‚tons. - Je crois que je vais me limiter au gourdin le plus lourd quêil me sera possible de manier. En y ajoutant mon poids, il devrait pouvoir mettre hors de combat nêimporte quel assaillant. Sinon, jêen déduirai que jêai été

jugé m˚r par le Cosmique OEuf pour quitter cette vie et rejoindre son infinie sagesse, et il sera donc inutile que je mêinquiète du maniement dêarmes qui ne me sont pas familières.

Dane était de cet avis. Si lêimmense homme-lézard nêarrivait pas à tuer un ennemi de cette façon, cêest vraiment que cet ennemi ne pouvait être tué

dêaucune manière!

Tenant toujours son sabre de samouraÔ, il se tourna vers les deux jeunes femmes:

-

Cela semble irréel. Sur ma planète, le maniement de lêépée nêest quêun sport, un jeu: personne de nos jours ne défend plus sa vie avec une épée.

-

Je croyais que votre planète était le thé‚tre dêune multitude de guerres, sêétonna Rianna.

Dane lui expliqua les formes plus modernes que revêtaient les guerres aujourdêhui sur la Terre.

Rianna secoua la tête dêun air consterné:

-

Sur ma planète, les femmes ne se sont jamais beaucoup battues, même avant que nous en ayons définitivement terminé avec la guerre. Il mêest jadis arrivé de prendre un poignard pour me défendre au cours de mes fouilles archéologiques, mais je ne mêen suis servie quêune ou deux fois, pas plus. Il suffit généralement de montrer quêon est armé, et aujourdêhui les voleurs et autres malfaiteurs sont trop l‚ches pour insister. Je me demande si jêen trouverai un assez léger pour moi, ici.

Finalement, Rianna choisit un long poignard effilé, à la lame en forme de feuille, et un autre, plus petit, qui tenait dans sa poche. En attachant le premier à sa ceinture, elle ne put sêempêcher de frissonner:

-

On a du mal à se faire à lêidée quêon va devoir sêen servir contre une... une créature sapiente, ou que quelquêun va sêen servir contre soi.

Elle redressa la tête fièrement, mais Darie comprit que, derrière ce courage de façade, elle tremblait de peur.

Espérons que nous nêaurons pas à en arriver là, lui dit-il. Notre objectif essentiel étant de survivre, croyez-moi, si nous pouvons y parvenir en fuyant et en nous cachant, je fuirai et me cacherai: je ne suis pas plus impatient que vous dêaffronter ces Chasseurs!

Il

était bien conscient quêon était en train ni plus ni moins de les habituer à lêidée de se battre pour sauver leur vie, donc à lêidée de la mort. Cêétait une chose difficile à assimiler de but-en-blanc pour une personne civilisée, et lêon avait beau dire que la civilisation nêétait quêun vernis, le vernis était plus épais chez certains que chez dêautres.

Il en voyait pour preuve Je comportement totalement opposé que peuvent avoir, placés dans les mêmes conditions, deux individus armés: lêun défoulera

une certaine propension à tuer tandis que lêautre paniquera complètement à

lêidée dêutiliser son arme sur une cible humaine.

Lui-même pratiquait bien les arts martiaux, mais dans le même esprit que lêescalade en montagne ou la navigation en solitaire: pour lêamour du sport, de lêexercice physique et moral quêil impliquait. Etait-il capable de tuer? 11 se le demandait. Mais il aurait certainement intérêt à ne pas se poser la question trop longtemps ! En fait, tout se ramenait à une démarche psychologique: il devait être possible de se persuader de tuer, comme de faire ou ne pas faire nêimporte quoi dêautre.

Cliff-Climber, en tout cas, ne devait certainement pas avoir besoin de se persuader: il appartenait manifestement à une race de tueurs nés. Aratak?

Paisible, mais certainement redoutable quand il était en colère; il avait eu lêoccasion de le voir en action contre les Mekhars. quant à Rianna, si elle était capable de se servir dêun couteau contre les voleurs, et ce, malgré son acquis de civilisation, elle devait être prête à tuer un agresseur du genre Chasseur.

Mais Dallith? Son peuple aussi était pacifique. Elle était même végétarienne et connaissait de véritables accès de terreur... Mais avec quelle férocité elle sêétait battue contre les Mekhars sur le vaisseau, au point quêil avait d˚ la retenir pour lêempêcher de tuer !...

Il la chercha des yeux. Elle était au fond de la salle en train dêexaminer une rangée dêarmes bizarres, inconnus de lui. Mais la façon apparemment délibérée dont elle lui tournait le dos le retint dêaller la rejoindre. Je voudrais tant l~aider, etje ne peux pas. Jêaurai déjà beaucoup trop à faire pour rester en vie moi-même.

Mais il se força à écarter cette pensée de son esprit. Ses craintes nêaboutiraient quêà éveiller celles de Dallith. Son attention se porta alors sur Cliff-Climber qui, un peu àlêécart, se livrait à une espèce dêentraînement de boxe contre un adversaire imaginaire. Il refuse obstinément toute arme, mais, pourtant, les autres Mekhars que j èai vus sêexerçaient avec des b‚tons de combat...

Il se demanda si les Chasseurs ne ressembleraient pas par hasard aux Mekhars, car Cliff-Climber paraissait comprendre assez bien leur mentalité.

H y avait plusieurs autres groupes qui sêentraînaient avec diverses armes, et, lorsquêil interrogea le Servant -ou lêun de ses frères robots, car ils étaient tous pareils -pour savoir sêil était permis de regarder les autres faire, il lui fut répondu que les honorables Proies Sacrées pouvaient évoluer librement dans lêenúinte de la Réserve de Chasse (ce qui ne disait pas ce qui se passerait si elles en sortaient, mais Dane nêétait pas particulièrement désireux de le savoir); en outre, si une Proie Sacrée avait fait le choix définitif dêune arme, ladite arme serait réservée àson usage exclusif pendant toute la durée de la Chasse, personne dêautre nêayant le droit de sêen servir. Dane hésita un peu avant dêénoncer son choix, car il craignait dêomettre une arme dont le maniement lui conviendrait mieux, mais il était trop attiré par son sabre de samouraÔ

pour ne pas être prêt à courir ce risque.

Il passa le peu qui restait de la journée à se familiariser avec le sabre, à śentir ª le manche, lêéquilibre avec la lame, ses moindres réactions.

Tandis que le soleil déclinait, le Servant les reconduisit à leur bain avant le repas du soir.

Encore absorbé par sa découverte du sabre de samouraÔ, Dane se baigna à

lêécart des autres, dans lêun des bassins dêeau chaude. Il ne pouvait sêempêcher de repenser à toutes ces histoires de soucoupes volantes, de mystérieuses disparitions qui circulaient sur Terre. A celle, notamment, très ancienne, de la Mary Celeste, ce navire retrouvé en plein océan Atlantique sans ‚me qui vive àbord, alors que, selon toute évidence, il nêavait subi aucune avarie. Dane Marsh avait en main, lui, la preuve du sort quêavaient connu tous les mystérieux disparus. Bien s˚r, personne sur Terre nêen saurait jamais rien. Même sêil survivait à la Chasse, et à

supposer que les Chasseurs tiennent réellement leur promesse de rendre leur liberté aux survivants et quêil puisse regagner la Terre, il aurait du mal à trouver quelquêun prêt à croire àson histoire; on le prendrait pour un fou.

Mais pour lêinstant, il avait devant lui, telle une porte bouchant toute perspective sur le moindre avenir, la Chasse. Immergé dans son bain chaud, contemplant là-haut la grande Lune Rouge, qui emplissait plus du quart du ciel aujourdêhui, il prit conscience quêil était dérisoire dêenvisager un quelconque avenir tant que lêépreuve ne serait pas passée.

Une épreuve dépassant s˚rement tout ce quêon pouvait imaginer, mais à

laquelle il essaierait de toutes ses forces de survivre.

Le samouraÔ inconnu dont il avait hérité le sabre croyait probablement quêil avait été transporté au-delà des limites de la Terre pour combattre des démons. Maintenant, peut-être les Chasseurs étaient-ils réellement des démons surgissant au moment o˘ lêon sêy attendait le moins, pourvus dêarmes monstrueuses dont on nêavait pas idée...

Lêeau chaude avait pénétré dans chaque pore de sa peau et il était merveilleusement détendu. Après avoir fait un pied de nez à la Lune Rouge, il sortit du petit bassin et, sans transition, alla plonger dans lêeau plus fraîche du bassin principal. Il nagea un moment et, lorsquêil se sentit pleinement revigoré, il remonta sur le bord, se sécha sommairement avec sa tunique et, sans se rhabiller, commença à exécuter sur place quelques figures de karaté.

- Vous avez fait cela toute la journée, fit Rianna àcôté de lui. On dirait une danse sacrée. Je croyais pourtant que vous ne pratiquiez aucun rite religieux.

Dane se mit à rire, sans interrompre pour autant ses exercices, sautillant, battant en retraite, simulant des phases dêattaque et de défense, lêensemble rappelant les figures dêun ballet.

- Cêest pour mêassouplir les muscles, me remettre en jambe, fit-il. Je nêai pas intérêt à me rouiller.

Au bout dêun moment il sêarrêta et remit sa tunique. Il était conscient que Rianna lêobservait avec intérêt depuis quelques instants.

- Vous me semblez avoir des dons insoupçonnés dont vous ne nous avez jamais parlé, dit-elle. De quel genre dêart sêagit-il exactement?

Il lui expliqua la nature du karaté, dans quel esprit il le pratiquait. Tout en parlant, il se rapprochait inconsciemment dêelle. Ces grands yeux qui le regardaient avec insistance, ce nuage de cheveux cuivrés, la tunique laissant voir une épaule nue. Dêun seul coup, il se retrouva en train de lêattirer contre lui, sentant son corps répondre et se fondre dans lêétreinte.

Il

entendait bien cette voix au plus profond de son esprit: Ce n èest pas de lêamour, mais simplement la libération de lêinstinct le plus bestial en face de la mort... Le besoin de reproduire, de laisser quelque chose de soi... Mais il nêavait que faire en ce moment précis de la voix de son subconscient ou même de sa conscience. Il avisa un bosquet qui les cacherait à la vue des autres. II lêy entraîna sans réfléchir, ou plutôt sans tenir compte de toutes ces pensées qui sêenchevêtraient dans sa tête.

Lorsquêils furent allongés lêun contre lêautre, il sêentendit même dire: ´

Je ne devrais pas .... Non, pas comme ça... ª Mais elle lêétreignit plus fort en lui murmurant:

-

quelle importance? quêavons-nous à perdre?

Un peu plus tard, alors que la lumière de la Lune Rouge sêétait sensiblement intensifiée et que le visage de Rianna semblait baigner dans une scintillante brume rouge, la jeune femme se pencha sur lui et lêembrassa furtivement:

-

Dane, Dane, nêayez donc pas lêair si désolé ! Je sais que certains en profiteraient pour dire que les Protosimiens ne pensent décidément quêà

donner libre cours àleurs instincts, mais quêy pouvons-nous? Pourquoi serions-nous exemptés de cette règle de la nature tous les deux?

Il

se redressa et lui sourit

-

quoi quêil en soit, je pense que nous devrions aller dîner maintenant, sinon le maudit robot qui sêoccupe de nous serait fichu de venir nous chercher, et je ne me vois pas en train de lui expliquer ce qui nous a mis en retard:

il

nêy comprendrait rien

-

Je suis s˚re au contraire quêil a lêhabitude, fit-elle malicieusement.

La faible lumière en provenance de lêintérieur du b‚timent qui abritait leurs quartiers leur permit de se guider

dans lêobscurité, presque totale à présent. Lorsquêils entrèrent, ils constatèrent que les autres avaient déjà entamé leur repas. Cliff-Climber leva la tête, très vite, une expression ironique se dessinant dans son mouvement de lèvres familier, puis il sêabsorba de nouveau dans ce quêil avait sur son plateau. Dallith, qui paraissait minuscule et fragile, était penchée sur le sien. Elle aussi leva la tête et adressa un sourire timide à

Dane. …tait-elle soulagée de le voir revenir? Lui avait-il manqué? En tout cas, ce sourire frappa Dane comme un fulgurant coup de poing au creux de lêestomac.

Dallith... Oh, Seigneur! Elle saura. Je lêaime, je lêaime, mais je ne trouve rien de mieux à faire que de tout g‚cher avec Rianna I... Maudits Proto-simiens avec leurs saletés dêinstincts !...

Le sourire sêeffaça subitement du visage de Dallith; elle rougit violemment et baissa la tête sur son repas. Rianna souriait elle aussi, mais son sourire à elle était crispé. Elle saisit la main de Dane et la serra à lui faire mal. Comme privé de réaction par la honte, il ne retira pas sa main ; au lieu de cela, il passa son bras autour de la taille de la jeune femme et lêattira contre lui comme pour la rassurer. Mais il ne pouvait arracher son regard de la jeune tête penchée, devant lui. Seigneur, lui ai-je fait du mal ?...

Sentant la tension qui régnait dans la pièce, Aratak sêapprêtait à poser une question, lorsque Rianna, le devançant, lui demanda sur un ton de dépit:

-

Eh bien, le Divin OEuf manquerait-il de sagesse dans ce genre de circonstance?

-

Il y a des moments o˘ la sagesse nêest pas de mise, mon enfant, répondit Aratak. La seule sagesse, si sagesse il doit y avoir, que je puisse invoquer en un pareil moment est celle qui veut que, lorsquêun individu ne trouve nul réconfort par ailleurs, il réconforte au moins son estomac. Mangez votre repas, Rianna, avant quêil ne refroidisse.

Dane, que Rianna tenait toujours fermement par la main, se résigna à

sêinstaller par terre à côté dêelle. Tout en mangeant, il essayait de saisir le regard de Dallith,

mais la jeune fille gardait la tête obstinément penchée sur son plateau, le visage à demi caché par ses longs cheveux blonds. Elle avait devant elle ce qui ressemblait, de loin, à du riz avec de la sauce et un fruit de couleur jaune. Alors que Dane en était encore à la moitié de son repas, elle posa son plateau par terre et alla sêétendre sur son lit, leur tournant le dos à

tous. Bientôt elle ne bougea plus, dormant ou faisant semblant de dormir.

