ils se remettaient en marche:

-

Attention en arrivant vers le haut de la colline. Cêest à peu près vers cette heure-là que le Chasseur nous a attaqués hier. Peut-être préfèrent-ils se manifester un peu avant le coucher du soleil.

Comme sêil sêengageait le premier sur la pente, CliifClimber passa brusquement devant lui:

-

Je revendique le droit de prendre la tête, fit-il fièrement. Hier, cêest vous qui avez subi le premier assaut; aujourdêhui, cêest mon tour!

Voulez-vous donc récolter toute la gloire?

La gloire, je te la laisse volontiers! eut envie de lui répondre Dane, mais il sêabstint. Il commençait àcomprendre comment fonctionnait lêesprit du Mekhar. Un stratège humain pense en termes dêefficacité; mais CliifClimber nêétait pas humain et attachait aussi peu dêimportance à lêefficacité

quêaux progrès de la science. Il était déjà remarquable quêil se f˚t montré

aussi coopératif jusque-là; mais si son moral flanchait, il risquait fort de ne plus lêêtre du tout. Sêil tenait absolument à prendre la tête, et àassumer tous les risques par la même occasion, Dane ne voyait aucune raison de lui disputer cette joie.

-

De toute façon, ajouta Cliif-Climber, cêest moi qui ai lêouÔe la plus fine.

Dane haussa les épaules:

-

Allez-y, mon cher. Mais couvrez-le, Rianna.

Et, tandis quêils amorçaient lêascension de la pente rocheuse, le Mekhar sêélança de sa démarche souple, comme impatient dêarriver en haut. Rianna fut tout de suite distancée. Lêhomme-lion semblait se jouer des difficultés qui retardaient ses compagnons et les faisaient glisser constamment. A un moment donné, le pied de Rianna ripa, et la jeune femme tomba, sa lance venant se coincer entre ses jambes. Dane lêaida à se relever, mais elle lui dit dêaller sêoccuper de Dallith, qui en avait plus besoin, et reprit sa marche en avant.

Dane attendit donc Dallith, remarquant à cette occasion quêAratak était encore plus loin derrière. quel beau groupe de combat nous faisons, tous égrenés sur ce flanc de colline III se retourna pour crier à Cliif-Climber dêattendre.

Au même moment, Dallith étouffa un cri, et il crut dêabord quêelle venait de saisir ses pensées, mais le Mekhar poussa une espèce de sifflement et se jeta derrière un rocher en faisant signe aux autres de lêimiter.

Dane poussa aussitôt Dallith, puis Rianna, derrière un énorme bloc de rocher, se plaquant lui-même contre la paroi. Aratak, qui nêavait pas de rocher à proximité, sêaplaUt par terre, se fondant presque avec la pente tel un bloc de pierre.

Dane vit Cliif-Climber grimper dêun bond et sans bruit sur son rocher o˘ il resta un moment tapi, plus félin que jamais. Dane commençait à se dire que le Mekhar avait bien mérité son nom quand Dallith poussa une sorte de gémissement en même temps que lêhomme-lion se raidissait. quoi que ce soit, cêest tout près de nous...

Et alors il le vit. Un Proto-félin, comme le Mekhar. Croyant revoir celui quêil avait affronté la veille, Dane crispa sa main sur le manche de son sabre et banda ses muscles, prêt à dégainer.

Cêest alors quêil nota un changement curieux dans la façon de respirer de Dallith, mais avant quêil ait pu en comprendre la cause, il vit CliffClimber se redresser dêun bond sur son rocher et sêoffrir ainsi complètement à la vue du nouvel arrivant.

Ce fou de Mekhar! Il va le défier en combat singulier!

Lêautre homme-chat ne sêarrêta pas en voyant CliffClimber, mais se dirigea au contraire droit vers lui. CiffClimber se tourna alors vers les autres en agitant le bras et cria joyeusement:

î Tout va bien! II porte la marque distinctive de mon clan. Cêest un membre de ma race!

Sautant du rocher, il sêélança au-devant de lêautre en lui lançant ce qui ressemblait à un signal de bienvenue rituel: î Même Demeure, même Chasse...!

A cet instant, Dallith se redressa en hurlant: î Non! Non! Cliif-Climber, non, cêest...! î Ses ongles sêenfoncèrent dans le bras de Dane. î Empêchez-le! Courez à son secours! Cêest une ruse, un piège...!

Subitement, elle se baissa et ramassa une pierre quêelle introduisit dans sa fronde.

Complètement abasourdi, Dane reporta son regard vers le sommet de la colline. Là, il eut le temps de voir Cliff-Climber arriver tout près de lêautre Mekhar, en manifestant tous les signes de la joie et de la confiance... et, dans la seconde qui suivit, étincelantes sous le soleil déclinant, les affreuses griffes dêacier sêabattre vers sa gorge sans défense.

Alors Dane se retrouva en train de sêélancer sabre au clair en criant, de la terre et des pierres sêéboulant sous ses pieds, sêattendant à chaque instant à tomber et à sêempaler sur son arîne. Au-dessus de lui, il vit Cliif-Climber reculer dêabord en chancelant, du sang giclant dêune profonde blessure à sa gorge, puis réussir à étreindre son agresseur en corps à

corps.

De derrière lui monta un grondement qui ne pouvait venir que dêAratak.

Tandis que Dane luttait rageusement pour garder son équilibre sur ce sol effroyable, les deux hommes-chats dévalèrent la pente en roulant, enlacés lêun àlêautre dans un combat à mort. Tous deux étaient couverts de sang, de ce sang rouge qui ruisselait de la gorge de Cliff-Climber et maculait les griffes de son adversaire, pendant que celles de Cliff-Climber cherchaient les yeux, les entrailles. Mais Cliff-Climber faiblissait, et au moment o˘

Dane, haletant, arrivait au rocher sur lequel le Mekhar était tout à

lêheure juché, il se tordit dans une convulsion atroce et retomba sans vie sur le sol, le sang giclant toujours de sa gorge déchirée.

Lêautre Proto-félin, qui était couché sur sa victime, leva des yeux effrayants vers Dane. Lêune des mains de CliifClimber était encore accrochée à sa gorge. Non !... Saisi dêhorreur, Dane constata que les griffes du mort étaient profondément enfoncées dans la gorge de son meurtrier, figées dans une étreinte fatale !...

Au moins il lui aura laissé un sacré souvenir: il a emporté ce salaud avec lui dans la mort!

Mais alors, stupéfait, Dane vit lêhomme-chat saisir àdeux mains le bras sans vie de Cliff-Climber, se renverser en arrière et retirer les griffes de sa gorge! Le sang jaillit aussitôt mais cessa très vite de couler.

Ensuite lêhommechat se redressa, apparemment indemne, et se dressa devant Dane qui nêétait plus maintenant quêà quelques mètres de lui.

quelque chose frappa le Chasseur à lêépaule, le taisant se retourner vivement. Dane comprit aussitôt que cêétait une pierre lancée par Dallith.

En même temps, il entendit un grondement accompagné dêun bruit dêéboulis qui désignait à lêévidence Aratak en train de se frayer un passage vers le sommet de la colline.

Le Chasseur avait saisi le cadavre de Cliif-Climber comme sêil voulait lêemmener lorsquêune autre pierre ricocha sur le rocher, derrière lui. Il hésita lêespace dêun instant mais, voyant arriver Dane sur lui, il pivota sur ses talons et sêélança vers le sommet de la colline, beaucoup trop vite pour le Terrien. Arrivé en haut, il sêarrêta un moment, et un énorme bloc de pierre se détacha et dévala la pente, obligeant Aratak à faire un bond de côté pour ne pas être écrasé. Puis le Chasseur disparut subitement.

Dane continua à gravir la colline jusquêà la crête. Mais, comme il sêy attendait à moitié, la créature qui avait tué Cliif-Climber nêétait plus là.

il sêest volatilisé exactement comme lêautre. Et lui aussi a grimpé cette pente avec la gorge ouverte. Ce qui veut certainement dire que celui que jêai tué n èest pas mort lui non plus...

Il redescendit le flanc de la colline. Dallith était accroupie à côté du cadavre de Cliif-Climber. II crut un instant quêelle pleurait, mais elle leva vers lui des yeux secs:

î Cêétait un Chasseur?

î

Oui, cêétait un Chasseur, répondit-il dêun air sinistre.

Dieu ait pitié de nous...

A son tour, Rianna se pencha sur le cadavre ensanglanté du Mekhar. Des larmes tombèrent sur sa fourrure lorsquêelle lui ferma doucement les yeux.

î Son capitaine lui a souhaité une honorable survie ou une sanglante et honorable mort, murmura-t-elle. Cêest oelle-ci quêil a eue finalement.

Repose en paix, ami.

Dane contempla Cliif-Climber, et les paroles du Mekhar lui revinrent en mémoire: ´ Vous voulez donc récolter toute la gloire ? ª Au lieu de cela, cêétait la mort pour lui seul quêil avait récoltée; et, du même coup, leur petit groupe enregistrait sa première victime de la main des Chasseurs.

î «êaurait pu être moi, fit Dane à voix haute.

Mais ils nêavaient pas le temps de se lamenter. Pas même celui dêenterrer leur ancien allié.

Coincés comme nous le sonunes sur ce flanc de colline, si ce Chasseur a quelques petits camarades dans le secteur, nous sommes beaux!

Il donna donc sans plaisir lêordre de reprendre la marche. Rianna protesta en pleurant, mais il lui dit doucement:

î Nous ne lui ferons aucun bien en nous faisant tuer avec lui, Rianna.

Espérons plutôt que ce Chasseur a atteint son quota de Proies pour la journée et quêil ne va pas rappliquer dans quelques instants.

Aratak prit gentiment la jeune femme par le bras: î Il a accédé à la pleine sagesse là o˘ il est, Rianna... Ou alors il est redevenu poussière. quoi quêil en soit, vous vous devez à nous, comme nous nous devons à vous. Venez, mon enfant.

Elle se laissa entraîner par lêhomme-lézard, sans cesser pour autant de sangloter. Dane était triste lui aussi: il nêavait pas encore réalisé à

quel point le Mekhar formait une partie intégrante de leur groupe. Ce nêétait pas seulement le fait que son absence allait désorganiser leur stratégie : cêétait Cliif-Climber lui-même qui allait leur manquer. Lui et son courage, sa bonne humeur dans les circonstances pénibles, même son arrogance parfois insupportable et sa rudesse souvent blessante.

Ils nêétaient donc plus que quatre, et ils commençaient àvoir à quoi ressemblaient les Chasseurs. Et le tableau nêétait guère réjouissant!

Ces maudites CHOSES sont-elles donc impossibles à

Le pire, dans cette horrible Chasse, était quêils commençaient à perdre toute notion du temps. En lêoccurrence, Dane ne savait plus sêils en étaient au quatrième ou au cinquième jour tellement les heures paraissaient sêétirer interminablement en une suite de périodes de tension ininterrompues dans lêattente dêune attaque et de la mort. Ils sêattendaient à chaque instant àvoir apparaître quelquêun, ou quelque chose sur ce thé‚tre permanent de massacre. Pourtant, depuis la mort de CliffClimber î dont ils avaient oublié à combien de jours exactement elle remontait î ils nêavaient plus rencontré à proprement parler de Chasseurs.

Une fois, simplement, Dallith avait décelé leur présence dans les parages, et le petit groupe sêétait immédiatement dissimulé dans les broussailles, entendant au loin le fracas de lêacier puis quelque chose comme un hurlement dêagonie. Ils étaient restés ainsi tapis, tandis que, au-dessus dêeux, montait la lueur rouge de la Planète des Chasseurs. Mais il ne sêétait rien passé finalement.

Cêest à cette occasion que Dane avait remarqué combien la Chasse éprouvait Dallith encore plus que les autres. Ils avaient tous la peau tannée par le soleil et les intempéries, mais, sous le h‚le, Dallith paraissait toujours plus p‚le, ses traits plus tirés, ses grands yeux plus enfoncés dans son visage. Pourtant, à lêinverse par exemple de Rianna, qui pleurait parfois dêépuisement, elle ne se plaignait jamais, donnant simplement lêimpression de dépérir en silence.

L~iie a besoin de repos, de dormir pour de bon, de se libérer de sa peur.

Plus quêaucun dêentre nous. Elle sent la présence de ces maudits Chasseurs même dans son som,neil, et c èest probablement ce qui nous a permis de rester en vie jusqu èà présent.

Ils sêinstallèrent pour se reposer à lêabri de la chaîne de collines quêils avaient vue la première nuit, sous la cité en ruine. Celle-ci se dressait au sommet dêune espèce de pignon rocheux dont les parois étaient truffées de grottes entre lesquelles la roche formait des escaliers et des passages encaissés.

î

Jêaimerais les visiter un jour, dit Rianna en levant la tête vers les ruines. Dans de meilleures conditions, naturellement.

î

Pas moi, fit Dane. Si nous arrivons à sortir vivants de cette maudite lune, je crois que jêen aurai eu mon compte pour pas mal de temps!

î

Vous ne comprenez pas, reprit Rianna. Si la Chasse se déroule ici depuis des siècles, cela peut vouloir dire que ce sont les Chasseurs qui ont b‚ti cette cité...

î

Ou, plus probablement, hasarda Aratak, chassé et tué ceux qui lêont b‚tie; et, une fois leurs Proies mortes, ils nêont pas pu sêarrêter de chasser...

î

On a vu des choses plus étranges, dit Dane, qui songeait à

lêhistoire de la Terre et à cette interminable bêtise quêétaient les croisades.

Bien quêAratak sembl‚t Je moins éprouvé par ces journées de tension atroce, on décelait néanmoins chez lui une certaine lassitude. II était maculé de boue de la tête aux pieds, car cêétait le moyen quêils avaient trouvé pour empêcher la luminescence bleue quêil émettait en dormant de les faire repérer par les Chasseurs. Cêétait une chance que lêhomme-lézard aim‚t la boue, encore quêil préfér‚t nettement la boue humide dêun bon bain à cette boue sèche dont il avait accepté de sêenduire. Cela ne lêempêchait pas de philosopher de temps en temps comme à son habitude, en se référant toujours, bien entendu, à la sagesse du Divin OEuf.

Dane proposa dêaller jusquêaux ruines pour trouver de lêeau: î

Je sais que ça comporte un risque, mais je pense quêentre le coucher du soleil et minuit nous pouvons tenter notre chance. La lune î

appelons-la comme ça puisque pour nous, ici, cêest une lune î nous prodigue suffisamment de lumière pour que nous puissions trouver notre chemin. Mais nous devrons être repartis bien avant minuit. Je soupçonne les Chasseurs dêéprouver un plaisir fou à jouer à cache-cache dans cette ville dès lors quêune Proie pense y avoir trouvé le refuge idéal.

Rianna leva les yeux vers le ciel:

î

Cêest presque le coucher du soleil, Dieu merci.

î

Mais nous ne sommes pas encore à lêabri dêune attaque, fit remarquer Dallith. Je crois quêils préfèrent se manifester juste avant le coucher du soleil parce que cêest le moment o˘ leurs Proies sont fatiguées après toute une journée de marche et ont tendance à rel‚cher leur attention.

î

Effectivement. Cêest donc une raison supplémentaire pour rester particulièrement sur nos gardes. Bon, allons-y, je ne tiens pas à devoir me battre pour accéder àcette cité.

A force de se déplacer et de se préparer à repousser un assaut à nêimporte quel moment, leur petit groupe était parvenu à trouver la meilleure organisation possible. Mais, pour la marche, lêabsence de Cliff-Climber, avec sa vivacité, se faisait nettement sentir. Alors quêils avaient atteint la crête dêune petite colline, Dane perçut un mouvement dans les fourrés au-dessous dêeux, comme une tache brune et brillante. Un Mekhar î ou lêune de ces créatures félines quêils avaient déjà affrontées à deux reprises? Il fît signe aux autres de se disposer en formation de défense. Rianna sêagenouillait déjà près dêun rocher, la main serrée sur sa lance, Aratak et Dane prenant position de chaque côté. Dallith sauta sur un autre rocher, sa fronde prête à entrer en action.

Lêhomme-lion les regarda un moment puis tourna les talons et sêenfuit, se fondant bientôt dans les fourrés. Dane poussa un soupir de soulagement et abaissa son sabre.

î

Je ne pense pas que cêétait un Chasseur, dit Dallith derrière lui. Il avait lêair trop effrayé. Je crois plutôt que cêétait une Proie, comme nous.

î

Il sera toujours difficile dêen être s˚r, dit Dane.

Dallith descendit de son rocher:

î

Je ne lêai pas ressenti de la même façon que la créature qui a tué

ce pauvre Cliff-Climber. Jêai eu le sentiment quêil était... î Elle cherchait ses mots. î ... un peu comme Cliff lui-même. Pas aussi brave cependant.

î

Cêétait peut-être un de ces Mekhars quêil appelait des criminels de droit commun, hasarda Dane.

Il

se sentait lui-même en proie à une curieuse réaction contradictoire: dêun côté le désir de retrouver le pauvre Mekhar terrorisé

qui, après tout, était de la même race que Cliff-Climber; de lêautre, une étrange aversion àlêidée de sêassocier avec quelquêun que Cliff-Climber considérait comme un inférieur.

