CHAPITRE VINGT-TROIS

« Pacha ?

Thomas Theisman se réveilla en sursaut et son second recula vivement tandis qu'il s'asseyait et passait les jambes par-dessus le bord du canapé.

« Quoi? demanda-t-il d'une voix pâteuse tout en frottant ses yeux ensommeillés. Le capitaine est de retour ?

— Non, commandant, répondit sans joie le lieutenant Hillyard. Nous détectons toute une ribambelle de signatures d'impulsion qui se dirigent vers nous.

— Vers nous ? Vers Uriel, plutôt ?

— Tout droit sur Merle, pacha. » Hillyard croisa son regard avec une grimace inquiète.

« Oh, merde. » Theisman se leva en regrettant d'avoir jamais quitté la République populaire. « Quel genre de signature ? Celle d'Harrington ?

— Non, commandant.

— Al, je ne suis pas d'humeur à entendre de mauvaises blagues !

— Je ne plaisante pas. Nous ne la voyons nulle part.

— Bon Dieu, les Graysoniens ne nous attaqueraient pas tout seuls, c'est impossible ! Harrington est forcément là-dehors !

— Dans ce cas, on ne l'a pas encore vue, commandant.

— Bordel de merde. » Theisman se frotta le visage dans l'espoir de réveiller son cerveau engourdi. Le capitaine Yu avait quarante heures de retard, les rapports en provenance d'Uriel auraient suffi à vous retourner l'estomac, et maintenant le pompon!

« D'accord. » Les os de sa colonne vertébrale craquèrent comme il se redressait et attrapait sa casquette. « Allons sur le pont voir ce qui se passe.

— Bien, commandant. » Le second le suivit hors de la cabine. « Nous ne les avons détectés qu'il y a cinq minutes environ, poursuivit-il. Nous avons de drôles de relevés d'activité intra système, comme des impulsions gravitiques assez discrètes. » Theisman le regarda et Hillyard haussa les épaules. « On n'y comprend rien, pacha. Elles sont disséminées un peu partout et ne semblent pas "faire" quoi que ce soit, mais pendant qu'on les cherchait nos capteurs regardaient du mauvais côté. Les Graysoniens avaient peut-être commencé à décélérer depuis une demi-heure quand on les a détectés.

— Hmm. » Theisman se frotta le menton et Hillyard l'observa en coin.

« Pacha, fit-il d'un ton hésitant, c'est peut-être une question déplacée, mais, vous avez entendu parler de ce qui se passe à la hase ?

— En effet, c'est une question déplacée ! » Le lieutenant recula

Theisman fit la grimace. « Désolé, Al. Oui, j'en ai entendu parler, mais... » Il frappa violemment du poing sur la cloison puis s'arrêta brusquement pour se tourner vers son second.

« Je ne peux absolument rien y faire, Al. Si ça ne tenait qu'à moi, je buterais tous ces fils de pute... mais n'en dites pas un mot, même à nos hommes ! » Il soutint férocement le regard d’Hillyard jusqu'à ce que ce dernier acquiesce lentement. Puis il se frotta de nouveau le visage.

« Bon Dieu, je déteste ce boulot, il pue ! Le capitaine n'avait pas prévu ça, Al. Je sais ce qu'il en penserait et j'ai été aussi clair que possible avec Franks quant à ma propre position, mais je ne peux pas prendre le risque de contrarier les plans du capitaine : j'ignore comment il gérerait la situation. En plus, fit-il avec un sourire forcé, nous n'avons pas de fusiliers.

— Oui, commandant. » Hillyard baissa lès yeux et ses lèvres se contractèrent. « Je me sens tellement... sale à cause de tout ça.

— Nous tous, Al, moi comme vous. » Theisman soupira. Il se remit en route et Hillyard dut trottiner pour rester à sa hauteur. Quand je rentrerai à la maison – si jamais je rentre..., murmura sauvagement Theisman, je vais trouver le connard qui a eu cette idée. Je me tape de savoir qui c'est, si je le trouve, il est mort. Je n'ai pas signé pour ce genre de conneries, et ce n'est pas son grade qui sauvera ce fils de pute dans une ruelle sombre ! » Il s'arrêta et jeta un regard oblique à Hillyard. « Vous n'avez rien entendu, lieutenant, fit-il d'un ton sec.

— Bien sûr, pacha. » Hillyard fit encore quelques pas avant de lever les yeux vers son supérieur. « Vous voulez un peu d'aide dans votre ruelle sombre, commandant?

 

Nimitz lui manquait. Le dossier de son siège semblait vide sans lui, mais le chat sylvestre était en sécurité dans son module de survie. Il n'était pas plus heureux qu'elle au moment de se séparer, pourtant il avait déjà vécu cette situation et il s'était installé sans protester quand elle l'avait enfermé. Elle cessa de ruminer sa solitude et étudia sa carte.

Un solide triangle de BAL précédait son vaisseau. À chaque sommet se trouvait l'un des trois navires de guerre graysoniens restants, tandis que le Troubadour et l'Apollon se pressaient par travers bâbord et tribord de l'Intrépide. Une formation guère orthodoxe qui plaçait les meilleurs systèmes de détection derrière ceux moins capables des unités graysoniennes, mais qui, si elle fonctionnait comme prévu...

