CHAPITRE VIII
Une transformation
BERTHE resta au milieu de la pièce, et essuya ses larmes. Annie laissa échapper une exclamation de surprise :
« Regardez ! C'est étrange, mais on dirait un petit garçon ! Et même un très joli petit garçon !
— Un ange de vitrail, renchérit Mick. Je l'avais bien dit ! »
Tante Cécile était elle-même assez surprise du nouvel aspect de Berthe. « Il n'y a aucun doute là-dessus. En short, elle trompera son monde.
Et même plus que Claude, qui frise trop. » L'ange de vitrail alla se regarder dans la glace qui se trouvait au-dessus de la cheminée.
Elle poussa un cri d'horreur. « C'est moi, ça ? Je suis affreuse ! Je ne me reconnais même pas.
— Magnifique ! s'écria Mick. C'est exactement ce qu'il faut. Personne ne te reconnaîtra. Ton père a eu raison. Un bandit ne verra pas en toi Berthe, la jolie petite fille aux longs cheveux.
— J'aimerais mieux être enlevée que laide à ce point-là, gémit Berthe. Que diront les filles de ton lycée, Annie, quand elles me verront ?
— Elles ne font pas attention à la coiffure de Claude, alors ce sera la même chose pour toi.
— Ne pleure pas ainsi, Ber… heu… Michel, dit tante Cécile. Tu me fends le cœur. Comme tu as été bien sage pendant que je te coupais les cheveux, j'estime que tu mérites une récompense. »
Les larmes de Berthe se tarirent aussitôt. « Oh ! dit-elle, il n'y a qu'une chose qui me ferait réellement plaisir : que Chouquette dorme sur mon lit !
— Mon pauvre chou, te rends-tu compte que trois enfants et deux chiens dans une petite chambre, c'est beaucoup trop ? dit tante Cécile, très ennuyée. De plus, Claude prendra très mal la chose si je t'y autorise…
— Tante Cécile, mon caniche ne tient guère de place, et il aboie au moindre bruit. C'est mon gardien…
— J'aimerais bien te le laisser pour te faire plaisir, mais… »
Maria était entrée dans la pièce pour débarrasser et avait entendu la fin de la conversation. Elle regarda avec étonnement le nouveau visage de Berthe, puis elle proposa :
« Si vous voulez me permettre, madame… Mlle Berthe pourrait coucher dans ma chambre, avec son chien si elle le veut. Il est mignon, ce petit caniche ! La chambre des filles est trop encombrée avec trois lits, et moi, j'ai une grande et belle pièce à ma disposition. Alors, si Mlle Berthe n'y voit pas d'inconvénient, je l'accueillerai bien volontiers.
— Maria, c'est très gentil de votre part, dit tante Cécile. Comme votre chambre est sous les toits, il serait très difficile à des ravisseurs d'y accéder, et personne, n’aurait l'idée d'aller chercher l'enfant là-haut !
— Merci, Maria ! s'écria Berthe, ravie. Chouquette, as-tu entendu ? Tu dormiras sur mes pieds cette nuit ! »
François et Claude rentrèrent peu après. Claude regarda Berthe et resta stupéfaite. « Oh ! mais elle n'est pas si mal que ça, après tout, dit-elle.
— C'est même un beau garçon, dit François.
— Où sont les vêtements ? » demanda Berthe, réconfortée par l'intérêt qu'on lui portait.
Ils ouvrirent les paquets et sortirent une vareuse bleu marine, deux shorts, un pull-over gris, et quelques chemises dont la fantaisie ramena le sourire sur les lèvres de Berthe. Elle monta dans la chambre des filles pour se changer, et redescendit bientôt, vêtue d'un short et d'une belle chemise à carreaux.
« Très bien, dit François. Mon cher Michel, pour avoir l'air plus naturel, il faudra te salir un peu.
