CHAPITRE TRENTE-TROIS

Le Tonnerre divin décrivit une immense boucle vers l'extérieur afin de revenir derrière ses adversaires, pendant que les équipes de contrôle d'avarie se démenaient. Il leur fallut du temps pour finir leurs observations, mais Matthieu Simonds, las et émerveillé, écouta tous leurs rapports à mesure qu'ils parvenaient sur la passerelle.

Ça semblait impossible. Ces coups auraient détruit n'importe quel bâtiment masadien; pourtant, malgré toutes les blessures béantes qui s'ouvraient sur les flancs du Tonnerre, il n'avait perdu qu'un lanceur de missiles et un unique graser.

Simonds ruminait sa haine tandis que l'ennemi exécutait sa propre boucle à l'intérieur de sa trajectoire, reproduisant chacun de ses mouvements. Toutefois, malgré sa haine, il commençait à comprendre pourquoi Yu se montrait si certain de pouvoir détruire l'Intrépide, car le Tonnerre était plus solide que dans ses rêves les plus fous. Son cerveau fatigué prit doucement conscience de son pouvoir, de son énorme capacité de destruction... et il comprit en même temps, amer, combien il avait mal tiré profit de ce pouvoir.

Il vérifia de nouveau le simulateur. Deux heures s'étaient écoulées depuis qu'il avait abandonné le combat et la distance entre le Tonnerre et l'Intrépide était remontée à seize minutes-lumière et demie. Workman lui avait assuré que le lanceur vingt et un serait de nouveau opérationnel sous trente minutes, mais le temps passait et il ne comprenait que trop bien qu'il avait laissé Harrington dicter les conditions de l'affrontement. Il disposait d'au moins deux jours avant que des renforts arrivent de Manticore mais elle s'interposait obstinément entre Grayson et lui et il l'avait laissée gâcher des heures précieuses qu'il aurait dû consacrer à l'œuvre de Dieu.

Fini, tout ça. Il se leva et se dirigea vers les panneaux de contrôle tactique. Ash, en discussion avec ses assistants, leva les yeux.

« Alors, lieutenant ?

— Monsieur, nous avons terminé notre analyse. Désolé que ça nous ait pris si longtemps mais...

— Laissez tomber, lieutenant », fit-il sur un ton plus brusque qu'il ne l'aurait voulu et qu'il essaya d'adoucir d'un sourire. Ash et ses hommes étaient presque aussi fatigués que lui-même, il le savait, et ils avaient dû faire leurs analyses avec les manuels de référence sur les genoux. C'était une des raisons qui l'avaient poussé à perdre du temps en manœuvres. Il n'arriverait sans doute pas à dépasser Harrington mais il n'avait pas l'intention de reprendre le combat avant qu'Ash ait fini de digérer ce qu'il avait appris durant le premier affrontement.

« Je comprends vos difficultés, fit Simonds plus aimablement. Dites-moi simplement ce que vous avez appris.

— Bien, monsieur. » Ash prit une profonde inspiration et consulta son bloc mémo électronique. « Malgré leur plus petite taille, leurs missiles bénéficient d'assistants de pénétration plus performants, surtout au niveau des CME. Nous avons programmé notre contrôle de tir pour compenser toutes les techniques d'alerte avancée que nous sommes parvenus à identifier. Je suis sûr qu'ils ont encore en réserve des trucs que nous n'avons pas vus mais nous avons éliminé la plupart de ceux qu'ils ont déjà utilisés.

— Sur le plan défensif, les leurres et les brouilleurs dont ils sont équipés sont très bons, mais leurs antimissiles et les lasers des défenses actives ne sont que légèrement supérieurs aux nôtres. De plus, nous avons capté les signaux émis par les leurres et mis à jour les fichiers d'exclusion de nos missiles. Je pense que nous arriverons beaucoup mieux à les déjouer dans le prochain affrontement.

— Très bien, lieutenant. Mais qu'en est-il de nos propres défenses ?

