien profité de son grade supérieur pour perpétrer ce qu'il faut bien appeler un viol et...
- Et, enchaana Knight, incapable de rester sur la réserve, la haute hiérarchie de la base ainsi que le commandement régional ont été avertis par écrit de ces événements et ont négligé de diligenter une enquate sérieuse. C'est Barbara Chance qui a appelé la police locale, laquelle a pu aboutir a la manifestation de la vérité. Cette vérité établit clairement qu'il y a eu préjudice donnant droit a réparation, eu égard aux lois régis-sant toutes les institutions de ce pays.
John regarda alternativement Ramsey et Knight. Tout a coup, on avait l'impression qu'il n'y avait plus neuf juges, mais seulement deux. La salle d'audience était devenue un ring de boxe, avec Ramsey dans le rôle du tenant du titre et Knight dans celui du challenger.
- Il s'agit de l'armée, maatre Barr, dit Ramsey qui, bien que s'adressant a l'avocat, ne quittait pas Knight des yeux. Cette cour a stipulé que le pouvoir militaire était sut generis. La jurisprudence est formelle. Votre affaire est un problème de hiérarchie interne. Un subalterne face a un supérieur. Cette cour a rappelé plusieurs fois et sans équivoque que le droit commun ne s'appli-quait pas a l'armée, au nom de son immunité. Telle était la loi hier, telle elle demeure aujourd'hui. Ce qui me ramène a ma première déclaration. Pour donner raison a votre cliente, nous serions dans l'obligation de contredire une longue et solide série de précédents. Voila ce que vous nous demandez de faire.
- Comme je l'ai expliqué précédemment, le stare decisis n'est pas infaillible, dit Knight, contestant l'habitude de la Cour a se conformer a ses décisions antérieures.
Le match de boxe entre Knight et Ramsey continua sans rel‚che. Chaque fois que l'un frappait, l'autre ripostait.
Les autres juges en étaient réduits au rang de simples spectateurs.
quand l'avocat des Etats-Unis, James andersen, s'avança pour exposer ses contre-arguments, Knight ne le laissa mame pas commencer une phrase.
- En quoi le fait d'autoriser une poursuite judiciaire contre l'armée pour atteinte a l'égalité des sexes interfère-t-il avec le principe de la discipline hiérarchique ? lui demanda-t-elle.
- Ladite poursuite aurait un impact négatif sur l'intégrité des relations entre supérieur et subalterne, répondit andersen.
- Voyons si je comprends bien votre raisonnement.
En autorisant les militaires a empoisonner, gazer, mutiler, tuer et violer des soldats impunément, en privant les victimes de tout recours légal, on améliore la qualité des relations entre le commandement et la troupe ? Excusez-moi, mais j'ai du mal a vous suivre.
John faillit éclater de rire. Son admiration pour Knight, en tant que juriste, était décuplée quand elle eut achevé sa déclaration. En deux phrases, elle avait ridiculisé l'armée, dont la position devenait absurde. Il épia Sara : elle buvait les paroles de sa patronne.
anderson rougit.
- Comme l'a souligné M. le président, reprit-il, le pouvoir militaire est une entité a part. En laissant un tribunal civil intervenir dans son fonctionnement, c'est l'autorité du commandement qu'on remet en cause.
- L'armée est a part, dites-vous ?
- Parfaitement.
- Parce qu'elle nous défend et nous protège ?
- C'est cela.
- Et, par conséquent, les quatres branches de l'armée doivent atre couvertes par l'immunité. Bien.
Mais pourquoi ne pas étendre cette immunité a d'autres institutions tout aussi particulières ? Je pense aux pompiers, aux policiers... Ils nous protègent. Je pense a la garde présidentielle, qui protège la personnalité la plus importante du pays. Et que dire des hôpitaux ? Ils sauvent nos vies. Pourquoi ne pas accorder l'immunité
aux médecins qui violeraient des infirmières ?
- Nous outrepassons les limites de cette affaire, trancha Ramsey.
- Mais toute la question est la, justement, rétorqua Knight. quelles sont les limites ? C'est bien ce que nous essayons d'établir.
- Je crois que l'affaire " …tats-Unis contre Stanley "..., commença anderson.
- Je vous remercie d'en parler, dit Knight.
Laissez-moi rappeler brièvement les éléments de cette affaire.
Elle voulait atre entendue sur le sujet, non seulement par ses collègues de la Cour, dont certains siégeaient déja a l'époque oa ce cas avait été jugé, mais aussi par le public. Pour Knight, l'affaire Stanley était l'un des pires dénis de justice qui aient existé et stigmatisait tous les défauts de la Cour. La conclusion du mémo de Steven Wright allait aussi dans ce sens et elle voulait enfoncer le clou pour s'assurer une majorité en temps utile.
Elle parla d'une voix vibrante et sonore.
