Caroline Allard

Les Chroniques

d’une mère indigne1

L’original !

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Caroline Allard

Les Chroniques

d’une mère indigne1

Une vie sale parsemée de couches bien remplies.

À moins que ce ne soit l’inverse ?

c

h a m a c - c a r n e t s

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À Marc, mon mari que j’adore et sans qui l’indignité n’aurait jamais aussi bon goût.

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Préface

Père indigne prend sa plume

O n a beau slalomer entre les rencontres médiatiques, les réceptions mondaines et les contrats faramineux, un jour, le talent vous rattrape et ne vous laisse d’autre choix que d’être célèbre. Tel est le destin de Mère indigne, ma propre femme, qui devra désormais vivre avec le poids de son succès.

Laissons-la donc folâtrer dans les champs fleuris de la gloire et intéressons-nous plutôt aux questions que vous vous posez sur votre nouvelle idole.

Ces mille et une questions, un jeune homme de talent les a magistralement captées, cristallisées et exprimées, en toute simplicité, au cours d’une entrevue que moi, Père indigne, je lui accordai aux abords de notre bungalow cossu (celui avec la cheminée qui tombe en ruine et une seule voiture dans l’entrée de garage) de Laval-des-Rapides.

Été 2006, sous une chaleur accablante, après avoir vaine-ment tenté de m’enlever mon maillot avec les dents, Jean-Louis XXX (que vous rencontrerez très bientôt) prend une gorgée de boisson citronnée et m’interpelle sans complaisance : Jean-Louis XXX — Dans ces chroniques, il semble que Mère indigne et vous partagiez une idée commune de la vie de famille. Vous apparaissez souvent soudés aux hanches, vous épaulant mutuellement, prenant de front, et jusqu’à bras le corps, les crottes que l’existence vous réserve dans son insondable couche. Parfois même, vous semblez faire preuve d’une connivence complice. Doit-on voir, à travers ces multiples indices, les signes d’un amour indéfectible ?

Père indigne — Oui.

Chroniques d’une mère indigne - 7

Jean-Louis XXX — Un instant, je note. Bien. Et si j’ai bien compris, par amour l’un pour l’autre, vous décidâtes de braver la statistique du mariage et de fonder une famille, d’avoir deux charmantes petites filles dont l’une deviendrait écrivaine et l’autre physicienne – plus d’un prix Nobel en perspective pour cette famille déjà choyée par le destin. Les voisins m’ont même assuré que vous aviez encore une vie sexuelle (ou alors c’est Mère indigne qui se cogne régulièrement l’orteil sur une patte de table en allant faire chauffer le biberon). Vous arrive-t-il parfois de penser que tout cela est trop beau ?

Père indigne — Non.

Jean-Louis XXX — C’est noté. Dernière question, mais non la moindre : Mère indigne compose-t-elle ses mélodies avant ses textes, ou l’inverse ?

Père indigne — À ma connaissance, elle n’a encore écrit que les textes.

Jean-Louis XXX — Merci de vous être ainsi ouvert le cœur et l’esprit et d’avoir répondu, en toute confiance, aux questions des lecteurs.

Père indigne — Je n’ai pas de secret pour le public adoré de Mère indigne. Et quand j’en aurai un, je serai le Maître du monde !

Mère indigne, entrant brusquement dans la préface — Peut-

être, mais en attendant, il y a une couche à changer.

Père indigne — Ça va, j’y vais, j’y vais.

8 - Chroniques d’une mère indigne

Introduction

Seuls les indignes survivront

C hanger des couches sales Introduction quinze fois par jour encourage- • Seuls les indignes survivront t-il les pensées impures ? Oh, que Les personnages principaux oui. Après sept mois de congé de

maternité, j’ai soudainement dû

me rendre à l’évidence : j’étais devenue, petit à petit, une mère indigne.

Avant d’accepter ce statut, j’ai psychologiquement beaucoup souffert. En effet, j’avais, pendant des années, courageusement tenté d’être une mère parfaite avec Fille Aînée, en suivant tant bien que mal tous les conseils bien intentionnés des livres sérieux sur la maternité. Mais la venue de Bébé numéro 2 m’a obligée à constater que les parents qui respectent à la lettre les édits de ces manuels se vouent à un burn-out à brève échéance. J’ai aussi senti, avec une grande consternation, que, si nous ne respections pas, par choix ou par erreur, les sacro-saints préceptes du parent parfait, nous nous condamnions à la culture du secret envers le pédiatre ainsi qu’à un sentiment de culpabilité débilitant. C’est pourquoi j’ai choisi, par solidarité avec mes collègues-parents souffrants, de mettre par écrit et d’étaler publiquement le côté obscur de la maternité.

Ne nous racontons pas d’histoires : rien n’est plus angoissant que d’élever des enfants. Nos bambins auront beau être les plus gentils et les mieux élevés de la terre, avoir des enfants est une entreprise beaucoup trop périlleuse pour que nous puissions nous permettre de ne pas nous inquiéter et veiller au grain, à chaque moment et tous les jours, et ce, à partir de Introduction - 9

leur conception. Des tracasseries de base (« Horreur ! Elle n’a pas bu tout son lait ! Soulagement ! Elle a mangé beaucoup de céréales ! ») aux paniques à venir (« Horreur ! Un condom !

Soulagement ! Il est encore emballé ! »), rien ne sert d’enfouir notre tête dans les couches : nous sommes à leur merci. Bref, l’équation est simple : si nous ne voulons pas exploser d’inquié-

tude, il nous faut un exutoire. L’indignité, pour les parents, est cette merveilleuse soupape qui nous permet de continuer à dire oui à la vie.

À partir d’aujourd’hui, osons donc le clamer haut et fort : il faut rire de nos enfants ! Nous leur donnons tout, nous trem-blons chaque jour pour eux, nous explosons de fierté devant leurs exploits, nous les nourrissons, les logeons, les lavons, les écoutons, leur achetons des jouets stupides juste pour le plaisir de voir leur visage s’illuminer pendant un quart de seconde, bref, nous les aimons plus que nous-mêmes, alors on peut quand même se permettre de les trouver ridicules avec leur sale manie de regarder Caillou ou de collectionner des cartes Pokémon, non ?

Les chroniques rassemblées dans ce livre se divisent en deux catégories. Premièrement, il y a les situations dans lesquelles nous pouvons rire de nos enfants en général. Et, deuxièmement, il y a les situations lors desquelles j’ai moi-même ri de mes enfants en particulier. Oui, du vécu ! Des trippes ! De la réalité authentique ! Que voulez-vous, ça vend de la copie et l’éditeur m’y a forcée.

Ah, j’allais oublier : je ris aussi beaucoup des papas dans ce livre, mais, chut !, ne leur en parlez pas. De la testostérone, c’est très sensible, ça pourrait se mettre à pleurer pour un rien et on en a bien assez à gérer avec nos tout-petits.

10 - Chroniques d’une mère indigne

Quoi qu’il en soit, chers parents, j’espère que la lecture de cet ouvrage vous encouragera à développer votre indignité.

C’est à cette seule condition que vous survivrez. En plus de vous simplifier la vie, c’est très facile d’entretien, ça ne rétrécit pas au lavage et tous vos voisins en voudront une semblable.

Enfin, ça, c’est moi qui le dis.

Introduction - 11

Les personnages principaux

Introduction

Seuls les indignes survivront

M ère indigne : De son propre

avis, elle est de loin l’être le

• Les personnages principaux

plus charmant, intelligent et drôle

de ces récits (en fait, c’est moi). Elle supporte et va même jusqu’à aimer

la vie de famille grâce à une bonne dose d’humour et à une merveilleuse invention appelée le gin tonic.

Père indigne : De son propre avis, il est de loin l’être le plus charmant, intelligent et drôle de ces récits. Grâce à sa nationalité belge, il possède sagesse et bonne humeur, en plus des frites-moules à volonté. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Père indigne supporte et va même jusqu’à aimer Mère indigne. En plus, il repasse et plie les vêtements de toute la famille sans même devoir faire appel à une vodka double.

Fieu.

Fille Aînée : C’est objectivement, et de loin, l’être le plus charmant, intelligent et drôle de son école. Tellement que les garçons autour d’elle se battent pour obtenir ses faveurs (un regard, un sourire, jouer à la famille chauve-souris dans la cour de récré). Comme elle le dit elle-même, « c’est normal que plusieurs garçons m’aiment. Je suis belle, j’ai l’intelligence, j’aime les sports et, en plus, je ne suis allergique à aucun animal ». Elle est aussi très, très drôle.

12 - Chroniques d’une mère indigne

Bébé : En toute impartialité, il s’agit, et de loin, de l’être le plus charmant, intelligent et drôle de sa garderie. Le fait de ne pas encore savoir parler n’empêche pas un enfant de vouloir vivre sa vie comme il l’entend, et Bébé en est la preuve vivante.

Elle est un être dont la présence se fait farouchement sentir, au moins autant que les horreurs que nous trouvons régulièrement dans sa couche.

Eugénie : C’est l’amie de Fille Aînée et la fille de nos amis.

Il s’agit sans aucun doute de l’être le plus retors, sournois et consternant de la planète. C’est d’ailleurs pour ça que nous l’aimons autant. Enfin, de loin.

Jean-Louis XXX : Ah, Jean-Louis, Jean-Louis ! Pourquoi m’as-tu abandonnée ? Hum. Jean-Louis, euh, ce n’est qu’un bon ami. C’est tout.

Introduction - 13

On en a marre !

Révélation-choc

On en a marre !

• Révélation-choc

M ère indigne est entourée

d’enfants au visage tout rouge

Combines et combinés

et boursoufflé. Certains ricanent,

L’important, dans la vie ( 3 )

mais la plupart reniflent ou

Pastus horribilis

s’essuient les yeux. En soupirant,

Cryptomanie ( 1 )

elle dépose son roman policier et

Illustration : Confession estivale

s’adresse à la foule.

Vert luisant, une fiction cathartique

« Les enfants ! Les enfants, du

calme. Je viens de coucher Bébé,

et vous connaissez la règle : celui qui réveille Bébé est obligé de la rendormir. Tu te souviens, la dernière fois, Audrey, tu avais trouvé l’après-midi long, hein ?

Alors, on se calme.

Qu’est-ce que vous vouliez ? »

Les enfants se lancent dans un charabia d’explications incompréhensibles. La seule chose dont Mère indigne est certaine, c’est que tous affirment à un moment ou à un autre que

« c’est pas moi, c’est la faute à… ! » Mère indigne retient quelques jurons et décide plutôt que le moment est venu d’entreprendre une grande réforme :

« Bon, d’accord, ça suffit. On arrête tout. Chaque fois, vous venez me voir et c’est toujours la même rengaine. Mais là, je n’en peux plus. Et, pour une fois dans votre courte vie, je vais vous dire la vérité.

Z’êtes prêts, mes petits bouts de chou ?

14 - Chroniques d’une mère indigne

La vérité, c’est que Je. M’en. Fiche. Oui, oui, vous avez bien compris ! Je m’en contrefous. Je ne veux pas le savoir, c’est la faute à qui.

Ça vous en bouche un coin, n’est-ce pas ? Et, tant qu’à faire, aussi bien que vous le sachiez : je parle au nom de tous les parents. On n’en a rien à cirer de qui a commencé quoi en disant je ne sais quelle ânerie. Même si ça saigne. L’important

— je vais vous le dire c’est quoi, l’important, une fois n’est pas coutume — l’important c’est qu’on puisse retourner le plus vite possible à nos activités urgentes d’adultes, j’ai nommé : lire notre roman policier. Et ne me regardez pas comme ça ; si vous croyez que ce serait préférable de faire du ménage, faites-en.

Et, si ça continue, il y en a quelques-uns parmi vous qui vont aussi faire du vent. Vous le savez, quand y’a la chicane, c’est chacun chez soi. »

D’un geste impératif, Mère indigne interrompt les protestations, distribue quelques mouchoirs aux plus morveux et poursuit :

« Pourquoi ça ne m’intéresse pas de savoir c’est la faute à qui ? Je rêve ! Vous vous imaginez vraiment que c’est la fin du monde, vos petites chicanes ? Eh bien, en réalité, c’est totalement inintéressant. C’est dommage, ça ne me fait pas plaisir de vous le dire, mais c’est d’un ennui mortel, vos fichues histoires.

Est-ce que c’est vrai que Roch Voisine ne porte pas de slip sous ses pantalons les soirs de pleine lune, ça, c’est intéressant.

Une soirée « bain de minuit » avec juste les gars dans le bain tourbillon à Loft Story, ça, c’est du potin dégoulinant. À la limite, dites-moi que Dominique Michel conserve son teint en se faisant des cataplasmes à l’extrait de saucisson de Gênes tout en racontant sa liaison hiver-printemps avec Bruce Wil is !

Y’en a, de la substance, là-dedans ! Y’en a, du jus ! Mais qui a On en a marre ! - 15

garroché la petite auto rouge en plastique qui fait même pas mal dans la face de qui, ça, franchement, ça n’a aucun intérêt.

Et vous devriez commencer à vous en rendre compte.

Vous savez ce qu’il a dit, Descartes ? Il n’a pas juste pondu le cogito, Descartes. Que non. Il est aussi l’auteur de ce grand adage fondateur de la philosophie occidentale : sui quildit se sui quile. Mauvaise nouvelle pour tous les petits geignards qui voudraient dire que c’est l’autre qui a commencé, vous ne trouvez pas ? À méditer, Audrey.

Et puis la guerre. Ça vous dit quelque chose, la guerre ?

Des villes détruites, des gens à qui on fait mal et à qui on continue de faire mal même s’ils disent « chute » ? C’est ça, la guerre. Et pourquoi ça existe, la guerre ? Parce que des petits malins se plaignent que c’est l’autre qui a commencé, et que les autres font la même chose. Voilà pourquoi. À la fin, on ne sait même plus de quoi on se plaignait au début. Ça vous rappelle des gens de votre entourage très proche, ça, hmmmm ? Des maisons démolies, des Dairy Queen effacés de la surface de la terre, des nounours démembrés, c’est ça que vous voulez ? …

Ah, oui, on pleure maintenant. On est désolés. Il fal ait y penser avant — graine d’assassins. Quand le vin est tiré, il faut le boire.

Tiens, ça me fait penser, vous irez me chercher une bouteille de rouge au dépanneur tantôt. Comment ça, trop jeunes ? C’est assez vieux pour jouer sur les nerfs des adultes mais trop jeunes pour leur donner le moyen de relaxer ? Audrey, tu prendras mes cartes d’identité.

Ensuite, c’est chacun chez vous.

Quoi ? Vous avez compris la leçon ? Vous ne recommen-cerez plus ? Ah, mais à ça aussi, il fallait y penser avant, mes pôvres choux. Comment ça, c’est pas juste ? Descartes, là, le 16 - Chroniques d’une mère indigne

grand cogitateur, il n’a jamais dit que c’était juste, la vie. Et si lui ne l’a pas dit…

Et pour ceux qui ne seraient pas encore contents, dites-vous bien une chose : c’est pas ma faute, c’est pas moi qui ai commencé. C.Q.F.D. »

Les enfants se dispersent en rechignant. Mère indigne, elle, se promet de distribuer des copies de son discours à la garderie et à l’école, où des parents seraient peut-être même prêts à payer pour se le procurer. Puis elle reprend son polar ; elle n’arrive pas à deviner qui est l’assassin, mais elle sait d’avance que, quand il était petit, rien ne devait jamais être de sa faute.

On en a marre ! - 17

Combines et combinés

On en a marre !

Révélation-choc

J e déteste le téléphone. Même

appeler des amis, ça m’indispose.

• Combines et combinés

En fait, si je recevais une lettre L’important, dans la vie ( 3 )

tout ce qu’il y a de plus légitime Pastus horribilis

qui m’enjoignait d’appeler au

Cryptomanie ( 1 )

1 800 Youppi pour réclamer un

Illustration : Confession estivale

gros lot de 5 000 $ sans condition,

Vert luisant, une fiction cathartique

ça prendrait trois semaines avant

que je me décide.

Mais il y a pire que parler au

téléphone : c’est parler au téléphone avec des enfants.

Qu’on me comprenne. J’aime les enfants. J’en ai deux.

J’aurais commencé à vingt ans et j’en aurais eu cinq si j’avais su. J’ai été amie avec des enfants pendant des années (il y a longtemps). Simplement, je n’apprécie guère la combinaison enfants-combiné.

Enfin, non, ce n’est pas vrai. Il y a bien quelques enfants avec lesquels j’irais jusqu’à dire que j’ai du plaisir à parler au téléphone. Les miens.

Sérieusement, il faut vraiment être plein de ressources et de bonne volonté pour discuter le bout de gras avec un bout de chou. De un, au téléphone, ils n’ont rien à dire. Et les enfants, ils ne sont pas comme des adultes qui n’ont rien à dire : nous, on a le small talk. On parle quand même. Eux, non. Non seulement ils n’ont rien à dire mais, en plus, ils se taisent. De deux, si par hasard ils se décident à proférer un son, je vous parie ce que vous voudrez que ce sera incompréhensible. Insupportable !

18 - Chroniques d’une mère indigne

Vous dites ? Si cela m’exaspère à ce point, je n’ai qu’à ne pas parler aux enfants au téléphone ? Oh, oh, minute : est-ce que j’ai déjà demandé à parler à un enfant au téléphone ? Le diabolique de la chose, c’est que ce sont les parents du chérubin qui, la majorité du temps, imposent ces « conversations » à leurs victimes innocentes.

Une connaissance — Je ne te dérangerai pas longtemps, c’est Machin qui m’a dit que tu avais une bonne recette de pâtes tomates-basilic.

Mère indigne — Heu, oui, alors tu as besoin de quatre tomates, d’ail…

(Cris en voix off : « Veux pahler au téhéphoooooooooone !

Veux ! Wouiiiiiiinnnn ! »)

La connaissance — Minute, y’a Ti-Chou qui me tire les cheveux.

(Connaissance en voix off : « Attends, Ti-Chou, maman parle à Mère indigne. » « Mé moi veux y pahler, bon !!! Veux !!!

Ouinnn ! » « Voyons Ti-Chou, tu ne la connais même pas. »

« Ouiii la connaiiiiiiiis !!! Wouiiiiinnnn !) La connaissance — Bon, Ti-Chou veut te parler. Attends, je te le passe.

Hein ? Quoi ? Mais veux pas lui pahler, moi, à Ti-Chou !

D’abord, je ne me souviens même plus de son nom ! Et ma recette alors ?

Mais il est déjà, hélas, trop tard. Le piège s’est refermé sur moi. Une respiration sifflante se fait entendre à l’autre bout de la ligne.

Mère indigne, de la voix sirupeuse d’usage — Allôôôôô toi !

Comment ça vaaaa ?

Ti-Chou — (Respiration sifflante.)

Mère indigne — Ça va-tu bieeeen ?

On en a marre ! - 19

Ti-Chou — (Respiration sifflante.)

Mère indigne — C’est qui tes amis à la garderiiiiiiie ?

Ti-Chou — (Respiration sifflante. Voix de la mère en arrière-plan : « Dis bonjour, Félix-Robert ! » Ah ! ouais, c’est ça. Félix-Robert.)

Mère indigne, faisant de gros, gros efforts — C’est quoi ton jeu préférééééé, Félix-Robeeeert ?

F.R. — Vhhrimmeian. Ghrruguian. (Ces gargouillis inhumains sont interrompus par le son du téléphone qui tombe par terre. Mon cauchemar serait-il terminé ? « Hon ! Tombééé !

Tiens, Chouchou, le téléphone est ici. » Faut croire que non.) Mère indigne — Pouf, pouf. Es-tu content de t’appeler Félix-Robert, Félix-Robert ?

F.R. — (Respiration sifflante.)

Mère indigne — Sais-tu qu’avec un respir pareil tu pourrais faire des bonnes blagues de pervers au téléphone ?

La connaissance — Je te demande pardon ???

Oups. C’est ça le problème. On ne peut même pas déconner un peu au bout du fil, on ne sait jamais quand les parents vont reprendre le combiné.

À la limite, on pourrait ne rien dire du tout. « Tu ne parles pas, mon p’tit coco ? C’est un jeu qui se joue à deux. » Puis, ayant énoncé les règles, se taire jusqu’à ce que le papa ou la maman reprenne possession de l’appareil. Mais il y a fort à parier que, n’entendant pas sortir du combiné de bourdonnement familier se terminant en point d’interrogation, les parents se douteront de quelque chose. Et seront mécontents. En effet, non seulement il faut de bonne grâce parler à Ti-Chou, il faut de surcroît avoir l’air d’aimer lui parler au téléphone.

20 - Chroniques d’une mère indigne

Ne pourrait-on pas alors continuer tout bonnement à lire notre polar à voix haute, en mettant les intonations sirupeuses aux endroits pertinents ?

— « Le problèèèèème, Conrooooy, c’est que je ne te fais pas confiance pour l’enquêêêêêête » ?

— (Respiration sifflante.)

— « Ah ouaiiiis, Jaaaaack ? »

— (Respiration sifflante.)

— « Eh ben toiiii, ton problèèèème, c’est que tu es un fils de puuuuuute » ?

— Je te demande pardon ???

Eh oui. Prise la main dans le sac, et retour à la case départ.

Tu dis ? Ta fille veut absolument me parler, mais, avec tout ce que je viens de te raconter, tu n’oses pas… ? Heu… Mais non, voyons ! Y’a pas de problèmes ! Tu es une amie, après tout, c’est pas pareil… Et puis je ne voudrais pas que ta Chouchoune se sente rejetée par ce monde d’adultes déjà si opaque et sans pitié. Mais à condition que, si elle ne dit rien, tu reprennes le téléphone après quinze sec… Allô ? Allôôôôô toiiii !… (Respiration sifflante.) Ça va bieeeeeen ?