— Glaive, nous n'avons tout bonnement pas assez l'habitude de nos systèmes pour les faire opérer en feu commandé. je suis désolé, monsieur, c'est la vérité. » Les assistants d'Ash baissèrent les yeux vers leurs mains ou leurs panneaux de contrôle mais Simonds se contenta de hocher la tête, lentement, et le lieutenant continua.

— Comme je vous l'ai dit, nous avons mis à jour les fichiers pour les divers types de menace et nous avons retravaillé les logiciels pour extrapoler à partir de notre analyse des tirs précédents. De plus, j'ai installé des programmes de brouillage et de diversion qui se lanceront sur ordre de l'ordinateur. L'ensemble ne sera pas aussi flexible qu'une équipe tactique expérimentée mais nous devrions gagner en efficacité en supprimant l'élément humain de la chaîne de décision. »

Le lieutenant n'aimait pas avoir à faire un tel aveu mais il soutint le regard de Simonds sans ciller.

« Je vois. » Le Glaive se redressa et massa son dos douloureux, puis il regarda par-dessus son épaule. « Astrogation, la nouvelle trajectoire est prête ?

— Oui, monsieur.

— Alors ramenez-nous sur Harrington. » Simonds gratifia Ash de son sourire le plus paternel. « Vous allez avoir une occasion de nous montrer les fruits de votre labeur, lieutenant. »

— Ils reviennent, pacha. »

Honor posa sa tasse dans l'emplacement réservé à cet effet sur son accoudoir et haussa un sourcil à l'adresse de Cardones avant de baisser les yeux vers son simulateur. Le Saladin, après avoir porté la distance qui les séparait à presque trois cents millions de kilomètres, décélérait maintenant vers l'Intrépide à quatre virgule six km/s'.

« À votre avis, commandant, qu'est-ce qu'il a en tête cette fois ?

— J'imagine qu'il a passé ces deux dernières heures à réfléchir à ce que nous lui avons infligé, Andy. S'il revient, c'est sans doute qu'il croit avoir compris ses erreurs de tout à l'heure.

— Alors vous croyez qu'il va essayer de s'approcher à portée d'armes à énergie ?

— À sa place je le ferais, mais rappelez-vous ce qu'on dit du meilleur escrimeur. » Venizelos prit un air perplexe et elle eut un sourire forcé. « Le meilleur escrimeur du monde ne craint pas son dauphin, il craint le pire escrimeur parce qu'il ne peut pas deviner ce que ce crétin va faire.

Le second acquiesça et Honor se tourna vers son lien com. avec le Troubadour. Elle ouvrit la bouche mais McKeon sourit et secoua la tête.

— J'ai entendu ce que vous disiez à Andy, madame, et j'aimerais que vous vous trompiez. Dommage que ce ne soit pas le cas.

— Même s'il est mauvais, il a sans doute beaucoup appris lors du premier affrontement, Alistair. Dans ce cas, il va concentrer son tir en s'approchant.

— Oui, madame. » McKeon n'en dit pas plus mais ils connaissaient tous les deux la cible logique du Saladin. Le Troubadour supporterait beaucoup moins bien les avaries que l'Intrépide et sa destruction priverait Honor d'un quart de ses lanceurs.

— Restez tout près. Quoi qu'il ait l'intention de faire, ça commencera par un échange de missiles et je veux que vous vous trouviez à l'intérieur du périmètre des défenses actives de l'Intrépide.

— À vos ordres, pacha.

— Rafe, fit-elle en se retournant vers Cardones, appelez le lieutenant Harris pour vous relever, que Carolyn et vous puissiez prendre du repos, Vous aussi, chef Killian, ajouta-t-elle en jetant un coup d'œil au timonier. Il nous reste quatre ou cinq heures avant d'entrer à portée de missiles et je veux vous voir tous les trois frais comme des gardons à ce moment-là. »

Le Glaive Simonds se cala fermement contre le dossier confortable du fauteuil de commandement.

