OEUVRES DE MARION ZIMMER BRADLEY

CHEZ POCKET

LES VOIX DE L ESPACE (Le Grand Temple de la 5.-F.) L4 ROMANCE DE T…N…BREUSE

L èAtterrissage

I.

LA PLAN»TE AUX VENTS DE FOLLE

Les ¬ges du Chaos

2.

REINE DES oi~c~s!

3.

LA BELLE FAUCONNI»RE

Les Cent Royaumes

4.

L~ Loue DES KILOHARD

5.

LEs H…RITIERS DêHAMMERFFLL

L èEmpire terrien

6.

RED…COUVERTE

Les Amazones Libres

7.

LA CHAINE BRIS…E

8.

LA MAISON DES AMAZONES

9.

LA CrI… MIRAGE

Lê¬ge de Danion Ridenow

10.

Lê…iê…E ENCHANT…E

Il.

L~ TOUR IWIERD~~E

12.

Lê…ToILE DU DANGER

13.

SOLEIL SANGLANT

Lê¬ge de Regis Hastur

14.

LA CAPTIVE AUX CHEVEUX DE FEU

15.

LêH…RITAGE DêHASTUR

16.

LêEXIL DE SHARRA

17.

PRoJET JASON

18.

LES CASSEURS DE MONDES

Chroniques de Ténébreuse

1.

LEs AMAZONES UBRES (oct. 95)

Unité

I.

CHASSE SUR LA Lu~ ROUGE

OEUVRES DE MARION ZIMMER BRADLEY.

ANDR… NORTON & JUUAN MAY

LES TROiS AMAZONES

SUR T…N…BREUSE

ASIMOV PR…SENTE

2.

FuTuRs EN D»LIRE: ´ La Reine de jaune vétue ª par Jacc Goimard.

SCIENCE-FICTION

Collection dirigée par Jacques Goimard

MARION ZIMMER BRADLEY

UNI T…

CHASSE

SUR LA

LUNE ROUGE

Titre original de lêouvrage

HUNTERS 0F THE RED MOOM

Publié avec lêautorisation de

Baror international, Inc.,

Bedford Huis, New Yorlç, U.S.A.

CHAPITRE I

La petite tache lumineuse semblait en suspension dans le ciel, au même endroit, depuis un long moment déjà.

Dane Marsh, qui se prélassait à lêavant du Seadrzft, en slip de bain et la chemisette ouverte sur un torse h‚lé, observait cette minuscule lumière immobile. La réflexion du soleil sur lêaile dêun avion, pensa-t-il. Le premier signe de vie depuis des jours. Du moins, de vie humaine, car il y a bien des poissons, les dauphins, toute la faune sous-marine: tout dépend de ce que lêon appelle vie.

Pourtant je ne suis pas du tout sur le passage des lignes aériennes ou maritimes régulières: le dernier bateau que jêai croisé, cêest ce pétrolier il y a une vingtaine de jours...

Dane commençait à se demander sêil sêagissait vraiment dêun avion.

Il sêamusa à imaginer des passagers - hommes en complet veston, femmes en fourrures - assis bien en

La loi du 11 mars 1957 nêautorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de lêarticle 41,

dêune part, que les ćopies ou reproductions strictement réservées à Lêusage

rang, peut-être en train de regarder un film, à des milliers

privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ª, et, dêautre part,

de milles de la côte la plus proche. Par ici, il y a deux

que les analyses et Les courtes citations dans un but dêexemple ou dêillustration cents ans, le capitaine Bligh et vingt-deux hommes

´ toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le

consentement de lêauteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ª dêéquipage avaient navigué pendant des semaines, des (alinéa Iî de lêarticle 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque

mois, dans un bateau de sauvetage, mourant de faim et procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les br˚lés par le soleil; aujourdêhui la Pan American fran articles 425 et suivants du Code pénal.

chissait la même distance en quelques heures, le temps

© 1973 by Marion Zimmer Bradley dêun film et de

quelques verres.

0 1995, Pocket, pour La présente édition Un bon

verre justement, avec de la glace, voilà ce quêil ISBN 2-266-06443-6 me faudrait en ce ,noment, songea Dane. Surtout servi

7

par une jolie hôtesse !... A défaut, sur le Seadrift, Son Jêenvie le premier type qui ira se balader là-haut à

bateau de navigateur solitaire, il lui fallait bien se conten-pied...

ter des services du réfrigérateur.

A contrecoeur, Dane

sêextirpa de sa douce torpeur: il y

Bon sang, cet avion nêa pas lêair de bouger! Il reste avait du travail à faire. Les voiles commençaient à cia-suspendu, là, au mê~ne endroit...

quer aux premiers souffles

de la brise du soir. Il modifia

Non, décidément, se dit Dane sans quitter lui-même sa légèrement la position du foc et du spinnaker, adapta

position oisive, ce nêétait certainement pas un avion. Sans lêamure en conséquence, puis il descendit se préparer à

doute la réflexion du soleil sur un nuage ou quelque dîner. Il

faisait une chaleur suffocante dans la cabine, au chose dans ce genre.

point quêil renonça à faire de la cuisine.

A la place, il prit

Car, à des milles à la ronde de quelque côté quêon se un paquet de rye crackers, quelques tranches de fromage, tourne, le Pacifique était calme, avec seulement quelques se

fit un jus de citron et monta le tout sur le pont pour ondulations presque imperceptibles qui partaient de lêest profiter de la brise.

et allaient mourir vers le couchant. Le Seadrift poursui-

La clarté se prolonge un bon moment à cette période de vait sa route comme un fantôme sur lêocéan, son large lêannée

sous ces latitudes: le soleil sêattardait sur lêhon spinnaker déployé pour attraper le moindre souffle dêair; zon, dessinant de longues traînées rouges sur la mer généralement, une légère brise se levait vers le soir, mais, ensommeillée. Un minuscule croissant de lune luisait pour le moment, même réduit à sa plus simple expres-faiblement

au-dessus du soleil couchant, telle une mince sion, lêéquipage était superflu. Dane savait quêil lui fallait faucille argentée. Encore plus haut, la lueur de lêétoile du se lever pour aller vérifier le pilote automatique, des-soir...

cendre se préparer du thé, sortir une ligne pour une Mais Dane

ne voulait pas y croire : Non, cêest toujours éventuelle prise pendant la nuit, mais les effets cumulés cette lumière de tout à lêheure !...

du soleil, de la mer et du silence le laissaient comme Il fronça machinalement les sourcils, décidé à résoudre hypnotisé et incapable de détacher ses yeux de la lumière ce

mystère. Un avion ? S˚rement pas. Le plus ringard des immobile au loin, lumière qui ressemblait de plus en plus avions aurait disparu depuis un bon moment, maintenant.

à un effet de réverbération du soleil sur du métal luisant A

plus forte raison, un avion à réaction... Un satellite

- lêaile dêun avion, très loin. En un sens lêhypothèse de artificiel? Non, ils bougent eux aussi. Un ballon sonde lêavion le réconfortait, car cela voulait dire quêil y avait météorologique? On pourrait évidemment imaginer quêil des êtres humains en vue, même sêils étaient hors de sêen f˚t

égaré un aussi loin, sous lêeffet, par exemple, du portée. Et, parmi eux, une hôtesse en mini-jupe.., vent en

provenance dêAustralie, mais ce serait tout de Cela fait très exactement deux cent quatre-vingt-quatre même assez étonnant.

j ours que je n èai ni vu ni parlé à une femme. Certes, il nêy Il commença à manger ses crackers et son fromage a pas de quoi en faire une histoire: je ne suis pas le sans quitter des yeux lêétrange lumière en suspension qui premier à faire le tour du monde à la voile en solitaire, semblait devenir plus vive au milieu du crépuscule décli Ni sans doute le plus rapide.

nant. Comme si elle était sa propre

source de lumière. Et

Et puis, même sêil nêétait pas le premier? De nos elle avait

à présent le diamètre dêune balle de golf.

jours, tout ce qui valait la peine dêêtre tenté en matière Un

phénomène atmosphérique quelconque, sans aucun dêaventure lêavait été: escalader lêEverest, doubler le doute, mais comme je n èen ai encore jamais vu depuis

Cap Horn en solitaire, atteindre le Pôle Nord. Tout, sauf quinze ans que je navigue...

aller sur la Lune, mais, pour cela, il fallait un entraîne-

Oh, et puis, se dit-il, sêil y a une chose que lêon ment et des moyens que Dane ne pouvait sêoffrir, apprend en

mer, cêest bien que lêon nêa jamais fini

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dêapprendre. Cette vieille Terre réserve encore pas mal de surprises aux gens qui savent garder les yeux et les oreilles ouverts. Tout en se faisant ces réflexions, Dane entama un autre cracker.

La lumière grossissait; elle était à présent de la taille dêune petite assiette et avait pris une forme légèrement ovale.

Je me demande si ce n èest pas ce quêont sous les yeux les gens qui prétendent avoir vu des soucoupes volantes... pardon: des óbjets volants non identifiés ª! Car il sêagissait s˚rement dêun objet volant, et il était aussi peu identifié que possible aux yeux de Dane.

Bientôt, il put déterminer avec certitude que cêétait quelque chose de solide, sans toutefois pouvoir encore en apprécier la taille à la distance o˘ il était. Et puis la perplexité céda la place à lêétonnement lorsquêil vit la chose descendre vers la mer, en devenant toujours plus grosse, plus grosse, énorme même et incroyablement dessinée...

Une soucoupe volante? Un gratte-ciel volant, plutôt!

Cêétait plus gros quêun paquebot, plus gros quêun pétrolier; aucun avion nêatteignait cette taille. Même les Russes...

La peur commença à sêemparer de Dane Marsh. Pas exactement la peur directe du grand vaisseau, mais une peur plus profonde, irrépressible.

Est-ce que jêai des visions ? La solitude joue parfois de ces tours...

Il essaya de retrouver son sang-froid et étreignit la masse familière du m

‚t du Seadrjft. Il sentait, sous sa main, calleuse à force de manipuler les cordages, la peinture quêil avait passée il y a deux mois, et qui portait déjà les traces de lêérosion inexorable du sel. Il sentait aussi son pouls, qui battait plus rapidement que dêhabitude. Et sa vue nêétait pas brouillée, car, lorsquêil tourna légèrement la tête en clignant les yeux, lêénorme chose étrange nêavait pas bougé.

Je ne suis pas fou, en tout cas. Je ne suis pas en train de rêver ni dêavoir une hallucination. Donc, même sêil n èexiste normalement rien de tel, cette chose, elle, est

bien là sous mes yeux. Jêai une vue normale. Sije la vois, cêest quêelle existe.

Et par conséquent... Il retint son souffle en prenant conscience de la conclusion inévitable que lui faisait énoncer la logique de son raisonnement.., si aucun pays sur terre nêa jamais rien construit qui ressemble même vaguement à ceci, cêest que cette chose vient dêailleurs!

Il sêaperçut quêil avait la chair de poule, une chair de poule atroce, dêautant plus atroce sous cette chaleur tropicale. Dêailleurs! Dêun seul bond, son esprit avait franchi toutes les étapes de la lente progression des savants vers les étoiles. Il y avait quelque chose là-bas...

La révélation venait de sêabattre sur lui comme une chape dêangoisse. qui a prétendu quêil nêy avait plus dêaventure à vivre?

Ensuite, après la révélation, la peur qui sêinsinue inexorablement. Depuis tout ce temps ils nêavaient pas révélé leur existence? que lui arriverait-il sêils sêapercevaient quêil les observait? Il ne les supposait pas méchants à priori: pourquoi le seraient-ils? Un vaisseau spatial capable de parcourir des distances interstellaires (en quel métal était-il pour être si p‚le, avec en même temps ces reflets comme les plumes dêun paon?) nêallait pas accorder plus dêattention à un petit bateau comme le Seadrift que lui, Dane Marsh, nêen accordait à un poisson volant. (Oui, mais que se passait-il quand un poisson volant venait atterrir sur le pont de son bateau le matin? quelquefois il le rejetait à la mer. Mais, sêil lui arrivait dêavoir particulièrement faim, il le faisait frire pour son petit déjeuner...)

Dane commença, en manoeuvrant vite et sans sêénerver, à modifier mine de rien le cap du Seadr:ft. Il était curieux, certes, mais il préférait satisfaire cette curiosité àune distance plus s˚re. Il nêavait nullement envie de finir dans on ne sait quelle poêle à frire galactique!

Il se sentit subitement les bras lourds et engourdis en manoeuvrant les cordages. Puis ses oreilles se mirent àbourdonner et à tinter dêune façon étrange. Il éprouvait un besoin frénétique de sêagiter, de faire quelque chose, et en même temps il se serait cru en train de patauger dans une mare de mélasse tellement il avait de mal à soulever le pied, à le décoller du pont. Une angoissante sensation dêirréalité sêemparait de tout son être.

Tout ceci n èest-il quêune hallucination? Un mauvais rêve qui deviendrait cauchemar?

Au prix dêun violent effort, il tourna la tête vers le grand vaisseau qui dressait devant ses yeux sa masse affolante. Lentement, très lentement, ce qui ressemblait àune écoutille commença à sêouvrir, et une lumière aveu glante jaillit de lêintérieur. Dêun seul coup, Dane se CHAPITRE II

retrouva étendu sur le pont, faisant des efforts dérisoires pour essayer de se relever.

Au moment o˘ le pont oscilla sous le pas des mysté

rieuses créatures, il était déjà inconscient et ne luttait plus Lorsque Dane revint à lui, il avait affreusement mal à

que dans ses rêves.

la gorge et lêimpression dêémerger de

cauchemars indes

Ils étaient complètement à lêécart de toute ligne criptibles,

peuplés de bêtes étranges sêattaquant à sa veine aérienne ou maritime, aussi aucun oeil terrien ne vit le jugulaire, de sang qui gicle et dêodeurs réveillant une grand vaisseau avant quêil sêévanouisse au-dessus de terreur

atavique (lions, chair fraîche, odeur putride de lêOcéan Pacifique. Cinq semaines plus tard, le Seadrifi corps en décomposition), et puis, dêun seul coup, ce fut le était retrouvé, dérivant, vide de tout occupant, par un retour à un état conscient. En sêouvrant, ses yeux

yacht faisant route vers Hawaii...

sêimprégnèrent

immédiatement de la blancheur froide du

milieu environnant, des deux formes penchées sur lui.

(Un cauchemar, ces êtres de la taille dêun homme, mais au visage aplati et à la crinière de lion ?) Bandant tous ses

muscles, il essaya de crier malgré ces aiguilles dans la gorge, mais celle-ci était comme anesthésiée, et son effort nêaboutit quêà lui causer une atroce sensation de br˚lure.

Il était attaché. Attaché par des sangles aux mains, aux pieds: pas moyen de bouger...

On mêa torturé!...

Un accès de répulsion incontrôlé lui fit refermer les yeux, puis, sêefforçant de dominer les tremblements inter nes qui lêagitaient, il les rouvrit lentement. Sa gorge était

réellement anesthésiée maintenant et ne lui faisait plus mal. Avaient-ils essayé de lui enlever les cordes vocales?

Les mains des deux créatures à tête de lion nêétaient pas très différentes de mains humaines, et faisaient preuve dêune incontestable délicatesse dans lêopération quêelles étaient en train de pratiquer sur sa gorge; en tout cas, il ne sentait plus rien, à part un profond engourdissement.

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quoi quêelles fissent, dêailleurs, il aurait été bien inca-ses

lèvres desséchées. Sa voix avait une étrange sonorité

pable de les arrêter; mais, dêun autre côté, elles ne rauque

lorsquêil répondit:

devaient pas lui vouloir trop de mal pour avoir pris la - Oui, je vous entends très bien. Mais.., o˘ suis-je?

peine de lêanesthésier. Comment suis-je arrivé ici ? que me voulezvous?

Il regarda autour de lui. Dêétranges objets métalliques

-

Parfait, fit le premier au second. Opération réussie.

pendaient à des murs lisses. Objets non identifiables, Je nêaime pas quand ils sêentêtent à ne rien comprendre et mais qui auraient été probablement tout aussi déroutants que

nous sommes obligés de les traiter comme du bétail.

dans un hôpital moderne. Il examina les deux créatures à

Joli travail, cette fois.

tête de lion. Il constata que leurs mains possédaient un

-

Mmmm, oui. Il nêy avait pas beaucoup de place double pouce se mouvant avec une souplesse et une pour mettre

le disque chez celui-ci ; jêai d˚ lui couper un dextérité incroyables, et quêelles étaient recouvertes nerf. Jêai toujours eu des ennuis avec les Proto-simiens.

dêune espèce de toile mince. Les deux êtres portaient une Bon, on peut le ramener avec les autres.

grande blouse en tissu gris-bleu. Il aurait bien voulu voir

-

Répondez-moi, bon sang ! hurla Dane. quêest-ce ce quêils étaient en train de lui faire. Brusquement une que

vous me voulez? Comment suis-je arrivé ici? Et nouvelle tension à la gorge lui fit penser quêon venait dêy dêabord qui êtes-vous, vous?

insérer quelque chose que lêun de ses chirurgiens tournait Lêune des deux créatures à tête de lion commenta à

et réglait; puis, presque aussitôt, il eut la sensation, non lêattention de lêautre:

douloureuse, dêune aiguille sêenfonçant et ressortant de sa Voilà, cêest toujours le moment qui mêénerve le peau à plusieurs reprises; on devait le recoudre. Enfin, plus: quand ils commencent à poser des questions. Nous lêune des deux créatures appliqua très vite dessus une nêavons pas la partie belle, si nous y réfléchissons bien.

Il toucha Dane avec la baguette à extrémité lumineuse baguette avec une petite lumière au bout, avant de de tout à

lêheure, et Dane se contracta sous lêeffet de la sêadresser à son compagnon:

- Ces sauvages devraient bien finir par se rendre décharge

électrique.

- Ce nêest pas la peine, Ferati, fit lêautre créature, il compte que nous ne voulons pas leur faire de mal, mais ils se débattent tous comme des démons. Celui-ci nêest nêest pas dangereux. De toute façon, en cas de besoin, il y a toujours le champ dissuadeur là-haut. - Il commença à

pas le pire. Il est connecté?

détacher prudemment les sangles des

poignets en regar

Dane battit des paupières. Ils parlaient anglais? Non, dam Dane. -

Notre rôle à nous nêest pas de répondre à

en écoutant bien, il discernait de curieuses syllabes guttu-vos

questions, mais il y sera répondu en temps utile. Vous raies. Pourtant il comprenait les mots...

nêavez rien à

perdre, mais au contraire tout à gagner, à

- Je crois, fit lêautre. Je vais faire un essai. - Il se être patient. Dans quelques instants quelquêun viendra pencha sur Dane. - Ne vous débattez pas, sêil vous plaît.

vous ramener dans vos quartiers. Maintenant, si vous Nous allons vous laisser partir, mais nous ne tenons pas à

nous promettez de rester tranquille, nous pouvons vous ce que vous vous fassiez mal. Nous vous avons équipé

rendre les

choses plus agréables. Vous avez la bouche

dêun petit disque translateur afin de nous permettre de sèche? Ce sont seulement les effets de lêanesthésie et du communiquer. Dites-moi si vous entendez et si vous champ

dissuadeur que nous avons utilisé pour vous faire comprenez ce que je vous dis.

monter à bord. Tenez, buvez ceci.

En même temps, Dane constata que les sangles qui le Il tendit

à Dane un gobelet en carton contenant un

retenaient à la table venaient de se rel‚cher, assez en tout liquide mystérieux. Constatant quêil pouvait bouger sa cas pour lui permettre de sêasseoir; seuls ses poignets main, Dane commença à boire avidement. Le liquide était étaient encore solidement attachés. Il passa sa langue sur aigre mais étonnamment désaltérant.

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Il entendit lêun des deux dire près de lui: différences trop

minimes pour être relevées au premier

- Je me demande sêil va se montrer un peu plus abord. Aucun dêentre eux, en tout cas, nêétait de cette

intelligent et docile que les autres.

engeance léonine dont il

avait fait la connaissance en se

- Jêespère. Le Vieux parle toujours dêen prendre un réveillant,

la première fois dans ce qui devait tenir lieu couple tout à fait sauvage, mais la dernière fois...

dêhôpital à

bord du vaisseau. Mais, si la moitié des

Un haut-parleur se mit à bourdonner dans le mur, et occupants

de la pièce o˘ il se trouvait à présent étaient lêune des deux créatures à tête de lion répondit sans lever grosso modo comme lui, les autres étaient... différents.

la tête:

Il y en avait un qui mesurait bien deux mètres et demi

- Tout de suite! - Reprenant le gobelet à Dane, il et qui lui

rappelait curieusement une araignée: gris, velu, lui fit signe de se lever. - Allez vous mettre près de cette dêénormes yeux inquiétants, et cette vague impression porte. quelquêun va venir vous chercher.

quêil possédait

plus de bras et de jambes que la normale,

Dane refusa obstinément de bouger:

sans pouvoir comprendre

exactement pourquoi. Un autre,

- Pas tant que vous nêaurez pas répondu à certaines plus trapu

mais puissamment b‚ti, avec une peau en cuir, questions. Je sais que je suis à bord dêun vaisseau spatial, ou

peut-être des vêtements en cuir, et une tête à lêavenant.

mais pourquoi? Dêo˘ venez-vous? quêallez-vous faire Cêen était

trop dêun seul coup pour Dane.

de moi? Mon Dieu, suis-je dans un zoo? Un spécimen parmi Celui qui lui avait appliqué sa baguette sur la peau dêautres?

esquissa un geste de menace:

- Ce nêest pas un zoo, dit une

femme qui se tenait

- Nous vous lêavons déjà dit: ce nêest pas à nous de près de la

couchette o˘ il était étendu.

répondre à vos questions. Faites ce quêon vous dit et il ne Dane se rendit compte quêil venait de parler à voix vous sera fait aucun mal.

haute. Les paroles de la femme

avaient une curieuse

Dane sêélança en avant tête baissée. Il réussit à empoi-sonorité, mais il avait conscience de les éntendre ª

gner la créature à tête de lion dêune main et commença à

résonner contre le disque que les créatures à tête de lion exécuter sa prise de judo...

avaient inséré dans sa gorge. A son

avis, ce disque devait

La dernière chose dont il eut conscience fut que le être un

mécanisme quelconque de traduction simultanée plafond sêeffondrait sur lui et quêil disparaissait... dont il osait à peine imaginer la conception sur le plan quand il se réveilla, il était dans une cage. technologique.

Telle fut sa première impression. Il voyait des barreaux

-

Non, vous nêêtes pas dans un zoo. Pas tout à fait. Il inclinés qui sêinterposaient entre lui et la lumière, vaudrait

certainement mieux que vous y soyez: ici, vous laquelle était dêune p‚leur bleu‚tre. Une cage. êtes dans un vaisseau à esclaves mekhar.

Il fit un effort pour sêasseoir. La tête lui tournait.

Voyant quêil essayait de descendre de sa couchette, la Au deuxième examen, la cage ressemblait plus exacte- femme se pencha et lêaida à défaire les sangles qui le ment à une prison. Une grande pièce munie de barreaux, retenaient.

avec une rangée de couchettes le long dêun mur. Devant - Combien de temps suis-je resté inconscient?

ces couchettes, un réseau de filets entrecroisés, sans doute demanda-t-il.

pour empêcher leurs occupants de tomber au cours de

- quelques

heures. Ils ont d˚ vous assommer avec un

manoeuvres brusques. Dans la pièce, une douzaine de sopo-anesthésieur. Ils en ont un dans leur hôpital, et personnes.

jêimagine quêils sêen sont servis aussi pour vous capturer.