Engagez-vous, rengagez-vous, qu’y disaient !

On en a marre ! - 21

L’important, dans la vie

( 3 commentaires )

On en a marre !

Révélation-choc

A h, les enfants ! Comme ces

chers petits amours nous

Combines et combinés

aident à remettre nos priorités au

• L’important, dans la vie ( 3 )

bon endroit, n’est-ce pas ?

Pastus horribilis

Il y a quelques années encore,

Cryptomanie ( 1 )

me faire voler ma voiture/perdre

Illustration : Confession estivale

mon travail/attraper un gros rhume/

Vert luisant, une fiction cathartique

me casser un ongle/me faire en-

lever par des extraterrestres pour

jouer dans un film avec Rocco

Siffredi aurait été pour moi la fin du monde. Mais avoir des enfants m’a totalement guérie de cette manie bizarre que j’avais d’accorder de l’importance à quoi que ce soit d’autre que leur petit nombril tout mignon.

C’est merveilleux pour ça, les enfants. Ça nous enlève l’énergie pour penser à autre chose qu’à eux. Ça doit être la nature qui veut ça.

C’est merveilleux, la nature.

Mais, aussi merveilleux tout cela soit-il, il y a quand même une priorité qui n’a pas bougé du haut de ma liste et que même les yeux brillants d’amour de mes petits poussins chéris ne m’empêcheront pas de défendre comme une tigresse blessée protège son territoire : mes cheveux.

En quatre mots : Touche pas à ça.

L’autre jour, Fille Aînée m’a donné un bisou. Je lui ai donné un bisou. Elle m’a fait un gros câlin. Je lui ai fait un gros câlin. Elle a amoureusement plongé ses dix doigts dans les 22 - Chroniques d’une mère indigne

profondeurs de ma chevelure. J’ai hurlé. Ma tête est partie par derrière à la vitesse du cobra effarouché. Même si un cobra n’a pas de cheveux. Mais on se comprend : Touche pas à ça !

Car, mes amis, ce qu’il y a sur ma tête, ce n’est pas qu’une chevelure. C’est une coiffure. Ce sont des cheveux attachés, et qui plus est savamment parsemés des quelques bobépines sur lesquelles j’arrive à mettre la main le matin.

C’est merveilleux, les bobépines.

Et le résultat, calculé au millimètre près, couronne parfaitement mon visage, tout comme un cadre acheté chez Zellers mettrait en valeur, de manière exquise, un beau paysage d’hiver (j’ai le teint pâle) peint par un amateur.

Allons, me direz-vous. Un cadre de chez Zellers et une peinture d’amateur, ce n’est pas du grand art. On n’a pas vraiment besoin d’y faire particulièrement attention. Hé bien justement ! C’est le contraire ! Parce que, s’il y avait une égrati-gnure sur un cadre en or autour d’un Rubens, personne ne la remarquerait. Alors que votre peinture d’amateur, pour ne pas avoir l’air trop cheapette, elle a besoin de toute l’aide que vous pouvez lui donner. Conclusion : on ne touche pas à ça.

Oui, bon, la vanité, l’orgueil, la suffisance, ce sont là de bien vilains défauts. Mais depuis que j’ai des enfants, ma chevelure, c’est tout ce qui me reste en termes d’égoïsme nombriliste individuel, alors je m’y raccroche à deux mains.

Oh, zut. Je me suis complètement décoiffée.

Commentaires ( 3 ) :

Chroniques blondes dit :

Aux premiers temps de mes amours avec le père de Belle Fille, il fallait donner des preuves. J’ai laissé Belle Fille me couper les On en a marre ! - 23

cheveux. Je ne sais pas du tout si ça a été un plus dans la réussite de la famille recomposée mais maintenant, je suis comme vous, Mère indigne : « touche pas à ça » !

Mamouchka dit :

Oh moi j’adore… Lorsque mon deuxième se colle dans mon cou en me tripotant les cheveux comme si j’étais son doudou, je fonds, je dégouline de bien-être. M’en contrefous d’avoir l’air de Tina Turner après la séance de massage capillaire !

Grande-Dame dit :

Je suis prête à tolérer beaucoup d’envahissement physique de mes enfants, mais ma limite est, moi aussi, viscéralement capillaire.

Me faire toucher les cheveux par mes moussaillons est le summum de l’envahissement, fait monter en moi une agressivité destructrice. Ma tête est sacrée.

Un jour, mon amoureux me regardant enlever la quantité effroyable de bobépines de ma digne tête avant mon bain s’exclama : « Mon Dieu, par chance que la foudre ne te soit jamais tombée dessus ! »

Je réalisai, ce jour-là, que ma vanité pouvait me coûter bien cher un soir d’orage.

Comme contrairement à la plupart des femmes je souffre d’intalent capillaire, j’ai réglé la chose en portant maintenant la perruque.

24 - Chroniques d’une mère indigne

Pastus horribilis

J e suis de retour de Québec, où j’ai On en a marre !

été donner une séance de cours Révélation-choc à des étudiants de l’Université Combines et combinés Laval. J’ai commencé à tricoter une L’important, dans la vie ( 3 ) tuque à Fille Aînée dans l’autobus • Pastus horribilis à l’aller, ai harangué les étudiants Cryptomanie ( 1 ) pendant trois heures sur les vertus Illustration : Confession estivale du féminisme en philosophie Vert luisant, une fiction cathartique politique, puis, au retour, j’ai repris

mes aiguilles et terminé la tuque.

De l’avis du prof régulier, je fais partie de la nouvelle génération de féministes. Je crois plutôt que j’ai des problèmes de double personnalité.

Enfin, tout ça pour dire qu’en partant de la maison j’ai gentiment laissé le tube de dentifrice à la menthe à mon mari, pour qui l’apparence et le goût de la pâte avec laquelle il fric-tionne ses perles blanches importent énormément. (Et dire que j’allais à Québec parler de féminisme ! J’aurais dû prendre notre pâte à dents, juste pour marquer le coup.) J’ai plutôt amené pour mon usage personnel un tube qui traînait depuis belle lurette dans l’armoire de la salle de bain. Un tube de dentifrice pour enfants.

En deux mots : Pou. Ache. En plusieurs : Je ne comprends pas comment les fabricants de dentifrice qui produisent un magma aussi infect ne passent pas leur temps devant les tri-bunaux. Ça goûte le punch aux fruits. Qui serait assez déviant pour se brosser les dents avec du punch aux fruits ?

On en a marre ! - 25

Mais oui, évidemment : les enfants.

Rendons-nous à l’évidence, nos petits chérubins ont, la plupart du temps, un goût infect, autant pour ce qu’ils aiment se mettre sur le dos (l’inexplicable attrait du rose nanan et de la tulle auprès des petites filles) que pour ce avec quoi ils préfèrent s’empiffrer (bonbons au goût horriblement chimique, chocolat à la texture de vieille cire, etc.).

J’imagine qu’on fait des focus groups pour déterminer quelle saveur auront les nouveaux dentifrices pour enfants. À

mon humble avis, les jeunes participants devraient auparavant être triés sur le volet par le biais d’une entrevue habilement menée :

La Madame de Crest — Qu’est-ce que tu préfères manger, mon petit ?

Junior — Des z’œufs Cadbury, du poulet du Colonel et des zuzubes.

La Madame de Crest — Tu n’oublies pas les pogos tièdes ?

Junior — Oui !!! Les pogos !!! Fwoids ! Avec de l’oranzade !

La Madame de Crest — Excellent. (Se tournant vers les parents :) Désolé Monsieur, Madame, mais votre enfant n’est pas apte à participer à notre focus group. Notre habile ques-tionnaire a déterminé qu’il a un goût infect.

Junior — Ouinnnnn !

Les parents — Allons chéri, ce n’est pas grave… Viens, on va aller se consoler avec un bon Big Mac.

Évidemment, je rêve en couleur. C’est l’enfant moyen qui dicte ce qu’il y a sur le marché enfantin, et l’enfant moyen aime les œufs Cadbury et les jujubes. D’où le fait que sa pâte à dents sera éternellement insupportable aux adultes.

Remarquez, l’inverse est aussi vrai. Fille Aînée en tout cas déteste notre dentifrice mentholé. Et ce n’est pas surpre-26 - Chroniques d’une mère indigne

nant : comment des créatures qui ingurgitent des mets aussi détestables que les huîtres et le foie de veau, et qui boivent des mixtures putrides comme le café et le vin rouge, pourraient-ils utiliser un dentifrice qui plaise à ces petits êtres délicats que sont les enfants ?

Le choc des générations est bien réel. Mais attention les enfants, un jour, vous deviendrez grands, et la menthe finira par vous avoir au tournant.

On en a marre ! - 27

Cryptomanie

( 1 commentaire )

On en a marre !

Révélation-choc

J e ne sais pas si vous aviez re-

marqué, mais les enfants sont

Combines et combinés

naturellement des experts dans le

L’important, dans la vie ( 3 )

brouillage de pistes. À la question

Pastus horribilis

traditionnelle « Qu’est-ce que tu

• Cryptomanie ( 1 )

as fait à l’école ? », 99 % des parents

Illustration : Confession estivale

se voient chaque jour confrontés

Vert luisant, une fiction cathartique

à une tout aussi traditionnelle

réponse « Rien ! » Quand au 1% qui

reste, il a droit à un bavard « Pas grand-chose ».

J’imagine que les enfants, sachant que leurs parents fini-ront de toute façon par tout savoir, s’évertuent à leur rendre la tâche la plus compliquée possible.

Me considérant passablement fin finaude, je croyais avoir trouvé une voie de contournement pour découvrir ce que Fille Aînée fait à l’école. Au lieu de la question classique, j’y allais d’un : « Quels ont été ton meilleur et ton moins bon moments aujourd’hui à l’école ? » Pas moyen d’y couper, n’est-ce pas ?

Sûrement, Fille Aînée devrait me donner au moins quelques détails sur sa journée.

Au début, cela n’a pas trop mal fonctionné. Mais à maligne, maligne et demie. Se voyant acculée au pied du mur, Fille Aînée a réussi à élever sa technique de cryptage au niveau de l’art.

En effet, je me suis aperçue un jour que, pour la 46e journée consécutive, elle me répondait que son meilleur moment avait 28 - Chroniques d’une mère indigne

été de croiser une copine dans le couloir de l’école, ou bien de rentrer en bus avec sa meilleure amie.

Depuis, j’ai pour ainsi dire jeté la serviette. Chaque jour, je pose toujours la même question, mais Fille Aînée ne se fend même plus d’une vraie réponse. « Je n’ai pas eu de meilleur ou de moins bon moment, toute la journée a été bonne. » Pas mal équivalent au « Rien ! » du début, vous ne trouvez pas ?

Tout ça pour vous raconter qu’hier j’ai dû me mesurer à une véritable conspiration de cryptomanes. Audrey (une petite voisine) et Eugénie étaient venues jouer à la maison, quand tout à coup Véronique, une autre petite voisine, arrive en réclamant Audrey. Je suis à ce moment-là en train de faire manger Bébé, mais cela ne m’empêche pas d’épier la conversation : Véronique — Audrey ! Viens, on a besoin de toi !

Chuchotements provenant du sous-sol.

Audrey — J’arrive !

Eugénie — NON ! N’y va pas, Audrey !!!

Sachant qu’Eugénie est habituellement du type à cracher dans l’œil du diable, j’ai immédiatement la puce à l’oreille.

Audrey, Véronique et Fille Aînée — Ne t’en fais paaaas Eugénie, y’a pas de danger.

Eugénie — NOOOOON !

Mère indigne — Tout va bien, les filles ?

Les 4 filles en chœur — Ouiiiiii !

Évidemment.

Audrey part avec Véronique. Je crois vaguement l’entendre demander à sa sœur où se trouve notre balai (???). Ma décision est prise : je donne des fruits à Bébé ; les voisins s’arrangeront On en a marre ! - 29

avec leur progéniture. Mais je n’abandonne pas l’idée de découvrir le fin mot de l’histoire.

Quelques minutes plus tard, Audrey est de retour : Mère indigne, mine de rien — Ça va, Audrey ?

Audrey, mine de rien — Oui !

Chuchotements dans le sous-sol.

Bah, me dis-je. Les autres peuvent bien se taire, je finirai par tirer les vers du nez à Fille Aînée. Ayant été fille unique pendant 6 ans, elle n’a pas développé aussi bien que d’autres la capacité à déjouer l’Inquisition maternelle. Enfin, c’est ce que je croyais.

En soirée, alors que je donnais le bain à Bébé, Fille Aînée entre dans la salle de bain pour satisfaire une envie pressante. Ça y est ! Mon témoin est captif, je peux le questionner à loisir.

Mère indigne — Pourquoi Audrey devait-elle aller aider Véronique tout à l’heure ?

Fille Aînée — Ah, c’est à cause du vélo qu’on a volé, elle voulait voir à qui c’était.

J’ai tout à coup un pressentiment terrible.

Mère indigne — Quand tu dis « on a volé un vélo »…

Fille Aînée, d’un ton horrifié — Pas nous !

Malheur ! C’est bien ce que je croyais. Fille Aînée est la seule Québécoise à utiliser le « on » correctement, en excluant la personne qui parle.

Fille Aînée poursuit — C’est un vélo qui avait été volé et les filles l’ont mis là et puis Audrey a fait semblant qu’elle avait un bras cassé mais moi je ne la croyais pas mais là ils voulaient savoir qui viendrait le prendre.

Mère indigne — Tout cela est limpide. Mais à qui est ce vélo, en fait ? Et pourquoi Audrey avait-elle besoin de notre balai ?

30 - Chroniques d’une mère indigne

Fille Aînée au supplice, se tortillant et regardant vers la porte — Ben, je sais pas, puis de toute façon je venais juste ici faire un p’tit caca.

Mère indigne — J’avais remarqué.

Et Fille Aînée de se sauver en courant, laissant dans son sillage un parfum… de conjectures.

Épuisée par toutes ces dérobades, je n’ai pas cherché à en savoir plus.

Mais, depuis hier, je garde le balai dans un endroit connu de moi seule. Toute personne voulant l’emprunter devra se soumettre à un interrogatoire sans pitié.

Qu’on se le dise : le parent vaincra.

Commentaire ( 1 ) :

Prof Maudit dit :

En tant que prof, je suis confronté quotidiennement à la cryptomanie infantile exposant 25 puisque chaque élève a sa variante propre.

La cryptomanie scolaire est beaucoup plus secrète et complexe, composée de mots choisis sur un schème en constante évolution et de variances d’intonation, l’ensemble appuyé d’un non-verbal saisissant emprunté à un numéro du Cirque du Soleil ou à une race d’aliens gesticulants de Star Trek. Devant cette quantité effarante de codes, les enseignants ont développé moult stratagèmes, pièges, interrogations et tractations pour arriver à leurs fins et les coincer d’une manière tout à fait inhumaine. Et ce pour avoir réponse à des questions aussi banales que « Où est ton devoir ? » ou « Peux-tu m’expliquer comment ça se fait que ça te prend 30 minutes al er aux toilettes ? » J’utilise également mes nouveaux pouvoirs démoniaques pour apprendre ce qu’ils ont fait la fin de semaine chaque fois qu’ils me répondent « Rien de spécial ». Il existe malheureusement un code d’éthique très strict qui m’empêche, chère Mère indigne, de partager cette science avec vous. Bon courage dans vos décryptages !

On en a marre ! - 31

Confession estivale

32 - Chroniques d’une mère indigne

Vert luisant, une fiction cathartique

M adame est à l’épicerie, avec On en a marre !

Bébé qui rechigne sans arrêt Révélation-choc depuis le matin.

Combines et combinés

Madame porte un col roulé noir, L’important, dans la vie ( 3 ) des jeans et des souliers- pantoufles, Pastus horribilis seule tenue adéquate quand el e n’a Cryptomanie ( 1 ) pas le temps de prendre sa douche Illustration : Confession estivale et que ses cheveux sont en batail e, • Vert luisant, une fiction cathartique même après avoir été coiffés (avec

les doigts).

Madame évite les miroirs et respire len-te-ment.

Bébé, lui, porte en permanence un filet de morve au nez, d’un vert qui n’a jamais été vraiment tendance. Mais Bébé s’en fout des tendances. Il rechigne et produit encore plus de morve ; son but dans la vie est de noyer Madame sous ses déjections nasales. Il est d’ailleurs en bonne voie d’y arriver : le chandail de Madame en témoigne à hauteur d’épaule, ainsi que son jean au milieu de la cuisse. Ça reluit, et on sent que ce n’est pas du 24 carats.

Madame a très, très hâte 1) que l’épicerie soit finie, 2) que Monsieur rentre du boulot et 3) que Bébé atteigne sa majorité.Un employé de l’épicerie, qui fait monter la moyenne d’âge du personnel à environ 25 ans (les quatorze autres en ont environ 17), s’avance vers Madame d’un air jovial. Il a l’air de passer une journée fantastique. Madame le déteste déjà.

On en a marre ! - 33

— Bonjour ma p’tite Madame ! Avez-vous un p’tit goût d’sucré c’t’après-midi ?

Madame jette un coup d’œil sur les produits de l’érable disposés sur un étalage que lui pointe l’employé. Elle sait que, si elle y goûte, 1) elle en aura dans les cheveux, elle ne sait trop comment mais c’est certain ; 2) Bébé en aura dans les cheveux, elle ne sait trop comment mais c’est certain ; 3) elle cassera la gueule de l’employé, elle sait comment et c’est sûr et certain.

— Non, je vous remercie.

Elle esquisse le sourire de quelqu’un qui a croqué dans un citron et s’apprête à s’éloigner. Mais l’employé, manifestement un fétichiste de dames malpropres et de poupons morveux, n’a pas dit son dernier mot.

— Ah, pis le ti-bébé, comment y va le ti-bébé ?

— Mal.

— Y va mal, le ti-bébé ?

— Oui.

— Y veut-tu du sucré sur sa su-suce, le ti-bébé ?

— NON.

— Vous y en donnez pas ?

— NON.

Le ton de Madame signifie clairement : « Laisse ti-bébé tranquille, c’est pas toi qui paye les frais de dentiste. »

L’employé s’approche de ti-bébé.

— Alllllô ti-bébé ! Comment ça, ta maman dit que tu vas mal ?Après avoir toisé l’individu pendant quelques secondes, Ti-bébé rend son jugement :

— Oooouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiinnnnnnnnnnnnnnnnnn !!!!

L’employé bat en retraite et murmure d’un ton plus sobre :

« Ah, ben oui. Y va pas bien. »

34 - Chroniques d’une mère indigne

Madame respire len-te-ment. Elle sort ti-bébé du panier et le dépose dans les bras de l’employé jovialiste.

— Va voir le monsieur, chéri. Il veut te donner du sucré, et pourquoi pas, hein ?

Dans les bras de l’employé, Bébé hurle à fendre l’âme et l’homme, ahuri, le rend précipitamment à Madame. Mais pas assez précipitamment pour éviter la longue traînée de morve sur son sarrau blanc, substance d’un vert qui ne s’accordera jamais très bien avec les produits de l’érable.

— Mon Dieu, Monsieur ! Je suis désolée. Bébé n’était pas dû pour du sucré, aujourd’hui. À une prochaine fois, j’espère !

Mais l’employé n’a pas entendu. Il frotte avec énergie son sarrau blanc, là où ça reluit, et marmonne ce qui ressemble à quelques mauvais mots. Mais Madame a sûrement mal entendu.

Elle s’éloigne avec Bébé qui, tellement soulagé d’être revenu dans les bras de maman, se décide à faire meilleure figure pour ne pas finir dans un panier en osier sur les marches de l’église.

Et pour Madame aussi, ça va beaucoup mieux, merci.

On en a marre ! - 35

À propos de cette grossesse

Quoi de neuf, docteur ? (inédit)

À propos de cette

grossesse

E ntrevue accordée par un gyné-

cologue à Mère indigne, alors

• Quoi de neuf, docteur ? (inédit)

grosse de son deuxième enfant :

À bas le bouchon muqueux ! (inédit)

— Cher docteur, dans votre

L’information, c’est le pouvoir,

grande sagesse, dites-moi, m’est-il

coco ( 4 )

permis de boire du café pendant

Le péril périnéal : lettre à nos amis

ma grossesse ?

abitibiens (inédit)

— Oui, chère madame. Votre

tasse de café matinale ne nuira en

rien au déroulement de votre tâche sacrée.

— Ô, grand prêtre de l’utérus, puis-je boire autre chose que du café pendant ma grossesse ? Dans le sens de… Vous savez… Du bon vin qui endort avant que l’amour, etc. ?

— Petite coquine ! Cessez de me marteler de ces clins d’œil à faire fondre un iceberg…

— Cher imam placentaire, vous savez bien que, de nos jours, un rien les liquéfie, les pauvres icebergs.

— Moui. Cela est vrai. Mais pour revenir à nos moutons, chère disciple au ventre prolifique, vous parliez bien d’alcool, je présume ?

— Voui.

— Eh bien, cette substance vous est tout à fait proscrite.

J’insiste.

— Vous insistez ?

— Bon, puisque vous insistez, je vous dirai tout. Il arrive à mes consœurs gynécologues, lorsqu’elles sont enceintes, de lever le coude.

36 - Chroniques d’une mère indigne

— Noooon ?

— Moui. Un verre à l’occasion, de temps en temps, par-ci par-là. Ne comptez pas sur elles pour l’admettre mais je les ai vues, toutes autant qu’elles sont. Aucune n’a jusqu’à maintenant résisté à un petit muscadet.