D'un côté il aurait voulu avancer franchement, se colleter de près avec ses ennemis et les détruire une fois pour toutes; pourtant il n'osait pas. Harrington avait trop malmené le Tonnerre lors du premier affrontement. Mieux valait se montrer prudent le temps de s'assurer que les ajustements auxquels Ash avait procédé dans leurs défenses suffisaient. II avait donc ordonné un demi-tour afin de réduire leur vitesse d'approche et ainsi se maintenir une nouvelle fois juste à portée de missiles plutôt que de s'approcher trop vite.

Harrington s'était assez éloignée pour augmenter son temps d'approche et il grinça des dents comme l'attente, longue et exquise, mettait ses nerfs à l'épreuve. Voilà quatorze heures maintenant qu'elle jouait à ses petits jeux avec lui et il n'avait pas quitté la passerelle du Tonnerre depuis quarante-cinq heures, entrecoupées seulement de quelques brèves siestes agitées. Il avait l'estomac plein d'acide et de café, et il voulait en finir.

« Pas possible ! Il veut encore se battre au missile ! »

Rafael Cardones venait de prendre son quart, relevant le lieutenant Harris, et malgré son état de nerfs (ou peut-être à cause de lui) Honor ressentit une envie presque irrésistible de rire au dégoût qui perçait dans la voix de l'officier tactique.

« Estimez-vous heureux, canonnier, dit-elle au lieu de rire. S'il préfère rester hors de portée d'armes à énergie, ça me va.

— Je sais bien, pacha. C'est juste que... » Cardones laissa sa phrase en suspens et se pencha sur sa console pour prendre connaissance des derniers événements. Honor secoua affectueusement la tête en regardant son dos. « Il entrera à notre portée dans dix minutes, annonça-t-il après quelques instants. Sa vitesse d'approche sera tombée à quatre cents km/s.

— Tenez vos missiles prêts, lieutenant », fit Honor d'un ton formel.

La distance qui les séparait tomba à six virgule huit millions de kilomètres et le Tonnerre divin se mit à cracher ses missiles vers l'ennemi, ordinateurs gavés de toutes les améliorations tactiques auxquelles Ash avait pensé. Cette fois, il choisit le tir rapide dès la première salve : une deuxième suivit quinze secondes plus tard, puis une troisième et une quatrième. Deux cent seize missiles furent lancés avant que les premiers atteignent les navires manticoriens, dont les projectiles se précipitaient à leur rencontre.

« Ils concentrent leur feu sur le Troubadour », fit Cardones, tendu. Honor se tenait à ses accoudoirs.

« Alistair, lancez Yankee-trois.

— À vos ordres, madame. Yankee-trois, exécution. » La voix de McKeon était monocorde et métallique.

« Chef, mettez-nous en Yankee-deux », poursuivit Honor. L'Intrépide ralentit et roula de côté. Le Troubadour se glissa derrière lui pour tenter de dissimuler sa signature d'impulsion derrière le vaisseau plus puissant tout en évitant de bloquer son propre feu. Il s'agissait d'une manœuvre de sang-froid, conçue pour placer les barrières latérales du croiseur entre l'ennemi et lui. Toutefois le Saladin disposait de scans détaillés des deux navires et ses missiles ne se laisseraient sans doute pas berner. De plus, leur propulsion leur laissait encore une importante marge de manœuvre.

» Défense antimissile Delta.

— À vos ordres, madame. Plan Delta initié. » Wolcott répondit cette fois d'une voix calme, sereine, et Honor se sentit un instant fière de la jeune femme.

Mais elle l'oublia vite en se reportant à son visuel, sur lequel s'affichait la densité du feu masadien. Le Saladin transportait beaucoup plus de munitions et en usait sans vergogne. Honor aurait aimé lui rendre la monnaie de sa pièce car l'Intrépide était équipé du nouveau lanceur Mod 7b, qui permettait des cycles de tir espacés de seulement onze secondes. Elle aurait pu effectuer un tir vingt pour cent plus dense que celui du Saladin — tant que duraient ses munitions —, mais à cette distance, inutile de gâcher ainsi ses projectiles.