î

En tout cas, nous aurions bien besoin de la vue et de lêouÔe dêun Mekhar en ce moment, dit-il, ne serait-ce que pour vous permettre de vous reposer, Dallith.

Rianna laissa retomber sa lance:

î

Je nêai personnellement aucune raison dêaimer particulièrement les Mekhars quelles que soient les nuances qui peuvent exister entre eux : cêest tout de même à cause dêeux que nous sommes ici. En ce qui me concerne, les Chasseurs peuvent tous les tuer, jêen serais ravie Dane ne répondit pas. Cêétait peut-être bien un Chasseur finalement; Dallith a pu se tromper.

Jêen ai assez dêêtre Proie. Jêaimerais commencer à les chasser à mon tour, pour changer. Mais il savait bien quêune telle idée était idiote, et pour une bonne raison dêabord: ils ne savaient même pas si les Chasseurs pouvaient être tués. Tout ce qui pouvait sêenfuir la gorge àmoitié tranchée ne pouvait être un Proto-félin ordinaire. Bon sang! Le prochain, je m èarrangerai pour le décapiter carré~neru: on verra bien sêil sera si fringant apcès!

Aratak le ramena à la réalité présente:

î

Nous continuons ? Même si ce Proto-félin était une Proie, il est très vraisemblable quêil était poursuivi par un Chasseur.

Ils descendirent lentement, afin de longer la vallée par le fond, en prenant le chemin le plus facile pour éviter de se fatiguer inutilement, mais sans cesser dêêtre vigilants àla moindre possibilité

dêembuscade. Tout en marchant, Dane repensait aux diverses ´ rencontres ª

quêils avaient faites depuis quêils étaient ici.

î

Même si nous nous sommes trompés sur le compte du dernier que nous avons vu, dit-il au bout dêun moment, nous avons une idée du genre de créatures que nous devons éviter à tout prix. Deux des Chasseurs que nous avons affrontés jusquêici étaient des Mekhars, ou des Proto-félins du même type, suffisamment ressemblants du reste pour que Cliff-Climber lui-même sêy laisse prendre. Donc, si nous nous débrouillons pour ne pas trop nous approcher de quoi que ce soit qui ressemble, même vaguement, à un Mekhar, nous devrions nous en tirer.

î

Je nêen suis pas convaincu, objecta Aratak. Rappelez-vous le Proto-saurien de lêArmurerie qui a disparu de la même façon que les prétendus Mekhars. Je crois fermement que les Chasseurs ne constituent pas quêune seule espèce.

Le soleil déclinait nettement à présent. De temps en temps ils croyaient apercevoir des silhouettes furtives qui les observaient de loin, et à un moment donné même, Dallith fut certaine quêun Chasseur se trouvait tout près. Mais personne ne les approcha.

î

Le seul fait que nous restions ensemble peut représenter une certaine protection, dit Aratak. La plupart des autres Proies doivent sêimaginer que le moindre groupe organisé correspond automatiquement à des Chasseurs.

î

Et les Chasseurs doivent probablement éliminer dêabord les Proies les plus faciles, ajouta Dane. Ou celles quêils peuvent abuser, comme le pauvre Cliff-Climher.

î

Si ma thèse est valable et quêil y a donc plus dêune espèce, reprit Aratak, je crois que vous avez intérêt àvous méfier de tout ce qui ressemble à un homme et cherche à sêapprocher de vous.

Ils continuèrent à marcher quelque temps en silence. Tout dêun coup, alors quêelle émergeait de lêombre dêun rocher, Dallith sursauta comme si elle venait dêêtre piquée

par quelque chose et les enjoignit tout bas dêattendre. Ils sêimmobilisèrent instantanément, tendus comme des animaux flairant le danger, et lêinterrogèrent du regard.

î

Il y en a un par ici, fit-elle, à lêaff˚t... Je crois quêil est sur la trace de quelquêun... Je sens...

Elle sêinterrompit au moment o˘ retentissait un cri venant de tout près, et prolongé par un cliquetis métallique.

î

Ils se battent.., par-là, de lêautre côté de ce passage...

Elle leur indiqua deux colonnes de pierre qui encadraient une étroite crevasse comme une sorte de porte. Dane tira brusquement son épée: î

Les misérables! Ils veulent nous tuer un par un, et comme nous ne sommes pas coopératifs, ils nous gardent pour la bonne bouche! Essayons de les prendre à leur propre piège et commençons par aider ce pauvre malheureux!

î

Vous êtes fou! lui lança Rianna.

Mais Aratak, balançant son énorme gourdin sur son épaule, sêébranlait déjà: î

Il y a de la sagesse dans la coopération. Si nous pouvons arriver à

temps pour cela, et si nous parvenons àdiscerner le Chasseur du Chassé...

Il

sêavança de sa démarche pesante vers les colonnes de pierre. Dane lui emboîta aussitôt le pas. Dallith resta un moment comme figée puis sêélança derrière eux, et Rianna dut suivre à contrecoeur.

Mais au fur et à mesure que Dane approchait de lêendroit, sa détermination faiblissait. Ils étaient fous de foncer ainsi tête baissée vers le danger.

Son être tout entier était révolté à lêidée de ne pas intervenir, de laisser une malheureuse créature qui se trouvait dans la même situation quêeux se faire tuer à quelques mètres de là. Mais dêun autre côté il risquait la vie dêAratak et des deux jeunes femmes pour aider quelquêun quêil ne connaissait pas, en qui il ignorait sêil pouvait avoir confiance et quêil nêétait même pas s˚r de pouvoir sauver de toute façon. Et, par-dessus le marché, pour essayàr de

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tuer queêque chose quêil était peut-être impossible de tuer !... Nous avons encore quatre ou cinq jours à passer; économisons nos forces...

Mais ils avaient déjà atteint la crevasse. En y pénétrant, leur yeux tombèrent sur un petit amphithé‚tre naturel en contrebas. Derrière lui, Dane entendit Rianna pousser un petit cri de stupéfaction.

Lêun des hommes-chats gisait dêun côté, apparemment mort. Un autre, brandissant une grande épée à deux mains, faisait face à un homme-araignée î ressemblant exactement au survivant de la dernière Chasse quêils avaient vu fêter sur la Planète des Chasseurs. Et là, Dane comprit comment une créature apparemment si frêle et si timorée avait réussi à survivre, seule, à toute la durée dêune Chasse.

La créature arachnéenne se déplaçait à une vitesse époustouflante à lêaide de quatre de ses membres curieusement segmentés, évitant habilement les coups dêépée de lêhomme-chat. Pendant ce temps, ses quatre autres pattes sêactivaient dêune façon non moins stupéfiante. Lêun des bras tenait un petit bouclier métallique avec lequel il parait les attaques du Mekhar î ou pseudo-mekhar. Les trois autres bras faisaient des moulinets avec une longue lance très effilée dont la pointe à elle seule avait presque la longueur dêune épée. Et à plusieurs reprises Dane le vit faire passer son bouclier dêun bras à lêautre avec une dextérité inouÔe. Lê homme-araignée jonglait littéralement avec ses armes

Mais, pour être peu orthodoxe, ce style de lutte nêen était pas moins terriblement efficace, et cêest ainsi quêils virent bientôt le manche de la lance décrire une trajectoire incurvée pour venir heurter le pseudo-Mekhar derrière la jambe, le faisant trébucher; et alors même quêil tombait, la pointe de la lance cinglait déjà vers sa tête. Lêhomme-lion réussit à

amortir le coup avec son épée et essaya de se redresser. Cêest alors que lêautre bout de la lance lui fit de nouveau perdre lêéquilibre, et cette fois la lame était orientée de telle sorte quêil sêempala dessus au moment o˘ il bascula en avant. En même temps, le bouclier dévia lêépée et, dans la fraction de seconde qui

suivit, la pointe de la lance, de nouveau disponible, décrivit une vrille meurtrière. Et dêun seul coup, la tête léonine roula sur le sol. Le corps chancela quelques secondes, le sang jaillissant à gros bouillons du cou tranché, puis il sêeffondra et fut encore un court instant agité de convulsions avant de sêimmobiliser définitivement.

Dane entendit Dallith étouffer un cri dêhorreur derrière lui, mais lui-même ne put réprimer un accès de joie sauvage: il a tué une de ces saletés! Non, deux! Je me demande quel genre de prix les Mekhars se font payer pour ces araignées!

î Si nous parvenons à le convaincre de se joindre ànous, dit-il à voix haute, nous devrions être pratiquement invincibles! î II tourna de nouveau son regard sur lêhomme-araignée qui, en bas, essuyait son arme.

îDescendons.

î Rappelez-vous comme ces créatures sont timides, intervint Aratak.

Laissez-moi y aller seul dêabord, pour le saluer au nom de lêUniverselle Sapience. Peut-être nêaura-t-il pas peur de moi.

Sur ces mots, lêhomme-lézard, après avoir abandonné son gourdin, commença à

descendre la pente qui menait àlêamphithé‚tre, les bras largement écartés pour montrer ses intentions amicales. Dane remit son sabre au fourreau.

Rianna soutenait Dallith qui était p‚le comme une morte. Cêétait compréhensible: elle avait senti venir la mort du Chasseur. Dane se tourna vers elle, avec inquiétude, et lui prit les mains. Elles étaient froides et inertes, et il crut un instant quêelle allait défaillir.

Bien que préoccupé par Dallith, il entendit la voix grondante dêAratak en bas et, jetant un bref coup dêoeil par-dessus son épaule, il eut le temps de voir lêhomme-araignée battre vivement en retraite, le bouclier levé et sa longue lance se balançant dans lêair dêune façon menaçante.

Ils entendirent alors Aratak qui lui disait: î Nêayez pas peur! Je ne suis pas un Chasseur, mais une Proie comme vous.

Pendant ce temps, Dallith, qui semblait reprendre un peu ses~ esprits, secouait doucement la tête, lêair tendu et inquiet, en écoutant les paroles dêAratak.

î Je vous salue au nom de la Sapience et de la Paix Universelles!

poursuivait celui-ci. Si nous pouvions nous associer contre notre ennemi commun, nos chances de survie en seraient considérablement augmentées.

Comprenez-vous ce que je dis? Pouvez-vous me répondre?

Cêest alors que Dallith sembla sortir dêun rêve: î que fait-il en bas?

Et dêun seul coup ses yeux sêagrandirent sous lêeffet de la terreur. …

cartant Dane et Rianna, elle chercha fiévreusement sa fronde.

î Aratak, attention! hurla-t-elle. Cêest lui le Chasseur!

Pivotant sur ses talons, Dane vit lêhomme-araignée charger, la lance pointée vers la poitrine vulnérable du saurien. Hurlant à son tour, il dégaina son sabre et dévala la pente.

Aratak effectua du bras une parade de karaté que Dane lui avait enseignée, parade qui fit dévier la lance de sa course, tandis que, de lêautre main, il empoignait la hache quêil avait à sa ceinture.

Lêune des pierres de Dallith siffla dans lêair et vint toucher le Protoarachnéen à lêabdomen avec un bruit mat parfaitement perceptible. Il battit en retraite, mais manifestement plus sous le coup de la surprise que de la douleur. 11 ne fut du reste pas long à se ressaisir et fit face à Aratak qui le défiait maintenant avec sa hache. En poussant un cri pareil à un grondement de tonnerre, lêhomme-lézard assena un terrible coup qui fut paré

facilement par le bouclier. quel que f˚t le métal dont était fait ce bouclier, il avait lêair incroyablement dur!

A son tour, Aratak dut esquiver une riposte fulgurante de la lance, et Dane se rendit très vite compte que le bouclier donnait déjà, à lui seul, un avantage notable àlêhomme-araignée, compte tenu notamment de ses talents de jongleur. Autant essayer de passer entre les pales dêun hélicoptère qui seraient en train de tourner!

Face à un tel monstre, Dane nêétait même pas certain nêest mourir avec lui. Même sans la pointe, le manche suffirait déjà

largement à briser les os de n èimporte quel être normalement constitué!

Surtout manié à cette vitesse!

Avec son gourdin, Aratak aurait eu ses chances, mais encore aurait-il fallu, pour quêil puisse sêen servir, quêil parvienne à sêapprocher du Chasseur, or celui-ci le tenait à distance avec sa lance meurtrière.

Une autre pierre siffla et atteignit lêhomme-araignée en plein milieu de son corps velu, juste au moment o˘ il portait un terrible coup à Aratak. Il chancela légèrement en émettant une sorte de gémissement de douleur, et, en basculant, le manche de la lance vint frapper Aratak avec une violence inouÔe. Lêhomme-lézard se retrouva à terre, étourdi, mais eut le réflexe dêexécuter un roulé-boulé pour se mettre hors de portée de la lance avant que son titulaire nêen ait recouvré parfaitement la maîtrise. Dane avait rejoint les deux combattants, essayant de voir comment il pourrait parvenir à surprendre lêhomme-araignée par-derrière.

Le Chasseur le vit, et aussitôt la lance reprit ses moulinets effrayants dans sa direction. Seule la nouvelle pierre qui lêatteignit au bras empêcha Dane de subir un sort irrémédiable, en lui laissant juste le temps nécessaire pour esquiver lêarme redoutable. Mais son intervention avait fait utilement diversion, car Aratak, de lêautre côté, était de nouveau en position de combat. Lêennui, cêest que cette maudite chose était trop rapide! Une autre pierre, pourtant, vint sêenfoncer dans son flanc, et cette fois elle dut lui faire assez mal car le Chasseur fit un bond de côté

et resta visiblement étourdi par le choc. Dane en profita pour se ruer sur lui et lui porter une série de coups de sabre dans lêabdomen.

Il avait lêimpression de couper dans du fromage. Mais la lame avait beau sêenfoncer dans cette chair écoeurante avec une facilité dérisoire, il ne coulait absolument pas de sang! Au contraire, les terribles réactions de la créature obligèrent Dane à battre précipitamment en retraite. Il ne dut quêà la faible gravité dêavoir la vie sauve. Sur son sabre, adhérait une espèce de gélatine grise, poisseuse. Une autre pierre toucha le Chasseur sur le côté au moment o˘ Dane bondissait précipitamment en arrière pour éviter un nouveau coup qui aurait pu être fatal. Il cria à

Aratak:

î Vite, pendant quêil est encore étourdi!

Mais le grand saurien, qui se balançait lentement dêun pied sur lêautre, semblait encore sonné lui aussi par le choc de tout à lêheure.

Et brusquement Dane vit Rianna sêélancer vers eux en tenant sa lance comme une baÔonnette. Brave fille! Peut-être est-ce la seule solution... Oh, non!

sa lance est trop courte et il a un bouclier! Elle est fichue si je n èarrive pas à détourner son attention ne serait-ce quêune seconde... Vite!

A son tour il sêélança en hurlant, tenant son sabre en travers pour parer toute attaque éventuelle de la lance. Et au même instant Aratak chargea en grondant.

La lance tournoya à une allure foudroyante. Elle traça dêabord une estafilade sanglante sur la poitrine dêAratak, fit sauter lêanne des mains de Rianna, lêenvoyant se briser à plusieurs mètres, et fondit vers la jambe de la jeune femme.

Dane entendit Rianna pousser un hurlement de douleur. Mais lui, de son côté, avait réussi à sêattaquer àlêune des pattes de la créature et il taillait et tranchait de toutes ses forces.

Il se rendit compte alors que cêétait ce quêil aurait d˚ essayer de faire depuis le début, car la grande masse grise bascula en arrière. Le Chasseur retourna bien sa lance contre Dane en la maniant avec deux de ses autres bras, mais sa marge de manoeuvre était incontestablement réduite. De son côté, Dane, qui, de près, avait une meilleure prise, assenait une série de coups de sabre sur le corps velu. Et, tandis que la lance manquait son but, il bondit sur lêautre jambe du même côté. Finir par le paralyser...

Mais la jambe se déplaça hors de portée de son sabre avec une rapidité

fulgurante. Par-dessus la masse à moitié renversée du Chasseur, Dane vit Aratak empoigner sa

hache, prêt à lui en assener un coup terrible. Mais la lance pivota, comme déclenchée par un ressort, et le manche frappa Aratak à la hauteur de lêépaule, le repoussant violemment en arrière. Immédiatement après, la créature bondit en lêair en se propulsant sur ses trois pattes valides et atterrit, ramassée en boule, un peu plus loin, reprenant aussitôt une position de combat. Ses grands yeux rouges allaient de droite à gauche, surveillant ses adversaires.

Dane jeta un coup dêoeil vers Rianna, qui gisait sur le sol, gémissant.

Elle avait un bras tout recroquevillé derrière elle et le côté de sa tunique laissait voir une tache de sang. Aratak nêavait pas lêair blessé, mais il se tenait tout de même lêépaule, là o˘ le manche de la lance lêavait touché.

Va-t-il sêenfuir ou attaquer de nouveau?

Cêest alors que de lêhomme-araignée monta un gémissement aigu î un peu comparable à celui quêavait émis lêhomme-chat à qui Dane avait tranché le bras î suivi aussitôt par le cri de Dallith en haut de la colline: î Partez vite! Il est en train dêappeler au secours! Attention !...

Et lêhomme-araignée attaqua.