Une douzaine dêêtres, plus exactement. La moitié

Dane se

souvint alors des derniers instants sur le pont étaient humains comme lui, ou du moins présentant des du

Seadrzft:

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17

-

Oui. Jêai senti mes bras et mes jambes devenir de plus en plus lourds, et jêai d˚ perdre conscience tout de suite après. Cêétait un véritable cauchemar.

-

Vous ne croyez pas si bien dire ! fit-elle sur un ton lugubre.

Elle devait avoir le même ‚ge que Dane. Elle avait des cheveux roux qui tombaient en vagues désordonnées autour de son visage, et sa chemise et son pantalon, tous deux très amples, nêétaient pas sans rappeler ceux que portaient les femmes dans lêarmée russe ou israélienne.

-

Venez-vous dêune des planètes. de lêUnité? interrogea-t-elle.

Lêesclavage est interdit dans tous les systèmes stellaires de lêUnité, mais les Mekhars le pratiquent quand même: pour eux, le jeu en vaut la chandelle.

-

Excusez-moi, fit Dane, mais jêai du mal à comprendre : cêest si soudain pour moi. Vous voulez dire que votre vaisseau vient vraiment des étoiles?

-

Autant que je puisse donner un chiffre, nous avons couvert à peu près trente systèmes stellaires. Les quartiers aux esclaves sont pleins.

Ils ne devraient pas tarder à faire route vers les marchés mekhars à

présent. Il est rare quêils ne prennent quêune seule personne sur une planète. La vôtre a-t-elle un bon système de défense contre les raids avec prises dêesclaves?

-

Personne sur ma planète nêimagine même que ce genre de chose puisse exister, répondit Dane en faisant une grimace. Chez moi, les gens qui parlent de vaisseaux venant des étoiles, on les enferme, ou au moins on les considère comme des fous. Jêétais en train de faire une traversée en mer, tout seul, sur un petit bateau.

-

Si loin de la terre? Je comprends alors: ils vous sont tombés dessus en croyant probablement avoir affaire à au moins une dizaine de personnes. quelquêun doit être en train de recevoir une bonne correction en ce moment dans la salle de contrôle.

-

Vous parlez des Mekhars ? Ce sont ces créatures àtête de lion que jêai vues?

Il

faillit se reprendre en songeant quêelle ne savait peut-être pas ce quêétait un lion. Mais, de toute évidence,

le transiateur lui fournit un équivalent suffisamment approchant pour quêelle réponde:

-

Oui, ce sont des Proto-félins, et je pense personnellement quêils constituent le peuple le plus sauvage de la Galaxie. Ils se sont vu déjà

refuser cinq fois la qualité de membres de lêUnité, vous savez. Vous... Oh, excusez-moi : si votre planète est une planète fermée, vous ne savez probablement pas ce quêest lêUnité. En êtes-vous au voyage spatial?

-

Seulement sur une petite échelle. Nous sommes en train dêexplorer notre lune, et nous avons déjà effectué deux ou trois expéditions sur Mars, la quatrième planète de notre système solaire.

-

Eh bien, lêUnité, cêest... Enfin, je crois quêon pourrait la définir comme une fédération très souple fondée sur un traité de paix et de coopération économique. Cêest lêUnité qui a énoncé la première le concept de Sapience Universelle; avant que les Proto-félins commencent ànous considérer avec mépris, nous les Proto-simiens, et que les Proto-reptiliens aient à leur tour la même attitude vis-à-vis des deux autres races. Et ainsi de suite. Mais je vous expliquerai cela une autre fois. Comment vous appelez-vous?

Il

le lui dit et lui demanda:

-

Et vous? Comment vous ont-ils capturée? Est-ce que sur votre planète on ne croit pas non plus aux vaisseaux stellaires?

Elle secoua la tête:

-

Non, ce nêest pas cela. Cêest moi qui ai pris un risque calculé. Je suis anthropologue. Jêétais en train dêexplorer un satellite artificiel désert, avec une autorisation officielle, pour essayer dêy trouver les vestiges dêune technologie préhistorique. On mêavait avertie quêil y avait eu un raid mekhar dans le système stellaire voisin, mais il me paraissait assez peu probable quêils en fassent un également là o˘ jêétais. Jêai décidé de courir le risque.., et jêai perdu. Ils ont tué mon frère et lêun de mes trois collègues. Lêun des deux autres est là-bas... - Du doigt, elle montra un homme à la carrure imposante dont la ressemblance ethnique avec elle était très nette et qui

était en grande conversation avec une grande et frêle jeune fille. - Le troisième a été blessé au cours de lêattaque et il est toujours à lêhôpital du vaisseau. A moins quêils ne lêaient tué lui aussi, en le considérant comme une marchandise avariée... - Le ton de sa voix était chargé

dêamertume. - Je mêappelle Rianna. Mais pour ce que ça change...

Elle demeura ensuite silencieuse. Dane regarda autour de lui et constata que, en face de la cage-prison o˘ il se trouvait, il y avait dêautres cages identiques, toutes apparemment remplies de monde.

-

quel intérêt peuvent-ils trouver à sêarrêter sur une planète pour une seule personne?

Elle haussa les épaules

-

Normalement, aucun. Les esclaves sont une marchandise de luxe et dêhabitude ils en prennent davantage. Je suppose que, à lêépoque o˘ nous nêavions pas une telle valeur à leurs yeux, nous nêétions pas si bien traités. A présent ils se donnent beaucoup de mal pour que nous nous sentions bien à tous les points de vue. Ils vont même jusquêà nous équiper de disques transiateurs, en dépit du fait que cela nous permet de communiquer, voire de comploter contre eux; mais ils prétendent que ne pas pouvoir parler à nos camarades prisonniers est mauvais pour notre moral.

A ce moment, on perçut une légère agitation dans le couloir qui séparait les rangées de cages et bientôt retentit un violent bruit métallique.

Rianna fit une grimace:

-

Cêest lêheure de donner à manger aux animaux.

Deux créatures à tête de lion poussaient un grand chariot à travers le couloir. Chaque fois quêils sêarrêtaient devant une porte de cellule, lêun des deux tenait braqué, comme un revolver, un mince cylindre noir - une arme, de toute évidence - tandis que lêautre déchargeait de son chariot plusieurs plateaux, chacun contenant un paquet plat et ayant une couleur différente, et entrait le déposer dans la cellule. Dane les regarda faire sans bouger quand ce fut le tour de la sienne; puis, quand ils eurent terminé, le bruit métallique retentit de nouveau.

-

Nous pouvons aller prendre notre nourriture maintenant, dit Rianna. Celui qui bouge pendant quêils sont en train de distribuer reçoit une décharge du nervo-fuseur. Cela ne vous tue peut-être pas, mais cêest suffisamment violent pour que vous ayez lêimpression dêêtre plongé dans de lêhuile boulliante. - Elle frissonna. - Jêen ai fait lêexpérience quand nous avons été capturés, et il mêa fallu trois jours avant de pouvoir bouger sans avoir envie de hurler.

Dane sêétait déjà posé la question: pourquoi tous les prisonniers dêune cage ne se précipitaient-ils pas ensemble sur les gardes? Il formula sa pensée à haute voix:

-

Personne nêa jamais essayé de sêévader?

-

Personne parmi ceux que vous voyez en tout cas, répondit-elle avec une grimace éloquente. Et même si vous arriviez à vous évader, o˘ iriez-vous? Il y a quatrevingts Mekhars à bord de ce vaisseau, peut-être plus, et tous armés de nervo-fuseurs.

Elle alla rejoindre les autres prisonniers qui sêétaient agglutinés pour prendre leur nourriture. Dane la vit fouiller parmi les plateaux empilés les uns sur les autres et en sortir finalement deux identifiés par des rayures bleues et vertes, avant de lui expliquer:

-

Cêest le codage universel pour la nourriture protosimienne. En cas dêextrême nécessité, vous pouvez manger ceux qui sont tout verts ou tout bleus. Ne touchez jamais au rouge ou à lêorange: ils nêont pas les vitamines quêil faut. Et le jaune est du poison: il est prévu pour les insectivores.

Lêhomme aux cheveux roux qui ressemblait ethnique-ment à Rianna sêapprocha dêeux, son plateau à la main, et, lorsque tous trois se furent assis par terre pour manger, il adressa la parole à Dane tout en ouvrant le paquet contenant son repas:

-

Bienvenue dans la confrérie des damnés! Je mêappelle Roxon. Je vois que Rianna a déjà fait le comité dêaccueil.

Dane se présenta puis ouvrit lentement son propre paquet. Chauffée par quelque mécanisme interne, la nourriture était toute fumante et, ainsi quêil sêen rendit vite

compte en mangeant, étonnamment bonne. Au menu, une espèce de bouillie, légèrement sucrée, quelque chose de croquant et de légèrement salé et un liquide qui devait tenir lieu de soupe, un peu amer mais pas mauvais non plus.

-

Au moins ces Mekhars, ou quel que soit le nom que vous leur donnez, nêont pas lêair de vouloir nous laisser mourir de faim?

-

Pourquoi nous laisseraient-ils mourir de faim?

Cêétait la créature géante dont la peau avait lêair en cuir qui venait de parler. Or, de près, Dane put constater que cêétait réellement sa peau qui était ainsi. Il vint sêasseoir près dêeux et poursuivit:

-

Bienvenue, ami penseur, au nom de la Sapience et de la Paix Universelle.

Son paquet à lui était codé bleu et vert. Par curiosité, Dane en renifla discrètement le contenu. Il sentait légèrement le soufre et le pourri, mais la créature à la peau de cuir commença à manger de bon appétit, se servant de ses longs doigts préhensiles avec une délicatesse presque maniérée, en laissant simplement la nourriture en équilibre sur le bout avant de la déchiqueter avec de longues dents énormes.

-

Pourquoi ne nous traiteraient-ils pas bien? Nêont-ils pas besoin de nous? Ma planète est pauvre et jêy ai rarement aussi bien mangé, mais que dit la Voix de lêOEuf? (Puisse sa sagesse vivre jusquêà lêextinction de tous les soleils.) Il vaut s˚rement ,nieux chasser les mouches dans un marais puant et vivre en paix que festoyer devant des mets raffinés dans une grande maison déchirée par la guerre et discorde.

Dane se retint pour ne pas rire. Entendre ainsi tranquillement philosopher un reptile était chose peu commune ! Car le géant qui était assis en leur compagnie présentait les caractéristiques dêun énorme lézard.

Devant la réaction de Dane, il découvrit ses dents impressionnantes, mais sa voix, très douce, démentait cette apparence inquiétante:

-

Riez-vous de la sagesse du Divin OEuf, étranger?

-

Nullement, répondit Dane pas tout à fait rassuré. Il existe un proverbe identique dans mon, euh... dans le Grand Livre de Sagesse de ma race. Il dit: ´ Mieux vaut vivre seul sous les toits quêavec une femme acari‚tre dans une grande maison. ª

-

Mmmm, fit lêhomme-lézard dêune voix grondante, la sagesse est s˚rement chose universelle, ami Protosimien. Même lêesclave trouve dans son infortune matière à philosopher. Cependant, ami, faites-moi partager votre hilarité.

Dane chercha comment lui faire comprendre:

-

Chez mon peuple on trouve amusant que des paroles de paix soient prononcées par quelquêun... quelquêun dêaspect, disons, belliqueux et féroce; et, selon nos critères, vous avez lêair, euh.., féroce. Ceci dit sans vouloir nullement vous offenser, comprenez-le bien.

-

Vous ne mêoffensez nullement, fit lêautre. Il est compréhensible en un sens que ce Soit celui dont lêaspect est le plus rude qui a besoin de démontrer sa sagesse et ses sentiments pacifiques pour ne pas se heurter avec autrui, tandis que lêapparence parle dêelle-même en faveur de lêindividu chétif.

-

Il nêen est malheureusement pas toujours ainsi sur ma planète, fit observer Dane.

qui lui aurait dit quêun jour il se retrouverait en train de ratiociner avec un reptile géant? Décidément, cette pensée ne laissait pas de le déconcerter.

-

Je mêappelle Aratak, reprit lêhomme-lézard. -Lorsque Dane lui eut dit son nom, il le répéta dêun air pensif -: Je ne vois pas ce que peut vouloir dire Dane, mais Marshê est le nom de lêendroit o˘ je vis; nous sommes donc frères par le lieu dêextraction, ami Marsh. Soyons aussi frères dans lêinfortune puisque tous les marais ne font quêun, de même que toutes les mers ne font quêune devant le Tout Cosmique.

Dane se gratta la tête. Il y avait chez ce géant philosophe quelque chose dêun peu fou qui lui plaisait.

-

Topons là, répondit-il.

-

Nous pourrons explorer nos philosophies respec 1.

Marsh: marais, en traduction littérale. (N.d.T.) tives tout à loisir, dit Aratak. Pour ma part, jêai fait la preuve de ce que je savais mais en quoi je ne croyais pas totalement auparavant, à

savoir que lêUniverselle Sapience est une vérité et pas seulement une vue de lêesprit. Jêai appris au cours de ces semaines dêesclavage quêune fraternité véritable peut exister entre les Hommes et les HumanoÔdes. Une telle idée me laissait quelque peu sceptique jusque-là: pour moi, il ne pouvait y avoir dêintelligence véritable chez les Proto-simiens, car le cycle de leur métabolisme me paraissait par trop asservi aux besoins de leur reproduction. Sur ma planète, les Simiens ne peuvent être que des animaux inférieurs, compagnons de distraction, et je nêen ai jamais connu jusquêalors qui appartînt à la Confrérie de lêUnité. Soyez donc éternellement remerciés, vous tous, pour cet enrichissement de mon bien-

être spirituel.

Dane et Rianna rentrèrent craintivement la tête dans les épaules tandis que lêénorme patte les englobait tous dans une même étreinte.

Roxon prit un air sombre:

- Souhaitons que nous vivions assez longtemps pour profiter des bienfaits dêun quelconque enrichissement spirituel.

Cette réflexion les plongea tous dans un profond silence. Dane racla jusquêà la dernière bouchée de nourriture avant de poser son plateau à côté

de lui. Il se sentait mieux à présent. Il savait o˘ il était, et il nêavait devant lui aucune perspective immédiate de mort ou de torture.

Lêavenir nêen restait pas moins inquiétant. Toute sa vie, Dane Marsh avait été un homme dêaction, dans un monde o˘ une telle notion ne va pas de soi.

Dans la société moderne en effet, la plupart des gens suivent un chemin tout tracé depuis le berceau jusquêà la tombe, subissant plus quêils nêagissent. Dane, lui, avait passé son existence à faire éclater tous les moules: aussi le sentiment dêimpuissance quêil éprouvait en ce moment lui pesait-il de tout le poids de la frustration. Nêavait-il pas été capturé

par surprise, enfermé dans une cage, équipé malgré lui de ce maudit transiateur qui lui causait une gêne au cou? Certes, le petit appareil présentait par

ailleurs un avantage, mais il nêen restait pas moins que tout lui avait été

imposé dans cette aventure, tout sêétait fait contre sa volonté.

A présent que la nourriture lui avait redonné des forces, le sentiment de frustration sêétait m˚ rapidement en colère. Ces gens, ces citoyens issus dêon ne sait quelle grande civilisation galactique, avaient peut-être lêintention de rester assis dans leur cage à attendre passivement que les Mekhars leur disent ce quêils avaient à faire; mais lui, s˚rement pas.

Il

entendit à lêextérieur le bruit métallique quêil avait déjà noté

lorsque les Mekhars étaient venus leur distribuer la nourriture. Il enregistra ce détail à toutes fins utiles: il sêagissait manifestement dêun mécanisme unique qui déverrouillait en même temps toutes les portes des cages lorsque lêopération de distribution commençait et les refermait de même lorsquêelle était terminée. De toute évidence les Mekhars avaient une très grande confiance dans leurs armes et la terreur quêelles inspiraient à

leurs prisonniers pour laisser ainsi les portes débloquées si longtemps.

Cette constatation pouvait se révéler utile plus tard, mais pour le moment, Dane préférait attendre.

Les autres pensionnaires de la cellule o˘ il se trouvait finissaient leur repas. 11 y avait la créature velue qui donnait lêimpression dêavoir plus de bras et de jambes que la normale (en fait, cela devait venir de la façon dont ses membres étaient segmentés et sêarticulaient), quelques hommes et femmes dêapparence humaine ordinaire et une créature de haute taille à la tête proportionnellement petite qui semblait recouverte dêune fourrure sombre. Pourtant quelquêun nêavait pas touché à son plateau, et Dane nota que celui-ci portait le codage vert et bleu, symbole de la nourriture humaine. Il regarda autour de lui. Oui, sur une couchette basse près du mur était étendue, immobile, une forme mince enveloppée dans une longue robe blanche et le visage tourné de lêautre côté.

-

quêa-t-elle, celle-là? interrogea Dane. Elle est malade? Blessée?

Morte?

-

Mourante, répondit Rianna sans la moindre trace dêémotion dans la voix. Elle refuse de sêalimenter depuis dix jours maintenant. Cêest une empathe de Spica quatre. Chez eux on préfère mourir quand on est éloigné de sa planète. Elle nêen a plus pour longtemps. La seule chose que nous puissions faire pour elle, cêest de la laisser mourir en paix.

Dane ne put retenir une réaction de surprise indignée en regardant la jeune femme rousse:

-

Et vous la regardez se laisser mourir de faim sans rien faire?

-

Bien s˚r, répondit Rianna dêun air parfaitement détaché. Je viens de vous lêexpliquer: ils meurent toujours dès quêils sont arrachés à leur planète et à leur peuple.

-

Et cela vous laisse complètement indifférente!

La voix de Rianna avait toujours le même ton égal:

-

Non, bien entendu. Mais pourquoi irais-je àlêencontre du destin quêelle a librement choisi? Parfois même je pense quêelle a plus de sagesse que nous.

Dane ne put dissimuler une expression de dégo˚t. Il se leva rapidement et alla prendre le paquet de nourriture auquel personne nêavait touché:

-

Eh bien, moi, je ne vais pas rester les bras croisés àregarder une femme mourir alors que je sais que je peux faire quelque chose.

Il

sêapprocha de la couchette o˘ gisait la femme. Il bouillait littéralement: La laisser mourir sans même lever le petit doigt!

La forme ne bougea pas lorsquêil fut tout près dêelle, et pendant un moment il se demanda si elle nêétait pas déjà morte, ou en tout cas dans un état dêinconscience trop avancé pour pouvoir lêentendre. Il resta quelques instants penché sur la couchette, contemplant avec émerveillement la beauté

de la jeune fille qui était étendue là.

Un tas de pensées plus ou moins confuses se bousculaient dans sa tête: Voici ce que je crois avoir toujours cherché, cet idéal trompeur que je pensais toujours trouver de lêautre côté du prochain sommet de montagne...

de la prochaine vague.., au bout de lêarc-en-ciel. Je ne savais pas que ce pouvait être une femme... ou prendre la forme dêune femme...

Et elle est ici devant moi, en train de mourir, et nous sommes tous deux enfermés sans espoir dans cette prison. Ne vois-je en elle tant de beauté

que parce qu èil est trop tard ?... Le rêve impossible devient-il réalité

lorsqu èil n èest déjà presque plus réalité?

Tout à cet émerveillement qui semblait le priver de sensations, Dane restait là sans bouger, oubliant quêil tenait un plateau à la main. Puis un mouvement presque imperceptible sur la couchette, comme un souffle délicat, vint lui indiquer quêelle nêétait pas morte. Et, du même coup, toutes ces pensées folles qui lêassaillaient à lêinstant refluèrent en masse pour laisser place à des considérations dêun pragmatisme plus prosaÔque et immédiat. Trêve de rêveries! Il y avait là une jeune fille menacée par une mort lente, mais pour qui il nêétait peut-être pas trop tard.

Lêémerveillement sêétait transformé en simple pitié humaine. Il sêagenouilla près dêelle et tendit lentement la main pour lui toucher lêépaule.

Mais, comme si le tumulte de ses pensées lêavait réveillée, et avant même quêil lêait effectivement touchée, elle bougea et se tourna légèrement vers lui. Puis ses yeux, profondément enfoncés sous des sourcils qui présentaient lêapparence de la plume, sêouvrirent.

Elle avait le teint si p‚le quêil se serait attendu à ce que ses yeux fussent bleus; mais cêétaient deux grands yeux dêun brun-roux très foncé; des yeux de petit animal des forêts. Ses lèvres bougèrent comme si elle voulait parler, mais sa voix était trop faible pour quêon lêentende: ce nêétait quêun murmure imperceptible qui exprimait la protestation ou la curiosité.

- Regardez, je vous ai apporté de la nourriture, lui dit-il en sêefforçant de parler le plus doucement possible. Essayez de manger.

Un nouveau murmure, qui signifiait le refus.

- Allons, fit Dane en raffermissant sa voix, cêest stupide. Tant que vous vivez, vous avez un devoir envers nous tous; vous devez conserver vos forces au cas o˘ nous aurions une occasion de fuir, ou nêimporte quel autre événement favorable. Imaginez que lêon vienne nous secourir, ou que nous réussissions à nous évader, mais que vous soyez trop faible pour marcher et que nous soyons obligés de vous porter: nous pourrions être de nouveau repris uniquement parce quêil nous faudrait nous arrêter sans arrêt à cause de vous. Ne pensez-vous pas que ce serait alors un grand mal que vous nous causeriez à tous?

Les lèvres frémirent de nouveau, et cette fois il eut lêimpression dêavoir saisi un très léger sourire au milieu de lêimmobilité totale du visage privé de forces. Il se pencha pour entendre ce quêelle disait:

-

Pourquoi devriez-vous.., vous embarrasser de moi ?...

-

Parce que nous sommes tous humains et embarqués dans la même galère.

Il

avait répondu avec assurance, mais, au fond de lui-même, il se demandait si tout le monde était réellement logé à la même enseigne.

Personne nêavait manifesté le moindre désir dêaider la jeune fille à rester en vie, et peut-être était-ce la conscience de cet abandon qui lêavait incitée définitivement à vouloir mourir...

-

Eh bien, en tout cas, il mêimporte à moi que vous viviez, fit-il en cherchant sa main. Allez: si vous êtes trop faible pour vous alimenter vous-même, cêest moi qui le ferai.

Il

ouvrit le paquet et, après avoir regardé les aliments sêimprégner tout seuls de la vapeur qui les faisait chauffer, il prit une cuillerée du liquide qui tenait lieu de soupe et la porta à ses lèvres:

-

Allons, avalez. Commencez par ça, cêest plus facile à manger.

Pendant un instant il crut quêelle allait garder ses lèvres obstinément fermées, puis elle les écarta doucement et y laissa pénétrer le contenu de la cuiller; presque tout de suite après, il sut, en constatant la légère contraction de sa gorge, quêelle lêavait avalé. Il en éprouva alors un sentiment de joie indicible mais prit bien garde dêen laisser rien paraître, se contentant de reprendre du liquide dans la cuiller et de le présenter à ses lèvres. Après un mouve-

ment de recul, elle fit mine de vouloir sêasseoir; passant son bras autour de son épaule, Dane lêaida à se soulever et elle termina ainsi la soupe, puis entama la bouillie. A un moment donné, Dane interrompit la répétition de son geste alors quêelle en demandait encore:

-

Non, pas tout maintenant. Il ne faut pas manger trop après une période de je˚ne aussi prolongée. Attendez un petit peu, vous mangerez le reste plus tard.

Elle sourit faiblement pour lui indiquer quêelle avait compris, et il la laissa doucement retomber sur lêoreiller.

-

Oui, essayez de dormir à présent, vous vous sentirez déjà plus forte après.

Elle fit un effort pour rouvrir ses yeux qui se fermaient dêépuisement et murmura:

-

qui... êtes-vous?

