« Sache que celui en qui tous les composants sont bien fixés

« comme des rayons dans le moyeu d'une roue

« est la Personne qu'il faut connaître.

« La connaissant tu ne crains plus la mort. »

(Prashna Upani sh ad, 6, 5-6.)

L'ÊTRE-COSMIQUE

9 3

La Conscience cosmique

Du point de vue de la conscience, l'Être-cosmique a une triple forme, causale, subtile et physique. Ces trois formes correspondent aux trois tendances fondamentales et sont donc un équivalent cosmologique de la Trinité.

Toute forme de manifestation a nécessairement un aspect causal, un aspect subtil et un aspect physique.

L'aspect causal est non manifesté et ne peut donc être distingué du substrat. On l'appelle l'Être-conscient ou l'Être-de-connaissance. Il est formé de tamas, la tendance désintégrante, et est réalisé dans l'état de sommeil-profond.

L'aspect subtil est actif. Sa nature est l'intellect (buddhi).

Il provient de sattva, la tendance cohésive ou centripète et il est réalisé dans l'état de rêve.

L'aspect physique, qui inclut le mental et dont toute matière est la forme, provient de rajas, la tendance orbitante réalisée dans l'état de veille.

Dans l'Être-cosmique, le corps physique, somme de tous les corps physiques, est appelé le Glorieux (Virât) et forme l'univers perceptible. Il est gouverné par Brahmâ, le Seigneur-de-l'immensité.

Le corps subtil de l'Être-cosmique, somme de tous les corps subtils, est appelé l'Embryon-d'or (Hiranya garbha).

Il est gouverné par Vi shn u, l'Immanent.

Le corps causal de l'Être-cosmique est appelé l'Omniscient (Sarvajña). Il est gouverné par Shiva, le Seigneur-du-sommeil.

Ces divisions du macrocosme correspondent à celles du microcosme. L'être-vivant (jîva) individuel, tel qu'il est perçu dans l'état de veille comme un corps physique individuel, est appelé l'Enveloppe (vishva). En tant que corps subtil individuel perçu dans l'état de rêve, l'être-vivant est l'Igné (taijas). En tant que corps causal individuel il est le Conscient (prajña) ou le Non-manifesté

9 4

LE POLYTHÉISME HINDOU

(avyâk ri ta), perçu dans l'état de sommeil-profond.

Dans l'état de sommeil-profond, l'Être-universel et l'être individuel ne sont pas réellement distincts. Ils se dissolvent dans le substrat commun, dans la pure jouissance, la félicité totale. Il n'y a donc pas de différence réelle entre l'Omniscient et le Conscient (sarvajña et prajña).

Le macrocosme et le microcosme sont ici un. On peut atteindre cet état profond de l'être à l'aide des techniques du yoga qui réduisent au silence toutes les activités du mental. Cette unité n'est toutefois qu'une unité d'expé-

rience. Même unies, la conscience individuelle et la conscience universelle restent différenciées, autrement tout retour serait impossible. Le niveau de la conscience universelle qui reste au-delà de l'atteinte des consciences individuelles est appelé le quatrième degré, le degré non-manifesté de la conscience.

Toute existence est conditionnée par les trois tendances fondamentales de la Nature et les trois dieux qui en sont les personnifications. Du point de vue de la conscience qui est celui de la libération, tamas, c'est-à-dire Shiva, est le degré le plus abstrait, le plus élevé, et rajas, c'est-à-

dire Brahmâ, le plus concret, le plus manifesté, le plus bas.

Du point de vue de la localisation, qui est celui de la création, rajas (Brahmâ) est la tendance causale, tamas (Shiva) la tendance la plus matérielle, la plus basse.

Sattva (Vi shn u) est dans tous les cas le degré intermédiaire.

La durée agit dans une autre dimension à travers la localisation et la conscience.

Durée Localisation Conscience

Rajas

Tamas

Sattva

Sattva

Rajas, Sattva, Tamas

Tamas

Rajas

L ' Ê T R E - C O S M I Q U E 9 5

Nous pouvons ainsi réaliser que la création et la libération sont des processus contraires dépendant, sur tous les plans, de la durée.

Les coordonnées de la durée et de la localisation ne sont pas toujours au même niveau de manifestation.

Ainsi prâ n a, la vie, qui est une forme de l'Impermanent du point de vue de la durée, est en rapport avec l'Auto-engendré, le Non-manifesté, la Caverne, qui sont des formes du permanent du point de vue de la localisation.

A cause de cette ambivalence dans la nature de toutes choses, les contacts sont rendus possibles entre les divers ordres d'être. Nous pouvons atteindre le Principe-de-la-durée à travers les rites, le Principe-de-la-conscience par l'introspection, le Principe-de-la-localisation par l'évolution de la vie. Mais, à tous les niveaux, nous pouvons à travers un aspect plus manifesté, plus perceptible du monde des formes, atteindre les aspects plus subtils, moins matérialisés.

La personnification et la description de l'Être-cosmique Virât, le Glorieux, la forme perceptible de l'Être-cosmique est l'entité visée par toutes les tentatives de représentation du Divin. Il existe de nombreuses descriptions de l'Être-cosmique dans sa totalité ou dans ses manifestations. Les Upani sh ad-s le décrivent comme un gigantesque microcosme.

« Il a, en vérité, des yeux partout, des bouches partout, des bras partout, des pieds partout. Il est le Progéniteur, le Seigneur unique. Il soutient de ses bras le Ciel et la Terre qui s'effondrent. » ( Shevetâshvatâra Upani sh ad, 3, 3; Mahâ-nârâya n a Upani sh ad, 1, 14.)

« Dans cet homme universel les trois mondes apparaissent. On dit du monde terrestre supportant tout qu'il forme ses pieds. Parce que la plus haute, la voûte-céleste 96 LE POLYTHÉISME HINDOU

(dyu-loka) est appelée sa tête. La sphère de l'espace, a cause de sa profondeur, est son nombril. Le Soleil, d'où vient la vision, est son œil. L'air est sa narine; les directions sont ses oreilles; le Progéniteur (Prajâpati) est son organe de procréation; le Dieu-de-la-mort (Yama) est son sourcil; la destruction, son anus. Les gardiens-du-monde (loka-pâla), régents des huit directions, sont ses bras, la Lune est son esprit; la honte sa lèvre supé-

rieure et l'envie sa lèvre inférieure. Ses dents forment le clair de lune; son sourire est l'illusion, ses poils tout ce qui pousse sur la Terre. » (Karapâtrî, Shrî Vi shn u tattva, Siddhânta, vol. V, p. 73.)

Les principaux dieux védiques qui gouvernent les diverses régions du corps cosmique, commandent aussi les diverses parties du corps humain.

« Mitra, l'esprit du jour, est son souffle aspirant (prâ n a),

« Varu n a, l'esprit de la nuit, est son souffle expulsant (âpâna),

« Aryaman, qui personnifie le Soleil, est son œil,

« Indra est sa force [son bras],

« B ri haspati [précepteur des dieux] est son intelligence et sa parole,

« Vi shn u, l'Immanent, aux grandes enjambées, forme

[les directions de l'espace et] ses pieds. » (Shankarâcârya, Commentaire de la Taittirîya Upani sh ad, 1, 1.)

« De son souffle [jaillissent] les Veda-s; de sa vue, les cinq éléments; de son sourire, tout l'univers animé et inanimé; de son sommeil, la destruction totale. » (Bhâmati, Commentaire du Brahmasûtra-bhâs h ya de Shankara, 1, 1, 1.)

Dans la Bhagavad-Gîtâ, Arjuna a la vision de Vi shn u personnifiant l'Être-cosmique, somme de toute existence, de toute vie, de toute mort.

« Il avait des visages sans nombre, des yeux sans nombre, des formes innombrables, surprenantes, couvertes d'orne-L ' Ê T R E - C O S M I Q U E 9 7

ments divins. Il avait des mains innombrables qui bran-dissaient des armes menaçantes.

« Il portait des guirlandes de fleurs du paradis, était oint de parfums exquis, couvert de vêtements splendides.

« Cet Homme-universel rassemblait dans sa forme sublime et immortelle, tout ce qui semble merveilleux.

« Un millier de soleils divins apparaissant soudain ensemble n'auraient pu approcher par leur splendeur l'éclat de cette grande âme.

« Frappé d'étonnement, les cheveux hérissés, le Conqué-

rant-de-la-richesse se prosterna devant l'Être divin et il lui parla les mains jointes :

« Resplendissant! Je vois en ta personne

« tous les dieux assemblés ainsi que tous les êtres.

« Je vois le Créateur sur son lotus,

« le roi du ciel, les sages, les serpents célestes.

« Je ne vois à ta forme, ni début, ni centre, ni fin.

« Ta force est sans égale et tes bras sont sans nombre.