Plus tard, au cours de la soirée, Rianna sêapprocha de son lit et se pencha sur elle, sans doute pour lui parler, mais Dallith, dont les yeux restaient obstinément fermés, ne semblait pas avoir conscience de sa présence.

Ils avaient gardé machinalement leur organisation du départ pour dormir, Dane couchant à côté de Rianna dans un grand lit, Dallith un peu plus loin, Aratak à même le sol et le Mekhar lové comme un chat sur le lit le plus moelleux. A cet égard, Dane se dit que peut-être, pour les Chasseurs, les différences de sexe nêavaient aucune signification.

En se couchant, Rianna laissa reposer sa tête sur le bras de Dane et lui murmura:

-

Dane, Dallith a lêair si malheureuse. Se pourrait-il quêelle soit jalouse?

Dane avait évité de toutes ses forces dêen arriver àcette conclusion. quel droit avait-il de croire que Dallith pouvait en éprouver de la peine?

-

Je ne sais pas, Rianna. Peut-être est-elle simplement... gênée parce que moi-même je le suis. Je vous ai déjà parlé des coutumes sexuelles de ma planète. Elle a perçu ma gêne lorsque Roxon et vous.., sur le vaisseau mekhar...

-

Mais elle savait bien que nous faisions seulement semblant ! Dane, vous êtes ennuyé de ce qui sêest passé?

-

Comment pourrais-je lêêtre?

Il

la serra contre lui. Elle avait été généreuse dans la satisfaction de son besoin, avait partagé celui-ci et, quels que pussent être par ailleurs ses sentiments à son égard, cela avait créé un lien entre eux. Il nêavait pas le droit de le regretter. Elle se blottit contre lui, et, au bout de quelques instants, sêendormit profondément.

108

Mais Dane restait éveillé, conscient, comme sêil la voyait ou lêentendait, de la tristesse qui se cachait derrière lêimmobilité de Dallith. Il ne pouvait sêempêcher de la revoir se laissant mourir sur le vaisseau mekhar... Il avait beau essayer de se rassurer (Allons! même une fille un peu à part comme Dallith n èirait pas mourir uniquement parce que tu as fait lêamour avec une autre!) il ne pouvait oublier quêelle nêavait personne dêautre ici, que cêétait dêailleurs pour cette raison quêelle avait voulu mourir.

Finalement, nêy tenant plus, il se leva et sêapprocha le plus doucement possible du lit de la jeune fille. Aratak, le cou cerné de sa lueur bleue, comme toujours quand il dormait, bougea, ouvrit un oeil et agita la tête comme dans un geste dêapprobation. Dane se sentit un peu gêné, mais il avait décidé dêaller jusquêau bout.

La lumière rouge‚tre qui passait à travers les barreaux des fenêtres dessinait des raies sur les cheveux épars de Dallith. Dane se pencha sur la jeune tille.

- Dallith, fit-il très doucement. Regardez-moi. Je vous en supplie, mon amour, regardez-moi.

Elle resta dêabord immobile, et Dane commença àredouter quêelle f˚t déjà

hors dêatteinte de tout. Et puis, comme si elle voulait répondre à ses craintes, elle se retourna et posa sur lui ses grands yeux ouverts qui conservaient leur mystère.

- Ne vous mettez pas de pensées inutiles dans la tête, dit-elle calmement.

Ce nêest pas si important que cela, vous savez.

Il essaya de maîtriser un violent accès de colère, dirigé à la fois contre Rianna, contre Dallith et, illogiquement, contre lui-même et sa maladresse.

- Peut-être pas, dit-il. Jêavais peur que vous lêayez mal pris et je voulais être s˚r...

Brusquement sa voix se brisa et il sentit les larmes affluer à ses yeux.

Bien quêétant issu dêune société o˘ les hommes ne pleurent pas, il savait quêil nêallait pouvoir sêen empêcher. Alors il se baissa vers la jeune tille et la serra contre lui, enfouissant son visage dans sa tunique.

Pendant un instant, elle se laissa faire puis elle libéra ses mains et dit, sur un ton o˘ perçait un imperceptible mépris:

-

Moi aussi?

Cela fit lêeffet à Dane dêun seau dêeau glacée en pleine figure. Tout en se disant quêelle finirait peut-être par apprendre, vaille que vaille, à

protéger sa vulnérabilité, il bredouilla:

-

Dallith, je... jêavais peur... oh, comment puis-je vous faire comprendre ?... Vous semblez tout savoir. Vous êtes si s˚re de vous-même en ce moment.

-

Est-ce vraiment ce que vous pensez?

Elle se laissa retomber en arrière, ses immenses yeux fauves contrastant avec la p‚leur de ses joues et de ses cheveux.

-

Je vous aime, je vous désire... - Les mots se bousculaient à

présent. - Vous savez exactement ce que je ressens, hein? Vous le savez.

Vous ne bl‚mez pas Rianna, nêest-ce pas? Ce nêest pas de sa faute: vous lui avez fait peur à elle aussi...

-

Je suis désolée pour Rianna. Elle a été très bonne pour moi. Cêest moi qui me suis conduite stupidement. Dane, cela nêa... - Pour la première fois, sa voix semblait moins assurée. - ... cela nêa pas dêimportance...

Pas ça. Je le savais. Je crois même que je lêavais prévu.

Il

passa son bras autour de ses épaules et, appuyant son visage contre sa poitrine, il laissa échapper misérablement:

-

Jêaurais... Jêaurais voulu que ce soit vous...

Elle le repoussa doucement et leurs regards se rencontrèrent. Elle avait retrouvé toute sa maîtrise dêelle-même:

-

Non. Cêétait un pur réflexe, Dane. Nous le savons bien tous les trois. La différence est que, si je lêai ressenti moi aussi, jêai lutté

contre, parce que, sur ma planète... je nêaurais pas voulu que cela se passe de cette façon, comme une étreinte aveugle, vide dêamour, pour oublier la mort... - Elle ne put retenir ses larmes. - Mais puisque vous ne pouviez pas vous en empêcher... puisque vous en étiez incapable.., je ne peux supporter lêidée que vous ne soyez pas venu me trouver...

Il la tint serrée contre lui, désemparé devant lêorage de son chagrin, sachant que, quoi quêil fît maintenant, ce serait une erreur. Au bout dêun long moment, elle se calma. Elle se mit même à rire en essayant de le ré.conforter, en lui répétant que tout cela nêavait pas dêimportance et en le renvoyant pour finir près de Rianna:

- Je ne veux pas lui faire de mal, et je ne veux pas non plus que vous lui fassiez du mal.

Avant de le laisser partir, elle lêembrassa, affectueusement, amoureusement. Mais il y avait pourtant quelque chose qui sonnait faux, et tous deux en étaient conscients.

CHAPITRE IX

-

Cet endroit est incroyable, fit Dane, à moitié pour lui-même, à

moitié pour les autres.

-

La crédibilité nêest pas un concept applicable aux faits concrets, mais seulement aux sujets de réflexion théoriques, fit observer Aratak.

Ils se trouvaient dans lêArmurerie, baignés par la p‚le lueur rouge‚tre du milieu de la matinée. La Lune Rouge obscurcissait maintenant plus du quart du ciel.

-

Si un événement se produit effectivement, reprit lêhomme-lézard, il est crédible par le fait même quêil sêest produit.

Dane se mit à rire. Ce nêétait pas la première fois quêil se demandait sous quelle forme une de ses questions était parvenue à Aratak par lêintermédiaire du disque transiateur. Il préféra en venir directement à ce à quoi il faisait allusion et, désignant tour à tour le Servant, qui sêéloignait vers la porte de lêArmurerie, et ce que ce dernier venait de lui remettre, il expliqua:

-

Je lui ai demandé il y a quelques minutes sêil pouvait me procurer certaines choses dont jêavais besoin pour mon épée - une pierre à chaux à

grain fin, un chiffon doux, un autre plus rêche, une petite baguette et un morceau de ficelle. Je mêattendais à ce quêil me ramène quelques équivalents de fortune, mais pas du tout : jêai eu très exactement ce que je voulais ! A croire quêon lui fait ce genre de requête tous les jours

-

qui dit que ce nêest pas le cas? intervint Cliff Climber. Il nêy a pas trente-six façons dêentretenir le fil dêune épée.

Lêesprit primitif est rarement tortueux ou spécialement inventif.

Dane fit comme sêil nêavait pas entendu la réponse du Mekhar; il réussissait très bien maintenant dans ce genre dêexercice. Sêasseyant en tailleur par terre, il commença àenrouler lêun des bouts de chiffon autour de lêune des extrémités de la baguette. Cliff-Climber le regarda faire pendant un moment avant de sêéloigner pour se livrer de son côté à son petit entraînement de boxe simulé devant une grande glace. (Lorsquêon lui avait demandé pourquoi il faisait cela, il avait répondu quêil y avait une légende sur un duelliste mekhar qui avait réussi par ce procédé àdevenir plus rapide que son reflet dans la glace!)

Aratak pria ensuite Dane de lui enseigner quelques-unes de ses figures de karaté, ce que Dane accepta bien volontiers, trop heureux de pouvoir ajouter quelques atouts supplémentaires à ceux, naturels, que possédait déjà le géant. Celui-ci fit alors allusion à une technique que lui avait enseignée Rianna et quêelle appelait árt dêobliger un agresseur à

provoquer lui-même sa propre défaite ª, et qui, dêaprès la démonstration quêil en donna dans son style inimitable, correspondait ni plus ni moins au judo. Dane songea: Cêest une chance que Rianna connaisse cela, mais pl˚t au ciel que Dallith fi~t aussi bien année!

Son inquiétude ravivée par cette pensée, il remit son épée en place et chercha la jeune fille. Il la trouva en train dêexaminer, comme la veille, des armes totalement inconnues de lui. Mais elle ne fit pas attention à

lui, et Dane sentit de nouveau chez elle ce mélange de colère et de complexe de culpabilité inexplicable.

Décidément, quelque chose nêallait plus entre eux...

- Avez-vous choisi une arme, Dallith? vous aurez besoin de quelque chose pour vous défendre...

Elle se tourna vers lui avec une expression de défi:

- Vous pensez peut-être que je vais attendre que vous me défendiez?

Si seulement jêétais s˚r dêen être capable! songea-t-il amèrement.

-

quoi que vous attendiez, Dallith, je mêy efforcerai du mieux que je peux. Mais je ne suis s˚r de rien. Dêaprès ce que je crois savoir, ils vont nous emmener un par un pour nous laisser, chacun seul, aux prises avec les Chasseurs.

Il

nêavait pas réalisé avant ce moment à quel point lêanalogie avec la course de taureaux était frappante:

lêimage de lêarène, le concept mental de spectateurs hurlant pour encourager les combattants, autant de créatures sans visage dont il nêavait seulement aucune idée.

Comme si elle avait perçu ce tableau, Dallith p‚lit:

-

Allons-nous vraiment nous retrouver seuls?

-

Je ne sais pas. Je souhaite de tout mon coeur que nous puissions rester ensemble. - Je pourrais ainsi, pensa-t-il, arriver à constituer, à

cinq, une unité de combat assez efficace. - Nous aurons peut-être une heureuse surprise, mais il vaut mieux sêattendre au pire.

Les idiots! Avoir retenu Dallith comme proie uniquement parce que, sous lêempire de la panique, elle s èest battue comme un tigre... Si elle doit se battre seule, ils la réduiront en charpie. Il considéra un moment avec terreur le jeune corps frêle, les joues p‚les, les poignets minuscules, le cou si délicat que sa tête ressemblait à une fleur en équilibre au bout de sa tige. Comment pouvait-il la protéger? Elle ressemble à lêun de ces Chrétiens sur le point dêêtre jetés en p‚ture aux lions. Mais il fit un effort pour contrôler ses pensées, qui ne pouvaient quêaccentuer sa vulnérabilité.

-

Je connais vraiment trop peu de choses sur la plupart de ces armes, fit-elle avec un petit geste vague désignant les épées, boucliers, couteaux et lances. Mon peuple nêen utilise aucune pour se battre, seulement quelquefois, par sport, ou pour de simples exercices de force pure. Et encore faisons-nous très attention: celui qui tue ou inflige une blessure à

quelquêun au cours dêun exercice connaît la même expérience de douleur ou de mort que sa victime...

Le don, ou la malédiction, que représentait lêempathie avait ainsi des conséquences importantes. Elle avait donné naissance à une culture fondée sur une certaine

crainte, dans laquelle la moindre douleur, le moindre chagrin jouaient un rôle essentiel, puisque la douleur dêun autre était aussi grave et aussi totalement ressentie que la sienne propre...

Dallith décrocha une fronde du mur et la fit tourner au-dessus de sa tête.

-

Jêai bien pensé que je pourrais utiliser ceci, fit-elle en hésitant. Mon peuple sêen sert pour chasser les bêtes nuisibles des champs et des jardins, ou quelquefois aussi dans des concours de tir à la cible.

Cela nêa plus dêimportance, maintenant que ma planète est loin à jamais...

Des larmes avaient afflué à ses yeux. Dane passa tendrement son bras autour de son épaule:

-

quêy a-t-il, Dallith?

-

Cêest mon destin, je suppose, et il nêest que juste...

-

montrant la fronde quêelle tient à la main: - Je suis ici à cause dêune arme comme celle-ci...

Il la regarda dêun air étonné, mais elle reprit dêune voix étouffée:

-

Jêétais considérée comme une bonne tireuse, et deux fois jêavais gagné un prix aux concours. Un jour que je mêexerçais avec ma fronde dans un coin retiré du jardin, je nêai pas remarqué que quelquêun entrait. Jêai seulement entendu trop tard un cri et jêai éprouvé aussitôt, oh !... une douleur si atroce !... Et jêai vu alors ma meilleure amie gisant par terre inanimée... - Dallith était secouée de tremblements nerveux. - Je savais pourtant... je savais que la fronde pouvait tuer ; je nêavais pas été assez prudente. Elle nêest pas morte, mais elle a subi un tel traumatisme quêelle est restée plusieurs jours inconsciente et que nous avons tous eu très peur quêelle meure. Je lêaimais tant; jêaurais préféré me tuer moimême...