- Stanley était sous les drapeaux dans les années 1950. Il s'était porté volontaire pour une expérimentation destinée a tester des vatements isolants contre les gaz offensifs. Les tests eurent lieu dans le Maryland, au Centre d'essais d'aberdeen. Stanley avait signé, mais a aucun moment on ne lui demanda de porter une tenue spéciale ou un masque quelconque. Il eut simplement a subir de longs entretiens avec des psychologues sur des sujets personnels, au cours desquels on lui fit boire de l'eau. Ce fut tout. Une ving-taine d'années plus tard, Stanley, dont la vie était brisée
- divorce, renvoi de l'armée, comportement inexplicable -, reçoit une lettre de l'administration militaire le priant de participer a un examen complémentaire avec d'autres soldats ayant absorbé du LSD en 1959, parce que l'armée désirait étudier les effets de la drogue a long terme. Sous prétexte de tester des vatements de protection contre les gaz, l'armée lui avait donné du LSD a son insu.
Rumeurs dans le public. Les spectateurs commencèrent a échanger des commentaires indignés et, fait raris-sime, Perkins dut se servir de son maillet pour ramener le calme.
John était doublement intéressé, a la fois par l'affaire en soi et par ses retombées indirectes sur le cas de Rufus Harms : avait-il, lui aussi, porté plainte contre l'armée ?
Il affirmait que certains hommes lui avaient causé du tort pendant qu'il était sous l'uniforme - un tort qui avait non seulement g‚ché sa vie mais provoqué la mort d'une petite fille. Il voulait atre réhabilité et prétendait avoir la vérité de son côté. Or, apparemment, la vérité ne suffisait pas. Tout comme le sergent Stanley, le simple soldat Rufus Harms perdrait son procès.
Knight continua, secrètement ravie de la réaction du public.
- Les psychologues étaient employés par la CIa, qui avait collaboré avec l'armée pour analyser les effets de la drogue dans les interrogatoires. Stanley, estimant a bon droit que l'armée avait détruit sa vie, a déposé une plainte, qui est finalement remontée jusqu'a la Cour suprame. (Elle marqua une pause.) Et il a perdu.
Nouveaux murmures dans l'assistance.
John scruta Sara. Elle avait les yeux rivés sur Knight.
Puis il fixa Ramsey. Celui-ci était livide.
- En somme, poursuivit-elle, vous voulez que cette cour refuse a Barbara Chance et a tous les plaignants d'affaires comparables le droit constitutionnel que notre peuple chérit le plus : le droit de chacun a réclamer la justice. Car, en demandant l'impunité des coupables, c'est bien cela que vous demandez.
- Maatre anderson, intervint Ramsey, qu'est-il arrivé aux hommes qui ont commis ces agressions sexuelles ?
- L'un d'eux au moins est passé en cour martiale, a été condamné et emprisonné, répondit anderson.
Ramsey eut un sourire triomphant.
- Je n'appelle pas cela de l'impunité, dit-il.
- Maatre anderson, j'ai sous les yeux un rapport établissant que les forfaits pour lesquels cet homme a été condamné perduraient depuis fort longtemps déja et étaient bien connus de sa hiérarchie, laquelle n'avait jamais entrepris aucune action contre lui. En fait, c'est seulement lorsque Barbara Chance est allée trouver la police qu'une enquate militaire a été décidée. alors, dites-moi, peut-on vraiment parler d'un juste ch‚timent des coupables dans ces conditions ?
- Tout dépend de votre définition de la culpabilité.
- qui fait la police dans l'armée, maatre anderson ?
qui veille a ce que la mésaventure du sergent Stanley, pour employer un euphémisme, ne se reproduise pas ?
- L'armée fait sa police elle-mame. Et elle fait du bon travail.
- L'affaire Stanley a été jugée en 1986. Depuis cette date, nous avons eu Tailhook, les incidents toujours inexpliqués pendant la guerre du Golfe, et maintenant le viol d'une femme militaire. Vous appelez ça du bon travail ?
- Toute grande organisation connaat de petits ratés.
Knight se hérissa.
- Je doute que les victimes considèrent ces crimes comme de simples petits ratés.
- Bien s˚r, ce n'est pas ce que je voulais d...
- quand j'ai proposé d'étendre l'immunité a la police, aux pompiers et aux hôpitaux, vous n'avez pas été d'accord, n'est-ce pas ?
- Non. Trop d'exceptions a la règle invalident la règle.
- Vous vous souvenez de l'explosion de la navette Challenger, bien s˚r ? (anderson acquiesça.) Les parents des civils a bord ont été autorisés a poursuivre le gouvernement et le constructeur de la navette. Mais, au nom de l'immunité de l'armée garantie par cette cour, les familles des victimes militaires n'ont pas eu ce droit.
Vous estimez que c'est juste ?
anderson se raccrocha au vieil argument habituel :
- Si nous autorisons des poursuites pénales contre l'armée, nous compromettons la sécurité de la patrie.
- Et c'est bien la le núud du problème, dit Ramsey, heureux qu'anderson ait soulevé ce point. C'est une question d'équilibre, et cette cour a déja déterminé oa se trouvait le centre de gravité.