« Tes yeux sont le Soleil et la Lune

« et je puis discerner ton visage de gloire,

« brûlant les mondes de ses rayons de flammes

« comme le feu sacré dévore les victimes.

« Bras puissant! Ta forme m'apparaît immense

« avec tous ces membres et ces yeux,

« tous ces visages, toutes ces formes, tous ces ventres et ces dents

[terribles.

« En te voyant les mondes tremblent

« et je tremble moi-même.

« Être-immanent! Te contemplant plus haut que la voûte céleste,

« resplendissant, multicolore, les mâchoires ouvertes,

« les yeux étincelants, mon esprit est troublé.

« Je perds et le courage et le calme du cœur.

« Je puis voir tes mâchoires et tes dents aiguisées

« luisant comme les flammes du Temps.

98 LE POLYTHÉISME HINDOU

« Je ne sais où je suis, je ne puis retrouver mon calme.

« Aie pitié de moi! Roi des dieux.

« Tu es le refuge des mondes.

« Je vois parmi les autres rois

« les fils de Dh ri tarâ sht ra

« et Bhî sh ma et Dro n a et [ Kar n a] le fils du cocher

« et tous ces fiers guerriers de notre bord,

« s'élancer dans ta bouche effrayante

« aux dents terribles.

« Et je vois leurs têtes broyées

« qui adhèrent encore à tes dents.

« Je regarde tous ces héros s'élancer dans tes bouches brûlantes

« comme des fleuves s'élancent vers la mer

« de tout l'effort de leur courant.

« Comme les insectes qui volent

« de tout leur pouvoir vers les flammes des lampes

« pour y trouver la mort,

« les mondes roulent vers ta bouche

« comme s'ils désiraient leur fin.

« Être-immanent! Tu saisis de tes dents rougies

« et dévores les sphères assemblées.

« Tes flammes répandues couvrent déjà le monde

« et le réduisent à néant.

« Tout-Puissant ! Forme terrifiante !

« Fais-moi connaître qui tu es.

« Je suis prosterné à tes pieds

« Sois pacifié ! Meilleur des dieux

« J'ai voulu voir la forme vraie

« mais tes actes dépassent ma force de compréhension. »

(Bhagavad-Gîtâ, XI, 10-31.)

L'ÊTRE-COSMIQUE

9 9

La structure de l'Univers

La structure de l'Univers peut être décrite sous le triple aspect de la durée, de la conscience et de la localisation.

LA STRUCTURE DU COSMOS SOUS L'ASPECT

DE LA DURÉE

L'au-delà de l'Au-delà (Paratpâra) est l'Inconnaissable.

La Totalité (sama sht i) cosmique se manifeste sous l'aspect de la durée dans le Soi-transcendant (Paramâtman).

La Personne-immuable (Avyaya-puru sh a) correspondant au Progéniteur (Prajâpati) ou Maître-du-bétail (Pashupati) se manifeste, sous l'aspect de la durée, dans la Perception (jñâna) et l'au-delà-du-Temps (kâlâtita).

La Personne-indestructible (Ak sh ara-puru sh a) ou Permanent, représentant les lois invariables de l'Univers et correspondant à la Divinité-manifestée (Ishvara), c'est-à-dire aux rênes qui guident le bétail, apparaît sous l'aspect de la durée, dans la Nature-transcendante (Parâ-prak ri ti), souffle-vital de la Personne-immuable, qui est son activité (kriyâ) et correspond à l'Éternité ou temps-indivisible-sans-limites (akha nd a-kâla). La Nature transcendante se divise en trois entités qui sont appelées l'Action, la Vie et l'Énergie.

L'Action se manifeste comme l'Impulsion-interne (antashcara) correspondant à la tendance-orbitante (rajas) ou Brahmâ.

1 0 0 LE POLYTHÉISME HINDOU

La Vie se manifeste comme le Régent-intérieur (Antaryamin) correspondant à la tendance-cohésive (sattva) ou Vi shn u.

L'Énergie se manifeste sous trois aspects : 1° le cœur (h ri daya) correspondant à Indra le Souverain-céleste, 2° le Soi-transmigrant (sûtrâtman) correspondant à Soma (l'oblation) et 3° l'Impulsion-externe (bahi sh cara) correspondant à Agni (le feu dévorant). Ces trois aspects forment la tendance-désintégrante (tamas) représentée par le Souverain-suprême (Maheshvara) Shiva.

La Personne-destructible (K sh ara-puru sh a) ou Impermanent représente ce qui évolue (Vikâra), la forme changeante de l'Univers, c'est-à-dire le bétail (pashu, les êtres vivants) et le mobile (jagat, le monde des astres).

Elle se manifeste, sous l'aspect de la durée, dans la Nature non-transcendante (aparâ-prak ri ti) qui représente la substance (artha) et le temps-divisible (kâla) et qui apparaît sous l'aspect de la tendance-orbitante (rajas) comme le souffle vital (prâ n a), sous l'aspect de la tendance-cohésive (sattva) comme les eaux-primordiales (Ap) et sous l'aspect de la tendance-désintégrante (tamas) comme le Verbe (Vâk), le Consumé (Anna) et le Dévorant (Annada).

LA STRUCTURE DU COSMOS SOUS L'ASPECT

DE LA CONSCIENCE

L'au-delà de l'Au-delà (Paratpâra) est l'Inconnaissable.

La Totalité (sama sh ti) cosmique apparaît sous l'aspect de la conscience dans le Seigneur-transcendant-du-sommeil (Parama-Shiva) qui représente le quatrième degré (au-delà du causal) de l'être de Pure-félicité (Ananda).

L'ÊTRE-COSMIQUE 101

La Personne-immuable (Avyaya-puru sh a) correspondant au Progéniteur (Prajâpati) ou au Maître-du-bétail (Pashupati) qui est, du point de vue de la conscience, le substrat de l'Univers et représente la tendance-désinté-

grante (tamas) se manifeste;

1° dans le macrocosme comme la conscience-universelle (sarvajña) ou conscience-non-manifestée, qui est la forme causale de l'Univers, représentée par Shiva, le Seigneur-du-sommeil:

2° dans le microcosme comme la conscience (prajña) ou Soi-non-manifesté (avyâk ri ta) qui est l'aspect causal de l'être vivant et correspond à l'état de sommeil-profond.

La Personne-indestructible (Ak sh ara-puru sh a) ou Permanent, représentant les lois invariables de l'Univers et correspondant à la Divinité-personnifiée (Ishvara), est représentée comme les rênes (pâsha) qui guident le bétail. Elle correspond à la tendance-cohésive (sattva) qui se manifeste :

1° dans le macrocosme comme l'Embryon-d'or (Hira n yagarbha), corps subtil de l'Univers et équivalent de Vi shn u, l'Immanent;

2° dans le microcosme comme l'Igné (Taijasa) formant le corps subtil réalisé dans l'état de rêve.

La Personne-destructible (K sh ara-puru sh a) ou Impermanent qui est l'Évolutif (Vikâra), c'est-à-dire la forme apparente de l'Univers, est appelée le bétail (pashu) ou le mobile (jagat) et correspond à la tendance-orbitante (rajas) qui se manifeste :

1 0 2 LE POLYTHÉISME HINDOU

1° dans le macrocosme, comme le Glorieux (Virât), totalité (sama sht i) de l'Univers physique et équivalent de Brahmâ, l'Être-immense, la source de la création; 2° dans le microcosme, comme l'Enveloppe (Vishva) ou corps physique individuel (vya sht i) qui forme l'être vivant (jîva) tel qu'il est perçu dans l'état de veille.

LA STRUCTURE DU COSMOS SOUS L'ASPECT

DE LA LOCALISATION OU DE L'ESPACE

L'au-delà de l'Au-delà (Paratpâra) est l'Inconnaissable.

La Totalité (sama sht i) cosmique apparaît, sous l'aspect de la localisation, comme l'Immensité-transcendante (Para-Brahman) et son Pouvoir latent d'illusion (Mâyâ) comparable à la semence-endormie.

La Personne-immuable (Avyaya-puru sh a) correspondant au Progéniteur (Prajâpati) ou Maître-du-bétail (Pashupati) et formant le substrat de l'Univers spatial se manifeste sous l'aspect de la localisation :

1° Sur le plan céleste (âdhi-daivika) comme l'Auto-engendré (Svayambhu) qui est Brahmâ, la tendance orbitante, l'extension personnifiée, l'aspect créateur de l'Immuable.

2° Sur le plan de l'individualité (âdhyatmika) comme le Non-manifesté (Avyakta) qui est la conscience potentielle, l'inclination au réveil.

3° Sur le plan des éléments (âdhibhautika) comme la Caverne (guhâ) représentant l'élément éther dont la qualité est l'espace et qui est l'origine du sens de l'ouïe, c'est-à-dire du Verbe.

L'ÊTRE-COSMIQUE 103

Le Point-limite (bindu) ou Soi (âtman) est un état intermédiaire qui forme la limite de l'Immuable et de l'Indestructible dans leur manifestation spatiale. Il représente l'impulsion germinative non encore réalisée.