Elle entendit un bruit discret et leva les yeux pour voir le capitaine Brentworth en train de jouer avec son casque à côté d'elle. Son encombrante combinaison antivide le désignait comme un étranger au sein de l'équipage vêtu de combinaisons souples; de plus, contrairement à tous les autres, il n'avait rien d'autre à faire que de rester planté là à s'inquiéter.

Il sentit le regard d'Honor et baissa les yeux. Elle le gratifia d'un de ses sourires bancals.

— Vous ne vous sentez pas à votre place, Mark ? » demanda-t-elle gentiment. Il hocha la tête d'un air penaud. « Ne vous inquiétez pas. Nous sommes heureux de vous avoir à bord.

— Merci, capitaine. Je me sens simplement inutile sans rien à faire. » Il désigna sa carte d'un geste. « En fait, notre flotte tout entière a sans doute la même impression en ce moment.

— Capitaine Brentworth, nous ne pouvons pas accepter ça! » rit une voix joyeuse. L'œil valide d'Honor se mit à briller lorsque Venizelos apparut de l'autre côté de son fauteuil de commandement. «Je vais vous dire un truc, poursuivit le second : si vous nous laissez les Havriens, on vous laisse tous les Masadiens. Qu'en pensez-vous ?

— Ça me semble honnête, capitaine, répondit Brentworth en souriant.

— Parfait. » Venizelos baissa les yeux vers le commandant. Steve pense qu'il reste encore une heure et cinquante-huit minutes, pacha. À votre avis, ils savent qu'on est là ? »

Leur vitesse est tombée à vingt-six mille cinquante-quatre km/s, commandant, annonça l'officier chargé du pointage à l'arrivée de Theisman sur le pont du Principauté. Distance quatre-vingt-douze virgule deux millions de kilomètres. Ils devraient s'arrêter pile au-dessus de nous dans cent dix-huit minutes. »

Theisman se dirigea vers l'écran tactique principal et l'observa d'un air menaçant. Un triangle compact de signatures d'impulsion se dirigeait vers lui, décélérant de trois cent soixante-quinze gravités, le maximum qu'un BAL graysonien puisse supporter. 1Trois signatures plus puissantes brillaient aux sommets du triangle mais ce n'étaient pas celles des vaisseaux d'Harrington. Le Principauté disposait de bons relevés de masse sur ces points : ils représentaient forcément ce qui restait de la flotte graysonienne.

« On a quelqu'un en position pour voir derrière ce mur ?

— Non, commandant. A part le Vertu, tout le monde est ici.

— Mouais. » Theisman se frotta le sourcil et se maudit de ne pas avoir convaincu Franks d'envoyer l'un des contre-torpilleurs masadiens à Endicott au retour d'Harrington. L'amiral avait refusé sous prétexte que le Tonnerre divin avait déjà deux heures de retard et arriverait donc incessamment. Tout ce que Theisman avait réussi à obtenir, c'était que le Vertu soit envoyé au point de translation du Tonnerre pour prévenir le capitaine dès son arrivée.

Il écarta cette idée pour se concentrer sur la carte. Les Graysoniens avaient tout l'air d'avoir lancé cette petite expédition sans Harrington, mais s'ils savaient dans quoi ils s'engageaient, il leur fallait un immense courage -- et une bêtise comparable.

Mais le savaient-ils ? Manifestement, ils étaient au courant de quelque chose, sinon ils ne seraient pas là. Theisman ignorait comment ils avaient eu vent de la présence masadienne sur Merle mais il semblait peu probable qu'Harrington ait pu récupérer des données exploitables sur les BAL de Danville. Heureusement pour eux, aucun vaisseau masadien ne s'était trouvé à proximité pour aider Danville; toutefois le contre-torpilleur Pouvoir avait pu effectuer des relevés gravitiques longue portée, et Harrington n'avait même pas ralenti. Il n'y avait donc pas eu d'épave assez grosse pour qu'on se donne la peine de la fouiller – ce qui confirmait l'analyse de Theisman.

Mais si ce n'était pas Harrington qui avait découvert l'existence de Merle, cela impliquait forcément une fuite du côté graysonien. La base d'origine était antérieure à l'engagement de Havre et les Masadiens s'étaient toujours montrés très secrets quant à la façon dont ils l'avaient construite. Toutefois, ils avaient presque certainement eu recours à une aide locale; quel qu'ait été leur assistant, il avait sans doute vendu la mèche.

Et dans ce cas, les Graysoniens ne se rendaient peut-être pas compte de ce qui les attendait ici. Enfin, rectifia-t-il amèrement, de ce qui aurait dû les attendre si le capitaine n'avait pas eu tant de retard. Merde, merde, merde ! Plus rien n'allait, et impossible de savoir ce que le capitaine aurait voulu qu'il y fasse !

Il prit une profonde inspiration. Au pire, les Graysoniens avaient découvert Merle, appris l'existence du Principauté et du Tonnerre divin, et tout raconté à Harrington. Que ferait-il à sa place ?