-

Un prisonnier comme vous. Je mêappelle Dane Marsh. Nous ferons plus ample connaissance quand vous aurez repris des forces. Et vous, vous vous appelez...?

-

Dallith, l‚cha-t-elle dans un souffle, avant de sombrer dans un profond sommeil, exactement comme si son coeur avait cessé de battre.

Dane resta encore un moment à la contempler, puis il se releva, prit le plateau et le posa sur un meuble.

Dallith. quel nom adorable! Et comme il allait bien àson visage délicat et à ses yeux de petite créature farouche ! Pour le moment il était suffisant de savoir quêelle vivait, quêelle avait choisi de vivre. Il sêéloigna et constata que les autres prisonniers sêétaient de nouveau séparés en petits groupes; mais Rianna, elle, lêobservait. quand il la rejoignit, elle lui lança, sur un ton o˘ perçait une grande dureté:

-

Pauvre fou, quêavez-vous fait!

-

Je crois quêelle vivra, répondit Dane. Il fallait seulement que quelquêun ait lêair de sêinquiéter de son sort. Nêimporte lequel dêentre vous aurait pu le faire.

Mais Rianna était à présent agitée dêune violente colère:

-

Vous rendez-vous seulement compte de ce que vous lui avez fait?

Réveiller ainsi lêespoir en elle alors quêelle avait renoncé! Car cet espoir ne peut déboucher

que sur la souffrance, ne lêavez-vous pas compris? De quel droit vous êtes-vous mêlé de cela?

-

Jamais je ne pourrai me résoudre à laisser quelquêun mourir sans rien faire. Tant quêil y a de la vie, il y a de lêespoir. Vous vivez bien, vous-mênze, non? tes-vous tellement s˚re dêavoir choisi?

Elle poussa un soupir et détourna son regard, avant de répondre, sans le regarder:

-

Jêespère seulement que vous ne saurez jamais ce que vous avez fait...

CHAPITRE III

Il nêexistait aucun moyen de mesurer le temps à bord du vaisseau mekhar en dehors de la fréquence des repas et des moments o˘ lêon éteignait toute lumière, du moins dans le quartier des esclaves, pour ce qui devait correspondre aux périodes de sommeil. Dane estima malgré tout à trois semaines approximativement le temps qui sêétait écoulé sans que survînt dêincident majeur.

Le principal événement digne dêintérêt pour lui durant cette période fut le lent retour de Dallith au désir de vivre. Elle dormait quelques heures et, lorsquêelle se réveillait, Dane la faisait manger. Bientôt elle put rester assise plus longtemps et, quand enfin elle fut en mesure de se lever et de marcher, Dane demanda à Rianna de lêaccompagner aux salles dêeau des femmes, un peu à lêécart dans le secteur qui leur était imparti. Il fut assez surpris que la jeune femme accepte sans trop de difficulté, compte tenu de son peu dêempressement, voire son refus catégorique, à empêcher la jeune fille de mourir. Par la suite, elle la prit même en charge presque complètement, et avec une sollicitude quasi maternelle. Dane nêessaya pas de comprendre les raisons de ce revirement et se contenta de lêenregistrer avec joie.

Pendant un bon moment Dallith nêeut guère la force de parler et il ne chercha pas à brusquer les choses. Il était heureux de rester assis près dêelle en lui tenant la main, un peu comme sêil était en mesure de lui insuffler une partie de sa force et de sa vitalité. Toujours est-il que son état sêaméliorait régulièrement, et, un jour, elle lui sourit et lui posa des questions sur lui

-

Ainsi vous venez dêune planète dont aucun dêentre nous nêa entendu parler. Cêest étrange quêils aient pris un tel risque pour sêy rendre. Ou peut-être pas, si tous les gens de votre peuple sont aussi forts que vous.

Il

haussa les épaules:

-

Jêai passé la plus grande partie de ma vie à chercher de nouvelles aventures. Celle-ci est seulement un peu plus insolite que les autres, cêest tout. Je suis toujours parti de cette idée que personne ne voudrait passer délibérément à côté dêune expérience intéressante, à condition quêelle ne soit ni illégale, ni immorale... ou quêelle ne fasse pas grossir!

Elle se mit à rire .autant que ses forces le lui permettaient. Cêétait un rire enchanteur, comme si toute la gaieté du monde sêétait réfugiée dans sa voix:

-

Vous êtes tous comme ça sur votre planète?

-

Non, je ne crois pas. Il y en a beaucoup qui sêinstallent très tôt dans une vie sans histoires et ne font plus jamais rien. Mais le go˚t de lêaventure nêa pas disparu pour autant : je dirais même que cêest une part de nous-mêmes qui a la vie dure.

Il

se souvint alors que Rianna lui avait dit que les gens comme Dallith mouraient invariablement quand ils étaient séparés de leur planète, et il se retint de justesse pour ne pas lui poser de questions à ce sujet.

Mais, comme si elle lisait dans ses pensées, une ombre voila son regard. Sa tristesse semblait aussi immédiate et totale que pouvait lêêtre sa gaieté.

On aurait avait dit que son corps frêle nêavait de place que pour une seule émotion àla fois, une émotion qui sêemparait alors de tout son être. Elle dit:

-

Jêespère seulement que votre force et votre bravoure ne signifient pas que les Mekhars ont prévu pour vous une destinée plus terrible.

-

quoi quêil en soit, je nêai guère dêautre choix que dêattendre pour voir ce qui va se passer. Mais, comme je vous lêai déjà dit, tant quêil y a de la vie, il y a de lêespoir.

Pourtant le visage de la jeune fille était toujours sombre, et sa voix chargée dêune amertume désespérée quand elle dit:

-

Il mêest difficile dêimaginer quêil puisse exister pour moi un espoir quelconque loin de ma planète et de mon peuple. Oh... dêautres ont quitté notre planète, bien s˚r, mais avec un but précis et jamais... jamais seuls.

-

Alors cêest un véritable miracle que vous ayez voulu de nouveau vivre, mais un miracle que je ne mêexplique pas tout à fait.

-

Vous avez communiqué avec moi, fit-elle avec candeur. Jêai senti votre force et votre volonté de vivre au point que jêai cru de nouveau en la vie. Cêest cela qui mêa nourrie... Votre espoir à vous et votre foi en la vie, aussi bien future que passée. Et avec une telle volonté de vivre il nêy avait plus de place en moi pour la mort: alors la mort a enlevé sa main de moi et jêai recommencé à vivre. Le reste nêa été que... - Petit haussement dêépaules -purement mécanique. Lêimportant était que vous croyiez toujours en la vie et que vous puissiez me faire partager votre foi.

Il

enferma sa petite main dans la sienne. Ses doigts étaient si souples, si légers, quêon aurait pu les croire dépourvus dêos.

-

Allons, Dallith, essayez-vous de me faire croire que vous lisez dans mon esprit, ou dans mes émotions, ou je ne sais trop quoi encore?

Elle le regarda dêun air surpris:

-

Bien s˚r! Comment pourrais-je savoir autrement?

Comment puis-je dire que ce n èest pas vrai? pensait Dane. Il semble que ce soit arrivé, et en tout cas elle le croit. Il ne se sentait pas tout à fait rassuré, car ce phénomène avait quelque chose dêinquiétant. Pourtant il était heureux, car, au fur et à mesure que ses forces lui revenaient, Dallith sêaccrochait à lui de plus en plus. Il était parfois effrayé de la sentir si totalement dépendante de sa volonté à lui. Il lui arrivait de se demander ce quêelle deviendrait sêils étaient séparés. Mais, le reste du temps, il nêy pensait pas car elle nêétait ni envahissante ni exigeante.

Très souvent elle se contentait de rester assise à ses côtés, sans parler, presque comme une ombre, tandis

que lui avait commencé maintenant à sêintéresser aux autres prisonniers.

Il

semblait être le seul, du moins dans cette cellule, àvenir dêune planète isolée. Tous les autres appartenaient plus ou moins à la même civilisation interstellaire que Rianna. Ils formaient un groupe très hétérogène. La créature à lêapparence arachnéenne venait dêune planète chaude et humide o˘ sa race était en minorité, et son nom était une suite de consonnes sifflantes incompréhensibles. Même Aratak, lêénorme homme-lézard, trouvait son processus de pensée totalement hermétique malgré tous ses efforts. Il en fit part à Dane:

-

Il est complètement désorienté. Je ne crois pas quêil réalise vraiment ce qui lui est arrivé: son mécanisme mental a été ébranlé.

Dane, lui, était moins indulgent à cet égard: dans son for intérieur, il doutait que la créature-araignée p˚t même avoir un mécanisme de pensée digne dêintérêt; tout ce quêelle semblait capable de faire était de se tapir dans un coin, en se mettant à siffler dès que quelquêun faisait mine de sêapprocher; et, lorsquêon apportait la nourriture, de se ruer sur son plateau et de retourner tout aussi rapidement se réfugier avec dans son coin. Dane lêélimina dêemblée de la liste des prisonniers susceptibles de jouer un rôle utile lorsquêil sêagirait dêessayer de sortir de la situation actuelle.

Rianna et Roxon, les deux robustes anthropologues aux cheveux roux, étaient nettement plus sympathiques. Dane sêefforça dêoublier quêils nêétaient pas des Terriens comme lui, bien que lêun dêeux ait fait allusion à un certain lieu qui, pour Dane, sortait tout droit dêun film de science-fiction.

Rianna avait mentionné comme un simple détail sans importance le fait quêelle avait suivi pendant quatre ans un cours de technologie étrangère qui avait consisté essentiellement à étudier une ceinture dêastéroÔdes pour essayer dêy trouver les vestiges de la civilisation de la planète existant auparavant. Roxon, lui, se plaignait de ce que lêaxe principal de la civilisation ne soit orienté que vers les technologies proto-félines et que lêon ait tendance à considérer celles des Proto-simiens (ou des Humains) comme superficielles. Selon lui, parce que ces maudits Proto-félins avaient inventé la technique permettant de se déplacer à des vitesses supérieures àcelle de la lumière, ils croyaient que lêUnivers leur appartenait.

quant à Aratak, il devint bientôt pour Dane un compaF gnon privilégié, et même un ami. Cela pouvait paraître

surprenant au premier abord, mais en réalité lêimmense homme-lézard lui donna rapidement lêimpression dêêtre plus humain que les autres; au point quêil en oublia sa peau grise et rugueuse, ses pattes et dents énormes.

Dane constata que son esprit travaillait selon un processus de pensée très proche du sien. Son mode de pensée lui rappelait beaucoup celui des Hawaiiens et des Philippins quêil avait rencontrés au cours de sa première traversée du Pacifique: cêétait une philosophie basée sur une acceptation sereine de la vie, lêart de prendre les choses comme elles viennent, sans pour autant sêy soumettre avec une résignation excessive, mais en sachant sêadapter jusquêà ce que quelque chose de meilleur se présente, et tirer en attendant le meilleur parti de tout. II ne laissait jamais une miette dêun repas, dormait longtemps et bien, et sêarrangeait toujours pour meubler la conversation par quelques citations extraites de la Sagesse du Divin OEuf

- lequel Divin OEuf était, comme Dane finit par le comprendre, le Confucius ou le Lao-Tseu de sa race. Sa

façon dêavoir lêair de se satisfaire de leur captivité avait quelque chose dêirritant.

Mais Dane savait quêil ne fallait pas sêen tenir aux apparences, et ce qui, au début, nêétait que de vagues soupçons, se transforma vers le huitième ou neuvième ´ jour ª de captivité en certitude. Ce fut en effet le jour o˘ un homme, dans la cellule dêà côté, devint fou. Dane le vit se ramasser sur lui-même en entendant le clang! caractéristique qui indiquait que les Mekhars apportaient la nourriture. Tous ses muscles et son attention étaient tendus vers un seul but, quêil était facile de deviner. Et, àlêinstant o˘ le chariot arriva en vue au détour du couloir, il se rua vers la porte de la cellule, lêouvrit et se lança littéralement contre le chariot. Propulsé en arrière, le chariot renversa le Mekhar qui le poussait.

Son énergie brusquement mise sous tension, Dane se dit: ´ Maintenant! Cêest le moment, si tout le monde y va en même temps! Ils ne pourront pas en tuer plus dêun ou deux... ª

Lui-même se préparait à bondir. Cêest alors que lêhomme qui sêétait rué

dans le couloir se mit à crier, dans un hurlement rauque de dément:

- Allons, ordures! tuez-moi tout de suite au lieu de le faire à petit feu !

quêest-ce que vous attendez tous? Plutôt mourir en se battant que de rester ici à attendre...

Et, empoignant le chariot, il le fit rouler sur le corps du Mekhar étendu à

terre, lequel poussait à présent des gémissements entrecoupés de mots incompréhensibles. Dallith criait en se cachant le visage dans ses mains.

Aratak avait posé ses pattes sur les barreaux de la cellule, mais, au moment o˘ il vit Dane faire mine de sêélancer, il le retint. La lourde patte faillit broyer lêépaule de Dane, déchirant déjà la chemise.

- Pas maintenant, dit-il. Inutile de courir à la mort bêtement. Pas maintenant!

Le prisonnier hurlait toujours dans le couloir en poussant son chariot comme un dément. Lê autre Mekhar brandit alors son arme, apparemment dans un geste dêavertissement; mais lêautre, qui ne semblait se rendre compte de rien, fonça droit vers lui. Juste au moment o˘ le chariot arrivait à une distance menaçante pour lui, le Mekhar visa et, presque à contrecoeur sembla-t-il, tira.

Lêhomme poussa un hurlement épouvantable et sêeffondra. Il se tordit un moment par terre, la bave aux lèvres et le corps était secoué de spasmes effroyables àvoir. Mais ses cris devenaient de plus en plus faibles, et bientôt il se tut; à leur tour, les convulsions se firent moins violentes et, pour finir, son corps ne fut plus agité que de petites contractions.

Alors le Mekhar lêempoigna et le traîna dans sa cellule en menaçant les autres prisonniers de son arme. Ils reculèrent tous craintivement, non sans émettre quelques exclamations et murmures horrifiés.

La distribution du repas se poursuivit sans autre incident. Mais cet épisode avait coupé lêappétit de Dane.

Il

fallut que Dallith, qui était aussi p‚le que sa robe, refuse à son tour de sêalimenter, et se précipite à la salle dêeau pour vomir, pour quêil fasse un effort et mange un peu. Il aurait d˚ se souvenir que Dallith était le reflet fidèle de son humeur et de ses émotions...

Il sêefforça de chasser le malheureux prisonnier de sa pensée et, lorsque Dallith revint, toujours aussi p‚le et frissonnante, il la fit asseoir à

côté de lui et lui donna la becquée, jusquêà ce que ses joues aient .repris quelques couleurs. Après quoi, il attendit quêelle sêendorme. Dans la cellule voisine, le prisonnier blessé gémit encore quelque temps, veillé

par ses compagnons. Il mourut pendant la nuit. Le lendemain matin, les Mekhars profitèrent de la distribution des repas pour évacuer son cadavre.

Les rangées de cellules ne montrèrent aucun signe dêagitation pendant lêopération, mais à peine le clang métallique de la fermeture des portes venait-il dêindiquer que les Mekhars étaient partis que tout le monde donna libre cours àson sentiment dêhorreur et que les langues se délièrent.

Dane était assis à côté dêAratak. Lêhomme-lézard, dont les grosses pattes couvertes dêécailles se livraient à une petite gymnastique de délassement, était légèrement appuyé contre son épaule.

- Pendant un moment, jêai cru que vous alliez vous faire tuer comme lui, hier, confia-t-il à Dane.

- Cêest ce qui a bien failli se passer, mais je me suis rendu compte à

temps de la bêtise que jêallais commettre. Pourtant, si tout le monde lêavait suivi, nous aurions probablement réussi.

- Oui, jêy ai pensé moi aussi. Mais ce genre dêentreprise doit se préparer soigneusement: se lancer à lêaveuglette, même avec lêespoir que les autres se joindront àvous, nêest certainement pas le meilleur moyen de sêy prendre. Le Divin OEuf a dit quêest fou lêhomme qui accorde trop de prix à

sa vie, mais deux fois plus fou celui qui la méprise assez pour la risquer inconsidérément.

Dane regarda autour de lui. Dallith dormait, et il sêen réjouissait: la crainte de lêeffrayer était une préoccupation permanente pour lui. (Il se demanda sêil nêéprouvait

pas par hasard de lêamour. Certainement pas sur un plan sexuel, du moins pas encore; mais sous forme dêun souci constant, passionné, que le bonheur de la jeune fille soit plus important pour lui que le sien propre, quêelle vive en quelque sorte au plus profond de son être. Oui, pourquoi ne pas appeler cela de lêamour?)

-

Je suppose, dit-il à Aratak, que vous êtes dêaccord avec moi quêil doit être possible de sêévader, à condition naturellement de prendre toutes les précautions nécessaires et ne pas agir seul ? A mon avis, ces Mekhars nous sous-estiment; ils doivent probablement penser quêaucun de nous nêest assez intelligent pour imaginer la moindre possibilité dêévasion. Mais avez-vous remarqué que les portes restent non verrouillées et pratiquement sans surveillance pendant, en gros, une demi-heure chaque jour?

-

Oui, je lêai remarqué, répondit Aratak. Au début, je me suis dit que cêétait trop simple: comme sêils voulaient, pour quelque raison connue dêeux seulement, nous inciter à essayer de nous évader. Mais pourquoi feraient-ils cela? Par pur esprit sanguinaire? Dans ce cas, ils pourraient facilement sêoffrir la mort dêun prisonnier par jour si cêétait uniquement par plaisir. Aussi suis-je arrivé à la conclusion, qui semble être également la vôtre, quêils sont uniquement mus par un orgueil et une assurance démesurés. Tout simplement, ils nous croient incapables de profiter dêune telle occasion; ils estiment que nous avons trop peur dêeux et de leurs armes.

Il

fit une pause, avant de reprendre sur un ton plus vif:

-

Seriez-vous dêaccord pour que nous apprenions àces maudits cousins félins lêerreur quêils ont commise?

Dane tendit la main dans un geste spontané de camaraderie:

-

Topez là!

La lourde patte - dont son titulaire avait préalablement pris la précaution de rétracter les griffes - se referma sur la sienne. Il se rappela alors seulement que son nouvel ami nêétait pas exactement ce quêon pouvait appeler un homme !...

Ayant ainsi scellé leur accord, ils allèrent sêinstaller dans un coin pour mettre au point leur plan.

-

Nous ne pouvons rien faire à deux seulement, et il va nous falloir du temps et de lêorganisation.

-

Certainement. LêOEuf Divinement Sage a bien dit quêun acte de folie ne peut réussir que dans la mesure o˘ il aura été préparé avec deux fois plus de soin quêun acte de sagesse.

Le plan dêaction était très simple, à peine plus élaboré que la tentative du prisonnier tué: il consistait à profiter du grand laps de temps qui sêécoulait entre le déverrouillage et le reverrouillage des portes des cellules pour se glisser dehors, battre le rappel des autres prisonniers, faire sauter lêarme des mains du garde mekhar et sortir en force du quartier des esclaves. Les Mekhars en tueraient peut-être quelques-uns dans lêaffaire - et Dane ne se cachait pas lêéventualité quêil ferait probablement partie des morts - mais ils nêarriveraient certainement pas àtuer tout le monde, et les survivants pourraient sêéchapper.

Mais que se passerait-il une fois quêils seraient sortis du quartier des esclaves? Ils devraient affronter le reste de lêéquipage. Le secteur de lêhôpital était pourvu de champs dissuadeurs, peut-être dêautres secteurs du vaisseau lêétaient-ils aussi.

-

Nous ne pouvons pas agir seuls, précisa Dane. Nous ne pouvons même pas organiser quoi que ce soit seuls. Je nêen sais pas assez sur les Mekhars; jêignore tout de vos vaisseaux spatiaux, de vos armes, de votre civilisation et même de votre Unité. Nous avons absolument besoin de quelquêun dêautre, et rapidement, pour nous aider à concevoir notre plan.

-

Vous avez raison, acquiesça lêhomme-lézard. Nous devons décider dêabord auxquels de nos compagnons nous pouvons nous adresser et lesquels risquent dêores et déjà de flancher, comme la pauvre créature dêhier, et de tout faire échouer par précipitation ou par panique, ou même de nous trahir en allant avertir les Mekhars en échange de quelque petit avantage - oh, si! je sais que certains dêentre nous, ici, en seraient capables ! - Les extrémités postérieures de ses énormes m‚choires se teintèrent soudain dêune légère lueur bleutée. - Je vais mêen remettre à la sagesse de lêOEuf.

Je suppose que, de votre côté, vous allez en parler à Dallith en premier?

Dane sentit aussitôt une sorte dêangoisse lui serrer la gorge; une peur soudaine, non pas pour lui-même, mais pour la jeune fille. Il avait fait tellement dêefforts pour tenir toutes ces pensées éloignées dêelle, et lêépisode de lêhomme devenu fou lêavait tellement bouleversée, quêil avait peur de la voir retomber dans cet état de mortelle lassitude qui lui faisait renoncer à la vie.

- Je ne pense pas, répondit-il à Aratak. Jêen parlerai dêabord à Rianna.

Peut-être Dallith pourrait-elle ainsi rester à lêécart de tout ceci, en sécurité, jusquêà ce que le danger soit passé...

Il commençait à noter de subtils changements dans les réactions dêAratak, rien quêà des détails dans son apparence extérieure; seulement il était encore incapable de déterminer quelles sortes dêémotions faisaient plisser le front rugueux et luire les espèces dêouÔes qui formaient repli sur son cou. Car Aratak éprouvait visiblement une émotion en ce moment; mais était-ce de la sympathie, du mécontentement, de la contrariété? Dane nêaurait su le dire. Sa voix avait en tout cas retrouvé tout son calme lorsquêil dit

- Vous autres Proto-simiens vous connaissez mieux que moi-même ne suis jamais arrivé à le faire: vous avez donc peut-être raison. Parlez à Rianna pendant que je chercherai sagesse, de mon côté, chez un autre interlocuteur.

Dane attendit la distribution de nourriture suivante, et, tandis que tous les prisonniers de leur cellule prenaient possession de leur plateau puis sêinstallaient pour manger, il posa sa main sur le bras de Rianna et lui dit à voix basse:

- Je voudrais vous parler. Asseyons-nous ici, dans ce coin.

Tandis quêils déballaient le contenu de leur plateau, il lui exposa sa théorie à propos de lêouverture et de la fermeture des portes des cellules.

Tout en parlant, il pouvait voir les yeux noirs de la jeune femme briller dêune lueur ardente.

- Je me demandais si quelquêun avait noté cela aussi ! fit-elle. Il semble que tout le monde ici soit, ou l‚che, ou seulement capable dêagir de façon irréfléchie. Vous avez raison: il est possible de faire quelque chose; mais que pourrais-je faire, moi une femme, seule ? Je suis prête à vous suivre, Dane, même si je dois être abattue la première

Il

ne put sêempêcher de sourire:

-

Je croyais que vous prêchiez au contraire les vertus de la résignation. Vous vous sentiez suffisamment désespérée pour laisser Dallith mourir.

-

Je ne faisais que ce qui me paraissait le mieux sur la base de ce que je savais de son peuple, répliqua vivement Rianna. Tout le monde peut se tromper. Jêespère ne pas être une scientifique pour rien et savoir notamment modifier mes théories au fur et à mesure que je recueille de nouveaux faits. Ayant eu le temps dêobserver le comportement des Mekhars et celui de nos camarades prisonniers, je me sens un peu plus optimiste.

-

Mais vous êtes bien consciente, fit Dane avec gravité, que si nous prenons la tête des opérations, il y a de très fortes chances pour que nous soyons les premiers àêtre tués? Ce nêest pas une mort particulièrement agréable.