La Personne-indestructible (Ak sh ara-puru sh a) ou Permanent, représentant les lois invariables de l'Univers, forme la Divinité manifestée (Ishvara) ou les Rênes (Pâsha) qui guident le bétail. Sur le plan de la localisation, la Personne-indestructible se manifeste :

1° Sur le plan céleste (adhidaivika) comme la Volonté-

suprême (Parame shth in) qui est Vi shn u, l'Immanent, la tendance cohésive, formant la nature (prak ri ti) de l'Auto-engendré.

2° Sur le plan de l'individualité (âdhyatma) comme le Grand-principe (Mahat) qui est l'intellect (buddhi) ou conscience-analytique.

3° Sur le plan des éléments (âdhibhautika) comme les eaux-primordiales (Ap), origine du sens du toucher et de l'élément air.

Le Principe de l'individualité (aham-tattva) est un état intermédiaire qui forme la limite de l'Indestructible et du Destructible.

La Personne destructible (k sh ara-puru sh a) ou Impermanent est l'Évoluant (vikâra), c'est-à-dire le double aspect de l'Univers appelé le bétail (les êtres vivants) ou le mobile (jagat) (le monde des astres). Elle se manifeste, sur le 1 0 4 LE POLYTHÉISME HINDOU

plan de la localisation ou de l'espace, en divers aspects qui sont régis par la tendance-désintégrante (tamas) et dont l'ensemble forme le Souverain-suprême (Maheshvara), personnification de la puissance :

1° Sur le plan céleste, cette manifestation apparaît sous trois aspects : le Soleil (Sûrya), le feu céleste dans lequel réside Indra, Roi du Ciel, la Lune (Candra) demeure de Soma, breuvage du sacrifice, et la Terre (P ri thivi) demeure d'Agni, le feu terrestre.

Sûrya et Candra personnifient le sacrifice cosmique.

2° Sur le plan de l'individualité (adhyatmika) l'Impermanent se manifeste :

a) comme la connaissance mentale (vijñânâtman) et la pensée (manas);

b) comme la connaissance intuitive (prajñânâtman) et les sens (indriya);

c) comme le corps physique (sharîra).

3° Sur le plan des éléments (adhibhautika) l'Impermanent apparaît comme :

a) la lumière (jyotis), origine de la vision, de la perception mentale et de l'élément Feu;

b) la sensation (rasa), origine du goût, des perceptions émotives et de l'élément Eau;

c) la semence-immortelle (Am ri ta), origine de l'odorat, des sensations physiques et de l'élément Terre.

DEUXIÈME PARTIE

LES DIEUX DES VEDAS

I

LE SACRIFICE COSMIQUE

Le Feu et l'Offrande, Agni et Soma

LA nature du monde apparut aux Aryens védiques comme un perpétuel sacrifice. Ils furent frappés d'étonnement en observant l'étrange destinée qui oblige toute chose vivante à dévorer d'autres choses vivantes pour survivre. La transformation de la vie détruite en vie nouvelle semble être la caractéristique même de l'existence. « Vivre c'est dévorer la vie. » Toute existence peut donc être ramenée au dualisme fondamental de deux fonctions, le Dévoré (Anna) et le Dévorant (Annâda). Tout être vivant est le mangeur d'autres êtres et est lui-même nourriture pour d'autres êtres. Vivre consiste essentiellement à manger et à être mangé.

Celui qui mange et celui qui est mangé ne sont que des êtres temporaires accomplissant une fonction. L'action de dévorer prise en soi est la seule entité permanente, la nature de la Création et du Créateur. Cette fonction est particulièrement apparente dans un des éléments qui grandit aussitôt qu'il est nourri et meurt dès qu'il est sans nourriture : le feu. La nature du feu représente donc bien la nature de l'existence dont il apparaît comme l'origine et 1 0 8 LE POLYTHÉISME HINDOU

le symbole. A chaque instant des formes innombrables de feu dévorent quelque forme de vie, de combustible. Le soleil ne brille qu'en dévorant sa propre substance. Tous les aspects de la combustion, de la digestion sont des formes de feu. La relation de la nourriture et de celui qui la mange, du feu et de l'oblation (Soma) est la forme visible du seul Dieu, qui crée, soutient et détruit l'Univers. Le « Dieu »

de la Taittirîya Upani sh ad (III, 10, 6) proclame : « Je suis la nourriture, je suis la nourriture, je suis la nourriture! et je suis le mangeur, le mangeur, le mangeur... né avant toutes choses. »

« Cet univers entier n'est que nourriture et mangeur. »

(B ri had-âra n yaka Upani sh ad, 1, 4, 6.) « Tout cet univers, conscient et inconscient, est fait de feu (Agni) et d'oblation (Soma). » (Mâhâbhârata, Shanti parva, 338, 52.) Agni, le feu, est tout ce qui brûle, dévore ou digère : le soleil, la chaleur, l'estomac, le désir, le plaisir. Soma, l'oblation, est tout ce qui est sacrifié, dévoré ou consumé, le combustible, le froid, la lune, la nourriture, le sperme, le vin, l'huile-sacrificielle. Agni est le souffle chaud qu'exhale la bouche de la Personne-indestructible, l'Ak sh ara-puru sh a qui incarne la loi permanente du monde; Soma est l'air froid qu'il inspire. Agni est la vie, Soma l'activité. Le feu est celui qui jouit, Soma ce dont il jouit. Le feu est rouge, Soma, couleur de nuit. « L'Igné est rouge or, l'Offrande d'un bleu sombre. » (Chândogya-Upani sh ad, 6, 4.)

Le feu avait été capté et domestiqué. Des hommes légendaires, fameux pour leur sagesse et leur habileté, avaient su capter cette divinité et la maintenir vivante en la nourrissant avec soin. Ce Dieu autrefois terrible était maintenant devenu bienveillant et demeurait au centre de la maison.

Il fallait pour le maintenir une attention et des soins constants. Il fallait le rendre propice par des offrandes. On pouvait aisément observer ce qui lui était agréable ou lui LE SACRIFICE COSMIQUE 1 0 9

déplaisait. Dans la demeure patriarcale des Nobles (Arya) on pouvait constamment entendre l'invocation : « Viens!

Agnil O Dieu! Accepte cette oblation. » (Ri g Veda, 7, 11, 5.) Si le Dieu-feu était négligé et mourait, de grands problèmes se posaient à des tribus vivant très dispersées dans le cadre hostile de forêts primitives.

Ce Dieu puissant devint le support du progrès humain, la force par laquelle l'homme put améliorer sa condition et dominer les forces de la Nature. C'est pourquoi Agni est celui-qui-donne-la-richesse ( Dravi n odas). (B ri had-devatâ, 3, 65.)

C'est à travers le feu que l'homme put communiquer avec des états d'être supérieurs, avec les dieux et les sphères célestes. Grâce au feu, il put participer à la vie cosmique, coopérer avec les dieux qu'il put nourrir par sa bouche.

« Agni est la bouche des dieux, c'est par cette bouche qu'ils respirent. » ( Kapisthala-Ka th a-samhitâ, 31, 20 et Shatapatha-brâhma n a, 3, 7.)

« Agni, la bouche des dieux, tient le premier rang parmi eux. » ( Aitareya Brâhma n a, 1, 9, 2.)

« En vérité les dieux ne mangent ni ne boivent, mais ils sont satisfaits par la vue des offrandes. » ( Shatapatha Brâhma n a, 9e Kha nd a; Chândogya Upani sh ad, 3. 8. 3.) C'est seulement à travers le feu qu'il est possible de les atteindre, c'est pourquoi « Agni doit être vénéré avant les autres dieux ». ( Taittirîya Brâhma n a, 3, 7, 1.) Il apparaît comme le plus ancien et le plus sacré des objets d'adoration.

La contrepartie d'Agni, du principe igné, dévorant, est Soma, la douce chose dévorée. Tout l'Univers n'est que nourriture. La Nourriture est la substance de tout. « La Nourriture est le principe universel, car en vérité les êtres sont faits de nourriture, une fois nés ils vivent de nourriture et lorsqu'ils sont morts ils deviennent eux-mêmes nourriture. » ( Taittirîya Upani sh ad, 3, 2.)

« La Nourriture est la forme du Soi car l'être n'est que 1 1 0 LE POLYTHÉISME HINDOU

nourriture. L'Écriture dit que lorsqu'un homme ne mange pas il ne pense plus, n'entend plus, n'a plus de toucher, ne voit plus, ne peut ni parler, ni sentir, ni goûter. Ses énergies vitales l'abandonnent1 . Mais il est dit2 que s'il mange, il devient plein de vie. Il peut penser, entendre, toucher.

Il peut parler, goûter, sentir et voir. C'est pourquoi : Toutes les créatures sont faites de nourriture, Tout ce qui est sur Terre

Vit de nourriture et devient, à sa fin, nourriture 3.