Putain, il ne viendrait certainement pas droit sur eux, pas s'il connaissait l'existence du Tonnerre! Il enverrait saris doute ses contre-torpilleurs chercher du renfort et garderait ses croiseurs au centre du système pour couvrir Grayson en priant comme un taré pour que la cavalerie arrive à temps.

D'un autre côté, Harrington était très forte. La flotte de la République l'avait soigneusement étudiée depuis Basilic et elle pouvait très bien s'imaginer affronter le Tonnerre si les Graysoniens occupaient les Masadiens entre-temps. Theisman ne voyait pas comment elle pourrait s'y prendre mais il n'aurait pu jurer que c'était impossible. Mais dans ce cas, où était-elle ?

Il examina de nouveau la formation graysonienne. Si elle était là-dehors, c'était forcément derrière ce triangle ; elle devait le suivre d'assez près pour que les impulseurs de tous ces BAL réunis la dérobent à la vue des capteurs gravitiques situés en avant du triangle.

Seulement, d'après son dossier, elle était assez sournoise pour envoyer ainsi les Graysoniens afin qu'il arrive à cette conclusion alors qu'elle se trouvait ailleurs... par exemple à l'affût de vaisseaux havriens abandonnant leurs alliés masadiens.

Son regard se tourna vers un écran de vision directe empli de l'énorme sphère d'Uriel. La planète était si grosse qu'elle générait une hyperlimite de presque cinq minutes-lumière, soit la moitié de celle d'un astre M9. Cela signifiait que le Principauté devrait accélérer au maximum de sa puissance pendant quatre-vingt-dix-sept minutes avant de pouvoir opérer une putain de translation. Or Harrington pouvait avoir positionné ses croiseurs sur une course balistique afin d'arrêter ceux qui tenteraient de s'enfuir. Si ses impulseurs étaient coupés, il ne la verrait pas arriver avant qu'elle entre à portée des radars, alors qu'elle le détecterait dès qu'il allumerait son impulsion. Elle aurait ainsi le temps d'ajuster son propre vecteur. Sans doute pas assez pour un duel classique mais suffisamment pour que deux croiseurs réduisent un contre-torpilleur en fumée.

En supposant, bien sûr, qu'elle ignorait tout du Tonnerre divin et qu'elle s'attendait à le voir fuir.

Il jura encore intérieurement et vérifia combien de temps il lui restait avant l'arrivée des Graysoniens. Cent sept minutes. S'il voulait s'en aller, il aurait intérêt à le faire vite... et si on lui laissait le choix, c'est exactement ce qu'il allait faire. Thomas Theisman n'était pas un trouillard mais il savait ce qui se passerait si Harrington frappait en l'absence du Tonnerre divin; et puis, à plus long terme, si elle avait demandé du renfort, il arriverait bien avant aucune force en provenance de Havre. De plus, à l'origine, le plan voulait qu'on réussisse cette-opération en évitant la guerre contre Manticore. Tout le monde savait que ce conflit approchait, mais ce n'était ni le temps ni le lieu pour le commencer.

Enfin, les guerres éclataient rarement à l'instant et à l'endroit prévus. Il redressa les épaules et se détourna de l'écran.

— Al, mettez-moi en communication avec l'amiral Franks.

— Ne soyez pas ridicule, capitaine ! lança l'amiral Ernst Franks.

— Amiral, je vous assure qu'Harrington et ses vaisseaux se tiennent juste derrière les BAL.

— Même si vous aviez raison – ce dont je suis loin d'être persuadé –, les armes dont nous disposons sur Merle nous donnent l'avantage. Nous allons annihiler ses alliés puis nous concentrer sur elle et l'achever dans la foulée.

— Amiral, répondit Theisman, qui se faisait violence pour garder son calme, ils ne seraient pas là s'ils n'avaient pas une petite idée de ce qui les attend. Cela veut dire...

— Cela ne veut rien dire, capitaine. » Les yeux de Franks s'étrécirent. Il avait eu des échos de ce que cet infidèle pensait de son combat contre le Madrigal. « C'est vous qui nous avez fourni nos missiles. Vous connaissez leur portée efficace, et vous savez que rien dans l'arsenal des apostats ne pourrait les arrêter.

— Monsieur, vous n'aurez pas affaire aux défenses des Graysoniens, fit Theisman, au bord du désespoir. Et si vous avez trouvé les défenses actives du Madrigal efficaces, essayez d'imaginer ce qu'un croiseur de classe Chevalier stellaire va nous faire !

— Moi je ne crois pas qu'Harrington soit là ! aboya Franks. Contrairement à vous, je sais exactement quel genre d'information a pu tomber aux mains des apostats et je ne fuis pas devant une menace imaginaire ! Il s'agit simplement d'une expédition venue vérifier les histoires abracadabrantes que X tient de y, qui lui-même les tient de Z. Ils n'oseraient pas éloigner de Grayson les vaisseaux de cette chienne d'infidèle pour aller à la chasse aux rumeurs alors que le Tonnerre divin pourrait se jeter sur la planète en son absence.

— Et si vous aviez tort, amiral ? demanda Theisman d'une voix raide.