- Exactement, monsieur le président, approuva anderson. C'est une loi fondamentale.
- Vraiment ? fit Knight avec un demi-sourire. Je croyais que la loi fondamentale de ce pays était le droit de tout citoyen a obtenir réparation devant les tribunaux. aucune loi ne donne l'immunité aux militaires.
Le Congrès n'a jamais jamais voté cela. En fait, c'est cette cour qui a inventé cette disposition en 1950. «a n'a rien a voir avec une loi.
- C'est cependant la jurisprudence qui fait aujourd'hui autorité, contra Ramsey.
- La jurisprudence peut changer, dit Knight, profondément irritée par la mauvaise foi de Ramsey, qui n'avait jamais eu de scrupules pour contredire un précédent quand cela l'arrangeait.
- Je vous ferai respectueusement remarquer, reprit anderson, que l'armée est la mieux placée pour régler ses problèmes internes, juge Knight.
- Contestez-vous la compétence de cette cour, maatre anderson ?
- Bien s˚r que non.
- Eh bien, c'est a cette cour de décider si le service de la patrie dans l'armée doit se traduire par une perte des droits civiques.
- Je ne formulerais pas la chose de cette façon.
- Moi si, maatre anderson. C'est uniquement une question de justice. (Elle jeta un regard a Ramsey.) Et si nous ne pouvons pas rendre la justice ici, je ne sais pas oa les citoyens pourront la trouver.
En écoutant ces propos passionnés, John regarda de nouveau Sara. Se sentant observée, elle tourna le visage dans sa direction.
Il eut la nette impression qu'elle pensait la mame chose que lui : mame s'ils parvenaient a élucider ce mystère et a faire triompher la vérité, Rufus Harms obtiendrait-il jamais justice ?
Chapitre 49
Josh Harms finit son sandwich et fuma une cigarette en regardant son frère somnoler sur le siège avant du camion. Ils étaient garés dans un vieux chemin forestier. Ils avaient prévu de rouler toute la nuit, mais Josh, rompu de fatigue, avait finalement préféré s'arrater plutôt que de passer le volant a son frère, qui n'avait plus conduit depuis trente ans. En outre, tant qu'ils étaient sur la route, Rufus était obligé de rester caché, pour des raisons évidentes. Ils avaient décidé de dormir tour a tour. Rufus avait fait le guet en premier. Maintenant, c'était Josh qui prenait le relais.
Ils avaient discuté en chemin de ce qu'ils allaient faire et, a sa propre surprise, Josh s'était prononcé
contre le Mexique.
- Putain, faut te suivre, s'était étonné Rufus. avant, tu jurais que par le Mexique, tu disais que tu voulais tout laisser tomber.
- Eh ben, j'ai changé. Maintenant qu'on a pris notre décision - enfin, maintenant que j'ai pris ma décision -, je me dis qu'il faut terminer ce qu'on a commencé.
J'aime pas me dégonfler. quand on a un truc a faire, on le fait.
- Josh, sans Fiske, on y passait tous les deux. On serait morts a l'heure qu'il est. Je veux pas avoir ta mort sur ma conscience.
- Faut pas te gourer, Rufus. «a peut pas atre pire que maintenant. alors, il serait temps de se bouger le cul pour voir comment on peut améliorer les choses. En voyant ces deux mômes dans le bureau de Rider, j'ai failli les descendre direct, et j'ai jamais fait ça de toute ma vie. Fiske et cette femme, ils sont de notre côté.
Peut-atre qu'ils sont réglo.
- Et t'as pas de problème avec eux ?
- Hein, pourquoi, tu crois que je suis raciste ? avait répliqué Josh avec un petit sourire en coin.
- Des fois, je me demande, Josh.
- Te demande plus. Je me connais pas moi-mame.
Demande-toi seulement si tu veux aller au Mexique ou si tu veux continuer. T'occupe pas de moi. Si y a un mec qui sait se démerder tout seul ici, c'est moi.
L'affaire était entendue. Dès que son frère se réveille-rait, ils retourneraient en Virginie pour prendre contact avec Fiske et voir ce qu'ils pouvaient faire. Si c'étaient des preuves qu'on leur demandait, eh bien, ils en trouveraient, d'une manière ou d'une autre, Josh en était convaincu. Ils avaient la vérité pour eux. Si ça comptait pour rien, alors autant se faire tuer : ils fonceraient dans le tas.
Josh promena ses regards dans la forat. Les feuilles commençaient a changer de couleur, et les rayons de soleil qui perçaient a travers les frondaisons offraient une agréable harmonie de teintes et de textures. Il s'asseyait souvent dans les bois quand il chassait ; il repérait une souche ou un vieux rondin et y posait sa carcasse pour contempler la beauté du paysage, un émerveillement qui ne co˚tait pas un rond. ¿ son retour de l'asie du Sud-Est, il avait évité les bois pendant quelques années. au Vietnam, les arbres et la boue étaient souvent synonymes de mort, les Viets étant de vrais champions dans l'art de tendre des pièges. Il consulta sa montre. Dans dix minutes, ils lèveraient le camp.