Tous les êtres en ce monde, jour après jour, s'agitent en quête de nourriture. Le soleil aspire par ses rayons sa nourriture et rend de la chaleur. Le feu bien nourri, brûle.

Ce monde fut façonné par la faim de l'Immensité. C'est pourquoi nous devons vénérer la nourriture comme l'âme de l'Univers. L'Écriture dit4 :

Toutes choses sont nées de nourriture.

Nées, elles croissent par la nourriture.

Tout est mangé et mange. Donc tout est nourriture.

(Maîtrî Upani sh ad, 6, 11-12.) Il n'est pas possible de dire si le mangé est plus important que le mangeur, le combustible plus important que le feu, la chose plus importante que l'acte. Il ne peut exister de sacrifice sans victime. Le feu et l'oblation sont nécessaires l'un à l'autre. Tous deux reposent sur une base commune et sont les deux aspects d'une divinité qui est le Sacrifice.

La nourriture du feu sacré est le Soma, l'Oblation-rituelle. Toute substance jetée dans le feu sacré est une forme de Soma bien que ce nom soit plus particulièrement 1. Cf. Chândogya Upani sh ad, 7, 9, 1.

2. Cf. Taittirîya Upani sh ad, 2, 3.

3. Taittirîya Upani sh ad, 2, 2, 1.

4. Taittirîya Upani sh ad, 2, 2, 1.

LE SACRIFICE COSMIQUE

1 1 1

donné à la liqueur sacramentelle avec laquelle les flammes sont ravivées. C'est 1'« Eau de Vie », l'ambroisie qui stimule le feu et enivre ses prêtres. Sous cet effet, l'homme aperçoit des mondes mystérieux, entre dans un état de frénésie magique et accomplit des actes au-delà de sa force.

Celui qui boit cette ambroisie participe au divin. C'est pourquoi la plante de Soma est la reine des plantes. La manière de préparer le Soma est un rite et tous les instruments employés dans sa fabrication sont sacrés.

Le Soma rituel qui fut employé dans les sacrifices védiques était préparé avec la feuille d'une plante que l'on croit être le Sarcastemma viminale ou l' Asclepias acida.

Elle fut peut-être aussi à certaines époques, le chanvre indien. Les feuilles étaient écrasées entre deux pierres (adri) par des prêtres. Le liquide était ensuite filtré, mélangé de beurre clarifié et fermenté.

Le Soma s'identifie à l'élixir d'immortalité, l' am ri ta, la boisson des dieux, produite la première fois, lors du barattement de la mer. Le Soma est aussi le sperme, essence de vie. « Tout ce qui est humide, il le créa avec du sperme qui est la source. » ( B ri had âra n yaka Upani sh ad, 1, 4, 6.) La semence humaine reste l'une des formes importantes de Soma. Il existe des références à des sacrifices de sperme comme une alternative aux sacrifices humains.

Le Soma est personnifié en un dieu, l'un des plus importants des Véda-s. Les cent quatorze hymnes du neuvième livre du Ri g Veda sont tous adressés à Soma. Il existe six autres hymnes à la gloire du Soma dans les différents livres du Ri g Veda. Le Sâma Veda est entièrement dédié à Soma, représenté comme un dieu tout-puissant, guérissant tous les maux, distribuant les richesses, régnant sur tous les autres dieux et parfois même identifié à l'Être suprême.

Comme Agni, Soma est représenté sous l'aspect d'un sage de la caste des prêtres dont la vue est de bon augure 1 1 2 LE POLYTHÉISME HINDOU

pour les dieux comme pour les hommes. Il est le fils du Ciel et fut gardé dans un château de bronze. Le musicien céleste (gandharva)l et l'archer (k rish a n u), qui fait décroî-

tre la l u n e 2 étaient ses gardiens. Soma fut apporté sur terre par un grand épervier ou par la foudre. Dans les Brâhma n a-s, l'hymne-au-Soleil, ou Triple-chant (gâyatri) se saisit du breuvage qui donne l'immortalité. Le symbolisme du nombre trois joue un rôle important dans les descriptions de Soma.

« La nature d'Agni est de se répandre, celle de Soma de se contracter et de disparaître. Mais lorsqu'une chose s'est distendue jusqu'à son maximum il faut qu'elle se contracte à nouveau. C'est ainsi que le feu devient Soma à chaque changement de plan et que le Soma jeté dans le feu devient feu lui-même. Les fonctions de dévoreur et de dévoré sont des états successifs de toutes choses. Cette alternance d'Agni et de Soma fait naître la division des sphères considérées tour à tour comme ignées ou oblationnelles. Telles sont les sphères de la Terre et du Soleil et de tous les corps célestes en lesquels s'accomplit un perpétuel rite de sacrifice. » (Giridhara Sharmâ Caturvedi, Kalyâ n a, Veda-anka. ) La relation des sphères

La relation entre différentes sphères peut être exprimée comme un échange de radiations. Les émanations du soleil nourrissent le feu terrestre. Ces émanations forment la lumière-blanche, shyeta. Mais il existe aussi une émanation terrestre qui nourrit le soleil. Celle-ci est appelée naudhasa, l'exultation.

Ce feu intérieur qui emplit le corps-de-la-terre (p ri thivi-pi nd a) est appelé le feu-immortel (am ri tâgni). Il rayonne au-dehors et atteint le soleil. Cette radiation qui va en se 1. ou Centaure.

2. La l u n e est u n e coupe de Soma.

LE SACRIFICE COSMIQUE 1 1 3

dispersant peut être divisée en des régions concentriques, chacune desquelles est appelée un rite-accompli (stoma).

Les stoma-s sont divisés en sections appelées les parties-de-sacrifice (aharga n a). Du centre de la terre à sa surface, trois sections sont envisagées. Au-delà, chaque division de six sections forme une région.

Le monde terrestre (p ri thivî-loka), qui est le monde d'Agni, étend sa sphère d'expansion jusqu'à la neuvième section. Le monde de l'espace intermédiaire (antarik sh a) ou sphère du vent (vâyu) poursuit son expansion jusqu'à la quinzième section, la sphère céleste, régie par le soleil s'étend jusqu'à la vingt et unième section. C'est pourquoi

« le soleil est appelé vingt et unième ». ( Chândogya Upani sh ad, 2, 10, 5.)

Au-delà de la sphère solaire, le feu immortel se transforme en oblation. Il s'étend sur douze sections. Les régions qui s'étendent jusqu'à la vingt-septième section sont appelées la Triple-région (Triv ri t-stoma). C'est la sphère du Souverain-suprême (Parame shth i ma nd ala) aussi appelée le Monde-supérieur (Mahar-loka) ou paradis (jana-loka).

C'est aussi le monde des Eaux-primordiales (Ab-loka).

Plus loin, jusqu'à la trente-troisième section, est la sphère de l'Auto-engendré (Svayambhu-ma nd ala) où demeurent les dieux supérieurs. Ces deux dernières sphères au-delà des trois mondes sont des sphères célestes faites de deux sortes d'oblations, l'oblation de l'espace (dik-soma) et l'oblation de lumière (Bhâsvara-soma).

Le rituel du sacrifice, le yajña

La vie implique l'action. Nul ne peut demeurer un instant sans respirer, penser, rêver. Même l'inaction est une forme d'action. Les actions peuvent être neutres, n'ayant pas de valeur morale, ou elles peuvent être positives ou négatives.

Les actions telles que les rites des sacrifices qui mettent 114 LE POLYTHÉISME HINDOU

l'homme en contact avec les plus hauts aspects de l'être, avec les dieux, constituent les actes les plus importants de l'homme. Nous ne pouvons pas vivre sans participer au rituel cosmique en tant qu'instruments ou que victimes.

Toutefois cette participation n'est positive que lorsqu'elle devient consciente et est accomplie avec la connaissance des rites et des mots efficaces. C'est par le rituel des sacrifices volontairement accomplis que l'homme prend sa place dans la symphonie cosmique comme un égal. Le but principal de son existence est l'accomplissement de ce rituel.

« Le Progéniteur (Prajâpati) créa en même temps le rituel des sacrifices et l'homme. Il dit à l'homme : « Tu pro-

« gresseras par ce rituel et tes désirs seront accomplis. Par

« lui, tu te rendras agréable aux dieux et les dieux te proté-

« geront en retour. Ainsi vous aidant les uns les autres vous

« atteindrez la félicité. Contents de tes hommages, les dieux

« t'accorderont tous les plaisirs. Celui qui jouit de leurs dons

« sans leur payer leur dû est un voleur. Mais celui qui ne

« mange que les reliefs des oblations est lavé de tout mal.

« Celui qui prépare à manger pour lui seul se nourrit de

« péché. Tous les êtres vivent des fruits de la terre. Ces

« fruits viennent des pluies du ciel, les pluies sont le résultat

« des sacrifices et le sacrifice est le fruit d'actes méritoires.