Il avait substitué un de ses ´ bras ª à sa patte sectionnée, de sorte quêil évoluait de nouveau sur quatre membres, et il arrivait sur Dane et ses compagnons à une vitesse effrayante, faisant tourbillonner sa lance avec deux bras, tandis que, avec le troisième qui tenait le bouclier, il se protégeait la tête et la partie supérieure du corps. Dane et Aratak nêavaient plus dêautre ressource que de faire front. Une pierre de la fronde atteignit lêune des pattes du Chasseur; il en détourna une autre avec son bouclier. Sa tête doit être particulièrement vulnérable, sinon il ne chercherait pas à la protéger de cette façon!

Il fut bientôt sur eux, et les moulinets meurtriers de la lance les obligèrent à faire un bond de côté. Dane essayait de mesurer la fréquence des mouvements de lance. Sêil arrivait à forcer la garde juste au moment voulu pour atteindre la tête...

Les pierres lancées par Dallith continuaient à siffler autour de cette tête, mais elles ne faisaient pour lêinstant que sêécraser sur le bouclier. Elle a compris quêil fallait viser la tête, elle aussi!

Brave gosse !...

Brusquement retentit un craquement sec. La créature fut secouée dêun tremblement et lêun de ses bras se mit àpendre, inerte, le long de son corps. Du même coup le mouvement de la lance parut complètement désorganisé. Dane bondit...

Mais soudain le bouclier sêinterposa devant lui, repoussant violemment lêassaut de son sabre, puis, en une fraction de seconde, il vit avec terreur la pointe de la lance dirigée vers sa gorge!

Au même moment la tête de lêhomme-araignée explosa, projetant autour dêelle une gerbe de sang. Une pierre de Dallith venait de lêatteindre de plein fouet. Dans le même temps, la hache dêAratak sectionna le bras qui tenait la lance. Lêhorrible créature sêeffondra, son cr‚ne fracassé se vidant de son répugnant contenu.

Dane recula. Est-il réellement mort ? Aratak partageait de toute évidence ses doutes, car il éleva de nouveau sa grande hache au-dessus de sa tête et sectionna le corps àla jonction entre le thorax et lêabdomen. Le sang gicla de plus belle, mais le flot se tarit très vite.

î Dépêchez-vous! leur criait Dallith. Ils arrivent! Par ici, vite Effectivement, des formes commençaient à apparaître sur la crête de la colline, de lêautre côté.

Dane se précipita vers Rianna. Elle étouffa un cri de douleur lorsquêil lêaida à se relever, et il la vit se mordre les lèvres pour sêempêcher de crier lorsquêil la prit dans ses bras pour la porter. Aratak venait derrière eux. Ils grimpèrent la pente de la colline pour rejoindre Dallith, qui faisait toujours tournoyer sa fronde autour de sa tête, ne sêinterrompant que pour lêarmer. Aratak ramassa son gourdin, et Dane constata quêil avait également récupéré la lance du Chasseur.

î Dans quelle direction allons-nous?

î Vers les ruines. Nous nêavons guère le choix. Avec Rianna, nous ne pouvons pas aller très vite. Nous essaierons de trouver une cachette dans la ville.

Rianna nêétait pas particulièrement grande, mais elle semblait peser une tonne et Dane commençait à en avoir plein les bras.

î Je vais la porter, dit Aratak.

Il confia sa lance à Dane, coinça son gourdin sous son aisselle, se baissa pour prendre Rianna à bras-le-corps, et se mit à courir avec son fardeau, jetant de temps en temps un coup dêoeil en amère pour sêassurer que Dane et Dallith suivaient. Ils arrivèrent bientôt au pied de la muraille de la cité. Déjà, derrière eux, un groupe de Chasseurs î ce ne pouvaient être que des Chasseurs îgravissaient à leur tour la colline o˘ ils se trouvaient encore quelques instants auparavant. Parmi eux il y avait un Proto-félin du type Mekhar. On distinguait également deux formes qui semblaient humaines.

Et Dane sentit ses cheveux se hérisser sur sa tête lorsquêil reconnut enfin lêune de ces horribles créatures arachnéennes.

Mon Dieu, nous lêavons pourtant bien tué, celui-là... Est-ce que c èen serait un autre 7 Je croyais qu èils étaient rares...

Rianna les freinait dans leur progression, et les Chasseurs gagnaient du terrain. Aratak longea un moment le mur de la ville à la recherche dêune ouverture. Rianna était totalement inerte entre ses bras, au point que lêon ne savait pas si elle était morte ou seulement évanouie. Dallith elle aussi avait du mal à avancer.

î Par ici ! lança Aratak, le souffle court.

Il posa Rianna par terre et écarta un bloc de pierre qui obstruait un trou dans la muraille. Dallith sêy engouffra en titubant, suivie par Dane, qui avait de nouveau pris Rianna dans ses bras, puis par Aratak, qui remit le bloc de pierre à sa place derrière lui. Au même moment, le soleil disparut derrière lêhorizon.

Aratak se laissa tomber par terre, tout essoufflé: î Le coucher du soleil... Regardez, ils sêen vont!

î Cêest ce qui sêappelle être sauvé par le gong! fit Dane.

î Je suis surprise, murmura Daliith. Jêaurais cru quêils nous suivraient.

Si près du but !...

Dane était étonné lui aussi: les Chasseurs paraissaient trop près pour ne pas les attaquer, coucher du soleil ou pas. Alors il se pencha sur Rianna, sêattendant à la voir morte. Mais elle respirait. Il examina ses blessures.

Elle gémit quand il lui toucha lêépaule. Son bras était complètement inerte, et il craignait quêil ne f˚t cassé. Le sang sur sa tunique provenait dêune vilaine entaille qui partait de la fesse et descendait le long de la cuisse: la blessure était profonde, mais, en lêexaminant de plus près, seule la chair semblait avoir été entamée finalement, car le sang sêétait déjà coagulé.

Aratak déchira sa tunique en lanières, et souligna que ce vêtement lui était moins indispensable quêà ses compagnons. II banda la cuisse de Rianna et lui examina le bras.

î

Un tendon de lêépaule a été endommagé, dit-il. Elle ne pourra pas sêen servir pendant un certain temps. Mais mieux vaut quêelle ait été

atteint au bras quêà la jambe; au moins, elle peut encore marcher.

Dallith partit chercher de lêeau et leur signala en revenant quêil y avait, pas loin, ce qui avait d˚ être une fontaine autrefois. Ils transportèrent Rianna jusque-là en profitant des dernières lueurs du crépuscule, puis ils lêétendirent sur sa cape et celle dêAratak. Ensuite ils sêassirent sur le bord de la mare pour se reposer et manger un peu de leurs provisions.

î

Nous sommes en s˚reté jusquêà minuit, dit Dane, mais à partir de là

rien ne les empêchera de franchir le mur pour venir nous attaquer. Le contraire me surprendrait fort.

î

Cela ne mêétonnerait pas outre mesure, confirma Aratak dêun air songeur. Nêoubliez pas la très grande valeur quêils attachent au courage et à lêintelligence. Nous devons certainement représenter à leurs yeux quelque chose de spécial et, ne serait-ce quêà cause de cela, ils respecteront à

fond la règle du jeu. Songez aussi quêils doivent être persuadés dêavoir tué Rianna.

î

Nous non plus, nous nêavons pas été inefficaces dans ce domaine, dit Dane. Du moins si ces maudites créatures sont mortelles. Ou alors...

ressusciteraient-elles, par hasard? Jêai cru reconnaître exactement le même Proto-arachnéen dans le groupe qui nous poursuivait. A moins que ce ne soit son frère jumeau.

î

Nous ne pouvons exclure aucune possibilité, dit Aratak. Ils ne correspondent à aucune forme de vie que je connaisse.

Dane réfléchit à ce phénomène. Il avait tué un Chasseur qui ressemblait à

un Mekhar, et la créature sêétait enfuie avec un énorme trou dans la gorge.

Ils avaient d˚ décapiter le Proto-arachnéen pour réussir à le tuer.

î

Vous disiez quêils étaient de plusieurs espèces, reprit-il. Les Chasseurs auraient-ils acquis la faculté de régénérer toute partie du corps endommagée?

Aratak prit un air sombre:

î

Peut-être cette lune sur laquelle nous nous trouvons est-elle le terrain propice pour cela. Les Salamandres ont une légende qui veut que quelque part se trouve un endroit aux vertus extraordinaires o˘ chaque bon chasseur se retrouve après la mort pour livrer une bataille éternelle: ils combattent tout le jour, puis se reposent la nuit pour laisser à leurs blessures le temps de guérir et pouvoir ainsi reprendre le combat le lendemain. Inutile de vous dire que ce nêest pas lêidée que je me fais personnellement du ciel, mais les Salamandres semblent sêen satisfaire.

î

Nous avons une légende similaire, dit Dane. Nous appelons le lieu en question Valhalla. Mais je refuse de croire que tous les héros de la Galaxie viennent ici après leur mort pour se livrer aux plaisirs du combat à travers lêéternité!

î

Aussi difficile à croire que ce soit, il semblerait pourtant que nous soyons confrontés à une situation de ce genre. Peut-être tout cela est-il simplement d˚ à un phénomène dêhypnotisme: les Chasseurs ne seraient quêune seule et même espèce, mais ils seraient capables dêagir sur notre esprit de façon à nous apparaître sous la forme que nous redoutons le plus.

î

Je ne crois pas, intervint Dallith. Pourquoi, si tel était le cas, nous apparaîtraient-ils sous des aspects différents ? Cliff-Climber nêavait nullement peur du Mekhar

î

il se réjouissait même de le rencontrer. Mais lêautre a pris cette forme pour le tromper!

î

Vous donnez lêimpression de penser que ces créatures changent de forme.

î

Je ne peux pas le prouver, bien s˚r. î Elle finit le fruit quêelle était en train de manger et rejeta le noyau. îMais je le crois sérieusement, en effet.

î

Peut-être est-il impossible de les tuer, dit Aratak. Peut-être le jeu consiste-t-il simplement pour nous à tenir le coup jusquêà ce que lêEclipse vienne nous délivrer. Si nous, nous sommes toujours en vie, alors nous avons gagné la partie.

î

Non, il est possible de les envoyer ad patres, dit Dane. Rappelez-vous ce quêils disaient à la fête, sur la planète: Dix-neuf ont rejoint leurs illustres ancêtres... Ils ne sont pas faciles à tuer, certes, mais je suis s˚r que le dernier que nous avons combattu est mort.

î

quand ils nous poursuivaient, hasarda Dallith en hésitant, jêavais lêimpression quêune terrible catastrophe avait été évitée î pour eux, je veux dire. Plus exactement, quêils avaient très peur de quelque chose que nous étions susceptibles de leur faire...

î

Si seulement nous pouvions savoir ce que cêest! fit Dane, morose.

Je donnerais cher pour cela!

A ce moment-là, Rianna gémit doucement en ouvrant les yeux et essaya de sêasseoir. Dallith sêempressa auprès dêelle: î

Ne bougez pas. Tout ira bien, mais essayez de vous reposer tant que vous le pouvez.

La voix de Rianna avait une résonance rauque et légèrement étouffée: î

Jêétais persuadée que vous étiez tous morts et que jêallais me réveiller seule avec vos cadavres autour de moi... que sêest-il passé?

Avez-vous tué cette affreuse créature?

Ils lui racontèrent la fin du combat, leur fuite. Elle promena son regard sur les ruines plongées dans lêombre, puis sur la Planète des Chasseurs en train de se lever au-dessus dêeux.

î

Moi qui voulais visiter cette cité, fit-elle, maintenant que jêy suis, je ne suis pas en mesure de lêexplorer. Pas de chance ! î Avec précaution elle essaya de bouger son bras et sa jambe. î Jêai lêimpression de ne pas mêen être trop mal tirée finalement. Mais je meurs de soif! Jêai entendu de lêeau couler: est-ce que je pourrais boire?

A minuit il ne leur restait aucune chance de sortir de la ville: la jambe de Rianna avait tellement enflé quêil était exclu quêelle puisse marcher.

Elle avait manifestement de la fièvre, et Dane craignait que sa plaie ne se f˚t infectée. Bref, il nêétait pas question de bouger pour le moment. Ils pouvaient, bien s˚r, la porter une partie du chemin, mais oertainement pas jusquêà une zone neutralisée. En outre, sêils étaient attaqués î y compris dès quêils mettraient le pied en dehors de la ville î il leur serait impossible de se défendre et de défendre Rianna en même temps.

Dane emmena discrètement Aratak un peu à lêécart et lui confia que la situation se présentait plutôt mal. Le grand saurien hocha la tête. Il sêétait débarrassé de la boue sèche dont il sêétait enduit le corps, et, dans le noir, son cou luisait de nouveau, risquant naturellement de les faire repérer. Mais, après tout, sêil y avait des Chasseurs dans les parages, ils le seraient de toute façon, même sans cette luminescence.

Mieux valait au contraire, au point o˘ ils en étaient., sacrifier une aléatoire discrétion à la bonne forme physique de lêhomme-lézard. Leur vie à tous en dépendait peut-être.

Ils restèrent près de la fontaine en ruine jusquêà lêaube. Dane dormit peu, mais força Aratak à se reposer au maximum. Alors que Dallith voulait veiller avec lui, il la renvoya gentiment mais fermement auprès de Rianna, qui avait besoin de chaleur. Il songea à changer le pansement de fortune de la blessée, craignant que les bandes maculées de boue de la tunique ne fussent une cause dêinfection

supplémentaîre; mats L)allith sêy opposa, car, selon elle, une chose dont on pouvait être s˚r, cêétait quêaucune bactérie se trouvant dans le vêtement dêAratak ne risquait de contaminer Rianna; les infections ne se transmettaient pas dêune espèce biologique à une autre. Aratak nêétait même pas un être à sang chaud, de sorte que tout germe pathogène qui, chez lui, entraînerait une maladie, était très probablement sans aucun effet sur le sang dêun Proto-simien. Il nêen allait évidemment pas de même entre Dallith, Dane et Rianna.

Pendant que ses compagnons dormaient, Dane sêadossa àla fontaine et contempla lêétrange planète qui brillait là-haut, en plein milieu du ciel, dont elle paraissait occuper un bon quart. …trange, oui, étrange quand il songeait quêil y a encore trois mois il naviguait paisiblement sur le Seadrift, seul et content de lêêtre. A cette époque-là, il ne tenait en fait à aucun autre être humain sur Terre. Et aujourdêhui quêil était à

lêautre bout de lêunivers, son destin était lié àdeux femmes, qui sêen étaient remises à lui, et à un ami très cher, de son propre sexe, mais pas un homme î un Proto-saurien de trois mètres de haut!

En regardant la planète rouge décroître dans les premières lueurs de lêaube, il songea au temps qui sêécoulait, sur la Terre, entre deux nouvelles lunes. Ici, le mois était plus court, mais tiendraient-ils encore trois, voire quatre jours ? Ils avaient suffisamment de vivres î ils avaient fait une brève incursion dans une zone neutralisée, deux ou trois jours auparavant î pour aller jusquêau bout de la Chasse. (Il lui était déjà arrivé de passer cinq ou six jours sans manger au cours dêescalades en montagne.) ils avaient aussi pratiquement toute lêeau quêils voulaient.

Mais parviendraient-ils à se cacher jusquêà ce que Rianna f˚t de nouveau en mesure de marcher?

quêils le puissent ou non, il le fallait bien pourtant!

Aussi, lorsque le jour se leva, il laissa les deux jeunes femmes dormir jusquêà ce que le soleil f˚t relativement haut dans le ciel, car tout semblait calme. Puis il demanda àAratak de transporter Rianna dans lêun des b‚timents les plus grands, o˘ Dallith lui tiendrait compagnie. Vers le soir, au moment o˘ les risques dêune attaque étaient les plus forts, peut-être Dallith pourrait-elle monter sur le ton pour surveiller les alentours et repousser les éventuels assaillants avec sa fronde.

Pendant ce temps, Aratak et lui patrouilleraient à tour de rôle.

Le b‚timent o˘ ils installèrent Rianna, très vaste, devait être un ancien amphithé‚tre, avec des rangées dêimmenses colonnes faites dans une curieuse brique rouge et des vestiges de lits et de plates-formes en pierre disséminés un peu partout. Chaque construction de pierre présentait un étrange creux circulaire au milieu, et Dane se demanda quel type dêêtres avait bien pu les concevoir. Peut-être Rianna le savait-elle, mais elle nêétait pas en état de fournir des explications pour lêinstant. Cette constatation sur lêarchitecture qui lêentourait lêamena de nouveau à

sêinterroger sur les Chasseurs; ils nêavaient pas beaucoup avancé, à ceci près que lêexpérience semblait prouver une chose peu réjouissante: un Chasseur pouvait ressembler à nêimporte quoi!

Dans le doute, cêest probablement un Chasseur, alors tue-le! Tel devait être leur mot dêordre sêils voulaient survivre, et tant pis si, malheureusement, ils tuaient une innocente Proie...

Au cours de la matinée il dormit une heure ou deux après que Dallith lui eut assuré que la ville était calme et quêelle nêéprouvait aucune sensation insolite révélant leur présence. Il nêosait pas songer quêils étaient en sécurité dans cet endroit, que cêétait peut-être un lieu tabou pour les Chasseurs, un abri non balisé dans ce sinistre jeu de cache-cache.