-

Dans ce cas, je nêaurai plus lêoccasion de me poser de questions sur lêavenir. Mais, à supposer que nous survivions suffisamment longtemps pour avoir ce genre de préoccupation, que se passera-t-il après cela?

Jêimagifle que votre plan ne sêarrête pas à notre sortie de cage. que ferons-nous ensuite?

-

Je ne sais pas, admit Dane. Cêest pour cela que je me suis adressé

à vous. Je me vois mal dans le rôle de chef de bout en bout de cette entreprise. Je peux contribuer à nous faire sortir de notre prison, mais, une fois dehors, je deviens aussi utile que des voiles sur un vaisseau spatial. Nêoubliez pas que je viens dêune planète arriérée; ce que je connais des vaisseaux interstellaires pourrait tenir tout entier sur un doigt de la main, et encore en grosses majuscules. Jêai bien pensé que nous pourrions prendre les deux gardes mekhars en otages pour nous permettre de fuir, car il y a fort à parier quêune race aussi imbue dêelle-même que les Mekhars tient la vie dêun de ses membres pour très précieuse, contrairement à ceux des autres races; mais je ne connais pas les Mekhars, et même si nous arrivions à éliminer toute la confrérie à

tête de lion du vaisseau, je me retrouverais personnellement toujours hors de mon élément. Je ne saurais pas comment nous conduire en un endroit s˚r, ni appuyer sur le signal dêalarme et envoyer un message de détresse si nous menacions de nous écraser sur une planète ou de plonger dans un soleil.

-

Oh, sur ce plan, Roxon a un brevet de pilote, intervint Rianna. Je ne pense pas quêil ait déjà manoeuvré un appareil de cette taille, mais les principes de pilotage àvitesse supra-luminique sont standards dans toute la Galaxie. Une fois débarrassés des Mekhars, il nous serait possible dêatterrir quelque part à lêintérieur de lêUnité.

Dane se dit que cette solution ne résoudrait guère son problème personnel, mais, finalement, cet aspect des choses nêétait quêun détail mineur: il ne pourrait de toute façon quêêtre plus à lêaise dans un monde ayant au moins lêavantage dêêtre civilisé ; peu importe quêil lui demeur‚t étranger. Après tout, lêUnité ne pratiquait pas lêesclavage.

-

Jêimagine par conséquent que la prochaine démarche à faire est de rallier Roxon à notre plan ? dit-il. Si vous êtes s˚re que nous pouvons avoir confiance en lui. Vous le connaissez, moi pas.

Rianna prit un air vexé:

-

quêest-ce que vous croyez? Cêest un citoyen tout ce quêil y a de plus civilisé!

-

Le pauvre type qui a affronté les nervo-fuseurs hier lêétait probablement, lui aussi. Non, ce nêest pas à ce point de vue que je me place: simplement, je ne le connais pas du tout. Comment serais-je en mesure de juger de son courage? Sêil ne sêaffolera pas? Bref, sêil saura garder son sang-froid de bout en bout, et même tenir sa langue pour que le secret ne transpire pas? Pourquoi croyez-vous donc que je vous ai parlé à

vous en premier?

Un léger sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme, la faisant paraître dêun seul coup plus jeune et plus jolie:

-

Je pense que je dois prendre ceci pour un compliment. Merci, Marsh.

Je parlerai à Roxon. Je le connais depuis longtemps et je remettrais ma vie et ma réputation de savant entre ses mains, si cela peut vous servir de références.

-

Rianna, je suis désolé, je nêavais pas du tout lêintention dêêtre désobligeant...

-

Ce nêest rien. Vous nêavez effectivement aucune raison de lui faire confiance à priori, de même que lui nêa aucune raison de vous faire confiance à vous: il a un préjugé à lêégard des habitants des planètes qui nêont pas adhéré à lêUnité.

-

Comment aurais-je pu adhérer à votre... Unité alors que personne sur ma planète nêa jamais eu le moindre soupçon que ce genre dêinstitution p˚t exister?

-

Je ne prétends pas que le préjugé de Roxon soit rationnel, précisa Rianna avec froideur. Je constate simplement un fait sans porter de jugement de valeur. Mais Roxon dirait probablement quêil doit y avoir une bonne raison - une raison suffisante pour que votre planète ne se soit jamais vu offrir dêentrer dans lêUnité.

Cette remarque ne manqua pas de susciter une certaine perplexité chez Dane.

Mais ce nêétait pas le moment de se lancer dans une discussion sur ce problème. Au moment o˘ Rianna allait sêéloigner, il la retint:

-

Mais, au fait, comment se fait-il que vous, vous me fassiez confiance?

Rianna haussa les épaules:

-

Comment savoir? Peut-être est-ce à cause de vos beaux yeux... Ou peut-être parce que je me sers de Dallith comme baromètre. A propos, je vous signale quêelle est en train de vous dévorer du regard en ce moment.

Jêimagine quêelle ne peut pas manger si vous ne lui tenez pas la main. Vous devriez aller lui remonter le moral pendant que je parle à Roxon. II ne doit rien y avoir dans notre

L comportement qui risque dêéveiller les soupçons des r Mekhars.

Ils se séparèrent et Dane jeta un coup dêoeil en direction de Dallith. Mais la jeune fille nêétait pas en train de le regarder en ce moment, et il ne bougea pas, se retournant au contraire pour suivre Rianna des yeux. quels étaient exactement ses sentiments à son égard? La connaissait-il suffisamment pour être en mesure dêapprécier les plus élémentaires dêentre eux?

Rianna sêagenouilla à côté de Roxon, assis seul dans son coin, son plateau vide sur ses genoux. Elle approcha sa tête de la sienne, et Dane suivit leur manège avec anxiété. Ce qui était certain, cêest que rien, aucune attitude, ne devait laisser soupçonner un seul instant que quelque chose se tramait. Même sans connaître les réactions des Mekhars, il devait être par principe dangereux dêêtre surpris en train de se réunir en petits groupes, de se faire des messes basses et. dêune façon générale, de donner lêimpression quêon ne veut pas être entendu.

Dane vit Roxon poser son plateau par terre, enlacer Rianna et la faire asseoir à côté de lui. Du même coup, Dane eut une réaction de surprise choquée: Comme ça? Devant tout le monde? Dans une cage? Et puis il sêen voulut dêappliquer automatiquement aux autres les critères de morale de sa malheureuse petite planète, ou du moins les siens propres; même dans certaines régions de la Terre, un tel comportement était considéré comme parfaitement naturel; dans certaines îles du Sud, non seulement on faisait lêamour en public, mais on vous invitait même à prendre part et lêon était vexé si vous refusiez. Il détourna la tête au moment o˘ ils se rapprochèrent encore lêun de lêautre.

Il

entendit alors Dallith lui murmurer à lêoreille:

-

Ce nêest pas ce que vous pensez. Mais cela a-t-il de lêimportance pour vous?

II

sursauta et se retourna, un peu décontenancé. Il chercha à se trouver une excuse:

-

Souvenez-vous : je viens dêune planète arriérée qui ne connaît pas les coutumes des autres.., ou plutôt sêen tient aux siennes propres.

-

Ce nêest pas non plus la coutume de mon peuple, mais, étant capable de ressentir les émotions dêautrui, je vous le répète: il nêexiste aucun désir entre eux, si cela vous importe.

-

Je me fiche pas mal de ce quêils peuvent faire, se défendit Dane.

Il

sentait bien quêil avait rougi et il sêen voulait furieusement dêavoir offert à Dallith la possibilité de deviner son trouble.

-

Pourquoi y attacherais-je de lêimportance? ajouta-

-

Mon peuple ne se demande jamais pourquoi un autre peuple est comme il est, expliqua Dallith tranquillement, puisquêil ne peut éluder les émotions qui le fait se comporter ainsi ; le contraire nous donnerait du mat inutilement. Je me sens gênée uniquement parce que vous lêêtes ; sans quêil y ait de raison à cela. Tous deux sont en train de se donner une apparence et, si vous y réfléchissez une seconde, vous en comprendrez de vous-même la raison.

-

Non, réellement, je ne vois pas pourquoi ils... Oh! vous voulez dire: de façon que les Mekhars nêaient pas lêimpression quêils sont en train de comploter?

-

Naturellement. Rianna est très intelligente. - Dallith garda un moment les yeux posés sur les deux corps enlacés, à demi-nus, puis elle sourit : - Ils font semblant de faire la seule chose qui ne risque pas dêéveiller les soupçons des Mekhars. II faut que vous compreniez quê une des conséquences de la façon dont les Proto-félins nous considèrent, nous autres Proto-simiens, cêest que... Comment pourrais-je vous expliquer cela?

Je vous sens gêné et je ne peux pas mêempêcher de lêêtre moi aussi...

Elle baissa les yeux, cherchant à se donner une contenance:

-

Voilà, pour dire les choses très simplement: nous autres Protosimiens sommes supposés être en permanence les esclaves de nos pulsions sexuelles. Alors que, pour vous, Rianna et Roxon seront en train de comploter, pour les Mekhars ils ne seront quêen train de faire la seule chose que, selon eux, tous les singes de leur espèce ont jamais été

capables de faire: sêaccoupler. Pour eux, il nêy a donc pas lieu dêintervenir. Voilà pourquoi je vous dis que Rianna est très intelligente.

-

En effet, reèonnut Dane. Je nêaurais jamais pensé àcela.

Il

se sentait à la fois vexé et furieux. Nêétait-ce pas aussi Aratak qui lui avait dit quelque chose comme: Vous autres Protosimiens êtes tellement préoccupés par votre cycle de reproduction...

Cêétait assez humiliant de se sentir rabaissé au rang de race qui ne pense quêau sexe...

Dane détourna son regard du spectacle un peu trop réaliste quêoffraient les deux anthropologues, spectacle auquel, dêailleurs, personne ne semblait accorder la moindre attention, même parmi les Humains. Jêespère au moins qu èelle lui explique bien notre plan et quêil sera dêaccord, sinon je ne vois vraiment pas par o˘ je pourrais commencer. Seuls, nous n èavons aucune chance, Aratak et moi. En tout cas, jêai bien dêautres choses àpenser que de mêinquiéter de la vie sexuelle des autres!

Il

se rappela brusquement quêil avait eu peur de parler du projet dêévasion à Dallith. Lêavait-elle deviné à présent? Il était difficile de savoir si elle lisait ses pensées ou reflétait seulement ses émotions. Au même instant, comme si elle était en train précisément de refléter son profond désarroi, sa petite main chercha la sienne et sêy accrocha presque désespérément. Elle était froide. Dane la serra très fort, en sêefforçant de recouvrer son sang-froid.

Il

sêétait toujours donné lêimage dêun aventurier, mais dêun aventurier solitaire. Il connaissait ses possibilités, ses limites, ce quêil savait pouvoir réussir ou pas. On lêavait accusé un jour de prendre trop de risques et il sêen était défendu en soulignant par exemple quêil pouvait très bien se faire écraser en traversant simplement la rue et que, à partir du moment o˘ il avait décidé de faire quelque chose en parfaite connaissance de cause, il nêétait plus question de risques.

Mais ce qui était vrai par rapport à ses propres capacités devenait plus problématique dès lors quêil sêagissait de sêen remettre à des étrangers, dont certains nêétaient même pas humains. Certes, Aratak semblait offrir toutes les garanties par sa force et sa solidité, et la détermination et lêintelligence de Rianna lui inspiraient également confiance. Mais les autres? Ils étaient autant dêinconnus, et le fait de nêavoir à compter dêhabitude que sur soi ne servait plus à grand-chose dès lors quêil sêagissait

dêaccomplir des actions dangereuses avec dêautres gens. Cêétait même plutôt un handicap au départ.

Il

l‚cha la main de Dallith, sachant que les craintes de la jeune fille ne pouvaient quêaugmenter au gré des siennes propres.

-

Nous parlerons de tout cela plus tard, dit-il. Je veux dêabord être s˚r de ce que je pense.

Comme dêhabitude, elle ne protesta pas ni ne chercha àle contredire, mais elle assuma son humeur telle quêelle était, comme si cêétait la sienne, et retourna sêallonger sur sa couchette. Rianna et Roxon sêétaient séparés à

présent, et Dane était impatient de savoir ce quêelle lui avait dit et ce quêil avait répondu. Mais il aurait été dangereux dêaller le lui demander maintenant. Naturellement, il aurait pu lui aussi faire semblant dêobéir à

quelque pulsion, mais mieux valait laisser tomber cet aspect des choses, qui ne menait à rien de toute façon et ne pouvait être au contraire que la cause de complications inutiles.

Il

ne voulait même pas essayer de savoir si, comme le lui avait demandé Dallith, cela avait vraiment de lêimportance pour lui ou non.

CHAPITRE IV

Il

nêeut pas de contact en tête à tête avec Rianna avant la distribution de repas suivante. A cette occasion, ce fut elle qui prit son plateau pour lui et, tandis quêelle le lui remettait, elle lui dit à voix basse:

-

Roxon est dêaccord. Il ne peut pas piloter ce vaisseau seul, mais il saura faire marcher les appareils de transmission pour que le Central de Navigation puisse lêaider. Il va en parler à un autre prisonnier quêil connaît, dans la cellule dêà côté. Vous pouvez avoir confiance en lui: il a un bon jugement sur les hommes. Il a été un peu surpris que ce soit vous qui ayez imaginé ce plan, mais ça, cêest son fameux préjugé, il le reconnaît lui-même.

-

Trop aimable de sa part, fit Dane dêun air buté.

Il

se rendit instantanément compte que sa mauvaise humeur nêétait guère justifiée. Il savait quêil ne pouvait pas mener à bien son plan tout seul; il devrait au contraire être reconnaissant à Roxon dêavoir accepté

dêen assumer une partie.

Elle ne resta pas plus de quelques minutes avec lui, craignant manifestement quêon ne soupçonne quelque chose de louche, mais, un peu plus tard, passant près de lui, elle murmura:

-

Passez vos bras autour de ma taille et restons quelques instants dans cette position... En avez-vous parlé à Dallith ? Je vous ai vus en train de discuter, mais je nêai pas eu lêoccasion de lui poser la question.

Dane la prit dans ses bras comme elle le lui demandait.

son corps était à la fois très féminin et musclé, et loin de rester passif sous son étreinte.

-

Non, répondit-il, pas encore : jêai eu un peu peur de le faire.

Nous étions en train de discuter dêautre chose. Elle mêexpliquait certains aspects de, euh... des coutumes galactiques et la façon dont les Mekhars -

enfin, dont tous les Proto-félins - considéraient les humains.

Attend-elle que je fasse semblant de faire lêamour avec elle ?

Comme si elle avait deviné sa pensée, Rianna se dégagea de son étreinte et dit à voix basse:

-

Parlez-lui-en dès que vous pourrez. Nêoubliez pas que cêest une empathe. Si vous hésitez trop, cela se répercutera sur son propre comportement et les Mekhars risquent dêêtre assez malins pour la surveiller et voir ainsi sêils ont des raisons de se méfier de nous. Si elle est mise au courant, par contre, elle pourrait peut-être - je nêen suis pas s˚re, car je ne connais pas assez les empathes, mais cêest possible - sonder les Mekhars pour prévoir comment ils sêapprêtent à réagir à notre égard, à quel moment ils seront le moins sur leurs gardes, à quelle distance nous sommes encore de lêendroit o˘ ils nous emmènent, et cetera.

-

Ce serait vraiment trop beau pour être vrai.

-

Sans doute: je nêai jamais eu tellement confiance dans les psychodons, personnellement. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de négliger le moindre élément, aussi petit f˚t-il. Alors parlez à Dallith le plus rapidement possible.

Dane savait quêelle avait raison et quêil lui fallait maintenant faire preuve de décision. Mais, dêun autre côté, que se passerait-il si, par sa faute, Dallith retombait dans son désespoir suicidaire?

La routine du quartier des esclaves lui était devenue familière à présent et il avait même fini par sêen imprégner. Environ une heure après la dernière distribution de repas (du moins, selon lêestimation approximative àlaquelle il était arrivé), la longue chaîne de cages était plongée dans lêobscurité, à lêexception des veilleuses dans les couloirs qui les séparaient, et de petites marques

phosphorescentes aux portes du secteur des toilettes. Dane regagnait alors la couchette qui était reconnue par tout le monde comme la sienne, et ce, invariablement à la même heure. Cêest incroyable comme on sêhabitue àtout!

songeait-il. Voilà une couchette qui est déjà considérée comme ´ la mienne ª et dans laquelle je suis habitué à me coucher invariablement au même moment. Les espèces pensantes se définissent-elles donc toutes par rapport à leur aptitude à sêhabituer, ou bien est-ce seulement nous, les Humains, ou les Proto-simiens?

Il attendit que toute agitation ait cessé dans la cellule et que ses compagnons se soient endormis. Lêoccupant de la couchette située au-dessus de la sienne reniflait brny~mment et criait dans son sommeil. Dans celle dêà côté, Aratak faisait un curieux bruit en ronflant et, tandis que Dane se laissait doucement glisser de sa couchette, il remarqua que lêhomme-lézard émettait une légère lueur dans le noir. A lêautre bout de la cellule, entouré de couchettes vides de chaque côté, la longue créature arachnéenne était tapie dans son coin comme à son habitude, ses yeux énormes et rouges reflétant la lumière. Les yeux inquiétants suivaient le manège de Dane, lequel essayait de se faire le petit possible. …tait-ce un regard de colère? Les Mekhars nêauraient-ils pas par hasard enfermé ici une espèce cannibale?

Dallith occupait la couchette du bas. Son visage était tourné de lêautre côté et ses longs cheveux épars sur ses épaules, comme la première fois o˘

il lêavait vue. Elle dormait profondément, et, lorsquêil sêassit doucement sur le bord de son matelas, elle ne se réveilla pas tout de suite mais bougea légèrement comme pour lui laisser un peu plus de place, accompagnant ce mouvement dêun petit murmure dêaise.

Elle le reconnut, même endormie, et toute peur disparut dêelle. Une vague de tendresse envahit alors Dane; il prit sa petite main toujours froide et lêembrassa. Elle se réveilla et lui sourit dans lêobscurité. Elle avait lêair si calme et si détendue quêil sêabstint pendant un moment de g‚cher cette impression. Elle ne semblait pas surprise de le voir ainsi près dêelle, éveillé, et ne lui posa même

pas de questions. Laissant de côté ce quêil avait à lui dire, Dane lui demanda:

-

Comment est votre planète, Dallith?

-

Je ne sais quelle réponse vous donner, Dane, murmura-t-elle. -

Cêest ma patrie. que peut-on dire dêautre de sa patrie sinon quêeUe est belle? Mon peuple la quitte rarement - et presque jamais de son plein gré

-

aussi nêavons-nous aucun point de comparaison avec dêautres mondes en dehors de ce que nous avons pu en lire. Je suppose que ce doit être la même chose pour vous.

Un violent accès de nostalgie saisit Dane à lêévocation de sa planète natale. Ne jamais revoir Hawaii, la grande arche du Golden Gate Bridge, le ciel de New York dentelé de gratte-ciel, ou lêéclosion dêun rhododendron au printemps...

Les mains de Dallith pressèrent tendrement les siennes:

-

Je ne voulais pas vous attrister, Dane. Dites-moi maintenant pourquoi vous êtes venu me réveiller. Ce nêest pas que cela ne me fasse pas plaisir, au contraire, mais je sais assez le genre de personne que vous êtes pour penser que vous avez quelque chose de particulier à me dire.

II

hocha la tête et, sans faire de bruit, sêétendit à côté dêelle. Il se dit que, si les Mekhars passaient, comme ils le faisaient deux ou trois fois par nuit, ils imagineraient, en les voyant tous deux ainsi, la seule chose à laquelle ces rustres étaient capables de penser dans ces cas-là. Et puis après? Il exposa tout bas à lêoreille de la jeune fille son plan dêévasion. Elle lêécouta en silence et il la sentit simplement se contracter légèrement lorsquêil évoqua la possibilité que les Mekhars tuent quelques-uns dêentre eux. quand il eut terminé, elle dit:

-

Je me doutais bien que ce devait être quelque chose comme cela. Je vous ai vu discuter avec Aratak, mais je nêétais pas exactement s˚re de ce dont il pouvait sêagir. Seulement, Dane, si cêest de force physique dont vous avez besoin, je nêen ai certainement pas assez pour désarmer un Mekhar. En quoi puis-je vous aider?

Elle parlait dêune voix si calme quêil ne put sêempêcher de lui demander:

-

Vous nêavez pas peur? Je croyais vous affoler...

-

Pourquoi ~ Jêai déjà affronté le pire quand ils mêont arrachée à ma planète et à mon peuple. Je ne vois plus de quoi je pourrais avoir peur à

présent. Dites-moi ce que je peux faire pour vous aider.

-

Je nêy connais pas grand-chose en matière dêempathie, fit Dane (qui se souvenait des paroles de Rianna:

´ Je n èai jamais tellement eu confiance dans les psycho-dons... ª), mais peut-être pouvez-vous nous aider à savoir combien de temps nous avons devant nous, si les Mekhars se préparent à nous déposer quelque part. Peut-

être pouvez-vous nous dire à quels obstacles nous allons nous heurter. Ce genre de choses...

Une expression de répulsion vint altérer le visage de la jeune fille:

-

Je ne sais pas. Je nêai jamais essayé de... de lire les pensées ou les émotions dêune autre race; elles sont si féroces... Mais jêessaierai.

Nêen attendez pas trop, mais je vous promets dêessayer.

-

Je ne vous en demande pas plus.

Comme il faisait mine de se relever, elle le retint presque désespérément:

-

Non! Ne me laissez pas seule. Jêai peur. Restez près de moi.

Il

eut un petit sourire amer:

-

Vous mettez la nature humaine à rude épreuve. Dallith, vous en rendez-vous compte?

Mais il resta dans la position o˘ il se trouvait et finit par sêendormir à

côté de la jeune fille, sombrant dans des rêves peuplés de lions, dêétranges couleurs et dêembuscades lêattendant derrière de mystérieuses ruines. Il se réveilla pour entendre Dallith gémir et sêagiter dans un sommeil traversé lui aussi de rêves mouvementés, avant de replonger dans des cauchemars qui parlaient de chasseurs et de gibier, de traque et dêodeurs de sang et de mort.

Environ deux jours plus tard, Dallith se joignit à lui, Rianna, Roxon et Aratak à lêheure du repas, alors que les Mekhars avaient disparu avec le chariot. Elle leur parla le plus discrètement possible:

-

Il faut faire vite, mettre au point notre plan très rapidement. Ils sont très durs à lire... - Son visage se contracta sous lêeffet dêune curieuse grimace et elle serra presque convulsivement ses deux mains lêune contre lêautre. - ... et il est difficile de ne pas partager leur... leur arrogance. Jêai eu peur... peur de ne plus pouvoir me dégager de leurs pensées. Mais nous devons faire vite.

-

Pourquoi, mon enfant? demanda Aratak dêune voix douce.

-

Parce quêils vont nous emmener quelque part, àmoins... - De nouveau le visage de Dallith se contracta.

- ... à moins quêil ne se passe quelque chose... Je ne sais pas exactement quoi, mais ils semblent attendre que quelque chose se passe et ils seraient déçus... Oh, je ne sais plus !... - Elle se mordit la lèvre. - Je ne sais plus, je ne sais plus ! Jêai peur dêaller plus loin pour savoir...

Dane lêobservait avec inquiétude. Cêest exactement comme sêils voulaient que nous les aUaquions, mais C èest ridicule!

