CHAPITRE I
 
À la « Villa des Mouettes »

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« J'AI l'impression d'être à Kernach depuis un mois ! dit Annie, en s'étirant paresseusement sur le sable de la plage. Pourtant, nous sommes arrivés hier.

— Oui. Nous nous sentons tout de suite à l'aise ici, ajouta Mick. Pour ma part, je m'y plais beaucoup.

— Quel temps magnifique ! Si le soleil continue à briller de la sorte pendant les trois semaines que nous comptons passer dans la région, nous terminerons bien agréablement  les grandes vacances… », dit François en roulant sur lui-même pour échapper à Dagobert, qui posait sa patte sur le bras du jeune garçon et le regardait éloquemment. « Dagobert, tu es infatigable ! Nous nous sommes baignés, nous, avons couru et joué à la balle, c'est assez pour le moment. Laisse-moi me reposer. Si tu as encore de l'énergie à dépenser, va t'amuser avec les crabes !

— Ouah ! » fit Dagobert en secouant la tête d'un air dégoûté. Puis il dressa l'oreille, car il venait d'entendre un bruit familier.

« Qui veut une glace ? Voici le marchand, dit Annie.

— Moi ! » répondit le chœur des enfants. Annie prit l'argent que chacun lui tendait et revint bien vite avec cinq cornets. Le chien se mit à sauter joyeusement autour d'elle.

« Je ne connais rien de plus agréable que de manger une bonne glace, étendu sur le sable chaud, déclara Mick. Quelle joie de penser qu'il nous reste encore trois semaines de vacances ! »

Annie le regarda d'un air réprobateur. « Tu veux dire : « Quel dommage qu'il ne nous reste plus que trois semaines de vacances ! » Enfin, profitons-en. Ici, quand il y a du soleil, c'est le paradis sur terre !

— C'est ennuyeux que ton père reçoive aujourd'hui des visiteurs importants, Claude. Les connais-tu ? Faut-il faire un effort d'élégance pour eux ? demanda François.

— Rassure-toi, ce n'est pas nécessaire, répondit Claude. Oh ! Dagobert, tu as avalé ta glace d'un seul coup, gros glouton ! Tu vas te rendre malade !

— Quand arrivent les invités ?

— Vers midi. Ils viennent déjeuner. Mais — heureusement pour nous — papa a déclaré tout net qu'il ne voulait pas d'une ribambelle d'enfants autour de lui pendant ce repas. Alors maman demande que nous soyons tous à midi chez nous, pour dire aux invités : « Bonjour ! Comment allez-vous ? » Ensuite, nous nous retirerons discrètement, nantis d'un gros panier de pique-nique. Maman a promis de bien nous soigner afin que nous n'ayons rien à regretter.

— Ton père a parfois de bonnes idées, dit Mick. Je parie que ses amis sont des savants comme lui ?

— Oui. Papa travaille actuellement à la réalisation d'un projet extraordinaire. L'un des invités est un génie qui a eu, paraît-il, une idée absolument remarquable…

— Quelle idée ? demanda François. Une fusée pour emmener des touristes dans la lune ? Ou une nouvelle bombe ?

— Ni l'un ni l'autre. Je crois que c'est une invention qui doit donner de la chaleur, de la lumière et de la force motrice pour presque rien, dit Claude. J'ai entendu papa en parler, il est enthousiasmé ! Il appelle cela « un cadeau de l'humanité » et déclare qu'il est très fier de collaborer à cette réalisation.

— Oncle Henri est un grand savant », soupira Annie.

Le père de Claude était l'oncle de François, Mick et Annie. Une fois de plus, les cousins se retrouvaient ensemble à Kernach, pour y passer la fin de l'été.

Claude admirait son père, mais regrettait qu'il ne partageât pas leurs jeux, comme font quelquefois les autres pères, qu'il ne pratiquât pas le tennis, ni la natation, ni aucun sport. De plus, les cris et les plaisanteries des enfants le faisaient fuir. Il protestait toujours énergiquement lorsque sa femme lui annonçait l'arrivée de leurs neveux :

« Vas-tu encore m'imposer la présence de cette troupe bruyante ? Alors, je m'enfermerai dans mon bureau et je n'en sortirai plus !

— Comme tu voudras, Henri, répondait sa femme. Pourtant, tu sais bien que Claude et ses cousins seront dehors toute la journée. Il est indispensable que notre fille s'amuse avec d'autres enfants, et ceux-là sont les plus sympathiques que je connaisse. Claude se plaît tant en leur compagnie ! »

Une fois installés à la « Villa des Mouettes », les cousins de Claude prenaient bien garde de ne pas irriter leur oncle, de ne pas le troubler dans ses méditations. Ainsi que François le disait parfois : « On ne peut demander à un génie de se comporter comme tout le monde; surtout à un génie scientifique, qui pourrait faire exploser la planète dans un accès de mauvaise humeur ! »

Certes, Claude était ravie d'avoir une fois de plus ses cousins à Kernach. Sur la plage, elle se laissait aller à une douce rêverie et faisait toutes sortes de projets d'excursions, quand François demanda :

« Si nous retournions à l'eau ?

— J'ai déjà nagé longtemps, dit Mick. Mais j'aimerais assez me laisser rouler par la vague, sur le bord…

— Bonne idée, dit Annie. Je suis en train de cuire. L'ennui, c'est que plus on a chaud, et plus l'eau paraît froide !