« La valeur d'un acte est déterminée par la connaissance des

« valeurs permanentes qui se trouvent dans le Livre-du-

« Savoir, le Véda. Ce savoir est l'expression de l'Indestruc-

« tible (Ak sh ara), le principe qui se manifeste dans le rite

« perpétuel de sacrifice qu'est l'Univers. Fils de Kunti

« (Arjuna) ! Celui qui ne joue pas son rôle dans ce sacrifice

« sans fin est fait de péché ! Prisonnier de ses sens, son exis-

« tence n'a pas de but. » ( Bhagavad-Gîtâ, 3, 10-16.) C'est lorsque se développa le rituel du feu que sa nature universelle put être observée. Le sacrifice du feu apparut comme l'instrument essentiel de la participation de l'homme au sacrifice cosmique. Par des sacrifices gigantesques qui LE SACRIFICE COSMIQUE

115

devinrent de plus en plus élaborés, l'homme prit sa place parmi les forces de la nature.

Les rites cherchèrent à serrer de plus près les rites éternels par lesquels l'Univers existe. Le foyer domestique était l'image du centre cosmique. L'Univers à son tour n'était qu'un vaste sacrifice dans lequel le Dieu feu, puissant, violent, terrible dévorait l'oblation gigantesque, faite de tout ce qui est faible, tendre et doux.

La plupart des textes védiques qui sont arrivés jusqu'à nous se rapportent au rituel des sacrifices. Autour du monumental autel védique dans lequel étaient creusées les bouches du feu, où les offrandes et les victimes étaient jetées, un cérémonial complexe se développa dans lequel les divinités des huit directions de l'espace et les dieux des éléments avaient leur place et étaient vénérés. Des prêtres appartenant à divers degrés hiérarchiques, représentant les énergies cosmiques, accomplissaient des rites élaborés dont les gestes précis, les invocations, les hymnes et les chants étaient susceptibles d'agir sur l'ordre même du monde et de permettre aux hommes de tenir les dieux en leur pouvoir.

Dans cet effort pour instaurer la suprématie de l'homme sur les forces cosmiques, le rituel prit des proportions inouïes. Il y eut des sacrifices dont les cérémonies duraient des années, employaient des milliers de prêtres et absor baient les revenus de grands royaumes.

Une fois commencée la série des rites, il fallait en suivre le cours, tout au long du cycle des mois et des saisons. Un rituel incomplet ou inexact pouvait causer des catastro-phes. « Lorsque le Sacrifice Agnihotra n'est pas suivi des sacrifices à la lune nouvelle ainsi qu'à la pleine lune, du sacrifice des quatre mois et du sacrifice des moissons, ou bien, lorsque l'une des cérémonies n'a pas d'assistants ou est omise, ou bien si les dieux ancestraux n'y reçoivent pas leur dû, ou bien si les rites sont accomplis en enfreignant les 116 LE POLYTHÉISME HINDOU

règles, le sacrifice peut détruire les sept mondes. » ( Mu nd aka Upani sh ad, 1, 2, 3.)

« Dans le cas où, après que la litanie du matin a été commencée, l'officiant principal s'interrompt avant la conclusion, il ne trace qu'une voie, l'autre est interrompue.

« Comme un homme à une jambe ou un char à une roue tombent lorsqu'ils cherchent à se mouvoir, ce sacrifice aussi tombe. Le tort fait au sacrifice rejaillit sur celui qui le commandite. D'avoir sacrifié lui cause du tort.

« Mais lorsque, une fois commencée la litanie du matin, l'officiant ne s'arrête pas avant la fin, les deux voies sont formées, la seconde n'est pas interrompue.

« Ce sacrifice est bien campé comme un homme sur ses deux jambes ou un char sur ses deux roues. Le sacrifiant est installé sur une base solide. Le sacrifice améliore sa condition. » ( Chândogya Upani sh ad, 4, 16, 2-5.)

« Ceux qui accomplissent des sacrifices rituels deviennent, par ces actions méritoires, plus qualifiés et peuvent alors saisir le sens des Écritures. Ayant la vision de la perfection et de l'essence des choses et voyant ce qui existe au-delà de la portée des sens, ils pénètrent le cœur des voyants et atteignent le savoir véritable, le vrai Veda, qui y survit sous une forme subtile lorsque l'Univers est détruit. Ayant saisi cette Loi ils la répandent par le monde. » (Yogatrayâ-

nanda, commentaire du Ri g veda, 10, 71, 3a, dans Shivarâtri, p. 132.)

Les formes du sacrifice

Il existe de multiples aspects du sacrifice cosmique et des sacrifices institués par l'homme. Chacun étant le reflet de l'autre. L'Univers est créé par un rituel et toute forme de création divine ou humaine a le caractère d'un sacrifice rituel. « Toute action qui peut avoir pour résultat l'amélioration de l'état d'homme a le caractère d'un sacrifice LE SACRIFICE COSMIQUE 117

rituel. » (Yogatrayânanda, Shiva-râtri, p. 171.) Le feu est purificateur, c'est pourquoi tout ce qui a été purifié par le feu, peut être offert aux dieux et « toute action qui purifie a le caractère d'un sacrifice rituel ». ( Chândogya Upani sh ad, 4, 16, 1.)

Les sucs digestifs sont assimilés à des formes de feu, les offrandes peuvent donc également être mangées. Le feu de la colère, le feu de la luxure ouvrent des voies diverses de rituel. La guerre même peut être envisagée comme un grand sacrifice. Dans le Râmâya n a de Tulasî-dâsa, le héros Parashurâma dit :

L'offrande de flèches fut délivrée par l'arc.

Le feu de ma colère fut attisé.

L'armée aux quatre corps était mon combustible.

De grands rois constituaient le bétail sacrifié.

Je les mettais à mort avec ma hache.

Cest ainsi que j'ai pu accomplir

plus de mille fois le rite de la guerre.

( Râma-carita-mânasa, Bâla-Kânda, 287, 8, 2-4.) L'humanité inconsciente accomplit sans cesse un rituel.

« Ceux qui ont faim et soif et ignorent la joie font la vigile.

Ceux qui mangent et boivent et jouissent de la vie sont les victimes. Ceux qui sont heureux, se nourrissent avec soin et aiment l'amour sont les hymnes de gloire. Ceux qui pratiquent l'austérité, la charité, l'humilité, la non-violence et dont la parole est véridique sont l'or distribué,... la mort est l'ablution après la cérémonie. » ( Chândogya Upani sh ad, 3, 17, 1-4.)

La vie de chacun est un sacrifice. « En vérité la vie humaine est un rituel de sacrifice. Les vingt-quatre premières années sont les libations du Soma du matin en rapport avec les Vasu-s, les sphères-des-éléments... Les quarante-quatre années qui suivent sont les libations du 1 1 8 LE POLYTHÉISME HINDOU

Soma de midi, en rapport avec les Rudra-s, dieux de l'espace et de la vie... Les dernières quarante-huit années sont les libations du soir, en rapport avec les Principes-souverains, les Aditya-s, divinités du Ciel. » ( Chândogya Upani sh ad, 3, 16, 1-4.) Ainsi sont divisées les cent huit années que dure la vie complète d'un homme.

La technique dn sacrifice

Lorsqu'une substance édible est offerte à un dieu puis jetée dans la bouche du feu accompagnée de gestes et de paroles rituels, ceci constitue l'acte fondamental du sacrifice qui comprend donc quatre éléments indispensables : l'offrande, le feu, la parole et le geste.

Le sacrifice est une technique. Son but et sa forme sont des éléments essentiels de son efficacité. « Le sacrifice accompli sans rituel, sans offrandes de nourriture, sans distribution d'or aux prêtres et sans piété est un sacrifice-noir. » ( Bhagavad-Gîtâ, 17, 13.) « On ne doit pas offrir de sacrifice simplement pour obtenir la réalisation d'un vœu. » ( B ri had-âra n yaka Upani sh ad, 1, 5, 2.) L'offrande du sacrifice varie selon la nature et le but du rituel, la divinité à laquelle le sacrifice est adressé et sa place dans le sacrifice universel. On emploie pour les oblations le blé et le riz, l'huile et le beurre, les boucs, les buffles, les hommes, le soma et le vin.

Les sacrifices sanglants dans lesquels une ou plusieurs victimes sont mises à mort sont communs dans l'Inde. De nos jours ils se font selon les rites tantriques, moins compli-qués et auxquels tous peuvent assister. Le rituel tantrique peut dans tous les cas être substitué au rituel védique et il convient mieux aux conditions de l'âge présent. Les sacrifices humains sont encore relativement fréquents bien qu'interdits par la loi moderne. Le sacrifice du cheval qui doit être accompli par un prince au sommet de son pouvoir LE SACRIFICE COSMIQUE 1 1 9

après avoir soumis tous les États voisins était l'un des évé-

nements importants de la vie de l'Inde ancienne. Il durait des années et absorbait toutes les ressources de puissants royaumes. Les circonstances politiques n'ont pas permis sa réalisation depuis plus de dix siècles.