Le Glaive Simonds découvrit les dents en un sourire canin en regardant les efforts d'Ash porter leurs fruits. Les leurres d'Harrington étaient moitié moins efficaces cette fois, et, déchargés de la coordination des défenses du Tonnerre, Ash et son équipe réagissaient aussi bien plus rapidement à ses autres mesures défensives.

Ses missiles s'acharnaient sur les vaisseaux manticoriens, et même à cette distance il sentait la pression qu'ils exerçaient sur les défenses d'Harrington. Sept projectiles de la première salve dépassèrent ses antimissiles, et si les lasers de l'Intrépide les arrêtèrent tous avant la zone dangereuse, la rapidité du tir d'Ash laissait aux Manticoriens des délais d'engagement beaucoup plus réduits pour chaque bordée.

Il s'arracha de la contemplation du visuel pour vérifier ses défenses et son moral monta encore d'un cran. Les programmes de CME préenregistrés fonctionnaient au-delà de ses espérances. Dix des missiles en approche décrochèrent et s'éloignèrent, à la recherche des leurres du Tonnerre; les antimissiles et les lasers se chargèrent aisément des six autres.

Cinq minutes passèrent, puis six, huit, dix. D'une façon ou d'une autre, Carolyn Wolcott arrêtait chaque missile envoyé par le Saladin, mais celui-ci s'adaptait beaucoup plus rapidement aux CME défensives de l'Intrépide. Son feu se faisait plus précis et plus lourd, et cette fois il ne flanchait pas. Cardones frappa une fois le croiseur de combat, puis une deuxième et une troisième, pourtant il continuait à tirer, pilonnant les Manticoriens en ignorant ses propres blessures.

Matthieu Simonds jura tout bas comme un nouveau missile frappait son navire, puis ses yeux injectés de sang se mirent à briller : un cri de triomphe montait de son équipe tactique.

Le HMS Troubadour vomit des débris et de l'air lorsque le laser à rayons X lacéra profondément sa coque. Le blindage se déforma puis se déchira, un lanceur de missiles et son personnel humain disparurent en un clin d'œil et des alarmes de dépressurisation se mirent à hurler. Le contre-torpilleur continua d'avancer, traînant des débris et de l'air dans son sillage, et ses lanceurs restants crachèrent leurs projectiles vers l'ennemi massif.

Honor grimaça lorsque le laser déchira le Troubadour. Le Saladin avait davantage appris de leur premier affrontement qu'elle ne l'avait espéré. Ses CME étaient bien plus efficaces, ses équipements de défense active plus lourds et plus nombreux abattaient les missiles en approche avec une efficacité consternante, et chaque coup qu'il portait causait des dégâts beaucoup plus importants que les projectiles manticoriens qui parvenaient jusqu'à lui.

Elle aurait dû laisser Rafe agir à sa guise plus tôt. Elle aurait dû poursuivre le Saladin avant que son équipage inexpérimenté n'ait le temps de s'habituer aux armes, mais elle n'arrivait pas à se convaincre, à ce moment-là, que ses soupçons étaient justifiés. Et puis, se dit-elle sans pitié, elle avait laissé son désir de rester en vie supplanter celui de s'interposer entre le Saladin et Grayson.

Elle se mordit la lèvre alors qu'un autre missile masadien était détruit à une seconde du Troubadour. Elle avait gâché sa plus belle occasion d'anéantir le Saladin tant qu'il était encore maladroit et maintenant ses hommes allaient mourir en nombre à cause de sa bêtise.

« Regardez ! Regardez ! » cria une voix du fond de la passerelle du Tonnerre.