Plus tard, il sortit pour aller jeter un coup dêoeil depuis la muraille: si les Chasseurs approchaient de là, il devrait les voir arriver. Confiant les deux jeunes femmes à Aratak, il contourna prudemment la fontaine et suivit une longue rue très large entre des maisons en ruine.

Le plus étrange à ses yeux était justement le caractère banal de cette ville. Elle ne lui semblait pas plus surprenante que certains sites anciens quêil avait pu voir sur Terre. La seule différence, en fait, cêétait que, sur Terre il sêagissait dêun décalage de temps, et ici dêun décalage dêespace. Mais cêétaient bien des maisons, incontesta blement, quêil avait devant les yeux, et quels que fussent úux qui les avaient construites: Proto-simiens, Protofélins, Proto-sauriens ou de quelque espèce quêils fussent, cêétaient des gens qui avaient vécu, souffert, été heureux et étaient finalement morts. La nature humaine, ce quêAratak appelait lêUniverselle Sapience, ne changeait jamais...

II sêaperçut tout à coup quêil avait inconsciemment porté la main à son sabre. quel bruit avait pu ainsi, sans même quêil sêen rende compte, le mettre en alerte ? Oui, à présent il lêentendait plus distinctement.

Cêétait feutré, comme la course dêun chat entre les pierres.

Alors quelque chose de sombre surgit à la limite de son champ de vision et se précipita sur lui par-derrière. Mais il avait déjà sorti son sabre et, pivotant sur ses talons, il en assena un coup terrible sans même réfléchir.

Alors seulement il vit sêaffaisser, mortellement atteint, un Mekhar qui, après une ultime convulsion, resta sans vie à terre.

Remettant son sabre dans son fourreau, Dane regarda sa victime avec un certain regret. Ce nêest certainement pas un Chasseur, ils ne meurent pas si facilement.

Mais il était évident que le Mekhar était pourchassé, et celui qui le poursuivait ne se gênerait pas pour changer de proie et tuer Dane à la place. Peut-être même les Chasseurs en avaient-ils déjà après lui et nêavaient-ils débusqué le Mekhar que par hasard.

A moins encore que le pauvre diable nêait cru que cette cité était un bon endroit pour se cacher et que, entendant Dane, il lêait pris pour un chasseur. quoi quêil en soit, si les Chasseurs sont ici, nous ferions mieux de trouver un endroit plus s˚r que la maison o˘ jêai laissé les autres.

Il rebroussait chemin lorsquêil entendit, comme il le redoutait inconsciemment, le hurlement aigu poussé par Dallith.

Il se mit à courir. Le bruit de ses pas résonnait sur la rue pavée, et par moments il était obligé de ralentir à cause des pierres éventrées. Il déboucha, sabre au clair, sur la place de la fontaine et la vit. Et il vit aussi, à lêautre bout de la fontaine, là o˘ coulait doucement lêeau, un homme, vêtu comme lui dêune tunique rouge, et qui chancelait, le visage couvert de sang. Lêhomme sêeffondra. Mais Dane sêinquiéta dêabord pour Dallith.

Elle était là, le visage figé dans une expression dêhorreur, sa fronde pendant mollement le long de sa jambe. Puis, lorsquêelle vit Dane, elle poussa un cri de soulagement et se jeta dans ses bras en pleurant.

î

Ce nêétait pas vous... Oh! Dane! Dane ! jêai eu si peur de vous avoir tué vous aussi !...

II

arrivait à peine à comprendre ú quêelle disait à travers les sanglots nerveux qui secouaient tout son corps. Il la serrait contre lui, mais, dêun seul coup, il lêécarta violemment en entendant un bruit et pivota sur lui-même, le sabre brandi, pour faire face à ce nouveau danger.

Mais ú nêétait quêAratak, qui venait de faire son apparition sur la place, le gourdin levé, avec, à côté de lui, Rianna qui boitait en sêappuyant sur la lance de lêhomme-araignée.

Dane reporta alors son attention sur Dallith. Il était inquiet. Si elle se met à craquer, nous sommes cuits. Elle n èavait pas pleuré jusque-là...

La crise nerveuse de la jeune fille finit par se calmer un peu et ses sanglots laissèrent filtrer des mots plus cohérents: î

Jêétais venue ici chercher de lêeau pour nettoyer la plaie de Rianna. Elle voulait venir avec moi, mais je lui ai dit quêavec ma fronde je mêen sortirai mieux seule. Je mêapprochais de la fontaine quand je vous ai vu, Dane. Oh! lêespace dêune seconde, bien s˚r: je savais que ce nêétait pas vraiment vous, que cêétait... le monstre qui a tué Ciiff-Climber. Et quêil avait lêintention de me faire tomber dans le même piège que lui.

Seulement... seulement, je nêavais pas peur. Jêéprouvais le même sentiment que lui! Vous comprenez cela ? Il était là, essayant de distraire mon attention pour pouvoir me tuer, et jêétais moi-même en train dêimaginer comment jêallais le faire tomber à mon tour dans le piège quêil me tendait.

Je me sentais si forte... et si

cruelle î Elle frissonna à lêévocation de ce souvenir.

î Je lui ai fait un geste de la main en souriant, exactement comme si cêétait vous, tout en me tournant le plus discrètement possible pour charger ma fronde sans quêil me voie. Alors je lui ai fait signe de sêapprocher et... et quand il est arrivé exactement à lêendroit o˘ je voulais quêil soit, o˘ jêétais s˚re de lêatteindre, je lêai touché en plein entre les

yeux ! î Lêexpression dêhorreur sêamplifia sur son visage.

î

Il a vu la fronde, bien s˚r, à la dernière seconde, alors quêil était trop tard. Et cêest justement cela le plus terrible: je voulais quêil la voie! Je voulais quêil se rende compte que jêavais été

plus astucieuse, plus intelligente et encore plus sournoise que lui, donc plus forte et que... jêavais gagné, et... et jêen étais fière!

Elle se blottit presque désespérément contre Dane et ses sanglots redoublèrent:

î Oh ! Dane! comme je déteste ces gens ! Je ne veux plus me trouver impliquée dans de telles situations, penser ce que jêai pensé, ressentir ce que jêai ressenti... Ce nêest pas simplement le fait quêils veuillent me tuer; ça, je peux le supporter. Les Mekhars étaient féroces, sauvages, mais cêétait.., comment dire ?... cêétait franc comparé à ceci; Cliff-Climber, lui, jêétais presque arrivée à lêaimer vers la fin, parce quêil combattait franchement, honnêtement. Il nêaurait jamais, jamais fait une chose pareille... Il aurait trouvé ça l‚che et indigne...

De nouveau, les sanglots couvrirent ses paroles. Dane entendit un peu plus loin la voix dêAratak qui sêadressait àlui:

î Dane, je voudrais vous montrer quelque chose.., que Dallith ne doit pas voir...

Et Dane perçut alors clairement un bruit dêétoffe qui se déchire.

Mais Dallith avait manifestement entendu Aratak. Ses sanglots diminuèrent, et elle reprit dêune voix étouffée:

î Après que... que cette créature fut morte, tout sêest dissipé: je ne ressentais plus rien. Cêest à ú moment-là que jêai crié. Parce que jêai eu peur quêune... quêune chose sans corps soit entrée dans le vôtre, se soit emparé de votre esprit et quêen la tuant je vous aie tué. Jêen serais morte!

Et Dane comprit quêelle disait la vérité.

î Je vais mêoccuper dêelle, Dane, fit Rianna avec sollicitude.

Doucement, elle obligea Dallith à rel‚cher son étreinte et lêentraîna vers le b‚timent qui leur servait dêabri. Dane se dirigea alors vers Aratak qui contemplait le cadavre du Chasseur.

La créature avait bien eu lêapparenú dêun homme, celle de Dane. Mais à

présent, en regardant plus attentivement úqui gisait sur la pierre, sous la tunique quêAratak avait déchirée, Dane comprit dêun seul coup le secret des Chasseurs.

La chose était de forme vaguement globulaire. A la place de ce qui avait été des bras et des jambes, on pouvait voir des espèces de bourgeons, comme des extrémités de tentacules, qui se rétractaient rapidement et nêavaient déjà plus rien dêhumain. La tête consistait en un cr‚ne arrondi, que la pierre de Dallith avait complètement ouvert, et le plus horrible était que les cheveux et les traits de Dane tenaient encore comme une mince peau sur le devant du cerveau gris écrasé. Mais ils se rétrécirent petit à petit sous ses yeux et il nêy eut plus bientôt que le cr‚ne fracassé avec ses effrayantes orbites noires toutes plates aveuglément braquées vers le ciel.

Enfin, relié à la tête par une sorte de tige qui sêétiolait elle aussi à

vue dêoeil, un autre globe, de chair presque transparente, qui battait comme un coeur, mais de plus en plus lentement. A travers la membrane qui recouvrait la créature, on distinguait de gros vaisseaux sanguins et des organes dêune couleur étrange.

Dane laissa échapper un sifflement entre ses lèvres. Aratak avait évidemment arraché la tunique pour observer le processus qui faisait retourner le Chasseur une fois mort à ce qui devait être sa forme originelle.

Ainsi ils nêutilisaient pas lêhypnotisme. Ils ne revenaient pas à la vie après avoir été tués et nêinvestissaient pas le corps de leurs ennemis morts. Avec ce genre dêorganes, ils étaient effectivement difficiles à

tuer, mais une fois quêils lêavaient été, ils étaient bien morts. A condition naturellement de toucher un centre vital î le cerveau, tout ce système interne qui battait comme un coeur et devait précisément tenir lieu de coeur et de poumons. Si on se contentait dêendommager les organes externes, différenciables, alors la chose était capable de reconstituer sa forme originelle.

Il aurait d˚ sêen douter en voyant ce genre de créature sêenfuir avec un bras coupé et la gorge ouverte. Le Protoarachnéen pouvait encore se servir de ses pattes coupées,

mais à partir du moment o˘ Dallith avait réussi a atteindre sa tête, il était mort, et seule lêarrivée de renforts les avaient empêchés dêassister à la transformation de son corps, comme pour celui-ci.

Ils avaient donc sérieusement blessé un Chasseur et en avaient tué au moins deux. Et, connaissant maintenant leurs points faibles, ils avaient des chances accrues dêen tuer dê autres.

Et pourtant... le Chasseur n èest jamais vu, sauf par la Proie quêil est en train de tuer... Aucune rumeur nêavait circulé selon laquelle les Chasseurs changeaient dêapparence. Ou alors, peut-être les seuls survivants de la Chasse étaient-ils ceux qui nêavaient jamais rencontré de Chasseur mais sêétaient cachés ou avaient tué dêautres Proies.

Alors, maintenant, les Chasseurs allaient-ils les laisser vivre tous les quatre au risque de les voir plus tard révéler la vérité?

Et sêils avaient une conscience de groupe comme les Servants quêils avaient programmés? Peut-être eux-mêmes nêavaient-ils aucune notion de lêindividualité; ce que lêun savait, peut-être les autres le savaient-ils aussi. Et si lêun dêeux sêapercevait que lêon connaissait maintenant leur secret... Nous allons être les cibles privilégiées de tous les Chasseurs de la Lune Rouge...

Il

fit part de sa thèse à Aratak, mais lêhomme-lézard se contenta de répondre:

î

Pourquoi sêinquiéter inutilement? Nous ne sommes pas s˚rs quêils aient une conscience de groupe. Et, si cêétait le cas, comment expliquer quêils aient un tel sens aigu, individualiste, du triomphe dans la Chasse ?

Souvenez-vous de ce que Dallith vous a dit.

Il

avait sans doute raison, mais Dane nêétait pourtant pas convaincu.

Les guêpes et les abeilles piquent individuellement, ce qui nêempêche pas dêavoir une conscience de groupe. II est vrai que les guêpes et les abeilles ne sont pas śapientes ª, or, pour Aratak, la sapience reposait essentiellement sur une notion dêindividualité. Rien ne permettait à priori de rejeter sa théorie. Et les Chasseurs étaient certainement sapients.

Aratak a raison: pourquoi sêinquiéter inutilement ? Nous avons déjà assez de préoccupations immédiates comme ça.

L)ane demanda à Rianna si elle pensait pouvoir marcher: î

Il faut absolument que nous sortions de la cité avant quêils nous sautent tous dessus. Car ils savent certainement que nous sommes ici, sinon comment auraient-ils pris mon apparence? Et nous ne pouvons pas rester dans ce piège àrats.

Rianna était encore très pale, mais son expression était déterminée: î

Je ferai tout ce que je pourrai, je vous Je promets.

H leur restait encore un tout petit peu de nourriture. A ce sujet, Aratak pensait quêils devraient pouvoir se réapprovisionner ce soir dans une zone neutre.

î

Nous verrons bien, fit Dane en nouant sa cape autour de ses épaules. Je nêai pas tellement confiance en la parole des Servants. Et eux ont une conscience de groupe, pour le coup: donc ce que sait lêun, toute lêéquipe le sait. Et qui nous dit quêils ne renseignent pas les Chasseurs sur tous les faits et gestes des Proies?

î

Cela ne correspondrait pas à leur code de lêhonneur, il me semble, fit observer Rianna.

î

Sommes-nous tellement s˚rs quêils aient seulement un code de lêhonneur! répliqua Dane sur un ton sec. Allons-y, ne perdons pas de temps.

Ils se dirigèrent en silence vers lêentrée de la ville.

î

Dallith, fit Dane, allez jeter un coup dêoeil et dites-nous si vous sentez venir quelque chose.

Alors elle se retourna vivement vers lui, son visage tendu exprimant cette fois la révolte:

î

Non! Je ne le ferai pas, je ne peux pas. Je ne peux plus le supporter! Je ne peux plus supporter le contact de ces... de ces choses!

Dane comprenait son angoisse, mais il ne pouvait pas se permettre de céder à la pitié car ce serait catastrophique pour tous. Il sêavança vers elle et plongea dans ses yeux un regard de pierre:

î

Vous voulez vivre, nêest-ce pas?

La voix de Dallith avait pris une intonation curieusement morne, presque mécanique:

î

Je nêy tiens pas particulièrement. Mais vous, je veux que vous viviez î vous tous. Entendu, Dane, je ferai ú

que je pourrai. Mais si je mêapproche trop près dêeux, si je deviens une partie dêeux, je pourrais malheureusement vous conduire... non pas loin dêeux, mais droit entre leurs mains...

Dane ne put réprimer une gnmace. Il nêavait jamais pensé à cela: au fait quêelle serait capable dêassimiler non seulement la peur des Proies, mais aussi la sournoiserie des Chasseurs! II posa doucement sa main sur son épaule:

î Faites ce que vous pensez être le mieux. Mais essayez de nous prévenir ne serait-ce que quelques secondes avant que nous soyons attaqués. î Se retournant vers les autres: Allons-y.

Et ils reprirent leur route pour sortir de la ville. En arrivant sur la place de la fontaine, Dane sentit un picotement sur toute sa peau. Il savait, il savait que quelquêun était là, en train de les observer...

Lêattaque, quand elle se produisit, fut si soudaine et si confuse que Dane nêeut à ce moment-là quêune série dêimpressions confuses dans la tête: plusieurs formes noires qui les environnèrent subitement. Dallith hurlant comme une démente, Rianna chancelant en amère et se tenant de toutes ses forces a sa lance pour pouvoir saisir son couteau de sa main valide, lêenorme gourdin dêAratak sêabattant. Lui-même taillait déjà dans tous les sens avec son sabre, sentant la lame sêenfoncer dans une chose informe qui cracha un flot de sang et sêaffaissa à terre. Dallith prit la lance qui venait de tomber de la main de Rianna et transperça le thorax dêune autre créature. A un moment donné, Dane vit Rianna courir se réfugier àlêombre dêun b‚timent. A un autre moment, il se retrouva étendu par terre en train de repousser avec son sabre quelque chose qui cachait la lumière.

Et puis il eut la vision de formes sans vie en train de se résorber sur le sol, coupées en morceaux. Les Chasseurs avaient disparu.

Mais Rianna aussi...

ils la cherchèrent partout à travers la ville en ruine. Oubliant toute prudence, ils criaient son nom en fouillant chaque recoin, chaque maison, pour ne trouver que passages sans issue, lieux silencieux et déserts.

Aucune trace de Rianna. Et le crépuscule tomba. Dane se souvint vaguement quêils avaient prévu de rallier une zone neutre vers cette heure-ci, mais ça nêavait plus dêimportance maintenant. Ils finirent leurs dernières provisions tout en continuant à chercher et se reposèrent quelques heures avant le lever de la lune-planète. Mais Dane nêarrivait pas à trouver le sommeil, car il brassait des pensées amères.

Il avait espéré mener tout son petit groupe vers le salut, mais il avait déjà perdu Cliff-Climber et maintenant Rianna. Dallith était blottie contre lui, et il savait quêelle partageait son abattement comme si elle lêéprouvait elle-même. Pourtant il sêaccrochait au fait quêon nêavait pas retrouvé le corps de Rianna, ni même la moindre trace de sang. Mais o˘

peut-elle aller ainsi, seule, blessée, sans rien à boire ou à manger? Peut-

être est-elle mourante en ce moment même, mourante et abandonnée alors que nous sommes ici en train dêattendre... Finalement, comme il ne parvenait pas à donnir et que Dallith et Aratak sêétaient un peu reposés de leur côté, il proposa de reprendre les recherches. La Planète des Chasseurs irradiait pleinement sa lumière.

