Chapitre 2 DEUXIÈME AVANT-PROPOS (PHILOSOPHIQUE) EN MANIÈRE D’EXCUSE
L’idée ou plutôt le conseil d’écrire m’est venu de mon révérend ami don Eligio Pellegrinotto, qui a présentement en garde les livres de Boccamazza, et auquel je confierai ce manuscrit à peine terminé, s’il l’est jamais.
Je l’écris ici, dans la petite église désaffectée, sous la lumière qui me vient de la lanterne, là-haut, de la coupole ; ici, dans l’abside réservée au bibliothécaire et entourée d’une clôture basse en bois, à colonnettes, tandis que don Eligio s’ébroue sous le fardeau, qu’il a héroïquement assumé, de mettre un peu d’ordre dans cette véritable babylone de livres. Je crains fort qu’il n’en vienne jamais à bout.
Maints livres curieux et plaisants ont été ainsi pêchés sur les rayons de la bibliothèque par don Eligio Pellegrinotto, grimpé tout le long du jour sur une échelle de lampiste. Chaque fois qu’il en trouve un, il le lance d’en haut, élégamment, sur la grande table qui est au milieu ; la petite église en retentit ; un nuage de poussière s’élève, d’où deux ou trois araignées s’enfuient épouvantées ; j’accours de l’abside, enjambant la balustrade ; je donne d’abord, avec le livre lui-même, la chasse aux araignées tout par la grande table poudreuse, puis je l’ouvre et je me mets à le parcourir.
Ainsi, peu à peu, j’ai pris goût à semblable lecture. À présent, don Eligio me dit que mon livre devrait être conduit sur le modèle de ceux qu’il va dénichant dans la bibliothèque.
Tout suant et poussiéreux, mon révérend ami descend de l’échelle et vient prendre une gorgée d’air dans le jardinet, qu’il a trouvé moyen d’improviser ici, derrière l’abside, protégé tout à l’entour par des palissades et des grillages.
Eh bien ! en vertu de l’étrangeté de mon cas, je parlerai de moi, mais le plus brièvement qu’il me sera possible, c’est-à-dire en me bornant à donner les renseignements que j’estimerai nécessaires.
Quelques-uns d’entre eux, certes, ne me font guère honneur ; mais je me trouve maintenant dans une condition si exceptionnelle que je puis me considérer comme déjà hors de la vie, donc sans obligations et sans scrupules d’aucune sorte.
Commençons.