Il regarda par la vitre et plissa les yeux. Un miroitement. Il retint sa respiration, cracha sa cigarette, mit le contact et démarra.
- qu'est-ce qui te prend ? dit Rufus, réveillé en sursaut.
- Chope ton flingue et baisse la tate ! cria Josh.
C'estTremaine.
Rufus obtempéra.
Tremaine jaillit des bois et ouvrit le feu. Les premières rafales de mitraillette touchèrent l'arrière du camion. Un phare vola en éclats. Un nuage de poussière dans le sillage du camion aveugla momentanément Tremaine, qui cessa le feu et courut droit devant lui pour trouver un meilleur angle de tir.
Devinant sa manúuvre, Josh coupa a gauche et s'engagea sur le lit d'une rivière asséchée. Sans le savoir, il avait fait le meilleur choix, car Rayfield arrivait par la route, en sens inverse. La Jeep dut s'arrater pour prendre Tremaine en charge avant de faire demi-tour.
- Putain, comment ils ont fait pour nous rattraper ?
demanda Rufus.
- Pas le temps de réfléchir a ça maintenant. Ils sont la!
Josh surveillait les poursuivants dans le rétroviseur.
La Jeep était bien plus maniable que le camion, elle avait été conçue pour ce genre de terrain.
- Ils vont nous crever les pneus et nous tirer comme des lapins, dit Rufus.
- Vic aurait d˚ commencer par viser les pneus.
C'était sa deuxième erreur.
- C'était quoi, la première ?
- Laisser le soleil se refléter sur ses jumelles. C'est comme ça que je l'ai repéré.
- Pourvu qu'ils continuent a faire des erreurs.
- Compte pas trop sur la chance.
Dans la Jeep, Tremaine canardait, penché sur le côté.
La mitraillette n'était pas une arme de précision ; elle pouvait déquiller tout un bataillon quand on tirait dans le tas, mais n'était pas faite pour les cibles isolées. Il arracha la bandoulière et dégaina son arme de poing.
- Rapproche-toi autant que tu peux ! aboya-t-il a un Rayfield'paniqué. Si je peux leur crever un pneu, ils se paieront un arbre et nos problèmes seront finis.
Rufus regarda par la lunette arrière et vit ce que Tremaine tentait de faire. Il ouvrit la vitre de séparation de la cabine et l‚cha une bastos sur la Jeep. Il n'avait pas touché une arme depuis trente ans, depuis son derniers exercice de maniement de fusil réglementaire. quand il tira, la détonation lui perça les tympans, la fumée et l'odeur de la poudre le prirent a la gorge. La vitre arrière de la cabine éclata et la balle fusa vers la Jeep comme une guape de métal. Tremaine baissa la tate et la voiture fit une embardée.
- T'as touché quelque chose ? demanda Josh.
- J'crois pas, mais ça les a un peu retardés. (Sa main tremblait. Il se frotta les oreilles.) J'avais oublié que ça faisait autant de potin.
- qu'est-ce que t'aurais dit si t'avais tiré au M-16
pendant trois ans ! «a, ça fait du bruit. Surtout quand ça t'explose dans la gueule.
Josh coupa a droite, puis a gauche, pour éviter quelques arbres qui hérissaient le lit de la rivière. Plus loin devant, c'était un mur de pins, de chanes et de ronces. La Jeep gagnait du terrain. Josh braqua d'un coup sec dans une trouée d'arbres et de broussailles.
Des branches basses labouraient la carrosserie, mais la manúuvre fut payante : les mames branches basses obligèrent Tremaine a se courber.
La Jeep ralentit. La voie s'élargissait un peu et Josh décida d'en tirer parti, en espérant que Rayfield commencerait a perdre le contrôle de ses nerfs.
- Tiens le volant ! cria Josh a son frère.
Rufus obtempéra en s'efforçant de maintenir le cap.
Josh sortit son revolver et observa les arbres devant eux. Le terrain était plus régulier maintenant et le camion ne tanguait pas trop. Il pointa son arme droit devant, en la tenant a deux mains, jaugea la distance et la vitesse, et choisit sa cible : une grosse branche de chane, a une dizaine de mètres de hauteur. ¿ vue de nez, elle faisait dans les six mètres de long pour un bon mètre de diamètre, et surplombait le chemin. C'étaient ses dimensions qui avaient dicté le choix de Josh : elle commençait a craquer sous son poids a la fourche.
Josh passa le bras par la fenatre, le tendit parallèlement au camion, visa et commença a tirer. La première balle passa trop haut. Il rectifia la trajectoire et mitrailla la fourche, en faisant mouche a chaque coup. De sa part, ce n'était pas une prouesse. quand il était môme, il s'était souvent amusé a tirer sur des branches avec une carabine 22, par jeu, pour effrayer les écureuils.