Lorsquêelle a été hors de danger, jêai été condamnée à une saison dêexil dans un endroit isolé. Je nêai d˚ quêà son intercession, que la peine ne soit plus lourde.

-

Il me semble que vous avez assez payé, lui dit Dane en la serrant doucement contre lui.

-

Aucun ch‚timent nêest suffisant pour un tel crime, fit-elle dêun air buté. Je serais encore en train de purger ma peine dans le lieu assigné pour mon exil si le vaisseau mekhar ne mêen avait arrachée. La suite, vous la connaissez.

Se ressaisissant, elle sécha ses larmes:

-

Alors il me semble que si une fronde a failli tuer mon amie la plus chère, ma soeur, elle doit être utilisée contre les Chasseurs. Puisque jêai décidé de vivre, il nêy a aucune raison de les laisser me tuer à présent.

-

Vous devez avoir raison, fit Dane pensivement.

Il

ne pouvait sêempêcher de se dire que le rôle de la fronde avait sans doute été idéalisé dans certains combats de lêAntiquité, ôu encore dans la légende de David terrassant Goliath. Il formula ses doutes à haute voix:

-

Mais avec quel degré de précision peut-on tirer avec une fronde? Je ne suis pas du tout spécialiste.

Dallith introduisit ce qui ressemblait à un caillou rond dans la fronde et désigna une petite marque sur le mur, àune quinzaine de mètres o˘ ils se trouvaient.

-

Regardez!

Elle fit tournoyer la fronde au-dessus de sa tête et l‚cha son projectile.

Presque instantanément celui-ci alla percuter la marque sur le mur avec un bruit de balle de revolver, lui arrachant un éclat.

-

Si cela avait été la tête dêun Mekhar, dit-elle, je ne crois pas quêil aurait longtemps ronronné.

Dane en était convaincu. En tout cas, Dallith était bien moins vulnérable quêil ne le croyait. Certes, ils savaient tous les deux que les Chasseurs pouvaient présenter une anatomie, ou une protection de leur anatomie, qui risquait de rendre vains les projectiles dêune fronde, mais, là encore, il leur fallait compter sur la chance.

Dane insista pourtant pour que Dallith donne encore un coup de pouce à la chance en sêexerçant au maniement du couteau, comme Rianna, ce quêelle finit par accepter àcontrecoeur. Si nous pouvions tous rester ensemble...

Il passa alors une grande partie de la journée à regarder Rianna initier la jeune fille à la technique du closecombat avec un couteau. Après quoi, pour mettre àlêépreuve les différents types dêagression dont ils pouvaient faire lêobjet de la part des Chasseurs, il proposa à

Rianna, adepte du judo, de parer une série dêattaques quêil lui porterait, armé dêun b‚ton de combat. Il eut très vite lêoccasion, se retrouvant par terre à plusieurs reprises, de se rendre compte que la technique de la jeune femme était très au point. Restait évidemment que, dans la réalité, les Chasseurs pouvaient leur poser un problème plus insoluble avec des armes bien plus meurtrières ou inconnues.

II

décida lui aussi dêadjoindre à son épée un couteau pour le combat de près. Et ce soir-là, tandis quêil était en train de passer avec une infinie précaution la pierre àchaux, puis le chiffon doux, sur la lame du sabre, ses yeux tombèrent sur la marque sanglante qui sêétait incrustée au niveau de la courbure. Avait-elle été faite sur Terre ou.. ici ? Et quelle étrange créature avait ainsi laissé son sang sur lêacier?

Il

consacra les jours suivants à sêexercer à retrouver sa souplesse et ses réflexes dêautrefois, et ce dans lêoptique la plus défavorable o˘ ils auraient à combattre isolément et non en groupe.

Apprendre à Dallith à se défendre avec un couteau nêétait pas une t‚che facile, car elle tremblait toujours de blesser lêun dêentre eux et se dérobait aux assauts. Dane en était réduit à espérer que, confrontée à la réalité des Chasseurs, elle retrouverait cette hargne quêil lêavait vue manifester à lêégard des Mekhars: en empruntant à ses agresseurs leur rage meurtrière.

Je ne peux même pas lui enseigner à repérer les points vulnérables chez I èadversaire, car nous ne savons pas si ce sont les mêmes chez eux... ou sêils en ont seulement!

Pendant tout ce temps, il fut frappé par le fait quêils nêavaient jamais lêoccasion de se trouver suffisamment près des autres groupes de ´ Proies Sacrées ª pour pouvoir, par exemple, travailler de concert. Cela correspondait-il à une loi non écrite des Chasseurs ou bien nêétait-ce quêune coÔncidence? Son idée toutefois était que, dêune manière générale, les Chasseurs cherchaient àdécourager toute mise en commun des énergies et tech

niques de survie. De là à espérer quêils resteraient tous les cinq ensemble, dans la mesure o˘ on ne les avait pas déjà séparés entre eux pour les forcer à attendre la Chasse individuellement...

Il se demandait parfois si le Servant - ou toute lêéquipe de robots dont les membres répondaient à ce nom - nêétait pas en train de les surveiller à

distance, prêt à intervenir sêils manifestaient une curiosité excessive à

lêégard des autres prisonniers. II prit conscience du même coup quêil ignorait complètement combien il pouvait y avoir de ces autres prisonniers dans lêimmense complexe du parc. Il pouvait seulement, dêaprès les aperçus fugitifs quêil en avait eus, de loin, estimer leur nombre entre une douzaine et une trentaine dêHumains et autant de spécimens dêautres types biologiques.

quelques jours plus tard, dans lêArmurerie, il remarqua de nouveau le couple de Proto-félins qui ressemblaient de façon frappante - du moins de loin - au Mekhar. Ils sêentraînaient encore avec des b‚tons de combat. Il demanda à Cliff-Climber sêil sêagissait des deux criminels de droit commun dont lêautre leur avait déjà parlé.

- Non, ce ne sont pas les mêmes, répondit le Mekhar après les avoir observés avec intérêt. Je vais me rendre compte de plus près. Sêil sêagit de membres de mon clan...

Sans perdre une seconde, il sêéloigna de sa démarche bondissante, mais revint quelques instants plus tard, lêair intrigué:

- Je ne les ai même pas retrouvés! - Il jeta nerveusement un coup dêoeil vers le fond de lêArmurerie. -Cet endroit me rend fou! Des glaces, de faux reflets et des gens qui disparaissent en passant à travers les murs quand vous essayez de les approcher !...

Sur ce, il sêéloigna dêune démarche majestueuse. Pour un peu, Dane aurait cru le voir balancer sa queue comme un chat, à cette différence justement que lui nêen avait pas.

Peu de temps après, Cliff-Climber vint le retrouver. Il tenait entre ses griffes un de ces fameux b‚tons de combat:

-

Jêai vu que vous ne vous en serviez pas réellement comme arme, mais je présume que cêest un instrument dêexercice convenable pour la souplesse et lêagilité des jambes.

Sans trop savoir pourquoi, Dane éprouva dêun seul coup une sorte de sympathie pour le Mekhar et sa mentalité surprenante.

-

Vous voulez essayer contre ce b‚ton?

-

II me paraît une sage précaution, en effet, fit CliffClimber dêun air un peu contracté, de mêhabituer à lêidée que je risque de me retrouver confronté à un adversaire dêune constitution biologique autre que la mienne. Vous êtes certainement à cet égard lêêtre le plus approprié contre lequel mêexercer.

Dane accepta volontiers: pour lui aussi, les griffes du Mekhar constituaient un bon test, quoique insuffisant. Cliff-Climber était étonnamment mobile sur ses pieds, mais en face de lui Dane retrouva très vite ses meilleurs réflexes de karaté. Ils persuadèrent ensuite Aratak de se mettre de la partie pour mesurer un peu le formidable potentiel du reptilien géant. A la fin de la journée, Dane se retrouva couvert dêégratignures et de contusions, si bien quêil accepta avec soulagement de se plonger dans le bain de boue dêAratak, découvrant à cette occasion que, malgré lêodeur, ce cataplasme sulfureux avait de remarquables vertus curatives. En tout cas, après cette journée, il se sentait beaucoup mieux préparé à affronter ses futurs adversaires.

Ils renouvelèrent ainsi les jours suivants leurs exercices entre eux, alternant pour les combats singuliers (à cet égard, même face à Aratak, Rianna était loin de faire triste figure). Seule Dallith refusa dêy prendre part, mais Dane comprit vite que ce quêelle craignait, cêétait précisément dêêtre prise dêun accès instinctif de violence dont elle ne voulait pas faire p‚tir ceux quêelle considérait maintenant comme ses amis, presque ses frères.

Il

se laissa finalement persuader par Aratak de la laisser tranquille

-

Elle est bien placée pour savoir ce qui est le plus approprié pour elle.

Dane redoutait seulement que ce ´ plus approprié ªsoit un nouveau repli sur soi conduisant à la mort, car il se sentait bien désemparé désormais pour y apporter le moindre remède...

CHAPITRE X

Même de jour, la lune éclairait davantage que le soleil. Lêastre rouge paraissait occuper la moitié du ciel à présent. Un soir, à proximité des bains, Rianna prit Dane àpart:

-

Il y a des hommes ici. Je veux dire des Humains, des Proto-simiens comme nous et qui nêappartiennent pas à lêUnité. Je leur ai adressé la parole, mais ils ne mêont pas répondu - ou nêont pu me répondre. Ils nêavaient manifestement pas de disque translateur.

-

Pauvres malheureux, ils doivent être complètement déboussolés!

-

Si cêest le cas, ils nêen avaient pas lêair. Parce que jêai quand même réussi à leur parler en utilisant des techniques de communication non verbale, mais ils se sont éclipsés avant même que je me sois approchée dêeux et jêignore o˘ ils ont disparu. Je sais bien que cet endroit est particulièrement déroutant, mais on aurait vraiment dit un effet de miroirs.

Cliff-Climber nêavait-il pas déjà fait cette même expérience?

-

Vous êtes-vous déjà demandé, dit Dane, sêil ne pouvait pas sêagir par hasard des Chasseurs eux-mêmes?

-

Vous voulez dire que les Chasseurs pourraient être... humains?

Il

hocha la tête:

-

Ce nêest pas impossible. Il semble y avoir ici autant dêhumains que dêautres types biologiques réunis.

-

Des hommes chasseraient... dêautres hommes?

-

«a sêest déjà vu.

Et Dane exposa sa thèse selon laquelle les Chasseurs pouvaient éventuellement préférer des proies qui leur fournissent matière à un combat équilibré, donc intéressant.

-

Ce serait un bon moyen de nous jauger avant la Chasse, de voir quelles armes nous utiliserons. Peut-être même, de temps en temps, sêexercer avec lêun de nous, encore que, jusque-là, personne ne se soit approché assez près pour ça.

Ou choisir celui ou ceux susceptibles de faire les meilleurs trophées...

Il

ne parvenait pas à écarter de son esprit un tableau macabre qui lui était apparu une nuit dans un cauchemar:

la tête du samouraÔ, conservée au fil des siècles par quelque technique mystérieuse, pendant au mur de la demeure dêun Chasseur...

Dane ne put réprimer un frisson et Rianna sêapprocha tout contre lui. Il la serra dans ses bras et ressentit sa chaleur comme le seul réconfort dans ce monde rouge mystérieux et froid.

Un lien. Peut-être pas désiré, mais un lien assez fort. Sêil vivait, lui et Rianna appartiendraient toujours lêun àlêautre...

Au repas, ce soir-là, Rianna ramena la question sur le tapis

-

Si les Chasseurs sont humains, affronteraient-ils vraiment quelquêun de la taille et de la force dêAratak?

-

Même sur ma planète, la chasse au gros gibier est considérée comme plus sportive que la chasse au lapin, par exemple, dit Dane. Un homme qui tue un tigre est considéré comme plus brave que celui qui tue un cerf.

Une fois encore, il se demanda comment leur disque translateur rendait ces nuances. Pour en avoir le coeur net, il leur posa la question. Rianna haussa les épaules:

-

Chez nous aussi, comme presque partout, il existe de grands et de petits prédateurs, les premiers généralement féroces, et les seconds la plupart du temps considérés comme une source de nourriture. Si vous aviez donné

le nom scientifique, il serait probablement parvenu sous la forme dêun son incompréhensible et il vous aurait fallu lêexpliquer. Mais normalement le transiateur donne lêéquivalent le plus proche dans votre propre langue.

Il

fut bien forcé dêadmettre cette explication. Après tout, une technologie capable dêélaborer un tel système devait être bien en avance sur tout ce qui pouvait exister de plus perfectionné sur Terre.

Cliff-Climber tint à faire remarquer:

-

Je ne crois pas quêune race de Proto-simiens aurait pu acquérir une réputation légendaire de férocité. Il est plus probable que cela concerne des Proto-félins, pas très différents des Mekhars. Il y a aussi beaucoup de membres de mon espèce ici - ou, plutôt, de catégories biologiques assez peu différentes de la mienne.

-

Cela ne prouve rien, répliqua Rianna, si ce nêest que nous sommes tous les deux membres dêune espèce dangereuse!

Aratak avait pris un air songeur:

-

Ce que vous dites est intéressant. Personnellement, mon espèce est de nature pacifique et je serais surpris que des Proto-sauriens aient une réputation de férocité. Or...

Dane lêinterrompit:

-

Je me permets de vous signaler que le prédateur le plus terrible de lêhistoire de ma planète - le yrannosaurus rex - était dêorigine saurienne.

Si Aratak avait eu des sourcils, il les aurait sans aucun doute levés en signe de surprise:

-

Mais... était-il sapient?

-

Non, reconnut Dane. Il nêavait pas de cerveau permettant de le considérer comme tel.

-

Vous voyez. Les espèces animales du type Protosimiens sont souvent féroces, mais les plus féroces sont éteintes ou en voie de disparition.