— J'ai raison. Mais même si j'avais tort, dites-vous qu'elle vient à nous selon nos propres termes. Nous allons éliminer les apostats puis la submerger sous un feu à courte portée, comme nous l'avons fait avec le Madrigal. »

Theisman ravala un juron. Si Harrington était bien là, cette tactique était suicidaire. Franks s'était fait botter les fesses jusqu'aux oreilles par un foutu contre-torpilleur, alors à quoi s'attendait-il face à deux croiseurs ?

Inutile de protester, cependant. Franks avait trop entendu dénigrer sa précédente tactique, il avait obstinément soutenu que la responsabilité de ses lourdes pertes incombaient à la portée supérieure des missiles du Madrigal et à la façon dont celui-ci avait endommagé sa flotte avant même que les Masadiens puissent riposter. Cette fois-ci, c'est lui qui disposait de l'avantage d'une longue portée depuis la base de Merle et il était fermement décidé à prouver qu'il avait eu raison la première fois.

— Alors quels sont vos ordres, amiral ? s'enquit brutalement Theisman.

— La force opérationnelle va se mettre en formation derrière Merle comme prévu. Les lanceurs de la base ouvriront le feu dès que les apostats entreront à leur portée. Si l'un d'eux – ou de vos Manticoriens – y survit, nous pourrons les affronter avec une vélocité de base équivalente à courte portée.

— je vois. » C'était sans doute le plan de bataille le plus stupide que Theisman ait jamais entendu, vu la qualité des deux forces, mais il ne pouvait rien y faire à moins de filer à l'anglaise. Or, d'après la tête que faisait Franks, il soupçonnait les Masadiens d'avoir braqué leurs armes à énergie sur le Principauté. S'ils pensaient que le vaisseau tentait de s'enfuir, ils se chargeraient eux-mêmes de le détruire.

— Très bien, amiral. » Il coupa la transmission sans plus s'embarrasser de politesse et jura pendant deux minutes d'affilée.

 

— Plus que quarante minutes, commandant, annonça Stephen DuMorne. La portée est d'environ dix virgule six millions de kilomètres.

— Com, demandez à l'amiral Matthews d'ouvrir le mur. On va jeter un coup d'œil », fit Honor. Si les Havriens avaient donné ce qu'elle craignait aux Masadiens, Matthews et elle allaient le savoir dans à peu près cent quarante secondes.

— Bordel, je le savais ! » cracha le capitaine Theisman.

Ses propres capteurs étaient aveugles derrière Merle mais les systèmes de détection de la base transmettaient leurs données au Vertue ça allait changer. Le mur compact de BAL venait de s'écarter pour révéler les signatures beaucoup plus puissantes qui se trouvaient derrière lui. Il s'agissait bien d'Harrington... et elle était aussi bonne que le disait son dossier, bon sang ! Sous ses yeux, les vaisseaux manticoriens vinrent se placer en avant du bouclier, adoptant une formation antimissile classique et déployant des leurres pendant que les Graysoniens disparaissaient derrière eux.

L'amiral Matthews observait patiemment son écran. Le Covington était encore privé de cinq lance-missiles mais ses armes à énergie et les générateurs de barrières latérales avaient été réparés en un temps record. Malgré tout, Matthews savait à quel point le navire aurait été impuissant face à l'attaque que le capitaine Harrington invitait délibérément. Il avait été horrifié lorsqu'elle lui avait décrit l'endurance des missiles sol-air havriens, due à leur propulsion plus robuste et plus imposante, mais elle avait eu l'air confiante.

L'heure était venue de voir si cette confiance était justifiée. Si ces missiles bénéficiaient de l'endurance estimée, ils accéléreraient jusqu'à l'incroyable vitesse de cent dix-sept mille km/s et parcourraient plus de huit millions de kilomètres avant que leur propulsion ne s'éteigne. Étant donné la vitesse d'approche de leurs propres bâtiments, on arrivait à une portée d'engagement efficace supérieure à neuf millions de kilomètres. La base devrait donc lancer la première bordée... à peu près... maintenant.

— Missiles détectés ! aboya Rafael Cardones. Ils approchent à huit cent trente-trois km/s2. Impact prévu dans cent trente-cinq secondes à partir de... maintenant !

— Lancez les défenses actives, plan Alpha.

— À vos ordres, commandant. Lancement du plan Alpha. »

Le capitaine Theisman parvint à cesser de jurer. Il quitta des yeux sa carte pour lancer un regard assassin au lieutenant Trotter tandis que les premiers antimissiles manticoriens frappaient. Trotter n'y pouvait rien s'il était l'un des très rares officiers masadiens à bord du Principauté. En fait, c'était un type plutôt sympa, qui l'était devenu plus encore par une sorte de contamination intellectuelle au cours de son séjour à bord du vaisseau havrien. Malheureusement pour lui, il était masadien et à portée de main.

Trotter sentit le regard de son capitaine et rougit sous l'effet d'un curieux mélange de sentiments : humilié, il aurait voulu s'excuser, mais il en voulait aussi au commandant. Il ouvrit la bouche puis la referma et Theisman se força à détourner le regard. En guise d'excuse, il eut un petit haussement d'épaules à l'adresse du Masadien, puis il se concentra de nouveau sur sa carte.