Toutefois, il n'avait jamais essayé de le faire a partir d'un véhicule en marche et poursuivi par deux flingueurs.
Rufus gardait les yeux fixés devant lui, mais grima-
çait a chaque coup de feu. Ses oreilles bourdonnaient.
La lourde branche commença a ployer. Josh continua a canarder. Des copeaux d'écorce fusaient, formant un nuage de sciure semblable a la vapeur d'une vieille locomotive.
Tremaine comprit ce qu'il faisait.
- Fonce ! dit-il. Fonce !
Rayfield accéléra.
Josh ne quittait pas la branche des yeux. Il tira et tira encore, jusqu'a ce qu'elle cède. Elle resta suspendue un instant par un lambeau d'écorce, le long du tronc, et se détacha peu a peu. Josh mit les gaz, reprit le volant et passa sous l'arbre.
- Fonce, fonce ! hurlait Tremaine.
Mais Rayfield, voyant cinq cents kilos de chane massif s'écraser a terre devant eux, freina a bloc.
- Putain de merde, pourquoi tu t'arrates ? dit Tremaine, prat a le tuer.
- Si'je m'étais pas arraté, ce madrier nous aurait broyés. Ta Jeep n'a pas de toit, Vie.
Josh regarda devant lui, puis a droite, oa la voie semblait plus dégagée. Il freina, fit un crochet a gauche pour se donner de la marge et tourna a droite, moteur a fond. Le camion sortit des broussailles, rebondit sur un dos-d'‚ne et atterrit dans une clairière. La tate de Rufus heurta le plafond dans la manúuvre.
- aÔe, merde, t'es fou ?
- accroche-toi.
Josh enfonça l'accélérateur. Levant les yeux, Rufus aperçut la cabane que son frère avait repérée quelques secondes plus tôt.
Josh se retourna et vit ce qu'il espérait voir, c'est-a-dire rien. Mais la Jeep ne mettrait pas longtemps a franchir l'obstacle.
Il pencha la tate et regarda derrière la cabane. Il ne s'était pas trompé. La oa il y avait une cabane, il y avait généralement une route. Il contourna la b‚tisse, et le cúur des deux frères se serra. Il y avait une route, certes, mais elle était barrée par une énorme barricade en acier.
De part et d'autre de la route, les taillis étaient impénétrables. Josh se retourna. Ils étaient coincés. Il pouvait sauter par-dessus la barrière, mais Rufus n'avait pas un gabarit de sprinter et il n'était pas question pour lui d'abandonner son frère.
Il observa la cabane. La Jeep serait la dans une minute. Il entendait Tremaine vider son chargeur sur la branche pour la sectionner.
Une minute plus tard, en effet, la Jeep traversait la clairière. Rayfield ralentit. Il aperçut la cabane.
- Par oa ils sont allés ? demanda-t-il.
Tremaine inspecta le terrain aux jumelles et aperçut la route qui serpentait a travers les bois.
- Par la-bas ! dit-il.
Rayfield redémarra. La Jeep contourna la cabane sur les chapeaux de roue... et stoppa net devant la barricade. Dans un rugissement, le camion surgit de derrière la baraque et percuta de plein fouet la Jeep, qui bascula sous le choc. Rayfield et Tremaine furent projetés a terre.
Rayfield se reçut mal dans sa chute. Sa tate heurta une souche sous un angle traatre. Il ne bougea plus.
Tremaine s'abrita derrière le véhicule renversé et ouvrit le feu, forçant Josh a faire marche arrière en se baissant sous le tableau de bord. Bientôt le moteur du camion rendit l'‚me. Le capot fumait. Les pneus avant étaient crevés.
Josh s'extirpa de son siège et sortit, couvert par Rufus. Il fit un roulé-boulé jusqu'a l'arrière du camion et guetta son adversaire. Il vit le bout de la mitraillette.
Tremaine n'avait pas quitté son poste ; il devait atre en train de recharger. Josh en fit autant et essaya d'évaluer la situation.
Son cúur turbinait. Il frotta ses yeux poissés de sueur et de poussière. Il avait souvent essuyé le feu, tant a l'étranger que sur le sol américain, mais sa dernière bataille remontait a trente ans. De toute façon, l'expérience n'y changeait rien, la peur de mourir était toujours la. Il était difficile de garder les idées claires quand quelqu'un vous tirait dessus. Dans ces cas-la, on ne réfléchissait pas, on se contentait de réagir.
Josh avait cependant un petit avantage. Ils étaient deux et Tremaine était seul. Il piqua un sprint jusqu'a la cabane.
- Rufus ! lança-t-il. Je compte jusqu'a trois !
- Vas-y ! répondit Rufus d'une voix tremblante de peur.