Ce serait le bon moment pour nous attaquer sêils voulaient!

Lorsque le soleil se leva, baignant les ruines dêune lumière plus vive, Aratak sêarrêta:

î

Dane, mon très cher ami, nous ne pouvons pas fouiller chaque maison de cette cité. Si elle avait pu nous entendre, elle nous aurait déjà

répondu; si elle pouvait marcher, elle nous aurait rejoints. Dallith dit quêelle ne sent la présence de Rianna nulle part. Je crains que nous ne devions nous rendre à lêévidence: Rianna est morte, et nous ne pouvons plus rien pour les morts. Il nous faut ménager nos forces pour nous-mêmes à

présent.

î

Je ne peux pas renoncer comme cela, dit Dane, lêair accablé. Nous devons tous vivre ou alors mourir tous ensemble!

Le visage de Dallith était inondé de larmes. Aratak sêapprocha de ses deux compagnons et, tel un adulte protégeant deux enfants, il passa ses deux énormes bras autour de leurs épaules, mettant dans sa voix grondante autant de douceur que possible:

î

Croyez-moi, je partage votre peine. Mais Rianna voudrait-elle que vous mouriez si elle vous voyait?

î

Non, fit Dallith en sêessuyant les yeux, Rianna me dirait de vivre pour veiller sur vous deux. Vous avez raison, Aratak, partons.

Déchiré, Dane dut prendre sur lui-même pour accepter de les suivre. Rianna était peut-être morte, mais Dallith était vivante, elle, et avait besoin de sa protection.

î

Ne repassons pas par la place de la fontaine, suggéra-t-il.

Essayons de trouver un autre passage dans la muraille.

Aratak hésita:

î

Cela implique que nous descendions par cette grande falaise...

î

Tant mieux, en un sens: cêest trop abrupt pour que nous risquions dêêtre pris par surprise, quêils viennent dêen bas ou dêen haut.

En fait, le soleil qui brillait sur la ville en ruine ne révélait aucune forme vivante sur la pente. Nous devons en avoir tué quatre la nuit dernière. Je me demande combien de Proies ont pu accrocher six Chasseurs à

leur tableau de chasse ? Lors de la dernière Chasse, ils étaient quarante-sept Chasseurs et quatre-vingts ou quatre-vingt-dix Proies.

Dix-neuf Chasseurs ont été tués et il nêy a eu qu èun seul survivant parmi les Proies. Nous ne nous en sortons pas si mal! Mais ils ont dit quêils avaient plus de mal à venir àbout de ceux qui étaient considérés comme dangereu.t Ils en ont pour leur argent avec nous!

Dane se dit que peut-être, en cette époque dêUniverselle Sapience avec tout ce que ça impliquait, un barbare issu dêune planète dont lêhistoire était jalonnée de guerres avait de meilleures chances. Les Chasseurs prétendaient rechercher avant tout un beau combat, pas un massacre collectif. Mais une race capable de prendre nêimporte quelle apparence devait avoir du mal à

trouver des Proies assez féroces pour rivaliser utilement avec elle...

Peut-être, il y a quelques centaines dêannées, y avait-il davantage de combattants dans la Galaxie. Leurs descendants semblaient être aujourdêhui les Mekhars et les hommes-araignées, mais cêétait à peu près tout ce qui méritait le nom de combattant. Sans son aide, Dallith et Rianna auraient sans doute été tuées tout de suite. Dane les avait organisées. Oui, mais on pouvait dire également que, sans son aide, tous les autres auraient peut-

être coulé des jours paisibles après avoir été vendus sur le marché aux esclaves de Gorbahl; et Dallith serait morte, elle, tout aussi paisiblement...

Peut-être aurait-ce été mieux sans notre intervention. Enfin, ce qui est fait est fait...

Au pied de la grande colline, o˘ les rochers disséminés un peu partout semblaient se dresser comme de gigantesques têtes, Dane leur fit signe de faire tout particulièrement attention: cêétait lêendroit idéal pour une embuscade. Lui-même jeta un dernier regard par-dessus son épaule en direction de la cité en ruine. Cette cité que Rianna voulait visiter et qui lui servait désormais de dernière demeure.

Cêest alors que son oeil eut la vision dêune silhouette humaine: silhouette solitaire, petite, mince et en même temps robuste, la tête nimbée de boucles rousses. Le chagrin et la rage de Dane se muèrent instantanément en fureur et il se rua sauvagement, sabre au clair, en direction de cette apparition, bien décidé à embrocher ce Chasseur sournois qui avait pris lêapparence de Rianna, comme un autre avait déjà pris la sienne aux yeux de Dallith. Au moment o˘ il arrivait sur sa cible, le hurlement de Dallith le fit tressaillir:

î

Liane! Non! non! Cêest Kianna! Cêest Rianna! Cêest vraiment Rianna !...

Emporté par son élan, il eut juste le temps de se déporter sur le côté.

Haletant, il baissa son sabre et regarda Rianna avec un mélange de méfiance et dêeffarement.

î

Oui, cêest vraiment moi, fit Rianna dêune voix rauque. Ne me tuez pas, Dane.

Il

fut convaincu. Jamais il nêavait entendu un Chasseur proférer la moindre parole, en dehors de ce cri dêagonie caractéristique. Dallith les rejoignit en courant et serra la jeune femme dans ses bras.

î

Je croyais que nous vous avions perdue pour de bon, fit-elle dêune voix brisée par lêémotion.

î

Moi aussi, dit Rianna. Jêétais persuadée que vous étiez partis avant minuit; jêespérais seulement vous retrouver dans lêune des zones neutres...

Dane était impatient de savoir:

î

Mais que sêest-il passé? que sêest-il passé?

Cêest trop beau pour être vrai, oui~ trop beau... Mais ne posons pas de questions, acceptons la réalité présente, ce fantastique don du hasard.

Cêétait réellement Rianna, Rianna qui leur était revenue contre tout espoir.

î

Je vous raconterai, répondit Rianna, mais marchons. Je crois quêil nêy a pas beaucoup de Chasseurs par ici, mais par contre cet endroit a quelque chose dêamusant...

Ils reprirent leur chemin dans la plaine parsemée de rochers, de lêautre côté de la crevasse o˘ ils sêétaient battus contre lêhomme-araignée.

Dallith assurait toujours sa surveillance à lêarrière, mais ils restaient à

présent groupés pour ne pas laisser Rianna un seul moment isolée.

î

Je me suis précipitée dans cette maison, expliqua-t-elle. Jêai entendu lêun dêeux qui me poursuivait. Je me suis retournée pour lêattendre de pied ferme, mais je nêy voyais rien: je me trouvais dans un endroit o˘

la lumière du jour ne pénétrait absolument plus. Alors, jêai erré dans le noir, essayant de retrouver mon chemin pour sortir, et cêest là que jêai rencontré ces gens...

î

quels gens, Rianna? qui avez-vous rencontré?

î

Je ne sais pas, je ne les ai jamais vus très distinctement. î A lêévocation de ce souvenir, elle avait pris une expression intnguée. î Ce ne pouvait pas être des Chasseurs. Tout de suite, ils mêont fait comprendre quêils ne me voulaient pas de mal î je vous ai dit que jêavais appris les techniques de communication non verbale pour les peuples qui nêont pas de disque transiateur. Ils mêont donné àmanger î ce nêétait pas très bon : on aurait dit une sorte de champignon, mais ils avaient lêair de savoir ce que je pouvais manger sans dommage pour mon organisme. Ils ont nettoyé mes blessures, refait mes pansements, et mêont remis le bras î il nêétait pas cassé, mais simplement démis. Regardez. î

Elle leur montra son bras en écharpe, une écharpe faite dêune fibre rouge foncé, qui ne ressemblait pas au tissu de la tunique quêon leur faisait porter. îMais, au mieux, il régnait une semi-obscurité là o˘ je me trouvais, et il y a des kilomètres et des kilomètres de cavernes et de galeries sous ces ruines. Eux î ces gens îne sont pas très nombreux.

Jêimagine que ce sont les anciens habitants de la cité. Mais je crois comprendre pourquoi il y a tant de survivants de la Chasse: ce nêétait manifestement pas la première fois quêils aidaient une Proie.

Elle se tut un moment, semblant sêinterroger de nouveau sur sa découverte, puis reprit:

î

Le matin, ils mêont conduite plus bas, à travers une série de grottes, et je me suis bientôt trouvée devant une issue, un point de sortie au pied de la falaise, bien en dessous de la cité. Mais, là non plus, je nêai pas réussi àvoir comment ils étaient.

Ils poursuivirent leur marche en silence pendant un bon moment, chacun réfléchissant à cette nouvelle donnée qui venait dêintervenir dans le cours de la Chasse. Ces gens ne pouvaient-ils rien pour eux? En fait, il était probable que les Chasseurs avaient déjà failli les exterminer tous à une époque...

î

Sur le satellite de ma planète, commença Aratak de son ton posé, nous avions une civilisation un peu identique à celle des Chasseurs, civilisation qui a failli elle aussi nous exterminer complètement. Mais, en définitive, ils ont appris suffisamment de notre philosophie pour se rendre compte quêil est impossible de nêapplaudir que dêune seule main, et maintenant ils sont nos frères. Lêexemple que nous avons ici me donne une idée de ce quêaurait pu devenir notre planète...

Ils quittèrent bientôt la plaine rocheuse pour se retrouver de nouveau au milieu de collines, entre lesquelles ils coupèrent par des cours dêeau et quelques étendues de broussailles. Pour Dane, la prochaine zone neutre devait se trouver à une dizaine de kilomètres. Sêils nêétaient pas retardés en route par des combats, ils pourraient lêatteindre avant la tombée du jour. Les Chasseurs risquaient évidemment de les attendre aux abords de la zone, puisquêils préféraient attaquer juste avant le coucher du soleil, mais cêétait un risque à courir. Et de toute façon ils nêavaient pas le choix. Peut-être pourraient-ils même tenir jusquêà la même heure du lendemain. Mais quand allait donc venir cette maudite éclipse? Dane essayait de calculer depuis combien de jours ils étaient sur la Lune Rouge, mais il avait pratiquement perdu toute notion du temps. Il additionnait obstinément jours et nuits, pour se retrouver chaque fois avec des chiffres différents. Il se raccrochait alors à quelques points de repère: Voyons, était-ce la nuit o˘ nous avons dormi dans la zone neutre ?... Est-ce arrivé

avant ou après que nous avons perdu Cl~ff.Climber ?... Est-ce le septième ou le neuvième jour que nous nous sommes battus avec lêhonune-araignée ?...

Nous devons être vers le début de lêaprès-midi, et la Planète des Chasseurs nêest pas encore apparue dans le ciel. Cela veut dire quêelle est presque pleine, et quand elle est pleine, cêest lêEclipse. Ce devrait être très bientôt àprésent. Bientôt, mais quan4 mon Dieu ? Peut-être demain soir, ou ,nême... ce soir ?... Dans ce cas, nous pourrions, oui, nous pourrions réussir !...

Si cêétait ce soir... Dane reprit ses calculs, mais au bout dêun moment, il renonça: cêétait inutile, son cerveau, embrumé par la fatigue et la tension nerveuse, était incapable de se concentrer. La seule notion de la Chasse sêimposait à sa conscience, inexorablement, hors du temps...

Le dernier kilomètre est toujours le plus dur. Lorsquêil était à bord du Seadrift, le moment le plus difficile était toujours celui o˘ il arrivait en vue de la côte.

Brusquement il sentit le bras (le L)aItith sur te sien, tandis quêelle lui soufflait:

î

Les Chasseurs ! Sur cette hauteur, là-bas, et derrière, dans les fourrés...

Bon sang! Jêavais justement lêintention de passer par-là! Il hocha la tête: î

Bien. Ne restez pas en contact plus quêil ne faut.

Et il fit signe à Aratak de changer de direction. «a impliquait un long détour, évidemment, mais ils devraient malgré tout pouvoir rallier la zone neutre à la tombée de la nuit. Un tout petit peu après, de préférence : je ne tiens pas tellernetu à ce que nous soyons obligés de combattre pour y accéder.

Au bout dêun moment, Dallith fit un signe de tête. Comprenant quêils sêétaient éloignés des Chasseurs, Dane se détendit un peu.

Seigneur, quand va donc venir cette maudite éclipse!

Rianna marchait avec plus de facilité. De toute évidence, le repos, la nourriture et les soins quêelle avait reçus lui avaient fait beaucoup de bien. Elle avait toujours le bras en écharpe, mais ce nêétait pas celui qui tenait le couteau. Si Dallith pouvait être dans la même forme / Pauvre gosse !...

La zone neutre ne devrait pas être à plus de quatre ou cinq kilomètres après cette crête...

î

Des Chasseurs! chuchota Dallith dêune voix étranglée par lêangoisse. Cêest nous quêils traquent! Oh, Dane! Dane! Ils ont une image de nous... Je lêai vue !...

Il

passa son bras autour de son épaule:

î

Allons, allons, calmez-vous. Libérez-vous tout de suite. Tenez-vous à moi si ça peut vous aider. Venez par ici

maintenant. Descendons...

î

Je crois quêils sont justement en train de nous entraîner dans cette direction, Dane, fit Rianna. Ils essayent de nous prendre au piège dans le creux de oes collines. Regardez... î Elle fit un geste circulaire avec sa lance. î Des collines à droite, des collines à gauche. La zone neutre est par-là, mais ils cherchent naturellement à nous en détourner.

Dane réfléchit un instant à la situation. Les Chasseurs devaient s˚rement savoir quêils formaient un groupe et, tôt

ou tard, ils se grouperaient eux aussi pour les attaquer dans cette passe encaissée.

î

Nous allons t‚cher de les éviter, dit-il, mais si nous devons les affronter, mieux vaut que ce soit avant le coucher du soleil quêaprès minuit. Je ne tiens pas spécialement à me battre dans le noir: la lumière de la planète nêest pas suffisante.

î

Le Divin OEuf nous lêa enseigné, dit Aratak. ´ Mieux vaut voir son ennemi au grand jour. ª

î

Vous, vous serez encore en train de citer le Divin OEuf sur votre lit de mort! fit Dane sur un ton acide.

î

Si jêai la chance dêen avoir un, quel meilleur endroit pour ce faire?

î

Essayons déjà de trouver un endroit pour soutenir un siège éventuel, répliqua Dane.

Tout en les canalisant ainsi, les Chasseurs devaient balayer quelques autres Proies sur leur passage. Dane aperçut en effet une forme qui courait au loin, puis une autre, étrange, qui la poursuivait; suivirent un rugissement de fureur ou de triomphe et un tintement dêépées qui devaient marquer leur affrontement. Lêun des deux adversaires ne bougea plus, probablement mort, et, comme le survivant ne sêenfuyait pas, mais au contraire se fondait tranquillement dans les broussailles, Dane en déduisit quêun autre Chasseur venait de remplir son contrat pour la journée...

î

Dallith, pouvez-vous nous dire sêils nous suivent toujours?

Elle fit un signe affirmatif de la tète. Il pensa : Sêils nous attaquent, elle ne tiendra pas, elle n èen peut plus. Il fallait prendre une décision.

ils sortaient juste des collines tapissés de broussailles quêils avaient traversées tout lêaprès-midi, pour pénétrer dans le fond de la vallée. A gauche il y avait une rivière, dont il était impossible à première vue de déterminer la profondeur, et, en surplomb au-dessus, une falaise sombre dont la paroi était piquée de grottes.

î

Il ne faut pas nous laisser enfermer entre la falaise et la rivière. Nous allons la traverser pour atteindre les broussailles. La zone neutre est dans cette direction. Si nous parvenons à les retenir jusquêà la nuit...

Au même moment, Rianna lui tira le bras en lui designant quelque chose. De lêautre côté de la rivière se tenait une forme de haute taille. Le premier réflexe de Dane fut de penser quêil sêagissait dêun ours, mais Rianna se chargea vite de le détromper:

î

Cêest un Chasseur. Il a pris lêapparence dêun Protoursidé î

probablement a-t-il tué celui que nous avons vu sur le vaisseau.

Dane avait déjà sorti son sabre. DalliLh tenait elle aussi sa fronde à la main, mais la cible était trop loin. Sa voix exprima une inquiétude intriguée:

î

Pourquoi nêattaque-t-il pas? On dirait quêil veut simplement nous empêcher de traverser la rivière...

î

Peut-être a-t-il déjà choisi son terrain, suggéra Dane. A moins quêil nêattende des renforts...

Si nous sommes très près de la fin de cette Chasse comme je le pense, il ne doit plus rester beaucoup de Proies vivantes.., et ils se concentrent tous sur nous maintenant. Un seul survivant la dernière fois... Un seul survivant la dernière fois... Et nous sommes peut-être les derniers survivants en ce moment...

Il

regarda autour de lui. A gauche, la rivière ; derrière, la falaise abritée par un surplomb; et, à droite, une étendue plate, au sol dur, avec des rochers çà et là. Lêesprit de Dane, exercé aux situations dêurgence, sauta à une conclusion: Ce sera notre terrain de combat à nous.