-

Dêautres ont-ils été mis au courant ? demanda-t-il àRoxon. En combien dêentre eux pouvons-nous avoir confiance? A mon avis, nous devrions y arriver à une dizaine si nous nous entendons bien. Mais, plus nous r serons nombreux, mieux ce sera, bien s˚r.

-

Nous sommes déjà cinq ici, fit Roxon. II y en a trois dans la cellule dêà côté, et eux-mêmes mêont dit quêil y en aurait quatre ou cinq prêts à se joindre à nous dans les autres cellules. Pour le reste, cêest lêinconnu. Mais ce devrait être suffisant pour commencer, et quand les autres verront quêil sêagit dêune action bien organisée et concertée, je suis s˚r quêils voudront y participer.

-

Avez-vous pensé aux champs dissuadeurs? intervint Rianna.

-

Bonne question, souligna Aratak. Les gardes portent leur nervofuseur à la ceinture, et je pense quêune commande leur permet de se déplacer sans dommage àlêintérieur du champ dêondes paralysantes. Après avoir désarmé les gardes, il nous faudra aussi leur prendre leur ceinture.

Deux ou trois dêentre nous, parmi les plus forts physiquement, devront être prêts à les mettre, jusquêà ce que quelquêun puisse atteindre la salle de contrôle pour

couper le champ. Roxon, vous sentez-vous capable de faire cela?

-

Je nêen suis pas s˚r, mais je peux essayer.

-

Roxon ne doit pas prendre ce risque, objecta Dane. Nous avons besoin de lui pour piloter le vaisseau. Il vaut mieux que ce soit moi qui mêen charge.

Il

aurait aimé finalement passer à lêaction le jour même. A présent que leur plan était au point, attendre ne pouvait plus que les rendre inquiets, nerveux. Sans compter que, à nêimporte quel moment, le vaisseau mekhar pouvait sêarrêter quelque part pour prendre dêautres esclaves, lesquels, étant ainsi mélangés à eux, risqueraient de les encombrer plus quêautre chose et de faire échouer leur tentative. Il en fit part à ses compagnons:

-

Le plus tôt sera le mieux, maintenant que nous savons ce que nous avons à faire. Je propose la prochaine distribution de repas après celle-ci.

Il

eut du mal à finir son plateau. Voyant quêil faisait mine dêen laisser, Rianna dit, en le regardant et à lêattention de chaque membre de leur petit groupe:

-

Terminez votre repas comme à lêhabitude. Rien dans notre comportement ne doit les laisser se douter de quoi que ce soit.

Le temps qui sêécoula jusquêau repas suivant parut une éternité. Dane le passa en compagnie de Dallith, sa main tenant la sienne. Roxon alla discuter à travers les barreaux de la cage avec ses collègues de la cellule voisine. Rianna, nêappliquant pas en lêoccurrence les conseils quêelle donnait elle-même peu de temps avant, allait et venait nerveusement.

Dallith lui ayant lancé un regard furieux, elle alla sêétendre sur sa couchette o˘ elle fit semblant de dormir. Seul Aratak paraissait calme. Il était assis, ses énormes jambes croisées et les ouvertures dans son cou vibrant imperceptiblement en émettant leur lueur bleue. Mais Dane savait que ce nêétait quêune apparence:

il

nêaurait su dire vraiment si Aratak était aussi maître de lui quêil voulait bien le laisser paraître, même méditant comme il devait être en train de le faire sur la sagesse de son Divin OEuf.

Le temps sêétirait, interminablement, lorsque Dallith, par son sursaut brusque, leur donna lêalerte. Elle se redressa dêun seul coup, les yeux brillants et le visage très p‚le. Rianna, qui la surveillait du coin de lêoeil, sauta de sa couchette et alla se poster devant les barreaux de la cage. Aratak prit à son tour une posture dêéveil. Le mot circula dans un chuchotement à travers les rangées de cages une bonne minute avant que le rituel clang ne vienne annoncer que les Mekhars avaient débloqué la fermeture des portes.

Sêapprochant lentement de celle de leur cellule, Dane sentit nettement la tension qui régnait parmi les prisonniers et pensa: Tout le monde doit se douter que quelque chose se prépare maintenant. Espérons seulement que personne n èalertera les Mekhars.

Les deux gardes mekhars apparurent dans le couloir et commencèrent lêopération de distribution des plateaux. A présent ils arrivaient à

lêendroit o˘ Dane et ses amis attendaient, tendus à lêextrême. Le Mekhar qui poussait le chariot le fit entrer comme dêhabitude à lêintérieur de la cellule pour décharger les plateaux. Derrière lui, son collègue le couvrait avec son nervo-fuseur. Lorsquêil eut fini de décharger, le premier se retourna pour faire ressortir le chariot, et cêest au moment précis o˘

celui-ci se trouva bloquer momentanément la porte que Dane et Aratak lui bondirent dessus.

Dane lui porta un terrible coup de poing selon les règles du karaté et lêautre sêécroula en poussant un rugissement de douleur. Son compagnon fit alors feu avec son nervo-fuseur, et Dane eut juste le temps de plonger en avant, sentant passer au-dessus de lui le sifflement de la décharge.

quelquêun poussa un hurlement, mais déjà le premier Mekhar sêétait relevé

en rugissant, et Dane dut sêapprêter à lêaffronter. Il lança violemment son pied en avant, coup qui aurait mis hors de combat pour un bon moment nêimporte quel être humain; mais le Mekhar lêévita et attaqua à son tour toutes griffes dehors. Derrière lui, Dane vit que les prisonniers de la cage voisine sêétaient répandus dans le couloir et avaient sauté sur le second Mekhar. A présent ils étaient en possession du nervo-fuseur, après avoir laissé son ancien titulaire ma-

nimé sur le sol. Lêénorme bras dêAratak attrapa lêadversaire de Dane par-derrière et lêenvoya rouler au sol, o˘ il continua à se battre. Cêest alors que, se glissant dans la mêlée tel un chat, Dallith réussit à lui subtiliser le nervofuseur quêil avait à sa ceinture. Le Mekhar donna un furieux coup de patte qui atteignit la jeune fille au bras, dont il fit perler le sang. Alors, comme subitement prise dêune rage démente, Dallith se mit à mordre et à donner de furieux coups de pieds; puis, ayant lancé le nervofuseur à Rianna, elle se jeta carrément sur lêhomme-lion étendu à

terre et sêattaqua à ses yeux en hurlant.

Dane nêeut pas trop de ses deux bras pour la retenir:

-

Ce nêest pas la peine de le tuer.

A son contact, Dallith sêapaisa et la fureur céda la place à un tremblement nerveux.

-

Détachez-lui son ceinturon, poursuivit Dane. Là. Aratak, cêest vous le plus fort: vous allez le mettre. Vous pouvez en faire plus que nêimporte lequel dêentre nous si nous tombons sur un champ dissuadeur.

Lui-même mit la ceinture de lêautre Mekhar tout en songeant: Il afallu deux personnes ayant lêexpérience du combat à mains nues pour venir à bout dêun seul Mekhar. Espérons qu èils ne l‚cheront pas sur nous les quatrevingts hommes dêéquipage dêun coup!

-

Allons! fit-il entre ses dents. que tout le monde sorte, bon sang !

Nous ne savons pas combien nous avons de temps avant que les autres sêaperçoivent que ces deux-là ne reviennent pas et quêils descendent à leur tour.

Bientôt tous les prisonniers se retrouvèrent dans le couloir, et Dane eut un moment de panique: il était inconscient quand on lêavait amené ici et il nêavait aucune idée de la direction dans laquelle il fallait allet pour gagner le pont et la salle de commande du vaisseau, et, dêune manière générale, le secteur o˘ devaient se trouver les autres Mekhars. Il interrogea Roxon, qui étau en train de canaliser les prisonniers et leur donnait r~tnid&ê. ment ses ordres à voix basse.

-

Nous avons tous été amenés ici inconscients, oit Roxon. Cela fait partie de leur technique. Mais je pense que nous nous trouvons aux niveaux les plus bas; je propose que nous montions aussi loin que nous pourrons.

56

Il ouvrit la route, sêengageant sur une longue rampe qui semblait mener toujours plus haut et sêincurvait à intervalles réguliers, sans quêils voient o˘ ils allaient. Les autres prisonniers se pressaient derrière lui, et Dane eut toutes les peines du monde à rejoindre la tête en entraînant Dallith et Rianna à sa suite, car il fallait absolument que ce soient les instigateurs de cette évasion qui prennent la direction des opérations si lêon voulait éviter quêelles ne tournent à la pagaille.

-

Vite! De quel côté sont les Mekhars? O˘ ?...

Dallith semblait à peine entendre: son visage était figé et comme tordu dans un rictus. Subitement, elle poussa un cri dêhorreur et, au même moment, Dane vit Rianna sêeffondrer et essayer vainement de se relever.

Puis les prisonniers commencèrent à tomber les uns après les autres, donnant ensuite, une fois à terre, lêimpression de se mouvoir dans de la glu. Le champ dissuadeur! songea Dane. Lui, gr‚ce à la ceinture du garde mekhar, ne sentait rien; mais Dallith sêaccrochait désespérément à lui pour ne pas tomber.

Et puis elle cria:

-

Ils savent !... Ils savent !... Ils nous attendent...

Au même moment, la porte en haut de la rampe sêouvrit violemment et une dizaine de Mekhars armés de nervo-fuseurs apparurent. Voyant les prisonniers sêarrêter, ils passèrent immédiatement à lêattaque. Aratak, qui,

comme Dane, nêétait pas gêné par le champ paralyseur, sêélança à leur rencontre. Il mit un Mekhar hors de

F combat dêun coup qui lui brisa les reins, puis un autre,

~˜ poussant chaque fois une espèce de petit cri plaintif, avant de sêeffondrer sous une décharge. A son tour, Roxon sêécroula et commença à se tordre par terre dans dêaffreuses convulsions.

Dane continuait à se battre au milieu des prisonniers, farouchement décidé

à tuer quelques Mekhars avant quêils ne lêabattent. Il vit Dallith lutter de son côté contre deux hommes-lions avec une hargne et une férocité

incroyables. Cêest alors quêun coup terrible lêatteignit derrière la tête, et il sombra dans le noir en songeant:

Jêavais raison: ils attendaient que nous prenions une initiative; cela devait leur faire plaisir. Mais pourquoi ?...

Il

hurla ´ Pourquoi ? ª dans les ténèbres, mais les ténèbres ne répondirent pas, et, au bout dêun million dêannées, il cessa dêattendre la réponse...

CHAPITRE V

Sa tête lui faisait horriblement mal et il avait lêimpression quêon lui avait brisé les poignets. Lorsquêil ouvrit les yeux, il se rendit compte quêil se trouvait dans une cellule quêil ne connaissait pas. Il était attaché au mur par une chaîne de deux mètres à peu près, terminée par un bracelet qui lui emprisonnait le poignet. De lêautre côté de la cellule, en face de lui, Aratak était attaché de la même façon. Rianna était étendue par terre, endormie. Dallith, elle, était assise en boule, les bras autour des genoux, épiant visiblement le moindre signe de vie chez Dane.

Lorsquêelle le vit ouvrir les yeux, elle sêécria:

-

Vous êtes vivant!

Et aussitôt son visage sêillumina.

-

Je nêétais pas s˚re: vous étiez si loin...

-

Oui, je suis vivant, mais je ne sais pas si jêai lieu de mêen réjouir! Je constate que vous aussi, vous êtes en vie. quêest-il arrivé aux autres?

Rianna ouvrit les yeux à son tour:

-

Roxon est le premier qui a été tué. Ils en ont tué encore une dizaine, je crois. quant aux autres, ils les ont laissés en route il y a trois jours ; jêai entendu dire que cêétait au marché dêesclaves de Gorbahl. Je suppose quêils Ont des projets particuliers en ce qui nous concerne, mais quant à savoir exactement quoi... - Un sourire crispé

sêébaucha sur son visage. - ... je nêen sais pas plus que vous.

Personnellement, je serais portée à croire quêils nous gardent pour leur repas. Nous leur avons tué

deux des leurs et ce nêest certainement pas quelque chose quêils vont accepter de bonne gr‚ce.

-

Je ne peux mêempêcher de penser que notre situation nêest pas si désespérée, fit remarquer Dallith obstinément. Ils étaient contents, en un sens, de ce que nous avons fait.

-

Comment pouvez-vous le savoir? lui cria Rianna. Tout ceci est de votre faute. Si Dane ne vous avait pas sauvé la vie, nous serions peut-être allés nous aussi au marché dêesclaves de Gorbahi, mais Roxon au moins serait encore en vie, et certains dêentre nous auraient pu avoir par la suite une chance de sêen tirer !...

Aratak sêinterposa dêun grognement péremptoire:

-

Du calme, mon enfant. Rien nêest de la faute de Dallith, pas plus que de la vôtre. Vous aussi étiez impatiente de participer à lêévasion ; quant à Roxon, peut-être pensait-il quêil valait mieux mourir que de vivre en esclave. quoi quêil en soit, il est mort et nous ne pouvons plus rien pour lui. Nous sommes tous les quatre dans la même situation, et si nous commençons à nous disputer, nous nêaurons aucune chance de nous en sortir.

-

Il nêy en a pas de toute façon, fit Rianna avec aigreur.

Sur quoi elle se retourna pour cacher son visage.

-

Rianna..., fit Dane.

Mais elle garda le dos obstinément tourné.

Elle mêen veut pour la mort de Roxon et aussi des autres, pensa-t-il.

Peut-être avait-elle raison. Peut-être, ayant moins àperdre que les autres

- quoi quêil arrive, sa planète était irrémédiablement perdue pour lui -

lui était-il indifférent de vivre ou de mourir.

-

Au moins vous êtes tout les trois de la même race, fit remarquer Aratak. Il ne reste aucun membre de mon espèce à bord de ce vaisseau: ne devrais-je pas me sentir encore plus désemparé?

Dallith sêapprocha de lui et glissa sa petite main délicate dans lêénorme patte écailleuse, en lui disant avec douceur:

-

Nous sommes frères et soeurs dêinfortune, Aratak, selon la Loi Universelle. Je le sais, Dane aussi, et Rianna le comprendra de nouveau tôt ou tard.

Dane approuva dêun mouvement de tête. Il se sentait très proche de lêhomme-lézard, aux côtés duquel il avait failli être tué.

-

Nous nous sommes bien battus de toute façon, dit-il. A nous deux, nous avons réglé leur compte àquelques-unes de ces maudites créatures à

tête de chat! quoi quêil nous arrive à présent, nous nêavons rien àregretter.

Aratak manifesta son assentiment dêun hochement de tête encore plus emphatique, et ses ouÔes émirent leur lueur bleue.

Dane ne put sêempêcher de se demander: Et maintenant? avant dêinterroger tout haut:

-

Est-ce quêils nous donnent à manger?

Rianna sêassit et rejeta ses cheveux roux en arrière:

-

Parce que cette question vous préoccupe encore? Eh bien, oui, ils nous donnent à manger. On peut même dire quêils nous nourrissent mieux quêavant, bien quêils nous passent la nourriture à travers les barreaux.

Car personne ne nous approche plus à présent.

-

Ils ne vont certainement pas nous torturer à mort, commenta Dane, et sêils devaient nous tuer, je pense quêils lêauraient déjà fait. Les chats sont des créatures qui nêont pas tant de subtilité.

-

Cêest ce que jêessaye moi aussi de vous expliquer, intervint Dallith. Je ne sais pas le sort quêils nous réservent - je ne peux pas lire dans leur esprit sans devenir moi-même... folle furieuse... comme je lêai été quand jêai essayé... essayé... - Elle fut parcourue dêun frisson. -

Pendant un moment, jêétais devenue le Mekhar. Je me suis jetée sur lui toutes dents et griffes dehors...

Elle resta un moment silencieuse puis, écartant cette pensée de son esprit, elle reprit:

-

Mais je suis s˚re dêune chose: ils ne vont pas nous tuer. Nous avons même pris davantage de valeur pour eux. Donc, à mon tour de vous dire, Rianna: ne pensez pas à mourir, gardez vos forces et votre espoir.

Nous

saurons très bientôt ce qui va se passer. Nous sommes vivants et tous réunis: il nêy a pas lieu de désespérer...

Il

semblait en effet que leur statut avait changé et quêils étaient à

présent considérés comme dangereux. La nourriture leur était passée entre les barreaux de la cellule, et àdistance prudente, par des Mekhars qui ne leur adressaient jamais la parole et semblaient même avoir peur de sêapprocher trop près de la cage. Trois fois par jour les chaînes de Dane et dêAratak étaient allongées - en donnant du mou à une espèce de crampon depuis lêextérieur de la cellule - pour quêils puissent accéder au petit emplacement réservé aux toilettes et aux douches. Le reste du temps, les quatre prisonniers étaient laissés seuls, livrés à eux-mêmes et à toutes les conjectures quêils pouvaient élaborer concernant le sort qui les attendait.

Dêaprès Dane, cela dura à peu près deux semaines. Deux semaines pendant lesquelles ils nêeurent rien dêautre à faire que dêéchanger leurs histoires respectives, de se parler de leur planète dêorigine et, dêune façon générale, de faire plus ample connaissance. Dane leur raconta tout ce quêil put sur lêhistoire politique et sociale de la Terre et, à son avis, une grande partie de lêintérêt quêils manifestèrent pour son récit tenait à

leur étonnement de voir quêune planète, même à demi civilisée, comme la Terre pouvait avoir été ainsi omise par lêUnité. Seule Rianna se hasarda à

essayer dêen fournir une explication:

-

Vous possédez un acquis scientifique et technologique indéniable, mais, dans dêautres domaines, vous êtes très en retard, sans doute parce que, précisément, vous êtes trop à lêécart des autres planètes. Par exemple, vous dites que, du moins au cours de votre histoire connue, vous nêavez jamais eu de visiteurs, ou ne serait-ce quêun observateur, venant dêautres planètes?

-

Dans notre histoire connue, non, cêest exact. Encore que certains savants pensent que quelques-uns de nos mythes religieux seraient des souvenirs déformés de telles visites avant lêavènement de toute histoire écrite.

-

Cela ne semble guère probable, objecta Dallith. Les savants et observateurs de lêUnité prennent justement

bien garde de sêassurer que les planètes quêils visitent r nêaient aucun motif dêacquérir de telles notions.

t - Il nêexiste aucun moyen de dire à coup s˚r que les r visiteurs provenaient de lêUnité, si jamais il y en a eu, fit remarquer Rianna. ils ont pu venir de nêimporte o˘. Non, la thèse la plus vraisemblable est quêils ont tout simplement oublié votre système solaire.

Il y a tellement de planètes inhabitées que cela ne serait pas surprenant.

Ne nous avez-vous pas dit vous-même quêune seule planète de votre système est habitable selon les critères ordinaires de la vie animale? Cêest peu courant, en vérité, et cela expliquerait dêautant mieux quêon ait négligé

votre planète après avoir constaté que les premières explorées dans le système étaient inhabitées. Cêest très regrettable du point de vue scientifique, mais cela arrive.

Dallith fit une suggestion:

-

Peut-être votre Terre a-t-elle été visitée à une époque o˘ la vie sapiente ne sêétait pas encore développée; ou alors que vous autres Hommes viviez encore dans les arbres.

-

Cela nêaurait pas arrêté les savants, objecta Aratak de sa grosse voix. Ma planète est entrée dans lêUnité avant que le Divin OEuf nous ait fait don de la roue

Dane se remémora alors une théorie en vigueur chez les écrivains de science-fiction:

-

Certaines personnes chez nous pensent que les visiteurs de lêespace nous auraient évités, ou soumis à une sorte de quarantaine, à cause de nos guerres atomiques et autres.

-

Si un état de paix total et permanent devait servir de critère de qualification, dit Rianna, lêUnité ne se composerait à lêheure quêil est que dêune vingtaine de planètes, la plupart habitées par des empathes. Or, il y en a actuellement plusieurs centaines. Le rôle de lêUnité est dêailleurs dêaider les planètes membres à résoudre leurs divergences internes - et il nêest pas rare que la présence de lêUnité aide le peuple dêune planète à se forger un sentiment de solidarité et dêharmonie interne à lêégard dêune autre. Mais, de la façon dont lêUnité est conçue, elle joue le rôle dêobstacle absolu à toute guerre inter-planétaire ou interstellaire. La majorité des planètes ont réglé le problème de la guerre plus tôt dans leur histoire que vous, mais, de votre côté, vous semblez avoir connu des changements climatiques, des cataclysmes naturels et autres phénomènes de ce genre qui sont les facteurs typiques qui séparent, à lêintérieur dêun peuple, de petits groupes dêautres petits groupes et accentuent leurs différences ethniques, culturelles, sociales.

Les conséquences en sont, naturellement, la prolongation de lêère guerrière dans lêhistoire de la planète. Encore que je trouve pour ma part un peu bizarre que des guerres se prolongent au-delà de lêère de la Révolution Industrielle.

Dane fut heureux quêon laiss‚t un peu de côté sa culture ´ bizarre ª pour passer à celle des autres. Dallith venait dêune planète hautement homogène qui, au terme dêune ère glaciaire particulièrement longue suivie de périodes de déluge puis de croissance de type tropical, avait attribué une valeur si grande aux psycho-dons utiles à la survie que le moindre pouvoir extra-sensoriel était devenu un élément majeur du patrimoine chromosomique de la race. Celle-ci constituait un peuple pacifique dont lêacquis technologique était peu développé, mais très avancé par contre dans les domaines de la philosophie et de la cosmologie. De son côté, le peuple de Rianna ressemblait fort à lêidée que Dane se faisait de la Terre dans le futur, à savoir une civilisation scientifique disposant dêune technologie très poussée et dêune tradition de curiosité scientifique jamais assouvie.

La planète dêAratak ne pouvait pas être plus opposée àce tableau. Ici la race dominante, descendant de sauriens et dêamphibiens géants, pratiquement sans ennemis naturels et végétarienne, avait vécu peu de temps lêexpérience de la technologie, car, trouvant que ses avantages nêen faisaient pas suffisamment oublier les inconvénients, elle lui avait tourné délibérément le dos pour se consacrer àune vie essentiellement contemplative et végétative. Elle importait quelques produits - très peu - fabriqués sur la planète voisine par une race qui possédait, elle, un degré de technologie très avancé et dont le nom le plus approchant était rendu, gr‚ce au transiateur encastré dans

le cou de Dane, par Salamandres. En échange, la première fournissait quelques matières premières, un peu de nourriture et surtout de la philosophie, laquelle, de toute évidence, était considérée comme une marchandise au même titre que nêimporte quelle autre. En fait, il ne faisait aucun doute que des représentants de la race dêAratak se déplaçaient de par la Galaxie pour enseigner la philosophie et quêils étaient à ce titre très prisés, recevant partout une chaleureuse hospitalité en échange du sacrifice quêils consentaient en abandonnant leurs chers et paisibles marécages.

Mais les théories quêéchangeaient ainsi les quatre prisonniers nêoccupaient quêune partie de leur temps. Il leur en restait suffisamment pour ressasser dêautres hypothèses moins sereines sur le sort qui leur était réservé. Le temps nêen finissait pas de sêécouler; Dane avait parfois lêimpression quêil était prisonnier depuis des années.

Lêattente interminable sêacheva dêun seul coup...

Un matin - du moins ce que Dane appelait un matin, car cela correspondait au premier repas suivant une période de sommeil - trois Mekhars pénétrèrent dans leur cellule, le nervo-fuseur à la main et accompagnés dêun champ dissuadeur portatif quêils avaient pris la précaution de mettre au régime maximum avant dêentrer. Ils détachèrent Dane et Aratak.