— Je sens venir un « Mais ! »

— Mais !

— Je le savais !

— Mais, les trois premiers mois, point d’alcool tu ne prendras.— C’est que, vous voyez, tant qu’à boire, je préférerais le faire les trois premiers mois, pendant que ça ne se voit pas.

Ensuite, lorsque ma silhouette portera le témoignage de mon saint état, la vue d’un verre d’alcool combinée à celle de mon ventre gorgé de vie déchaînera l’opprobre public. Qui me terrifie.

— Soyez encore plus terrifiée des effets que pourraient avoir quelques gouttes du nectar interdit sur le périmètre crânien de vos héritiers, légitimes et autres.

— D’accord, détective de mes entrailles, je vous obéirai.

Avant trois mois, point de rien du tout de malsain.

— Bien.

— Sushis ?

— Non merci.

— Je veux dire : puis-je manger des sushis pendant ma grossesse ?

— Ah, ça, non ! J’insiste !

— Vous insistez ?

— Ah, ça, oui ! Vraiment ! Le poisson cru pourrait contenir des platadis virulents qui pourraient gribouler votre bébé À propos de cette grossesse - 37

dans le conduit substrique et fébriler à tout jamais son aspérus.

Extrêmement dangereux.

— Et les probabilités d’un tel griboulage fébrilant se chiffrent à… ?

— Un pourcentage impossible à percevoir à l’œil nu, mais-qui-veut-prendre-le-risque-c’est-votre-bébé-adoré-et-sans-défense-après-tout !

— Et les Japonaises, elles font quoi ?

— …

— Merci, docteur, pour cette éclairante entrevue. Sayo-nara.

38 - Chroniques d’une mère indigne

À bas le bouchon muqueux ! (inédit)

L e bouchon muqueux, moi, je À propos de cette suis contre.

grossesse

J’entends déjà le concert de Quoi de neuf, docteur ? (inédit) voix féminines qui s’élève autour • À bas le bouchon muqueux ! (inédit) de moi : « Voyons, Mère indigne, L’information, c’est le pouvoir, le bouchon muqueux, on ne peut

coco ( 4 )

pas être contre ! C’est là, ça existe, Le péril périnéal : lettre à nos amis c’est un fait… Ce serait comme

abitibiens (inédit)

être contre, on ne sait pas, nous, les dents ! »

Premièrement, qu’est-ce qui vous dit que je ne suis pas contre les dents ? Et deuxièmement, j’ai une mauvaise nouvelle pour vous. Votre réaction m’indique que vous êtes vous aussi victimes de la conspiration des bouchons muqueux.

D’abord, c’est quoi, un bouchon muqueux ? (Ça, c’est l’autre concert de voix, les masculines, qui s’était élevé en premier pour poser la question mais que j’avais délibérément choisi d’ignorer.) Hé bien le bouchon muqueux, Mesdames et Messieurs, ce n’est pas seulement la grosse masse de mucus morveux qui protège l’entrée de l’utérus lors de la grossesse, c’est aussi et surtout une mauvaise blague pour les femmes enceintes. Car, dans le folklore de la grossesse, perdre son bouchon muqueux est censé signifier que l’on va accoucher incessamment, sous peu.

Ah, ah, ah, la bonne blague.

Imaginez : vous êtes enceinte du cou jusqu’aux genoux. À

huit mois et trois quarts de grossesse, vous êtes quasi paralysée, À propos de cette grossesse - 39

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

n’ayant et ne pouvant avoir d’autre distraction que le jeu de solitaire sur l’ordinateur. Vous n’en pouvez plus de jouer au solitaire sur l’ordinateur.

Mais non, c’est vrai, vous avez un autre passe-temps. Il consiste à aller aux toilettes aux quatre minutes pour y laisser échapper trois ou quatre gouttes de pipi. Cinq au maximum.

Pendant la grossesse, votre ventre est en effet devenu une cour d’école où sévit un grave problème de taxage : votre bébé-

tyran s’amuse à terroriser votre vessie. La peur a rendu cette dernière minuscule ; elle se terre dans le petit coin qui lui reste et reporte toute sa hargne sur vous, en vous forçant à vous réfugier, à votre tour, au petit coin. Toutes les quatre minutes.

Pour presque rien.

Bref, après avoir retourné quelques cartes du maudit solitaire, vous allez aux toilettes.

Et c’est là, Mesdames et Messieurs, que vous faites la rencontre du bouchon muqueux.

Bon, oui, c’est une grosse masse de mucus morveux, c’est dégueulasse, mais en même temps vous avez lu tous les bouquins, vous avez vu toutes les photos sur Internet (oui, oui !), et vous savez ce que ça signifie : « Le bouchon muqueux précède de quelques heures ou de quelques jours le déclenchement du travail. » Le déclenchement du travail ! L’accouchement ! La libération !!!

Juste le nom, d’ailleurs, vous rend de bonne humeur. Un bouchon ! Quand ça saute, un bouchon, qu’est-ce qu’on fait ?

On boit le champagne, pardi ! Votre bouchon sauté, Bébé ne se tiendra plus de joie, il voudra quitter son espace de jeu devenu tout rikiki et viendra allégrement s’amuser dans la cour des grands ! Donc, ailleurs que dans votre ventre ! Adieu, solitaire !

Adieu, pipis incessants !

40 - Chroniques d’une mère indigne

Vous appelez votre mari (« C’est quoi, un bouchon muqueux ? Ah, oui ? Ah, bon. C’est fantastique, mon amour. Enfin, je crois. ») Vous appelez vos amies, votre mère (« Tu as perdu ton bouchon muqueux ? GÉ-NIAL ! J’espère que ta valise est prête ! Moi, quand j’ai perdu le mien, j’étais à l’hôpital trois heures plus tard. »). Vous exultez. Vous faites votre valise.

Et vous attendez.

Vous attendez.

Et vous attendez encore.

Et encore.

Treize jours de solitaire sur l’ordinateur et quatre cents allers-retours aux toilettes plus tard, vous êtes en salle d’accouchement. Le bébé est en retard, il faut provoquer.

Vous pourriez tout aussi bien avoir lu l’avenir dans votre bouchon-muqueux-censé-précéder-l’accouchement-de-quelques- heures-ou-de-quelques-jours ou l’utiliser pour choisir vos numéros chanceux à la loterie. Vous auriez sans doute eu de meilleurs résultats.

Oui, on peut être contre le bouchon muqueux. Le bouchon muqueux est un traître. Mon conseil ? La prochaine fois que vous le voyez, soyez sans pitié. Tirez la chasse sans même regarder en arrière.

C’est vraiment tout ce qu’il mérite.

À propos de cette grossesse - 41

L’information c’est le pouvoir, coco

( 4 commentaires)

À propos de cette

grossesse

C e n’est pas tout le monde qui

en parle, mais c’est dans l’air

Quoi de neuf, docteur ? (inédit)

du temps. Vous savez, ze grand

À bas le bouchon muqueux ! (inédit)

tabou, celui qui fait se retrousser les

• L’information, c’est le pouvoir,

nez et démissionner les présidents

coco ( 4 )

de conseil d’administration ?

Le péril périnéal : lettre à nos amis

Oui, oui, il est bien question

abitibiens (inédit)

ici du coco. (C’est tellement tabou,

vous m’excuserez, j’ai remplacé les

« a » par des « o ».)

C’est fou, quand même. On peut parler de vibros, de barjos, des masos et de leurs sados, on peut discuter Guantanamo et même tricot, mais quand il s’agit du coco, c’est l’omerta.

Je ne parle pas ici des cocos de bébé, non. Ceux-là, contrairement aux autres, n’ont rien de tabou. N’importe quel bouquin consacré à l’élevage de nos poussins nous parlera en long et en large de la couleur de leurs cocos, de leur consistance, de leur quantité par jour et de leur masse par couche selon ce qu’ils ont bu et mangé, ou selon quel épisode de Caillou ils ont regardé la veille. Rien ne nous est épargné.

Par contre, nous, les mères, nous sommes confrontées à l’expérience d’un vrai coco tabou. Je parle du coco secret, humiliant, auquel pas un seul de ces livres hypocrites qui nous invitent à accepter notre douleur ne nous prépare : le coco de l’accouchement.

Inutile de nier, on est toutes passées par là. Souvenez-vous, vous êtes à l’hôpital, vous contractionnez comme une folle 42 - Chroniques d’une mère indigne

depuis des heures, vous n’en pouvez plus d’attendre le moment béni où une infirmière viendra vous tripoter le col pour s’exclamer enfin, enfin !, que « Madame, vous êtes à 10, vous allez pouvoir commencer à pousser ». Vous attendez, vous souffrez, vous sacrez, tout ça dans l’ordre, dans le désordre et en simultané, quand soudain… vous avez envie. Genre, vraiment envie ?

Et c’est là que vous entrez dans la twilight zone.

Vous : « Infirmière, je, euh, je crois que j’ai envie. »

L’infirmière, d’un air sournois : « Ah, ah ! Je vais vous examiner. »

Vous examiner ? Mais pourquoi ? Vous avez juste envie !

Le hic, c’est que dans l’imaginaire délirant des infirmières en obstétrique, on ne peut jamais avoir simplement envie. L’infirmière et Freud, même combat : que vous le vouliez ou non, votre envie en cache une autre. « Vous avez envie de coco ?

Mais non, Madame, vous n’y connaissez rien. Vous n’avez pas envie de coco, vous avez juste envie de pousser pour faire sortir votre mignon bébé tout rose. » Ah oui ? Ah bon.

Alors, vous poussez. Après tout, c’est vrai que vous avez envie d’un mignon bébé tout rose. Et là… Mon Dieu. L’innommable. Vous essayez de vous retenir, mais avez-vous déjà essayé d’inspirer par une narine pendant que vous expirez par l’autre ?

Vous jetez un coup d’œil catastrophé à votre mari qui, lui aussi, attend le mignon bébé tout rose. Vous voyez qu’il voit. Tout. Il s’empresse de regarder ailleurs, mais le mal est fait. « Mon couple est mort », vous dites-vous, plongée dans un abysse de honte et de misère. Et vous comprenez soudain pourquoi on gardait les hommes hors de la salle d’accouchement dans le bon vieux temps.

À propos de cette grossesse - 43

L’infirmière, elle, vous essuie les fesses comme si c’était toujours comme ça. Vous : « Je… Je suis désolée ! Excusez-moi !

Vraiment, je… »

L’infirmière, d’un ton légèrement méprisant pour la débu-tante que vous êtes : « Ça va, c’est toujours comme ça. »

Ah oui ? Ah bon ???

Eh oui, les amis. C’est toujours comme ça. C’est toujours comme ça, mais personne ne nous le dit.

À mon second accouchement, j’étais prête. J’ai poussé, il y eut des dommages collatéraux, mais j’ai déclaré à l’infirmière d’un ton léger : « C’est toujours comme ça, hein ? » En soupirant, elle m’a répondu que « oui, pour moi aussi, ça a fait ça à mes trois accouchements. Je me demande pourquoi personne n’en parle. »

Hé bien, voilà. C’est fait. Ensemble, on a levé l’omerta.

Dorénavant, vous aussi pourrez un jour plaisanter gaiement avec l’infirmière qui vous essuiera le popotin après un coco en direct.

On dira ce qu’on voudra, c’est beau, l’accouchement.

Commentaires ( 4 ) :

Véronique dit :

Je ne suis même pas une future maman (j’espère quand même le devenir), et pourtant c’est une question que je m’étais déjà posée ! Je me disais que ce serait logique qu’il arrive ce genre de truc, non ? Maintenant j’hésite entre manger léger avant l’accouchement et ne pas avoir d’enfants, finalement…

French Lily dit :

Quel soulagement de voir confirmer ce que je croyais : en 35 000

ans d’humanité je ne pouvais pas être la seule à qui ça arrivait !

44 - Chroniques d’une mère indigne

Madame Chose dit :

Je comprends TELLEMENT maintenant pourquoi Matante Chose me disait : « Tu vas avoir un beau cocooooo ! As-tu hâte d’avoir ton beau cocoooo ? Heille, un beau ti-cocoooo ! » Moi je pensais naïvement qu’elle faisait référence à ma date prévue d’accouchement qui coïncidait avec Pâques.

Jeanne dit :

Merci mon Dieu, j’ai adopté…

À propos de cette grossesse - 45

Le péril périnéal :

lettre à nos amis abitibiens (inédit)

À propos de cette

grossesse

C hers amis abitibiens,

Trop absorbée, l’été dernier,

Quoi de neuf, docteur ? (inédit)

par la voix d’or de votre Toutou

À bas le bouchon muqueux ! (inédit)

chantant, j’ai complètement oublié

L’information, c’est le pouvoir,

de vous parler du périnée (voir Les

coco ( 4 )

aventures d’un toutou chantant,

• Le péril périnéal : lettre à nos

p. 161). Vous savez, le périnée ?

amis abitibiens (inédit)

En fait, je dis « vous savez, le

périnée ? » alors que j’ai toujours

moi-même été un peu confuse à son sujet. Bon, le périnée est un muscle de la région de la bobette, présent chez tous les êtres humains (je n’ai pas vérifié, mais c’est ce qu’on dit dans les hautes sphères). Le périnée se révèle être, et c’est tout à son honneur, un allié naturel dans la rétention du pipi en soutenant vaillamment sa camarade la vessie, même dans les situations les plus adverses (exemple : vous devez désespérément faire pipi depuis plus de deux heures mais vous êtes pris dans une discussion sportive palpitante – ça ne m’est jamais arrivé, mais qui suis-je pour juger ?). Vous comprendrez alors qu’un relâchement du périnée est une épreuve dramatique, car il entraîne dans son sillage la démission de la vessie ; celle-ci a alors toute liberté de s’affaler devant votre télévision intérieure sans plus se soucier de vous voir mouiller votre petite culotte en pleine entrevue d’embauche.

Personnellement, je n’avais jamais réellement eu à me préoccuper du périnée avant de tomber enceinte. Mais, une fois que se mirent à germer, dans mon corps devenu temple 46 - Chroniques d’une mère indigne

sacré, les fruits d’un amour légitime, certaines lectures me convainquirent de me pencher discrètement sur cet organe.

Comme vous aurez bientôt l’occasion de le constater, mes chers amis abitibiens, ce fut un exercice périlleux et, pour finir, inutile.

On me conseilla vivement de faire des « exercices péri-néaux prénataux ». En gros, on aurait voulu que je me contractionne vigoureusement le muscle du milieu environ cinq cents fois l’heure, six heures par jour, sous prétexte de le rendre tout beau et tout ferme avant le passage en grandes pompes de nos héritières. Et non seulement fallait-il contracter, mais il aurait aussi fallu masser. Masser mon périnée ? Je ne sais même pas encore où est mon point G !

Oubliant le massage en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « huile d’amande douce », j’ai quand même essayé les contractions. Laissez-moi vous dire : c’est fatigant. Faites-le, juste pour voir. Allez, soyez chic : tous en chœur, une vingtaine de fois. Ho, hisse ! Ho, hisse ! Vous voyez bien, ce n’est pas de la tarte ! En plus, si on décide de profiter de notre promenade matinale en métro pour exécuter discrètement lesdites contractions, on se rend compte que notre esprit est tout entier absorbé par nos basses œuvres. Impossible de penser à autre chose. Notre regard acquiert alors une qualité zombiesque, les gens qui nous entourent sont envahis par la crainte du terrorisme et, pour finir, on sort de notre transe cinq stations de métro trop loin. Et tout ça pour que l’accouchement le démolisse de toute façon, ce fichu périnée.

Bref, je me suis présentée deux fois en salle d’accouchement avec un périnée amateur. S’il a souffert, ce n’était certainement pas autant que moi.

À propos de cette grossesse - 47

Je croyais pouvoir à nouveau faire entrer mon périnée dans le royaume de l’oubli, mais, pour la nouvelle mère que j’étais, le combat se poursuivit. Les appels à la mobilisation se firent encore plus pressants. « Après l’accouchement, le mot-clé est renforcer, renforcer, et renforcer encore ! », écrivait-on en lettres de feu dans tous les ouvrages de référence. « Ah oui ? », brûlais-je de répliquer. « Renforcer encore, sinon quoi ? Vous allez me dénoncer à la police ? » « Mais non, pauvre imbécile.

Sinon, ton plancher pelvien va rester tout usé et tu te mettras à uriner partout sans avertissement. » On me mettait en garde contre tout ce dont je n’avais jamais eu à me préoccuper auparavant : si je ne rééduquais pas correctement mon périnée délinquant, les éternuements, le rire, le sport et même les rapports sexuels étaient susceptibles d’être interrompus par des pipis intempestifs.

Mfff. Franchement. De qui se moquait-on ?

Je décidai, animée d’une fougue révoltée, que je n’en avais rien à cirer, de mon plancher pelvien. Après tout, ce n’est pas comme si la visite pouvait voir qu’il accumulait la poussière !

Et puis, on est au troisième millénaire, que diable ! Si l’usure de mon plancher pelvien en venait à m’incommoder, on aurait qu’à installer à sa place du beau plancher stratifié, fini merisier, résistant à l’humidité, facile à nettoyer au chiffon doux et ne nécessitant ni cirage ni décapage. (Ou peut-être occasionnelle-ment, selon Père indigne.)

Bref, mon périnée s’est débrouillé tout seul. Oh, j’ai bien connu quelques épisodes de « oups, j’ai éternué et je n’ai pas seulement besoin d’un mouchoir », mais c’est normal, tout ça, n’est-ce pas ? On n’en fera pas tout un plat.

C’est normal.

48 - Chroniques d’une mère indigne

Bon, on s’amuse bien, mais il n’y a pas que ça, dans la vie. Il faut que je me remette au travail. Alors je vous dis au revoir et

– comment ? Pourquoi je vous ai parlé du périnée, à vous, chers amis abitibiens ? Ah. Oui. J’oubliais.

Je voulais juste vous dire que, l’été dernier, j’ai fait pipi sur votre trampoline.

À propos de cette grossesse - 49

Bébés : les aimer, y survivre

1001 blagues pour nouveaux parents

Bébés : les aimer, y survivre

• 1001 blagues pour nouveaux

J ’ai des livres de blagues à la

maison. Des livres de blagues

parents

pour les parents. Ils s’intitulent

Dors, dors, ma petite &*$%#@

Mon enfant : je l’attends, je l’élève Illustration : Dodo-confession

et Mieux vivre avec notre enfant,

Vacances à Cuba (Guantanamo)

de la naissance à deux ans. On ne

Têtes chercheuses

dirait pas des titres de livres rigo-

Du premier au second :

los, et pourtant ! Une vraie mine de

la sortie de Maman ( 1 )

plaisanteries.

C’t’une fois deux mères ( 1 )

J’ai juste le temps d’une sieste

À la guerre comme à la guerre

de bébé pour vous en parler, mais

(inédit)

voici les trois meilleures :

Illustration : Confession sur l’oreiller (inédit)

1) « Votre nouveau-né ne peut

Sévices de garde ( 3 )

pas se forcer à rester éveillé, et, À afficher lundi à la garderie

une fois endormi, rien ne peut le

T’as une tache là! ( 1 )

troubler, tant qu’il n’a pas eu son compte de sommeil. »

Les parents parmi vous se

roulent déjà par terre de rire. En réalité, tout géniteur un tant soit peu expérimenté sait fort bien qu’un bébé fatigué ne dormira que s’il le veut bien (c’est-à-dire en tout dernier recours, lorsqu’on s’apprête à le coucher dans la poubelle — celle qui se trouve à l’extérieur). Et tout bon parent sait également que les bébés fatigués disposent, lorsqu’il est l’heure du dodo, d’une myriade de techniques de torture parentale. L’arme la plus atroce de leur arsenal a été baptisée « l’effet zombie »

par les spécialistes (c’est-à-dire moi-même). « L’effet zombie »

50 - Chroniques d’une mère indigne

consiste, pour un bébé, à faire semblant de dormir puis à ouvrir brusquement d’énormes yeux sitôt qu’on le dépose dans son lit.

La terreur alors ressentie par le papa ou la maman s’apparente au sentiment vécu lorsqu’un zombie se réveille soudainement dans un film d’horreur. Et encore : le zombie, lui, n’a jamais la couche pleine.

2) « Le bouchon muqueux est expulsé par le vagin avant ou pendant le premier stade du travail. »

Je sais, je vous ai déjà avoué ma haine du bouchon muqueux. Mais la supercherie a de quoi rendre si furieux qu’il me faut insister : le bouchon muqueux n’a aucune crédibilité, il fait strictement ce qu’il veut ! Pour prédire le moment de votre accouchement, autant vous fier sur les marques de café au fond de votre tasse.

Un ami bricoleur de Père indigne m’a déjà posé la question suivante : « Le bouchon muqueux, est-ce qu’on peut le remettre une fois qu’il est enlevé ? » Réponse : Si on essaie ça sur moi, je mords.

3) La palme d’or des remèdes contre la morosité, toutes catégories confondues, revient à cette déclaration : « Allaiter ne déforme pas vos seins. Ils grossissent puis diminuent, mais reprennent leur forme petit à petit après le sevrage. »

Petit à petit, comme dans trois ou quatre ans. Ou jamais, ah, ah, ah !

On se tient les côtes, non ? Comme la fois où je suis sortie d’une cabine d’essayage, quelques semaines après avoir cessé l’allaitement, pour me rendre compte que j’avais l’air d’une fille de six ans qui essaie les pulls de sa mère ! Oh, la la, on se marrait ! Même la vendeuse était morte de rire !

Pour tout vous dire, il y a même de l’écho dans mon haut de maillot rembourré ! Hi, hi, hi ! Hum.