î

Nous attendrons ici, dit-il. Nous sommes tous trop fatigués pour lêinstant. En continuant, nous risquons de nous jeter dans la gueule du loup. Leur but est clair: nous épuiser pour nous achever facilement après.

Si nous restions ici jusquêà ce que celui-ci reçoive des renforts, au moins nous nous serons un peu reposés.

Rianna était réticente:

î

Nous sommes complètement bloqués ici, je nêaime pas du tout ça.

î

Nous le serons encore plus si nous nous laissons entraîner o˘ ils veulent, autrement dit sur un terrain qui leur est plus favorable.

Il

nêaimait pas du tout la façon dont le Chasseur les regardait: elle lui donnait la chair de poule. Serait-il dt~jà

en train de m èimaginer en trophée accroché à son mur?

Peut-être lêai-je déjà affronté sous lêapparence dêun Mekhar... Il nêeut pas besoin du signe de tête affirmatif de Dallith pour comprendre quêil avait vu juste et que úChasseur-ci devait être un chef, si tant est quêil y ait un chef dans la Chasse.

Du moins oette halte leur permettait-elle de reprendre leur souffle. Faute dêun bon repas roboratif, il sêagenouilla au bord de la rivière et but en sêaidant de ses mains. Il éprouvait une sensation de picotement sur la peau, comme sêil sêattendait à recevoir un coup, ou une flèche, mais rien ne vint. Peut-être ne se senêent-ils par dêarcs et de flèches. Peut-être que ce quêils aiment avant tout, cêest sentir une lame sêenfoncer dans un corps. Lêeau de la rivière était fraîche et lui paraissait étonnamment bonne.

Ce soir, si nous atteignons la zone neutre, je demanderai à lêun de ces Servants de me servir un steak ;je verrai bien sa réaction!

Lorsquêil fit part de cette idée à Rianna, la jeune femme sourit amèrement: î Je pensais à la même chose. Ce festin de victoire, si nous arrivons jusque-là, doit paraître terriblement délicieux!

Dallith serrait nerveusement ses mains lêune contre lêautre: î Pourquoi nêattaquent-ils pas? Il est évident que celui-ci.., en meurt dêenvie.

Aratak posa paternellement sa lourde patte sur son épaule: î Du calme, ma chère enfant, du calme. Chaque instant quê ils perdent est un instant de gagné pour nous. Je vous conseille de vous détendre, vous aussi.

Rianna sêétait déjà allongée par terre pour reposer sa jambe, sans l‚cher toutefois sa lance. Dane examina un instant son pansement, mais la jambe nêavait pas lêair trop gonflée et Rianna ne donnait pas de signes de fièvre. De toute façon, ce sera bientôt fini, quel que soit le genre de fin. Mais je me demande sêils ne poussent pas le raffinement jusquêà

attendre les toutes dernières minutes avant lêéclipse pour que nous soyons encore plus à point!

Nous ne pourrons certainement pas leur résister. Cêest lêespoir qui fait le plus mal...

Il sêassit entre Dallith et Rianna, essayant de détendre son corps tout en restant vigilant. quoi quêil nous arrive ,naintenan1, je les aurai aimées toutes les deux. Il ne put sêempêcher de sourire intérieurement: Toujours ces fichues pensées de Proto-simien! Mais son esprit, malgré la fatigue, ou plutôt à cause de la fatigue, avait conservé la même acuité quêau premier matin de la Chasse.

Toute ma vie, jêai cru que je recherchais uniquement lêaventure, mais aujourdêhui, au seuil de la mort, jêai découvert ce que je recherchais vraimenL Ce sont deux réalités impossibles à trouver dans une civilisation terrienne du vingtième siècle beaucoup trop empreinte de matérialisme; les deux seules choses, en fait, auxquelles il vaille la peine dêaspirer: lêamour et la mort. Une fois ces deux réalités appréhendées, on mesure ce quêest la vie. Tout le reste ne sert quêà meubler.

LêAmour:

Rianna et Dallith à ses côtés; et Aratak.

La Mort: ú Chasseur, en face, et tous ses frères sous des formes et apparences différentes. Lêespace dêun instant, comme un rêve fou, il ressentit même de lêamour pour le Chasseur: le Chasseur qui lui avait enseigné la Mort, comme Rianna et Dallith lui avaient enseigné lêAmour.

Mais il savait que ce sentiment furtif nêétait quêillusion, que sa conscience devait reprendre contact avec la réalité, la situation présente, concrète: la falaise, le terrain de combat, les rochers, le manche du sabre dans sa main... Et pourtant, inexplicablement, cêétait comme si cette réalité faisait déjà partie du passé. Le présent, cêétait de nouveau lêAmour et...

Subitement, Dallith jeta ses bras autour de son cou et lêembrassa. Sa bouche, comme tout son visage, était en feu. Il la serra très fort contre lui, mais il sêefforça de parler le plus calmement possible pour ne pas sêabandonner à ce soudain accès de fièvre:

î Allons, calmez-vous. Tout va bien se passer.

Mais, intérieurement, il continuait à se demander: Estelle victime de la même folle illusion elle aussi?

La main de Rianna étreignit plus fort la sienne. Elle respirait plus profondément:

î Dane... sêil arrive quelque chose...

î Non ! Ne dites pas ça ! Ne dites pas ça! Plus tard !...

Au même instant, Dallith poussa un cri qui sêétouffa dans sa gorge, et aussitôt les Chasseurs furent sur eux...

Il était impossible de dire combien il y en avait: il en surgissait de partout, et si rapidement que Dane et ses trois compagnons eurent à peine le temps dêorganiser leur système de défense. Dallith en abattit un, puis un deuxième avec sa fronde, tout en courant prendre position sur un petit monticule de pierres contre la falaise. Aratak se déplaça légèrement vers la rivière, balançant son énorme gourdin de droite et de gauche.

Dane eut tout juste le temps de bien sentir son sabre dans sa main: déjà un Mekhar î non! un Chasseur sous lêapparence dêun Mekhar ! î se ruait vers lui lêépée brandie. Derrière venaient trois formes humaines. Dane attendit que son ennemi f˚t presque sur lui avant de faire cingler sa lame dans un réflexe fulgurant. Sans laisser à la créature féline le temps de reprendre son équilibre, il empoigna son sabre à deux mains et lêabattit de toutes ses forces sur la tête léonine, la fendant en deux. Le sang gicla et les deux parties de la tête tombèrent chacune dêun côté. Retirant sa lame, Dane attendit de pied ferme la première des créatures à forme humaine.

quelle ne fut pas sa surprise de se retrouver face à face avec un Japonais!

Du moins, une imitation parfaite: la couleur de la peau, un visage très allongé au nez aquilin, des yeux noirs sans cesse en mouvement, un buste court dans la tenue du samouraÔ dêil y a quatre siècles. Et il brandissait son grand sabre dans le style classique de ceux quêil imitait. Dane comprit alors en un éclair quêil avait devant lui le visage de lêhomme dont il tenait en ce moment le sabre!

Lêespace dêune fraction de seconde, cette révélation le figea sur place, juste avant quêil ne vît, derrière lêépaule de lêautre, la parfaite reproduction du même visage, qui venait lui confirmer quêil nêavait pas affaire à un fantôme, mais bien à un Chasseur; lequel, tel le chevalier portant lêarmure dêun ennemi défait, avait choisi de revêtir lêapparence dêun homme mort quatre siècles auparavant.

Lêépée du faux samouraÔ était levée au-dessus de sa tête. Au moment o˘ il lêabattait, celle de Dane î lêoriginal ? îvint à sa rencontre, déviant le coup, qui passa en sifflant tout près de son épaule. Sans perdre une seconde, Dane porta à son tour un coup meurtrier. Un bref instant, il crut que celui-ci avait manqué sa cible, mais très vite une ligne sanglante se dessina sur le front de son adversaire, là o˘ sa lame avait mordu profondément. Du sang commença àcouler en torrent et la créature à forme humaine chancela avant de sêabattre face contre terre.

Au même moment une pensée traversait lêesprit de Dane:

Vivent-ils si longtemps ou bien filment-ils les Chasses pour avoir ainsi le souvenir de la façon dont est mort un Terrien, quatre cents ans plus tôt? Il entendit derrière lui la voix grondante dêAratak entrecoupée de bruits de corps tombant dans lêeau. Mais il avait trop à faire lui-même pour regarder le spectacle quêil devinait.

Comme son sabre sêapprêtait à affronter celui du second faux samouraÔ, il perçut les défauts dans la technique de son adversaire, le manque dêassurance incontestable dans lêattitude et la façon de tenir son arme.

Ils copient les mouvements qu èils ont vus, et encore, seulement les plus simples. Avec mon entraînement, je suis une meilleure imitation de samouraÔ

quêeux!

Le Chasseur se rua sur lui le sabre brandi au-dessus de sa tête, exactement comme le précédent. Dane exécuta une ample esquive vers la droite tout en armant un coup terrible en travers. Sa lame vint alors impitoyablement partager le corps de son adversaire juste en dessous des côtes. Un torrent de sang artériel jaillit, la respiration rauque du Chasseur sêarrêta net dans un hoquet et il tomba sans un cri. Il aurait fallu des heures normalement pour quêun homme meure de ce genre de blessure. Jêai d˚

atteindre ce qui lui sert de coeur.

Il éprouva brusquement une sorte de féroce exaltation, un douloureux accès dêespoir. Ils sont vulnérables, oui, très vulnérables après tout. Il suffit de savoir comment les tuer. Mais, mon Dieu, que cêest dur à apprendre!

Mais il faisait déjà face à son quatrième adversaire. Cette fois, il fut à

peine surpris dêêtre confronté à son propre

visage! Ce qui, assurément, lui aurait fait auparavant un effet des plus violents lui semblait à présent très naturel, presque évident. Peut-être ont-ils pensé que celui-ci pourrait abuser Rianna ou Aratak, co,nme Clzff-Climber lêa été par sa propre image, et comme moi-même ai failli lêêtre par lêimitation de samoura, Mais le fait que son esprit observ‚t ainsi chaque phénomène nêempêchait pas son corps de poursuivre inlassablement son travail. Une brusque et imperceptible rotation du poignet, et son sabre se porta à la rencontre du faux Dane. Celui-ci hésita une fraction de seconde, le sabre en équilibre à la hauteur de la ceinture. Trop bas, malheureusement pour lui: assené en diagonale, le coup de Dane mordit dans lêépaule et pénétra profondément dans la poitrine. A peine le Chasseur sêétait-il effondré que Dane pivotait sur ses talons et sêélançait vers les autres. Le Chasseur quêil venait de tuer recouvrait déjà son apparence initiale, sa chair coulant comme de lêeau. Personne nêa donc jamais vécu assez pour rapporter ce phénomène ? Est-ce pour cela quêils préjèrent attaquer à la tombée de la nuit?

Aratak se tenait au bord de la rivière, la lance et le gourdin couverts de sang. Il y avait du sang un peu partout, et des corps flottaient à la surface. quelques créatures àforme humaine ou de pseudo-Mekhars attendaient dans lêeau, gardant pour le moment leurs distances. Lêun des cadavres était plus gros que les autres; avant quêil ne se dissolve complètement, Dane eut le temps de voir quêil avait été énorme et très velu. Comment parvenaient-ils àprendre de telles dimensions?

Sur la rive opposée, dégouttant dêeau comme sêil avait commencé à traverser avant de changer dêavis, se trouvait un exemplaire, en plus petit, dêAratak. II ne devait faire quêun peu plus de deux mètres, mais il avait un gourdin et une hache presque aussi gros que ceux du vrai homme-lézard, ainsi quêun bouclier. A côté de lui, mouillé également, lêénorme Protoursidé en qui Dane voyait le chef des Chasseurs.

Il y avait encore pas loin dêune vingtaine de pseudohommes et presque autant de pseudo-Mekhars. Dane nota que certains des Proto-félins avaient une queue, ainsi dêailleurs que certains des HumanoÔdes. Reproductions dêespèces légèrement distinctes? En tout cas Protohumains et Proto-félins constituaient la majorité des Chasseurs ici aussi. Son oeil saisit encore au passage des images de loups, de gros rongeurs; de pieuvres même, dotées dêune dizaine de membres dont chacun brandissait une arme différente. Et, derrière cette masse de Chasseurs de toutes formes, Dane distingua un énorme homme-araignée qui faisait tournoyer sa lance mortelle. Un violent frisson le parcourut: lêautre homme-araignée avait déjà failli les tuer tous quatre à

lui seul, et maintenant ils avaient en plus tous ceux-là à affronter! Mais bientôt il sêaperçut que le Protoarachnéen en question maniait sa lanú très maladroitement et la faisait même tomber. La première imitation dêhomme-araignée contre laquelle ils sêétaient battus, tout en étant un peu moins rapide que le vrai spécimen à bord du vaisseau mekhar, avait incontestablement une pratique supérieure!

Dane et ses compagnons avaient apparemment tué tous les Chasseurs de la première vague dêassaillants, les autres nêayant pas encore franchi le fleuve. Il jeta à la h‚te un regard en direction des deux jeunes femmes.

Les cadavres flouant sur la rivière montraient les dég‚ts quêavait causés Dallith avec sa fronde; quant à Rianna, elle se tenait adossée à la falaise et sêappuyait en même temps sur sa lance, avec, à ses pieds, deux cadavres de Chasseurs en train de se dissoudre.

Mais pas dêodeur de sang! Leur sang doit sêévaporer àpeine répandtL..

Dane reprenait son souffle, se préparant à la prochaine attaque. Cêest une question de temps, mais ils finiront par nous tuer. Ils ne peuvent pas laisser survivre quatre personnes qui iront ensuite révéler leur véritable forme... ou plutôt absence de forme.

Le coucher du soleil ne devrait plus tarder. Mais cela suffira-t-il à les arrêter maintenant? Ils font donner la grosse artillerie; on dirait...

Il nota alors que les Chasseurs avaient aussi, en plus du pseudo-Aratak et du pseudo-Dane quêil avait tué, une fausse Dallith et une fausse Rianna.

Leur Dallith avait une fronde elle aussi. Et dêun seul coup cette révélation le glaça dêeffroi.

ils ont d˚ être mimes autrefois, comme ces insectes qui se cachent de leurs ennemis î ou les prennent au piège îen leur ressemblant. Sêil sêétait trouvé tout à lêheure devant ceux quêil voyait maintenant, au lieu des samouraÔ, il aurait sans doute marqué une hésitation. Il essaya de se faire àlêidée quêil était en train de trancher lêadorable tête de ´ Dallith ª, ou de plonger sa lame à travers le corps tendre de ´ Rianna ª î ce corps quêil avait si souvent tenu dans ses bras. Mais il avait beau se répéter que cêétaient des Chasseurs, son effroi ne faisait quêaugmenter, au point quêil se demandait sêil allait tenir. Je ne suis pas empathe, je ne pourrais jamais avoir la certitude que ce ne sont pas les vraies...

Dallith avait d˚ percevoir la cause de sa détresse, car, quelques instants après, il entendit le sifflement dêune pierre dans lêair et la fausse Rianna sêaffaissa, le visage inondé de sang. La fausse Dallith, devinant peut-être ce qui se passait, fit tournoyer sa fronde à son tour, mais son coup se perdit dans le vide î à tel point même quêon pouvait se demander qui elle visait exactement; peut-être lui? La vraie Dallith répliqua immédiatement, et sa pierre lêatteignit à la tempe. Dane ne put sêempêcher de fermer les yeux pour ne pas voir tomber celle qui ressemblait trop à la jeune fille.

Il

les rouvrit très vite, se doutant bien que cet échange meurtrier allait donner le signal de lêattaque. De fait, tous sêengagèrent dans la rivière peu profonde. Une créature humaine î une femme à la peau rouge brique et aux longs cheveux bleu-noir î atteignit la première la rive de leur côté. La lance de Rianna sêenfonça alors dans son dos à un endroit vital, et lêautre sêeffondra en aspergeant le sol de sang. Lêun des pseudo-Mekhars parvint à grimper plus haut, mais le gourdin dêAratak lui fracassa le cr‚ne. Dane sêapprêtait à son tour à faire bon usage de son sabre, mais aucun autre Chasseur ne sêaventura plus loin. Au contraire, le Proto-ursidé

sembla les rappeler tous, de ce cri plaintif quêil avait entendu plusieurs fois maintenant, et les premiers battirent en retraite, lêensemble se regroupant au milieu de la rivière. Une pierre de Dallith fit voler un nouveau cr‚ne en éclats, et ils reculèrent encore un peu.

Dane lançait des regards intrigués en direction du chet~ il les retient.

Pourquoi ? il doit pourtant savoir que nous ne pourrions pas tenir longtemps Sêil les lançait tous contre nous en même temps...

Une flèche jaillit de lêautre rive et vint se ficher dans le sol en vibrant, suivie dêune autre; toutes deux manquèrent leur but. Dane repéra lêarcher, une créature de haute taille àla peau grise et dont la queue préhensile ajustait les flèches pendant quêil tenait lêarc à deux mains. Ce pourrait être une arme redoutable, mais ils ne sont visiblement pas très habiles à la manier. Décidément, ils doivent préférer s èoffrir le plaisir dêenfoncer leur épée dans la chair...

