CHAPITRE II

Dans la grande salle du centre de la Sécurité Galactique, une vingtaine de policiers était déjà réunie quand Mike Barnett franchit le seuil de la porte. Vingt-cinq ans, grand, les muscles allongés, il avait un visage aux traits réguliers. Sa chevelure brune et ses sourcils noirs contrastaient avec ses yeux clairs. Il s'assit au dernier rang à côté d'un long type maigre au nez en bec d'aigle qui portait les insignes de lieutenant sur son uniforme.

Le rondouillard sergent Nilson monta sur une petite estrade, une liasse de papiers à la main.

— Notre brigade, débuta-t-il d'une voix un peu trop aiguë, reçoit le renfort de cinq nouvelles recrues. Je leur souhaite la bienvenue. Voici le tableau de service pour le mois prochain. Brown fera équipe avec Sequard, Watson avec Crick...

Enfin les derniers noms furent:

— Lieutenant Craig avec le sergent Barnett.

Le voisin de Mike grimaça un sourire triste.

— Pas de chance, mon vieux ! Vous avez tiré la plus mauvaise place. Prenez garde à vous et bonne chance. Vous en aurez besoin !

Mike n'eut pas le temps de demander des explications car le sergent reprenait:

— Barnett, vous êtes attendu dans le bureau du capitaine, au premier étage. Quittant la salle où les nouveaux équipiers se cherchaient ou se retrouvaient, Mike arriva devant la porte du bureau indiqué. Il frappa et le grognement qui lui répondit l'incita à entrer.

Le capitaine était assis à sa table. Un autre personnage vêtu d'un pantalon de toile et d'un blouson bleu délavé lui tournait le dos, regardant par la fenêtre. Mike salua très réglementairement.

— A vos ordres, mon capitaine.

Ce dernier eut un geste vague de la main.

— Repos, sergent. Maintenant, laissez tomber le protocole. Nous ne sommes plus à l'école de la Sécurité

Galactique. Voici le lieutenant Dana Craig dont vous serez le partenaire.

La seconde personne se retourna et les yeux de Mike se dilatèrent d'étonnement. Le lieutenant était une jeune femme, grande, élancée aux cheveux clairs coupés courts, avec un visage harmonieux. Ses yeux noirs, vifs mais sévères dévisageaient l'arrivant raide dans son uniforme impeccable. Ses lèvres se pincèrent quand elle jeta d'une voix sèche:

— Ce n'est pas une tenue pour travailler ! Croyez-vous que nous allons à une soirée chez le Président ?

Bien que surpris de l'accueil, Mike répondit:

— Certainement pas, lieutenant. Pour une telle réception, la tenue de sortie numéro un s'imposerait. Un rire bref échappa au capitaine.

— Amusant ! J'espère que vous allez former une équipe solide.

Regardant Craig, il ajouta:

— Vous savez que vous n'avez pas le choix.

— Je fais un travail difficile et dangereux, ragea-t-elle et en plus vous me demandez de former un novice.

— Ce sont les ordres ! Maintenant, allez faire connaissance dehors. Moi aussi, j'ai du travail !

Craig sortit et se dirigea à grandes enjambées vers les ascenseurs, suivie de Mike.

— Avant de vous emmener en mission, je tiens à tester vos capacités. Commençons par le tir.

Le stand était au deuxième sous-sol. Un policier à la mine rubiconde avança.

— Joë, occupez-vous du nouveau pendant que je

m'exerce un peu.

Mike fut conduit dans un box. La cible, à une trentaine de mètres, représentait une silhouette humaine.

— Sortez votre arme !

Le pistolaser fut extrait de l'étui brillant que Mike portait à la ceinture.

— Vérifiez le chargeur énergétique !

— Chargeur plein.

— Vous avez droit à dix décharges. Tâchez de ne pas manquer votre cible !

— Ce n'est pas le problème. Il me faut plus de renseignements, dit-il au sergent qui ouvrait des yeux étonnés. Mike leva son arme et visa en expliquant:

— Si c'est un suspect qui s'enfuit, je choisis les jambes. Deux éclairs rouges jaillirent du canon. Un point noir apparut sur chaque rotule.

— S'il brandit une arme, je vise bras et épaule. S'il menace de tuer des innocents, trois coups dans la région précordiale. Enfin, s'il tient un otage devant lui, il faut toucher la tête. A chaque phrase, un point noir apparaissait à l'endroit indiqué, laissant le policier sans voix.