Lêun des Mekhars résuma très clairement la situation:

- Pas de fausse manoeuvre, cette fois. Nous ne vous laisserons, pour lêinstant, aucune chance de vous évader. Le moindre mouvement suspect et vous serez immédiatement plongés dans une inconscience totale. Nous ne vous tuerons pas et ne vous torturerons pas non plus, mais vous nêaurez aucune possibilité dêévasion: vous avez donc tout intérêt à ménager votre énergie.

Ceci est le seul avertissement que nous vous donnons, donc prenez bien garde. Nous ne vous laisserons pas le bénéfice du doute!

Dane évita de faire des gestes trop brusques; il nêavait aucunement lêintention de faire lêexpérience du nervofuseur. Il nêavait pas oublié les hurlements de lêhomme qui en était mort. Toutefois sa curiosité avait été

éveillée par une phrase inattendue : Nous ne vous laisserons, pour lêinstant, aucune chance de vous évader. Cela voulait-il dire que, plus tard, une telle chance leur serait offerte? Cette question méritait certainement réflexion. (A noter que le translateur simultané devait traduire de façon très littérale. Ainsi, à un moment o˘ Rianna, excédée par le calme de Dallith, lui avait lancé quelque injure de son cru, lêappareil avait rendu lêexpression par ´ pourvoyeuse de nourriture pour les enfants ª, ce qui, compte tenu du contexte, ne devait certainement pas correspondre à la réalité. A en juger par la réaction fort peu agressive de Dallith, du reste, Dane en déduisit que, pour elle aussi, lêexpression devait être très édulcorée.)

De toute évidence, les trois compagnons de Dane avaient fait la même interprétation que lui de la phrase du Mekhar, car ils se laissaient conduire docilement par leurs gardes. Le petit groupe arriva ainsi, après avoir traversé des couloirs sinueux et grimpé une longue rampe, dans une sorte de salle de conférence, o˘ les attendaient une dizaine de Mekhars en uniforme dêéquipage du vaisseau. On pouvait voir également dans la pièce ce qui ressemblait à des récepteurs de télévision, dêautres appareils et consoles et une grande quantité de sièges. Les Mekhars firent signe aux quatre prisonniers de prendre place dans une espèce dêenclos le long dêun mur, enclos qui faisait penser à un box dêaccusés ou à une fosse dêorchestre. A peine furent-ils assis quêun système dêattaches (qui sêétait déclenché automatiquement, sans doute sous lêeffet de leur propre poids) leur enserra immédiatement la taille, les maintenant solidement.

Le box avait déjà un hôte, attaché de la même façon que Dane et ses compagnons. Et cet hôte était un Mekhar! Pour Dane, tous les Mekhars se ressemblaient plus ou moins, mais la physionomie de celui-ci ne lui était pas totalement inconnue. A peine avait-il fait cette constatation que Dallith se pencha vers lui et murmura:

-

Cêest le Mekhar que vous avez désarmé - le garde de notre première cellule. Je croyais que nous lêavions tué.

-

Manifestement nous nêavons pas eu cette chance, fit Dane.

-

Silence, prisonniers! ordonna lêun des Mekhars.

Dane regarda autour de lui, et son attention fut tout de suite attirée par un immense écran vidéo. Lêimage était non seulement striée de lignes ondoyantes, mais aussi dédoublée, selon les critères terriens naturellement; néanmoins, elle était visiblement transmise en direct. La scène quêelle représentait ne devait rien avoir de bien extraordinaire, car aucun des autres prisonniers ne semblaient y attacher dêintérêt. Mais, pour Dane, cêétait un spectacle absolument fabuleux. Il sêagissait visiblement dêune planète, vue de lêespace. Une planète couleur rouge brique, avec des zones bleu-vert qui ressemblaient à des océans et des taches brun foncé qui correspondaient peut-être à des montagnes ou à des déserts. Dans le ciel, derrière - ou, plus exactement, dans lêespace constellé dêétoiles, derrière

- on pouvait voir une énorme lune, ou un satellite quelconque, qui mesurait bien la moitié de la planète mère et qui était partiellement éclipsée par elle.

Lêun des Mekhars en uniforme - un officier apparemment - était assis devant une prosaÔque console dêordinateur, dans laquelle il parlait en émettant des sons monocordes, trop bas pour que le translateur de Dane les capt‚t.

Cela dura un certain temps, pendant lequel, sur lêécran, la planète et son satellite à moitié éclipsé grossissaient et devenaient du même coup plus nets. Oui, de toute évidence, on était en train de sêapprocher dêune planète. Allaient-ils sêy poser, et sêagissait-il de la patrie des Mekhars?

quêallait-il se passer ensuite? Autant de questions que Dane se posait.

Lêextrême ménagement avec lequel ils avaient été traités en dernier lieu était de bon augure - en tout cas, on ne semblait pas devoir les tuer sur-le-champ - mais nêallait-on pas leur faire subir maintenant un procès? Pour avoir tué un Mekhar par exemple?

Brusquement la monotone conversation du Mekhar dans la console cessa et fut relayée par une série de petits bip-bip aigus, de cliquetis et de sons chuintés en provenance de la console. Le Mekhar manipula ensuite des cadrans et des manettes, ce qui eut pour effet de déclencher un haut-parleur, dêo˘ sortit une voix étrange, parlant dêune façon posée mais sans aucune intonation - comme une voix mécanique, pensa Dane. Cette voix disait:

-

Station Centrale, Continent Deux, au vaisseau mekhar! Nous avons bien reçu votre message et sommes prêts à enregistrer votre offre.

Le Mekhar assis devant la console parla de nouveau, sa voix maintenant amplifiée par le réglage quêil avait effectué à lêinstant:

-

Nous en avons cinq pour vous, Chasseurs. Ils sont de tout premier ordre car particulièrement dangereux, et nous ne les céderons quêà bon prix.

La voix mécanique répondit:

-

Mekhars, nous faisons affaire avec vous depuis longtemps: vous connaissez donc nos exigences. Ceux-ci ont-ils été pré-testés?

-

Oui, fit le Mekhar. Ce sont les quatre survivants des six chefs de groupe qui ont passé le test habituel de lêévasion. Ils ont eu assez dêintelligence pour voir lêissue possible, de bravoure pour affronter les nervo-fuseurs et de force pour continuer à se battre une fois que nous leur avons montré que nous étions au courant de leurs intentions. Ils ne vous décevront pas. Nous espérions être en mesure de vous livrer les six, mais nous avons malheureusement été obligés de tuer les deux autres.

-

Vous avez mentionné cinq Proies, Mekhar, fit observer la voix mécanique.

-

Le cinquième est un des nôtres. Il a laissé les prisonniers le désarmer et sêemparer de son arme. Lêautre garde, lorsquêil a été mis en face de lêalternative habituelle, a préféré le suicide à un procès sur Mekharia. Celui que nous vous proposons a choisi lêautre option: être vendu aux Chasseurs en qualité de Proie. Le prix de sa vente sera remis à ses héritiers sur Mekharia, de sorte quêil est libre de toute obligation et peut légalement profiter de cette chance de survie.

-

Nous sommes toujours heureux dêaccepter un Mekhar comme Proie, fit la voix mécanique. Nous réitérons àcette occasion notre proposition, valable en permanence, dêaccepter comme Proies vos criminels volontaires.

-

Et nous ne pouvons que vous rappeler notre prin cipe selon lequel lêhonneur de notre peuple ne saurait se satisfaire dêêtre représenté dans la Chasse par des criminels. Mais, en lêoccurrence, le garde a été vaincu au terme dêun duel honorable, puisque nous avions volontairement laissé aux prisonniers une chance de sêenfuir. En conséquence, nous lui avons accordé lêoption légale de choisir sa propre mort, ce qui lui donne le droit de mourir honorablement de votre main sêil le désire.

-

Nous nous inclinons devant votre code de lêhonneur, fit la voix mécanique. Nous vous proposons dix pour cent de bonus par rapport à notre prix habituel. Si cette proposition vous convient, vous pouvez atterrir immédiatement pour nous livrer les prisonniers.

-

Nous acceptons votre offre, dit le Mekhar.

Mais lêattention de Dane venait dêêtre détournée vers Rianna, qui montrait les signes dêune profonde terreur.

-

Les Chasseurs! murmura-t-elle. Ainsi ce nêest pas seulement une légende ! Nous avons peut-être une chance de nous en sortir, mais il faut voir quelle chance !...

Avant que Dane ait pu lui dire quelque chose, lêofficier mekhar qui venait de communiquer avec la voix mécanique sêavança vers eux.

-

Prisonniers, fit-il dêune voix calme. Voici votre chance de survie ou de mort honorable. Vous avez démontré que vous étiez trop braves, trop courageux pour être vendus comme esclaves: notre honneur et notre plaisir nous commandaient donc de vous offrir cette alternative. A présent, je vous demande de ne pas avoir peur: nous allons simplement vous administrer une petite dose dêun gaz anesthésiant inoffensif et sans effets secondaires, ceci pour vous éviter tout désagrément lors de votre transfert sur la Planète des Chasseurs. Permettezmoi de vous féliciter et de vous souhaiter survie honorable ou sanglante et honorable mort.

CHAPITRE VI

Dane reprit conscience sur un lit très bas et dont lêhabillage avait la consistance de la soie. Rianna était àcôté de lui, encore inanimée, Dallith sur une autre couchette un peu plus loin. Aratak, lui, était allongé par terre. Au moment o˘ Dane se redressa sur son séant, le grand homme-lézard sêétira laborieusement, b‚illa et finalement sêassit à son tour. Il commença à regarder autour de lui et vit que Dane lui aussi était réveillé

- Sur un point au moins, nos ravisseurs nous ont dit la vérité, dit-il calmement. Nous nêavons subi aucun sévice. Comment vont les deux jeunes femmes?

Dane se pencha sur Rianna. Sa respiration était régulière, comme celle de quelquêun qui dort paisiblement. Dallith commença à sêagiter, puis se dressa dêun seul coup en jetant des regards affolés autour dêelle. Mais lorsquêelle vit ses compagnons, elle se détendit et sourit.

- Nous revoici donc tous au complet, dit Dane.

La pièce o˘ ils se trouvaient était assez vaste, avec un plafond très haut soutenu par des colonnes. A lêorigine, les murs avaient d˚ être dêune nuance terre cuite, mais la peinture avait nettement passé et il y avait de la poussière et des toiles dêaraignée dans les coins, en haut. A part ce détail, lêendroit semblait assez propre. De longues fenêtres, sans vitres mais garnies de petits barreaux faits dans une matière qui rappelait le bambou, laissaient filtrer une étrange lumière rouge‚tre. Dehors, on pouvait entendre des bruits de voix et de chute dêeau. Dane se leva et sêapprocha de lêune des fenêtres pour jeter un coup dêoeil.

II

vit un immense jardin avec de gros massifs de fleurs, de longues allées pavées, des arbres bas portant des espèces de pommes de pin dorées ou de longues gousses de graine. Bien que le vert f˚t dominant dans ce jardin, aucun arbre nêétait familier à Dane. Rien ne ressemblait du reste à

ce quêil connaissait sur la Terre. Le ciel était lourd, traversé de longues traînées de nuages, et surtout dêune couleur rouge‚tre comme aucun coucher de soleil nêen avait jamais eu de pareille. Et, en suspension dans ce ciel, lêénorme lune quêil avait vue sur lêécran vidéo des Mekhars, répandait sa lumière dêun rouge ardent sur les arbres, les fleurs, les allées et les cascades qui semblaient gargouiller et ruisseler partout dans lêimmense jardin.

Il

y avait des gens dans les allées ; des gens au sens o˘ Dane concevait ce mot depuis sa captivité sur le vaisseau mekhar, à savoir: différentes sortes dêêtres. Tous étaient vêtus dêune tunique de la mênie couleur de terre rouge que les murs de la pièce o˘ Dane se trouvait en ce moment. Mais, en regardant plus attentivement, aucun ne semblait humain, humain comme Dane cêest-à-dire. Certains lui rappelaient vaguement les Mekhars ; il y en avait également un au moins dont la fourrure peu fournie faisait penser, en plus grand et en plus évolué, à un gibbon ou autre singe de la même espèce. Les autres étaient trop nombreux pour les classifier du premier coup dêoeil. Un autre marché dêesclaves? Non, lêofficier mekhar avait dit quêils étaient ´ trop braves et trop courageux pour être vendus comme esclaves ª, et il croyait pouvoir le prendre au pied de la lettre.

Mais la tenue uniforme de ces gens et le fait que le jardin était enclos laissaient présager que Dane et ses compagnons nêavaient pas encore atteint la liberté.

La variété dêêtres qui peuplaient le jardin vint lui rappeler que, au moment de quitter. le vaisseau, ils étaient cinq, et il chercha des yeux dans la pièce le Mekhar qui avait été emprisonné avec eux. Il le vit, roulé

en boule et la tête cachée dans ses mains, sur une autre couchette un peu à

lêécart des autres. Il dormait encore visiblement.

-

Lêeffet du gaz anesthésiant passe très vite chez les gens de mon espèce, dit Aratak qui nêavait pas bougé de sa place. Jêai même repris connaissance avant que le petit vaisseau de transbordement nous ait amenés ici. Mais je nêai pas cherché à résister, car je ne voulais pas être séparé

de vous, mes amis. A présent, vous êtes réveillés, mais le Mekhar, lui, dort toujours. De toute évidence, le métabolisme de cette race diffère du nôtre sur certains points. Jêespère quêil nêest pas mort. Peut-être devrions-nous regarder sêil...

-

Je me fiche quêil soit mort ou non! fit Rianna. Mais de toute façon soyez sans crainte: les Mekhars doivent bien savoir la dose dêanesthésique quêils peuvent employer sur eux-mêmes.

-

En tout cas, dit Dallith, il respire.

Dane sêapprocha de la forme féline endormie. Non seulement il dormait, mais il ronronnait dans son sommeil! Si la situation nêavait pas été si incongrue, Dane aurait éclaté de rire. Le grand Mekhar, le féroce Mekhar, ronronnant comme un vulgaire petit chat!

-

Espérons simplement, sêil se réveille, quêil ne commencera pas sa journée à vouloir nous faire payer son exil ici ! dit Dane. Je vais tout de même le tenir à lêoeil. En attendant, nous ne savons pas o˘ nous sommes.

Rianna, avant que nous quittions le vaisseau, vous aviez lêair de savoir quelque chose sur les Chasseurs. Si vous nous en faisiez part?

Rianna se leva lentement et se dirigea vers la fenêtre. La lumière ambiante faisait paraître encore plus rouge sa chevelure et briller sa peau.

-

Presque tout le monde croit quêils ne sont quêune légende, mais, au cours de mes recherches, jêai eu lêoccasion de découvrir quêil nêen était rien. Ils sêappellent dêun nom qui signifie simplement Chasseurs et ils se considèrent, de toute évidence, comme tels. Ils ont refusé de rallier lêUnité: en effet, lêUnité ne les aurait jamais acceptés tels quêils sont, et ils ont préféré rester en dehors plutôt que dêavoir à changer leurs habitudes.

Dallith souleva tout de suite la question primordiale:

-

Pourquoi sêappellent-ils Chasseurs? que chassent-ils?

-

Nous, répondit Rianna avec un laconisme à donner le frisson.

Aratak se dressa de toute sa taille:

-

Cêest bien ce que je commençais à me dire. Nous leur sommes vendus alors pour leur simple plaisir de chasseurs?

Rianna hocha la tête:

-

Dêaprès tous les témoignages que jêai entendus ou lus dans les bibliothèques de lêUnité - ce qui ne représente pas une grande masse dêinformations étant donné quêils ont toujours refusé de laisser atterrir des observateurs étrangers chez eux - la chasse est devenue leur unique distraction, leur seul plaisir; leur religion, pourrait-on dire. Ils ne cessent de chercher de nouvelles proies susceptibles de leur procurer un beau combat. Dêaprès ce que jêai compris, cela fait des centaines dêannées quêils nêont plus eu de relations avec lêextérieur, hormis pour acheter des Proies pour leurs Chasses.

Tout en continuant à surveiller dêun oeil le Mekhar endormi, Dane intervint:

-

Je nêai jamais pu mêempêcher de penser que cêétait trop facile sur le vaisseau, que, pour une raison quelconque, les Mekhars voulaient que nous essayions de nous échapper. Maintenant, je comprends: cêétait une façon de sélectionner ceux quêils jugeraient aptes à être vendus aux Chasseurs!

Rianna laissa échapper un petit rire chargé dêironie:

-

Dans ce cas, on ne peut pas dire que leur test soit très au point: sêil y a bien une chose que je ne suis pas, cêest brave!

-

Peut-être, fit remarquer Dallith, nêest-ce pas tant la bravoure qui les intéresse que lêénergie du désespoir.

-

Cela expliquerait alors pourquoi ils nous ont parlé de ćhance de survie ª, ajouta Dane. Encore que je ne voie guère de quel genre de chance il peut sêagir.

A ce moment-là, le Mekhar sêétira avec un grand b‚illement et bondit sur ses pattes. Lorsque son regard tomba sur les quatre autres rassemblés près de la fenêtre, il se ramassa sur lui-même dans une posture de méfiance.

Voyant Dane se préparer de son côté à une éventuelle attaque, il fit un pas en arrière:

-

Nous nêavons pas le droit de nous battre ici. - Sa voix était grave, avec des sonorités ronronnantes. -Notre adresse et notre force appartiennent à présent aux Chasseurs. Nous avons été ennemis, et nous redeviendrons peut-être de nouveau ennemis, mais, pour le moment, je demande une trêve.

Dane lança un regard en direction dêAratak. Lêhomme-lézard sêétait détendu et esquissait même une petite courbette de politesse en disant:

-

Nous sommes en effet compagnons dêinfortune; par conséquent, que la trêve soit entre nous. Si vous le voulez, je peux vous jurer par le Divin OEuf que, tant que durera cette trêve, vous ne ferez lêobjet de ma part dêaucune agression, que vous soyez éveillé ou endormi. tes-vous prêt à

faire le même serment?

-

Les serments sont bons pour ceux qui se réservent de ne pas tenir leur parole, grogna le Mekhar. Je mêengage simplement à ne faire de mal à

aucun dêentre vous si je nêai pas repris ma parole préalablement. Ceci est valable bien entendu à lêégard de ceux qui auront pris le même engagement ; dans le cas contraire, je combattrai celui ou celle qui sêy sera refusé, en tout lieu, avec ou sans arme, jusquêà ce que mort ou merci nous arrêtent.

Rianna et Dallith se tournèrent vers Dane, qui prit la parole:

-

Je parlerai au nom de nous trois. Nous sommes tous dans une situation trop grave pour nous entre-tuer. Je nêai aucun grief contre vous personnellement. Certes, votre peuple nêavait pas le droit de nous enlever à nos patries respectives, mais nous battre ne nous aiderait nullement à

rétablir nos droits. Du reste, votre propre peuple semble vous avoir joué

un sale tour en vous mettant dans le même sac que nous!

-

Ne dites pas cela, répliqua le Mekhar. Cêest moi qui ai choisi, en toute liberté, de racheter mon honneur de cette façon Tout en parlant, il étirait et rétractait furieusement ses longs ongles incurvés pareils à des griffes.

Dane sêempressa de reprendre:

-

Soit, nous ne débattrons pas maintenant de cette question dêhonneur, car jêai lêimpression que nous nêinterprétons pas ce mot de la même façon tous les deux.

En son for intérieur, il se disait quêil était difficile de toute façon dêavoir une discussion significative avec quelquêun dont le code de lêhonneur autorisait lêesclavage.

-

Disons donc, conclut-il, que si vous nous laissez en paix, nous vous laisserons en paix de notre côté. Et je parle aussi au nom de ces deux jeunes femmes.

Le Mekhar leur lança dêabord un regard soupçonneux; il étrécit ses prunelles jaunes qui se réduisirent à deux fentes. Puis il se détendit dêun seul coup et se coucha par terre.

-

Soit, jêaccepte les termes de cette trêve. Puisque vous nêêtes plus des esclaves mais avez au contraire prouvé votre courage, jêaccorde foi à

votre parole.

Rianna intervint:

-

Je sais très peu de choses sur les Chasseurs, mais, étant donné que votre race semble traiter avec eux, pouvez-vous nous dire à quoi ils ressemblent?

Le Mekhar écarta les lèvres dans un rictus qui pouvait aussi bien être de colère que dêironie:

-

Vous en savez autant que moi: ils nêont jamais laissé dêétrangers les observer. Le Chasseur nêest vu que par la Proie quêil est sur le point de tuer.

Rianna frissonna. Dallith se rapprocha de Dane et glissa sa main dans la sienne. Même Aratak parut assez impressionné:

-

Vous voulez dire quêils sont invisibles?

-

Visibles ou invisibles, je lêignore, répondit le Mekhar. Je sais seulement que personne à ma connaissance ne les ajamais vus, ou du moins nêa vécu assez pour pouvoir en parler.

II

resta un moment silencieux, et Dane se crut tombé de Charybde en Scylla. Il nêétait plus dans le vaisseau mekhar, mais il lui semblait nêavoir échappé à lêesclavage que pour connaître une mort certaine de la main de terribles Chasseurs que personne ne connaissait. Ce qui pouvait passer pour un choix, même involontaire, au départ, se révélait en fait nêêtre quêune atroce dérision!

Dallith~ qui venait certainement de lire dans ses pensées, traduisit celles-ci tout haut en interrogeant le Mekhar avec véhémence:

- Pourquoi lêofficier mekhar a-t-il alors parlé de survie honorable comme alternative à une sanglante et honorable mort?

Le Mekhar la regarda dêun air étonné:

- Je croyais que vous saviez. Vous ne pensez tout de même pas, jêespère, que nous condamnons de braves créatures à une mort certaine ! La Chasse -

comme toute personne ayant quelques connaissances sur les Chasseurs devrait le savoir - se déroule dêune éclipse de la Lune Rouge à une autre. Ceux qui sont encore en vie lorsque survient lêéclipse suivante peuvent sêen aller libres. Libres et comblés de récompenses et dêhonneurs. Pourquoi serais-je ici sinon?

Sur quoi le Mekhar leur tourna le dos dédaigneusement, les moustaches frémissantes. Tout en le surveillant dêun oeil, Dane essaya de réfléchir à

ce qui venait de se dire.

Une chance de survie... Mais laissée par des gens féroces, si féroces quêils nêavaient dêautre nom que Ćhasseurs ª et que même les Mekhars en avaient peur. Un ennemi que personne nêavait jamais vu sauf au moment dêêtre tué par lui. Il allait donc leur falloir combattre, fuir, échapper dêune manière ou dêune autre àla mort pendant tout lêintervalle séparant deux éclipses -quelle que f˚t sa durée - et ce, sans savoir la forme que prendrait lêennemi, ou si même il en prendrait une et ne resterait pas invisible, insaisissable comme lêair...

Lêespace dêun moment, il en vint à regretter de ne plus être sur le vaisseau mekhar. Toute sa vie il avait recherché lêaventure, et un voyage à

travers la Galaxie, même en tant quêesclave, représentait déjà une belle aventure pour un Terrien!

Puis, sans trop savoir pourquoi, il se sentit plus gai. Si les Chasseurs concevaient la chasse comme un rite quasi religieux, une partie de leur plaisir devait résider dans le risque quêelle impliquait. Sur la Terre, un chasseur ne sêexcite pas forcément à lêidée de tuer des lapins; il mettra même son point dêhonneur à ne pas tirer un renard. La véritable mystique de la chasse, pour ceux qui sêy donnent entièrement, consiste plutôt dans lêaff˚t, le danger, le petit frisson que lêon éprouve à la pensée inconsciente du risque encouru. En lêoccurrence donc, les humains concernés - ou toute autre race fournissant leur contingent de Proies aux Chasseurs - devaient se voir accorder une chance équitable de salut.