Ceci prouve la grande sagesse du Divin OEuf: ceux qui cherchent à causer la mort par le sang trouvent eux aussi la mort par le sang. Mais lorsque les Sauriens ont développé lêidée de sapience, ils ont généralement adopté une manière de vivre pacifique. Je ne peux naturellement vous donner que des raisons philosophiques à cela, mais je peux vous assurer en tout cas que je ne connais aucune exception au sein de lêUnité.

Rianna ayant confirmé ses dires, Aratak poursuivit:

- Or, disais-je avant que vous ne mêinterrompiez, je viens dêavoir une curieuse surprise. Ayant aperçu ici un individu appartenant à mon espèce et croyant quêil sêagissait dêun camarade prisonnier comme moi, je me disposais à aller le saluer au nom du Divin OEuf. Cêest alors quêil a disparu subitement et je ne lêai plus retrouvé Pendant un moment, jêai cru avoir été victime dêune illusion dêoptique, mais à présent, ma thèse est différente.

´ Voilà. Les Chasseurs ne sont pas une race unique, mais un conglomérat de races. A mon avis, ils ont accueilli en leur sein un certain nombre de renégats, hors-la-loi, parias et autres marginaux en provenance de plusieurs peuples. Sêil sêétait agi dêun prisonnier au même titre que moi, il ne mêaurait pas évité comme il lêa fait.

Dallith, qui jusque-là était restée silencieuse dans son coin, intervint alors dans le débat:

- Peut-être tout simplement a-t-il eu honte dêêtre vu ici. Peut-être, lorsquêil a été testé, comme nous lêavons été, sêest-il découvert capable dêune férocité inquiétante quêil ne soupçonnait pas. Par suite, il a pu ne pas supporter la perspective dêêtre confronté avec quelquêun qui risquait de deviner sa véritable nature.

Dane comprit que Dallith faisait allusion à son propre cas. Il se dit tout à coup quêelle regrettait peut-être profondément le déchaînement de rage auquel elle sêétait laissée aller sur le vaisseau mekhar.

Aratak examina poliment pendant un moment la thèse de Dallith, puis secoua la tête:

- Non, car il se serait alors rendu compte que jêétais dans le même cas, et cêe˚t été une raison supplémentaire pour lui de fraterniser. Jêen conclus par conséquent que cêétait un Chasseur en train de mêobserver et que les Chasseurs ne constituent pas en réalité une race unique mais plusieurs.

Cela expliquerait dêailleurs quêils choisissent des proies de nature si différente.

Pour Dane, cêétait une théorie plausible et qui méritait en tout cas réflexion. Elle tenait compte du fait que les Chasseurs nêavaient jamais revêtu une apparence déterminée, et aussi quêils se gardaient bien dêapparaître àleurs Proies mais laissaient le moindre contact, y compris dans les vaisseaux qui leur apportaient leur p‚ture, se faire par lêintermédiaire de robots. Ils étaient certains de cette façon que rien de leur secret ne risquait de transpirer.

Et pourtant... il nêen était pas totalement convaincu. Un conglomérat de renégats était-il capable dêélaborer un processus de préparation à la Chasse aussi formel, aussi rituel? Bien plus: quelque indication sur leur recrutement nêaurait-elle pas fini par percer dans la Galaxie ? Ils en discutèrent encore tard dans la nuit tous les cinq, avant dêaller se coucher sans avoir réussi à se convaincre.

La constitution et lêapparence des Chasseurs !... Cela ne cessait dêobséder Dane nuit et jour. A mesure que la Lune Rouge augmentait de volume dans le ciel, au point dêêtre bientôt presque pleine, ils prenaient forme après forme dans ses cauchemars, mais restaient toujours affreusement informes. A certains moments, il croyait les avoir en face de lui, mais ils disparaissaient aussitôt sans bruit...

Plus tard, il pensa que, si cette période dêincertitude sêétait prolongée plus longtemps, il serait probablement devenu fou. Rianna était obligée de le secouer une ou deux fois par nuit pour lêarracher à ses cauchemars. En fait, ils souffraient tous de cauchemars. Une fois même, Dallith se dressa sur son lit en poussant un hurlement horrible, les réveillant tous. Une autre fois, ce fut au tour de Cliff-Climber dêessayer de se lever dans son sommeil, se débattant et rugissant, et lorsquêils eurent réussi à le réveiller en lêaspergeant dêeau froide, ses griffes avaient déjà laissé un souvenir sur les corps dêAratak et de Dane.

Cêest alors que, brusquement, lêattente prit fin...

Lêénorme Lune Rouge, qui avait pratiquement atteint sa phase finale et évincé le soleil dans le ciel, semblait suspendue au-dessus dêeux, les baignant de sa lumière sanglante, effroyable et si grande que Dane ne pouvait plus supporter de la regarder. Il avait lêimpression de se trouver au-dessous dêun gigantesque disque prêt à leur tomber dessus à

chaque instant et à les écraser tous; il allait jusquêà en éprouver un véritable sentiment de claustrophobie et une angoisse que sa raison avait le plus grand mal à dissiper.

Il

sêétait déjà demandé ce qui se passerait lorsquêelle serait complètement pleine, et, ce soir-là, en revenant du bain, il leva les yeux et vit lêombre qui commençait àenvahir la surface du grand disque rouge.

Bien s˚r, la lune faisait la moitié de la planète principale, et quand la Planète des Chasseurs sêinterposerait entre la lune et le soleil, lêastre rouge serait totalement plongé dans le noir, éclipsé...

Lêombre sêétalait avec une effarante rapidité, effaçant de plus en plus de surface sur lêénorme disque rouge. Autour dêeux, sur la planète, toute la couleur du paysage changeait, devenant encore plus étrange à mesure quêelle sêassombrissait. On percevait de curieux bruissements, et bientôt, de quelque part, se mit à souffler un vent violent.

Les cinq prisonniers étaient restés groupés, Dane entre Rianna et Dallith qui se serraient contre lui, au milieu de lêimpressionnante obscurité. Le croissant de la lune ne fut bientôt plus quêun arc de cercle émettant une faible lueur rouge‚tre. Et finalement la planète fut plongée dans la nuit totale. Là-haut, derrière la grosse tache noire dans le ciel, surgirent des étoiles.

-

La Chasse est terminée, murmura Dallith. Lorsque la Lune est en éclipse, la Chasse se termine.

La voix de Cliff-Climber laissa tomber, lugubre:

-

Il y a des Chasseurs morts là-haut, et des Proies mortes. Et bientôt ce sera notre tour...

-

Mais quand? fit Rianna, comme si elle interrogeait le silence et la nuit.

Personne ne lui répondit. Ils restèrent là pendant des heures, regardant la Lune Rouge émerger lentement de lêobscurité et les étoiles sêeffacer tour à

tour derrière le rideau de lumière rouge. Enfin, lorsquêelle éclaira de nouveau comme avant, ils retournèrent à leurs quartiers. Aucun dêentre eux ne mangea beaucoup ; et Dane dormit peu cette nuit-là.

Serait-ce leur tour maintenant?

Le lendemain matin, en leur apportant leur repas, le Servant leur annonça:

-

La nuit dernière était la nuit de lê…clipse; la nuit dernière sêest achevée la Chasse. Aujourdêhui, les Proies Sacrées qui auront survécu à la Chasse - si toutefois il y en a eu - seront récompensées et remises en liberté. Vous-mêmes êtes conviés aux réjouissances.

Aucun dêentre eux nêeut beaucoup dêappétit après cette entrée en matière.

Tandis que le soleil montait dans le ciel - un étrange soleil éclatant qui rendait la Lune Rouge invisible, très loin de lêautre côté de la planète -

ils ne perdirent guère de temps dans lêArmurerie ou au bain et firent peu dêexercice pour une fois.

-

Il y a une question que je me pose à propos des survivants de la Chasse, dit Dane. Nous allons les voir fêtés, récompensés et remis en liberté, cêest du moins ce quêon nous dit. Mais je me demande sêils sont réellement remis en liberté, et si les cérémonies de récompense ne sont pas uniquement destinées à nous redonner du courage, après quoi lesdits survivants sont mis aux oubliettes.

-

Le moment est admirablement choisi pour évoquer ce charmant problème ! fit Rianna sur un ton sarcastique. Vous trouvez que nous nêavons pas assez peur comme cela, Dane?

Mais Aratak intervint à son tour, calmement:

-

Cette éventualité mêest venue à lêesprit également. Alors CliffClimber interrompit ses figures dêesquive devant la glace:

-

Non, ils sont remis en liberté, cêest certain. Je sais quêun habitant de ma planète - une relation lointaine de mon clan - est revenu de la Planète des Chasseurs riche et honoré. Il a dêailleurs fondé un musée dêarmes avec lêargent de sa récompense. Jêai vu le musée, mais lêindividu en question, lui, est mort alors que jêétais encore jeune.

-

Mais il nêa rien dit sur les Chasseurs? Il nêa donné aucune indication? demanda Rianna, sceptique. Des savants essayent depuis des siècles de réunir des informations à peu près dignes de foi à leur sujet, sans succès.

Dêailleurs, pour la plupart des gens, il sêagit purement et simplement dêune légende ! Il aurait d˚ consigner quelque part le récit de son aventure!

- Pourquoi ? Dans quel but? rétorqua Cliff-Climber, qui ne semblait voir aucun intérêt à cet aspect des choses.

Rianna était indignée par ce quêelle considérait comme un manque total de curiosité scientifique. Mais Dane, qui commençait à sêhabituer à la mentalité du Mekhar, lui expliqua que lêesprit de recherche systématique était une caractéristique typiquement proto-simienne.

Chacun fourbit alors ses dernières armes en vue de lêheure maintenant imminente, Dallith faisant une provision de pierres pour sa fronde, Rianna aiguisant ses deux couteaux et, sur lêinsistance de Dane, prenant également une lance pour le combat à distance.

Dane leur expliqua ensuite brièvement son plan dans lêhypothèse o˘ ils pourraient rester ensemble. Le groupe formerait grossièrement un triangle; Rianna serait au centre avec sa lance, mais gr‚ce à ses couteaux, elle pourrait aussi constituer avec Cliff-Climber un front redoutable pour le combat rapproché. Dane et Aratak se tiendraient de chaque côté, le premier avec son sabre de samouraÔ, le second avec son gros gourdin et la hache quêil avait passée à sa ceinture. Dallith fermerait la marche pour repousser avec sa fronde ceux qui attaqueraient éventuellement par-derrière.

La mine contrariée de Cliff-Climber donnait tout lieu de craindre quêil ne soit le point faible de cette stratégie. Le Mekhar préférait en effet envisager les combats comme une suite de duels singuliers avec des adversaires se présentant un par un. Dallith eut beau lui expliquer quêil fallait précisément éviter de tomber dans le piège que les Chasseurs leur tendaient manifestement en cherchant à les isoler les uns des autres, il nêavait toujours pas lêair convaincu. Finalement Rianna, qui, des cinq, était celle quêil respectait le plus, parvint à lêamener à accepter une nécessaire discipline collective.

- Vous ne mêavez fourni jusque-là aucun motif de revenir sur la parole que je vous ai donnée au début, dit-il comme à regret. Je vous avertis néanmoins que je refuse de compromettre mon honneur.

Ils durent donc se contenter ae ce nouveau consentement du bout des lèvres.

Son sabre à la main, Dane songea que le samouraÔ qui en avait été le titulaire aurait probablement compris les impératifs éthiques du Mekhar, car la mort faisait en quelque sorte partie de la notion dêhonneur pour lêun comme pour lêautre. Dane, lui, sêil était prêt à se battre aussi vaillamment, tenait essentiellement à vivre et à ce quêils restent tous les cinq en vie

Le soir commençait à tomber lorsque brusquement Rianna saisit Dane par le bras:

- Regardez!

A lêautre bout de lêArmurerie, une étrange procession venait de faire son entrée. Elle se composait dêune petite armée de robots entourant une unique créature de chair et de sang vêtue de la tunique rouge de la Proie Sacrée, et qui semblait crouler sous les guirlandes de feuilles et de fleurs. Les Servants portaient cérémonieusement ses armes - une longue lance et un bouclier rond avec une grosse pointe au centre - sur deux plateaux en métal précieux. Ils allèrent les accrocher bien en vue sur le mur de lêArmurene.

- Ce doit être le survivant de la chasse, fit CliffClimber à voix basse.

- Il nêy a donc quêun seul survivant, ajouta Aratak sur un ton lugubre, ses ouÔes émettant leur lueur bleue.

- Un homme-araignée! sêexclama Dane.

Dêaprès lêaperçu quêil en avait eu à bord du vaisseau mekhar - o˘ elle nêavait fait que rester peureusement tapie dans son coin - ce genre de créature était bien la dernière quêil se serait attendu à voir survivre à

la Chasse ! Et pourtant on était en ce moment même en train dêhonorer un membre de cette espèce...

Dane murmura:

- Il a vu les Chasseurs et il sêen est sorti. Il faut absolument que je lui parle...

Mais, sitôt les armes remisées, les robots ressortirent de lêArmurerie en emmenant le survivant, autour duquel ils assuraient une garde vigilante.

Bon, songea Dane, si cette chose a survécu à onze jours de Chasse, nous avons certainement nos chances nous aussi...

- Ce nêest pas du tout certain, fit, tout près de lui, Dallith qui une fois de plus avait capté ses pensées. Peut-être a-t-il seulement eu de la chance ou sêest-il arrangé pour rester caché pendant ces onze jours.

Dane hocha la tête. Dans ce cas, il ne sêagirait plus dêune arène mais il y aurait des endroits pour se cacher. Décidément il fallait absolument quêil parle au survivant.

Le soleil était sur le point de se coucher lorsque le Servant les rejoignit pour les conduire au bain. II leur avait apporté à chacun une nouvelle tunique, toujours du même rouge mais qui semblait être cette fois leur tenue de combat. Pour les deux jeunes femmes la tunique était courte et pouvait encore être relevée davantage. Pour Dane, Rianna et Dallith il y avait aussi de nouvelles sandales à semelle très épaisse, Cliff-Climber et Aratak nêayant besoin dêaucune protection particulière pour leurs pieds.