Trois secondes plus tard, Josh canarda Tremaine. Les balles ricochèrent sur le ch‚ssis de la Jeep. Rufus courut se poster derrière le camion, oa il fut arraté par une rafale de mitraillette qui lui barra le chemin. Une odeur de poudre et de sueurs froides flottait dans l'air.
Les deux frères se regardèrent. Comme la panique gagnait Rufus, Josh lui adressa un petit sourire.
- Hé, Vic ! cria-t-il, qu'est-ce que tu dirais de l‚cher ta sulfateuse et de sortir les mains en l'air ?
Tremaine répondit par un tir nourri sur la cabane, juste au-dessus de Josh.
- OK, Vic, je t'ai compris. Faut pas t'énerver, mon pote. On est pas des sauvages, on vous enterrera, toi et Rayfield. On va pas laisser les ours et les asticots vous bouffer. C'est moche, ces bestioles qui boulottent les cadavres, hein, Vic ? T'as d˚ voir ça au Vietnam. Non ?
alors, c'est que tu courais trop vite dans l'autre sens, t'as pas eu le temps de regarder.
Tout en parlant, Josh faisait signe a Rufus de se tenir prat, en indiquant le périmètre de la cabane.
Rufus acquiesça pour montrer qu'il avait compris le signe. Josh voulait qu'il fasse pleuvoir une avalanche de feu sur Tremaine afin de lui permettre de prendre le type a revers. Rufus inséra un nouveau chargeur dans son arme, comme son frère lui avait appris a le faire. Il avait du mal a respirer, le revolver lui br˚lait les doigts, il craignait de ne pas avoir le cran de s'en servir, mame si Tremaine lui fonçait dessus avec sa foutue mitraillette.
En prison, Rufus s'était souvent battu pour survivre, mais toujours a mains nues, contre des assaillants armés de matraques ou de tuyaux de plomb. Un flingue, c'était autre chose. Un flingue tuait a distance. Seulement, s'il ne tirait pas, son frère mourrait. Et, pour une fois, il ne pouvait pas implorer Dieu. Il ne pouvait pas demander a son Seigneur de l'aider a tuer son prochain.
Courbé, rampant a moitié, Josh longea la cabane, en s'arratant de temps en temps pour écouter. Une ou deux fois, il osa lever la tate pour regarder par une fenatre, espérant apercevoir le rétroviseur de la Jeep, mais il avait un mauvais angle de vue. Il était concentré. La peur le tenaillait toujours, mais l'adrénaline aiguisait tous ses sens. Il progressait en tenant son revolver droit devant lui, sachant que, si Tremaine devinait sa tactique, il contournerait la cabane dans l'autre sens. Un face-a-face serait fatal a Josh. Une mitraillette contre un pistolet, cent coups contre un, c'était l'arrat de mort pour Josh, et pour Rufus peu après.
Il continua d'avancer. Puis il entendit la mitraillette pétarader et les balles déchirer la carrosserie du camion.
Il h‚ta le pas. Tant que Tremaine s'acharnait sur Rufus, il pratait le flanc a Josh, qui n'aurait qu'a débouler pour le faire taire définitivement.
Son projet tomba a l'eau. quand il eut tourné le coin, il vit Tremaine debout devant lui, pistolet au poing. Le salopard lui visait la tate. Josh était fait. La stupeur lui fit perdre l'équilibre, ses jambes se dérobèrent sous lui et il dérapa sur le gravier. Ce fut sa chance : la balle manqua sa tate et le toucha a l'épaule. Dans sa chute, ses jambes fauchèrent celles de Tremaine et les deux hommes tombèrent ensemble, l‚chant leurs pistolets.
Tremaine se releva le premier. Josh, handicapé par son épaule ensanglantée, fut plus lent. Tremaine sortit un couteau de sa ceinture. En arrière-plan, la mitraillette avait épuisé ses munitions. Josh poussa un cri.
Tremaine se jeta sur lui. Les deux lutteurs heurtèrent violemment la cabane branlante, qui vibra sur ses montants de bois. Josh parvint a parer le coup de Tremaine avec son avant-bras. La douleur terrible qui lui cisaillait l'épaule irradia dans tout le côté de son corps. Il réussit a placer un coup de savate dans le buffet de Tremaine, mais celui-ci se ressaisit vite. Josh sentit la lame déchirer sa chemise et lui écorcher le flanc. Il était a deux doigts de perdre connaissance. Dans un demi-brouillard, il vit Tremaine lever le couteau et armer son bras pour le coup de gr‚ce. Dans une seconde, ce serait fini. Tremaine frapperait a la gorge. En tout cas, c'était ce qu'il ferait, lui, a sa place, songea-t-il en s'évanouissant.
Le couteau n'acheva jamais sa trajectoire. Une main se referma sur le poignet de Tremaine. Rufus Harms était derrière lui. Il lui claqua le bras contre la cabane jusqu'a ce qu'il l‚che prise. Le couteau tomba a terre.