Une pierre de Dallith creusa un trou dans la boue sur lêautre rive; une autre percuta lêeau entre lêarcher et une autre humanoide. que se passe-t-il? Dêhabitude elle vise mieux que ça !... Dane se retourna vivement vers la jeune fille. Elle était p‚le comme une morte et ses yeux étaient inondés de larmes; elle avait d˚ se mordre la lèvre car elle saignait. Ses mains tremblaient.

Mon Dieu, je savais que cela viendrait! Elle est en tram de craquer. Tuer cette créature avec son propre visage a d˚ être la goutte dêeau... Il sêélança vers elle pour la réconforter, ne f˚t-ce quêen luttant à ses côtés, quand brusquement, au bord de la rivière à sa gauche, il vit étinceler quelque chose dans les fourrés. Voilà pourquoi ils attendaient I...

Sans perdre une seconde, il revint dans la direction de Rianna.

î Replions-nous vers la falaise! lança-t-il. Aratak, tenez la rive si vous pouvez, mais nêy restez pas trop longtemps et battez en retraite dès que vous le jugerez nécessaire. Dallith ne va plus pouvoir nous aider beaucoup, hélas. î Et, criant plus fort: î Dallith! Gardez vos pierres pour lêhomme-araignée! Nous nous occupons des autres!

A cet instant, le chef de la Chasse poussa son étrange petit cri, et la horde sêélança. Il courut à la rencontre de ceux qui avaient surgi sur le sentier le long de la rivière.

Une minute de plus et ils nous coupaient de la falaise... et de Dallith,.

Dallith... Pauvre amour déchiré...

Deux faux Mekhars sêétaient interposés sur son passage. Il esquiva lêattaque du premier et son sabre répliqua tel lêéclair, ouvrant une affreuse balafre en travers du corps du Mekhar. En tombant, celui-ci détourna le coup du second, àqui Dane fendit le cr‚ne en deux. Enjambant les deux cadavres, il continua à avancer.

Bien quêayant à présent la certitude absolue quêils allaient mourir tous les quatre, que rien ne pourrait désormais les sauver, Dane sentait une espèce dêivresse sêemparer de lui, comme sêil avait bu. Est-ce cela lêivresse du combat dont on parle dans les livres?

Cêest alors quêil vit lêhomme-araignée. Des pseudohumains avec de longues lances lêentouraient, et sa lance àlui lançait des éclairs sous le soleil déclinant. Il paraissait affreusement énorme au milieu des autres.

Tandis quêils débouchaient de lêétroit sentier, Dane, ne voyant dêautre solution que dêattaquer franchement, se précipita à leur rencontre. Il percevait toujours derrière lui les bruits de corps tombant dans lêeau et celui, plus mat, presque lancinant, du gourdin dêAratak. Il ignorait combien de temps lêhomme-lézard pourrait tenir la rive, mais, avant dêêtre obligé de se replier pour combattre pied à pied aux côtés de Rianna, il tenterait certainement dêen tuer le maximum. quant à lui, Dane, il tuerait tous ceux qui passeraient à portée de son sabre. Il est tout de même plus exaltant dêattaquer que dêêtre obligé de fur!

Avis aux Chasseurs! Avant quêils ne parviennent àaccrocher sa tête à un mur, il en enverrait quelques-uns dire à leurs maudits íllustres ancêtres ª quêils pourraient désormais relever le prix des Humains, car les Proies se faisaient de plus en plus coriaces ! Et, lorsque sa tête serait suspendue à côté de celle du vieux samouraÔ, il pourrait lui assurer quêil nêavait pas laissé son sabre musarder bien longtemps!

Les deux premiers Chasseurs se ruèrent sur lui la lance pointée vers sa poitrine. Dêun geste sec, il détourna la première lance, qui du même coup heurta lêautre, et abattit son sabre sur la nuque du premier assaillant, le décapitant dans un torrent de sang. Dans son élan, il fit de même avec te second, et les deux cadavres sêaffaissèrent lêun sur lêautre. Aussitôt lêhomme-araignée fut sur lui, repoussant son sabre avec son bouclier; en même temps, il vit la pointe de la lance se darder dangereusement vers sa tête.

Le temps semblait ne plus exister, ou plutôt sêétirer en une série de fragments interminables. Il plongea en avant, mais dans un mouvement qui lui parut dêune lenteur inouÔe, sêarrangeant pour tenir le tranchant de son propre sabre éloigné de lui en roulant au sol. La lance le manqua deux fois de quelques centimètres, arrachant des étincelles à la pierre. II eut alors conscience quêaccouraient dêautres Chasseurs à lêapparence humaine qui dirigeaient à leur tour leurs lances sur lui. II ramena ses genoux sur sa poitrine et fut étonné de constater avec quelle facilité il parait les coups dans cette position, faisant exécuter à son sabre des mouvements réguliers de droite et de gauche. Un Chasseur réussit à sêapprocher plus près ; Dane propulsa son genou en avant dêune manière fulgurante et lêautre, en sêeffondrant, vint sêempaler sur la lance dêun de ses congénères, en renversant un autre au passage. Profitant de la confusion qui sêensuivit, Dane bondit sur ses pieds. Il en cingla un à la gorge, se souvint à temps que ce nêétait pas suffisant pour le tuer, et finalement lui abattit sa lame en plein sur le cr‚ne. Neuf! Neuf ou dix ? qui pense à

compter?

Il esquiva alors un coup de lance une fraction de seconde trop tard, et sa tunique se déchira ; la morsure quêil ressentit dans le bras sembla lui éclaircir dêun seul coup les idées. Dieu du ciel~ et les autres, comment sêen sortent-ils? Lêhomme-araignée a réussi à passer... Il éleva son sabre en criant et, tandis que les Chasseurs se regroupaient pour affronter son assaut, il les surprit en pivotant sur ses talons et en se ruant comme un fou vers la falaise.

Aratak était en train de reculer, tout en assenant sans rel‚che son gourdin sur le bouclier qui abritait lêespèce de pieuvre, laquelle avançait en rampant et lançait avec ses différentes armes une série de petites attaques visant le bras de ses jambes. Sur la rive, qui à présent nêétait plus défendue, déferlait une vague de Chasseurs avec, à leur tête, le grand Proto-ursidé, le faux Aratak et le plus gros des deux hommes-araignées.

Lêautre se tenait entre Aratak et la falaise. La longue lance meurtrière tournoyait dangereusement tandis que les gros yeux rouges passaient alternativement dêAratak aux deux jeunes femmes. Une sorte dêarrogance se dégageait de lêattitude du corps gris fuselé, attitude qui paraissait si différente de celle, tassée et soumise, du véritable homme-araignée quêil avait vu précédemment. Une pierre passa au-dessus dc sa tête; il ne broncha pas. Aratak va se retrouver coincé entre lui et cette saloperie de pieuvre!

Dane voulut crier à lêhomme-lézard de faire attention, mais sa voix ne portait pas assez loin.

Une autre pierre atteignit lêhomme-araignée à la jonction du thorax et de lêabdomen. Il pivota alors sur lui-même avec une vitesse effarante et se rua sur Dallith et Rianna.

Dane bondit à son tour, bien que saéhant quêil ne pouvait pas rivaliser de vitesse avec lêautre. Il vit Rianna asseoir fermement sa lance contre elle pour recevoir lêagresseur, mais, peut-être encore plus nettement que tout le reste, il distingua le visage tendu de Dallith, ú visage mouillé de larmes, dêune p‚leur effrayante. Inlassablement pourtant, la jeune fille projetait pierre après pierre. En même temps, du coin de lêoeil, il vit lêénorme masse dêAratak sêaccroupir puis se projeter en lêair et retomber sur le pieuvroÔde. Lêune de ses panes saisit le bouclier du Chasseur tandis que de lêautre, il le réduisait en bouillie avec son gourdin. Lêhomme-lézard se précipita aussitôt vers la falaise.

Dallith jeta sa fronde et se figea, les yeux agrandis par lêhorreur.

Lêhomme-araignée avait atteint la falaise. Rianna lui porta un coup de lance, mais le Chasseur détourna facilement lêarme avec son bouclier et, au même moment, deux de ses bras propulsèrent violemment sa propre lance, qui passa au-dessus de la tête de Rianna mais vint transpercer la poitrine de Dallith juste entre les deux seins.

Dane hurla le nom de la jeune fille. Son unique pensée maintenant était de la prendre dans ses bras après avoir tué le Chasseur.

Mais Aratak le devança et, avant que lêhomme-araignée ait eu le temps de retirer sa lance du corps de Dallith, il lêempoigna par deux de ses pattes et le tira vers lui; puis lêénorme gourdin sêabattit, broyant deux points vitaux de la

creature. Le sang gicla A plusieurs mètres à la ronde. Après quoi, lêhomme-lézard souleva le cadavre au-dessus de lui et le projeta sur la meute des autres Chasseurs qui accouraient.

Dane avait lêimpression que son esprit baignait dans un brouillard opaque.

Dallith! Non, ce n èest pas possible! Dallith !... Il hurla de nouveau ce nom, presque mécaniquement. Un Mekhar se dressa devant lui, brandissant son épée: il le tua instantanément. Il ne pensait même plus; il agissait comme un automate, comme une machine à tuer, sans cesser de crier. Aratak et Rianna se battaient désespérément près du corps de Dallith. Dane sentit alors une petite partie de lui-même se réveiller.

Son corps est à moi. Ils nêen disposeront pas pour lêaccrocher à un mur ou quoi que ce soit. Morte ou vivante, elle mêappartient. Ils ne lêemporteront pas, même sije dois tuer jusqu èau dernier des Chasseurs qui hantent cette maudite lune !...

Son corps, qui nêobéissait plus quêà des impulsions automatiques, poursuivait sa gesticulation meurtrière. Un Chasseur qui lêattaquait avec sa lance sêécroula éventré; un autre encore, imitation de Mekhar, fut décapité. Dane était àpeine conscient quêil combattait maintenant aux côtés dêAratak, dont le gourdin et la hache exécutaient alternativement, sur un rythme régulier, leur oeuvre de destruction. Des lances volaient en éclats et leurs titulaires mouraient dans la fraction de seconde qui suivait ; dêautres Chasseurs brandissant leur épée tombaient avant même dêavoir pu sêapprocher. Adossée à la paroi de la falaise derrière ses deux compagnons, Rianna empalait et tranchait de sa lance et de son couteau. Des Chasseurs à

lêapparence humaine sêétaient agglutinés autour de Dane; il en avait déjà

abattu quelques-uns, comme un automate. Il nota presque inconsciemment que le disque du soleil effleurait lêhorizon.

quelle importance maintenant? Il faut les tuer tous ou mourir!

Une imitation dêhomme barbu se rua vers Dane, le bouclier brandi devant lui et lêépée tournoyant au-dessus de sa tête. Se souvenant en un éclair comment lêhomme-araignée avait failli retourner son sabre contre lui, Dane plongea sur la gauche en dérobant son arme au bouclier puis, dêun revers de bras fulgurant, il trancha la poitrine en partant de lêépaule.

Les quelques instants qui suivirent furent encore plus confus, et Dane fut seulement conscient de quelques faits plus marquants que les autres. A un moment donné, Aratak réussi à projeter en lêair le Proto-ursidé, chef des Chasseurs, après avoir fracassé son épée dêun coup de gourdin. Se relevant, lêautre commença à chercher une autre arme au milieu des cadavres en décomposition de ses guerriers; Dane et Aratak se précipitèrent ensemble sur lui, mais le faux Aratak sêinterposa et frappa le vrai au genou avec la copie conforme de son grand gourdin. Aratak tomba, sa hache cinglant lêair, et, comme le Chasseur levait son bouclier pour parer le coup, Dane en profita pour lui enfoncer son épée dans le ventre et le faux Aratak sêeffondra. Pendant un instant, Dane crut que cêétait son ami quêil avait tué, car les deux hommes-lézards gisaient lêun et lêautre à terre. Pendant ú temps, le Proto-ursidé avait ramassé une lance et fonçait vers eux; mais il trébucha sur le cadavre dêun des siens. Tout autour de lui, les Chasseurs refluaient vers la rivière, et., à travers une brume de sang, Dane prit conscience que le dernier arc lumineux du soleil avait disparu.

Le crépuscule. Le combat est suspendu...

Les Chasseurs survivants î il ne devait pas y en avoir plus dêune douzaine î traversaient la rivière pour regagner lêautre rive. Le grand Porto-ursidé

poussa un cri, qui pouvait être de ralliement, en levant son gourdin comme pour lancer une dernière attaque; quelques-uns des Chasseurs hésitèrent en agitant mollement leurs armes, mais la majorité poursuivit sa retraite. Au bout de quelques instants, dépité, le chef des Chasseurs tourna lui aussi les talons et sêéloigna en brandissant une dernière fois sa lance dans un geste menaçant.

Nous en avons bien tué la moitié. Je parierais que tous les Chasseurs de la Planète étaient là: il n èy en avait que quarante-sept à la Chasse précédente.

Mais ça leur avait co˚té cher. Même sêils avaient exterminé toute la race, cêe˚t été encore trop chèrement payé.

Dane vit se relever un homme-lézard quêil prit un instant pour le faux Aratak, mais, sur le coup, cela lui lut presque égal. Et, quand il eut la certitude que cêétait le vrai, il sêélança vers lêendroit o˘ était tombée Dallith.

Elle gisait sur le dos les bras en croix en travers du monticule de pierres o˘ elle se tenait avant dêêtre transpercée par la lance. Ses grands yeux fauves î ces yeux de faon blessé î fixaient, immobiles, le ciel qui sêassombrissait.

LêAmour et la Mort. LêAmour et la Mort...

Il souleva doucement la tête de la jeune fille puis, sêallongeant à ses côtés, posa la sienne sur la poitrine sans vie et resta ainsi sans bouger, à moitié inconscient.

La Planète des Chasseurs, ronde et pleine, irradiait sa lumière rouge très haut dans le ciel, dont elle masquait la plus grosse partie. Dane éprouvait de nouveau cette sensation de claustrophobie, cette impression dêêtre sous une chose qui allait sêécraser sur lui dêun moment à lêautre. Et quand bien même, quelle importance ? que le ciel tombe s èil veut, ce sera une délivrance...

II

avait voulu emporter le corps de Dallith et, quand Rianna et Aratak avaient essayé de lêen dissuader, il leur avait crié: ´ Vous voulez la laisser ici pour quêun de ces maudits Chasseurs en fasse un trophée immonde ! ª Et puis il avait compris que cêétait en fait parce quêils étaient tous blessés. La plaie à la jambe de Rianna sêétait rouverte et Aratak avait été si sérieusement amoché, lui aussi, quêil était obligé de sêappuyer sur son gourdin pour marcher. Finalement, hébété, se mouvant comme un automate, il les avait suivis vers la zone neutralisée. Au milieu de sa semi-inconscience, il avait entendu Rianna parler de fatigue et Aratak dire que lêéclipse ne devait plus tarder à présent (mais lorsquêelle surviendrait, il serait trop tard de toute façon). Son esprit restait accroché comme dans un rêve à la mort de Dallith et rien dêautre nêavait plus dêimportance.

Jêai toujours sa tresse de cheveux dans ma tunique. Sa main la chercha en tremblant, et cêest seulement à ce moment-là quêil sêaperçut quêil était blessé au bras et au cuir chevelu.

Il

continua ainsi à marcher sans prendre garde à ce qui se passait autour de lui, jusquêau moment o˘ Rianna sêeffondra en poussant un gémissement, sa jambe ne pouvant plus la porter. Secouant sa léthargie, il lêaida à se relever et lui refit un pansement avec un lambeau de sa propre tunique, opérant avec une efficacité mécanique. Puis il la fit sêappuyer sur son épaule pour reprendre la route, car elle nêavait pas voulu quêil la porte. II se serait dêailleurs lui-même laissé tomber à terre et aurait dormi sur-le-champ sêil nêavait eu vaguement conscience, au milieu de son hébétude, que la jeune femme avait besoin de trouver de la nourriture et du repos dans un endroit s˚r. Ils ne durent pas mettre plus dêune demi-heure pour atteindre la zone neutralisée et ses lumières, mais, pour Dane, cet intervalle avait paru plus long que la bataille qui lêavait précédé, plus long que la Chasse, un véritable abysse partageant sa vie en deux. Il était toujours en vie, certes, mais pour ce que cela lui importait...

En sentant lêodeur de nourriture dans la zone neutre il eut un haut-le-coeur. Il refusa dêabord celle que Rianna lui apportait, mais, quand elle lui eut mis lêassiette dans les mains, il commença à manger machinalement, sans même sentir le go˚t de ce quêil avalait. Lorsquêil eut terminé, elle lui apporta autre chose, mais à ce moment-là son esprit sortit brusquement de sa torpeur et reprit conscience de la réalité. Lêaffreux cauchemar sêétait dissipé, mais en même temps il était devenu plus concret : Dallith était morte, et il était là, lui, en train de faire le repas quêil avait envisagé avant la bataille de commander aux Servants! Envahi par un sentiment dêhorreur, il posa son assiette encore pleine. Il avait envie de vomir. Sa voix répéta alors machinalement la réflexion que se faisait son esprit:

î

Comment puis-je rester ici à manger alors que...? Rianna ne répondit pas. Elle posa simplement sa main sur la sienne, et il constata quêelle pleurait. Elle contifluait à manger et les larmes coulaient sur ses joues, silencieusement, sans quêelle fasse un geste pour les essuyer.