- Vous devez vous apprêter pour la cérémonie o˘ vont être rendus les honneurs et remises les récompenses, leur dit-il. Ainsi aurez-vous un aperçu de ce que lêavenir, peut-être, vous réservera. Munissez-vous des armes que vous avez choisies, car vous serez emmenés directement de la cérémonie à lêendroit de la Chasse.

Dane lui posa alors la question quêil sêétait déjà posée à lui-même plus dêune fois:

- Vous semblez jouer un rôle important dans tout ceci, Servant. Vous autres robots ne seriez-vous pas vous-mêmes les Chasseurs?

Cela expliquerait beaucoup de choses en effet. Dêabord le fait que cêétaient eux seuls qui avaient été en contact avec le vaisseau mekhar; mais également cette espèce de sollicitude quêils témoignaient à lêégard de leurs Proies et la façon presque jalouse dont ils protégeaient et honoraient le survivant. Mais lêidée dêaffronter un groupe de servomécanismes anormalement intelligent avait quelque chose de terrifiant...

Telles étaient les pensées qui se bousculaient dans lêesprit de Dane tandis quêil attendait la réponse du Servant. On aurait dit dêailleurs, autant quêun objet métallique sans visage p˚t avoir une expression quelconque, que ce dernier sêattendait à nêimporte quelle question sauf à celle-là.

(Dane aurait-il trouvé la seule question àlaquelle le robot nêaurait pas été programmé pour répondre?)

Mais finalement il déclara de sa voix sans intonation:

-

Ainsi que nous vous lêavons déjà dit, nous sommes des Servants.

Vous rencontrerez les Chasseurs en temps voulu. Puis-je à présent vous conduire à votre bain?

Dane lêaccompagna, tout en songeant: Il nêa pas vraiment répondu. Il a dit Ńous sommes des Servants ª; il n èa pas dit Ńous ne sommes pas des Chasseurs ª I...

Il

rejoignit les autres au moment o˘ ils allaient se séparer pour gagner leurs bains respectifs et leur dit rapidement à voix basse:

-

Essayez dêoccuper lêattention de ce monstre métallique si jamais il revient par ici. Je vais aller voir o˘ ils gardent le survivant de la Chasse en attendant la cérémonie et essayer dêentrer en contact avec lui.

Si jêai la chance quêil soit seul pendant dix minutes au moins, cette chance comptera double pour nous par la suite.

-

Sêils viennent vous chercher ici, je leur dirai que vous êtes allé

prendre un bain de boue avec Aratak, dit Rianna. Et vous, Aratak, sêils viennent le chercher là o˘ vous êtes, dites-leur quêil est allé nager.

Dane traversa rapidement le jardin dans la direction quêil se souvenait dêavoir vu prendre par la procession tout à lêheure. Jêespère quêil aura un transiateur; Rianna a dit que certains n èen avaient pas... Tout en marchant il se dissimulait le plus possible derrière les massifs de fleurs et les arbres. Le soleil se couchait, remplacé àlêhorizon par lêimpressionnante lueur rouge sang qui précédait lêapparition de la Lune Rouge. Demain matin, je serai là-haut, pour le dernier round de cette aventure. A cette pensée, il sentit sa gorge se nouer et, instinctivement, il serra le manche de son sabre pendu à sa ceinture.

Il

avait déjà eu lêoccasion de remarquer que, près du grand mur dêarbres qui marquait la limite de la zone du parc assignée aux Proies Sacrées, se trouvait un b‚timent plus petit que les autres et dont la porte était ornée des mêmes guirlandes de fleurs que celles que portait le survivant. Il en déduisit que cêétait là que celui-ci devait se trouver et sêapprocha prudemment de lêune des fenêtres à barreaux de bambou pour jeter un coup dêoeil.

Lêhomme-araignée était bien là, tassé sur le sol, donnant une profonde impression de solitude et dêabattement. On lêavait revêtu dêune espèce de longue robe par-dessus laquelle pendaient les guirlandes. Dane siffla discrètement pour essayer dêattirer son attention. Il dut sêy reprendre à

plusieurs fois avant que lêautre lève enfin la tête et commence à regarder autour de lui.

- Par ici ! chuchota Dane le plus fort possible. Je suis un prisonnier moi aussi. Approchez-vous de la fenêtre, je ne peux pas entrer.

Lêhomme-araignée se souleva et se déplaça dans sa direction avec une incroyable agilité, jetant de temps en temps des coups dêoeil autour de lui. En le regardant évoluer avec cette rapidité, Dane ne put sêempêcher de penser: Il doit falloir un très bon Chasseur pour seulement lêapprocher! Ce n èest peut-être pas si étonnant, finalement, qu èil ait survécu...

Il avait une voix grinçante et sifflante:

-

qui esssst-ce? qui parle?

Dane se tapit le plus possible dans lêombre du b‚timent:

- Je dois affronter les Chasseurs demain, ami. Comment sont-ils? quelles armes ont-ils?

Mais à peine venait-il de formuler sa question que quelque chose le saisit et le tira violemment en arrière. Il eut le réflexe de vouloir dégainer son sabre, mais une poigne dêacier lui immobilisa le bras. Poigne dêacier au sens propre, de métal même, puisque cêétait celle du Servant, dont la voix mécanique ponctua lêintermède:

- Ce serait tout à fait dommage de briser votre excellente lame. Il est interdit aux Proies de venir par ici. Permettez-moi de vous conduire au lieu des réjouissances, o˘ vous êtes attendu.

Dane se retrouva un peu plus tard assis entre Rianna et Dallith à lêune des longues tables des fameuses réjouissances, tandis quêune équipe de robots -

tous exactement identiques et chacun répondant à toute question ou requête comme si cêétait à Iuî seul quêelle venait ~èetre présentée -

distribuaient la nourriture.

-

Je mêattendais bien un peu à ce quêils mêempêchent dêapprocher le survivant, dit-il à ses compagnons. Il y a vraiment quelque chose de très curieux chez ces Chasseurs.

-

En tout cas, quels quêils soient, je ne les trouve guère amusants, dit Aratak.

Dane leur confirma sa thèse selon laquelle les Servants étaient en réalité

les Chasseurs.

-

Dans ce cas, fit hargneusement Cliff-Climber en jetant un regard venimeux vers les robots, je suis avec vous, et je resterai avec vous tout le temps que durera la Chasse! Je me suis vendu volontairement en vue de la Chasse, car jêétais désireux dêaffronter nêimporte quelle créature de chair et de sang! Mais je nêai jamais été volontaire pour combattre des êtres faits de néant qui se cachent derrière une armure de métal Lêesprit de Dane fut prompt à saisir cette nouvelle hypothèse: Peut-être ne sont-ce pas des robots du tout. Peut-être sêagit-il dêamibes géantes, ou quelque chose comme cela, qui se cachent derrière tout ce métal. Je n èy avais pas pensé. Mais du moins avait-il la certitude àprésent que CliffClimber était vraiment avec eux.

Il

regarda autour de lui en se demandant si, comme dans lêArmurerie, les Chasseurs se mélangeaient avec les Proies. Cêétait difficile à dire, la salle de festivités nêétant pas très bien éclairée.

-

On dirait quêils ne tiennent pas à ce que nous voyions nos autres camarades Proies de trop près, dit Dallith.

-

Ou quêils ont peur que nous nous unissions tous contre eux, hasarda Rianna. Peut-être cela sêest-il déjà produit dans le passé et ne veulent-ils plus prendre aucun risque.

On pouvait voir, ainsi réparties dans la salle, une ou deux créatures ressemblant à des Mekhars, une autre, énorme et recouverte dêune longue fourrure, qui présentait les caractéristiques de lêours. Sêil y avait des Proto-sauriens de lêespèce dêAratak, lêobscurité ne permettait en tout cas pas de les distinguer. Une fois encore, Dane put constater que les Humains, au sens large, constituaient la race la plus nombreuse, dans la proportion de une sur deux approximativement. Eux non plus, on ne les distinguait pas très bien, car ils étaient mal éclairés et disséminés un peu partout dans la salle -alors que Dane et ses compagnons avaient été placés à la même table. Mais Dane put noter malgré tout quêils étaient dans lêensemble de haute taille, voire dêune carrure colossale, et que leur variété allait de lêespèce à peau blanche aux négroÔdes, ainsi que quelques types raciaux dont il ne connaissait aucun équivalent sur Terre: deux hommes à la peau rouge - pas ce brun-rouge des Indiens dêAmérique, mais carrément rouge; une créature plus petite, à la peau bleu-gris et aux longs cheveux blancs pelucheux, dont le sexe semblait indéterminé. Ils portaient toutes sortes dêarmes, dont certaines lui étaient totalement inconnues.

La nourriture était étonnamment savoureuse et abondante. Dane mangea de bon appétit, quoique sans excès. Dêun côté, il ignorait comment on avait prévu de pourvoir à leur subsistance pendant la durée de la Chasse, mais, dêun autre côté, il ne tenait pas à se sentir alourdi et somnolent lorsquêelle commencerait, cêest-à-dire, manifestement, dans très peu de temps à

présent. Il encouragea les autres à lêimiter, ce qui ne les empêcha pas dêapprécier le menu, essentiellement composé de fruits divers accommodés de multiples façons.

Ils venaient à peine dêachever ce repas que lêune des innombrables copies conformes du Servant sêavança vers le milieu de la salle de banquet avec, derrière lui, la créature arachnéenne toujours parée de ses guirlandes.

- Honneur aux Maîtres de la Chasse! déclama le Servant, et, pour une fois, la voix métallique semblait chevroter comme sous lêeffet de lêémotion.

A part un léger murmure, il nêy eut pas de réaction notable parmi les prisonniers. Sêattendait-on à ce quêils applaudissent? sêinterrogea Dane.

- Honneur aux Chasseurs! En cette neuf cent soixante-quatrième Chasse de notre illustre histoire, qua-rame-sept membres de notre race ont chassé vaillamment dêEclipse à …clipse et dix-neuf ont déjà rejoint leurs illustres ancêtres

-

Voilà qui me donne envie dêapplaudir, murmura Rianna, les yeux brillants.

Mais Dane lui retint la main:

-

Lêintention ne serait même pas perçue de toute façon.

-

Honneur aux Proies Sacrées! poursuivait la voix métallique.

Soixante-quatorze nous ont combattus vaillamment, nous offrant ainsi une splendide Chasse, et, pour la trois cent quatre-vingt-dix-huitième fois, elles ont eu au moins un survivant. Celui-ci, en lêoccurrence, a été amené

ici, de sorte que vous puissiez voir les récompenses qui attendent une Proie victorieuse.

Lêhomme-araignée sêavança. Il avait toujours le même air embarrassé avec son fatras de guirlandes, et sa silhouette vo˚tée exprimait une sorte de crainte.

Sapristi, comment CETTE CHOSE a-t-elle réussi àsêen sortir? Dane se livra rapidement à un calcul mental : soixante-quatorze Proies ont combattu (peut-être y en avait-il quelques-unes qui ne sêétaient pas battues du tout); une seule avait survécu. Il y avait quarante-sept Chasseurs; en gros, deux Proies pour un Chasseur. Et il nêy avait quêun seul survivant parmi les Proies. A quelle espèce de créatures a-t-on affaire?

Il

suivit distraitement la remise des récompenses -pierres et métaux précieux - à lêhomme-araignée, après quoi les robots informèrent lêassistance que ´ lêhonorable Proie victorieuse ª allait être emmenée, sous fers, à bord dêun vaisseau mekhar vers la destination quêelle avait choisie, dans la limite dêune centaine dêannées-lumière.

-

Cela le mettrait à lêintérieur de lêUnité, souligna Rianna. Je crois voir de quelle planète il vient.

-

Cela veut dire, murmura Dallith, que, si nous survivons, je pourrai retourner sur ma planète...

Lêémotion la faisait frissonner. Dane lui étreignit la main. Lêobstacle avant que le śi ª puisse se réaliser était de taille, mais le sort de lêhomme-araignée était déjà un stimulant. Elle pourrait retourner chez elle... Et Rianna, Aratak et Cliff-Climber de même.

Mais Lui, Dane, tenait-il vraiment à retourner chez lui ?

Il

écarta cette pensée: cette échéance était encore lointaine, et le chemin du retour, sêil devait y en avoir un, passait dêabord par la Chasse... Par la Chasse, lê…clipse et la Lune Rouge...

CHAPITRE XI

Dane ne vit personne aux commandes du petit vaisseau qui les emmena cette nuit-là vers la Lune Rouge, mais, habitué à la technologie des Servants, il était persuadé de la présence à bord de lêun dêeux. Il était assis entre Dallith et Rianna, leur tenant la main à chacune, mais ils ne disaient rien: il était ou trop tard ou trop tôt pour cela. Il faisait un effort pour ne pas brasser trop de pensées alarmistes dans sa tête, essentiellement pour ne pas inquiéter Dallith inutilement; mais, dêun autre côté, il était ridicule de faire semblant dêêtre parfaitement calme, car elle se rendrait bien compte que cela ne correspondait pas non plus à la réalité.

Aratak formula un de ces aphorismes dont il avait le secret:

-

Celui qui éprouve de la peur sans motif est un fou; mais deux fois plus fou est celui qui nêéprouve aucune peur alors quêil y aurait matière à

en éprouver.

-

Cêest peut-être vrai, murmura Cliff-Climber, mais parler de sa peur lui donne souvent forme et substance.

Rianna esquissa une grimace:

-

Je crois que celle-ci a déjà nettement pris forme et substance.

Dane se demandait si les Chasseurs étaient à bord de ce vaisseau. Il adressa un regard interrogateur à Dallith, qui secoua la tête:

-

Je ne sens rien de particulier, mais il y a ici tellement de présences étrangères, dont la plupart nous sont hostiles, quêil est difficile de savoir véritablement.

Dane regarda autour de lui, dans la pénombre de la cabine, sans pouvoir être s˚r que tous les occupants étaient des prisonniers et quêil ne sêétait pas glissé des Chasseurs parmi eux pour pouvoir observer leurs Proies de près.