Bébé : les aimer, y survivre - 51

À toutes celles qui, comme moi, comprennent depuis la fin de leur allaitement que les planches à repasser ont des émotions, je dédie cette complainte nostalgique : Père Noël, père Noël,

Où sont mes bébelles ?

J’en ai eu, j’en ai plus

Mon décolleté me tue

52 - Chroniques d’une mère indigne

Dors, dors, ma petite &*$%#@

B ébé est fatiguée. Crevée. Elle Bébés : les aimer, y survivre s’est levée à 5 heures du matin, 1001 blagues pour nouveaux parents a fait une sieste embryonnaire à • Dors, dors, ma petite &*$%#@

8 heures (sommeil très bref, elle Illustration : Dodo-confession avait une couche à remplir), et il Vacances à Cuba (Guantanamo) est maintenant 10 heures. Elle n’en Têtes chercheuses peut plus, et ça paraît.

Du premier au second :

Je la prends dans mes bras,

la sortie de Maman ( 1 )

m’installe dans la pénombre de sa C’t’une fois deux mères ( 1 ) chambre, commence à la bercer. À la guerre comme à la guerre Elle qui tombait de fatigue il y a (inédit)

trente secondes me fixe mainte- Illustration : Confession sur l’oreiller nant de ses yeux grands comme

(inédit)

des soucoupes. D’un air narquois.

Sévices de garde ( 3 )

Pendant que j’entonne une À afficher lundi à la garderie berceuse, nos regards transmettent T’as une tache là! ( 1 ) une tout autre chanson :

C’est la poulette grise (Mère

indigne — Tu es fatiguée, chérie. Dors donc.) Qui pond dans l’église (Bébé — Je suis prête à concéder une certaine fatigue.)

Elle va pondre un beau petit coco (Mère indigne — Mais pas à dormir ?)

Pour Bébé qui va faire dodiche (Bébé — Qu’est-ce que tu en penses ?)

Bébé : les aimer, y survivre - 53

Elle va pondre un beau petit coco (Mère indigne — Sois raisonnable. Tu vas tellement être de meilleure humeur après une bonne sieste !)

Pour Bébé qui va faire dodo (Bébé — Qu’est-ce qui te fait croire que je veux être de meilleure humeur ?) Dodiche dodo (Mère indigne — Hum. Bon. Écoute. Peut-

être que tu ne veux pas dormir, mais moi, j’ai besoin que tu dormes.)

Dodiche dodo (Bébé — Ooooh, dis donc, tu as vu l’affiche sur le mur ? Vraiment belle ! Qui l’a mise là ?) C’est la poulette noire (Mère indigne — Tu m’entends ? J’AI VRAIMENT BESOIN QUE TU DORMES !!! Vraiment. Besoin.

Que tu dormes.)

Qui pond dans l’armoire (Bébé — Bon, d’accord, je vais dormir. Mais c’est parce que tu es vraiment trop pathétique.) Elle va pondre un beau petit coco (Mère indigne retient son souffle.)

Pour Bébé qui va faire dodiche (Bébé — Zzzzzz…) Elle va pondre un beau petit coco (Mère indigne — Youppi !!!

Victoire ! Je t’ai eue ! Gna gna gna gna gna ! Allez, au lit, poulette ! Ta mère est peut-être pathétique mais elle a quand même gagné ! Wouhouuuuu !)

Pour Bébé qui fai-euh dodo-euh

Dodiche dodo

Je me lève doucement, savourant la respiration profonde de Petite Chérie Bis. Un 10 minutes de lecture sérieuse, et ensuite, Lawrence Block, je suis à toi ! (En plus, je suis sur le point de deviner qui est l’assassin.)

Délicatement, je dépose Bébé dans son lit. Qui se met à me fixer de ses yeux grands comme des soucoupes. D’un air narquois. Tu pensais peut-être m’avoir bernée, mais j’ai gagné.

54 - Chroniques d’une mère indigne

Tu m’entends ? J’ai gagné.

Je pense que je vais réviser cette politique d’endormir Bébé dans la chaise berçante afin de profiter de la douceur de ces premières années qui passent si vite. Je ne crois pas que je pourrai supporter ce genre de mépris encore longtemps.

Bébé : les aimer, y survivre - 55

Dodo confession

56 - Chroniques d’une mère indigne

Vacances à Cuba (Guantanamo)

A vez-vous déjà entretenu un Bébés : les aimer, y survivre petit doute quant à la fran chise 1001 blagues pour nouveaux parents des parents quand ils affirment, à Dors, dors, ma petite &*$%#@

l’unanimité, qu’ils préféreraient Illustration : Dodo-confession mille fois mieux être eux-mêmes • Vacances à Cuba (Guantanamo) malades plutôt que leurs enfants ? Têtes chercheuses Eh bien, croyez-moi, c’est vrai à Du premier au second : cent pour cent. En ce moment,

la sortie de Maman ( 1 )

Bébé a un gros rhume, et je ne vous C’t’une fois deux mères ( 1 ) dis pas ce que je donnerais pour À la guerre comme à la guerre être à sa place.

(inédit)

Non mais, sérieusement : Illustration : Confession sur l’oreiller nous, les adultes, on sait comment

(inédit)

profiter de la maladie. Un gros Sévices de garde ( 3 ) rhume ? Hop ! Au lit, sous une À afficher lundi à la garderie couette épaisse. Objectif : somno- T’as une tache là! ( 1 ) ler toute la journée en geignant

de temps à autre pour montrer que ça va vraiment, vraiment mal. Se laisser bichonner, mais pas envahir. Percevoir dans le lointain quelques chuchotements attentionnés (« Viens, on va laisser Maman tranquille, elle est malade »). Parfois, allumer la petite lampe pour lire deux ou trois pages de notre roman policier en cachette. Pour faire un peu d’exercice, se traîner jusqu’à la salle de bain et s’éterniser dans un bon bain brûlant.

S’endormir dedans. Et, enfin, pouvoir s’adonner en toute légitimité à l’engourdissement bienfaisant que procure la reine des drogues : le Néo-Citran.

Bébé : les aimer, y survivre - 57

Les enfants, eux, ne savent pas comment être malades. Les bébés sont les pires.

Un bébé malade est comme un prisonnier à Guantanamo : il sait qu’il est en prison, mais il pourrait jurer qu’on n’a aucune raison légale de le maintenir là. Mais le pire, évidemment, c’est la torture. C’est d’avoir à affronter, 42 fois par jour, le frottement d’un mouchoir toujours rêche, peu importe le nombre de plis et la quantité de lotion qu’il contient supposément. C’est de se faire envahir la cavité nasale par des giclées de Salinex, puis de se faire enlever la morve ainsi générée à l’aide d’une pompe qui doit être insérée aux 9/10e dans la narine. C’est, Dieu les aide, de se faire prendre la température à chaque changement de couche au moyen d’une méthode absolument révoltante. Et tout ça, jour et nuit, sans que Bébé comprenne que tout cela sert bel et bien à quelque chose.

« C’est pour ton bien. » Que cette expression résonne cyniquement aux oreilles d’un bébé pour qui la vengeance ne peut passer que par le biais d’un régurgit sur un habit de soirée, alors qu’il se meurt de pouvoir nous balancer un coup de karaté dans les parties.

Et on ne peut pas y échapper : c’est nous, les parents, qui devons jouer au bourreau. Et nous devons le faire avec les moyens limités que la Providence et Johnson & Johnson veulent bien nous offrir. Ce qui m’amène à ma montée de lait de cette semaine, intitulée « Voulez-vous bien me dire pourquoi, en 2006 ».

Non mais, voulez-vous bien me dire pourquoi, en 2006, la seule manière qu’on ait trouvé d’adoucir les soins aux enfants malades est de leur mettre du fichu arôme de raisins dans leurs médicaments ? On ne pourrait pas inventer, pour déboucher en douceur le nez de bébé, une doudou qui fleure délicatement 58 - Chroniques d’une mère indigne

le Vicks ? Une poudre à éternuer doublée d’un léger gaz hila-rant ? Une pompe ultra-puissante qui aspirerait les sécrétions (a.k.a. la morve) à distance ? Des mouchoirs en papier vraiment doux ?

Et surtout, peut-on s’entendre pour dire que le thermomè-

tre rectal, ça devrait être vendu seulement dans les sex-shops ?

Pourquoi les thermomètres d’oreille, ça marche pour les jeunes enfants, mais pas pour les bébés ? Vous dites ? Le bout est trop gros, ça n’entre pas bien dans l’oreille et ça ne donne pas une lecture juste de la température ? Heille, ça doit être tout un défi technologique d’en fabriquer un avec un bout plus petit !

(En plus, à la maison, nous avons la pire race de thermomètre rectal qui soit. Électronique, il est ultra-sensible, mais pas à la température. Sitôt que Bébé remue le popotin, le thermomètre se met à biper comme un fou et refuse d’indiquer le moindre degré Celsius. Franchement, celle-là, je ne la comprends pas. Quand on va dans une discothèque, évidemment, c’est bruyant, mais est-ce que ça va nous empêcher de dire s’il y fait chaud ou non ???)

Bon, voilà, je m’énerve. Si ça continue, je vais finir par tomber malade.

Ouiiii, tomber malade…

Bébé : les aimer, y survivre - 59

Têtes chercheuses

Bébés : les aimer, y survivre

1001 blagues pour nouveaux parents

J e ne sais pas combien il en coûte

pour dresser des chiens reni-

Dors, dors, ma petite &*$%#@

fleurs à détecter la drogue dans les

Illustration : Dodo-confession

bagages à l’aéroport, mais j’aimerais

Vacances à Cuba (Guantanamo)

suggérer une solution beaucoup

• Têtes chercheuses

moins onéreuse : mettre plein de

Du premier au second :

bébés au milieu d’une pièce, dispo-

la sortie de Maman ( 1 )

ser les bagages autour, et voilà ! Le

C’t’une fois deux mères ( 1 )

tour est joué. Les petits poupons se

À la guerre comme à la guerre

dirigeront tout naturellement vers

(inédit)

les valises dont le contenu est le Illustration : Confession sur l’oreiller plus dangereux.

(inédit)

Qu’ils sachent se traîner à

Sévices de garde ( 3 )

quatre pattes ou non n’a aucune

À afficher lundi à la garderie

importance. Bébé peut se retour-

T’as une tache là! ( 1 )

ner ? Si oui, il a acquis la capacité

stupéfiante d’aller pratiquement où

il veut – ou plutôt de rouler systématiquement vers l’endroit où il devrait le moins aller.

Tentez l’expérience sous une supervision serrée : installez-vous dans une pièce où se trouve un escalier qui descend.

Posez bébé sur une aire de jeu, entouré de jouets colorés, et jalonnez le chemin vers l’escalier d’obstacles divers et massifs.

Pensez balayeuse, panier à linge, divan trois places, etc. Bébé effleurera distraitement quelques jouets mais vous l’observerez bientôt les repoussant d’une moue dédaigneuse. Désormais, son instinct est aux commandes. De tâtonnements en rou-60 - Chroniques d’une mère indigne

lements maladroits, se déplaçant de préférence à reculons pour brouiller les pistes, bébé se dirigera inexorablement vers l’escalier. Exceptionnellement, il se peut qu’il ne l’atteigne pas ; mais cela se produira uniquement s’il essaie, en passant près de la balayeuse, de la démonter pour s’empiffrer du contenu du sac à poussière. (Il réussira, sans l’ombre d’un doute.) Cette loi de la nature me fait remettre en question la pertinence de concevoir pour les bébés de jolis jouets, doux et colorés. Cet avant-midi encore, j’agitais devant Bébé une mignonne petite coccinelle rouge vif, à la tête jaune soleil et aux pattes vert tendre. Mais Bébé n’avait aucun regard pour elle et se contentait de me fixer d’un air blasé, regrettant, j’en suis certaine, de ne pas pouvoir mettre à nouveau la menotte sur l’alimentation de mon ordinateur, qu’elle avait tenté de gruger quelques minutes auparavant.

« Tu crois vraiment que je vais préférer ta coccinelle bi-garrée et conçue spécialement pour moi à un fil noir dont la manipulation pourrait m’être fatale ? Tu rêves en couleur ! »

Conceptuellement, un épais fil noir ou gris relié à un simu-lacre de fiche électrique (important pour l’impression de risque accru) ne serait probablement pas vendeur auprès des parents, mais je suis convaincue que les 0-12 mois en raffoleraient.

Ça, ou une imitation d’X-acto.

C’est décidé : si ce bouquin est un flop, je me lance en affaires.

Bébé : les aimer, y survivre - 61

Du premier au second : la sortie de Maman ( 1 commentaire )

Bébés : les aimer, y survivre

Premier bébé :

1001 blagues pour nouveaux parents

«

Dors, dors, ma petite &*$%#@

Bon, chéri, je t’ai préparé

l’horaire de Bébé. Il est sur

Illustration : Dodo-confession

la feuille ici, mais je l’ai aussi mis

Vacances à Cuba (Guantanamo)

en fond d’écran sur l’ordi au cas où

Têtes chercheuses

tu le perdrais.

• Du premier au second :

D’habitude, Bébé soupe à

la sortie de Maman ( 1 )

5 h 45. Il faut mettre son plat

C’t’une fois deux mères ( 1 )

(dans le frigo, plat bleu, couvercle

À la guerre comme à la guerre

blanc, tablette du haut à gauche)

(inédit)

28 secondes dans le micro-ondes.

Illustration : Confession sur l’oreiller Bon, ça peut être entre 25 et 30

(inédit)

secondes, mais 28, c’est vraiment

Sévices de garde ( 3 )

l’idéal.

À afficher lundi à la garderie

Ton souper est aussi au frigo.

T’as une tache là! ( 1 )

J’ai préparé l’assiette, tu as juste à la faire chauffer. J’espère que tu auras

le temps de souper, pauvre chou.

Je sais que Bébé n’a pas été malade depuis deux mois, mais juste au cas où, je t’ai mis le thermomètre sur la table à langer. J’ai collé un Post-It dessus avec la température maximale normale.

Si sa température est haute, tu lui donnes du Tempra. Un point vingt-cinq millilitres. J’ai aussi noté ça sur le fond d’écran. Oh, zut, j’ai oublié de sortir le Tempra de la pharmacie ! Tu crois que ça ira ? Oui ? T’es sûr ? Écoute, peu importe, le voilà.

S’il y a quoi que ce soit, tu m’appelles, hein ? J’ai le cellulaire dans ma poche arrière au volume le plus élevé de sonnerie et 62 - Chroniques d’une mère indigne

en mode vibration. Tant pis si ça sonne pendant le film. Ce sera une urgence. Au cas où le téléphone ne fonctionnerait pas même si je l’ai mis en recharge pendant les dernières 48 heures en prévision de ce soir, le numéro du cinéma est le…

Ça va, t’es sûr ? Un peu stressé ? Oui, moi aussi. Pfiou. Bon, je dois y aller, là. Bisou.

T’es sûr que ça va aller ? Je vais marcher lentement pour m’en aller, tu pourras me lâcher un cri au cas où…

Bon, oh la la. OK, j’y vais. Bisou.

… Regarde, essaie donc de m’appeler sur le cellulaire avant que je parte, comme ça on sera fixés. Whoa ! Ça marche !

Je serai partie au maximum pendant deux heures et demie, OK ? OK ? Bon, OK. Bisou. »

Et Maman s’en va, du plomb dans les souliers. Elle a dé-

laissé son mari et son bébé. La vie est sombre, elle a oublié que la musique existe.

El e tend l’oreil e le plus longtemps possible afin d’entendre de probables appels au secours, puis elle va se ronger les ongles au cinéma.

Le film est interminable.

Second bébé :

« OK, les p’tits choux, bye ! Faut que j’y aille, sinon je vais rater le bus !

Le souper du bébé ? Hoffff, écoute, dans le frigo, là… Ou dans le congélo… Des affaires… Tu lui donnes, heu, quand elle a faim ?

Votre souper, à Fille Aînée et toi ? Je m’en f… heu, j’veux dire, de la pizza ?

Bébé : les aimer, y survivre - 63

Si elle est malade ? Hofff, y’a du Tempra en quelque part. Je pense. Mais ça fait deux mois qu’elle n’a rien eu. Faut pas virer fou, hein.

De toute façon j’ai le cellulaire. Je crois.

Bon, allez, je dois – quoi, encore ??? Un bisou ? Oh… mais…

mais oui, mes amours ! Où avais-je la tête, ah, ah, ah !…

Bon, eh bien, ciao ! Amusez-vous bien !

En passant, je vais probablement rentrer tard. »

Et Maman s’en va en courant à l’arrêt de bus. Des passants peuvent l’entendre fredonner, à la manière de Michèle Richard,

« Je suis libre, n’essaie pas de changer mes projets, je suis libre, la la la la… »

Le téléphone cellulaire, lui, a les batteries à plat. Mais ça ne change pas grand-chose, puisque Maman l’a oublié à la maison au fond du sac à couches.

Et le film est vraiment, mais alors là vraiment, super bon.

Commentaire ( 1 ) :

Marie-lorraine dit :

Comme disait mon Mammouth chéri, au troisième, bien installés au cinoche, vous vous demanderez, l’air un peu hagard :

« Dis, c’est pas toi qui devais rester avec les enfants ?… »

64 - Chroniques d’une mère indigne

C’t’une fois deux mères

( 1 commentaire )

E uh, c’est ta sandale ?

Bébés : les aimer, y survivre

— Non, c’est celle de ma mère. 1001 blagues pour nouveaux parents Elle a laissé sa vieille paire ici l’autre Dors, dors, ma petite &*$%#@

jour après m’avoir aidé à faire mon Illustration : Dodo-confession parterre.

Vacances à Cuba (Guantanamo)

— C’est parce que… ton bébé Têtes chercheuses la mange.

Du premier au second :

— Hum. Oui, je sais.

la sortie de Maman ( 1 )

— Ça ne te dérange pas ?

• C’t’une fois deux mères ( 1 )

— Si ça me donne vingt mi- À la guerre comme à la guerre nutes de paix pour prendre un café

(inédit)

avec toi, ça me fait même plaisir.

Illustration : Confession sur l’oreiller

— Vu comme ça…

(inédit)

— Elle vide les boîtes de Sévices de garde ( 3 ) mouchoirs, aussi. Pour deux et À afficher lundi à la garderie soixante-neuf plus taxes, j’ai un T’as une tache là! ( 1 ) bon quarante-cinq minutes de

tranquillité. Avec un bébé, on parle d’une petite éternité.

— Mais c’est du gros gaspillage !

— Mais nooooon ! Quand elle a fini, je remets les mouchoirs dans la boîte et on s’en sert quand même. C’est pas un peu de bave ici et là…

— Tu n’as pas songé à lui donner toujours la même boîte pour qu’elle la re-vide ?

— J’ai essayé. Elle aime mieux vider les boîtes neuves.

— Bref, « ce que bébé veut, mère le veut ».

— Non, c’est plutôt « la fin qui justifie les moyens ».

Bébé : les aimer, y survivre - 65

— Mettons. Mais… avoue que le coup de la vieille sandale…

— Ça ne développe pas des anticorps ?

— Peut-être, mais c’est franchement dégueu.

— « C’est franchement dégueu. » On ne dirait jamais que tu as deux enfants, toi.

— Tu laissais Fille Aînée manger des sandales sales ?

— Es-tu folle ! Pas ma première ! J’étais assez maniaque.

— Alors que ta deuxième, elle peut bien manger les sandales de l’Univers…

— Pas du tout, pas du tout. Juste les sandales des membres de ma famille. Faut pas charrier.

— Ça veut dire que, si jamais t’as un troisième enfant…

— Hou ! Les possibilités sont infinies.

— « All you can eat. »

— You bet !

— En tout cas, juste au cas où, comme on est amies…

— Tu me gardes tes vieilles sandales ?

— Promis.

Commentaire ( 1 ) :

Gaalbs dit :

Ici, au Danemark, on proclame haut et fort que nos enfants doivent avaler sept kilos de crasse par an pour pouvoir s’immuniser contre tout et n’importe quoi, alors Victor qui léchait les semelles de mes sandales comme des sucettes est désormais paré à tout… Et pour être sûre qu’il ne manque de rien, je laisse aussi traîner les petits pois par terre après le dîner.

Il est gâté, je vous dis !

66 - Chroniques d’une mère indigne

À la guerre comme à la guerre (inédit)

N’importe quel samedi matin, Bébés : les aimer, y survivre aux aurores. Après le silence 1001 blagues pour nouveaux parents bienfaisant de la nuit, la maisonnée Dors, dors, ma petite &*$%#@

entonne le refrain du réveil.

Illustration : Dodo-confession

Bébé — Badabadidoudou… Vacances à Cuba (Guantanamo) Allôôô…

Têtes chercheuses

Mère indigne — Mmmmm… Du premier au second : Chéri, Bébé est en train de se ré-

la sortie de Maman ( 1 )

veiller… As-tu bien dormi ?

C’t’une fois deux mères ( 1 )

Père indigne — Mmmmm… • À la guerre comme à la guerre Hein, quoi ? Il est quelle heure ?

(inédit)

Mère indigne — Six heures. Illustration : Confession sur l’oreiller As-tu bien dormi ?

(inédit)

Père indigne — Comme on a Sévices de garde ( 3 ) coutume de le dire, je dormais très À afficher lundi à la garderie bien.

T’as une tache là! ( 1 )

Mère indigne — Ah ! Tant

mieux pour toi. Moi, j’ai vraiment passé une nuit horrible.

Père indigne — Ah, bon ?

Mère indigne — J’ai été redonner la suce à Bébé à minuit.

Père indigne — J’y suis allé à deux heures du mat’.

Mère indigne — Oui, mais moi ça m’a pris une heure et demie à me rendormir.

