Jonquilles sur le quai
C’est juste après le changement d’heure du printemps. Avant, le train pour Paris de dix-sept heures trente-six semblait bien un train du dimanche soir, mais il est devenu tout à coup un train d’après-midi. Il n’a pas fait très beau tout le week-end, et le soleil est venu maintenant, presque ironique dans l’air d’avril tout pâle et doux. Sur le quai de la gare il y a des étudiants, en couples qui se quittent, enlacés tristement, ou bien en couples qui vont partir ensemble – et c’est assez mélancolique, cette contiguïté de situations à la fois si similaires et si différentes, ceux qui vont être séparés, ceux qui n’attendent que le train.
Mais la plupart des voyageurs sont solitaires, accompagnés par leurs parents – des pères, surtout : les mères sont restées à la maison, s’occuper des plus petits, ranger le goûter. Et puis, il ne faut pas que ce départ soit trop solennel.
Les propos sont plutôt enjoués, on entend des rires, des projets, des « la prochaine fois »… Mais ce petit ravigotement final sonne un peu faux, comme s’il voulait cacher une sensible différence entre ceux qui s’en reviennent vers Paris, guettés par un ailleurs, des espoirs, des projets… et ceux qui vont rester à quai, gardiens d’une vie balisée, accueillante mais fermée.
— Ça m’a fait du bien. Plus de stress pendant deux jours. J’ai laissé mon portable éteint.
On rencontre un vieux prof du lycée. Un DEA ? C’est bien… Oui, ça sert à ça, la province. Evacuer le stress. Se gonfler les poumons d’un vide bienfaisant, retrouver quelques souvenirs au moment de partir. Au coin du sac, dans du papier d’aluminium, un bouquet de jonquilles encore mouillées.