— Essayons tout de même », dit François. Ils s'avancèrent vers la vague et s'étendirent dans l'eau, en poussant de petits cris… En effet, elle leur paraissait glacée. Mais c'était si amusant de sentir le sable se dérober quand la mer se retirait !…

Pendant ce temps, Dagobert se promenait sur la plage. Il ne voulait pas mouiller encore une fois ses longs poils, maintenant presque secs. Soudain, il se mit à aboyer. Claude releva la tête. « Qu'y a-t-il ? Je ne vois personne. »

Mick venait de percevoir un bruit lointain. « J'ai l'impression qu'on sonne la cloche du déjeuner, dit-il.

— Serait-il déjà midi ? demanda Annie,

— Probablement, répondit François en se levant. Nous aurions dû nous méfier. Nous savons par expérience que le temps passe plus vite à Kernach que partout ailleurs. »

Il courut regarder l'heure à sa montre, qui était restée dans la poche de sa veste. « Midi et demi ! cria-t-il. Dépêchez-vous, nous sommes affreusement en retard !

— Oh ! dit Claude, maman doit nous attendre avec impatience, car les deux invités doivent être arrivés. »

Tous quatre s'habillèrent en hâte et coururent jusqu'à la Villa des Mouettes. Ils virent une belle voiture gris foncé, d'un modèle peu courant, arrêtée devant la porte. Bien entendu, ils auraient aimé l'examiner en détail, mais ce n'était pas le moment. La mère de Claude vint à leur rencontre. Elle paraissait contrariée.

« Excuse-nous, tante Cécile, dit François C'est ma faute. Je suis le seul qui ait une montre.

— Sommes-nous vraiment en retard ? demanda Annie. Êtes-vous déjà à table ? Veux-tu que nous prenions notre panier de pique-nique et que nous nous retirions sur la pointe des pieds ?

— Non, lui répondit sa tante. Par chance, votre oncle est encore dans son bureau avec ses amis. J'ai sonné la cloche pour vous appeler, car votre oncle tient beaucoup à vous présenter à nos invités avant le déjeuner.

— C'est bien de l'honneur, dit Claude. En général, les amis de papa ne s'intéressent guère à nous. »

Sa mère sourit. « L'un de ceux-ci a une fille d'une dizaine d'années, qui va entrer dans le même lycée que vous, Annie et Claude, c'est pourquoi il a exprimé le désir de vous voir.

— Il serait peut-être bon d'aller faire un brin de toilette, dit François. Regarde-nous, tante Cécile. N'avons-nous pas du sable collé à la peau et la crinière en bataille ? »

À ce moment précis, la porte du bureau s'ouvrit et oncle Henri sortit, accompagné de deux messieurs.

« Bonjour, dit l'un des inconnus. Ce sont là vos enfants, sans doute ?

— Ils arrivent de la plage, s'empressa d'expliquer tante Cécile. Vous voudrez bien excuser leur tenue…

— Ils sont très bien ainsi, dit le savant. Quels beaux enfants ! Vous devez en être fier, dit-il en se tournant vers le père de Claude. Je voudrais bien voir ma petite Berthe aussi bronzée !

— Oh ! Vous ne croyez tout de même pas qu'ils sont tous à moi ? » s'exclama oncle Henri, horrifié à cette pensée. « Non ! Seulement ce numéro-là », ajouta-t-il en posant sa main sur l'épaule de Claude. « Les autres sont mes neveux.

— Ah ! bon… Quel beau garçon ! » dit le visiteur, en caressant les cheveux frisés de Claude. En général, elle détestait les gens qui se permettaient ce geste, mais, parce que ce monsieur l'avait prise pour un garçon, elle lui sourit de toutes ses dents.

« Ma fille va entrer dans le même lycée que vous, dit le visiteur à Annie. Elle sera très intimidée les premiers temps. J'espère que vous voudrez bien être gentille pour elle.

— Je vous le promets », répondit spontanément Annie, tout en .détaillant l'inconnu. Elle trouvait quelque peu surprenant ce savant à la carrure athlétique et à la voix de stentor. L'autre visiteur était plus conforme au type classique : mince, les épaules tombantes, le nez chaussé de grosses lunettes et le regard perdu dans le vague.

Oncle Henri estima que ce bavardage avait assez duré et fit signe aux enfants de s'éloigner.

« Allons déjeuner », dit-il à ses invités. L'homme aux grosses lunettes le suivit aussitôt, mais le savant qui aimait les jeunes s'attarda près des quatre enfants. Il sortit son portefeuille et tendit un billet à Annie.

« Achetez-vous ce qui vous fera plaisir », lui dit-il avant de disparaître dans la salle à manger. La porte se referma bruyamment sur lui.

« Qu'est-ce que papa va dire, lui qui a horreur qu'on claque les portes ? dit Claude en riant. Il est gentil, ce monsieur, n'est-ce pas ? La belle voiture grise est certainement à lui. Je parie que l'autre est si distrait qu'il ne peut même pas faire de la bicyclette sans danger !

— Mes enfants, voici votre panier de pique-nique, dit tante Cécile. Maintenant, partez. Je dois m'occuper de mes invités. »

François soupesa le panier, et eut aussitôt un large sourire.

« Allons vite déjeuner sur la plage, dit-il. Ce panier si bien garni me donne une faim de loup ! »