Père indigne — Oui, mais moi je lui ai aussi donné un biberon à quatre heures.

Mère indigne — Ah.

Bébé : les aimer, y survivre - 67

Silence satisfait de Père indigne, qui pense avoir avancé l’argument décisif. Dans la chambre de Bébé, les piaillements se font plus insistants : « BABADAaaaaaaAh ! Allôôôô ?

ALLÔÔÔ ??? »

Mère indigne — Mais… Tu oublies que c’était ma fête samedi dernier.

Père indigne — Et alors ?

Mère indigne — Alors ? Il a fallu que je me lève quand même, le jour de mon anniversaire, parce que tu avais eu le nez bouché toute la nuit. Soi-disant.

Père indigne, indigné — Soi-disant ??? Je n’avais pas dormi de la nuit !

Mère indigne — Justement ! C’est à mon tour, cette nuit, d’avoir atrocement mal dormi ! En plus, quand je ne faisais pas d’insomnie, je rêvais que tu me quittais pour une blonde et que tu riais, tu riais…

Père indigne — Bon, ça recommence. Pourrais-tu m’expliquer pourquoi, dans les rêves que tu génères toi-même, faut-il le rappeler, tu me personnifies toujours comme un méchant sans cœur ?

Mère indigne — Peut-être parce que tu ne veux pas te lever le matin ?

Bébé — Allô ? AllôôôÔÔÔAAAAHHH ? Wouiiiinnnn !

Les deux adultes ignorent les cris impatients du poupon.

L’atmosphère est tendue à l’extrême. Père indigne y va de sa contre-attaque.

Père indigne — Tu te souviens, il y a un mois ?

Mère indigne — Quoi, il y a un mois ?

Père indigne — Je me suis levé le samedi et le dimanche parce que tu avais fait de l’insomnie.

68 - Chroniques d’une mère indigne

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Mère indigne — Bon, tu ressors des histoires d’il y a un mois. Et puis quoi, encore ? Si tu veux faire dans la réminiscence extrême, je te rappelle que, l’an dernier, je me suis levée incom-mensurablement plus que toi pour l’allaiter, cette petite !

Ladite petite, croyant sentir une ouverture, y va d’un

« Coucou ! Allôôô ? » discret. Mais, sur le front, nul n’y prête oreille. La guerre fait rage et, le samedi matin, la guerre ne fait pas de cadeau aux enfants qui se lèvent avant sept heures et demie.

Père indigne — Allaiter ? Allaiter ? Mais c’est rien, ça, allaiter ! Moi, madame, mes deux grands-pères ont travaillé dans les mines de charbon en Wallonie ! Ils ont trimé dur, ils ont sué sang et eau pour nourrir leur famille ! Et leurs ancêtres avant eux, des Italiens et des Polonais, tu crois qu’ils l’ont eue facile pendant la Deuxième Guerre ?

Mère indigne — Je ne sais pas. Ils l’ont eue facile ?

Père indigne, fronçant les sourcils — Ça ne doit pas.

Les deux ennemis se taisent momentanément, confus.

Même Bébé est complètement pris au dépourvu.

Mère indigne — La morale de cette histoire n’est-elle pas que tu devrais être reconnaissant et te lever pour prendre soin de ta progéniture alors que tu as la chance de vivre dans un cocon douillet dont tes ancêtres ne pouvaient que rêver ?

Père indigne — Non, tu n’as rien compris. La morale de cette histoire, c’est que nous avons de la fatigue accumulée, dans la famille. Alors je reste couché.

Mère indigne — Hé, ho ! On se calme, avec le spleen héré-

ditaire ! Et puis, mes ancêtres amérindiens exterminés, à moi ?

Ça compte pour de la gnognotte ?

Père indigne — Tu as des ancêtres amérindiens, toi ?

Bébé : les aimer, y survivre - 69

Mère indigne, fronçant les sourcils — Je ne sais pas. Ça doit.Père indigne — C’est ridicule !

Mère indigne — Tu me trouves ridicule ? Tu trouves mes ancêtres ridicules ?

Père indigne — Non, non, j’ai simplement dit que…

Mère indigne, triomphante — Tu m’insultes, que dis-je, tu insultes ma lignée, et tu crois que je vais me lever ce matin ?

Sache que, pour venger cet affront, c’est moi qui resterai bien au chaud entre les couvertures. Au moins jusqu’à dix heures et demie.

Père indigne — Merde !

Mère indigne — Hin, hin.

Bébé — Aaaalllllllôôô… couuu-couuuuu… zzzzzzz…

Silence attentif.

Mère indigne — La petite s’est rendormie.

Père indigne — Bon.

Mère indigne — On peut rester couchés encore un peu.

Père indigne — Oui.

Mère indigne — Euh… Tu as encore sommeil ?

Père indigne — Euh… Non.

Mère indigne — On se lève, alors ? Hein, chéri ? On va déjeuner tranquille.

Père indigne — Bonne idée, mon amour. On reprendra la discussion demain matin.

Mère indigne — À propos, je pense que ma grand-mère est déjà sortie avec un gars qui avait des ancêtres incas.

Père indigne — J’ai dit demain.

70 - Chroniques d’une mère indigne

Confession sur l’oreiller (inédit)

Bébé : les aimer, y survivre - 71

Sévices de garde

( 3 commentaires )

Bébés : les aimer, y survivre

1001 blagues pour nouveaux parents

B ébé entre à la garderie en

septembre. Entre mon Surmoi

Dors, dors, ma petite &*$%#@

qui passe ses journées à me chi-

Illustration : Dodo-confession

coiner et mon Ça qui angoisse au

Vacances à Cuba (Guantanamo)

sujet d’une rédaction de thèse de

Têtes chercheuses

doctorat, il y a mon Moi, équilibré

Du premier au second :

et rationnel, qui me conjure de

la sortie de Maman ( 1 )

donner aux parents non avertis

C’t’une fois deux mères ( 1 )

quelques judicieuses informations

À la guerre comme à la guerre

sur les services de garde.

(inédit)

Notamment que les services

Illustration : Confession sur l’oreiller de garde, c’est horrible.

(inédit)

Mais pas pour les enfants,

• Sévices de garde ( 3 )

grands dieux, non ! Dans la plupart

À afficher lundi à la garderie

de ces milieux, vos enfants seront

T’as une tache là! ( 1 )

traités aux petits oignons. Songez-

y : ils profitent, à pleine journée, d’un G.O. assigné à leur petit groupe et tout entier dédié à les entertainer sous l’égide d’une approche développementale et éducative entérinée par les intellectuels de Harvard.

Les enfants, enfin la plupart, ils sont heureux en service de garde.

Non, dans tout ça, ce sont nous, les parents, qui souffrons le plus.

Votre garçonnet se transforme en sosie des chutes Nia-gara lorsque vous le déposez à la garderie ? C’est que vous êtes un infâme paternel qui n’a pas su inculquer à son enfant 72 - Chroniques d’une mère indigne

le sentiment de sécurité nécessaire à un cheminement de vie épanoui. Les sommes que Junior dépensera en psychanalyse ne pourront pas être dédiées à un versement initial sur une maison à lui, et il sera stationné chez vous jusqu’à trente-huit ans, maigrichon (l’angoisse), célibataire (pas d’estime de lui) et sale (aucune autonomie). Mauvais, mauvais papa !

Votre fillette, au contraire, ne vous dit même pas au revoir lorsque vous la laissez aux bons soins des éducateurs/trices ? Et elle refuse que vous reveniez la chercher le soir, sous prétexte qu’elle n’a pas fini sa réplique du château de Harry Potter en pâte à modeler ? Méchante mère, qui surprotégez votre petite, qui l’étouffez d’un amour malsain. Pas étonnant qu’elle veuille se détacher de vous et vivre sa vie, alors qu’elle n’a pas les outils pour le faire, puisque vous ne les lui avez pas donnés ! Allons bon, elle tombera enceinte à 15 ans, refusera sauvagement toute critique à l’endroit du papa, Steven-enfui-du-centre-jeunesse-et-squeegee-par-choix, et le cycle que vous avez provoqué par votre conduite irresponsable se répétera jusqu’à la centième génération. Après, ce sera pire. Mauvaise, mauvaise mère !

Mais le milieu des services de garde vous réserve encore pire. Car n’oubliez pas que ces gens à qui vous confiez vos enfants, ce sont des professionnels. Et ils le savent.

Votre estime de soi à vous, votre sentiment de sécurité et votre développement normal en tant que parent, c’est tout cela qui sera cloué au pilori par les ayatollahs des bébés.

Votre enfant n’aime pas le poisson, tapoche le voisin ou a tendance à pleurer à la moindre réprimande ? Ne vous y trompez pas : c’est votre faute. Et, vous admonestera-t-on en vous fixant à la Jean-Luc Mongrain, il va falloir que ça change.

Et c’est là que nous dirons « Non ! », chers collègues ! C’est là que la résistance va s’organiser. Oh, que oui !

Bébé : les aimer, y survivre - 73

Et la solution, je vous l’offre sur un plateau d’argent : mentir.

On va se pratiquer, vous allez voir, ça va être facile. Prenons un point de litige quasi universel entre parents et éducateurs/

trices : la sieste de bébé. Voici ce qu’il ne faut pas faire : La dominatrice du service de garde — Comment endormez-vous Jeanne-Simone pour ses siestes ?

Vous, d’un ton plaintif — Euh, je la berce en lui donnant un biberon et en lui chantant des berc…

Dominatrice — NON ! Il faut cesser cela immédiatement.

Jeanne-Simone ne peut pas s’endormir toute seule, elle dérange les autres amis, il faudra lui apprendre à gérer ses dodos d’une autre manière. Compris ?

Vous, en reniflant — Voui.

Et vous passez des jours et des jours cauchemardesques à la maison à essayer de faire en sorte que Jeanne-Simone gère mieux ses dodos. Sans succès. À la garderie, vous évitez le sujet comme la peste. Mais vous apprenez, des semaines plus tard, que le problème, là-bas, s’est réglé en deux jours.

Constatation qui nous amène à élaborer ensemble le comportement intelligent à adopter :

Dominatrice — Comment endormez-vous Louis-Nicolas pour ses siestes ?

Vous, d’un air intrigué — Je le dépose dans son lit. Pourquoi ?Dominatrice, la bouche ouverte — Sans le bercer ?

Vous — Jamais eu besoin. Il est pratiquement narcolepti-que.Dominatrice — Ah bon… C’est que nous avons des petits problèmes avec lui à l’heure des siestes et je…

74 - Chroniques d’une mère indigne

Vous — Je suis vraiment très étonnée. Louis-Nicolas a toujours été un enfant extrêmement facile pour les siestes.

Vous jetez un regard suspicieux autour de vous. « À

l’heure des siestes, est-ce que l’ambiance de la garderie favorise le repos ? Les jeux qui précèdent la sieste ne sont pas trop violents ? Les éducateurs/trices sont-ils assez doux avec les enfants ? J’aimerais une copie de leur diplôme et le numéro de la direction régionale, s’il-vous-plaît. »

La dominatrice s’empresse de vous rassurer : son expé-

rience lui suggère que le problème de la sieste de Louis-Nicolas se réglera probablement en deux jours.

À la maison, vous continuez d’endormir Bébé avec le biberon et les berceuses. Vous pouvez essayer de profiter du momentum pour changer les habitudes de Louis-Nicolas, mais ce choix vous appartient entièrement.

Et, en deux jours, à la garderie, Louis-Nicolas s’endort sans rechigner.

C’est pour ça que mentir à la garderie, ça n’est pas grave.

Votre bébé est doté d’un sens remarquable de la discrimination et comprendra très rapidement que la garderie impose un régime différent de celui de la maison. Et le petit chenapan, il va s’y conformer. Inutile de mettre votre santé mentale en jeu dans un tel contexte !

Conclusion : organisons la résistance ! Parents de toutes les garderies, unissons-nous !

Et surtout, ne me remerciez pas. Je ne fais que mon devoir.

(Bon, si vous insistez, j’accepte les chèques personnels.) Bébé : les aimer, y survivre - 75

Commentaires ( 3 ) :

Arielle dit :

Étant une « dominéducatrice » moi-même (mais je me soigne pour devenir une comptable… autre sorte de dominatrice, quoi !), tu m’as bien fait rire. Je ne me rendais pas compte que nos commentaires pouvaient rendre les parents mal à l’aise.

Pour nous, c’est tout naturel de dire certaines choses aux parents, mais c’est vrai que certaines « dominéducatrices » en disent un peu trop, le sourcil en l’air. Mea culpa !

marieclaude dit :

Après les dominatrices du service de garde, il ne faudrait pas oublier les dominatrices du CLSC : les infirmières qui suivent À LA LETTRE le petit livre de l’hôpital. Moi, c’est à elles que je mens.

Catherine dit :

Pour ma part, j’ai toujours eu de la chance en matière d’éducatrices. Presque toutes ont réellement été, l’espace d’un an, des membres de la famille, et nous les revoyons toujours avec émotion. Nous avons entretenu avec elles des relations de coopération. Nous ne voudrions pas faire leur travail, disons-nous souvent. Nous avons aussi les moyens de leur rendre la vie un peu plus facile. Quand elles sont sensées, bien entendu, et qu’elles comprennent le concept d’indignité maternelle.

Mais en me remémorant nos années de CPE, de ce grand malaise qu’on ressent parfois à ne pas se permettre d’être indigne au grand jour, c’est plutôt à certains parents que j’ai pensé.

Genre, la mère de la petite blonde sage qui vous toise pendant que vous tentez de calmer votre 2 ans plein de testostérone qui pique une crise monumentale dans le vestiaire. Genre, le papa ultra-compétitif qui vous lance d’un air détaché que son fiston a un vocabulaire de 10 000 mots, fait du vélo sans petites 76 - Chroniques d’une mère indigne

roues, n’aime que les films de Chaplin, sait déjà lire… à 3 ans !

On dirait que le seul barème des parents pour s’évaluer (ou se réconforter ?) eux-mêmes, c’est l’inaptitude des autres parents.

Avec le premier bébé, on apprend à mentir… avec le deuxième, on apprend à retenir son fou-rire !

Et surtout, avec l’expérience, on comprend qu’en affirmant publiquement son indignité on met à l’aise les autres indignes.

Indignes du monde entier, sortons du placard !

Bébé : les aimer, y survivre - 77

À afficher lundi à la garderie

Bébés : les aimer, y survivre

AVIS AUX PARENTS

1001 blagues pour nouveaux parents

DES AUTRES POUPONS

Dors, dors, ma petite &*$%#@

Illustration : Dodo-confession

C her parent,

Bébé fréquente maintenant la

Vacances à Cuba (Guantanamo)

même garderie que le vôtre depuis

Têtes chercheuses

trois jours, et je suis désolée de Du premier au second :

devoir vous le dire comme ça, à

la sortie de Maman ( 1 )

froid, mais mon bébé est plus beau

C’t’une fois deux mères ( 1 )

que le vôtre.

À la guerre comme à la guerre

Je veux dire, pas mal plus

(inédit)

beau.

Illustration : Confession sur l’oreiller Je sais, ce n’est pas très politi-

(inédit)

cally correct ou même très gentil de

Sévices de garde ( 3 )

dire une chose pareille. D’ailleurs,

• À afficher lundi à la garderie

normalement, je ne le dirais pas.

T’as une tache là! ( 1 )

Mais il se trouve que j’ai, outre un

très beau bébé, la science de mon

côté.

Bon, quand je dis la science, je parle de certaines hypothèses scientifiques. Des miennes, plus précisément. Mais elles sont très sensées, vous allez voir. Je suis à peu près sûre en effet que la nature éprise d’harmonie a fait en sorte qu’il soit normal pour l’œil parental de détecter un je-ne-sais-quoi de plus attrayant chez son enfant que chez ceux des autres. Bon, pour ma part, ce serait plutôt autour de quatre ou cinq je-ne-sais-quoi, mais passons. Imaginez : si je me mettais à trouver votre Tania tellement plus mignonne que Bébé, qui vous dit que je 78 - Chroniques d’une mère indigne

ne repartirais pas avec elle le soir venu ? Pensez-y. Ça pourrait créer un joyeux bordel (tous les parents s’arracheraient ma fille).Mon autre hypothèse est que, quand on a quelqu’un dans la face 24 heures sur 24 pendant plusieurs mois, sinon plusieurs années, on n’a pas le choix de finir par le trouver beau. C’est une question de survie. D’ailleurs, ce Jérôme, au travail, celui qui avait le bureau à côté du vôtre et que vous traitiez de mocheté il y a à peine trois ans, vous vous êtes bien retrouvée avec lui à l’hôtel un mercredi midi et pas pour parler boulot, n’est-ce pas ? Vous avez ensuite été farouchement jalouse du moindre regard porté sur le finalement pas si pire Jérôme par les autres collègues, non ? Ne vous êtes-vous pas finalement mariée avec le beau Jérôme ? Ne dites rien : vous trouvez même que vous avez des enfants superbes, je parie ? Ne vous demandez plus pourquoi. Vous n’aviez tout simplement pas le choix. C’est comme ma mère qui a rencontré mon père dans un champ de patates. Croyez qu’à la longue elle avait le choix de le trouver beau ou non ? Avec plein de patates autour ? Non.

Et puis, last but not least, notre bébé, on est obligé de changer sa couche pleine de caca. Caca qui, ne nous cachons pas l’esprit derrière un voile de mensonges, ne sent jamais bon et n’arbore jamais les belles couleurs vives du bonheur. Imaginez si l’on trouvait en plus que notre bébé a une face laide ?

Sinistre perspective.

Bon, bon, il y en a qui trouvent que j’exagère. Qui trouvent que c’est mignon d’office, un bébé. Que je ne devrais pas dire qu’on peut les trouver laids. Vous avez peut-être raison. Mais, dans votre for intérieur, ne trouvez-vous pas que le vôtre est ne serait-ce qu’un tantinet plus joli que ceux des autres ? Ne trouvez-vous pas que la chair de votre chair aura un certain Bébé : les aimer, y survivre - 79

avantage, pour ne pas dire un avantage certain, dans sa future course à la reproduction de l’espèce ? Mmmmm ?

Eh bien, vous vous trompez. Parce que c’est la mienne la plus mimi.

Sur ce, veuillez agréer l’expression de mes sentiments les plus respectueux,

Signé : Mère indigne (celle qui repart systématiquement avec le plus beau bébé de la garderie).

80 - Chroniques d’une mère indigne

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

T’as une tache là !

( 1 commentaire )

L es parents, examinant leur Bébés : les aimer, y survivre nouveau-né sous toutes les 1001 blagues pour nouveaux parents coutures — « Oh, elle a des petites Dors, dors, ma petite &*$%#@

taches rouges sur les paupiè- Illustration : Dodo-confession res ?… »

Vacances à Cuba (Guantanamo)

L’infirmière — « Ça va partir. »

Têtes chercheuses

« Oh, elle a des petites taches Du premier au second : rouges entre les yeux ?… »

la sortie de Maman ( 1 )

« Ça va partir. »

C’t’une fois deux mères ( 1 )

« Oh, elle a des petites taches À la guerre comme à la guerre rouges sur la nuque ?… »

(inédit)

« Ça va partir. »

Illustration : Confession sur l’oreiller

« Oh, elle a une petite tache

(inédit)

rouge sur le front ?… Ça va partir Sévices de garde ( 3 ) aussi, hein ? »

À afficher lundi à la garderie

« Non. »

• T’as une tache là! ( 1 )

Telle fut notre première indi-

cation que Bébé aurait un petit quelque chose de spécial.

Les enfants appellent ça un bobo. Pour certains adultes, ça doit être une tache de naissance ; pour d’autres, une poque.

Quelques connaisseurs (comme la caissière de l’animalerie Yogi, sur le boulevard des Laurentides) aventurent le bon diagnostic : un hémangiome.

Hé oui, comme le dit Fille Aînée, nous avons à la maison une petite princesse indienne : notre Bébé d’amour porte un bel hémangiome au milieu du front.

Bébé : les aimer, y survivre - 81

En soi, ce n’est rien : ce n’est pas dangereux, ça ne lui fait pas mal, et ça partira tout seul d’ici deux ou trois ans. C’est juste que… le problème, c’est le monde. Je jure que Bébé pourrait avoir deux nez au milieu du visage que les gens (sauf la merveilleuse caissière du Yogi, Dieu la bénisse) ne la regarderaient pas plus bizarrement.

Je me souviens de mes expéditions au supermarché avec Fille Aînée quand celle-ci n’était qu’un poupon. Un « Oh ! »

n’attendait pas un « Ah ! » et les « gouzigous » suivaient les

« guiliguilis » à une vitesse folle. Je devais pratiquement enfiler des gants de boxe pour arriver jusqu’à mon panier d’épicerie monopolisé par une foule en délire. C’est plus fort qu’eux, les gens aiment les bébés.

Enfin, la plupart des bébés.

Ce que je constate avec Bébé, c’est que la moindre ano-malie fait reculer les gens. Bébé est au moins aussi mignonne que Fille Aînée, mais elle a un gros bouton rouge sur le front.

Alors, au lieu de lui faire des gouzigous, les gens de l’épicerie, ils l’espionnent. Eh oui, mesdames et messieurs du IGA, je vous ai vus ! Vous voyez son siège de bébé de dos, vous vous approchez pour jeter un coup d’œil au charmant petit ange mais oups ! En voyant son petit je-ne-sais-quoi qui dépasse, vous décidez plutôt de vous abîmer dans la contemplation du Weston moelleux plus.

Parfois, vous vous faites jouer des tours. Ça m’est déjà arrivé de vous voir approcher alors que Bébé avait encore son chapeau sur la tête, qui cachait son hémangiome. Lorsque vous étiez en pleine séance de gaga-gougous, hop !, je le lui retirais !