La salve comptait trente missiles, plus qu'Honor n'en attendait, et ils étaient gros et dangereux. Chacun pesait plus de cent soixante tonnes, soit deux fois plus que ses propres missiles, et tout ce poids supplémentaire était dévolu à une impulsion plus robuste, de meilleures têtes chercheuses et des assistants de pénétration auxquels aucun missile havrien embarqué ne pouvait prétendre.

Toutefois, elle s'y était attendue et Rafe Cardones ainsi que le capitaine de corvette Amberson, l'officier tactique de l'Apollon, avaient disposé l'escadre selon un plan de défense classique en trois étapes. Les antimissiles de l'Intrépide se chargeaient des interceptions à longue distance tandis que l'Apollon et le Troubadour s'occupaient des projectiles qui échappaient au vaisseau amiral. Quant à ceux qui passaient à travers les deux couches d'interception, ils auraient affaire aux lasers des trois vaisseaux regroupés sous le contrôle de l'Intrépide.

Sur son écran tactique, Honor effectuait le pointage des vecteurs d'approche des missiles afin de situer les lanceurs.

— On attaque les lanceurs, commandant? demanda nerveusement Cardones tandis que partaient ses premiers antimissiles.

— Pas encore, monsieur Cardones. »

Honor voulait conquérir cette base intacte si possible, car elle ne disposait toujours pas d'une identification catégorique des vaisseaux modernes auxquels elle devrait faire face. Elle allait peut-être le découvrir très vite à ses dépens, mais dans le cas contraire elle trouverait bien quelque part sur cette base les fichiers (ou les gens) qui sauraient le lui dire.

Une seconde salve partit de Merle; elle contenait exactement le même nombre de projectiles. Honor hocha la tête en vérifiant le temps écoulé. Trente-quatre secondes.

Les Renseignements généraux estimaient que les Havriens disposaient de nouveaux lanceurs à trois coups exécutant un cycle de tir en trente à quarante secondes. D'après le délai entre les lancers, il semblait donc ne pas y avoir plus de trente tubes. Restait à savoir combien de missiles étaient alloués à chaque lanceur.

Elle ramena son attention vers les projectiles de la première salve. Leurs CME étaient plus efficaces que les RG ne l'avaient prédit. Quinze d'entre eux étaient passés à travers la zone d'interception avancée gérée par Cardones, mais ses ordinateurs étaient déjà en train d'adapter leurs solutions initiales et de les transmettre à l'Apollon et au Troubadour. Les puissantes propulsions de ces missiles leur conféraient une vitesse incroyable : ils avaient déjà atteint une vélocité deux fois supérieure à celle d'aucun projectile qui serait parti de l'Intrépide à l'arrêt. Mais la vitesse ne suffisait pas à prendre le dessus car la distance de lancement laissait amplement le temps aux Manticoriens de prévoir des interceptions.

L'écran d'Honor émit un bip sonore au lancement de la troisième salve et elle se mordit la lèvre. Elle y alla trop fort du côté gauche, inerte, et le goût du sang se répandit dans sa bouche avant qu'elle ait relâché sa pression. Trois bordées, soit quatre-vingt-dix missiles. C'était plus qu'elle n'aurait cru les Havriens susceptibles de confier aux Masadiens. Si une quatrième salve partait, il lui faudrait abandonner l'idée de prendre la base intacte et se résoudre à la détruire.

Quatre missiles de la première salve dépassèrent la zone d'interception médiane et des témoins se mirent à clignoter sur les panneaux tactiques de l'Intrépide. Les ordinateurs travaillaient sans relâche : ils calculaient déjà les trajectoires des antimissiles chargés de la troisième salve, tout en ajustant celles des projectiles de l'Apollon et du Troubadour sur la deuxième et en concentrant le feu des lasers des trois bâtiments sur ce qui restait de la première salve. Honor ressentit un soudain accès de fierté pour son escadre au moment où le dernier missile de la première vague explosa à trente mille kilomètres de l'Intrépide.

L'amiral Wesley Matthews sentit le cœur lui manquer en découvrant la densité et l'accélération des bordées ennemies. Il se souvenait de ce que des missiles bien plus petits et plus lents avaient infligé à la flotte graysonienne. Mais cette fois il ne s'agissait pas d'une embuscade, et puis les vaisseaux d'Harrington avaient été construits par des sorciers plutôt que par des techniciens ! Ils avaient une efficacité nette et franche, une précision mortelle et sublime qui leur permettaient de détruire les missiles par grappes de trois, quatre ou cinq.

Sur le pont, l'équipage oublia toute retenue militaire pour se mettre à crier et siffler comme les spectateurs d'un événement sportif. Matthews se serait bien joint à eux mais il s'en abstint. Pas par professionnalisme, ni par dignité ou par conscience de l'exemple qu'il devait donner. Ce qui l'arrêta, ce fut l'idée que quelque part derrière ces missiles en approche se trouvait au moins un navire qui pouvait faire aussi bien que ceux d'Harrington.

— Et voilà les derniers, pacha », fit amèrement Hillyard. Theisman grogna. C'était tout Franks de jeter l'argent par les fenêtres, pensa-t-il, mauvais. Si efficaces que se soient révélées les défenses actives d'Harrington, ses systèmes devaient être sollicités jusqu'à leur limite. Si seulement Franks avait accepté de retarder les lancements suivants jusqu'à ce que la distance soit plus réduite et que les Manticoriens disposent d'un délai de réponse moindre... mais non ! Au lieu de cela, il essayait de les noyer sous le nombre de ses missiles alors que n'importe quel idiot aurait compris que le moment choisi importait plus que la quantité.