— Je n'aime pas les vêtements tachés, dit Berthe. Je pense que… »
Mais personne ne sut ce qu'elle pensait, car à ce moment la porte s'ouvrit. Oncle Henri entra dans le salon et tonna :
« Croyez-vous qu'il me soit possible de travailler avec tout le bruit que vous faites ? » Soudain, il vit Berthe et s'arrêta net. « Qui est-ce encore ? demanda-t-il.
— Ne le sais-tu pas ? dit Claude.
— Non. Vous avez invité un ami de plus ?
— C'est Berthe, dit Annie en riant.
— Berthe ? La fille de Charles ?… Ah ! je me souviens. Quelle transformation ! Ma petite, ton père lui-même ne te reconnaîtrait pas. Mais, par pitié, parlez moins fort ! »
Il regagna son bureau à grandes enjambées, « Aujourd'hui, vous déjeunerez à la maison. Il est trop tard pour préparer le panier de pique-nique, dit tante Cécile.
— Avons-nous le temps de nous baigner ? demanda François en regardant sa montre.
— Oui ! je compte sur vous pour rentrer à midi juste et ramener des framboises pour le dessert.
— As-tu un maillot de bain, Michel ? demanda Claude.
— Oui. Je vais le chercher. Tiens, je n'aurai plus besoin de mettre un bonnet de bain pour protéger mes cheveux. Tant mieux !
— Prends ta vareuse et une serviette, lui cria Claude.
— Mademoiselle Berthe, dit Maria en sortant de sa cuisine, j'ai porté votre valise dans ma chambre. C'est là que vous trouverez vos affaires. »
Claude et Annie montèrent au premier.
« Je parie que Berthe ne sait pas nager, dit Claude. Il faudra que nous lui donnions des leçons !
— Ne sois donc pas méchante pour elle, dit Annie, en surprenant un regard de mépris dans les yeux de sa cousine. Où est mon maillot ? Je ne le trouve pas. Pourtant, je suis sûre de l'avoir rapporté ici… »
Elles le cherchèrent pendant dix minutes. Les garçons et Berthe étaient déjà sur la plage avec Chouquette quand Annie et Claude se mirent enfin en route.
Au bord de l'eau, Chouquette gardait les vêtements des garçons et de sa maîtresse. Elle osa même grogner après Dagobert quand il s'en approcha.
Claude se mit à rire : « Grogne aussi, Dagobert. Tu ne vas pas laisser cette mauviette te faire la loi ? Si tu grognes fort, tu verras comme elle aura peur ! »
Mais Dagobert fit semblant de ne rien comprendre. Il s'assit à distance respectueuse de Chouquette et la regarda tristement. Ne voulait-elle plus être son amie ?
« Où sont les autres ? demanda Annie en scrutant la mer. Oh ! Je vois trois têtes, là-bas. Est-il possible que ce soit Berthe, avec mes frères ? »
Claude eut un geste de dépit.
« Eh bien, je crois que Berthe n'a pas besoin de tes leçons ! » ajouta Annie, taquine.
Claude ne répondit pas Elle s'élança, plongea dans la vague, et se mit à nager de toutes ses forces. Elle voulait s'assurer qu'elle ne se trompait pas. Berthe était bien là, poussant de joyeuses exclamations, tout en nageant avec François et Mick.
Les deux garçons observaient Claude en riant. Elle arrivait, tout essoufflée.
« Regarde comme Michel nage bien, lui dit François. Quelle rapidité ! Si vous faites la course ensemble, je parie que tu perdras !
— Non ! » protesta Claude avec véhémence. Pourtant, méfiante, elle s'abstint de provoquer une compétition avec sa rivale. Comme elle n'était pas sotte, elle se résigna et prit le parti de s'amuser de bon cœur avec les autres. Ils se pourchassèrent, nagèrent sous l'eau, riant beaucoup quand ils réussissaient à attraper une jambe… La journée passa ainsi fort gaiement.