PROLOGUE

L'exploration spatiale de la fin du vingtième siècle permit une percée capitale dans la reconnaissance et l'enregistrement des perceptions extra-sensorielles, qui, sous le nom de facultés paranormales ou psioniques, furent longtemps considérées comme relevant de la superstition. Une application inattendue de la Bulle, cet encéphalographe ultra-sensible mis au point pour étudier les ondes cérébrales des astronautes souffrant sporadiquement de « taches lumineuses », temporairement cataloguées comme des disfonctions cérébrales ou rétiniennes, fut découverte par inadvertance lorsqu’on utilisa cet appareil pour monitorer une blessure à la tête dans un service de réanimation de Jerhattan. Le patient, Henry Darrow, était un clairvoyant amateur dont les prédictions se vérifiaient dans des proportions étonnantes. Dans son cas, tandis que l’appareil surveillait ses ondes cérébrales, il enregistra aussi, pendant le déroulement de ses expériences de clairvoyance, la décharge d’une énergie électrique inconnue. Pour la première fois, la perception extra-sensorielle était scientifiquement prouvée.

Une fois rétabli de sa commotion cérébrale, Henry Darrow fonda le premier Centre de Parapsychologie à Jerhattan, et formula les règles éthiques et morales permettant d’accorder aux individus possédant des dons psioniques valables et confirmés certains privilèges et responsabilités dans une société dont l’attitude était fondamentalement sceptique; hostile, voire carrément paranoîaque à l’égard de ces capacités.

La capacité de perception extra-sensorielle — bientôt baptisée Don — se présentait sous des formes diverses et à des degrés divers. Une fois les inhibitions vaincues, la télépathie simple et de courte portée était relativement répandue. Mais il y avait aussi les télépathes « à sens unique », pouvant émettre leur pensée mais non recevoir celle des autres, ou au contraire pouvant recevoir sans émettre. D’autres étaient des empathes, capables de s’adapter immédiatement aux humeurs de l’entourage, parfois inconsciemment. Les télempathes pouvaient sentir les émotions extrêmes ou distantes et y réagir; certains d’entre eux étaient capables de modifier une atmosphère émotionnelle en émettant d’autres émotions ou en neutralisant les émotions négatives — de tels Doués se révélèrent inappréciables dans le contrôle des foules, en évitant qu’un grand rassemblement ne dégénère en émeute. Mais les télépathes les plus précieux étaient ceux qui pouvaient émettre et recevoir la pensée, et parler à d’autres esprits n’importe où dans le monde.

Les télékinétiques — Doués pouvant déplacer des objets matériels par la seule puissance de l’esprit — étaient également inappréciables, leurs capacités allant de la manipulation de la machinerie lourde jusqu’aux opérations de micro-mécanique.

Les clairvoyants ou précogs pouvaient voir les événements futurs à court ou à long terme. Souvent, leurs visions permettaient de modifier l’avenir et d’éviter des désastres. Certains clairvoyants avaient des affinités spéciales pour certains types d’événements, centrés, par exemple, sur le feu, l’eau ou le vent; d’autres percevaient électivement les enfants, la violence ou les intentions criminelles.

Les « trouveurs » avaient aussi des affinités spéciales — certains pouvaient localiser les êtres vivants, personnes ou animaux, tandis que d’autres sentaient les objets inanimés — et leurs capacités étaient de portées extrêmement différentes.

Le Don pouvait prendre bien des formes et apparences, et tous ses types n’avaient pas encore été découverts et reconnus. Les différents Centres établis dans le monde recherchaient sans cesse des dons moins spectaculaires car la demande dépassait maintenant l’offre, et de loin. Pour ces quelques élus potentiels, la formation était ardue et les avantages de la profession ne compensaient pas toujours l’abnégation totale requise dans leur métier épuisant.

Et pourtant, être reconnu Doué devint l’aspiration du grand nombre, et le triomphe du petit nombre.