Il consulta sa carte. Harrington se trouvait encore à trente-cinq minutes de la base. Assez pour effectuer un léger mais judicieux ajustement dans sa position... à supposer que Franks ne l'abatte pas en s'imaginant qu'il essayait de s'enfuir.

Ça ne changerait pas grand-chose au résultat final mais le professionnel qu'il était se refusait à perdre sans avoir rien fait. Ses doigts se mirent à danser sur le clavier pour afficher un vecteur test sur son écran et il hocha la tête.

— Astrogation, téléchargez les données de mon pupitre !

— À vos ordres, monsieur. Téléchargement.

— À mon signal, paré à exécuter, fit Theisman avant de se tourner vers le lieutenant Trotter. Com, informez l'amiral que je vais ajuster ma position pour optimiser l'efficacité de mon tir dans... (il jeta un coup d'œil à son chronomètre) quatorze virgule six minutes à compter de maintenant.

— À vos ordres, monsieur », répondit Trotter. Cette fois Theisman lui sourit car la voix de l'officier de communication était aussi décidée que celle de l'astrogateur.

La deuxième salve de Merle eut encore moins de réussite que la première et Honor se détendit un peu en constatant qu'il n'y avait pas de quatrième lancer. Soit ils avaient épuisé leurs munitions, soit il s'agissait d'une feinte, mais vu la vitesse à laquelle ces trois salves s'étaient succédé, elle doutait de la deuxième hypothèse. Elle leva les yeux vers Venizelos.

« Je crois qu'on n'aura pas besoin de bombarder la base pour finir, Andy, fit-elle tandis que la dernière- vague de missiles approchait. Tant mieux. J'espère encore pouvoir... »

Une lumière écarlate se répandit sur le pont, et Honor tourna vivement la tête tandis qu'une alarme se menait à hurler.

« La défense active numéro trois rejette notre solution ! » Les mains de Cardones dansaient sur son pupitre. « Passage en commande manuelle. »

Honor serra les poings pendant que trois missiles profitaient de ce trou inopiné dans leurs défenses.

« Plan Baker deux ! ordonna Cardones en essayant de maîtriser les voyants d'alerte.

— À vos ordres, monsieur ! » La voix de contralto de l'enseigne Wolcott était tendue mais ses mains allaient aussi vite que celles de son supérieur. « Baker deux paré ! »

L'un des missiles disparut après que le laser de l'Apollon l'eut pris pour cible, conformément aux instructions de Wolcott, mais il en restait deux. Les ordinateurs de l'Intrépide les avaient considérés comme déjà détruits avant que la défense active numéro trois ne se mette hors ligne. Maintenant ils se débattaient désespérément pour réaffecter les priorités adéquates aux séquences de feu et Honor s'inquiétait en vain. Ça allait être serré. S'ils ne les arrêtaient pas au moins à vingt-cinq mille kilomètres...

Un autre projectile fut détruit à vingt-sept mille kilomètres. Un leurre à bâbord détourna le troisième, qui détona pourtant six centièmes de seconde trop tard par travers bâbord; le HMS Intrépide frémit de douleur.

Une douzaine de rayons laser frappèrent la barrière latérale bâbord, qui les dévia pour la plupart loin de la coque, mais deux rayons passèrent à travers l'écran antiradiations. La céramique composite et les alliages de la coque en acier armé résistèrent obstinément, absorbant et déviant une énergie qui aurait suffi à déchiqueter la coque en titane d'un vaisseau graysonien. Mais rien ne put tout à fait les arrêter et les alarmes d'avarie se mirent à hurler.

« Frappes directes sur laser deux et missile quatre ! » Honor tapa du poing sur l'accoudoir de son fauteuil. « Soute à munitions trois ouverte sur l'espace. Défense active deux hors ligne, pacha! L'équipe de contrôle d'avarie est dessus, mais nous avons de grosses pertes au niveau du laser deux.

— Compris. » La voix d'Honor était dure; pourtant, alors même qu'elle répondait d'un ton grinçant, elle savait qu'ils avaient eu de la chance, beaucoup de chance. Ce qui ne réconforterait sans doute pas les familles de ceux qui venaient de mourir, pas plus qu'elle-même d'ailleurs.

« La défense active trois est de nouveau en ligne, commandant », annonça l'enseigne Wolcott d'une petite voix; Honor hocha brièvement la tête.

« Com, passez-moi l'amiral Matthews. » Le visage du Graysonien apparut sur le terminal du fauteuil de commandement.

« Les avaries sont graves, capitaine ? demanda-t-il simplement.

— Ça aurait pu être pire, monsieur. Nous travaillons à réparer. »

Matthews allait dire quelque chose mais il s'arrêta en voyant l'expression qui animait le côté mobile du visage d'Honor. Il se contenta d'un signe de tête.

« Nous dépasserons Merle dans... (elle jeta un coup d'œil à sa carte) vingt-sept minutes. Puis-je suggérer que nous passions en formation d'attaque ?