Lêattente parut interminable - bien que, dêaprès Dane, elle nêe˚t pas dépassé une heure - avant que le vidéo-écran ne sêéclaire pour représenter une image de la Lune Rouge qui devenait de plus en plus grosse, semblant même se ruer à leur rencontre. Pour Dane, inconsciemment, cette vision était dêautant plus impressionnante que la lune de la Planète des Chasseurs nêétait pas lêéquivalent de lêastre mort dépourvu dêatmosphère qui servait de satellite à la Terre. Presque aussitôt, le haut-parleur àlêavant de la cabine émit quelques grincements métalliques accompagnés de chuintements, préliminaires caractéristiques dêun discours. Dallith étreignit la main de Dane de toutes ses forces.

- Honorables Proies Sacrées !...

La voix métallique était à peu près identique à celle des Servants, avec une intonation légèrement différente malgré tout (peut-être était-ce la voix qui avait servi dêoriginal à celle des robots). Dane ne put réprimer un frisson et crut déceler une réaction à peu près identique chez ses compagnons.

- Honorables Proies Sacrées, soyez les bienvenues dans le cadre du neuf cent soixante-cinquième cycle de chasse de cette ère! Dans très peu de temps maintenant vous allez être déposés sur le Parc de Chasse, territoire consacré depuis le début de notre ère à notre Chasse. Vous aurez jusquêà

lêaube pour vous disséminer et trouver la position qui vous paraîtra la plus avantageuse. Vous avez notre promesse formelle, promesse qui nêa jamais été violée depuis sept cent treize cycles de notre Chasse, que vous ne subirez aucun assaut avant que le soleil ne soit complètement levé au-dessus de lêhorizon.

- Je me demande ce qui a bien pu se passer il y a sept cent treize cycles!

murmura Dane.

Mais Rianna lui fit signe de se taire, car la voix poursuivait:

- La Chasse sera interrompue chaque jour au coucher du soleil pour que Chasseurs et Chassés puissent se nourrir et se reposer. Les zones éclairées par des lumières jaunes et parcourues par des Servants sont considérées comme des zones neutres, et, du coucher du soleil jusquêà minuit, aucun Chasseur ne peut sêen approcher en deçà dêune distance de trois mille mètres. - Le transiateur de Dane et celui de chacun des prisonniers avaient naturellement donné le plus proche équivalent. - Dêautres zones sont réservées aux Chasseurs, et aucune Proie ne sera autorisée à y pénétrer sous peine de subir une mort immédiate et déshonorante.

Cêétait une précision intéressante qui laissait entendre que la Chasse était soumise à un certain nombre de règles et de conventions, permettant dêéviter par exemple que des chasseurs attendent juste à lêextérieur des zones réservées pour les surprendre au moment o˘ ils sortaient.

La voix marqua une pause avant de reprendre:

- Le vaisseau va se poser dans quelques instants. La Chasse commencera à

lêaube. Ainsi, avant que nous nous rencontrions en ce grand combat à mort, permettez-nous, Proies Sacrées, de vous saluer et de vous rendre hommage.

Ceux qui survivront pourront constater avec quelle générosité nous récompensons les braves dêentre les braves. Nous vous souhaitons donc à

tous honorable survie et récompense ou sanglante et honorable mort.

La voix se tut, et au même moment il y eut une légère secousse, comme si le vaisseau venait de sêimmobiliser complètement. Suivit le court sifflement caractéristique de la dépressurisation, et les portes sêouvrirent lentement.

Dane serra le manche de son sabre et sêavança dans le sillage dêAratak, Dallith littéralement accrochée à son bras, Rianna et Cliff-Climber venant derrière. Il remarqua également au passage la créature ressemblant à un ours qui se dirigeait vers la sortie.

Brusquement Dallith fut prise de tremblements nerveux:

- Jêai peur !... Chacun va de son côté... Restez près de moi, Dane ! Je...

je sens que... que je vais courir, mêen aller seule moi aussi...

II

étreignit plus fortement sa ma…n pour la rassurer:

-

Calmez-vous. Vous nêavez aucune raison dêavoir peur; cêest seulement la peur des autres que vous éprouvez.

-

Mais si... si je nêarrivais pas à mêen défaire ?...

Ils venaient dêarriver, par un étroit couloir, en haut dêun escalier. Dane sêarrêta un instant pour promener son regard sur la surface de la Lune Rouge, avant que la poussée de ceux qui arrivaient derrière ne lêoblige àdescendre.

Sous leurs yeux sêétalait un paysage sombre et désolé, au relief terriblement accidenté et recouvert dêune sorte de broussaille épaisse qui paraissait bleu‚tre dans la pénombre. Derrière, des collines presque noires se découpant sur un ciel dêun bleu sombre parsemé de nuages tout juste perceptibles devant le gigantesque globe suspendu au-dessus dêeux : la Planète des Chasseurs, couleur de brique, plus énorme, plus rouge que la Lune Rouge, sur laquelle ils se trouvaient depuis quelques instants. A sa sanglante lueur, Dane distingua des formes noires qui avaient commencé à

sillonner le paysage dans tous les sens. Sentant Dallith courir les rejoindre, il la retint fermement par la main, tandis que son autre main serrait le bras velu de Cliff-Climber.

-

Ne courez pas! Nous nêy avons aucun intérêt! Arrêtons-nous ici et réfléchissons. Souvenez-vous de ce que nous avons décidé!

La lumière bleue quêémettait Aratak brillait dans lêobscurité. Pour éviter de respirer lêodeur du carburant, lorsque le vaisseau redécollerait, Dane entraîna son petit groupe un peu plus loin.

-

Asseyons-nous ici, dit-il calmement, et voyons comment nous allons procéder. Nous avons jusquêà lêaube pour mettre au point une stratégie, mais dêoms et déjà, à en juger par la façon dont les autres se sont dispersés dans toutes les directions, jêai lêimpression que nous avons pris un bon départ. Nous sommes cinq en effet, et non isolés un par un. Le ou les Chasseurs qui voudront nous attaquer vont déjà avoir affaire à plus forte partie. Dallith ?...

-

Je suis ici, Dane, fit-elle dêune voix quêelle sêefforçait de maîtriser. que dois-je faire?

-

Nous nous sommes aperçus trop tard, sur le vaisseau mekhar, que cêétait un piège. Cêest de ma faute:

jêaurais d˚ vous écouter quand vous mêavez dit quêils voulaient que nous les attaquions, pour quelque raison que ce f˚t. Je crois que votre meilleure arme, au bénéfice de notre petite communauté, va être votre faculté sensitive. Pensez-vous être en mesure de nous dire si quelquêun est sur le point de nous attaquer?

-

Jêessaierai.

-

Avez-vous réussi à ressentir quelque chose, une forme dêémotion ou autre manifestation quelconque, en provenance des Servants?

En effet, si ces derniers étaient vraiment les Chasseurs, Dallith aurait d˚

en principe être capable de le deviner.

Elle secoua la tête:

-

Ils réagissaient comme tous les robots. Lêidée dêun contact télépathique ou empathique avec un robot... -Secouant de nouveau la tête: -

Non, je nêarrivais pas àlêimaginer, alors je nêai même pas essayé de capter quelque chose.

Comme il était trop tard, de toute façon, Dane nêinsista pas et reprit lêexposé de son plan:

-

Donc, DaHith, vous serez en quelque sorte notre antenne réceptrice.

Si vous vous rendez compte que quelquêun est en train de lancer une attaque, nêattendez pas: servez-vous tout de suite de votre fronde, même si vous ne devez que blesser; cela nous permettra de nous organiser.

Áratak, vous êtes notre élément poids lourd: je compte sur vous pour dissuader le maximum de ceux que Dallith nêaura pu éloigner; moi-même, jêinterviendrai avec mon sabre contre ceux qui parviendront à sêapprocher plus près. Rianna et Cliff-Climber assureront le combat au corps-à-corps. A nous tous, nous devrions être capables de lutter à armes au moins égales avec tout ce quêils nous enverront. Avez-vous emporté un peu de nourriture du banquet?

Il

avait lui-même mis quelques sucreries dans la vaste poche de sa tunique, incitant les autres à en faire autant.

Brusquement, il y eut un grondement suivi dêun violent flamboiement rouge, et le petit vaisseau qui les avait amenés sêéleva vers le ciel à une vitesse inouÔe, les aveuglant à demi. Très vite il disparut et, lorsque leurs yeux se furent réhabitués à la pénombre, ils commencèrent à étudier le paysage baigné par la lumière de la planète. Des collines, des broussailles, des vallées... Non loin de là, une cascade, et, sur lêhorizon, de curieuses structures noires aux lignes régulières. Dane se demanda si ce nêétaient pas des b‚timents qui faisaient partie des zones réservées aux Chasseurs, dans lesquelles aucune Proie nêavait le droit de sêaventurer śous peine de mort immédiate et déshonorante ª.

Etrange quêils aient employé la même expression que les Mekhars ! pensa-t-il. (Mais était-ce bien tout à fait la même?) En tout cas, si ces Chasseurs étaient capables de distinguer la notion de mort honorable de celle de mort honteuse, peut-être avaient-ils tous les cinq plus de chances quêil ne le pensait.

-

Allons-nous attendre ici jusquêà lêaube? demanda Aratak.

-

Je ne sais pas sêil y a vraiment un endroit plus propice quêun autre, répondit Dane. Jêimagine que tous les endroits qui offrent de façon flagrante une cachette possible sont précisément ceux o˘ les Chasseurs attendent les Proies qui ne se méfient de rien. Cêest certainement un piège dans lequel ils attendent que nous tombions. Ils tuent probablement en premier la Proie la plus facile, pour se laisser du temps et de lêénergie en vue de combats plus difficiles, en force et en ruse, avec les plus dangereuses~. Nêoubliez pas quêils ont payé un supplément pour nous parce que nous avons été jugés, dêaprès le test, particulièrement dangereux. Même sur Terre, les chasseurs nêont pas tous la même conception du sport. Il y en a probablement quelques-uns ici qui veulent seulement réussir une prise facile et ramener un trophée chez eux. - Il en vint subitement à se demander sêil existait ici une sorte de tableau de chasse maximum imposé à

chaque Chasseur. - Pourquoi ? que proposezvous, Aratak?

-

Il nêest point de sagesse dans la fatigue, répondit le grand saurien. Je suggère que nous dormions, ou du moins que nous nous reposions, une heure ou deux avant le lever du soleil, en veillant à tour de rôle pour ne pas nous laisser surprendre par le jour. Lorsque celui-ci commencera à

poindre - avant, toutefois, quêil ne soit complètement levé -è nous pourrons chercher rationnellement un semblant de cachette qui ne soit pas un piège évident.

Cela leur parut à tous une bonne idée, et Aratak se proposa pour assurer le premier quart, bien que, précisa-t-il, il ne sêagît que dêune pure formalité puisque la Chasse ne débuterait que dans plusieurs heures.

CliffClimber insista pour veiller en sa compagnie, car les membres de son espèce étaient souvent nyctalopes et, de plus, il nêavait pas sommeil.

Dane, Rianna et Dallith sêenveloppèrent dans les chaudes capes qui leur avaient été fournies avec leurs tuniques de combat et sêétendirent par terre. A cet endroit, le sol était constitué par une alternance de pierres et de mousse, mais plutôt de pierres que de mousse, et ils mirent un moment à trouver une position confortable. Rianna fut la première à sêendormir.

Dane, qui sêétait placé entre elle et Dallith, était trop tendu pour trouver le sommeil. Sêil avait entière confiance en Aratak - au point que par moments il oubliait complètement que le saurien géant nêétait pas un homme au sens propre du terme -, Cliff-Climber nêoffrait pas les mêmes garanties.

Il

finit par glisser doucement dans une sorte dêhébétude traversée de cauchemars. Il somnolait ainsi depuis une heure ou deux lorsquêil fut réveillé en sursaut par un rêve particulièrement horrible: la tête dêun samouraÔ, figée dans un rictus hideux, le contemplait depuis le mur dêun laboratoire sorti dêun film de Frankenstein o˘ elle était accrochée; dans le même temps, des Chasseurs, dont les innombrables apparences sêévanouissaient à peine avaient-elles pris forme, saluaient cette tête en levant leur verre. Il sentit aussitôt Dallith frissonner à côté de lui, comme si elle avait froid. Il ramena sur elle un pan de sa propre cape, doucement pour ne pas la réveiller, mais elle se tourna vers lui et lui dit quêelle ne dormait pas. Lita serra contre son épaule dêun geste protecteur.

-

Vous devriez dormir, dit-il doucement. Je crains que demain ne soit une très dure journée...

-

Je suis heureuse que Rianna puisse dormir, dit Dallith.

Et ils restèrent un long moment sans rien dire. Une foule dêimages et de visions se bousculaient dans lêesprit de Dane, et il était conscient en même temps de la chaleur du corps de la jeune fille tout contre le sien. Je la désire. Je lêaime. Je sais que cêest un drôle de moment pour penser à

ça... que disait Rianna ? Lêinstinct aveugle en f ace de la mort. Pourquoi devrais-je être différent de n èimporte quel autre Proto-simien ? Mais Dallith, elle, ne voudrait pas quêil en soit ainsi...

Les bras de Dallith lêenlacèrent dans le noir, doucement et avec une infinie compassion.

-

Ce que je veux est ce que vous voulez, murmura-t-elle. Cêest plus fort que moi. Peut-être nêest-ce pas ce que je voudrais moi-même de ma propre initiative, mais cêest réel, Dane, cêest réel...

Il

la serra presque désespérément contre lui, éperdu de la sentir si tendrement soumise, et, pendant un court instant, mais pour la première fois depuis bien longtemps, il oublia lêaffolante Planète des Chasseurs, le sabre de samouraÔ et lêombre de la mort, et jusquêaux Chasseurs eux-mêmes.

Elle attira sa tête contre sa poitrine en lui murmurant tendrement:

-

Dormez un peu maintenant, Dane. Dormez tant que vous le pouvez encore...

Et il sombra dans un gouffre de silence délicieusement vertigineux.

Lêobscurité était presque complète - la Planète des Chasseurs était très bas sur lêhorizon - lorsquêil fut réveillé par la main dêAratak posée sur son épaule.

-

Désolé dêinterrompre votre sommeil, Dane, mais je commence à

mêendormir et Cliff-Climber, lui, dort déjà depuis plus dêune heure.