Quand ça arrive, vous devriez vous voir l’air. Presque drôle.

82 - Chroniques d’une mère indigne

Ou bien, si vous avez de jeunes enfants avec vous, vous êtes pratiquement condamnés : « Oh, maman, regarde, le bébé, il a un bobo ! »

« Chhhht ! »

« Mais c’est quoi son bobo ? »

« Chhhht ! »

« MAIS MAMAN C’EST QUOI SON BOBO ??? »

En général, à cette étape, je regarde gentiment votre tout-petit et je lui explique. Et il comprend. Il est content. Et vous n’avez pas à avoir l’air aussi soulagé. Ce n’est pas parce qu’un bébé a une poque sur le front que sa mère est une méchante sorcière.

J’ai l’air un peu frustrée ? Meuh voyons. Ha, ha ha ! Pourquoi je serais… Bon, j’avoue. Je le suis un peu, frustrée. Frustrée qu’à cause d’un petit rien tout rouge Bébé ne reçoive pas le même genre d’attention que sa grande sœur a eue avant elle.

Frustrée que les gens figent pour si peu. Frustrée pour ceux dont les enfants sont vraiment malades et qui doivent vivre ça de manière incomparablement plus difficile.

Frustrée d’être frustrée, aussi. Je me rends compte que je vous attribue inévitablement des mauvaises intentions. Vous ignorez Bébé, vous êtes des salauds. Vous le regardez, des voyeurs. Vous ne lui parlez pas, vous êtes mesquins. Vous lui faites des gentillesses, vous êtes une bande d’hypocrites. Je sais bien que la plupart des gens ne sont pas méchants, juste gênés, mais je ne peux pas m’empêcher de les détester un peu, tous autant qu’ils sont, parce que j’ai l’impression qu’ils jugent mon beau Bébé. Bref, je suis systématiquement de mauvaise foi, et ça m’embête.

Et puis, je suis surtout frustrée de penser que moi aussi, si Bébé n’était pas comme ça, je ferais probablement comme tout Bébé : les aimer, y survivre - 83

le monde. On est mal à l’aise devant ce qu’on ne connaît pas, c’est comme ça.

Mais bon, avec le temps, je m’habitue. Si j’entends chuchoter derrière moi que « le pauvre petit bébé doit s’être cogné », je rigole à part moi et il arrive souvent que je me retourne pour expliquer la chose. Je me suis aperçue qu’une fois que je discute avec les gens du pourquoi et du comment du « bobo », Bébé a droit aux mêmes gentillesses que Fille Aînée. Je peux bien faire ça pour elle !

Et puis, la nature fait bien les choses : pour compenser, Bébé n’a pas une, mais deux magnifiques fossettes !

Dans un registre plus léger, voici la fois où j’ai le plus ri après coup de la réaction de quelqu’un à l’hémangiome de Bébé :La commis aux desserts du IGA — Hon, le beau ti-bé…

Mon doux !!! Qu’est-ce qu’elle a sur le front !?

Mère indigne — Un hémangiome. Ce n’est pas gra…

La commis — Ah oui !!! C’est l’affaire qui grossit, là, qui grossit, grossit, pis un moment donné, ça PÈTE pis y’a plein de sang partout ? !

On voit à son air émerveillé qu’elle serait totalement d’accord pour que ça se passe ici et maintenant.

Mère indigne — Non, non. Ça va se résorber tout seul d’ici quelques années.

La commis — Aaaah.

Elle est extrêmement déçue. Je crois que j’ai, comment dire, pété la mauvaise balloune.

84 - Chroniques d’une mère indigne

Voici un répertoire des répliques que Frère indigne, Sœur indigne, Père indigne et moi avons inventées pour répondre à la question classique « Mon doux !!! Qu’est-ce qu’elle a sur le front !? » :

« Un bouton On/Off. » (I wish.)

« Quand on dit qu’il ne faut pas prendre de drogue pendant la grossesse, c’est vrai. »

« J’aurais pas dû jouer aux autos tamponneuses quand j’étais enceinte de huit mois. »

« Son cerveau fonctionne à l’énergie solaire ; ça, c’est l’unité de recharge. » Ou encore : « Il n’y avait pas assez de place pour son cerveau dans sa boîte cranienne. »

« C’est une piqûre d’insecte. Pensez-vous que je devrais consulter ? »

« Ça va grossir constamment. Dans un mois, elle sera aveugle. Dans quatre, à l’article de la mort. Mais vous pouvez lui faire des gagagougous. Pendant qu’il est encore temps. »

Ma réplique préférée : « Hon, mon Dieu !!! Qu’est-ce que c’est que ça ?!? Je n’avais jamais remarqué ! »

Commentaire ( 1 ) :

Nicole dit :

Dans ta liste de réponses à offrir, tu peux aussi ajouter qu’elle a brisé une chaîne de lettres par Internet…

Bébé : les aimer, y survivre - 85

C’est la fête

L’art d’organiser des anniversaires…

C’est la fête

• L’art d’organiser des

E st-ce que je vous ai déjà dit que

j’adorais organiser des fêtes

anniversaires...

d’anniversaire ?

... et l’art d’y assister

Ça m’étonnerait, parce que je

Le chocolat équitable,

déteste ça.

ça ne goûte rien

Le plus dur, c’est d’enlever le

On se reverra en enfer, les p’tits

gros pli que j’ai entre les sourcils monstres

avant que les invités arrivent — de

Indigne et demie ( 4 )

quoi leur faire penser que je ne suis

Illustration : Confession

photographique

pas contente de les voir, ah, ah, ah !

Le père Noël est aux ordures (inédit)

Le pire, évidemment, ce sont

Pour en finir avec le père Noël

les fêtes d’enfants. En effet, les fêtes (inédit)

d’anniversaire prouvent encore

une fois, si besoin était, que nous

les adultes, nous sommes des êtres

supérieurs. Civilisés. Car, enfin, organiser une fête pour un adulte ? Facile. « Oui, bonjour, je voudrais réserver samedi soir pour seize personnes. » Et voilà ! Le tour est joué !

Pour les enfants, c’est une tout autre paire de ce que vous voudrez.

D’abord, quand c’est la fête d’un adulte, on lui donne ses cadeaux mais on ne remplit pas un petit sac de surprises pour tous ses amis. Alors qui a eu la brillante idée de penser qu’il ne fallait pas donner des présents uniquement à l’enfant dont c’est l’anniversaire, mais à tous les autres aussi ? Probablement une conspiration des Dollarama.

86 - Chroniques d’une mère indigne

Et encore, j’ai fait le maximum pour minimiser les dégâts.

J’ai calculé, pour mes deux enfants, qu’il me serait préférable de les concevoir autour d’octobre-novembre pour accoucher en plein cœur de l’été et ainsi avoir une excellente excuse pour éviter d’inviter leurs amis d’école à venir foutre le bordel chez nous à leur anniversaire.

Et je dis bien chez nous. Parce que réserver une allée au bowling pour devoir m’enfourner des hot-dogs froids et empêcher les enfants des autres de se tirer leurs boules de quilles en pleine face (parce que leurs parents, eux, se sont tirés

— pas cons, les salauds) ? Réserver une salle au cinéma pour être obligée de bouffer des nachos mous et me taper Le Gros Albert version doublée à la franchouillarde ? Organiser une journée au Jungle Jungle et être prise pour retrouver quelques braillards coincés dans des tunnels en plastique qui donnent des chocs électriques et qui fleurent bon le pipi mariné ? No way in hell. Pas d’affaires, Gilbert et niet, Georgette. Tant qu’à souffrir, j’aime autant souffrir chez nous.

(D’autant plus que, dans mon tiroir secret, j’ai précieusement gardé de mon dernier accouchement quelques comprimés d’Atasol-codéine que je conserve pour les cas d’urgence, dont les anniversaires.)

Tout ça pour vous dire que, l’anniversaire de Fille Aînée étant imminent, j’ai dû organiser quelque chose à la maison samedi dernier.

Quelque chose à son goût.

En effet, les enfants grandissant, il devient de plus en plus difficile de faire ce qu’on veut pour les fêter. Les petits coquins commencent à avoir une volonté propre, du genre : « J’aimerais ça inviter Sophie à la maison pour mon anniversaire. Et faire un anniversaire-santé, tu sais, avec des jeux. » Et vlan ! On se C’est la fête - 87

retrouve à devoir retracer une copine d’école alors que l’école est finie (pas si brillant, finalement, le truc de la conception automnale) et à devoir (frissons d’horreur) organiser des jeux.

« Mais, aurais-je voulu crier, mais j’peux pas organiser des jeux, moi ! J’sais pas comment ! C’est Sœur indigne qui est bonne là-dedans. Sœur indigne, elle, quand elle gardait des enfants, elle arrivait avec un sac plein de jeux ! Moi, j’arrivais avec une seule question : “Quand est-ce que je les couche ?” Et là, il faudrait que j’organise des jeux ? Pour tout un groupe ??? »

Tais-toi, Mère indigne. Tu as voulu avoir des enfants, alors sois mère, et tais-toi.

Alors j’ai organisé.

Pour éviter le pire, j’ai surtout invité la famille et les amis.

Pas besoin de faire la conversation avec des parents inconnus ou de s’occuper de petits orphelins d’anniversaire. (Sophie, la seule outsider, se demandait où étaient les autres copains de l’école — ne te pose pas de questions, chérie, on va bien s’occuper de toi.) Et pour les jeux, un seul réquisit : on devait faire des équipes de un adulte et un enfant — pas question que je gère les mioches à moi toute seule.

Quelques points forts de la journée :

Mère indigne — D’accord, les amis. Rejoignez votre coéquipier, on va faire une course dans des sacs. Vous partez d’ici, vous allez jusque là, puis rendu là, vous changez de place avec votre partenaire puis vous revenez à la ligne de départ.

Compris ? Un, deux, trois, go !!! Pffffrrrt… Ah ! Ah ! Ah ! J’vais prendre une photo… Quoi ? La course est finie ? Déjà ? Qui a gagné ? QUI A GAGNÉ ? Personne n’a regardé ? Merde. On recommence. Comment ça, c’est pas juste ? J’AI DIT, ON RECOMMENCE !

88 - Chroniques d’une mère indigne

Mère indigne — Bon, les amis. On va faire une course de brouette. Pour commencer, les enfants vont faire la brouette.

Pour revenir à la ligne de départ, les adultes vont prendre leur place.Ami — T’es folle !

Amie — Comment les enfants vont pouvoir nous porter ???

Beauf’ adoré — Chouchoune a juste trois ans !!!

Mère indigne — (Je suis tellement stupide.) D’accord, on va faire un aller-retour. Les enfants font la brouette dans les deux sens. Un, deux, trois… (Seigneur que je suis stupide !!!) Mère indigne — Bon, maintenant les amis, on va jouer aux ballons d’eau. L’adulte va remplir le ballon et ensuite le but est de se le lancer avec l’enfant sans qu’il pète. Le gagnant est l’équipe qui remplit le ballon le plus rapidement et y’a des points bonis pour ceux qui se le lancent le plus longtemps.

Amie — Qui a pensé à des règles aussi stupides !?

Tout le monde établit de nouvelles règles. Le jeu finit dans une pagaille totale parce que tout le monde veut faire péter un ballon d’eau dans la face de tout le monde. Tout le monde s’amuse ; tout le monde me tape sur les nerfs. Je donne des points au hasard.

Mère indigne — Bon, les amis. On va faire une compétition de corde à sauter. L’équipe qui saute le plus de coups gagne.

C’est la fête - 89

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Ami — C’est pas juste ! Les petits ne savent pas sauter à la corde !

Mère indigne, en soupirant — D’accord. Maximum de 50

coups.

Ami scientifique, en apparté avec Mère indigne — Pour que ça soit plus juste, on devrait additionner le nombre de coups des deux coéquipiers et diviser par l’âge de l’enfant. Comme ça, plus l’enfant est jeune, plus ça laisse de chances.

Frère scientifique — Ouais, bonne idée !

Mère indigne, en apparté avec elle-même — N’importe quoi, pourvu qu’on en finisse.

Mère indigne, au public —Les amis, dans un souci d’équité, on va additionner le nombre de coups des deux coéquipiers et diviser par l’âge de l’enfant. (Merde. Je suis encore en train d’avoir l’air stupide.)

Amie — Qui a pensé à des règles aussi stupides !?

Bref, de beaux moments d’humilité pour Mère indigne qui, la prochaine fois, invitera un clown à la maison pendant qu’elle va faire semblant d’être malade et ira en fait passer la journée au spa.

Parce que Mère indigne, le clown, elle l’a assez fait samedi.

90 - Chroniques d’une mère indigne

… et l’art d’y assister

P ère indigne et moi avons fait C’est la fête office de monoparentaux ce L’art d’organiser des anniversaires...

week-end. Moi, j’accompagnais • ... et l’art d’y assister Bébé à la fête de mon beauf’ alors Le chocolat équitable, que Père indigne faisait la roue

ça ne goûte rien

devant les mamans à l’anniversaire On se reverra en enfer, les p’tits d’un copain de classe de Fille Aînée.

monstres

Petits tableaux de cette fabuleuse Indigne et demie ( 4 ) journée :

Illustration : Confession

photographique

Chez le beauf’

Le père Noël est aux ordures (inédit)

J’ai à peine le pied dans la maison Pour en finir avec le père Noël (inédit)

que Beauf’ adoré m’offre un kir :

— Un kir ? Il est quelle heure ?

Même pas onze heures ? Bien sûr que j’en veux un !

Aussi bien faire des provisions pour plus tard.

L’art de la conversation avec Mère indigne : Mère indigne — C’est fou comme on est plus relaxe au deuxième enfant.

Gentille convive — C’est vrai.

Mère indigne — Je la laisse même jouer avec des sacs en plastique.

Gentille convive, l’air stupéfait — !!!

Mère indigne — Heu, avec un nœud dedans, pour ne pas qu’elle rentre sa tête à l’intérieur…

C’est la fête - 91

Gentille convive — !!!

Mère indigne — Heu, toujours sous surveillance, évidemment…

Gentille convive — !!!

Mère indigne — Presque jamais, en fait…

Gentille convive — !!!

Mère indigne — Ah, ah, ah ! C’était une blague ! Hum.

Gentille convive — Hum, hum.

Je suis géniale pour les conversations impromptues. C’est pourquoi je décide d’aller rejoindre les enfants, ces petits êtres qui savent vous accueillir malgré vos comportements dégéné-

rés. Je passe la demi-heure suivante à me faire tapocher sur la tête avec un ballon expertement manœuvré par un charmant blondinet. Le ballon est gonflé à l’hélium ; ça pourrait être pire.

Mon assiette est pleine, et ô, miracle !, générosité sans égale !, Mamie a été endormir Bébé. Je peux manger tranquillement !

Je vais me cacher sur un coin reculé du divan, derrière une plante verte, et entreprends de déguster ma cuisse de poulet.

« WAAAAAAA !!! »

BOING !

BOING !

BOING !

« WAAAAAAA !!! » BOING ! BOING ! BOING !

C’est le blondinet qui, ne se laissant pas déjouer par une vulgaire plante verte, a retrouvé sa copine de ballon et hurle sa joie en me binant sur la tête de plus belle.

« WAAAAAAA !!! »

BOING !

BOING !

BOING !

« WAAAAAAA !!! » BOING ! BOING ! BOING !

— Ah, ah, ah ! Très drôle, chéri, mais maintenant Mère indigne va manger, d’accord ?

92 - Chroniques d’une mère indigne

« WAAAAAAA !!! »

BOING !

BOING !

BOING !

« WAAAAAAA !!! » BOING ! BOING ! BOING !

— Hi, hi, hi, va jouer avec ta cousine, chéri, je pense qu’elle t’attend.

« WAAAAAAA !!! »

BOING !

BOING !

BOING !

« WAAAAAAA !!! » BOING ! BOING ! BOING !

Finalement, je lui ai pris le ballon et l’ai tapoché moi-même sur la tête. Avec intensité. Il croyait que je jouais, mais en fait je me défoulais.

Je ne me souviens pas avoir terminé mon assiette, mais je me souviens avoir pensé que j’avais bien fait de prendre ce kir en arrivant.

La scène de la journée : ma nièce de trois ans et demi courant partout avec un énorme ballon dans les bras, en hurlant : « ATTENTION, LES GROSSES BOULES ARRIVENT !

ATTENTION, LES GROSSES BOULES ARRIVENT ! »

Du côté de Père indigne :

Pendant ce temps, Père indigne sauvait le monde, une piñata à la fois.

Car, pour l’anniversaire du copain de Fil e Aînée, ses parents se sont laissés prendre à offrir cette invention du diable, j’ai nommé la piñata.

Je sais que, dans leur esprit, tout était pour se dérouler comme dans un rêve. Les enfants se partageraient le batte et taperaient sur la piñata à tour de rôle pendant quelques minutes jusqu’à ce que leur fils, d’un coup bien placé, fasse exploser la C’est la fête - 93

piñata et que tout le monde se régale des mille et une surprises échappées du ventre de la bête.

Sauf que les piñatas, ça ne tient pas du rêve, mais du cauchemar.

Fait numéro un : les enfants ne sont pas capables de faire exploser une piñata. Fait numéro deux : la plupart des adultes non plus. Alors on frappe, on frappe, et le temps devient, comme qui dirait, long. Surtout en compagnie d’adultes qu’on ne connaît en général ni d’Ève ni d’Adam et qu’on a l’obligation de côtoyer seulement parce qu’un individu pré-pubère à l’allure louche fréquente la même classe que sa fille.

Bref, les enfants ont tapé pendant cinq minutes. Puis dix.

Quinze. Rien à faire. La piñata lâchait bien un bonbon de-ci, de-là, mais sans jamais livrer toutes ses promesses. Dans le jargon, on appelle ça une agace-sucette.

C’est alors que Père indigne, la tentation faite homme, susurra à l’oreille de l’hôtesse : « Est-ce que les adultes peuvent jouer ? »

La dame, pas folle, comprit alors que les choses seraient prises en main. « Les enfants, écoutez-moi ! Les adultes aussi vont avoir leur tour ! »

Les enfants non plus ne sont pas fous, et ceux-ci commen-

çaient à en avoir assez du maudit âne qui se balançait d’un air narquois. Ils cédèrent volontiers le batte à la mère du fêté, qui frappa. Pang ! L’âne plia mais ne rompit point.

C’est alors que Père indigne s’avança. Tous retenaient leur souffle. PATACLOW !

L’âne plia, ne rompit toujours pas, mais il gisait à présent par terre, inanimé. Livré à la convoitise d’une bande d’enfants sans pitié, il fut prestement éviscéré et rendit enfin son dernier soupir sucré.

94 - Chroniques d’une mère indigne

Soulagement chez les petits et les grands. Père indigne fut porté en héros et revint à la maison couvert de rouge à lèvres.

Mais non, c’est une blague. Ou, en tout cas, il avait eu le temps de se laver.

C’est la fête - 95

Le chocolat équitable, ça ne goûte rien

C’est la fête

L’art d’organiser des anniversaires...

A h, ah, ah ! Je vous ai bien eus, là !

« Quelle horreur ! », avez-vous

... et l’art d’y assister

songé l’espace d’un instant. « Mère

• Le chocolat équitable,

indigne crache sur les produits

ça ne goûte rien

bio-fair-trade ! Pendons-la haut et

On se reverra en enfer, les p’tits

court ou, pire, faisons-lui écouter

monstres

en boucle de longs documentaires

Indigne et demie ( 4 )

sur le commerce éthique ! »

Illustration : Confession

Mais vous vous méprenez.

photographique

En fait, ce que je voulais dire, c’est

Le père Noël est aux ordures (inédit)

que le chocolat équitable, je n’y ai

Pour en finir avec le père Noël

(inédit)

jamais goûté. Je voulais en acheter

cette année pour Pâques, mais je ne

l’ai pas fait. Pire : je n’ai pas acheté de chocolat du tout à Fille Aînée. Soufflés, n’est-ce pas ? Elle ne s’appelle pas indigne pour rien, la mère !

Personnellement, je trouve que j’ai eu le courage de faire preuve d’une digne retenue. En effet, après de savants calculs, je me suis aperçue que le chocolat qu’offriraient Papi et Mamie, plus celui envoyé par la Mamie d’outre-mer, plus celui offert par frérot parce qu’il n’a pas d’enfants et qu’il doit bien compenser en quelque part, ça équivaudrait à environ quatorze kilos de chocolat, cinquante-trois maux de cœur et douze visites (3 200 $) chez le dentiste. Alors j’ai décidé de m’abstenir de contribuer au massacre, d’où le boycottage du choco.

Cela dit, mère un jour, mère toujours. Et dans cette société de consommation à outrance où, tant qu’à ne rien acheter à nos 96 - Chroniques d’une mère indigne

enfants pour Pâques, aussi bien leur donner aussi une claque en pleine face car le dommage psychologique sera le même, être mère signifie quand même sortir le portefeuille. J’ai donc dûment déboursé quelques dizaines de dollars en bébelles vert tendre, roses et mauves de toutes sortes. Le bilan, pour mes deux filles et mes deux nièces :

Deux petits poussins en peluche made in China ; Deux petits lapins en peluche made in China ; Deux crayons avec un p’tit bout en lapin made in China ; Deux kits de décoration de cocos de Pâques made in China ;

Tout ça, dans deux mignons sacs-cadeaux made in China.

Disons pour conclure que, dans mon périple vers l’équitable, il semblerait que je n’ai même pas encore fait mes valises.

C’est la fête - 97

On se reverra en enfer, les p’tits monstres !