— Vous pouvez, capitaine. » La voix de Matthews était sévère mais ses yeux brillaient.

Theisman soupira de soulagement quand le Principauté se mit en mouvement sans s'attirer les foudres d'aucun de ses « amis ». Son vaisseau n'était pas fait pour un combat si rapproché car son armement en missiles lourds laissait peu de place aux armes à énergie, ce qui risquait d'être fatal à cette distance. Mais Harrington venait enfin de faire une erreur : comme il l'avait prévu, elle maintenait sa force groupée en dépassant Merle, à la recherche de l'ennemi qu'elle savait devoir se tapir derrière la base.

Elle ne pouvait pas savoir exactement à quoi s'attendre et ne prenait donc pas le risque d'isoler ses unités, au cas où elles tomberaient sur un vaisseau moderne. C'était logique puisque quiconque espérait la battre devrait garder ses forces groupées ou courir ce même risque de défaite en combat singulier. Toutefois, il était impossible que Franks la batte. Cela voulait dire que le Principauté mourrait de toute façon, et les choix qui s'offraient à un kamikaze étaient fort différents.

Le contre-torpilleur havrien accéléra, contournant Merle dans le même sens que ses ennemis.

« Feu à volonté ! » ordonna Honor comme son écran se constellait soudain de signatures ennemies. Pas le temps de planifier des manœuvres prudentes. La fusillade aurait lieu à bout portant et celui qui tirerait le premier survivrait.

Les effectifs étaient presque équilibrés et les BAL graysoniens plus gros et plus puissants que ceux de leurs opposants. De plus, aucun des vaisseaux figurant dans l'ordre de bataille de Masada n'approchait les performances des navires d'Honor. Toutefois, les capteurs de Merle leur avaient transmis les coordonnées d'approche des assaillants avant que ceux-ci puissent les apercevoir et la flotte masadienne porta donc les premiers coups sans avoir été localisée par l'Intrépide.

Le croiseur frémit comme un rayon laser traversait sa barrière latérale à bout portant pour détruire le laser neuf. Un BAL graysonien explosa juste derrière lui et l'Apollon fut touché deux fois de suite, mais les Masadiens étaient également frappés en retour. Deux de leurs BAL se retrouvèrent en plein sur le chemin du Covington, et le vaisseau de Matthews les détruisit sans avoir été touché plus d'une fois. Le contre-torpilleur Domination concentra son tir sur le Saül, réduisant le vaisseau graysonien à l'état d'épave, mais le Troubadour se trouvait sur le flanc du Saül et se chargea de réduire en bouillie le navire masadien. Le Domination disparut dans une boule de feu et deux BAL graysoniens s'élancèrent sur le contre-torpilleur Pouvoir pour un combat rapproché sauvage et vicieux.

Ernst Franks jura comme un charretier tandis que les vaisseaux ennemis déchiraient sa formation. Les lasers du Salomon vinrent à bout d'un BAL apostat, puis d'un autre, mais tout se passait trop vite et trop près pour que ses ordinateurs arrivent à suivre. Le Salomon tira de nouveau sur une cible qu'il avait déjà détruite, pendant que le Pouvoir explosait. Franks tourna instinctivement la tête vers son affichage tactique pour voir le HMS Intrépide passer devant son vaisseau amiral.

Les rayons concentrés du croiseur se précipitèrent tout droit dans le trou béant à l'avant des bandes gravifiques et le dernier croiseur de la flotte masadienne disparut dans un éclair éblouissant quand ses vases de fusion cédèrent.

Honor observait son écran et son unique œil valide lui faisait mal tant elle se concentrait. Les navires masadiens tombaient plus vite encore qu'elle ne l'aurait espéré, mais où donc étaient les Havriens ? Avaient-ils fait tout ce chemin pour les manquer ?

Elle grimaça alors qu'un nouveau BAL allié explosait. Toutefois il ne restait plus qu'une poignée de BAL masadiens, sans aucun vaisseau de guerre pour les soutenir, et les unités de Matthews se chargeaient d'eux avec une précision méthodique.

« Timonier, virez par deux-sept-zéro !

— À vos ordres, commandant. Virons par deux-sept-zéro. »

Le HMS Intrépide s'éloigna de Merle selon une trajectoire incurvée pour permettre à ses capteurs de chercher l'ennemi dont Honor savait qu'il était forcément quelque part.

« Paré à manœuvrer », murmura le commandant Theisman tandis que son bâtiment apparaissait de l'autre côté de la lune rocailleuse, sans cesser de prendre de la vitesse. Les capteurs de la base continuaient à alimenter son affichage tactique, et il eut un sourire carnassier. « Paré... Maintenant ! »

— Pacha! Derrière nous...! »

Le cri du capitaine de corvette Amberson ramena les yeux du capitaine Alice Truman vers son écran, et elle blêmit, horrifiée.

« À gauche toute ! » aboya-t-elle. Sur quoi l'Apollon se déporta violemment.