Dans les sacrifices védiques tels qu'ils se pratiquent aujourd'hui, l'oblation est habituellement faite de beurre clarifié, d'huile, de céréales ou de graminées, versées avec la main ou la louche rituelle dans le feu qui brûle dans des foyers carrés creusés au sommet de l'autel ou dans le sol du hall des sacrifices. Il peut y avoir un grand nombre de ces foyers ayant chacun pour officiants plusieurs prêtres et acolytes qui récitent des mantra-s distincts. La cérémonie est dirigée par un grand-prêtre qui conduit le rituel. Il est assisté par des chefs de groupes qui veillent à ce qu'aucune erreur technique ne s'introduise. « Le conducteur du sacrifice accomplit mentalement toute la cérémonie tandis que les officiants, le sacrificateur, le chantre et autres, prononcent actuellement les paroles. » ( Chândogya-Upani sh ad, 4, 16, 2.)

Il existe un rituel différent pour chaque forme de sacrifice. Ce rituel est expliqué dans des textes qui ne doivent être lus par personne excepté les prêtres sacrifiants.

« La nourriture offerte aux dieux est de deux sortes, celle que mangent les prêtres (Brâhma-odâna) et celle qui est jetée dans le feu (pravargya). Le dieu auquel on sacrifie est nourri par ce que mangent les prêtres et la Création de l'Univers a pour substance ce qui est jeté dans le feu.

Les reliefs (ucci sht a) du rituel cosmique forment la substance de tout ce qui existe. C'est pourquoi « Le monde entier est un reste de nourriture. » (Motilal Sharma Gau d, Ishopanishat vijñâna bhâ sh ya, p. 61.) Les divers rituels du sacrifice doivent être accomplis dans des feux différents. Les offrandes simplement dépo-sées devant une image ne constituent qu'un sacrifice 1 2 0 LE POLYTHÉISME HINDOU

incomplet bien que l'offrande soit mangée par les prêtres ou par l'offrant lui-même, puisque l'oblation dans le feu (pravargya) n'a pas lieu.

Le plan du temple, ou de la maison, est conçu comme ayant la forme d'un homme étendu, appelé le Vastu-puru sh a. Lorsque les rites sont accomplis dans la maison,

« les offrandes à la Fortune (Shrî) doivent être faites sur la tête du Vastu-puru sh a (c'est-à-dire au nord-est), celles au dieu terrible du Temps sur les pieds (sud-est). Les offrandes au Progéniteur et au Grand-architecte au milieu du corps, celles aux Principes universels doivent être lancées en l'air. Les offrandes aux esprits diurnes doivent être faites de jour, celles aux esprits nocturnes, de nuit. Les offrandes à l'Ame-universelle doivent être placées sur le dos du Vastu-puru sh a et s'il reste quelque chose on peut l'offrir aux Ancêtres sur la droite (vers le sud). » (Manu-sm ri ti, 3, 89-91.) La création de l'homme

L'homme est le fruit d'un rituel en cinq degrés, c'est pourquoi dans tous les sacrifices, la cinquième oblation est appelée « l'homme ».

Dans la première oblation :

« L'Univers est le foyer, le Soleil est le feu ses rayons la fumée, le jour la flamme.

La Lune est le tison, les étoiles, les étincelles.

Les dieux dans ce feu offrent leur obédience et le royal Soma apparaît. »

Dans la seconde oblation :

« Le Dieu-des-eaux célestes est le foyer, le vent le feu, les nuages la fumée, l'éclair la flamme

la foudre le tison, le tonnerre les étincelles.

LE SACRIFICE COSMIQUE

121

Les dieux dans ce feu offrent le Soma

et la pluie apparaît. »

Dans la troisième oblation :

« La Terre est le foyer, l'année le feu

l'espace la fumée, la nuit la flamme

les quatre directions sont le tison

les directions intermédiaires les étincelles.

Les dieux dans ce feu offrent la pluie

et la moisson paraît. »

Dans la quatrième oblation :

« L'homme est le foyer, sa parole est le feu Son souffle la fumée, sa langue la flamme ses yeux sont les tisons, ses oreilles les étincelles.

Les dieux dans ce feu offrent les grains de la moisson et le sperme apparaît. »

Dans la cinquième oblation :

« La femme est le foyer, le membre viril est le feu les avances sont la fumée, la vulve est la flamme la pénétration le tison, le plaisir l'étincelle.

Les dieux dans ce feu offrent le sperme

et l'enfant naît. » (Chândogya Upani sh ad, 5, 4-8.) Un passage presque identique se trouve dans la B ri had-

âra n yaka Upani sh ad (6, 2, 9-13).

Le dernier sacrifice

« Cet homme vit aussi longtemps qu'il vit.

Puis, lorsqu'il meurt il est porté au feu.

Son feu retourne au feu, sa substance à la substance sa fumée à la fumée, sa flamme à la flamme ses tisons aux tisons, ses étincelles aux étincelles.

122 LE POLYTHÉISME HINDOU

Les dieux dans ce feu offrent le corps de l'homme.

Et de cette oblation s'élève

un être neuf couleur de lumière. »

La voie des dieux

« Ceux qui savent et vivent pieusement dans la forêt, pénètrent dans le feu [ de leur bûcher funèbre].

Des flammes ils passent dans le jour

du four dans la lune ascendante

de la lune ascendante dans la demi-année du soleil ascendant, puis des mois ascendants dans le monde-des-dieux, du ciel des dieux dans le soleil,

et du soleil dans l'éclair.

Un pur esprit paraît dans ces régions où l'éclair règne et les conduit dans le monde-des-causes.

Dans cet immense monde ils trouvent leur demeure.

De là, il n'est point de retour. »

La voie des ancêtres

« Ceux qui ont conquis tous les mondes

par leurs austérités, leurs charités et les rites de sacrifice entrent dans la fumée [ de leur bûcher funèbre].

De la fumée ils passent dans la quinzaine sombre du déclin

[ de la lune

puis de la lune déclinante dans la demi-année où le soleil

[ descend vers le Midi,

puis des mois descendants dans le paradis des ancêtres, du monde des ancêtres dans celui de la lune.

Pénétrant dans la lune ils deviennent eux-mêmes une nourriture pour les dieux,

emplissant la coupe de Soma royal (la lune) que les dieux vident en s'en abreuvant.

LE SACRIFICE COSMIQUE 1 2 3

Lorsqu'ils ont épuisé les mérites qu'ils avaient su accumuler, ils rentrent à nouveau dans l'espace, de l'espace dans l'air, de l'air dans la pluie, de la pluie dans la terre.

En atteignant la terre ils deviennent la nourriture offerte dans le feu de l'homme et le feu de la femme.

Ils naissent à nouveau et grandissent en ce monde et recommencent le cycle de leur vie.

Quant à ceux qui n'ont point suivi ces deux voies ils deviennent des insectes qui rampent et qui volent et tout ce qui mord en ce monde. »

(B ri had-âra n yaka Upani sh ad, 5, 9-10).

L'Être divin personnifiant le sacrifice

Nous avons vu que le principe qui donne naissance au monde a un triple aspect, le Dévoreur, le Dévoré, et l'action de dévorer ou sacrifice qui est leur relation.

C'est par cette relation que l'univers existe et se maintient. C'est pourquoi le Sacrifice peut être identifié au principe immanent qui préserve le monde. « Le Sacrifice est Vi shn u. » ( Taittirîya-samhitâ, 1, 7, 8 et K rishn a Yajur Veda, 3, 5, 2.)

« Parce qu'il est la nature intrinsèque de tous les sacrifices ou parce que sous la forme du sacrifice il satisfait tous les dieux, le Protecteur est lui-même appelé le Sacrifice. » (Shankarâcârya, Vi shn u-sahasra-nâma-bhâs h ya, 20.) Le sacrifice est personnifié comme un dieu :

« Un grand dieu à quatre cornes, trois pieds, deux têtes, sept mains. Il a la forme d'un taureau, qui attaché en trois endroits descend parmi les mortels. » (Ri g Veda, 4, 58, 3; Mahâ-nârâya n a Upani sh ad, 10, 1).

« Les quatre cornes représentent les quatre Veda-s, les trois pieds, les trois ablutions du matin, de midi et du soir. A l'aide de ces trois pieds il se tient debout sur 124 LE POLYTHÉISME HINDOU

les trois mondes. Les deux têtes sont les oblations mangées par les prêtres ou jetées dans le feu. Les sept mains sont les sept chevaux qui représentent les mètres sacrés des hymnes. » (Motilal Sharma Gan d, Ishopani sh at-vijñâr bhâshya, p. 61.)

L'animal, victime du sacrifice, est l'image même du cosmos.