C’est la fête

L’art d’organiser des anniversaires...

E ugénie, la fille d’un couple

d’amis, a annoncé à Fille

... et l’art d’y assister

Aînée la semaine dernière que sa

Le chocolat équitable,

mère avait décidé d’enlever toutes

ça ne goûte rien

les décorations le matin du 31

• On se reverra en enfer, les p’tits

octobre, pour ne pas être obligée

monstres

de distribuer des bonbons toute la

Indigne et demie ( 4 )

soirée. Dubitative, j’ai interrogé ma

Illustration : Confession

copine hier à ce sujet :

photographique

— Est-ce que c’est vrai que

Le père Noël est aux ordures (inédit)

tu vas enlever les décorations

Pour en finir avec le père Noël

(inédit)

d’Halloween le matin du 31 pour

ne pas être obligée de répondre à

la porte ?

— Qui t’a dit ça ?

— Eugénie l’a dit à Fille Aînée.

— Euh, non, ce n’est pas vrai.

— Parce que je trouvais que c’était une excellente idée !

On a bien rigolé. Des bonbons ou une farce ? Joke’s on you, mes petits amis ! On se reverra l’an prochain… peut-être !

Mais non, ne vous inquiétez pas. L’idée d’Eugénie n’aura pas de prise sur moi. Indigne, mais quand même pas indigne et demie, surtout lorsqu’il s’agit de propager le sucre, cet allié incontournable dans les négociations parents-enfants.

C’est sacré, l’Halloween. Pas de passe-droit, aussi tentante l’idée soit-elle.

98 - Chroniques d’une mère indigne

Indigne et demie

( 4 commentaires )

J e l’ai fait. Dieu me pardonne, je C’est la fête n’ai pas pu résister.

L’art d’organiser des anniversaires...

Lundi après-midi, j’étais dans ... et l’art d’y assister la voiture avec les filles. Bébé, pas Le chocolat équitable, trop en forme depuis plusieurs

ça ne goûte rien

jours, hurlait depuis une demi- On se reverra en enfer, les p’tits heure. Biberon, tétine, gouzi-gouzi,

monstres

rien n’y faisait. J’avais moi-même la • Indigne et demie ( 4 ) morve au nez et pas de mouchoir. Illustration : Confession En reniflant de toutes mes forces

photographique

(je n’allais pas me moucher dans Le père Noël est aux ordures (inédit) la tuque de Bébé, tout de même), Pour en finir avec le père Noël (inédit)

je songeai à la soirée d’Halloween

qui s’annonçait. Aux 250 enfants

qui viendraient sonner demain à la porte. Aux 250 fois où je devrais nous exposer, Bébé et moi, à vents et marées, ou plutôt à vampires et mariées. Aux 250 sacs de bonbons distribués d’une main pendant que je soutenais/protégeais/rassurais Bébé de l’autre. Une lassitude immense m’envahit. Et tout à coup, je fis le grand saut :

— Chérie, Bébé est malade, Maman est fatiguée. Est-ce que ça te dérangerait beaucoup si demain j’enlevais les décorations d’Halloween et qu’on ne distribuait pas de bonbons cette année ?

— Euh, oui, ça me dérangerait beaucoup.

C’est la fête - 99

— Bon, je reformule le tout. Cette année, Chérie, j’ai décidé que nous allions enlever les décorations et ne pas distribuer de bonbons.

— Mais… Mais… Mais ! Est-ce qu’on ne pourrait pas laisser les décorations et mettre une pancarte qui dit : « Nous avons décoré, mais nous ne donnons pas de bonbons » ?

Je lui répondis, avec toute la finesse et la douceur dont je suis capable et avec l’esprit démocratique qui m’anime dans mes relations avec ces petits êtres dignes de respect que sont les enfants :

— Non.

— Mais, mais, mais ! Est-ce que tu ne pourrais pas quand même distribuer les bonbons en gardant Bébé dans tes bras ?

Encore une fois, je fis preuve de la plus grande diplomatie courtoise :

— Non.

— Mais, mais, mais ! Est-ce que Papa et moi, on ne pourrait pas distribuer nos bonbons en même temps qu’on va ramasser ceux des autres ?

Je n’ai pas dit « Tu verras ça avec ton père », car je tiens à mes bonnes relations de couple. J’expliquai tout bonnement en long et en large que cette suggestion, malgré son côté novateur et généreux, n’était pas de mise :

— Non.

Là, je vous avertis. Il y a un prix à payer pour être indigne.

Les « sniff, sniff » qui me parvenaient de la banquette arrière ébranlèrent quelque peu ma décision, surtout que nous n’avions toujours pas de mouchoirs.

Heureusement, mon expérience me sauva. J’eus l’idée du siècle :

100 - Chroniques d’une mère indigne

— Chérie, j’ai eu l’idée du siècle !

— Quoi ? (Sniff, sniff…)

— On va enlever les lumières d’Halloween de la gouttière, puis ensuite… on va les accrocher dans ta chambre !

— Ouuuiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Merci Maman, merci, merci, merci !!!

Mouchoirs ? Pas besoin, quand on possède un esprit retors comme le mien.

Alors, hier après-midi, j’ai suivi la suggestion d’Eugénie.

J’ai enlevé toutes les décorations d’Halloween du terrain.

Oui, j’ai eu honte. Mais j’avoue que cette honte était aussi mêlée d’un fort sentiment d’exaltation. L’air médusé des passants qui, en cet après-midi du 31, me voyaient arracher la fausse toile d’araignée du buisson, rentrer mes citrouilles et dé-

crocher ma guirlande de fantômes me le disait sans équivoque : j’étais indigne, pour vrai !

Pendant une dizaine de minutes, je me suis sentie vivre, enfin !

(J’exagère. Je me suis sentie vivre comme d’habitude, mais en plus méchante.)

Le soir, aucun coup de sonnette n’a retenti chez les Indignes. Je me suis amusée à jouer à la poupée avec Bébé, bien au chaud dans notre maisonnette à peine éclairée. L’énorme sac de bonbons ramené par Fille Aînée lui avait fait oublier la trahison de sa mère.

Mais soyez sans inquiétude. Ce n’était qu’une exception.

L’an prochain, on reprend le flambeau. Il y a des limites qu’il faut savoir ne pas franchir. Et il ne faudrait pas que je prenne goût à ne rien respecter, quand même. Non. Surtout pas.

Sniff, sniff…

C’est la fête - 101

Commentaires ( 4 ) :

Natcho dit :

Au fond, l’Halloween c’est quoi exactement ?

Hier soir, chez nous, c’était une course pour déguiser un Fils aîné de bientôt 14 ans ( !) qui a couru rejoindre ses copains dans le quartier voisin. Puis, la suite de la course pour aller reconduire en voiture une Grande chérie de 12 ans qui allait retrouver des copines dûment déguisées à un point de rencontre hautement stratégique : au bout d’une rue très décorée, très huppée à six kilomètres. Soirée moche à mes yeux : il pleuvait, il faisait très noir, pas vraiment chaud non plus.

Je l’avoue, je me suis sauvée tout de suite après. Elle est revenue avec le Père indigne d’une de ses amies.

Nous n’avons pas décoré chez nous. Nous n’avons pas répondu car personne n’a sonné. Nous nous en fichons tout doucement. Aucune culpabilité à avoir.

L’année prochaine, qui sait, mes enfants auront d’autres centres d’intérêts plus intéressants !

vieux bandit dit :

Ces grands ados, avec leur sac d’école ! Étrange ! Moi, passé 13

ans, j’avais trop honte ! (À quand un programme pédagogique pour ramener la honte judéochrétienne ?) Catherine dit :

J’ai bien ri en lisant ton texte, puisque je me sentais à peu près pareil le 31. Même qu’à 16 h 30 avant de quitter le bureau je jouais à peu près la même scène au téléphone avec le Petit.

Fondamentalement, en tant qu’adulte, je HAIS l’Halloween, je trouve ça laid et cheap, et vraiment mal situé dans l’année !

Puis l’atavisme de l’Halloween m’a rattrapée… J’ai décidé de faire une concession et d’aller quand même acheter des bonbons que nous pourrions distribuer en restant au chaud.

102 - Chroniques d’une mère indigne

Puis, une fois à la maison, ben coudon il ne pleuvait plus, et il me semblait qu’il manquait quelque chose. Les yeux du Petit quand je lui ai dit d’aller mettre son costume ! Finalement, j’ai eu l’impression que tout le monde avait un peu passé par le même processus. Les gens étaient plus joyeux qu’à l’habitude, moins sur le pilote automatique. OK, je l’admets, j’ai eu du fun et le Petit, encore plus que les autres années !

Moralité de l’histoire : un oui les rend toujours heureux, mais un non suivi d’un oui décuple le plaisir !

P.S. Le Grand a distribué les bonbons pendant notre absence, et lui il était très content que les adolescentes de 13-14

ans passent encore l’Halloween.

Jeann’indigne dit :

Si j’ai bien compris, l’année prochaine la province de Québec au complet va suivre l’exemple de Mère indigne et décrocher toutes les décorations au matin de l’Halloween. Toutes, sauf une, celle de la famille Indigne qui devra payer de l’avoir fait cette année.

Préparez dès aujourd’hui les 7 millions et demi de petits sacs que vous devrez distribuer l’an prochain…

C’est la fête - 103

Confession photographique

104 - Chroniques d’une mère indigne

Le père Noël est aux ordures

Un charmant court-métrage destiné aux sept ans et moins (inédit) 1. INT. JOUR - SALON DE LA C’est la fête FAMILLE INDIGNE

L

L’art d’organiser des anniversaires...

e film s’ouvre sur un gros plan ... et l’art d’y assister du calendrier. Nous sommes Le chocolat équitable, le 19 décembre 2006. Affalée sur le

ça ne goûte rien

divan, Mère indigne lit avec avidité. On se reverra en enfer, les p’tits À la couverture noire du roman, on

monstres

devine que c’est un polar. À langue Indigne et demie ( 4 ) pendante de Mère indigne, on Illustration : Confession devine qu’il est très bien ficelé.

photographique

Fille Aînée fait irruption dans • Le père Noël est aux ordures (inédit)

le salon. Se fichant éperdument du Pour en finir avec le père Noël fait que sa mère, arrivée à la page

(inédit)

146, est sur le point d’être témoin

d’un crime horrible, elle s’assied

sur le fauteuil et la regarde avec insistance.

Mère indigne lève les yeux et s’adresse à sa fille d’un ton ravi.

MÈRE INDIGNE

Il paraît que lire fait dépenser deux calories par heure, mais ce roman est tellement bon que je dois en dépenser au moins trois ou quatre !

FILLE AÎNÉE, qui se fiche aussi des calories Maman. Est-ce que tu jures de me dire toujours la vérité ?

C’est la fête - 105

MÈRE INDIGNE, la tête à moitié enfouie dans son bouquin Hmm ? Mais, évidemment, mon amour. Toujours.

FILLE AÎNÉE

Maman. Cette année, je veux que tu me dises la vérité au sujet du père Noël. Toute la vérité.

MÈRE INDIGNE, paniquée

Toute la vérité ? Au sujet du… du père Noël ? Tout de suite ?

Mais je… je n’ai pas de signet pour garder ma page et…

FILLE AÎNÉE

Non, maman. Pas tout de suite. Je veux que tu me dises la vérité le 25. (Puis, après un silence menaçant, elle ajoute : ) Il te reste six jours.

Fille Aînée retourne alors dans le sous-sol se dandiner sur les succès de Star Académie, non sans jeter auparavant à sa mère un regard chargé de sombres perspectives.

Au cours de cette conversation, Mère indigne vient de dépenser 1 326 calories sans même s’en apercevoir. Par contre, elle n’est plus du tout ravie.

La caméra s’attarde sur le calendrier. Elle nous présente le 25 décembre en gros plan. Puis, cette date disparaît dans un grand tourbillon, au son inquiétant d’une fugue de Bach. (Je n’ai rien trouvé qui faisait le même effet dans le répertoire de Beau Dommage.)

2. INT. JOUR - SALON DE LA FAMILLE INDIGNE

Affalée sur le divan, Mère indigne tricote. Sur ses genoux, les fils de laine blancs et rouges nous laissent deviner l’ébauche 106 - Chroniques d’une mère indigne

d’un bonnet de père Noël. Mère indigne travaille rapidement, mais semble découragée.

MÈRE INDIGNE

Plus que 48 heures pour terminer la tuque de Bébé avant le matin du 25. Je n’y arriverai jamais. À moins que…

Au beau milieu d’une rangée, elle change son aiguille à tricoter numéro 4 pour une aiguille numéro 6. Regardant alors son tricot d’un œil neuf, elle laisse échapper un gloussement de satisfaction : la tuque sera terminée demain matin et Bébé n’y verra que du feu.

C’est à ce moment que Fille Aînée entre dans la pièce.

Elle examine la tuque de père Noël d’un regard que l’on sent dubitatif, puis relève les yeux vers Mère indigne.

FILLE AÎNÉE

Il te reste deux jours.

Mère indigne perd illico 745 calories. Elle sent qu’elle se dégonflera encore plus dans un avenir rapproché.

3. INT. SOIR – CUISINE DE LA FAMILLE INDIGNE

À l’aide d’un énorme couteau à la lame fraîchement aiguisée, Mère indigne s’acharne brutalement sur un cœur de céleri avant d’en plonger les morceaux dans l’huile fumante.

MÈRE INDIGNE, en marmonnant La vérité, c’est que le père Noël, il… il… Hum. À vrai dire, je n’ai jamais vu le père Noël, mais ça ne veut pas dire nécessairement que… que… Non. Elle veut la vérité. Chérie, le père Noël est une C’est la fête - 107

merveilleuse légende qui a été créée dans le seul but de nous faire dépenser le maximum de… Ah, et puis zut ! Pourquoi c’est moi qui dois lui dire la vérité, hein ? (Elle se tourne vers Père indigne, qui équeute sereinement des haricots.) Pourquoi pas toi ?

PÈRE INDIGNE

Je trouve que c’est une belle marque de confiance à ton égard.

Elle sait bien que, moi, je lui mentirais comme un arracheur de dents.

MÈRE INDIGNE

Tu n’es même pas menteur !

PÈRE INDIGNE

Ce n’est pas ce que je lui ai dit quand elle m’a demandé de lui jurer la vérité…

MÈRE INDIGNE

Salaud !

PÈRE INDIGNE, imperturbable Je préfère « fin renard ».

Mère indigne s’empare des carottes et du brocoli et se met à les hacher à grands gestes sauvages. La lame du couteau illumine les murs de ses reflets fous. Père indigne s’éloigne imperceptiblement.

La soupe sera pleine de vitamines, ce soir.

108 - Chroniques d’une mère indigne

4. INT. JOUR – CHAMBRE DE MÈRE INDIGNE ET PÈRE

INDIGNE

C’est le matin de Noël. Toute la famille s’est réunie dans le lit conjugal pour ouvrir les cadeaux. Père indigne sirote son café et Mère indigne boit ce qui ressemble à du jus d’orange, mais dans une coupe. Leurs charmants enfants sont éparpillés autour d’eux, et eux-mêmes menacent de se noyer sous une mer d’emballages.

Bébé et Fille Aînée s’en donnent à cœur joie avec leurs merveilleux nouveaux jouets (que, dans quelques semaines à peine, nous rebaptiserons « les vieilles cochonneries qui traînent partout »). Fille Aînée s’extasie tout particulièrement devant son mini-Winnie l’Ourson en forme d’étoile. C’est le cadeau auquel elle tenait particulièrement, Dieu seul sait pourquoi.

PÈRE INDIGNE, à mi-voix

C’est pour aujourd’hui.

MÈRE INDIGNE, d’un ton un peu trop enjoué Pourquoi crois-tu que j’en suis à mon quatrième mimosa ?

PÈRE INDIGNE, légèrement inquiet Ça va aller ?

MÈRE INDIGNE, d’un ton encore plus enjoué Pour le père Noël, tu veux dire ? Oh, oui ! J’ai trouvé une excellente solution. Tout est sous contrôle.

C’est la fête - 109

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Père indigne est maintenant franchement inquiet. Il va à son tour à la cuisine se préparer un mimosa. Double dose de mousseux – aussi bien être prêt à tout.

FILLE AÎNÉE

Maman ?

MÈRE INDIGNE, combattant un hoquet intempestif Oui, mon petit cœur ?

FILLE AÎNÉE

Tu te souviens ? C’est aujourd’hui que tu me LA dis. La vérité.

MÈRE INDIGNE

Oh, mais oui ! C’est pourtant vrai ! Eh bien, mon amour, voilà : le père Noël n’existe pas ! Ah, ah, ah ! Hic !

FILLE AÎNÉE

Quoi ??? Il n’existe pas ? Mais… Mais… Il m’a tout de même donné mon Winnie l’Ourson ! Je lui avais demandé dans une lettre qui lui était spécialement adressée…

MÈRE INDIGNE

La lettre ? Ah, ah, ah ! Voyons, chérie ! Hic ! Tu me l’as fait relire deux fois, cette fichue lettre. Et puis, nous as-tu assez rebattu les oreilles avec ce Winnie ! Même le cinquième voisin aurait su quoi t’offrir à Noël.

110 - Chroniques d’une mère indigne

FILLE AÎNÉE

Mais… Mais… Tu m’as dit qu’on ne le trouvait pas dans les magasins, ce Winnie-là ?

MÈRE INDIGNE

C’est vrai.

FILLE AÎNÉE

Alors comment, si ce n’est pas le père Noël…

MÈRE INDIGNE

Un seul mot : eBay.

Fille Aînée se met à sangloter, le visage dans les mains.

PÈRE INDIGNE, de la cuisine, en rajoutant une triple dose d’alcool dans sa coupe

Bravo. Ah, là, vraiment, c’est la grande classe. Je te félicite.

Mère indigne ne daigne pas répliquer. D’un geste étudié, elle sort un sac de sous son oreiller et le vide sur le lit.

MÈRE INDIGNE

Allons, allons, chérie. Ne pleure pas. Tu vois, sur eBay, ils ven-daient ton Winnie avec tout l’ensemble des figurines de Noël !

Fil e Aînée, éblouie, contemple les mini-Winnies en forme de bûche de Noël, de bas de Noël, de père Noël et d’ange céleste qui s’éparpillent maintenant devant elle.

C’est la fête - 111

FILLE AÎNÉE

Mais… Maman ! C’est génial !

MÈRE INDIGNE, toujours humble

Je sais. (Puis, en direction de Père indigne : ) Another mimosa for the winner of the last manche, por favor !

D’un air extatique, Fille Aînée examine amoureusement chaque mini-Winnie. Mais, après quelques minutes, elle relève la tête.

FILLE AÎNÉE

Maman, si je n’avais pas voulu savoir la vérité sur le père Noël, est-ce que tu m’aurais donné seulement le Winnie Étoile ?

MÈRE INDIGNE

Oui.

FILLE AÎNÉE

Et qu’est-ce que tu aurais fait avec les autres Winnies ? Je ne les aurais jamais eus ?

MÈRE INDIGNE, tout sourire Oh, sois sans crainte ! J’aurais trouvé d’autres occasions pour te les offrir. Je les aurais cachés dans un œuf de Pâques, par exemple, ou bien mis sous ton oreiller lorsque tu aurais perdu des dents…

FILLE AÎNÉE

Dans un œuf ? Sous mon… ? Tu veux dire que le lapin de Pâques et la fée des dents…

112 - Chroniques d’une mère indigne

MÈRE INDIGNE

Oups.

FILLE AÎNÉE, s’enfuyant vers sa chambre Ouiiiinnnnn !

PÈRE INDIGNE

Alors là, je te lève mon chapeau. Très fort.

MÈRE INDIGNE

Laisse faire le mousseux et sors le gros gin. Après, on avisera.

C’est la fête - 113

Pour en finir avec le père Noël

À glisser dans le sac d’école de votre enfant avant le 25 décembre (inédit) C’est la fête

L’art d’organiser des anniversaires...

C her petit garçon/chère filette,

Tu es présentement en train

... et l’art d’y assister

de lire ta toute première lettre ano-

Le chocolat équitable,

nyme. Comme tu as de la chance !

ça ne goûte rien

Savais-tu que seuls les gens très

On se reverra en enfer, les p’tits

importants reçoivent des lettres

monstres

anonymes ? En général, une lettre

Indigne et demie ( 4 )

anonyme provient de quelqu’un

Illustration : Confession

qui veut nous dire des choses très

photographique

déplaisantes sans vouloir se faire

Le père Noël est aux ordures (inédit)

arracher les yeux ensuite. Je te ras-

• Pour en finir avec le père Noël

(inédit)

sure tout de suite : ta propre mère

ne ferait jamais preuve d’une telle

couardise et ne peut donc pas être

l’auteur de cette lettre.

La chose déplaisante que quelqu’un d’autre que ta mère désire t’annoncer anonymement est la suivante : le père Noël, ce généreux bon vivant élevé aux gras trans et qui remplit ton jeune imaginaire d’exubérants espoirs bien emballés, eh bien, le père Noël, il n’existe pas.

Je répète, juste au cas où : le père Noël n’existe pas.

Je te connais, cher enfant (même si je ne suis pas ta mère ou quoi que ce soit). Tu es un fin rhétoricien, tu me feras valoir de puissantes objections. Comment le père Noël peut-il ne pas exister, lui qui mange allégrement les biscuits que tu déposes 114 - Chroniques d’une mère indigne

pour lui dans une petite assiette, la nuit de Noël ? Tu devras rester fort devant la brutale réalité : c’est ton père qui se lève la nuit pour manger les biscuits. (Et pas seulement à Noël, tu peux me croire : il fait le coup du snack nocturne pratiquement quatre fois par semaine. Tes biscuits Pattes d’Ours aux pépites de chocolat, ce n’est pas pour rien que ta mère doit en racheter aux trois jours.)