Dane sêassit en se dégageant doucement de lêétreinte de Dallith, qui dormait à présent paisiblement. Il arrangea

la cape pour quêelle nêait pas froid, se leva et alla prendre la place de lêhomme-lézard en haut de la légère déclivité sur laquelle ils se trouvaient. Aratak sêétendit à son tour et, sêétant couvert la tête avec sa cape, sêendormit aussitôt. Cliff-Climber, enroulé sur lui-même, ressemblait àune boule sombre. Au bout de quelques instants, Dane sursauta car une forme venait de bouger dans le noir. Mais cêétait Rianna, qui ne pouvait plus dormir. Elle sêassit à côté de lui, sa main trouvant la sienne, et ils restèrent ainsi un long moment sans rien dire, surveillant lêhorizon o˘

allait poindre la lueur qui annoncerait lêaurore, tandis que la Planète des Chasseurs sêenfonçait lentement derrière une colline, au loin.

-

Cêest étrange, dit Rianna au bout dêun moment. Je suis une scientifique qui a passé la plus grande partie de sa vie à étudier les vestiges de la vie dêautres peuples. Jêaurais été horrifiée rien quêà la pensée que je pourrais être un jour si totalement engagée dans... dans une lutte pour défendre ma propre vie. Je me demande si je ne suis pas finalement moins civilisée que je ne le crois.

-

quelquêun de ma planète a dit un jour que la civilisation nêétait que la mince couche de vernis derrière laquelle se cachait le singe primitif.

-

Dans mon cas, la couche doit être vraiment très mince. Mais je nêen souffre pas, Dane. Pas... enfin, pas de la façon dont Dallith en souffre, par exemple. Elle, elle est vraiment civilisée.

Dallith:

Dane sentait encore le contact de son corps contre lui.

-

Je me le demande, dit-il. Elle réagit tellement à tout ce qui lêentoure. Peut-être est-elle civilisée parce quêelle est en compagnie de gens civilisés...

-

Peut-être. Et vous, Dane, comment réagissez-vous à la perspective de... la Chasse?

II

prit conscience quêil nêavait jamais vraiment réfléchi à la question, en dehors des simples réflexes de colère ou de peur. La Chasse nêétait-elle pas lêaventure suprême qui venait sêajouter à telles quêil avait connues sur Terre? Mais cette fois cêétait sa vie même qui était en jeu, et lêadversaire nêétait pas aveugle comme une tem pête en mer ou la face abrupte dêune montagne à escalader, mais au contraire calculateur, imprévisible. Un adversaire peut-être plus digne de lui finalement.

-

Je crois que je ne suis pas très civilisé non plus, dit-il.

Et ils se turent de nouveau. Une heure plus tard environ, voyant le ciel sêéclaircir à lêhorizon, Dane secoua sa torpeur:

-

Nous devrions réveiller les autres.

Curieusement, il était contrarié de devoir mettre un terme à cet intermède de calme, et ce, non à cause du danger qui les attendait, mais parce que, au cours de ces quelques heures o˘ Rianna et lui avaient analysé leur réaction devant la Chasse, il avait conscience dêavoir partagé avec elle une intimité plus profonde que leurs rapports sexuels des dernières semaines.

A présent, plus rien d èautre ne compte que... la Chasse!

Cliff-Climber fut le premier à se réveiller. Après sêêtre étiré avec une espèce de grognement étouffé, il se releva dêun bond et prit une pose de combat. Puis il se détendit et regarda autour de lui, arborant un féroce rictus:

-

Il y a de lêeau par-là. Je vais mêy tremper et boire rapidement.

Ensuite... les Chasseurs peuvent venir, je les attends!

En quelques bonds il se dirigea vers la cascade que lêon entendait, non loin de là. Dane le suivit plus lentement, se retournant pour voir Dallith se lever à son tour. Malgré toutes ses réticences, il éprouvait une incontestable sympathie pour le Mekhar, et trouvait de toute façon réconfortant de lêavoir à ses côtés.

Il

plongea la tête dans lêeau glacée et sentit aussitôt la circulation du sang sêaccélérer dans tout son corps. Aratak vint les rejoindre. La lumière naissante faisait apparaître un paysage ‚pre, hérissé dêaspérités, comme si tout venait dêêtre inventé par la main de la Création, Dane faisant partie de lêunivers ainsi forgé. Un univers neuf et juste un peu irréel.

Il

regarda un instant ses quatre compagnons avec ce quêil fallait bien appeler de lêaffection mais, le moment nêétant guère à

la contemplation, il se força à la discipline quêexigeait leur situation immédiate:

-

Nous avons encore une heure avant que le soleil ne soit levé.

Voyons comment nous allons pouvoir nous cacher.

CHAPITRE XII

La lumière devint peu à peu plus intense à lêhorizon comme le soleil orange émergeait doucement de derrière un amas de nuages. La clarté révéla un paysage accidenté et désolé, avec des escarpements se dressant au-dessus de vallées tapissées de broussailles. Sur les parois rocheuses sêouvraient çà

et là des grottes apparemment profondes. Sur lêhorizon, on distinguait toujours les formes noires, régulières, que Dane avait identifiées à la lumière de la lune comme étant des b‚timents. Mais on sêapercevait à

présent que cêétait une ville en ruine, dont les maisons décapitées béaient à ciel ouvert.

II était assez tentant de sêy cacher, mais cêétait courir le risque dêêtre pris au piège comme des rats. De même, Dane sêopposa-t-il à la suggestion de Rianna selon laquelle une grotte fournirait un bon abri, dont lêentrée étroite devrait être facilement défendable. A son avis, au bout de neuf cents et quelques Chasses, il y avait fort à parier que les Chasseurs connaissaient les grottes comme leur poche. La plupart de ces grottes avaient probablement plusieurs entrées, ce qui exposait à une attaque venant par-derrière. Le même argument sêappliquait aux b‚timents en ruine.

Sêéloignant de la cascade, ils avancèrent prudemment dans la vallée, en observant la disposition stratégique mise au point par Dane. Aratak venait en tête avec son énorme gourdin dont la surface était garnie de protubérances meurtrières; un gourdin que seul lêimmense saurien semblait être en mesure de soulever et dont un seul coup devait suffire pour empêcher qui que ce soit de se relever.

Dane suivait légèrement en retrait et à gauche, lêépée au fourreau mais prête à entrer rapidement en action. Venaient ensuite Rianna, au milieu, avec sa lance et ses couteaux, et, juste derrière elle, un peu sur sa droite, Cliif-Climber, qui surveillait des deux côtés. Enfin, légèrement sur la gauche, Dallith fermait la marche avec sa fronde. Dane leur avait conseillé à tous dêéviter autant que possible les passages trop broussailleux.

Ainsi avançaient-ils sur ce terrain désolé, les nerfs tendus, se tenant prêts à la moindre éventualité, cherchant une position plus élevée - le sommet dêune colline par exemple - dêo˘ ils pourraient voir arriver le danger. Dane sêétait un peu attendu à ce que, dès le soleil levé, cet endroit soit instantanément le thé‚tre dêune explosion de violence avec cris de guerre et effusion de sang, au lieu de cela ils se déplaçaient dans une contrée o˘ on aurait cru quêaucune créature vivante en dehors dêeux-mêmes nêavait jamais mis les pieds.

La Chasse dure onze jours, se dit Dane. Le plus éprouvant peut-être, cêest que nous ne pouvons pas rel4cher notre attention une seule seconde. En outre, plus longtemps nous restons sans subir dêattaque, plus ils ont la possibilité de repérer notre groupe et les moyens de lêaffronter en nombre.

Les heures passaient. Le soleil monta au zénith et commença à décroître insensiblement. Toujours aucun signe de Chasseurs ou dêautres Proies. Vers le milieu de lêaprès-midi, ils sêarrêtèrent près dêun amas de rochers. Ils se désaltérèrent à lêeau dêune source qui jaillissait dêune petite crevasse dans la pierre et mangèrent les provisions quêils avaient emportées de la planète. Alors que Rianna sêaventurait derrière les rochers, Dane la rappela:

- Non, nous ne devons pas nous séparer.

Elle le regarda dêun air mi-étonné mi-irrité :

- Dêaccord. Et comment voulez-vous que nous satisfassions nos besoins naturels?

- Emmenez Dallith avec vous et ne vous éloignez pas trop. Jusquêà ú que le soleil se couche et que nous ayons trouvé une de ces fameuses zones neutralisées o˘ nous pourrons nous restaurer, nous ne devons ni rel‚cher notre

vigilance, ni nous séparer de nos armes ne serait-ce quêune seconde.

Un sourire féroce se dessina sur le visage de Cliff Climber:

- Cêest là que jêai un avantage sur vous autres Protosimiens : je conserve en permanence mes armes avec moi.

Néanmoins, alors que, en sa compagnie, il sêétait un peu éloigné du groupe pour satisfaire lui aussi un besoin naturel, Dane remarqua la tension de lêhomme-lion, qui ne quittait pas des yeux lêendroit o˘ Aratak les attendait avec son gourdin rassurant.

il

est fort possible naturellement que les Chasseurs soient en train de nous observer, en ce moment mê,ne, pour essayer de se faire une idée de nos armes et de la façon dont nous devons combattre.

Dane décida dêexplorer une longue vallée encaissée qui allait plus ou moins vers le nord et la ville en ruine dont les séparait une chaîne de collines.

Nous devrions monter sur les hauteurs: ils peuvent nous prendre au piège dans cette vallée. D èailleurs il faut absolument que nous ayons repéré une de ces zones délimitées par des lumières jaunes avant le coucher du soleiL

Même si je suis à peu près s˚r que les Chasseurs font peu de cas de ces zones et attendent juste à lêextérieur pour nous sauter dessus, nous ne pouvons pas rester onze jours sans manger ni dormir.

Il sêétait sensiblement éloigné des autres à présent, bien quêil les aperç˚t en dessous. Les jeunes femmes avaient rejoint Aratak et, montées sur les rochers, inspectaient le paysage. Cliif-Climber, lui, était en train de grimper la pente pour venir le rejoindre. Ayant atteint un palier dans le flanc de la colline, Dane se retourna pour attendre le Mekhar, qui était tout près de lui à présent.

Cêest alors que, dans la fraction de seconde qui suivit, sa conscience sêéveilla brutalement à la réalité: Ce nêest pas Cliff-Climber! Il a une épée !...

Presque inconsciemment il avait déjà dégainé son sabre et sêétait mis en position de combat. Le Mekhar sêarrêta et se posta dans la même attitude, son arme levée.

Dane se sentait la gorge horriblement sèche, et il avait lêimpression que les battements de son propre coeur lui résonnaient aux oreilles. Voilà, pour la première fois, il se trouvait confronté avec lêaffreuse réalité. Il sêefforça de sêhabituer à cette idée pour se calmer un peu.

Mais sêagissait-il en lêoccurrence dêun Chasseur ou dêune Proie?

Peut-être les Chasseurs ne prennent-ils pas dêapparence réelle. Peut-être leur tactique consiste-t-elle à nous regarder nous entre-tuer...

-

qui êtes-vous? cria-t-il, surpris de la fermeté de sa propre voix.

que voulez-vous? Cêest après moi que vous en avez?

Le Mekhar bondit avec un rugissement de rage, et Dane eut tout juste le temps dêesquiver le coup de griffe meurtrier qui visait sa tête. Le corps de la créature se contorsionna en lêair et le coup avec lequel Dane sêapprêtait à répliquer manqua lui aussi son but. Lêhomme-lion retomba en souplesse sur ses pieds, battant immédiatement en retraite de quelques pas pour se préparer de nouveau à lêassaut.

Dane resta o˘ il était, étudiant son adversaire.

Le Mekhar tenait un peu son épée comme un sabre, àcette différence que lêarme était plus longue, toute droite, et plus légère que son sabre à lui.

Dane sêefforça de laisser sa main droite se détendre, de façon que la gauche supporte lêessentiel du poids. Il a une allonge supérieure, exactement comme un escrimeur. Et les bonds quêil fait! Bien s˚r, la gravité est moindre ici: cette lune ne représente en dimension que la moitié de sa planète à lui...

Il

nêeut pas le temps de réfléchir davantage: la longue lame du Mekhar se dirigeait tout droit vers sa poitrine. Il esquiva et riposta aussitôt à

la gorge avec son sabre, juste au moment o˘ lêépée du Mekhar passait au-dessus de son épaule droite.

Lêhomme-lion parvint à faire un écart en pivotant sur lui-même, ramenant en même temps son épée derrière sa tête. Dans un terrible tintement dêacier, le coup assené par Dane rabattit la lame adverse, la faisant pénétrer dans le cuir chevelu de lêhomme-lion.

Puis ce fut au tour de Dane de faire un bond en arrière pour éviter un coup terrible porté à sa jambe. Le Mekhar poussa un long grognement rauque.

Les deux adversaires se trouvaient séparés par une dîstance de trois pas environ. Lêhomme-lion était ramassé sur lui-même, son épée pointée de toute sa longueur devant lui. Du sang suintait de sa blessure au cuir chevelu.

Pendant ce temps, le sabre de Dane nêétait plus orienté de façon àtoucher la gorge du Chasseur, mais il le tenait au contraire àdeux mains au-dessus de sa tête. Chudan no Kamae, Jodan no Kamae... Des termes techniques affluaient à son esprit tandis que son corps, parfaitement indépendant, cherchait la position idéale, modifiait insensiblement lêorientation du tranchant de la lame pour trouver lêangle parfait...

Lêhomme-lion fouailla sauvagement en direction de la poitrine privée de garde. Dane esquissa un pas en avant et la lame de samouraÔ intercepta le bras du Chasseur au niveau du coude. La main tenant lêépée roula au sol.

Lêhomme-lion poussa un hurlement épouvantable, hideux, ni félin ni humain, et qui se transforma en un horrible gargouillis lorsque la lame de Dane trouva sa gorge. Mais alors un phénomène stupéfiant se produisit: le Mekhar se pencha vers lêavant, faisant pénétrer encore profondément la lame du sabre dans sa gorge, se baissa pour ramasser son bras coupé et, lêayant saisi promptement, se dégagea et se mit à courir, dévalant la pente en sautillant et en zigzaguant.