— Il reste encore un coup. Voulez-vous le nombril ?

Sur la cible voisine, le lieutenant avait groupé les impacts sur une petite surface, juste au niveau du cœur. Un coup d'œil lancé sur la cible de Mike lui fit dire:

— C'est passable mais votre tir est trop dispersé !

Le pauvre Joë voulut se lancer dans une explication mais Craig entraînait déjà Mike dans le couloir. Ascenseur. Arrêt au cinquième étage. Propulsé dans un vestiaire, Mike s'entendit ordonner:

— Endossez une tenue de sport et venez me rejoindre dans la salle des arts martiaux. Terry vous testera. Je vous avertis qu'il est souvent brutal avec les nouveaux arrivants. Il aime affirmer sa supériorité. Ensuite, c'est un bon professeur. Sans trop se presser, Mike fit le tour de la pièce qui était de belle dimension. Les murs étaient tapissés d'armoires métalliques. L'organisation du service était parfaite car il trouva un placard à son nom avec une tenue pendue à un cintre.

Dans la salle de sport, Craig discutait avec un grand blond au torse impressionnant.

— Ne veux-tu pas t'entraîner, Dana? Nous pourrions travailler le corps à corps.

Le visage du lieutenant resta de marbre.

— Merci, Terry. Je ne voudrais pas être obligée de te faire mal. Garde tes boniments pour les malheureuses qui sont encore impressionnées par tes muscles. Je veux seulement que tu testes Barnett. Vexé, Terry lança méchamment:

— A quoi bon ? Il ne durera pas plus longtemps que les autres. Bientôt, il faudra inventer pour toi des équipiers à

usage unique !

Il s'interrompit en voyant Mike apparaître tandis que Craig tournait les talons avec un haussement d'épaules.

— Bienvenue, mon garçon, dit Terry avec un large sourire, la main tendue. A l'instant où les mains se serraient, il lança son poing gauche qui, à sa grande surprise ne percuta que le vide. Aussitôt son bras droit fut ramené en arrière et immobilisé. Barnett avait esquivé d'une rotation du buste et porté sa prise.

— Le coup de la poignée de main fraternelle, je le connais depuis le collège, dit-il en relâchant le poignet de Terry.

Le regard de ce dernier s'assombrit.

— J'aime les petits malins, grogna-t-il.

Il attaqua en force. Droit, gauche, pied lancé, retourné. Mike rompit, para avec précision. Un seul coup l'atteignit à

l'épaule sans le déséquilibrer.

— Pas mal, marmonna Terry qui sentait sa respiration s'accélérer. A toi de montrer ce que tu sais faire. Mike s'anima, d'abord lentement, les yeux rivés sur son adversaire. Une feinte, une seconde. Son pied partit, atteignant Terry sous les côtes, lui bloquant un instant le souffle. De nouvelles attaques fusèrent, de plus en plus rapides, touchant encore deux fois Terry.

D'un air dégagé, cachant mal sa colère, ce dernier rompit.

— Excellent, sergent. Maintenant, nous pouvons nous saluer.

Il s'inclina, le buste presque à l'horizontal. Mike l'imita mais son regard n'avait pas quitté son adversaire. Aussi vitil venir le coup de pied que Terry lui décocha, espérant l'atteindre au visage. Il esquiva et, profitant de l'instant de déséquilibre de Terry, il faucha la jambe, le faisant tomber sur les fesses.

— Mon maître Itachi m'a enseigné qu'il ne fallait jamais baisser les yeux devant un adversaire.

— Excellent principe, dit Terry dépité de l'échec de sa dernière ruse.

Il fronça soudain les sourcils en ajoutant:

— Itachi ! Le plus grand champion de ces dernières années !

— J'ai été son élève pendant quatre ans.

— Je comprends maintenant votre rapidité d'exécution. La prochaine fois, je me méfierai.

Le lieutenant reparut à ce moment. Un peu de sueur perlait à son front et elle se massait le poing droit.

— Alors ?

— Pas mal du tout ! Il se comporte très honorablement. Le regard vif de Craig passa du visage de Mike aucunement marqué par l'effort à celui de Terry qui avait encore le souffle court. Une zone rouge tachait sa pommette droite

— Merci de ne pas l'avoir abîmé comme tu le fais trop souvent avec les nouveaux stagiaires.