Je t’entends encore protester, outré, que le père Noël existe puisqu’il répond toujours à la gentille lettre que tu lui envoies chaque année. Pauvre petit, j’ai de bien mauvaises nouvelles pour toi. Le temps est venu d’ouvrir tes yeux innocents à une énorme et laide conspiration. En vérité, je te le dis : toutes les lettres adressées au père Noël (Pôle Nord, HOH OHO) sont en fait promptement acheminées à un conglomérat de distributeurs de jouets. Ces capitalistes sans scrupule s’empressent de répondre aux enfants que oui ! évidemment ! ils recevront tous les joujoux mentionnés sur leur liste et dont ils rêvent si fort. Les parents, tes parents, se retrouvent alors prisonniers de ces promesses intéressées. Ils n’ont guère d’autre choix que de se ruiner en temps et en argent pour parvenir à trouver des objets aussi ridicules et improbables qu’un Winnie l’Ourson déguisé en étoile de mer ou une figurine de dragon aux allures de travesti parti en goguette au carnaval de Rio.

Tu me répliqueras que c’est impossible, que les parents ne peuvent pas se ruiner de la sorte ! Passionnément, tu feras valoir que, comme chacun sait, ce sont les lutins qui fabriquent à titre gracieux les jouets que le père Noël enfourne dans sa besace et distribue à tes copains du monde entier. Mais un simple coup d’œil sur le relevé de carte de crédit ci-joint te convaincra que, si lutins il y a, ces petits bonshommes verts sont totalement au fait des lois du marché.

C’est la fête - 115

Qui plus est, tu dois savoir que la plupart des lutins dont tu parles n’habitent pas au pôle Nord, mais en Chine, et que, s’ils sont verts, c’est parce qu’ils peinent dix-huit heures par jour à fabriquer, de leurs mains frêles et abîmées, des babioles bas de gamme que leurs patrons véreux revendront au prix du gros aux distributeurs de jouets susmentionnés. Et eux, pour finir, nous refileront cette camelote à grands renforts de chiffres avant la virgule. Tout ça pour que des petits Occidentaux comme toi ne fassent pas une crise de nerfs si, par malheur, il manquait l’épée laser de Luke Skywalker sous le sapin de Noël. (D’ailleurs, l’an prochain, tu recevras sûrement une lettre anonyme au sujet du maudit sapin et de ceux qui y mettent les décorations sans vouloir aider leur maman à les ranger, une fois janvier venu.) J’espère, mon cher petit, que cette histoire de père Noël est réglée une fois pour toutes. Je sais que ton cœur saigne, que tous tes beaux rêves gisent maintenant en lambeaux sur le parquet boueux de l’innocence perdue. Mais tu seras bientôt en troisième année, et en troisième année, lorsque tes camarades se moqueront des quelques imbéciles qui croient encore au gros barbu tout rouge, tu remercieras de toute ton âme l’auteur de cette lettre qui, en te soumettant à un éveil douloureux, t’aura aussi épargné les sarcasmes des chefs de ton clan.

Joyeux Noël tout de même, mon chéri. Tu auras probablement de beaux cadeaux, mais, si j’étais toi, je ne compterais pas trop sur un Winnie l’Ourson déguisé en étoile de mer.

Signé : Quelqu’un qui te veut du bien (même si ce n’est pas ta maman).

116 - Chroniques d’une mère indigne

Les enfants, c’est dégueulasse

L’apocalypse dans 5, 4, 3…

M esdames, vous voulez mettre Les enfants, un peu de piquant dans la

c’est dégueulasse

vie de vos proches ? C’est facile. • L’apocalypse dans 5, 4, 3...

Partez.

Après le sport extrême...

Non, non ! Ne faites pas vos Sam Pique ! Sam Pique !

valises ! Quand je dis « Partez », je Assumer sa vache intérieure veux dire qu’il vous suffit de partir Illustration : Confession républicaine cinq minutes.

Le repas le plus important

Par exemple, samedi soir,

de la journée

dernier, il fallait aller chercher La honte des frites pour accompagner les Anecdote pour un jour de pluie moules marinières (on n’épouse Le Nouveau Testament pas impunément un Belge). Afin

selon Eugénie

de montrer à Fille Aînée que la

culture ne s’arrête pas à lire des BD, Père indigne est occupé à lui installer Le gendarme et les extraterrestres dans le DVD. Or, pour que le DVD arrive à produire du son, il faut que ce soit Père indigne qui installe les films (il a fait exprès de brancher plein de machins derrière la télé, exprès pour que vous vous sentiez incompétente). Ergo, vous vous portez volontaire pour les frites.

Bon, il y a aussi le fait qu’à la Belle Province que vous fré-

quentez les gars derrière le comptoir sont pas mal, mais alors là, pas mal du tout. Il y en a un super baraqué mais pas trop, comme un nageur — et il se balade toujours en t-shirt serré —, et un autre qui a un de ces sourires ! Juste à les voir tremper leurs frites dans l’huile chaude… Mais je m’égare.

Les enfants, c’est dégueulasse - 117

« Bon, les amours, je reviens dans cinq minutes ! »

Et cinq minutes plus tard, vous êtes de retour dans le nid familial.

Où Bébé hurle à pleins poumons.

Où Fille Aînée, hystérique, vous affirme que quelque chose s’est produit de « vraiment DÉ-GUEU, Maman !!! »

Et où Père indigne a l’air de Gilligan qui aurait subi une journée, que dis-je, une semaine particulièrement éprouvante sur une île inhospitalière d’où Ginger et Marianne se seraient enfuies en le laissant se débrouiller avec un capitaine incontinent.Les divers témoignages qui vous parviennent de toutes parts vous permettent de reconstituer les faits :

« C’était dégueulasse ! » (Fille Aînée)

« Bon. Bébé s’est pris le pied dans le tabouret et j’ai essayé de l’enlever mais ça lui a fait mal. » (Père indigne)

« C’était dégueulasse ! » (Fille Aînée)

« Mais le pire, c’était avant. » (Père indigne)

« Ouais, c’était dégueulasse ! » (Fille Aînée)

« J’écoutais Le gendarme avec Fille Aînée, et Bébé se pro-menait autour… » (Père indigne)

« C’était dé-gueu-lasse ! » (Fille Aînée)

« … Elle n’avait pas de couche. » (Père indigne)

« C’était dégueulasse ! » (Fille Aînée)

« Alors j’entends des bruits bizarres… » (Père indigne)

« Dégueu !!! » (Fille Aînée)

« … et je la vois assise par terre, en train de bouffer quelque chose… » (Père indigne)

« C’était… ! » (Fille Aînée)

« Y’avait comme deux crottes… » (Père indigne)

« Ouache ! » (Fille Aînée)

118 - Chroniques d’une mère indigne

« … et elle en avait sur la langue. » (Père indigne)

« Maman, là, c’était vraiment dégueulasse. » (Fille Aînée)

« Je l’ai lavée partout, là, ça va. » (Père indigne)

« Mais c’était dégueulasse. » (Fille Aînée) Cinq minutes, pensez-vous, impressionnée. Cinq minutes !

Le jour suivant, pour faire un test d’action-réaction, Père indigne raconte la mésaventure à Eugénie.

« J’ai vraiment insisté sur les détails, me dit-il après coup, pour voir jusqu’à quel point je pourrais la déstabiliser. »

« Et qu’est-ce qu’elle a dit ? »

« Elle m’a dit : “Tu aurais dû le mettre dans ta bouche, le caca !” »

Là, j’en ai été émerveillée. Sérieusement, j’ai eu l’impression d’assister à un moment charnière de l’évolution humaine, comme si quelqu’un voyait, dans sa cour arrière, un homme du néolithique taponner après une roche pour fabriquer la première roue.

Parce qu’enfin, que je sois pendue si Père indigne n’a pas été témoin d’une forme primitive et rudimentaire de l’expression populaire « Mange donc de la… ! »

C’est beau, la marche des civilisations.

Les enfants, c’est dégueulasse - 119

Après le sport extrême…

Les enfants,

c’est dégueulasse

J e suis d’accord avec vous : la

vulgarité, c’est vulgaire. Mais

L’apocalypse dans 5, 4, 3...

les temps sont durs, une grosse

• Après le sport extrême...

semaine nous attend tous et ce ne

Sam Pique ! Sam Pique !

sont pas quelques mauvais mots,

Assumer sa vache intérieure

comme dirait Fille Aînée, qui nous

Illustration : Confession républicaine

feront peur.

Le repas le plus important

Alors, voilà, directement tirés

de la journée

du purgatoire de Mère indigne,

La honte

« les mots d’enfant extrêmes ».

Anecdote pour un jour de pluie

Dans les circonstances, et les mots,

Le Nouveau Testament

et l’enfant sont extrêmes.

selon Eugénie

Pour apprécier pleinement les

faits, il est nécessaire de faire une

petite mise en contexte sur les protagonistes : Père indigne : docteur en physique qui adore expliquer tout et n’importe quoi à n’importe qui, y compris aux enfants.

Il prend pour ce faire un ton très, très gentil qui vise à mettre à l’aise des interlocuteurs jusqu’à concurrence de 22 de quotient intellectuel. J’aime quand Père indigne explique des choses.

Parfois même, le soir, cela m’aide à m’endormir.

Eugénie : la fille d’amis qui habitent à proximité. Ce sont des gens en tous points corrects et leurs deux premiers rejetons sont tout ce qu’il y a de bien élevés. Eugénie n’en est que davantage une énigme. Je n’avais jamais vu auparavant une enfant de cinq ans blasée. Parlez-lui de n’importe quoi, elle s’en fout. En général, d’ailleurs, elle ne répond pas quand on lui parle, et si 120 - Chroniques d’une mère indigne

par hasard elle daigne réagir à nos interpellations, ce sera par un « Quessé ? » à la limite de l’agressif. Heureusement, elle n’a pas encore appris à jouer du majeur parce que, ce jour-là, on va tous y goûter. Par contre, son côté blasé est compensé, si j’ose dire, par une tendance fouineuse pour tout ce qui ne la regarde pas, d’où les « de quoi ? de quoi ? » qui ponctuent l’arrière-plan des conversations qui ne s’adressent pas à elle.

Père indigne, Eugénie… Vous voyez venir le choc des cultures ?

Par un bel après-midi, Père indigne sort de la salle de bain, portant Bébé emmitouflé dans une grande serviette faite à 90 %

de fibres de bambou. Étonnamment, c’est très doux et Père indigne n’a de cesse de s’extasier devant le phénomène. Comme Eugénie et Fille Aînée traînent dans les parages, Père indigne saute sur l’occasion de répandre la culture dans le monde.

Père indigne — Dis donc, Eugénie, est-ce que tu sais c’est quoi, du bambou ?

Eugénie — Quessé ?

Fille Aînée, toujours la bonne élève — C’est ce que mangent les pandas !

Eugénie — Quessé ?

Père indigne — Oui, c’est ce que mangent les pandas. C’est une essence de bois, mais imagine-toi qu’on peut aussi en tirer un fil ! Et (roulements de tambour) la serviette de Bébé est faite en fibres de bambou. C’est très doux, tu vas voir.

Et Père indigne d’avancer vers Eugénie et de faire mine de lui toucher le bras avec ladite serviette. Eugénie, qui deux secondes auparavant avait l’air de quelqu’un à qui on parle REER, FERR et préarrangements funéraires dans un party de bureau, recule précipitamment et, d’une voix stridente, s’écrie :

« HEILLE ! J’veux pas sentir le CUL ! »

Les enfants, c’est dégueulasse - 121

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Sur ce, les deux filles courent se réfugier dans le sous-sol.

Je regarde Père indigne, Père indigne me regarde.

Si ça avait été notre fille, on ne l’aurait pas trouvée drôle.

Mais là, je l’avoue, on a ri comme des bossus. Chaque fois qu’Eugénie remontait dans la cuisine, je me pinçais discrètement le nez d’un air dégoûté, et on s’esclaffait de plus belle, provoquant chaque fois une ribambelle de « De quoi ? De quoi ? » anxieux.

À un certain moment, on s’est calmés, mais Père indigne en a lâchement profité pour me demander, d’un air inquiet :

« Chérie, dis-moi la vérité. Est-ce que c’est vrai que mon bambou sent le cul ? » Un « De quoi ? » nous est parvenu dans le lointain, et c’était reparti pour un tour.

Ce soir-là, j’ai même eu de la difficulté à chanter ses berceuses à Bébé sans pouffer de rire.

Mais, derrière ces manifestations de joie, un nuage sombre.

Peut-être rira-t-on moins quand Fille Aînée et Eugénie seront adolescentes ?

122 - Chroniques d’une mère indigne

Sam Pique ! Sam Pique !

P ère indigne — Aujourd’hui, Les enfants, Eugénie a joué à « Jean-dit »

c’est dégueulasse

avec Fille Aînée.

L’apocalypse dans 5, 4, 3...

Mère indigne — Ça a donné Après le sport extrême...

quoi ?

• Sam Pique ! Sam Pique !

Père indigne — « Jean dit : Assumer sa vache intérieure Gratte-toi le cul. »

Illustration : Confession républicaine

Silence.

Le repas le plus important

Mère indigne — « Gratte-toi le

de la journée

cul » ?

La honte

Père indigne — Oui.

Anecdote pour un jour de pluie

Mère indigne — T’es sûr qu’elle Le Nouveau Testament n’a pas dit « Gratte-moi le cul » ?

selon Eugénie

Silence.

Mère indigne — C’est juste pour être sûre.

Père indigne — Je serais intervenu.

Les enfants, c’est dégueulasse - 123

Assumer sa vache intérieure

Les enfants,

c’est dégueulasse

C onnaissez-vous la croyance

selon laquelle on sera puni

L’apocalypse dans 5, 4, 3...

pour nos bonnes actions ?

Après le sport extrême...

Croyez-moi, c’est vrai. Je

Sam Pique ! Sam Pique !

l’ai vécu. Et, aujourd’hui, j’en

• Assumer sa vache intérieure

témoigne.

Illustration : Confession républicaine

Il y a quelques semaines, nous

Le repas le plus important

préparions, Fille Aînée et moi, une

de la journée

expédition au magnifique parc des

La honte

Prairies. Au grand ravissement de

Anecdote pour un jour de pluie

Fille Aînée, le pique-nique était

Le Nouveau Testament

inclus dans le forfait. À mon avis,

selon Eugénie

il n’y a pas grand-chose de plus

ennuyant que de préparer des

sandwichs, mais je me concentrai sur la scène bucolique qui suivrait, au bord de l’étang fréquenté par pics-bois, canards et tortues, et je me convainquis que le jeu en valait la chandelle.

Les préparatifs allaient rondement, nous étions presque en route, quand soudain, dans l’embrasure de la fenêtre, surgit une silhouette digne des pires cauchemars… Eugénie !

« Maman, tu penses à ce que je pense ? » me souffla Fille Aînée. Quoi ? Tu crois que, si on se couche en boule par terre et qu’on fait le mort, elle va s’en aller ? « On devrait l’inviter à venir avec nous ! » Ah, d’accord. Quelle idée géniale ; j’en ai la chair de poule.

Eugénie fut donc invitée en bonne et due forme. Après avoir accepté, elle eut la délicatesse de m’avertir : 124 - Chroniques d’une mère indigne

Eugénie — J’m’esscuze aké, mais ça s’peut que j’sente la vache.

Mère indigne — Comment ça ???

Eugénie — Hier, j’ai visité une place où y’avait plein de vaches.

Mère indigne — Et hier soir, tu n’as pas pris ton bain ?

Eugénie — Ah, ouain. Mais j’me suis pas vraiment lavée.

Je confectionnai en grommelant un troisième sandwich pour la vachette de service, et nous nous dirigeâmes vers les prés tapissés d’herbe tendre.

Au parc, tout se déroula dans une atmosphère relativement sereine. Enfin, la plupart du temps. Alors que nous admirions les châtaigniers (marronniers ? autre chose ? Quoi qu’il en soit, c’étaient des arbres) en fleurs, Fille Aînée entreprit d’éduquer Eugénie sur les bienfaits de la nature.

Fille Aînée — Dis donc, Eugénie, savais-tu que les arbres respirent ?

Eugénie — Ouain. Y sont vivants.

Fille Aînée — Oui, mais sais-tu que c’est grâce à eux que nous, on peut respirer ?

Eugénie — Hein ?

Fille Aînée, qui adore déléguer — Maman, tu nous expliques ?Mère indigne — Hum. (Comment ça marche, déjà ?) Euh, le jour, ils rejettent du mauvais air, puis la nuit ils prennent notre mauvais air pour en faire du bon. (Père indigne me confirmait hier soir qu’il s’agit en fait plus ou moins de l’inverse. Mais on peut s’entendre pour dire qu’il y a la lettre et l’esprit de la lettre, pas vrai ?)

C’est alors que Fille Aînée, très Julie Andrews dans La mélodie du bonheur, lève les bras au ciel, renverse sa tête par Les enfants, c’est dégueulasse - 125

derrière, prend un grand respir et s’écrie : « Ça sent BON, du BON AIR PUR !!! »

Le moment parfait pour Eugénie, qui ajoute : « Ouain, ben moi, j’ai pété. »

Bucolique, la scène, je ne vous dis pas.

L’heure de s’en aller venue, comme lors de toute sortie qui se respecte, vint la question du Dairy Queen.

« Heille, Mère indigne, on va-tu aller au Dairy Queen ? »

« BONNE IDÉE EUGÉNIE !!! Oui, Maman ! Dis oui ! »

Pour tout vous dire, j’avoue que ça me fait toujours un peu mal aux dents de sortir des sous pour Eugénie. Mais je sais reconnaître la radinerie mesquine quand elle me tripote les courbes du portefeuille, et je me contraignis à accepter la demande.

À certaines conditions.

« Écoutez les filles. Bébé est fatiguée. J’aimerais mieux rentrer tout de suite, mais je vais faire un marché avec vous.

Si Bébé ne pleure pas quand nous serons arrivées au Dairy Queen, et si il y a une place de stationnement juste en face de la vitrine, et s’il n’y a pas trop de personnes dans la file, et si vous me promettez de rester tranquilles dans l’auto, je vais aller en vitesse vous chercher vos cornets. C’est clair ? »

« OUIIIIII !!! »

Ah, ah, ah ! Je les avais bien eues ! Jamais toutes ces conditions ne seraient réunies !

Elle le furent.

Je me sentais un peu mal à l’aise à l’idée de laisser les filles seules dans la voiture, mais tout de même : Fille Aînée a sept ans, le quartier est tranquille et, surtout, je pouvais exercer une surveillance de tous les instants par la grande baie vitrée du commerce. En cas de pépin, j’étais à quatre enjambées de la 126 - Chroniques d’une mère indigne

voiture. J’allai donc chercher les cornets, envahie, malgré tout, par un sentiment dérangeant de culpabilité.

J’étais de retour dans la voiture deux minutes plus tard, montre en main. Soupir de soulagement. Que dis-je, euphorie !

Tout s’était bien déroulé !

« Qu’est-ce qu’on dit, les filles ? »

« Merci, Maman ! »

« Merci, MADAME LA FOLLE ! »

« … Heu, Eugénie, j’espère que tu sais que, si tu ne t’excuses pas, c’est la dernière fois que je t’amène au Dairy Queen. »

« Quoi, c’est vrai que t’es FOLLE, tu nous as laissées TOUTES SEULES DANS L’AUTO ! »

Je fermai les yeux. Dans ma tête, des images fragmentées d’Eugénie divulguant mon crime à ses parents. De la police qui viendrait sonner chez moi. De manifestations de voisins fous de rage devant mon domicile, murmurant qu’on ne peut s’attendre à beaucoup mieux du monde qui a le gazon trop long.

De la DPJ emportant mes enfants en larmes loin, très loin de moi. De Père indigne en profitant pour me faire des blagues belges.

Mais surtout, et je m’en excuse, résonna jusqu’au tréfond des moindres fibres de mon corps ce cri du cœur : Petite salope !!!

Je l’avais emmenée au parc ! Je lui avais acheté un cornet à deux dollars ! Je lui avais fait un sandwich, bordel ! Et elle, elle me tenait par où ça fait mal. Et elle serrait fort.

Mes mains tremblantes agrippaient le volant, mes phalan-ges blanchies annonçant avec éloquence qu’on avait déjà tué pour moins que ça.

Elle n’avait que cinq ans ? Et alors ? ! Je la détestais.

Les enfants, c’est dégueulasse - 127

D’une voix blanche, je répliquai finalement : « Eugénie. Je vous ai surveillées tout le temps. J’étais à moins de cinq mètres de la voiture. Si ça n’avait pas été le cas, tu n’aurais pas eu de cornet. »

Silence.

« Alors, tu t’excuses ? »

Autre silence, puis : « J’m’esscuze. On va-tu pouvoir revenir ? »« Mais oui, Eugénie, elle avait dit que, si tu t’excusais, on pourrait revenir. Hein, Maman, on va revenir ? »

Oh, oui, ma chouette. On va revenir. À deux.

Mais j’espère que tu sais qu’Eugénie, son cornet à elle, il est cuit !

Tout à coup, dans la voiture, ça s’est mis à sentir la vache.

La grosse vache. Et j’assumais très bien ce nouveau rôle.

128 - Chroniques d’une mère indigne

Licence enqc-62-5026113-sg73071800 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Confession républicaine

Les enfants, c’est dégueulasse - 129

Le repas le plus important de la journée Les enfants,

c’est dégueulasse

J e gardais ma nièce de trois ans