Lêémotion se réveilla en Dane, douloureuse; il lui prit doucement lêassiette des mains et lui passa le bras

autour des épaules. Puis, tendrement, il lui essuya le visage avec sa tunique, tout en pensant: quel pauvre type

je fais! Elle est malade et cêest encore elle qui doit sêoccuper de moi!

Dallith était morte, et plus rien au monde ne semblait avoir dêimportance pour lui. Pourtant, Rianna, elle, vivait et elle avait encore besoin de lui.

A travers les sanglots quêelle ne pouvait plus retenir, elle dit: î Je lêaimais moi aussi, Dane. Mais elle nêaurait pas pu continuer à vivre avec le souvenir de ce qui sêétait passé. La Chasse lêavait détruite cêétait pire que la mort pour elle...

Aratak sêapprocha dêeux et, de sa douce voix grondante, il dit: î Elle avait peur de continuer à vivre alors que tout son être avait absorbé une partie de la nature des Chasseurs. Rianna avait raison, Dane: les Empathes de Spica quatre meurent toujours lorsquêils se retrouvent seuls très loin de leur planète. Elle a commencé à mourir dès quêelle lêa quittée, et si elle est restée près de vous, cêest quêelle savait que vous aviez terriblement besoin dêelle.

Dane baissa la tête. Il avait cru que Dallith avait accepté de vivre parce quêil lui en avait donné envie. Peut-être, pendant un temps très bref, avait-elle effectivement partagé son propre désir de vivre, comme tant de choses au cours de cette période. Mais il se rendait compte à présent quêAratak avait raison: sêil avait sauvé la vie de Dallith, ce nêétait pas pour son bien à elle, mais pour le sien propre. En entretenant chez elle le désir de mourir, il faisait temporairement échec à sa propre peur dêarriver trop près de sa mort.

Vie et mort, amour et mort... Je croyais que j èavais compris ces notions.

Mais peut-être personne n èest-il jamais parvenu à les connaître.,.

Ils étaient seuls dans la zone neutralisée, et probablement, songea-t-il, les seules Proies survivantes de cette Chasse. Les Servants qui évoluaient autour dêeux, silencieusement, comme à leur habitude, semblaient témoigner une certaine déférence à leur égard. Pour eux nous sommes toujours des Proies Sacrées.

Il sêétendit à côté de Rianna, sêenroulant dans la même cape. Il resta un moment conscient de la chaleur de son corps, mais, lêépuisement prenant irrésistiblement le dessus, il sombra dans un abîme de sommeil sans fin qui ressemblait à la mort.

Lorsquêil se réveilla, lêaube était déjà levée, et, en voyant le soleil au-dessus de lêhorizon, il prit dêun seul coup conscience quêils avaient largement dépassé la limite de sécurité, sêétonnant même quêils nêaient pas été massacrés pendant leur sommeil. Mais, quand ses yeux se posèrent sur le groupe de Servants alignés devant lui, puis sur celui des dix ou douze Chasseurs qui se tenaient dans lêenceinte de la zone neutralisée, il comprit: après un combat comme celui de la veille, on respectait le sommeil des vaillantes Proies. Rianna se réveilla à son tour et se blottit contre lui à la vue des Chasseurs. Aratak prit son gourdin et essaya en chancelant de se lever.

Cêest alors que, levant la tête, Dane vit au-dessus du soleil, telle une sphère parfaitement ronde en suspension dans le ciel, la Planète des Chasseurs, baignée dans son halo rouge. Et le soleil montait à sa rencontre...

Le chef des Chasseurs, le grand Proto-ursidé sêavança vers lui.

Immédiatement, Dane bondit sur ses pieds en portant la main à son sabre.

Le Chasseur lui fit signe de nêen rien faire. Lui-même nêavait pas dêarme sur lui. Son épée se trouvait entre les mains de lêun des Servants, lequel sêavança rapidement vers Dane.

Le Proto-ursidé parla. Dane ne comprenait pas directement ce quêil disait, mais ce fut le robot qui, de sa voix métallique et monocorde, se chargea de transposer ses paroles à son intention:

î Notre chef a un compte personnel à régler avec vous. Vous avez tué cinq de ses frères de collectivité mais une Proie qui a montré une telle bravoure, faisant ainsi de cette Chasse la plus belle de ces sept cent dix-huit derniers cycles, mérite une considération particulière au moment de sa mort. Lêheure de lê…clipse est imminente. Si vous le désirez, puisque vos deux compagnons sont blessés mais quêils ont eux aussi combattu avec une vaillance des plus dignes, nous leur laissons la vie sauve. Si vous-même nêaviez tué ses cinq frères de collectivité, il en aurait fait de même à votre égard et aurait veillé à ce que vous soyez justement récompensé. Etant donné les circonstances, il vous demande de lui accorder une ultime passe dêarmes en combat singulier. Si vous en êtes le survivant, vous recouvrerez votre liberté tous les trois; si vous mourez, vos deux compagnons seront libérés en hommage à votre mémoire.

î

Nous nous battrons jusquêà ce que mort sêensuive? fit Dane.

î

A moins que lêHeure de lê…clipse ne vous libère avant.

Dane consulta brièvement du regard Rianna et Aratak mais nêattendit pas leur réaction:

î

Jêaccepte.

Rianna voulut sêinterposer:

î

Dane...

Et Aratak prit à son tour la parole:

î

Réfléchissez. Ils doivent nous tuer de toute façon: ils ne voudront pas nous laisser en vie pour que nous allions ensuite révéler leur secret, dire combien ils sont faciles à tuer.

Mais, sans savoir pourquoi, Dane avait confiance en leur parole. Peut-être parce quêil nêavait pas le choix. Il se retourna vers le Servant: î

Dites-lui que jêaccepte.

Il

dut y avoir transmission de pensée, car il nêentendit le Servant prononcer aucune parole avant que le Chasseur saisisse son grand bouclier et son épée. Dane tira la sienne. Le Chasseur sêétait campé le côté gauche légèrement tourné vers lui et le haut du corps presque entièrement protégé

par le bouclier; la courbure accentuée des membres inférieurs rendait également assez peu vulnérables le bas du corps. quant à lêépée, elle était dissimulée derrière lui, probablement dans lêaxe du torse.

Cêest une position à revers, en escrime. Il peut frapper et se garder en même temps. Pas moi. Mais il va bien falloir quêil bouge son bouclier pour porter son coup. Je peux tout jouer sur son épaule... Prudence, Marsh! Ne sois pas trop confiant! Chaque fois que tu as eu affaire a un bouclier, tu as eu la chance dêavoir des amis pour têaider. Ici, il sêagit dêun combat singulier!

Le Chasseur avança par une série de petits pas glissés qui lui permettaient de rester de trois-quarts et protégé par le bouclier. Il était évident quêil se méfiait lui aussi et nêallait pas, en se lançant en avant pour essayer dêimmobiliser lêépée adverse, laisser à Dane lêoccasion dêeffectuer le genre dêesquive qui lui avait si bien réussi la veille. Ce fut Dane qui porta la première attaque, bondissant en lêair pour porter un coup à la tête. Dans un réflexe, lêautre interposa son bouclier sur la trajectoire pour repousser le sabre. En même temps, son épée à lui plongeait vers la cuisse de Dane, qui eut juste le temps dêopérer le petit mouvement de retrait du corps qui le sauva. Mais sa lame semblait sêêtre littéralement collée au bouclier sous la poussée de son adversaire, dont lêénorme épée cinglait déjà vers sa tempe. Il esquiva en catastrophe.

Après une série de contorsions pour éviter les allées et venues meurtrières de la lame adverse, il parvint à dégager la sienne. Sans attendre, il porta une botte à lêépaule de lêhomme-ours qui pivota rapidement pour présenter de nouveau son bouclier sur la trajectoire du sabre. Celui-ci se retrouva brusquement refoulé contre lêépaule gauche de son titulaire en même temps que lêépée du chasseur sêabattait sur sa tête.

Dans un réflexe éclair, Dane fléchit son genou gauche tout en interposant son épée pour protéger sa tête. Ses poignets encaissèrent tout le choc et il sentit lêacier de sa propre lame effleurer son front. Mais il tint bon et, sêétant dégagé, il répliqua sèchement par une pointe au genou du géant.

Pas moyen de lui toucher la tête ou la poitrine, avec ce bouclier! Un coup aux jambes ne le tuera peut-être pas, mais il le handicapera. Le pseudo-Mekhar sêest bien enfui quand je lui ai coupé le bras. Sêil bloque encore mon épée, je suis fichu: il est trop fort à ce jeu-là. Mais justement parce quêil sait quêun coup à la jambe ne peut pas le tuer, peut-être quêil fait moins attention...

Ils tournèrent lêun autour de lêautre pendant un moment en sêobservant.

Puis, poussant un cri, Dane sêélança, lêépée brandie pointe en arrière au-

dessus de sa tête, bien entre les deux omoplates. Le bouclier du Chasseur sêéleva à sa rencontre, selon un scénario devenu classique. Dane se jeta alors sur la gauche et son sabre, décrivant un large demi-cercle vers la droite, entailla la jambe de son adversaire au niveau du genou tout en remontant pour bloquer un éventuel «oup de lêautre épée.

Ce coup ne vint pas. Il se redressa, lêépée de nouveau prête à frapper, mais le Chasseur sêétait laissé tomber par terre et continuait à manoeuvrer bouclier et épée en position assise, prenant appui au maximum sur sa jambe valide.

Sapristi! Tout ce quêil lui reste à faire maintenant, cêest de se protéger la tête et le haut du corps. Match nul. Je ne peux pas le toucher et lui ne peut plus attaquer. Je n èai quêà rester hors de portée de ses coups jusqu èà ce que...

A ce moment, Rianna poussa un cri. Dane jeta un coup dêoeil vers le ciel.

Une chape dêombre descendait lentement sur eux, Le soleil, qui semblait à

présent minuscule, avait déjà à moitié disparu derrière lêénorme masse de la Planète des Chasseurs. Et, lorsquêil baissa de nouveau la tête, il constata, ahuri, que le chef des Chasseurs se recroquevillait sur lui-même.

Il était bel et bien en train de se résorber, de disparaître ! Sa jambe blessée était déjà réduite à lêétat de gélatine informe; lêépée sêéchappa dêune patte qui ne pouvait désormais plus la tenir. Tandis que le ciel sêobscurcissait de plus en plus, un vent violent se leva, et le bouclier sêaffaissa sur le corps du Chasseur àprésent totalement liquéfié.

Mais bien s˚r! songea Dane. Voici la totalité du secret! ils retournent à

leur forme propre lorsqu èils meurent, mais aussi... dans lêobscurité

intégrale! Tant qu èil y a un clair de lune ils peuvent combattre, mais lê…

clipse met fin à la Chasse. Et ils retournent tous àlêétat globulaire...

Alors, sous la dernière lueur précédant la nuit totale, Dane et ses compagnons virent deux Servants sêavancer,

en tirant un troisitme qui semblait privé dêautonomie. Ils soulevèrent doucement, à lêaide de leurs bras extensibles, la masse gélatineuse, translucide du Chasseur et lêenfermèrent délicatement dans lêenveloppe métallique du troisième robot dont ils rabattirent le couvercle. Aussitôt en sortit la voix métallique caractéristique des Servants: î Mes très vaillants ennemis. En ces ultimes instants avant que je ne retourne à lêétat de conscience collective dêune vie de repos absolu, je mêengage à ce que lêon vous laisse regagner la liberté, quel quêen soit le prix. Si je vis encore mille autres cycles, je ne connaîtrai jamais pareille Chasse. Je vais à présent passer une moitié dêannée dans lêétat de sommeil, privé de toute conscience individuelle propre, avant de me réveiller à nouveau. Mais je mêengage dêores et déjà à ne plus combattre quêen empruntant votre apparence pendant les cent cycles àvenir, et ceci en hommage à votre souvenir.

Incroyable! Ils passaient la moitié de leur vie dans ces... bidons métalliques en tant que Servants! Des Servants qui nêavaient rien à voir avec des robots. Pas étonnant quêils dorlotent à ce point leurs ´ Proies Sacrées ª! Elles représentaient la seule notion de vie et de conscience individuelle que les Chasseurs connaissaient. Ce nêétait que pendant la Chasse quêils vivaient en tant quêindividus; à aucun autre moment sans doute ils nêétaient vraiment sapients. Pouvait-on appeler sapience une conscience collective?

î Je vous rends hommage encore une fois... et en ces ultimes instants qui me voient jouir dêune conscience individuelle, je... nous...

La voix du chef des Chasseurs sêévanouit, mais un autre Servant enchaîna sans interruption:

î Nous vous rendons les honneurs. Et cependant, lorsque nous vous aurons rel‚chés comme notre parole lêexige, vous aurez peut-être mis à jamais fin à notre Chasse en répandant notre secret à travers toute la Galaxie.

î Certainement pas, dit Dane en rengainant son sabre. Nêoubliez pas que les Mekhars ont continué à être volontaires. A partir du moment o˘ lêon sait officiellement que vous existez vraiment, que la Chasse nêest pas un massacre aveugle mais un véritable duel, et que vous récompensez somptueusement les survivants, les citoyens les plus braves de la Galaxie seront candidats. Et vous-mêmes pourrez choisir, sélectionner vos Proies de manière plus rationnelle au lieu de les acheter ou de les voler à leurs planètes respectives ! Pourquoi sêétonner quêactuellement bon nombre dêentre elles nêaient aucun désir de vivre lorsquêelles sont confrontées à un danger qui nêa pas de forme? Donnez-leur une vraie chance, et vous aurez tellement de volontaires que vous serez obligés de les mettre sur une liste dêattente!

La voix atone du Servant sembla laisser filtrer pour la première fois une nuance dêémotion:

î

Peut-être en sera-t-il ainsi. quoi quêil en soit, Survivants très Honorables et très Sacrés, permettez-nous àprésent de satisfaire vos désirs immédiats. Les Proies qui vont prendre votre place attendent le banquet de victoire qui leur donnera courage et espoir, tandis que nos frères, qui ont passé la dernière lune à se préparer pour la Chasse à venir, sont en ce moment même en train de monter àbord du vaisseau qui les amènera ici pour régler les derniers préparatifs.

Les trois survivants crurent que les Servants nêen feraient jamais assez pour leur être agréables. On les conduisit à des bains préparés à leur convenance, on leur servit un repas somptueux, on les habilla de vêtements neufs, on les couvrit de guirlandes de fleurs. Dane avait lêimpression de vivre un nouveau rêve, nettement plus agréable celui-ci. A ses côtés, Rianna était rayonnante:

î

Nous sommes assez riches pour créer une fondation scientifique...

et pour revenir ici peut-être, plus tard, explorer la vieille cité et en apprendre davantage sur cette ancienne race à qui je dois la vie...

î

Le Divin OEuf a jugé bon de préserver mon existence, énonça Aratak, toujours aussi imperturbable. Il doit avoir prévu quelque nouvelle t‚che pour moi dans quelque partie de lêUnité; je mêy rendrai pour lêassumer.

Mais auparavant, je tiens à aller à Spica quatre pour dire au peuple de Dallith comment elle est morte, et de même

pour Cliff-Climber. Je ne vois pas dêautre usage à ma nouvelle fortune.

Dane caressa le fourreau de son sabre sans rien dire. Le samouraÔ dêil y a quatre siècles avait-il été par hasard le seul survivant de lêhistoire de la Chasse à se suicider, en se faisant hara-kiri, lorsquêil sêétait rendu compte quêil devait abandonner son épée aux Chasseurs? Jêaimerais la garder, mais je nêaurai probablement plus jamais lêoccasion de m èen servir.

î Dane, lui dit Rianna, vous pouvez retourner chez vous!

î Pour passer le restant de mes jours à être pris pour un extraterrestre arrivé en soucoupe volante?

Et, en disant ces mots, il attira tendrement la jeune femme contre lui.

Dêabord aller sur la planète de Dallith avec Aratak pour dire à son peuple comment elle est morte. Ensuite? Eh bien, la Galaxie était grande et le terme de sa vie à lui encore lointain: alors pourquoi ne pas entamer mainte-nain la plus grande aventure de toutes?

Serrant Rianna contre lui, il éclata de rire.

LêAmour et la Mort. Jusquêà la fin de sa vie il porterait Dallith dans le recoin le plus secret de son coeur, de même quêil gardait sa tresse de cheveux tout contre sa peau. Il nêavait désormais plus peur ni de lêamour ni de la mort.

II les avait domptées toutes les deux et avait survécu. Mais il nêaurait jamais fini dêen apprendre sur elles pour

Achevé dêimpri sur les presses d

‚ Saint-.

POCKET - 12, avenue d

Tél.:

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N∞ d

Dépôt lég

mer en décembre 1994

e lêImprimerie Bussière

Amand (Cher)

lêItalie - 75627 Paris Cedex 13

44-16-05-00

èimp. 3310. îai: janvier 1995.

né en France

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