Tremaine était costaud et superbement entraané pour le corps-a-corps. Mais Rufus était d'une taille bien supé-
rieure. ¿ un contre un, peu d'hommes pouvaient rivaliser avec lui. C'était un grizzly quand il tenait quelqu'un entre ses mains. Et il tenait bien Tremaine, l'homme qui avait transformé sa vie en cauchemar.
Tremaine essaya de mettre son avant-bras en travers de la trachée-artère de Rufus, lequel changea alors de tactique, le souleva de terre et lui cogna le visage contre le mur, jusqu'au sang, puis acheva le travail en lui enfonçant la tate a travers la vitre de la fenatre. Le verre lui laboura la figure.
Reprenant conscience, Josh poussa un cri de douleur.
Rufus le regarda. Une seconde d'inattention que Tremaine mit aussitôt a profit. Le soldat n'avait pas encore eu son compte. Un coup de pied dans le genou, un coup de coude dans le foie et le géant, pris par surprise, mordit la poussière. Tremaine ramassa son couteau. Rufus n'avait plus l'ombre d'une chance.
La balle atteignit Tremaine a la nuque. Il s'effondra.
Rufus se redressa et regarda son frère. De la fumée s'échappait encore du canon du 9 mm. Josh l‚cha l'arme et s'affala par terre. Rufus s'agenouilla a côté de lui.
- Josh ! Josh ?
Josh ouvrit les yeux. Il considéra le corps de Tremaine, a la fois soulagé et écúuré par ce qu'il avait fait. Mame un ennemi juré était pitoyable dans la mort.
- T'as bien joué, Rufus, dit-il. Mieux que moi.
- arrate, je serais mort si tu l'avais pas tué.
- J'allais pas le laisser te buter. J'allais pas le...
Rufus ouvrit la chemise de son frère pour examiner ses blessures. Le couteau n'avait entaillé que la chair, aucun organe vital, mais ça saignait comme vache qui pisse. La balle, c'était différent. Rufus voyait du sang couler de la bouche de son frère et ses yeux étaient vitreux. que faire contre une hémorragie interne ? «a pouvait le tuer. Il retira son T-shirt et en couvrit Josh, qui grelottait malgré la chaleur.
- Tiens bon, frérot.
Rufus courut vers la Jeep, trouva une trousse de soins d'urgence et revint précipitamment. Josh avait les yeux fermés et semblait ne plus respirer.
Rufus le secoua.
- Josh, Josh, déconne pas, ouvre les yeux. T'endors pas, Josh !
Josh souleva enfin les paupières. Il avait l'air lucide.
- Faut que tu te tires d'ici, Rufus. avec tous ces coups de feu, y a des gens qui peuvent rappliquer. Barre-toi. Maintenant.
- Je me barrerai pas sans toi. Y a pas a discuter.
Il lui souleva le torse et inspecta son dos. La balle n'avait pas traversé, elle était toujours quelque part dans son corps. Il se mit a nettoyer les deux blessures.
- Rufus, dit Josh en lui agrippant le bras, tire-toi d'ici.
- Si tu restes, je reste. C'est comme ça.
- T'es cinglé.
- Bon, je suis cinglé, n'en parlons plus.
Il acheva de nettoyer les plaies, les pansa et les banda étroitement. Il souleva son frère aussi délicatement que possible, mais le mouvement déclencha une toux spas-modique chez Josh, qui cracha du sang. Rufus le porta vers le camion et l'allongea par terre.
- Merde, Rufus, ce bahut est foutu, dit Josh en levant un regard désespéré sur le camion cabossé.
- Je sais.
Rufus prit une bouteille d'eau dans la cabine, la déboucha et l'approcha des lèvres de Josh.
- Tu peux la tenir ? Il faut que tu boives.
En guise de réponse, Josh empoigna la bouteille de sa main valide et avala une gorgée.
Rufus alla examiner la Jeep renversée. Il dégagea la mitraillette que Tremaine avait coincée entre le siège et la carrosserie. Le type s'était servi de fil de fer et d'un bout de métal pour actionner le tir automatique qui lui avait permis de piéger Josh. Rufus estima la situation et essaya de redresser le véhicule en tirant sur l'armature de la capote. En vain. Il n'avait aucune prise, ses pieds ripaient sur le gravier. Il réfléchit. Il n'y avait pas trente-six solutions.
Il s'adossa contre le haut du siège du conducteur et s'accroupit. Il insinua ses doigts entre le sol et le ch‚ssis et agrippa solidement le métal. Il tira pour jauger le poids de la Jeep. Oh, malheur, ce qu'elle était lourde !
Trente ans plus tôt, le problème lui e˚t paru beaucoup moins insurmontable. Jeune homme, il avait soulevé
l'avant d'une Buick a un bon mètre de hauteur. Mais il n'avait plus vingt ans. Il poussa sur ses jambes. La voiture bougea un peu, puis retomba. Il poussa encore, grognant et ahanant, en faisant saillir les muscles de son cou.
Josh posa sa bouteille, se hissa péniblement sur un coude et, appuyé contre le cric, regarda son frère a l'úuvre.