Je me suis ramolli, songea Dane. Ma condition physique nêest plus celle que jêavais quand je pratiquais le karaté plus souvent ou même la navigation solitaire de façon plus sérieuse. Trois mois dêinactivité forcée nêont pas arrangé les choses. Le mieux armé dêentre nous semble être Aratak, avec sa taille et sa force. quant aux frm~nes, si cêest la force physique qui prime, Dallith au moins aura besoin dêêtre protégée, encore que, à voir la hargne avec laquelle elle sêest battue contre le Mekhar... Mais il réfléchit que les Mekhars ne les avaient pas testés pour évaluer leur force physique mais plutôt lêénergie dont ils faisaient preuve dans une situation désespérée, le courage avec lequel ils étaient susceptibles de se battre, leur acceptation des risques, leur aptitude à saisir la moindre occasion de sêévader. Telles devaient être les qualités que les Chasseurs attendaient de leurs Proies pour être assurés de belles joutes. Il résuma alors tout haut ses pensées.

-

Peut-être avons-nous une chance après tout. Pas bien grande, mais une chance tout de même.

A ce moment-là, Dallith laissa échapper un petit cri et lui serra le bras: la porte à lêautre bout de la pièce venait de sêouvrir. Dane se retourna, sêattendant à voir le premier spécimen des mystérieux Chasseurs. Mais il se retrouva devant une haute et mince colonne en métal qui se déplaçait comme sur des roues invisibles. On distinguait sur la surface lisse des fentes couvertes par des résilles métalliques et de petites lumières ou lentilles clignotantes. Dane se disait que ce devait être une sorte de robot quand la chose se mit à parler, de cette même voix métallique quêil avait entendue sortir de la console àbord du vaisseau mekhar:

- Bienvenue dans cette Demeure des Proies Sacrées! Il vous sera apporté la nourriture que vous désirez, selon les préférences et exigences nutritives que vous aurez formulées. Nous tenons également à votre disposition...

Le cylindre métallique émit une espèce de ronronnement, se tourna légèrement et tendit un long bras également métallique. - ... des vêtements convenant au caractère sacré de votre état. Sêil vous plaît de vous baigner dans lêun des bassins ou fontaines de ces lieux, conformément à votre choix et au respect de vos coutumes respectives, nous vous proposons de revêtir cet habit.

Lêhabit en question, présenté au bout du bras métallique, était de la même couleur rouge que les tuniques que Dane avait vues sur les gens dans le jardin. Donc eux aussi faisaient partie des... (quelle expression le robot avait-il employée ?)... des Proies Sacrées? Et tous les cinq ? Dane se demanda soudain si les Chasseurs avaient lêintention de les chasser séparément ou tous ensemble.

Le Mekhar lança hargneusement au robot:

- Néant métallique ! Mes pareils nêont pas pour coutume de porter dêautres vêtements que les leurs!

Sans perdre un iota de son calme, le robot lui répondit:

- II est en principe impossible dêinsulter une créature construite en métal en la qualifiant comme vous lêavez fait, mais puisque nous constatons que telle était votre intention, lêinsulte est enregistrée et admise comme telle.

Le Mekhar prit un air méprisant:

- Tu veux dire que si je têinsulte, tes maîtres les Chasseurs prendront cela pour une insulte personnelle?

- Oh, non, fit le robot, toujours sur le même ton. Toutefois nous avons été

informés quêil était frustrant pour une créature sapiente dêinsulter une autre créature lorsque celle-ci ne décèle pas la portée de lêinsulte. Nous souhaitons sincèrement épargner la moindre cause de frustration aux Proies Sacrées, aussi tenons-nous à vous rassurer sur le fait que, en lêoccurrence, nous sommes conscients de lêintention de lêinsulte. Faites-nous la gr‚ce de ne pas être frustré.

Dane ne put sêempêcher dêéclater de rire; cêétait plus fort que lui. Alors le robot se translata vers lui, mais, cette

fois, on pouvait percevoir une pointe dêinquiétude dans sa voix quand il demanda:

-

Etes-vous souffrant?

Faisant un effort pour retrouver son sérieux, Dane assura le cylindre sans visage quêil allait très bien. Le robot revint se placer devant le Mekhar et, comme celui-ci avait décidé de lui tourner le dos, il se déplaça obstinément et toujours aussi imperturbablement de façon à se retrouver en face de lui. Poussant un profond soupir, le Mekhar renonça à se dérober et le robot poursuivit son discours comme sêil nêavait jamais été interrompu:

-

En ce qui concerne votre refus de porter la tenue de la Proie Sacrée, nous vous signalons quêainsi paré de la couleur attribuée aux Proies Sacrées vous aurez accès àtoute partie de la Réserve de Chasse et ne risquerez pas dêêtre tué accidentellement ou par suite dêune mesure de représailles disciplinaires.

-

Inutile dêinsister, mon vieux, dit Dane au Mekhar en faisant des efforts pour se retenir de rire. que voulezvous, il faut se conformer aux habitudes du pays. - Se tournant vers le robot -: Dis-moi, toi...

Alors la voix inexpressive précisa:

-

Vous pouvez nous appeler Śervant ª.

-

Donne-moi cet habit traditionnel : je le porterai.

Aratak murmura à lêattention de Dane:

-

Si je dois être chassé, je tiens à être en parfaite condition physique. Voyons si ce... Euh... Servant, jêai un problème à exposer!

Le robot se déplaça silencieusement vers lui:

-

Nous sommes ici pour vous servir.

-

Servant, tu mêinspires une question: es-tu une créature sapiente?

Servant resta impassible devant lêimmense homme-lézard:

-

Cette question ne présente aucun intérêt ni aucune signification pour nous.

-

Dans ce cas, reprit Aratak, laisse-moi reformuler ma question dêune autre manière. Participes-tu de lêUniverselle Sapience ou dois-je te considérer comme un être doué dêune intelligence à part? Il est évident que tes

réponses embrassent des événements imprévus et non programmés. Par conséquent, comment dois-je te considérer?

-

II nêest pas nécessaire de nous considérer selon un schéma particulier, répondit le Servant. Vous-même êtes Proie Sacrée, donc créature essentiellement éphémère, alors que nous représentons de notre côté une permanence. Mais, si vous nêy voyez aucun inconvénient, Honorable Proie, nous préférerions ajourner toute discussion, débat ou examen de sujets dêordre philosophique concernant notre nature jusquêà ce que vos besoins matériels aient été satisfaits. Avez-vous une requête matérielle que nous puissions honorer ou bien nous est-il permis de nous mettre à la disposition de vos compagnons?

-

Jêai une requête matérielle à présenter, en effet, dit Aratak. Tu as fait allusion à nos ablutions, tout à lêheure. Lorsquêun individu se trouve hors de chez lui, il procède à cette opération comme il le peut ou le doit, en sêefforçant, néanmoins, dêobserver les règles élémentaires de lêhygiène. Peux-tu me fournir, pour lêentretien de mon tégument, un bain de boue tiède?

La réponse du Servant fut instantanée:

-

En passant par cette porte à côté de ces arcades et en suivant lêallée qui mène à cette masse dêombre, vous trouverez un bassin rempli de boue pour le bain. Si la température sêavère ne pas convenir à votre tégument, faites-nous-en part ce soir de façon à nous permettre dêassurer les conditions que vous jugez les plus propices.

Sur ce, il se dirigea vers les autres et poursuivit:

-

Vous avez également des bains dêeau chaude et froide, bains de glace, bains de vapeur et bains de sable sec, selon vos préférences ; le choix est entièrement laissé à votre discrétion. A présent, nous sommes prêts àentendre vos désidérata alimentaires...

Comme il se trouvait le plus près de Rianna au moment o˘ il prononçait ces derniers mots, la jeune femme prit la parole après un temps de réflexion:

-

Jêaimerais un régime alimentaire adapté aux Protosimiens. Je suis habitué à prendre un mélange comprenant, en gros, un tiers de protéines, une moitié constituée

par une association dêhydrates de carbone et dêéléments végétaux, et le reste en graisses. Par ailleurs, mes préférences vont soit au salé, soit au sucré, sans voir trop dêinconvénients à une légère acidité. Je déteste ce qui est aigre ou amer. Est-ce assez clair?

Nous vous félicitons pour votre concision, dit le Servant, et nous efforcerons dêexaucer vos désirs de notre mieux. Cette composition satisfait-elle également les go˚ts de vos compagnons proto-simiens?

-

«a me convient, dit Dane.

Après cette analyse scientifique du régime alimentaire humain à laquelle venait de se livrer Rianna, il aurait eu mauvaise gr‚ce à demander un bon steak, encore quêil e˚t été amusant de voir comment le Servant aurait réagi à une telle requête.

-

A moi aussi, fit Dallith, à ceci près que je nêaime pas le salé, mais nêai, en revanche, rien contre une légère amertume. En outre, ma race nêa guère lêhabitude de se nourrir de viande animale.

Le Servant enregistra cette déclaration avec un petit clignotement de lumières et se tourna vers le Mekhar. Celui-ci l‚cha dêun ton hargneux:

-

Je suis carnivore.

-

Vos préférences vont donc vers un repas presque exclusivement composé de protéines animales ou ce qui en tient lieu ? interpréta le Servant. Il sera fait selon votre désir. quant à vous, Honorable Philosophe ?...

Les ouÔes dêAratak émirent leur fameuse lueur bleue, tandis quêil esquissait une courbette discrète à lêattention de la créature de métal:

-

Le philosophe se nourrit de ce que la nature a disposé dans son environnement quotidien. Par bonheur, notre métabolisme sêest adapté dans des proportions me permettant de digérer presque tous les aliments, à cette seule condition quêils me soient fournis en quantité suffisante. Cêest un avantage incontestable dans des conditions très dures o˘ la survie de lêindividu dépend essentiellement de ses facultés dêadaptation.

-

Nous nous efforcerons de contenter non seulement votre système digestif, mais également votre palais.

Sur ces mots, le Servant sêéclipsa comme il était entré, en glissant sur ses roues invisibles. Dane ne pouvait sêempêcher de sêémerveiller de voir un robot de métal capable de rivaliser de courtoisie sereine avec Aratak!

Ce dernier, du reste, était visiblement intrigué:

-

Je mêinterroge sur la place que peuvent bien occuper dans lêUniverselle Sapience des créatures intelligentes comme celle-ci, ébauchées structurellement et non élaborées par la gr‚ce du Divin OEuf. Si vous voulez bien mêexcuser, je vais revêtir ce costume traditionnel et régénérer mon tégument dans un bon bain de boue chaude.

Et il se dirigea en se dandinant vers la porte que lui avait indiquée le Servant.

-

Un bain chaud nous ferait un bien fou, dit Rianna àDallith. Vous mêaccompagnez? Nous allons nous en chercher un.

Dallith hésita en regardant Dane:

-

Ne devrions-nous pas rester ensemble?

-

Je pense que nous sommes en sécurité ici, répondit-il. Allez vous baigner avant le repas.

Il

ignorait si les bains mixtes se pratiquaient chez lêune ou lêautre des deux jeunes femmes, mais il nêéprouvait pas le besoin de soulever ce genre de question en ce moment. Resté seul avec le Mekhar, il lui demanda:

-

quel genre de bain prenez-vous dêhabitude? A propos, quel est votre nom?

-

Cliff-Climberê. Mais vous pouvez mêappeler Cliff. Et je préfère me baigner dans lêeau froide; surtout les eaux immobiles o˘ lêon peut nager tranquille.

Eh bien, songea Dane, tels sont les caprices de la nature, qui crée des affinités inattendues entre les êtres. qui mêaurait dit que je me trouverais des points communs avec un chat géant doué dêintelligence?

Puis il ajouta tout haut:

-

Je ferais volontiers trempette, moi aussi. Allons voir si nous trouvons notre bonheur.

CHAPITRE VII

A lêextérieur, la température était assez fraîche. La grande lune rouge, qui occupait à présent une bonne partie du ciel, irradiait une lumière ardente et paraissait redonner un peu de chaleur, mais Dane ne regrettait pas dêavoir mis la tunique, dêune agréable texture laineuse; quant à CliffClimber, il claquait des dents. Les chats aiment la chaleur, songea Dane; ce sont des créatures de la jungle à lêorigine. Il régnait dêailleurs une atmosphère presque étouffante dans le vaisseau mekhar.

Lêallée traversait des étendues de pelouse dêun vert intense. Cela ressemblait à première vue à un immense parc, jardin ou réserve forestière.

Ils avaient à peine fait quelques mètres quêils passèrent devant une grande mare de boue jaune dêo˘ montait une forte odeur de soufre. Une série de gargouillis et de clapotis à la surface, accompagnés de petites bouffées de vapeur odorantes, furent les premières manifestations dêun grand remous un peu plus en profondeur. Puis un long mufle reptilien émergea de la vase, mufle surmonté de deux yeux familiers, et, pour finir, la créature se redressa entièrement, mais Dane avait déjà reconnu Aratak.

- Ce bain est une bénédiction, fit lêhomme-lézard de sa voix grondante.

Voulez-vous vous joindre à moi?

Dane fit mine de se boucher le nez:

- Si telle est votre conception dêun bon bain, mon cher ami, je vous souhaite bien du plaisir, mais, pour ma part, je vais essayer de trouver quelque chose dêun peu moins agressif à mes narines!

- Chacun ses go˚ts, dît Aratak en se replongeant avec délice dans la vase puante. Néanmoins je ne vois pas en quoi ce parfum divin vous indispose.

quoi quêil en soit, je me réjouis avec vous de lêinfinie diversité de la Création.

Dane se tourna vers Cliff-Climber

- Libre à vous de vous joindre à lui, si cela vous tente.

Le Mekhar ayant fait une grimace suffisamment éloquente, tous deux poursuivirent leur chemin. Ils passèrent ensuite devant une source bouillonnante dont lêeau était si glacée que Dane grelotta rien que dêy tremper le bout des orteils. Ils préférèrent pousser jusquêà un endroit o˘

une source chaude avait été détournée vers un grand bassin entouré dêune multitude de bassins plus petits, ronds et bordés de pierre. Dans lêun dêeux précisément, Rianna était étendue de tout son long, entièrement nue, ses cheveux roux, ourlés par la vapeur, flottant autour dêelle. Elle agita son bras en voyant Dane, sans avoir lêair nullement gênée.

Mon Dieu qu èelle est belle! Je ne mêen étais jamais rendu compte à ce point, ou plutôt je nêy avais jamais pensé sérieusement. Mais cêest une femme splendide.

Le bassin principal était rempli dêhommes et de femmes qui se baignaient simplement ou nageaient: sept ou huit paraissaient humains comme lui, les autres appartenaient à des espèces légèrement différentes. Mais Dane avait pris lêhabitude de ces mélanges insolites sur le vaisseau mekhar.

On joue déjà les voyageurs galactiques blasés, hein? ironisa-t-il en lui-même. Voici encore un autre homme-araignée, un autre proto-canin ou je ne sais trop quoi de lêespèce des proto-félins...

Je donnerais cher pour savoir à quoi ressemblent les Chasseurs!

Tout au bout du bassin, il repéra deux créatures qui ressemblaient étroitement au Mekhar qui lêaccompagnait. Cliff-Climber les vit presque en même temps, et commença immédiatement à se dégourdir les griffes.

- Il faut que jêaille voir si ce sont des gens de ma planète, dit-il.

Et, de sa démarche bondissante, il joignit le geste à la parole.

Dane nêétait pas mécontent de le voir sêéloigner: la trop grande proximité

dêun Mekhar - parole donnée ou non - nêavait rien de très rassurant. Lêeau chaude était tentante et il faisait trop froid pour aller nager comme il lêavait prévu au départ; aussi décida-t-il de se baigner dans ce bassin.

Il

hésita un moment avant de se déshabiller, mais, de toute évidence, il nêexistait aucun tabou ici. A Rome, faisons comme les Romains, se dit-il en enlevant la chaude tunique, quêil laissa tomber sur le bord du bassin.

Il trempa un pied dans lêeau, et constata que la température était idéale.

Il se dirigea alors vers le centre du bassin, car, au bord, on nêavait de lêeau que jusquêaux chevilles; et, lorsquêil eut fait quelques brasses, il go˚ta enfin pleinement la chaleur de lêeau succédant à lêair vif du dehors.

II

avait lêimpression que tous ses muscles se dénouaient dêun seul coup après le long régime dêinaction auquel ils avaient été soumis.

Jêespère avoir le temps de récupérer avant la Chasse! pensa-t-il avec angoisse.

Au moment o˘ il se renversait en arrière pour nager un peu sur le dos, il entendit quelquêun à côté de lui prononcer son nom. Il se retourna et vit Dallith qui se laissait flotter doucement à ses côtés.

-

Je croyais que vous étiez en train de vous tremper dans lêun de ces bassins o˘ lêeau est très chaude, comme Rianna, fit-il.

-

Jêy étais effectivement, tout à lêheure. Et puis jêai senti que vous étiez ici et je suis venue.

Ils nagèrent ainsi côte à côte pendant un moment. Dane ne pouvait sêempêcher de regarder lêénorme lune rouge.

-

Lêappellation de ´ lune ª nêest pas tout à fait exacte, dit Dallith. Ce doit être une autre planète, quasiment jumelle de celle sur laquelle nous sommes.

-

Elle a même lêair plus grosse que le soleil de cette planète, ajouta Dane.

Le soleil était en effet une boule vaguement jauneorange de la grosseur dêune assiette; la lune, elle, couvrait près du sixième du ciel visible.

-

Lêhomme de la lune est un géant ici, fit-il pour plaisanter, faisant allusion aux étranges marques que lêon pouvait distinguer sur la surface de lêastre.

Dallith prit un air grave:

-

Nous serons bientôt les hommes de la lune.

-

que voulez-vous dire, Dallith?

-

Il y a ici deux Humains qui viennent dêune planète appartenant à

lêUnité. Ils connaissent ma planète et savent beaucoup de choses sur mon peuple bien quêils nêy soient jamais allés. Evidemment, ils ont été surpris de voir quelquêun de ma race loin de sa patrie - puisque, comme je vous lêai déjà dit, nous ne voyageons normalement quêen groupe - et ils mêont posé une foule de questions. En retour, ils mêont dit ce quêils savaient de la Chasse. - Elle indiqua le grand disque rouge dans le ciel. - La Chasse se déroule sur la lune.

Elle donna alors lêexplication. La Planète des Chasseurs et la Lune Rouge tournaient lêune autour de lêautre selon une trajectoire qui ne variait pas, de sorte que les éclipses de soleil étaient fréquentes sur la première, et les éclipses de lune presque autant. Au moment de la prochaine éclipse de soleil, telle que vue depuis la lune, les Proies seraient emmenées sur celle-ci; alors, une fois la lumière revenue, commencerait la Chasse. La seule préoccupation des Proies serait de survivre jusquêà la prochaine éclipse, date à laquelle la Chasse prendrait fin. Les Chasseurs victorieux ramèneraient alors les corps de leurs victimes sur la planète pour les grandes cérémonies de réjouissance. Les Proies qui auraient réussi à survivre seraient comblées dêhonneurs et de présents et pourraient regagner saines et sauves la destination de leur choix.

-

Savent-ils à quoi ressemblent les Chasseurs ? interrogea Dane.

-

Non. Apparemment personne ne le sait. Ils mêont dit la même chose que Cliff-Climber: le Chasseur nêest vu que par la Proie quêil est sur le point de tuer.

-

Cêest ridicule! Il a tout de même bien d˚ y avoir un rescapé qui a pu raconter ce quêil a vu!

-

Peut-&re est-il impossible de tuer un Chasseur, dit Dallith avec sérieux. Certaines races sont supposées être ainsi immortelles. Lorsquêun membre dêune de ces races est blessé, la partie du corps atteinte se régénère dêelle-même aussitôt.

- Je ne pense pas, fit Dane. Pour que la Chasse soit un tel rite religieux pour ceux qui la pratiquent, il faut quêelle implique un danger, un risque réel. La plupart des religions mettent lêaccent, à des degrés divers, sur la notion de victoire sur la mort. Un peuple qui a fait de la Chasse une véritable religion, au point dêaller chercher si loin les proies les plus dangereuses possibles, doit être vulnérable. Sêils ne recherchaient que le simple plaisir de tuer, ils pourraient aussi bien se servir parmi les races réduites en esclavage; ici, au contraire, ils paient des sommes considérables et acceptent de passer par tout un tas de procédures compliquées pour se procurer les individus braves et désespérés qui leur serviront de Proies. Il semble peu plausible dans ces conditions quêils se livrent ensuite à un massacre pur et simple. Nous devons avoir une chance -

peut-être pas une bonne chance, mais une chance tout de même - dêen tuer nous aussi.

Dallith ne répondit pas. Elle regagna le bord du bassin et Dane la suivit.

Là, avec de lêeau seulement jusquêaux genoux, il la vit pour la première fois entièrement nue.

Elle est belle elle aussi, songea-t-il. Pourtant il ne réagissait pas devant sa nudité comme avec Rianna. «a doit venir de lêhabitude de la regarder comme quelqu èun sur qui lêon veille, que lêon veut protéger. Il sêefforça de refouler très vite les pensées qui lêassaillaient, sachant que la jeune fille, avec sa mystérieuse sensibilité empathique, capterait la moindre de ses émotions.

Je lêaime, et pourtant elle ne me plaît pas - sexuellement - autant que Rianna. Lorsque je regarde Rianna nue dans son bain, je me sens retourner aux sensations frustes du barbare, sans pour cela lêaimer vraiment dêamour...

Hors de lêeau, lêair paraissait glacé après la chaleur du bain, et Dane se h‚ta de remettre sa tunique, dont il serra frileusement la ceinture. En regardant ses jambes nues, il songea irrésistiblement: Cêest curieux comme lêimage qu èoffre un individu dépend finalement beaucoup de sa mise. Pour moi, jusque-là, les vêtements n èétaient faits que pour protéger du froid et surtout pour éviter de se faire embarquer par un flic pour attentat à la pudeur! A croire que nous définissons notre masculinité par nos pantalons!

Il

rejoignit Dallith au bord du bassin. La clarté du jour baissait, et les autres baigneurs sortaient à leur tour de lêeau. Dans sa tunique rouge et avec ses longs cheveux qui lui tombaient presque jusquêà la taille, Dallith inspirait une grande tendresse.

-

Cêest étrange de sentir que ces gens me regardent, dit-elle.

-

Pour moi aussi, dit Dane. Se baigner nu ne se fait pas là dêo˘ je viens; mais cêest courant en dêautres endroits de ma planète, et je mêadapte aux coutumes locales. Nous avons un proverbe qui dit Á Rome, fais comme les Romains ª - Rome est une grande ville de ma planète.

Dallith sourit:

-

Nous avons un proverbe similaire: Śur Lughar, mange du poisson. ª

-

Aratak aurait s˚rement aussi une citation du Divin OEuf à nous fournir sur ce thème, fit remarquer Dane avec un sourire malicieux. La nature humaine semble décidément emprunter partout les mêmes voies.

-

Vous voulez dire lêUniverselle Sapience, corrigea DaHith avec douceur. Mais vous avez raison: la plupart des êtres intelligents découvrent les mêmes vérités et les incluent dans leurs proverbes...

-

Les Mekhars aussi, à votre avis?

-

Ce sont assurément des êtres intelligents, même sêils semblent avoir leurs propres règles dêéthique et ne sont pas encore entrés dans lêUnité...

Elle sê interrompit et, changeant brusquement dêidée, reprit:

- Si, au début, ça mêa fait drôle de me sentir regardée par les autres, cêest que, sur ma planète, nous nêavons pas lêhabitude de nous regarder.