Le Glaive Simonds se retourna vivement dans son fauteuil pour lancer un regard assassin au responsable de cette atteinte à la discipline, mais le cœur n'y était pas. Lui aussi avait vu deux autres missiles passer au travers des défenses frénétiques de la putain.

« Frappes directes sur missile neuf et laser six, commandant ! annonça le lieutenant Cummings. Aucun survivant dans les affûts, et nous avons de lourdes pertes à la détection et au CO. »

Alistair McKeon secoua la tête comme un boxeur K.-0. Des particules de poussière flottaient dans l'air et la puanteur dégagée par la combustion des matériaux isolants et des cadavres était parvenue jusqu'à la passerelle avant que la section de ventilation du CO ne soit fermée. Il entendit quelqu'un vomir.

« Bêta quinze est mort, pacha! » lança Cummings. McKeon ferma les yeux de douleur. Un silence, puis la voix de l'ingénieur devint monocorde. « Commandant, je suis en train de perdre la barrière latérale bâbord en arrière de la membrure quarante-deux.

— Timonier, faites-nous rouler ! » aboya McKeon, et le Troubadour tourna brutalement, éloignant sa barrière latérale mutilée du Saladin. « Attaquez avec les lanceurs tribord ! »

Le Tonnerre divin gémit sous l'effet d'un nouveau missile, mais un sentiment de pouvoir et d'invincibilité emplissait Matthieu Simonds. Son navire avait perdu deux lasers, un radar, deux faisceaux tracteurs supplémentaires et un autre lanceur, pas davantage, et ses capteurs lui montraient le blindage éventré et les débris que le contre-torpilleur traînait dans son sillage. Une nouvelle bordée partit pendant qu'il observait. L'exultation de son équipage flamba autour de lui et il sentit son poing s'abattre sur l'accoudoir pour presser les missiles d'avancer.

La sueur perlait du visage de Rafael Cardones sur son panneau de contrôle. Les motifs de combat électronique du Saladin s'altéraient à une vitesse incroyable comparée à leur lenteur arthritique lors du premier affrontement. Quant à ses défenses actives, elles semblaient voir à travers les CNTE de ses missiles. Il sentait l'anxiété de Wolcott à côté de lui tandis que toujours plus de projectiles passaient à travers ses défenses sur-sollicitées pour mutiler le Troubadour, mais il n'avait pas de temps à lui consacrer. Il devait absolument trouver une faille dans l'armure du Saladin.

« Bon D...! »

La voix du lieutenant Cummings mourut avec une étrange soudaineté. Une fraction de seconde plus tard, fusion un passa en arrêt d'urgence et le contre-torpilleur hésita, le temps que fusion deux prenne entièrement le relais.

Plus aucun rapport ne parvenait au pont depuis le centre de contrôle d'avarie : il n'y avait plus personne pour en faire.

« Passez en tir rapide sur tous les lanceurs !

Le regard d'Honor était fixé sur le lien com. avec le Troubadour et la moitié vivante de son visage se décomposait à mesure que les rapports d'avarie inondaient la passerelle d'Alistair McKeon. Munitions ou pas, elle devait absolument détourner le feu du Saladin vers l'Intrépide avant que pour le Troubadour il ne soit trop...

Le lien com. se rompit soudain et elle se tourna horrifiée vers le visuel tandis que le Troubadour se brisait comme un bout de bois et que le tiers arrière de sa coque explosait comme un soleil.

La passerelle du Tonnerre croulait sous les hourras et Matthieu Simonds lui-même frappait sur ses accoudoirs et hurlait son triomphe.

Il se tourna vers son visuel et l'image du dernier vaisseau impie qui s'interposait encore entre lui et les apostats, le visage enlaidi par l'envie de détruire et de tuer. Mais à travers sa soif de sang il remarqua la soudaine accélération du tir de l'Intrépide. Le Tonnerre tituba, alarmes hurlantes, comme une nouvelle tête laser passait ses défenses, et cette fois Simonds grogna de fureur car la frappe venait de lui coûter deux lanceurs.

