IX
 
Qui emmener en voyage de noces ?

Moment privilégié dans l’union du couple, le voyage de noces reste, Dieu merci, l’une de nos trop rares vieilles coutumes qui aient survécu à la barbarie moderniste de ce siècle déshumanisé par l’uniformisation des rapports humains, les cadences infernales, l’éducation sexuelle au laser et les vibromasseurs à quartz. C’est pourquoi les jeunes mariés modernes se doivent de respecter ce rite, doucement suranné en apparence, mais dont les conséquences psychosociologiques bénéfiques sur l’avenir du couple sont inestimables.

Au départ, afin de mettre toutes les chances de votre côté pour que votre voyage de noces soit un succès total sur le plan touristique, sentimental et sexuel, la première chose à faire est de partir SEUL.

En effet – et sur ce point les plus grands spécialistes mondiaux des problèmes du couple sont d’accord –, il est indispensable, pour assurer la pérennité et la réussite d’un mariage, que chacun des deux époux sache se garder un jardin secret, un petit coin de vie autonome où l’autre n’a pas accès, afin d’éviter le dangereux piège de l’habitude où s’ensablent à tout jamais trop d’idylles conjugales, pourtant bien commencées sous le double signe de la tendresse et des guili-guili-tout-partout.

Or, il n’est jamais trop tôt pour lutter contre les mauvaises habitudes. C’est pourquoi, en vérité, je vous le redis : « Partez tout seul en voyage de noces. »

Ce conseil vaut évidemment autant pour l’époux que pour la jeune mariée. Encore que, à la réflexion, on peut se demander ce qu’irait raisonnablement faire une jeune femme seule à Venise, avec toute cette vaisselle qui s’accumule à Paris (ou à Vierzon ; mais Paris c’est encore pire car c’est plus loin de Venise que Vierzon). C’est une excellente question, et je me remercie de me l’être posée. Et je me réponds aussi sec : « Halte-là, mon garçon, point de misogynie ! » (Quand je suis tout seul, j’avoue qu’il m’arrive de m’appeler « mon garçon ». Je m’appelle beaucoup moins souvent « ma fille » : ça m’excite et ça me retarde dans mon travail.)

Non ! Point de misogynie. Le plus simple, pour savoir lequel du mari ou de la femme va partir en voyage de noces, n’est-il pas de tirer au sort ?

Si ? Bon.

Si le sort désigne le mari, il aura le bon goût de ne pas montrer une allégresse excessive au moment de demander à sa jeune femme de préparer sa valise, surtout s’il s’agit d’une jeune femme hypersensible ou violemment monogame.

Si le sort désigne l’épouse, on procédera à un second tirage au sort.

Si le second tirage au sort désigne l’épouse, on procédera à un troisième tirage au sort.

Si le troisième tirage au sort désigne l’épouse, pourquoi, après tout, ne partiriez-vous pas avec elle ? Elle en meurt d’envie.

Le moment idéal pour un voyage de noces à Venise, c’est incontestablement le mois d’avril. C’est pourquoi je me suis marié en décembre : je déteste Venise : il faut faire des kilomètres avant de trouver un flipper. D’autre part, on nous dit que c’est une ville chargée de souvenirs, mais en fait, c’est plein d’impasses où circulent des mongoliennes, et de lacunes où voguent des mongoliers.

Le plus célèbre de ces mongoliers s’appelle Toto Rialto. C’est un doux crétin inoffensif qui vit dans une vieille barcasse sous un pont vénitien, où il passe le plus clair de son temps à ricaner sottement chaque fois qu’il surprend un jeune couple tendrement enlacé. Tous les amoureux du monde connaissent bien Toto Rialto, puisque ce sont eux qui l’ont surnommé, si judicieusement, « le Con des Soupirs ».

Il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver à Venise un bon restaurant. J’ai oublié le nom du soi-disant meilleur restaurant vénitien ; d’ailleurs c’est un nom italien. Je me souviens seulement de l’air ahuri du maître d’hôtel quand je lui ai simplement demandé un pichet de beaujolpif et un far breton. Donc, les Vénitiens sont xénophobes. On ne compte plus les déboires des touristes français à Venise. Récemment, les joueurs de l’ASPTT de Romorantin ont clairement discerné des regards hostiles parmi la population locale, alors qu’ils disputaient une bien inoffensive partie de football dans le Palais des Doges, en nocturne.

Quant au Club des joyeux chasseurs solognots, ils ont eu récemment le plus grand mal à obliger un épicier vénitien rétif à leur vendre une boîte de petits pois destinée à accompagner une trentaine de pigeons qui leur appartenaient pourtant de droit : ils les avaient tués eux-mêmes à la boule, au cours d’une partie de pétanque sur la place Saint-Marc.

Dieu merci, Venise n’est pas que cela. Comme le disait si gentiment Heinrich Himmler en visitant Auschwitz sous la pluie : « Ne boudons pas notre plaisir. »

Venise reste malgré tout, ne l’oublions jamais, l’une des villes les plus extraordinairement pittoresques du monde, avec ses quatre-vingt-dix églises, ses ensembles architecturaux magnifiques, et la grâce tranquille de ses innombrables canaux où s’étirent, au cours des printemps toujours recommencés, les amours tranquilles des enfants du monde. Et puis, surtout, ne l’oublions jamais, à Venise, on reçoit très bien Antenne 2.

Dans un prochain chapitre si je veux, nous aborderons ensemble le problème des voyages de noces à trois.