Terry hocha la tête sans répondre.

Douchés et rhabillés, Dana et Mike se retrouvèrent devant les ascenseurs.

— Apparemment vous vous êtes bien débrouillé. Je connais Terry et il était furieux. Que lui avez-vous fait ?

— Disons que je ne me suis pas laissé surprendre par ses vieilles astuces.

— Prenez garde, il a la rancune tenace.

— Je m'en souviendrai. Je n'oublie jamais ce genre de conseil.

Ils retournèrent au premier étage, passant devant la porte du capitaine.

— Mon bureau est le suivant.

Désignant un grand box vitré, elle ajouta:

— Vous partagerez celui-ci avec Al et Paul. Je vais vous les présenter.

Paul Tyson, la trentaine, était un solide gaillard dépassant Mike d'une tête. Il avait la peau très brune et des cheveux crépus. Sa poignée de main fut énergique, cordiale. Al Mac Nab était plus fluet, roux et paraissait du même âge que Mike. Il avait des yeux verts brillants de malice.

— Al et Paul font équipe. Ils travaillent sous ma responsabilité et, en cas de coup dur, sont efficaces. Sur le seuil, le lieutenant hésita un instant.

— Quand êtes-vous arrivé sur Terrania VI, Barnett ?

— Hier, par le cargo-nef régulier.

— Avez-vous trouvé à vous loger ?

— Merci, je suis fort bien installé.

Mike lui tendit une carte.

— Voici mon numéro de vidéo phone. Ainsi, vous pouvez toujours me joindre.

— Merci ! Croyez-moi, vous serez plus souvent appelé

que vous ne le souhaiterez. Voulez-vous que je vous dépose chez vous ?

— Inutile de vous déranger, j'ai mon trans au parking. C'étaient des véhicules mus par anti-gravité qui se déplaçaient à quelques centimètres du sol.

— Parfait ! Dans ce cas, je vous laisse faire connaissance. Soyez ici demain matin à huit heures. Mettez une tenue civile car dans le quartier où nous irons, la simple vue d'un uniforme suffit à déclencher une émeute. Craig sortie, Tyson désigna une table à Mike.

— Voilà ta place.

Sur le bureau trônait une authentique machine à traitement de texte.

— Vous n'avez pas d'ordinateur plus moderne ?

— Désolé, vieux, mais c'est tout ce que l'administration a les moyens de nous offrir, ricana Al. Elle a dû racheter des surplus du siècle dernier.

Tyson scrutait Mike. A plusieurs reprises, il ouvrit la bouche mais la referma aussitôt. Enfin, il lança d'un ton rogue:

— Depuis que tu as mis les pieds dans cet immeuble, tu as certainement entendu dire beaucoup de mal du lieutenant et tous les jours tu en entendras. Ce sont des mensonges !

— Elle n'a guère l'air commode.

— Non ! Elle est très exigeante dans le service mais distoi qu'elle est encore plus dure avec elle-même. Les autorités lui donnent les missions les plus pourries et les plus dangereuses. Ensuite, elles font la fine bouche quand il y a du grabuge. Cependant, en cas de coup dur, elle sera toujours au premier rang et ne te laissera jamais tomber.

— Qu'est-il arrivé à mon prédécesseur ?

Tyson poussa un soupir.

— Mieux vaut que ce soit moi qui t'en parle. J'étais sur les lieux. Nous avions un mandat pour arrêter un type du nom de Spring. Il créchait dans une cabane au milieu d'un terrain vague. A peine étions-nous sortis du trans que cela s'est mis à tirer dans tous les coins. Nous étions tombés dans un traquenard habilement monté. Park a été touché

dès la première minute. La sagesse aurait été de remonter dans le trans et de filer à toute vitesse mais le lieutenant n'a pas voulu abandonner son équipier, espérant qu'il n'était que blessé. Nous avons tiraillé dans tous les sens jusqu'à ce que Al arrive avec des renforts. Les bandits ont filé et nous n'en avons arrêté aucun. Tu vois que Dana n'a rien à se reprocher.

Après un instant de silence, il ajouta:

— Elle a horreur des familiarités. Avant de l'appeler par son prénom, attends qu'elle te le demande.