Rufus était déja éreinté. Ses bras et ses jambes n'étaient plus habitués a ce genre d'exercice depuis longtemps. Il avait toujours été fort, plus fort que tout le monde, et de sa force dépendait aujourd'hui la survie de son frère. allez ! Il réussirait bien a la soulever, cette putain de Jeep !
Il ploya sur ses jambes, ferma les yeux, les rouvrit et regarda un grand corbeau tourner lentement dans le ciel.
L'oiseau noir battait des ailes dans l'azur, libre et indifférent a ce qui se passait au-dessous de lui.
Le front en sueur, Rufus ferma les yeux a nouveau et fit ce qu'il faisait toujours quand il était dans un mauvais pas. Il pria. Il pria pour Josh. Il demanda a son Seigneur de lui donner la force de sauver la vie de son frère.
Il empoigna le rebord de la Jeep, et contracta ses épaules et ses cuisses. Ses bras tirèrent, ses jambes poussèrent. L'engin refusait de céder. Rufus s'obstinait.
Il se sentit faiblir, elle était trop lourde pour lui, beaucoup trop lourde. Mais il savait que c'était sa dernière chance. au moment oa la Jeep semblait remporter la victoire, il poussa un cri terrible qui lui arracha des larmes. Josh le vit pleurer sous l'effort. C'était un défi impossible.
Pourtant la Jeep bougea, centimètre par centimètre.
Rufus avait les jointures et les tendons en feu. Tout son corps lui envoyait des signaux d'alerte. La Jeep résistait encore, grinçait, gémissait, maudissait l'homme. Mais, arc-bouté sur la masse d'acier, il poussa une dernière fois. La Jeep avait dépassé le point de non-retour, bascula, retomba sur ses quatre roues et se stabilisa enfin sur ses amortisseurs.
Rufus s'assit dans la voiture, tremblant, anéanti par l'effort.
- Merde..., fit Josh, abasourdi par ce qu'il venait de voir.
Le cúur de Rufus battait si fort qu'il se demanda si sa victoire n'allait pas se transformer en désastre. Il mit la main sur sa poitrine et respira profondément. " Du calme, murmura-t-il, du calme. " Une minute plus tard, il se leva, alla rejoindre son frère et l'installa avec précaution sur le siège passager. Il rajusta la capote, qui était sortie de ses attaches pendant l'accident, alla récupérer ce qu'il pouvait dans le camion, y compris la bible, et rangea le tout a l'arrière de la Jeep avec leur arsenal.
Il s'assit derrière le volant, puis regarda alternativement Tremaine, Rayfield et le corbeau, que d'autres charo-gnards avaient rejoint dans le ciel. En l'espace d'une journée, ces oiseaux de malheur auraient becqueté les deux cadavres.
Rufus redescendit de voiture. Inutile de t‚ter le pouls de Rayfield. Ses yeux de colin froid et l'odeur provoquée par le rel‚chement de ses boyaux étaient suffisamment significatifs. Il traana les deux morts dans la cabane, prononça quelques paroles simples sur leurs dépouilles et referma la porte. Un jour, il leur pardonne-rait, mais pas aujourd'hui. Il remonta dans la Jeep, rassura Josh du regard et mit le contact. Le moteur partit a la seconde tentative. Comme Rufus n'était pas fami-
liarisé avec le levier de vitesse, la boate grinça un peu, puis la Jeep s'ébranla et les frères laissèrent derrière eux le champ de bataille improvisé.
Chapitre 50
Il était traditionnel que les juges déjeunent en privé
dans la salle a manger du premier étage après un débat oral. John Fiske avait laissé Sara dans son bureau, oa elle avait du travail en retard. Il avait décidé de profiter de l'occasion pour faire quelques investigations.
Puisque Chandler avait coupé le robinet a informations, il fallait bien qu'il se mette au courant d'une manière ou d'une autre. L'une de ses sources possibles était le chef de la police, Léo Dellasandro.
En suivant le couloir, il réfléchit au débat auquel il venait d'assister. Bien qu'avocat, il n'avait jamais pleinement mesuré l'étendue du pouvoir qui émanait de ce b‚timent. au fil de son histoire, la Cour suprame avait pris des positions fort impopulaires sur nombre de sujets importants. Des positions souvent courageuses et, de l'avis de John, souvent justes. Mais c'était un peu exaspérant de se dire que, si un ou deux votes avaient fait pencher la balance dans un autre sens, le pays aurait pu atre très différent aujourd'hui. Un état de choses qui laissait songeur.
John pensa aussi a son frère, a tout le bien qu'il avait d˚ apporter a cette cour, mame en qualité de simple greffier. Mike avait toujours été juste et loyal dans tout ce qu'il entreprenait. Et, quand il avait donné sa parole, on pouvait se fier a lui. Cet endroit était fait pour Mike.
Si sa mort était une perte terrible pour sa famille, elle l'était aussi pour la Cour.