Trop tard. Le contre-torpilleur havrien avait parfaitement tout calculé et sa première bordée explosa juste à l'entrée du gouffre qui s'ouvrait à l'arrière de l'Apollon entre ses bandes gravitiques ventrale et supérieure. Des rayons laser déchirèrent le flanc bâbord du croiseur léger comme d'immenses griffes et les alarmes d'avarie se mirent à hurler comme des damnées.

« Virez de bord ! cria Truman. Timonier, virez de bord ! »

Une deuxième bordée approchait déjà et elle se demanda dans un coin de son esprit pourquoi les Havriens utilisaient des missiles alors qu'ils se trouvaient à portée d'armes à énergie, mais elle n'eut pas le temps d'y réfléchir. Son croiseur vira de bord, offrant sa barrière latérale au feu ennemi; deux des missiles en approche se jetèrent sur elle et périrent avant que leurs détonateurs de proximité s'enclenchent. Quatre autres détonèrent juste avant la barrière et leurs lasers la transpercèrent pour aller lacérer le blindage déjà abîmé; un septième contourna l'Apollon pour exploser sur son flanc tribord. Le pont du croiseur léger se remplit de fumée, de cris et de tonnerre. Le sang se retira du visage de Truman tandis que sa barrière latérale tribord s'éteignait et que le Principauté s'approchait pour finir le travail.

Theisman eut une grimace triomphante, pourtant il avait amèrement conscience que son triomphe serait de courte durée. Il aurait pu finir le croiseur léger avec une troisième salve mais il l'avait déjà mutilé. Le capitaine se chargerait de l'achever. Son rôle à lui consistait à endommager autant de navires manticoriens qu'il pourrait avant le retour du Tonnerre divin.

« Occupez-vous du contre-torpilleur ! aboya-t-il

— À vos ordres, commandant ! »

Le Principauté vira à tribord pour présenter au Troubadour son flanc bâbord rechargé, mais le contre-torpilleur manticorien l'avait vu venir et son commandant savait que faire. Theisman se raidit lorsque le navire ennemi dirigea contre lui un feu de lasers trois fois plus puissant que le sien avant de se retourner pour présenter sa bande gravifique ventrale aux missiles en approche. Le Principauté frémit de douleur et la carte tactique s'éteignit brièvement. Deux de ses missiles suivirent une trajectoire ascendante, essayant de passer à travers la barrière latérale haute du Troubadour mais les défenses actives du contre-torpilleur les détruisirent et Theisman se mit à jurer pendant que l'ennemi reprenait sa position de tir à une vitesse diabolique.

Toutefois le Principauté avait lui aussi tourné et sa bordée tribord partit avant que le Troubadour ait terminé sa manœuvre. Le vaisseau de Theisman rua de nouveau tandis que les lasers entaillaient profondément sa coque, mais cette fois-ci l'une de ses ogives laser passa les défenses du Troubadour. Pas moyen de savoir quels dégâts elle avait faits (il n'avait déjà pas le temps de vérifier l'étendue des avaries de son propre vaisseau!) mais le navire manticorien avait indéniablement souffert.

« Direction zéro-neuf-trois par trois-cinq-neuf ! »

Le Principauté plongea vers la lune, se contorsionnant afin de présenter sa bande gravifique supérieure au Troubadour pendant que les équipes d'armement encore en vie s'efforçaient de recharger les lanceurs. L'unique laser de son flanc bâbord prit pour cible un BAL graysonien qui n'eut pas le temps de comprendre, puis le bâtiment havrien frémit sous le laser qu'un croiseur léger graysonien braquait sur ses impulseurs avant.

Il perdit de l'accélération et ses bandes gravitiques vacillèrent, mais les témoins de chargement des quatre lanceurs restants sur le flanc bâbord étaient allumés et Theisman lança son vaisseau dans une folle rotation arrière pour attaquer le Graysonien.

Il n'en eut pas le temps : l'Intrépide revenait à pleine vitesse sur l'inverse de sa trajectoire d'origine et un torrent d'énergie traversa la barrière latérale du Principauté comme si elle n'existait pas.

— Barrière latérale grillée ! cria Hillyard. Nous avons tout perdu sur le flanc bâbord ! » Le second jura. « Arrêt d'urgence du réacteur, pacha! »

Le Principauté fit appel à son générateur de secours et le visage de Theisman se détendit. Son vaisseau avait beau être foutu, il en avait davantage accompli à lui tout seul que toute la force opérationnelle de Franks. Sacrifier les survivants n'aurait servi à rien.

« Coupez les bandes gravitiques », fit-il calmement.

Hillyard le fixa une seconde, surpris, puis appuya sur sa console et les bandes gravitiques du Principauté s'éteignirent.

Theisman contempla son affichage tactique en se demandant presque sereinement s'il avait agi assez vite. Couper les bandes gravitiques était un signal universel de reddition, mais si quelqu'un avait déjà programmé un tir... ou n'était pas d'humeur à accepter sa reddition...

Personne ne fit feu. Le Troubadour roula sur le flanc bâbord en perdant de l'air par ses blessures et Theisman soupira de soulagement lorsque le Principauté se mit à trembler : un faisceau tracteur le prenait en charge. Il comprit alors que ses hommes et lui survivraient malgré tout.

Monsieur, fit doucement le lieutenant Trotter, l'Intrépide nous hèle. »

 

Pour L'Honneur de la Reine
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