La stupéfaction paralysa Dane assez longtemps pour lêempêcher dêavoir le réflexe de se lancer à sa poursuite. Rien que de sa blessure au bras, la créature devait pourtant perdre assez de sang pour en mourir dans les minutes qui suivent! Sans parler de celle à la gorge, qui normalement aurait d˚ lêachever! Elle avait bien d˚ lêachever... Et pourtant...

pourtant... il était là, en train de descendre cette pente à toute allure, sans donner le moindre signe dêaffaiblissement !...

La créature - fallait-il dire le Chasseur? - sêéclipsa derrière un rocher.

Son sabre à la main, Dane le suivit, prêt à faire face à une embuscade.

Mais il nêy avait rien derrière le rocher. Rien. Pas dêhomme-lion. Pas de bras coupé. Même pas une trace de sang sur le sol. Absolument rien! Encore sous le coup de lêébahissement le plus complet, Dane retourna sur le lieu o˘

sêétait déroulé le combat. Il avait vu la créature saigner de la tête. Du sang - et un sang qui ressemblait exactement àdu sang ordinaire - avait giclé également de son bras sectionné.

Il

y avait bien du sang ici, par terre, mais très peu. A moins de deux mètres de lêendroit o˘ Dane avait coupé ce bras, on voyait quelques taches de sang qui sêestompaient déjà et disparurent très vite.

Pensivement, Dane remit son sabre au fourreau. Le premier sang, songeait-il. Mais que pouvait bien être cette chose? Ce nêétait s˚rement pas un Mekhar: il avait vu le sang de Cliif-Climber. Mais il était non moins s˚r que lêêtre en question ressemblait à un Mekhar.

Une variante de lêespèce proto-féline? Les Chasseurs seraient-ils par hasard une simple variante des Protofélins?

Oui, certainement Des Proto-félins. Des chats ou lions pensants (sapients, comme disent les autres) capables, après avoir eu la veine jugulaire tranchée, de ramasser le bras quêon venait de leur couper et de sêenfuir avec, avant de se volatiliser dans lêair.

Il

commença à redescendre lentement la pente en direction de lêendroit o˘ il avait laissé ses amis. Aratak et Rianna accouraient à sa rencontre: de toute évidence ils avaient entendu le hurlement que la créature avait poussé àla fin. Comme émergeant dêune brume, Dane prit conscience quêil les avait quittés depuis moins de cinq minutes.

-

quêétait-ce? interrogea Rianna. Un Chasseur? Jêai cru pendant un moment que cêétait Cliff-Climber qui...

-

Moi aussi, au début, répondit Dane dêune voix lasse, avant de mêapercevoir quêil avait une épée.

-

Lorsque nous avons vu que Cliif-Climber était toujours avec nous, nous sommes tout de suite partis à votre recherche... Dane, vous lêavez tué?

-

Nêimporte qui aurait pu le croire, en effet

Il

leur raconta ú qui sêétait passé. Lêun après lêautre, ils vinrent examiner le sang par terre, sans quêaucun soit capable de fournir une explication. Cliff-Climber se montrait même carrément sceptique, ne croyant manifestement pas un mot de lêhistoire de Dane.

-

Votre dernier coup lêaura marqué, dît-il, et il aura simplement couru se cacher derrière le rocher, et...

-

Et il est tout simplement aussi passé à travers la muraille rocheuse?

-

Il sêest probablement caché derrière des fourrés. Il y a peut-être une grotte pas loin dêici: il aura réussi à sêy réfugier pendant que vous ne regardiez pas.

Dane adressa un regard irrité au Mekhar:

-

Pourriez-vous, vous, Cliif, ramasser votre bras et partir avec en courant si je vous lêavais sectionné?

Cliff-Climber secoua la tête:

-

Peut-être avez-vous seulement cru lui avoir sectionné le bras. -

Prenant un ton protecteur: - Comme cêétait votre premier affrontement avec un Chasseur, vous étiez peut-être un peu... surexcité. Si vous lêaviez tué, son cadavre serait ici, vous ne croyez pas?

Dane ne répondit pas. Il savait que sêil le faisait, ça tournerait au pugilat et ce nêétait pas le moment quêils se battent entre eux. Se retournant, il fit signe aux autres de sêapprocher:

-

quoi quêil en soit, nous avons intérêt à sortir de cette vallée.

Sêil y a un Chasseur ici, il nêest probablement pas seul.

Mais ils ne virent aucune créature vivante tandis quêils gravissaient laborieusement le bord de la vallée pour aboutir finalement à une sorte de grande plaine semée de rochers. Le soleil se couchait derrière les ruines de la ville, dont les contours se découpaient sur le ciel comme des dents saillant dêun cr‚ne brisé.

-

quêest-ú que cêest que ça? demanda Dallith en montrant une lumière sur lêhorizon.

-

La lune... pardon, la Planète des Chasseurs, qui se lève, répondit Rianna.

Mais Dane secoua la tête:

-

Non, cêest une lumière jaune. Une zone neutre! Et comme le soleil vient de se coucher, la Chasse est interrompue jusquêà minuit. Nous ferions bien dêaller là-bas voir si nous trouvons quelque chose à manger.

Lentement, ils prirent la direction des lumières en question. Dane était épuisé et Rianna titubait presque, même

Aratak traînait son gourdin derrière lui au lieu de le porter sur son épaule. Les lumières semblaient encore très éloignées et Dane avait beau savoir quêelles représentaient la sécurité, il arrivait tout juste à mettre un pied devant lêautre. Il en venait à se demander sêils les atteindraient jamais.

Le grand disque rouge de la Planète des Chasseurs était déjà assez haut au-dessus de la ville en ruine quand ils atteignirent les premières lumières.

Toute la zone était fortement éclairée par de gros globes jaunes culminant sur dêénormes colonnes de métal. A lêintérieur du grand cercle délimité par les colonnes - environ un hectare - des Servants évoluaient imperturbablement, se déplaçant au milieu des pierres et des broussailles exactement comme dans lêArmurerie, sur la planète. Il nêy avait aucune créature de chair et de sang à lêintérieur de ce cercle lumineux àlêexception de lêimmense Proto-ursidé, qui était en train de dormir, tassé

dans sa fourrure, à côté des restes dêun copieux repas.

…videmment, songea Dane, il y a dêautres zones comme celles-ci: dêautres prisonniers les auront certainement trouvées. Nous en trouverons dêautres, nous aussi, si nous vivons assez longtemps pour cela...

Au centre de la ceinture de lumières se trouvait un assortiment de nourriture dans de grands bacs, codifiés par des couleurs différentes, comme sur le vaisseau mekhar. Les quatre compagnons de Dane se tournèrent vers lui avant dêy toucher, preuve, songea-t-il, que leur cohésion et leur solidarité était affirmée au cours de cette journée. Il leur dit

-

Mangez selon votre faim et dormez un moment. Mais pas trop longtemps: je tiens à être loin dêici quand minuit viendra, parce que alors la Chasse reprendra.

Bien quêaspirant seulement à dormir, Dallith se força àmanger un peu de fruit avant de sêenvelopper dans sa cape et de sêétendre sur la mousse tendre. Les autres suivirent bientôt son exemple, à lêexception de Dane qui préférait veiller et demanda à Aratak de prendre ensuite la relève.

-

Vous croyez que nous ne sommes pas en sécurité ici ? interrogea lêhomme-lézard. Vous nêavez pas confiance en la parole des Chasseurs?

-

Je sais seulement quêils ont une réputation de Chasseurs à

défendre, répondit Dane. Je pense que nous sommes en sécurité ici même, mais je ne tiens pas à tomber entre leurs mains en sortant. Dormez, Aratak, je vous dirai tout àlêheure quelle est mon idée.

Le saurien géant sêétendit par terre, et la fameuse lueur bleue se mit bientôt à luire autour de son cou. Dane le contemplait tout en ruminant son plan. Il laissa Aratak dormir environ deux heures et le réveilla pour pouvoir se reposer à son tour. Lorsquêil se réveilla, et comme si son plan avait m˚ri pendant son sommeil, il savait exactement ú quêil voulait faire.

Il réveilla ensuite Cliff-Climber et les deux jeunes femmes.

-

Prenez assez de nourriture pour deux ou trois jours, leur dit-il.

Peut-être suspendent-ils réellement la Chasse à la tombée de la nuit, mais je ne mêy fie pas trop. Souvenez-vous comment les Mekhars nous on testés sur le vaisseau. Je préfère me mettre dans lêidée que les Chasseurs utilisent la même méthode ici. Peut-être pendant les deux ou trois premières nuits est-il effectivement sans danger de dormir jusquêà minuit et de sortir ensuite, mais je serais prêt àparier que ceux qui se laissent endormir par cette gentille petite routine et sêy fient aveuglément ont tôt ou tard la triste surprise de servir de repas aux Chasseurs ! Désormais nous dormirons en dehors de ces zones dites réservées, en montant la garde à tour de rôle, et nous nêy ferons que de brèves incursions tous les deux ou trois jours pour nous procurer à manger.

-

Cela me paraît raisonnable, approuva Cliff-Climber. Je pensais moimême à une solution à peu près identique.

Dane commença à choisir des aliments susceptibles de se conserver: noix, fruits secs, biscuits et graines séchées. De fait, la présence de ce type dêaliments au milieu dêautres plus périssables devait constituer un autre test, destiné une fois encore à sélectionner les plus intelligents, ceux qui ne se contenteraient pas de manger sur-le-champ mais saisiraient lêoccasion de faire des provisions pour prolonger leurs chances de survie, voire dêéchapper à la mort jusquêau terme de la Chasse.

Je ne pense pas quêils le fassent dans notre intérêt, ni que ce soit lêexpression dêun sens du fair-play poussé àlêextrême. Ils veulent essentiellement faire durer le plaisir, nous traquer plus longtemps. Et ils sont même prêts à en laisser un ou deux sêen tirer pourvu quêon leur fournisse matière à une belle Chasse.

Sur le coup, Dane osa espérer: Si jêarrivais à faire en sorte que nous nous en tirions tous les cinq... Non. Cêétait voir trop loin. quêils essaient déjà de survivre au jour le jour et, pour commencer, de passer cette nuit.

Il remarqua que Dallith avait fait une longue natte avec ses cheveux. Il sêapprocha dêelle et lui demanda si elle nêavait pas une épingle pour ramener cette tresse sur sa tête, car, telle quêelle était, elle risquait fort de constituer une belle prise pour quiconque lêattaquerait par-derrière.

Elle lui adressa un sourire timide:

- Cêest vrai, je nêy avais pas songé. Je peux la couper si vous voulez.

Comme à regret, il prit la tresse entre ses doigts et, m˚ par une impulsion subite, lêembrassa:

- Ce sont de beaux cheveux, dit-il, mais, si nous survivons, ils repousseront. Et moi, je me sentirais plus rassuré si vous les coupiez, effectivement.

Elle sortit son poignard de sa gaine et, dêun seul coup, trancha la tresse blonde et la laissa glisser par terre. Après lui avoir adressé un nouveau sourire, elle sêéloigna. Dane la regarda un moment sans bouger, puis une impulsion irrésistible le fit se baisser et ramasser la longue natte soyeuse. Il la garda un moment dans ses mains comme sêil la voyait vivre, avant de lêenrouler sur elle-même et la mettre sous sa tunique, tout contre sa peau. Une faveur de ma dame, songea-t-il.

Puis, voyant que les autres étaient prêts, il les rejoignit et prit la tête du petit groupe à travers lêobscurité. Bien avant que la Planète des Chasseurs ait atteint son zénith, les lumières jaunes de la zone neutralisée ne furent plus quêun vague scintillement derrière eux. Bientôt elles moururent complètement.

Ils dormirent de nouveau à tour de rôle, pendant quelques heures, cachés dans un repli formé par les collines ; et, à lêaube, ils prirent la direction de la ville en ruine. Un peu

après le lever du soleil, ils entendirent au loin des bruits pareils à ceux dêépées et de boucliers sêentrechoquant, puis une espèce de mugissement épouvantable, comme un cri dêagonie. Mais bientôt le silenú retomba et le paysage retrouva lêimmobilité de la mort.

Immobile et silencieux comme la nwri~ Cette nwrt dont il a été si souvent le thé‚tre. Cêest incroyable la réalité que peut prendre ce genre de cliché...

Le lendemain, lêaprès-midi était déjà très avancé lorsquêils atteignirent une longue colline, jonchée de ces rochers que lêon voyait un peu partout.

ils sêarrêtèrent pour se reposer, manger un peu et se désaltérer à lêun des cours dêeau qui coulaient des falaises rocheuses. A la faveur de oette pause, Dane prit subitement conscience quêil était réellement surhumain de soutenir pendant des jours une telle tension de corps et dêesprit. Oui, vraiment, le jeu était truqué, et truqué en faveur des Chasseurs, parce quêils pouvaient traquer leurs proies tout à loisir, les épuiser et les surprendre au moment o˘ ils voulaient. Eux-mêmes pouvaient se reposer sans danger, car il était peu vraisemblable que les Proies puissent jamais les surprendre à lêimproviste, surtout avec dans le ventre une nourriture comme celle àlaquelle elles étaient réduites. Dane se dit que, sêil en réchappait, il ne chasserait jamais plus, même pour le sport!

il

regarda tour à tour Rianna et Dallith. La première était allongée, sa tête appuyée sur son bras. Dallith, elle, était montée sur un rocher et se tenait la tête légèrement inclinée de côté comme si elle écoutait quelque bruit lointain.

-

Vous avez entendu quelque chose? lui-demanda-t-il tout bas.

-

Non.., je ne crois pas... Je ne suis pas s˚re.

Son visage, déjà menu, offrait le spectacle de traits tirés, fatigués. Si elle est déjà comme ça le deuxième jour de la Chasse, je me demande combien de temps elle va tenir...

il

les laissa se reposer une demi-heure avant de les rassembler pour lêascension de la colline. Le sommet de cette colline devrait en principe être un bon endroit pour passer la nuit sans trop avoir à craindre dêêtre surpris ou seulement épiés. Toutefois Dane avertit ses amis au moment o˘