— Ash, tuez-moi cette salope !

Maintenant c'était le tour de l'Intrépide.

Des alarmes d'avarie se mirent à hurler comme des femmes torturées tandis que la première bordée masadienne le frappait et Honor détourna son esprit de l'horreur et de la douleur causées par la mort du Troubadour. Elle ne pouvait pas se permettre d'y penser et de se laisser paralyser par le souvenir des amis qui venaient de mourir.

— Timonier, Hôtel-huit ! » ordonna-t-elle d'une voix de soprano qui n'était pas la sienne, sans la moindre nuance d'angoisse ou de culpabilité.

— Nous avons perdu les câbles de contrôle de l'anneau de poupe, commandant! annonça le capitaine de frégate Higgins depuis le centre de contrôle d'avaries. Notre accélération est tombée à deux cent soixante g !

— Remettez-moi ces impulseurs en état de marche, James.

— Je vais essayer, mais un laser a traversé la membrure trois- douze, pacha. Il va falloir au moins une heure pour installer un câble de remplacement.

L'Intrépide se tordit encore tandis qu'un nouveau rayon laser s'enfonçait dans ses entrailles.

— Frappe directe sur la section com. ! » La voix du lieutenant

Metzinger était déformée par le chagrin. « Pas un de mes gars ne s'en est sorti, commandant. Pas un ! »

Le Tonnerre gémit sous l'effet de deux autres lasers et Simonds jura. Les missiles arrivaient si vite et en tel nombre que même les lasers guidés par l'ordinateur ne parvenaient pas à tous les arrêter, mais il pilonnait Harrington avec une violence égale et son vaisseau à lui était bien plus solide. Un chiffre se mit à clignoter dans le coin de son visuel lorsque les bandes gravifiques de l'Intrépide faiblirent soudain, et son regard s'enflamma.

— Accélération maximum ! aboya-t-il. Réduisez la distance. On va finir cette chienne aux armes à énergie ! »

L'Intrépide trébucha de nouveau : une autre tête laser avait échappé à l'enseigne Wolcott. Les rayons X détruisirent encore deux lanceurs. Rafael Cardones était au désespoir. Il touchait ces salauds au moins aussi souvent qu'ils atteignaient l'Intrépide mais le Saladin était si solide qu'il ne semblait même pas le remarquer. Et il ne lui restait que neuf lanceurs.

Soudain il se figea, les yeux fixés sur les données qu'affichait son visuel. Impossible ! Seul un idiot utiliserait ainsi son système d'alerte avancée... mais si le capitaine avait vu juste et qu'un Masadien était aux commandes en face...

Il comprit soudain et pinça les lèvres : les CME du Saladin se trouvaient sous contrôle informatique. Forcément. Et l'affrontement avait assez duré pour que ses propres capteurs détectent un motif récurrent. Le croiseur de combat exécutait un plan complexe de contre-mesures électroniques selon des séquences de quatre cents secondes, mais à chaque nouvelle séquence il repartait exactement du même point !

Pas le temps d'expliquer ça au commandant. Ses mains se précipitèrent pour modifier les ordres de chargement et mettre à jour les profils de pénétration de ses projectiles, puis il bloqua tout feu offensif en appuyant sur un bouton. Il ne prêta pas attention à la consternation générale lorsque ses tirs cessèrent. Il avait les yeux fixés sur le chrono, il regardait les chiffres défiler, puis il appuya sur la commande de tir.

Simonds fronça les sourcils lorsque le tir de l'Intrépide cessa brusquement. Quinze secondes passèrent sans que le navire manticorien lance aucun missile, puis vingt, vingt-cinq. Il remplit d'air ses poumons, prêt à crier sa joie, puis jura sauvagement, déçu, car une nouvelle salve venait de partir.