« L'aurore est la tête du cheval sacrifié, Le Soleil, son œil, le vent son souffle,

Le feu dévorant est sa bouche ouverte,

L'année est son âme. La voûte céleste est son dos, la sphère de l'espace son ventre,

la terre, la place de ses flancs

Ses côtes sont les directions de l'espace.

Les saisons sont ses membres,

les mois lunaires et les demi-mois ses jointures.

Les jours et les nuits sont ses pattes,

les constellations ses os, l'éther sa chair.

Le sable est la nourriture non digérée de son estomac.

Les rivières sont le système excrétoire.

Les montagnes sont les organes de son foie jusqu'à son cœur.

Les herbes et les plantes forment sa crinière.

Le soleil levant est sa poitrine

et le soleil couchant son arrière-train au-dessous du nombril.

Quand il bâille il fait des éclairs.

Quand il se meut, il tonne.

Son urine est la pluie. Toute parole est sa voix. »

(B ri had-âra n yaka Upani sh ad, 1, 1.) Dans le Harivamsha, le sanglier, qui est Vi shn u, est décrit comme l'incarnation du sacrifice.

« Les Veda-s sont ses pieds, le poteau du sacrifice ses dents.

L'oflrande est sa main, le bûcher sa bouche, LE SACRIFICE COSMIQUE 1 2 5

le feu sa langue, l'herbe sainte ses poils.

Sa tête est le clergé. Son austérité est grande.

Son apparence est divine. Les jours et les nuits sont ses yeux.

Le s [ six] sciences-sacrées (vedânga) sont ses ornements.

Son nez est le beurre clarifié, son museau la louche du sacrifice.

Le son majestueux du Sâma Veda est son cri puissant.

Fait de justice et de vérité il est riche.

Ses vertus sont la hiérarchie et l'ordre.

Ses ongles sont l'austérité. Il est terrible.

Ses genoux sont ceux d'une bête. Son bras est long.

Le récitant est ses entrailles, l'oblation son pénis, les semences et les herbes sont ses grands testicules.

L'air est son moi intérieur, les paroles magiques ses cuisses.

Le breuvage du sacrifice (le soma) est son sang.

Grande est son enjambée.

L'autel est son épaule, l'oblation son odeur.

Les offrandes aux dieux et aux ancêtres sont sa course rapide.

Les marches montant à l'Est vers l'autel forment son corps.

On le vénère dans les cérémonies d'initiation.

Il est le grand yogi dont le cœur est l'or distribué, dont la substance est la session sacrificielle.

Ses lèvres et ses dents sont les préliminaires aux sacrifices du printemps.

Il est orné de poils frisés

qui sont les préliminaires aux sacrifices du Soma.

Les nombreux mètres védiques sont son entrée et sa sortie.

Son derrière est l'enseignement secret des Upani sh ad-s.

Il est assis sur un trône à côté d'Ombre, son épouse. »

(Harivamsha, 3, 34, 34-41.)

L'image du sacrifice

L'image du sacrifice se trouve dans tous les temples :

« Placée dans l'angle sud-ouest du temple, l'image du 126 LE POLYTHÉISME HINDOU

dieu qui incarne le sacrifice regarde l'ouest. Sa couleur est celle de l'or fondu. Il a quatre cornes, deux têtes, sept bras. Il porte un disque, du beurre clarifié et [quatre]

louches (darvî, sruk, sruva et juhu). Il a trois pieds, porte un vêtement rouge. Il est couvert de tous ses ornements. A sa droite et à sa gauche se tiennent les deux femmes du Seigneur-du-feu qui sont la Parole-rituelled'oblation-aux-dieux (svâhâ) et la Parole-rituelle-d'oblation-aux-ancêtres (svadhâ). Le Seigneur-du-sacrifice est la source de grandes grâces. Tous les dieux forment sa substance. Il est le plus grand dans tous les rituels. »

( Vaikhânasâgama.)

Le sacrifice intérieur du yogi

« Dans le sacrifice du Sonia, le soma liquide est bu par les prêtres. Ceci n'est que le rite exotérique qui correspond au rite intérieur dans lequel le calice de liqueur divine est le corps même de l'homme et l'élixir de vie qui emplit ce calice est absorbé de l'intérieur pour devenir le breuvage d'immortalité. Les sens sont les coupes dans lesquelles le breuvage divin peut se boire. L'essence de l'énergie procréative est produite dans la région inférieure, dans le Sud, là où demeurent les ancêtres. La semence purifiée remonte peu à peu jusqu'à la tête et est recueillie dans un centre appelé [par les Tantra-s] Mûjavân. De là elle s'écoule dans les centres nerveux. C'est ainsi que Soma devient le dieu-du-Nord (de la tête)1.

« La tête est comme une coupe inversée. Son contenu se déverse dans tout le corps. La réabsorption de la semence est représentée comme l'absorption du breuvage d'immortalité. Ce processus exige un contrôle mental absolu 1. Udici dik Somâdhipati h.

LE SACRIFICE COSMIQUE 127

et peut seulement être accompli à l'aide de la pratique parfaite des techniques du yoga. C'est ainsi que le yogi seul boit l'ambroisie que l'homme ordinaire éparpille.

On représente Shiva comme perpétuellement intoxiqué par ce breuvage dont la coupe, en forme de croissant de lune, brille à son front. Dans le symbolisme du corps physique, l'énergie vitale (prâ n a) est représentée comme un serpent (nâga) et le roi des oiseaux, Garu d a, le mangeur de serpents, est le sperme. Tous les êtres essayent de conquérir le breuvage d'immortalité sans lequel il n'est point de bonheur éternel. Seuls les dieux sont capables de se l'approprier. Les dieux sont ici les divinités des sens, rendus puissants par le soma, par l'élixir de vie, brillant autour d'Indra, le roi céleste, qui est le Soi, l'âtman.

« Le sperme est la substance du désir, c'est de lui que dépend l'énergie de l'homme, son pouvoir de connaître et d'agir. C'est par l'usage de cette substance qui est la vie qu'il se détruit ou devient immortel. La semence qui est un poison pour l'orgueilleux, apporte la paix et la lumière à l'homme qui sait contrôler ses passions. Si quelque trace de poison reste présente dans l'élixir, le yogi ne peut pas le boire. Mal employé par les anti-dieux, ce breuvage d'immortalité devient pour eux l'intoxicant qui rend leur conduite désordonnée et réduit la durée de leur vie. Shiva boit la partie empoisonnée de cette énergie et calme ses flammes brûlantes pour que les dieux puissent boire l'ambroisie. Shiva est le yogi qui a su percer au travers des cinq centres où se trouvent les diffé-

rentes formes de l'énergie vitale et qui barrent la voie de la réintégration. C'est seulement après avoir, par la pratique du yoga, dépassé ces cinq portes que le yogi peut maîtriser le désir et acquérir lui aussi le pouvoir de boire le poison et de purifier l'ambroisie. C'est pourquoi il est dit que le poison s'arrête dans la gorge de Shiva au point où est situé le cinquième centre du corps subtil 1 2 8

LE POLYTHÉISME HINDOU

au-delà duquel la nature n'a plus de prise sur le yogi réalisé. » (Traduction abrégée du Shiva-suarûpa, par Vâsudeva Shara n a Agravâla, Kalyâ n a, Shiva anka, p. 497-498.)

Le yogi qui peut boire le poison et purifier l'ambroisie devient alors la personnification du sacrifice.

II

LES TRENTE-TROIS DIEUX

LA B ri had-âra n yaka Upani sh ad (3, 9, 1) raconte que lorsque Shakalya demanda au sage Yajñavalkya quel était le nombre des dieux, le sage répondit énigmati-quement :

« Le nombre des dieux est celui mentionné par les Écritures. Leur nombre est trois cent trois et trois mille trois. »

Questionné à nouveau le sage répondit : « Les dieux sont six, les dieux sont trois, les dieux sont deux, les dieux sont un et demi, les dieux sont un. »

Pour expliquer ces nombres il énuméra les principales divisions du monde perceptible et subtil auxquelles se rapportent ces divisions de la puissance divine. Shâkalya demanda :

« Qui sont ces trois cent trois et ces trois mille trois? »

Yajñavalkya dit : « Il s'agit là seulement de sphères de développement (mahiman). Les dieux eux-mêmes sont seulement trente-trois.

— Qui sont ces trente-trois?

— Les huit Sphères-d'existence (Vasu-s), les onze Principes-de-vie (Rudra-s) et les douze Principes-souverains (Aditya-s). Ce qui fait trente et un. Le Souverain-céleste (Indra) et le Progéniteur (Prajâpati) complètent les trente-trois.

— Qui sont les Sphères-d'existence?

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LE POLYTHÉISME HINDOU

— Le Feu, la Terre, le Vent, l'Atmosphère, le Soleil, le Ciel, la Lune, les Constellations. Ils forment des demeures (Vas-us) car le monde habite en eux et eux-mêmes habitent le monde.

