Chapitre 11

 

En attendant, mademoiselle Rachel avait rendu un grand service. Que pourrait-on donner comme souvenir à mademoiselle Rachel ?

Cela tourmenta huit jours la pauvre famille.

Il restait une relique précieuse de la pauvre morte. C’était sa Bible, cette Bible qui ne la quittait jamais, dont le petit Georges regardait les images, et dans laquelle elle cherchait des consolations au milieu de toutes les grandes douleurs de sa vie.

Aussi cette Bible n’était-elle pas une bible ordinaire, non pour le luxe de la typographie, non pour l’éclat de l’enluminure, non pour la richesse de sa robe.

Elle était reliée tout simplement en chagrin avec des angles et un fermoir d’argent.

Mais sur chaque feuille blanche, derrière chaque image de saint, il y avait quelque pensée douloureuse ou consolatrice, écrite de la main de la pauvre morte.

Donnons-en une idée !

BIBLE DE DORVAL

1re PAGE, RECTO :

Songez à Dieu et regardez dans le ciel, j’ai là un ange que j’y revois, vous y reverrez le vôtre.

VICTOR HUGO, 22 mai 1848.

Rien ne vous consolera plus jamais !

DESBORDES VALMORE, 22 mai 1848.

Il y avait déjà de l’ange dans ce petit être chéri.

EUGÈNE LUGUET, 22 mai 1848.

2e PAGE, VERSO :

Salvete flores Martyrûm.

Nous vous saluons, fleurs et prémices des martyrs, qui à peine avez-vous vu le jour, que vous avez été enlevées de ce monde par la rage d’un persécuteur de Jésus-Christ, comme les roses encore tendres et naissantes sont enlevées par un tourbillon de vent.

Vous avez été les premières victimes de Jésus-Christ, et vous avez été comme de jeunes agneaux immolés à ce divin agneau, et maintenant vous vous jouez innocemment avec les palmes et les couronnes qu’il vous a fait remporter par votre mort.

* *

*

C’est pour l’amour de vous, Seigneur, que l’on nous met à mort.

* *

*

On entendit dans Rama les cris lamentables de Rachel pleurant ses enfants et ne pouvant se consoler de les avoir perdus !

* *

*

Ils n’ont point souillé leurs vêtements, leur âme était agréable à Dieu, c’est pourquoi il s’est hâté de les tirer du milieu de l’iniquité, parce qu’il les a trouvés dignes de lui.

* *

*

3e PAGE, VERSO :

Pour notre Georges.

Orléans, 16 janvier 1849, entendu la messe à la cathédrale.

Valenciennes, 16 février 1849, entendu la messe à Saint-Géry.

Saint-Omer, 16 mars 1849, entendu la messe à Saint-Denis.

4e PAGE, VERSO :

Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, encore un peu de temps et vous me reverrez, parce que je m’en vais à vous, mon père.

Évangile, saint Jean, chap. XVI, V. 16.

Ce qui me console, c’est qu’il viendra un temps où ce temps sera bien loin.

Février 1849. – Valenciennes.

AVANT-DERNIÈRE PAGE, VERSO :

Le convoi descendit au lever de l’aurore ;

Avec toute sa pompe, avril venait d’éclore ;

Il couvrait en passant d’une neige de fleurs

Ce cercueil virginal, et le baignait de pleurs !

L’aubépine avait pris sa robe rose et blanche ;

Un bourgeon étoilé tremblait à chaque branche ;

Ce n’étaient que parfums et concerts infinis :

Tous les oiseaux chantaient sur les bords de leurs nids.

BRIZEUX.

* *

*

Toutes fragiles fleurs sitôt mortes que nées,

Alcyons engloutis avec leurs nids flottants ;

Colombes que le ciel au monde avait données,

Qui, de grâces, d’enfance et d’amour couronnées,

Comptaient leurs ans par les printemps.

Quoi ! mortes ! Quoi ! déjà sous la pierre couchées !

Quoi ! tant d’êtres charmants sans regards et sans voix !

Tant de flambeaux éteints, tant de fleurs arrachées !

Ah laissez-moi fouler les feuilles desséchées,

Et m’égarer au fond des bois !…

Doux fantômes ! c’est là, quand je rêve dans l’ombre,

Qu’ils viennent tour à tour m’entendre et me parler ;

Un jour douteux me montre et me cache leur nombre.

À travers les rameaux et le feuillage sombre,

Je vois leurs yeux étinceler.

Sa pauvre mère, hélas ! de son sort ignorante,

Avait mis tant d’amour sur ce frêle roseau,

Et si longtemps veillé son enfance souffrante,

Et passé tant de nuits à l’endormir pleurante,

Toute petite en son berceau !

VICTOR HUGO.

DERNIÈRE PAGE, RECTO :

Cher ange, prie Dieu pour moi, afin que j’aie le courage de supporter ta perte jusqu’au moment où il lui plaira de me réunir à toi.

MARIE DORVAL.

Puis venaient les légendes écrites derrière ces images que regardait le petit Georges et qui servaient de sinet au livre.

Derrière un Christ flagellé :

Jésus, dans le jardin des Oliviers, fut saisi de tristesse et ayant le cœur pressé d’une extrême affliction dit : Mon âme est triste jusqu’à la mort.

SAINT MATTHIEU.

Mon père, tout vous est possible, transportez ce calice loin de moi, mais néanmoins que votre volonté soit faite et non pas la mienne.

SAINT MARC.

Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, afin qu’il vous élève au temps de sa visite.

Ne cherchez point à pénétrer ce qui surpasse vos forces, mais pensez toujours à ce que Dieu vous a commandé, et n’ayez pas la curiosité d’examiner la plupart de ses ouvrages.

Et vous, Seigneur, ayez pitié de nous.

Derrière une Mater Dei :

Mon pauvre enfant, prie Dieu d’envoyer à ta grand’mère un peu de ce calme dont tu jouis auprès de lui.

Derrière une petite image représentant un chien et une colombe au pied de la croix :

Si je viens à t’oublier, ô mon fils, que ma main droite devienne sans mouvement.

Que ma langue demeure toujours attachée à mon palais, si je ne me souviens toujours de toi, si je ne mets pas ma plus grande joie à m’entretenir de toi.

(Psaume.)

Puis enfin, à une gravure représentant la mort, elle avait mis sur le crâne chauve et nu de l’implacable déesse une couronne de roses et une auréole d’or qui transformait en un ange sauveur le sombre recruteur des tombeaux.