Neuf missiles avançaient dans l'espace, surprenant les ordinateurs du Tonnerre divin par leur approche peu orthodoxe. Ils arrivaient regroupés en une étroite phalange, formation suicidaire face à des défenses actives modernes... sauf que les trois missiles de tête ne portaient d'autre charge que leurs CME. Leurs brouilleurs mugissaient, aveuglant tous les systèmes de capteurs actifs et passifs en formant un solide mur d'interférences. Ni le Tonnerre ni les missiles situés derrière eux ne pouvaient voir à travers ce mur. Un opérateur humain aurait sans doute compris que l'Intrépide avait une bonne raison pour aveugler les têtes chercheuses de ses propres missiles mais les ordinateurs ne décelèrent qu'une source de brouillage et ne lui assignèrent que deux antimissiles.

L'un des brouilleurs disparut mais les deux autres survécurent et se redéployèrent, variant l'intensité et la forme de leurs émissions pour dérouter les antimissiles suivants. Ils continuèrent d'avancer puis soudain s'élancèrent vers le haut pour laisser le champ libre aux missiles qui se trouvaient derrière eux.

Les lasers des défenses actives pivotèrent au dernier instant et frappèrent comme des serpents, crachant des éclairs de lumière cohérente tandis que les ordinateurs identifiaient enfin la menace, mais les brouilleurs les avaient protégés jusqu'au dernier moment et les missiles d'attaque savaient exactement ce qu'ils cherchaient. L'un des six mourut, puis un autre, mais le quatuor final parvint à son but et une alarme se déclencha sur le panneau du lieutenant Ash.

Il tourna brusquement la tête, horrifié. Il eut moins d'une seconde pour se rendre compte que ces missiles-là avaient été programmés pour se servir de ses systèmes d'alerte avancée, pour utiliser ses leurres comme des phares. Ensuite ils percutèrent leur cible de plein fouet.

Deux des projectiles se transformèrent en boules de feu éclatantes qui secouèrent le Tonnerre jusqu'à la quille tandis que des marteaux de soixante-dix-huit tonnes heurtaient sa barrière latérale à 0,25 c. Malgré toute leur énergie furieuse, ces deux-là ne causèrent pas de dégâts, mais leurs petits frères, conçus pour pénétrer les barrières latérales, fonctionnèrent comme prévu.

L'Intrépide frémit lorsqu'une nouvelle frappe le priva de deux lanceurs supplémentaires, mais ensuite quelqu'un lança un grand cri de triomphe et Honor se tourna vers son visuel. Impossible ! Personne ne pouvait faire passer de bonnes vieilles ogives nucléaires au travers des défenses acérées d'un vaisseau moderne ! Pourtant Rafe Cardones y était parvenu. Il avait réussi !

Toutefois il n'avait pas obtenu de frappes directes. Les bandes gravifiques du Saladin fluctuèrent alors qu'il titubait hors de portée des boules de feu. Des volutes d'air et de l'alliage vaporisé s'échappaient de l'endroit où sa barrière latérale bâbord avait lâché, mais il était toujours là. Tandis qu'Honor l'observait, le croiseur de combat blessé roulait désespérément sur lui-même pour opposer sa bande gravitique dorsale aux missiles qui se précipitaient encore vers lui. L'alimentation des bandes gravifiques le stabilisa et le Saladin partit à puissance maximum selon un vecteur qui l'éloignait brusquement de l'Intrépide.

Il accéléra comme un fou, abandonnant le combat et fuyant son adversaire mutilé. Le HMS Intrépide était trop endommagé pour se lancer à sa poursuite.

Pour L'Honneur de la Reine
titlepage.xhtml
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_000.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_001.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_002.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_003.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_004.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_005.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_006.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_007.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_008.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_009.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_010.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_011.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_012.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_013.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_014.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_015.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_016.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_017.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_018.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_019.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_020.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_021.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_022.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_023.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_024.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_025.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_026.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_027.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_028.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_029.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_030.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_031.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_032.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_033.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_034.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_035.htm
Honor Harrington T02 Pour l'honneur de la reine_split_036.htm