Pourtant nous portons rarement des vêtements, sauf lorsquêil neige et dans quelques rares circonstances. Mais nous réagissons vivement aux I

sentiments des êtres de notre race. Je nêai pas lêhabitude de sentir envisager lêimage extérieure de mon corps, on sêintéresse ordinairement à ce que je suis intérieurement. Suis-je laide, Dane?

Sa voix avait une intonation si pathétique que Dane, déconcerté, ne sut que répondre:

-

Non, non! Pour moi, vous êtes belle...

-

Est-ce que... les hommes de votre planète jugent les femmes à leur beauté?

-

Oui, souvent. Les plus sensés, naturellement, essaient de faire intervenir dêautres critères - lêintelligence, la distinction, la gentillesse; mais je dois reconnaître que trop dêhommes, hélas, jugent les femmes dêaprès leur aspect extérieur.

-

Et les femmes? jugent-elles les hommes sur ce même critère?

Dêun seul coup, elle tourna la tête, mais Dane eut le temps de voir quêelle était rouge comme une pivoine. Sans le regarder, elle dit:

-

Allons rejoindre Rianna. Regardez, les autres sortent du bain eux aussi.

Un peu embarrassé, Dane se demanda quels sentiments la jeune fille avait réussi à saisir chez lui concernant ces problèmes dêattirance sexuelle.

Mais déjà Rianna sêavançait vers eux. Ses cheveux faisaient en séchant un nuage cuivré autour de sa tête. Elle les informa quêelle avait réussi, non sans peine, à persuader Aratak de se débarrasser, avant de revenir prendre son repas avec eux, de cette odeur de soufre qui semblait tant lui plaire.

En échange, Dane lui annonça que le Mekhar était allé retrouver des compatriotes.

-

quêil reste avec eux, fit Rianna. Je nêai pas confiance en lui. Je nêai jamais eu beaucoup de sympathie pour les Proto-félins: ce sont tous des créatures sournoises qui ne savent que voler dans votre dos, comme de vulgaires chats de gouttière!

-

Voilà bien des préjugés pour une scientifique, lui fit remarquer Dallith. Cêest exactement comme si lêon critiquait les Proto-simiens parce quêils manifestent de la curiosité pour tout. Cêest un mécanisme de survie.

Les

Proto-télins sont les descendants des grands chasseurs carnivores; voler est un moyen de survie pour eux. De même que votre chat ne serait pas un bon chasseur sêil nêavait pas le droit dêattraper ses proies.

Rianna haussa les épaules, mais, avant quêelle ait pu ajouter quelque remarque désobligeante à lêégard du Mekhar, celui-ci les avait déjà

rejoints. Il était resplendissant avec sa tunique - quêil avait finalement accepté de porter en raison du froid - et sa crinière soigneusement coiffée en boucles savantes. Ils prirent Aratak au passage en regagnant le b‚timent qui leur avait été assigné comme logement.

-

Jêaurais cru que vous seriez resté avec vos frères de race, Cliff, dit Dane à lêhomme-lion.

-

Mes frères de race! sêexclama Cliff-Climber avec une sorte de sifflement exprimant à la fois le sarcasme et lêirritation. Des criminels de droit commun ! De vulgaires voleurs qui se sont évadés de Mekharvin et se sont vendus ici pour ne pas payer le prix de leurs crimes ! Ce sont des gens comme eux qui donnent aux Mekhars une si mauvaise réputation dans la Galaxie!

-

Car, bien entendu, laissa tomber Rianna sur un ton ironique, les trafiquants dêesclaves nêont rien à voir avec les bandits de droit commun!

Lêironie du propos échappa totalement à Cliff-Climber.

-

Bien s˚r que non. Je ne saurais accepter la compagnie de ce genre dêindividus. Mon honneur mêinterdirait de me commettre avec eux. Dois-je vous rappeler que je vous ai donné ma parole? Mais je préfère réserver ma colère aux Chasseurs.

Tandis quêils entraient dans le b‚timent, Dane demanda à son tour, mais sans y mettre dêironie cette fois

-

Et votre honneur vous autorise à vous associer avec des Protosimiens et des esclaves?

-

En principe non, mais vous avez prouvé votre valeur et, de plus, que je le veuille ou non, vous serez de mon côté au cours de la Chasse. Il est donc indispensable que je mêhabitue à faire preuve dêune certaine bienveillance à votre égard, si je veux que nous coopérions efficacement contre notre ennemi commun.

-

Dêautant que nous aurons probablement intérêt àlêaffronter tous ensemble, fit remarquer Dane.

Comme Aratak sêenquérait si quelquêun avait quelque idée du sort qui les attendait, Dallith lui exposa ce dont elle avait déjà fait part à Dane concernant la Lune Rouge et lêintervalle entre deux éclipses. Cliff-Climber ajouta:

-

On nous a amenés ici trop tard pour que nous nous retrouvions avec les autres Proies dans lêarmurerie. Mais on nous y emmènera demain, dêaprès ce que lêon mêa dit.

Ils furent interrompus par le Servant, le robot, qui venait de faire son apparition. Ses bras extensibles -cinq cette fois - portaient une série de plateaux-repas tenus au chaud.

-

Si chacun dêentre vous veut bien sêinstaller à sa convenance pour prendre le repas quêil a sélectionné, fit la voix mécanique, nous nous ferons un plaisir de le servir.

Le Mekhar alla prendre un coussin sur son lit pour pouvoir se coucher par terre. Au bout dêun instant dêhésitation, Dane et les deux femmes lêimitèrent. Aratak, lui, préféra sêétendre à même le sol.

-

Il est tout de même bien agréable de retrouver la civilisation, fit remarquer lêhomme-lézard.

Le Servant glissa sans bruit vers Dallith, par qui il commença:

-

Honorable Proie, nous avons le plaisir de vous informer que, selon les voeux que vous avez exprimés, les protéines entrant dans la composition de ce repas sont dêorigine exclusivement végétale, et les graisses extraites des graines dêun arbre.

Il

ponctua ce préambule en tendant un plateau à Dallith. A Dane et Rianna il donna des plateaux sensiblement identiques, dont le contenu, leur précisa-t-il, associait les origines végétale et animale. En go˚tant, Dane se dit que, si ce nêétait pas le steak dont il rêvait, ce nêétait pas mal non plus. Il y avait un plat qui combinait des espèces de champignons, une salade de légumes variés et ce qui pouvait passer pour un morceau de viande ; des fruits très sucrés complétaient le menu. A la place du morceau de viande, Dallith avait des espèces de graines cuites rouge foncé. Le plateau de Cliff-Climber laissait échapper une odeur étrange et assez désagréable, mais le Mekhar émit un ronronnement de plaisir et attaqua sans tarder son repas à grands coups de crocs. Aratak lui, mangeait de sa façon maniérée si particulière quelque chose qui, à lêodorat de Dane, sentait aussi mauvais que le bain de boue dans lequel il se vautrait tout à

lêheure. Mais les ouÔes de lêhomme-lézard sêen allumaient de plaisir et il tint à faire part au robot de sa gratitude pour avoir tenu sa promesse de contenter à la fois son palais et son métabolisme:

-

Je nêai pas mangé aussi bien depuis une centaine dêannées-lumière au moins.

-

Le repas du condamné est toujours le plus copieux, lui fit remarquer Dane.

-

Mets de choix pour lêun peut être déchets pour son voisin, dit Cliff-Climber en grognant.

Avant quêils nêaient pu se lancer dans une interminable théorie de proverbes, Aratak interrogea le Servant:

-

tes-vous celui qui nous a servi tout à lêheure?

-

Cette question nêa aucun intérêt ni aucune signification pour nous, fut la réponse.

-

Il parle toujours de lui au pluriel, murmura Dallith à lêoreille de Dane.

Mais Aratak, lui, était plongé dans de sérieuses cogitations, quêil fit partager à ses compagnons une fois le robot sorti:

-

Jêai vu plusieurs créatures comme ce Servant dans lêenceinte du parc, et la question qui se pose à nous maintenant est celle-ci: Un être dépourvu de la conscience individuelle de son identité peut-il jouir de lêUniverselle Sapience? l‚cha-t-il dêun ton pontifiant.

Dane, qui nêétait pas mécontent, en lêoccurrence, dêavoir dêautres sujets de réflexion que la perspective de la Chasse, lui emboîta le pas sur ce terrain:

-

La Sapience implique-t-elle nécessairement la conscience de son identité?

-

Il me semble, oui, dit Aratak. Car il y a sapience, àmon avis, dès lors quêune créature commence à se penser en tant quêindividu et ne se contente plus de suivre aveuglément lêinstinct grégaire de son espèce. En deux

mots, lorsquêil abandonne le général pour sêidentifier au particulier.

-

Etes-vous s˚r que ce soit le critère? intervint Rianna. En admettant même que ce Servant ne soit quêune fraction dêune intelligence centrale, pourquoi cette intelligence centrale ne ferait-elle pas partie de (èUniverselle Sapience? Et, puisquêil parle au nom de cette intelligence dont il participe, chacune de ses composantes nêest-elle pas aussi une partie de cette sapience?

Cet argument semblait avoir quelque peu semé le trouble chez Aratak:

-

Jêai toujours défini la sapience comme la conscience de sa propre et unique individualité. Comment la définissez-vous, Rianna?

-

Comme lêaptitude à écrire sans cesse son histoire, répondit-elle sans hésiter. Lorsquêune espèce en arrive au stade o˘ elle peut transmettre à sa descendance un important héritage de connaissances, de façon que chaque génération nêait pas à récapituler chaque fois lêexpérience propre à

la race mais progresse au contraire, alors je crois quêune race est sapiente.

-

Hmm, peut-être, murmura Aratak en curant ses énormes dents. Et vous, Cliff-Climber, comment votre race définit-elle la sapience?

Le Mekhar nêhésita pas lui non plus:

-~ Cêest un certain sens de lêhonneur, un code dêéthique. Nous considérons les races dépourvues dêun tel code comme animales et celles qui en font état, au contraire, comme sapientes. - Sêinclinant poliment: -Cêest naturellement dans cette dernière catégorie que nous vous classons tous.

Interrogée à son tour, Dallith donna son interprétation:

-

Pour moi, elle sêidentifie à lêempathie. Je ne parle pas seulement du psycho-don en lui-même, mais de la faculté que lêon en retire de sêenvisager soi-même à la place dêautrui. Peut-être sêagit-il simplement dêimaginaLion. Mais un animal non sapient en est dépourvu alors que toutes les espèces sapientes en jouissent.

-

Voilà de très bonnes réponses, commenta Aratak. Dane, nous ne vous avons pas encore entendu sur ce

sujet. Venant dêune planète o˘ nêexiste quêune seule espèce sapiente connue, votre race a-t-elle élaboré une notion pouvant être constitutive de sapience?

-

Cêest en effet un sujet courant de spéculation philosophique, commença Dane lentement. Nous avons deux ou trois espèces - dauphins, grands singes - qui présentent quelques-unes des manifestations apparentes de la sapience. Selon certaines thèses, la faculté de création artistique, le sens esthétique, sont une marque de sapience.

Si on lui avait dit quêil se retrouverait un jour en train de discuter, autour dêun repas et avec deux jeunes femmes dêautres planètes, un homme-lion et un homme-lézard, sur le degré de sapience dêun robot, il aurait au moins éclaté de rire! La réalité le rendit dêun seul coup curieusement euphorique:

-

Peut-être la première caractéristique de la sapience est-elle justement de demander ce que cêest, autrement dit lêaptitude à prendre part à une discussion philosophique sur la sapience. Cêest en tout cas une manière dêembrasser globalement le sujet.

Il

leva son verre, qui contenait un breuvage légèrement alcoolisé et amer:

-

Je boirai donc à notre sapience à tous!

Dès que le soleil fut couché, le ciel sêassombrit rapidement et, comme il nêy avait pas de lumière artificielle àlêintérieur du b‚timent, les cinq prisonniers durent regagner leur lit à t‚tons. Dane ne réussit pas à dormir tout de suite. A un moment donné, il se leva pour aller vérifier si la porte était ou non fermée à clé. Elle lêétait, mais o˘ pourraient-ils bien aller de toute façon? Sêévader signifierait simplement que les Chasseurs les chasseraient dès maintenant au lieu de plus tard. Et plus tard, dêaprès lêallusion de Cliff-Climber à une certaine armurerie, ils seraient armés.

En regagnant son lit, il passa à côté des deux jeunes femmes endormies.

Rianna était étendue sur le dos, son corps nu simplement recouvert dêune mince couverture. Dallith, elle, dormait paisiblement, le visage enfoui dans

le torrent de ses cheveux. Dane sêarrêta un instant pour la contempler, le coeur en proie à un douloureux sentiment dêamour mêlé de regret.

Je têai sauvé la vie, Dallith, mais, en fin de compte, pour que tu te retrouves ici. Rianna avait raison depuis le début. Il regagna son lit à la h‚te, mais il mit un long moment à sêendormir.

Le lendemain matin, après un repas très semblable en quantité à celui de la veille, mais très différent par le go˚t et la consistance, les cinq captifs furent conduits par leur Servant mécanique, à travers le parc - ou réserve

-èjusquêà un grand b‚timent construit dans cette même brique rouge qui semblait être le matériau de base en cet endroit de la planète.

- Voici lêarmurerie, leur dit le robot en les invitant àle suivre à

lêintérieur. Cêest ici que vous pourrez vous exercer chaque jour avec les armes que vous aurez choisies.

Des armes, une armurerie... Dêun seul coup, Dane prit conscienú que, en évoquant le rite de la chasse hier, il lêavait plus ou moins envisagé en termes terriens de safari o˘ le gibier nêa dêautre moyen de défense que de fuir ou de se battre avec ses armes naturelles - griffes, dents, etc. -

tandis que, de son côté, le chasseur dispose de lêéquipement le plus sophistiqué que la technique puisse procurer - fusils ultra-perfectionnés, véhicules blindés, entre autres. En abordant la notion du risque pour les Chasseurs, ici, il pensait davantage à quelque chose qui sêapparenterait aux lois concernant la chasse sur la Terre, aux règles destinées à éviter de véritables boucheries systématiques et à protéger les espèces contre une disparition pure et simple, quêà une meilleure chance de survie donnée au gibier. Peut-être comme dans le sport quasi religieux de la corrida, o˘ les risques de mort sont plus équilibrés...

Il entra dans le b‚timent derrière le robot.

A lêintérieur, lêéclairage était dispensé de façon régulière et le sol insonorisé par une sorte de capitonnage. LêArmurerie était divisée en plusieurs secteurs très vastes. Cela faisait un peu penser à un immense gymnase, o˘ quatre ou cinq équipes olympiques auraient pu sêentraîner à

lêaise.

Avec, sur toute la longueur des murs et de haut en bas, ce qui devait bien représenter des centaines et des centaines de mètres carrés dêarmes !...

Dane nêen avait jamais vu autant de sa vie. Des épées de toute taille, forme et facture imaginables, de lêimmense épée à deux mains des croisés et des Vikings jusquêau sabre incurvé à la Perse, en passant par la fine et courte rapière. Certaines étaient dêailleurs si petites et si minces que Dane se demanda comment on pouvait arriver à les tenir et quels ravages on en escomptait. A lêinverse, dêautres étaient si énormes quêil était douteux quêAratak lui-même parvînt à les soulever.

En plus des épées, il y avait des couteaux et des poignards, une infinie variété de lances, de boucliers -dont il était difficile dêenvisager certains comme conçus pour une anatomie humaine, car ils comportaient trois poignées ! - des masses dêarme, des gourdins. Il y avait enfin des armes dont Dane nêavait aucune notion jusque-là et quêil aurait été bien en peine de décrire.

Aratak interrogea Servant:

- quelles sont les règles de la Chasse en ce qui concerne ces armes?

- Vous pouvez choisir toutes celles que vous voudrez et vous exercer à

compter de maintenant et jusquêau début de la Chasse, répondit le robot. Ce jour-là, vous pourrez prendre avec vous toutes les armes quêil vous sera possible de porter.

Dallith glissa sa main dans celle de Dane et posa la question à laquelle il pensait:

- quel genre dêarmes prennent les Chasseurs?

- Certains choisissent un modèle, dêautres un autre. Chacun a son arme préférée.

- Ont-ils dêautres armes en plus? interrogea Rianna.

Des nervo-fuseurs, par exemple, ou des armes à explopropulsion?

-

Non. Les règles de la Chasse, qui sont plus anciennes, dit-on, que la race elle-même, interdisent au Chasseur dêutiliser des armes refusées aux Proies Sacrées.

Pour Dane, cêétait un motif de soulagement:

-

Vous voulez dire quêil ne sera utilisé contre nous aucune autre arme que celles qui sont exposées ici?

-

Absolument. LêArmurerie contient un assortiment complet de toutes les armes autorisées.

Sur ce, le Servant se déplaça en direction dêun autre groupe de personnes également en tunique rouge qui étaient en train de sêentraîner tout au fond de lêArmurerie. Dane crut reconnaître parmi eux un couple de Mekhars, dont il se demanda sêils nêappartenaient pas à cette catégorie à laquelle CliffClimber avait refusé dédaigneusement de sêassocier la veille. De loin, ils paraissaient sêexercer au b‚ton de combat.

Il

commença à passer en revue lêétalage dêarmes alignées le long des murs, un étalage à rendre fou un collectionneur ou un conservateur de musée!

-

Je me demande si ces armes ont été fabriquées par les Chasseurs ou si elles ont été rapportées des quatre coins de la Galaxie, dit Rianna à

côté de lui.

Dane, qui était en train dêexaminer avec beaucoup dêintérêt une épée recourbée dans un fourreau en bois laqué noir, esquissa un sourire un peu forcé:

-

Je crois pouvoir vous dire que certaines au moins ont été

récupérées ailleurs quêici ou alors gardées en lêhonneur de quelque Proie particulièrement courageuse et dangereuse. - II décrocha lêépée en question avec le fourreau. - Regardez cèlle-ci, par exemple.

-

Ce nêest pas un modèle unique, fit remarquer Rianna. Je peux vous citer au moins quatre planètes o˘ ce type dêépée est utilisé... A quelques détails près, peut-être; je ne suis pas spécialiste en ce domaine.

-

Mais moi, si, en lêoccurrence, dit Dane.

Il

sortit lêépée de son fourreau avec ce qui pouvait passer pour des précautions exagérées et la tint à bout de

bras, examinant attentivement la longue lame étincelante à force dêavoir été polie:

-

Regardez comme lêincurvation est régulière tout du long, comme un arc. Cêest peut-être un modèle courant dans la Galaxie, mais il y a dans cette lame quelque chose qui ne trompe pas. Et dêabord la double combinaison de métal : le coeur en fer doux, lêextérieur en acier trempé.

Vous voyez cette ligne sinueuse? - Il indiqua lêendroit o˘ le métal changeait de couleur. - Cêest là que lêacier a été spécialement durci pour acquérir le tranchant du rasoir, mais en plus meurtrier encore que le rasoir.

Il

poursuivit presque amoureusement la description de lêépée, insistant sur certains détails caractéristiques, avant de conclure:

-

Cette épée a été fabriquée sur la Terre; il est impossible que ce soit une simple coÔncidence. Si vous en voulez la preuve...

Avec précaution il fit jouer une petite cheville de bois dans le manche et, en quelques mouvements habiles, enleva complètement la poignée, examinant la soie ainsi révélée. Puis il tourna la lame de façon que tous puissent voir lêinscription:

-

Cêest un sabre de samouraÔ japonais fait par Matagushi en 1572, et probablement lêun des plus beaux jamais réalisés par ce grand maître. -

Devinant que ses compagnons attendaient quelques précisions: - Les samouraÔs étaient une caste de guerriers parmi les plus farouches qui aient jamais existé, entre deux cents et quatre cents ans avant mon époque.

quelquêun - ou quelque chose - a d˚ venir sur la Terre et en ramener un pour combattre contre les Chasseurs. - Il regarda la lame encore un moment presque avec dévotion avant de remettre le manche en place. - Elle doit être ici depuis longtemps, mais elle est encore en parfait état. -

Remettant soigneusement le sabre dans son fourreau laqué -: Si celui qui lêa manié contre les Chasseurs a été tué, comme cêest probable, il a d˚ défendre chèrement sa peau et faire pas mal de ravages parmi ses adversaires avant de mourir.

-

Peut-être fait-il partie de ceux qui ont réussi à en réchapper, hasarda Rianna, et les Chasseurs ont gardé son épée ici en son honneur.

-

Non, cela semble assez peu dans les habitudes dêun samouraÔ de partir en abandonnant son sabre. Le sabre du samouraÔ est son ‚me. Il a fallu quêils le tuent pour pouvoir récupérer son arme.

H resta un moment avec lêépée dans les mains, perdu dans ses pensées. Sa pratique de lêescrime, et notamment du style japonais, était loin maintenant; de plus, ce sabre était bien plus lourd que ce quêil avait jamais eu à manier jusque-là. Mais il ne pouvait sêempêcher de se sentir irrésistiblement attiré par lêaventure de ce Japonais du seizième siècle qui, à une époque impossible à connaître exactement avait été, comme lui, arraché à la Terre et avait parcouru la moitié de lêUnivers pour venir affronter dêétonnants adversaires.

-

Je crois que je viens de trouver mon arme, dit-il tout haut. Peut-

&re est-ce un bon présage. - Se tournant vers Cliff-Climber: - Avez-vous trouvé des armes qui vous sont familières?

H sêétait habitué maintenant à cette façon quêavait chaque fois le Mekhar de retrousser sa lèvre supérieure avant de répondre à une question:

-

Des armes? Je nêai besoin que de celles-ci.

Et lêhomme-lion désigna ses longues griffes incurvées, aussi affilées que des rasoirs et qui étincelaient comme si... Oui, en fait, elles étaient artificiellement terminées par du métal

-

Jêaffronterai nêimporte quelle créature vivante avec mes griffes.

Ce serait me rabaisser que dêavoir recours àdes armes inférieures.

-

Vous portiez pourtant un nervo-fuseur sur votre vaisseau, si je ne me trompe, lui fit remarquer Dane.

-

Seulement lorsquêil sêagit de contrôler des animaux, répondit le Mekhar avec mépris. Mais je fais partie de la caste combattante et, à ce titre, jêai vaincu plus dêun ennemi en duel à griffes nues. - Embrassant dêun regard encore plus dédaigneux lêétalage dêarmes : - Ces instruments sont faits pour les races qui ne sont pas dotées par la Nature dêarmes propres. Vos griffes et vos dents ont

perdu leur vertu première à partir du moment o˘ vous avez abandonné les armes de la Nature; et, voyez, votre peuple en paie les conséquences.

-

Chacun ses armes, fit Dane en haussant les épaules.

-

Dêun point de vue historique, précisa Rianna àlêattention du Mekhar, les Proto-simiens nêont jamais été, contrairement à ce que vous prétendez, dotés dêarmes naturelles. Mais nous avons reçu un cerveau pour compenser cette carence.

-

«a, cêest votre version des choses, répliqua CliffClimber en se forçant à rester calme.

-

Je sais que ça ne me regarde pas, intervint Dane, mais supposez un instant quêon vous attaque avec une longue lance ou une arme de ce genre?

Cliff-Climber réfléchit un moment à la question avant de répondre:

-

Je ferai confiance au sens de lêhonneur de mon assaillant et à son désir de respecter les règles du sport.

-

Je souhaiterais avoir votre assurance, murmura Dane.

Aratak, pendant ce temps, ne semblait guère trouver satisfaction parmi les longues rangées dêarmes:

-

Nous sommes un peuple pacifique ; je mêy connais fort peu en armes.

Chez moi, un couteau est fait pour peler des fruits ou dépouiller des poissons. Ceci me pose problème. - Il sêapprocha de lêendroit o˘ les étrangers qui ressemblaient à des Mekhars avaient suspendu leurs grands b