— Qui sont les Principes-de-vie?

— Les dix sortes d'énergie vitale qui se trouvent dans tout être vivant. La pensée forme la onzième. Lorsqu'ils abandonnent notre corps mortel, nous nous lamen-tons. C'est pourquoi ils sont appelés les Causes-de-larmes, les Rudra-s.

— Qui sont les Principes-souverains?

— En vérité ce sont les douze mois de l'année. Ils avancent entraînant avec eux tout l'univers. Ils sont des guides (Aditya-s).

— Qui sont ce Souverain-céleste et ce Progéniteur?

— Le tonnerre est en vérité le Souverain-céleste (Indra). Le sacrifice est le Progéniteur (Prajâpati).

— Qu'est-ce que le tonnerre?

— C'est la foudre.

— Qu'est-ce que le sacrifice?

— L'animal sacrifié.

— Qui sont les six dieux?

— Le Feu et la Terre, le Vent et l'Espace (antarik sh a), le Soleil et le Ciel. Ils ne sont que six car le monde entier est contenu dans ces six.

— Qui sont les trois dieux?

— En vérité il s'agit des trois mondes car c'est en eux que résident les dieux.

— Qui sont les deux dieux?

— La Nourriture et le Souffle.

— Qui est l'un et demi?

— Le Vent (le monde subtil) qui purifie.

On lui demanda alors :

— Il suffit que celui qui purifie soit un. Pourquoi serait-il un et demi?

LES TRENTE-TROIS DIEUX 131

— Il est un et demi parce que le monde se développe au-dedans de lui.

— Qui est le Dieu unique?

— Le Souffle-vital qu'on appelle l'Immensité (Brahman). »

( B ri had-âra n yaka Upani sh ad, 3, 9, 11.) Les trois sphères d'Agni

Le monde tel que l'homme peut le percevoir apparaît divisé en trois sphères qui sont la Terre, l'Espace et le Ciel. Ces trois sphères sont les symboles visibles des trois mondes à l'intérieur desquels se trouvent tous les êtres : le monde terrestre des hommes, le monde spatial des esprits, et le monde céleste des dieux. Dans le premier monde se trouvent les principes-des-éléments, dans le second les régents subtils de la vie, c'est-à-dire les principes qui régissent l'humanité et le cosmos, dans le monde supérieur résident les principes lumineux et l'intellect.

Le feu et l'oblation constituent la nature de toute existence, l'origine de toutes choses. Il est donc inévitable qu'une forme de feu se rencontre dans chacune des sphères du monde perceptible.

« Le Seigneur-du-feu, s'étant divisé en trois, réside dans ces mondes et tous les dieux selon leur hiérarchie, reposent sur ses rayons.

« Les Voyants vénèrent dans leurs hymnes sous ces trois noms l'être qui, sous les trois formes du feu, réside dans les mondes qui sont nés, C'est lui qui resplendit dans le cœur de tout être. Ses noms sont « le Feu » en ce monde, l'Éclair (Indra) ou le Vent (Vâyu) dans l'espace, le Soleil (Sûrya) dans les cieux. Il est ainsi connu sous le nom des trois dieux. » ( B ri had-devatâ, 1, 63-69.)

« Envisagées ensemble, comme un principe igné universel, les trois formes du feu sont appelées le Progéniteur 1 3 2 LE POLYTHÉISME HINDOU

(Prajâpati). C'est pourquoi « la divinité » à laquelle sont adressés tous les hymnes sacrés pris ensemble est le Progéniteur alors que le dieu auquel s'adresse chacun individuellement peut être Agni (le Feu). Vâyu (le Vent) ou Sûrya (le Soleil). » (B ri had-devatâ, 2, 124.) Les sphères des trois mondes et tout ce qu'elles contiennent, viennent du Progéniteur, c'est-à-dire de la Totalité des trois formes du feu.

« Le Progéniteur, pour le bien du monde, concentra (dhyâna) son esprit. De la chaleur [de sa pensée] jaillit l'essence des trois mondes. De la Terre sortit le Feu, de l'Espace le Vent, du Ciel le Soleil. » ( Chândogya-Upani sh ad, 4, 17.)

Les trois sortes de dieux

Chaque fois que nous considérons l'une des énergies fondamentales de l'Univers, nous pouvons l'approcher du point de vue de l'inconscient comme une force gouvernant les éléments, ou nous pouvons l'envisager comme une conscience-subtile ou dieu qui dirige les formes de la manifestation. Ces deux manières d'envisager les lois du monde sont appelées le plan des éléments (âdhi-bhautika) et le plan céleste (âdhi-daivika).

Mais, comme nous l'avons vu, toute connaissance du monde extérieur reflète la structure de l'individualité qui le perçoit. Les forces et les aspects du monde cosmique ne peuvent être imaginés par l'homme que selon les formes de son propre être intérieur. Les énergies qui régissent l'Univers nous apparaissent donc comme les facultés d'un Être cosmique ayant leurs équivalents dans la structure de notre être individuel. Cette conception de l'Univers est appelée l'approche individuelle (âdhyâtmika).

Chaque principe universel peut donc être représenté comme une énergie physique naturelle gouvernant les LES TRENTE-TROIS DIEUX

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éléments, une énergie mentale, esprit ou dieu, résidant dans une demeure céleste ou dans un monde dont la substance est la pensée, et enfin comme un ensemble de facultés constituant une individualité par laquelle l'être-universel apparaît semblable à l'homme. Ces facultés s'expriment par des lois qui régissent l'Univers tout comme nos lois régissent la société humaine.

Chaque dieu particulier peut être envisagé sous ces trois aspects qui ne s'excluent pas l'un l'autre. Tout le symbolisme du panthéon s'applique simultanément dans ces trois sphères. Tout texte révélé, comme d'ailleurs tout autre texte, a nécessairement trois significations distinctes et coordonnées.

Il est expliqué, par exemple, que l'histoire du Mahâbhâ-

rata représente le conflit des instincts supérieurs contre les bas instincts de l'homme; que parmi les héros Ârjuna est le pouvoir de la Vérité, Bhîma celui de la Force, Bhi sh ma celui de la Sagesse et que leurs adversaires sont la rapa-cité, la luxure, l'ambition, etc. Ceci a été peut-être envisagé par les auteurs de cet immense poème épique dont le but n'était certainement pas d'écrire une simple chronique historique. Le fait que certains événements aient une réalité historique n'exclut pas la possibilité qu'ils soient l'image du conflit intérieur de l'homme comme aussi du conflit éternel des forces cosmiques, le combat des puissances de lumière contre les puissances obscures, le combat entre les dieux et les démons. L'histoire a ici comme toujours la valeur d'un symbole, étant l'expres-nion des lois intérieures qui régissent le destin de l'humanité. L'histoire est l'expression d'une réalité tangible, mais cette réalité apparente est l'expression d'un état causal non moins réel. Le Mahâbhârata décrit une bataille historique en même temps qu'un conflit éternel de forces cosmiques et la lutte intérieure qui se passe en chacun de nous.

134 LE POLYTHÉISME HINDOU

Le nombre des dieux

Tous les êtres subtils ou matériels sont inclus dans les trois sphères d'Agni, dans les trois mondes. Les dieux sont les forces qui régissent les trois mondes. Il y a donc trois sortes de dieux et les dieux sont en tout soumis au nombre trois. C'est pourquoi ils sont représentés par des nombres multiples de trois. Leur principale épithète est « les trente » (tri-dasha), bien qu'on emploie aussi trente-trois ou ses multiples. Les Iraniens comptent également trente-trois dieux.

Les Brâhmana-s divisent ce nombre en huit divinités régnant sur les sphères des éléments, onze Principes de vie ou dieux du monde subtil et douze divinités du savoir ou aspects de la conscience. Ces derniers sont les Principes-souverains personnifiant les lois qui gouvernent l'Univers aussi bien que la société humaine. On leur ajoute deux dieux qui reçoivent des noms différents dans différents textes et traditions mais qui représentent toujours l'aspect transcendant et l'élément coordinateur des autres dieux.

Trente-trois est pris comme une expression symbolique représentant un aspect particulier du panthéon. En réalité il ne saurait y avoir de limite au nombre des dieux.

Chaque aspect de la manifestation est une voie par laquelle l'homme peut atteindre le divin. Le nombre des dieux hindous est par conséquent le même que celui des aspects possibles de la manifestation créée ou potentielle.

Il est représenté dans l'hindouisme tardif par le nombre symbolique de trente-trois crores (330 000 000).

Selon la tradition védique, des offrandes peuvent être présentées seulement à ces trente-trois dieux principaux.

Il existe en dehors d'eux de nombreux habitants du Ciel qui méritent d'être priés et vénérés mais ne sont pas des dieux à part entière. Des sacrifices ne sauraient donc leur être offerts.

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