pour que mon corps comprenne qu’il était en sécurité. Zoum, aux toilettes !

Maman 2 — En fait, moi, c’est pire. D’habitude, c’est à la maison qu’on se sent le plus à l’aise pour… enfin, vous voyez ce que je veux dire. Mais maintenant, c’est au bureau.

Maman 1 — Moi aussi, en fait !

Future Maman — Nooon !

Maman 2 — Oui. Vers neuf heures et demie, les toilettes sont vides. Les enfants sont à l’école, alors…

Maman 1 — Oui, oui, c’est ça ! Alors le corps comprend qu’il est totalement en sécurité !… Vers neuf heures et demie, tu dis ?

Maman 2 — Oui.

Maman 1 — Moi aussi ! Tu penseras à moi.

Maman 2 — Sûrement pas. Ça risque de me bloquer.

Future Maman — Les filles, vous me déprimez.

Chapitre 4 - Grandeurs (et surtout misères) du corps humain - 153

Il n’y a pas de hasard

Oh, que non.

Pas de hasard et, en plus, la vie est tellement bien faite.

Voici ce que me relatait Fille aînée dans la voiture, ce matin même : « Mon amie Josie, elle s’est déjà fait mal avec un cactus.

Quand elle avait trois ans, elle descendait l’escalier en petites culottes (N.D.M.I. : Josie était en petites culottes, pas l’escalier), et là elle a glissé sur une marche, et elle a déboulé. Mais, en bas, y’avait un cactus. Alors elle est tombée le derrière sur le cactus.

En sortant des toilettes, sa mère a appelé le 911. Josie a été à l’hôpital et, après, elle a pleuré toute la nuit. »

J’ai fait répéter Fille aînée, qui m’a confirmé que, pendant que Josie faisait intimement connaissance avec un cactus, sa mère était aux toilettes.

Mes lecteurs sont assez intelligents pour tirer eux-mêmes la morale de cette histoire, mais je vais l’écrire quand même tellement ça me met de bonne humeur : les parents qui vont tout seuls aux toilettes, eh bien leurs pauvres enfants, ils se retrouvent avec des épines de cactus dans le derrière.

C’est pas du C.Q.F.D.*, ça ?

Ah, c’est quand même agréable de se sentir en phase avec l’univers.

* Ce qu’il fallait démontrer, pour les non-matheux.

154 - Chroniques d’une mère indigne 2

La taille de Jean-Louis

C’est l’été, n’est-ce pas les filles ? Et l’été, vous le savez toutes comme moi, c’est le temps des récoltes. On sème ici et là, on arrose fréquemment, on patiente un peu, et hop ! Tout à coup, y’a Jean-Louis XXX qui se ramène en maillot au bord de notre piscine. (Au bord de la mienne, en tout cas.) C’est beau, la nature.

Mais c’est aussi bizarre : Jean-Louis est arrivé pile-poil hier midi, alors que les deux filles étaient prises en charge par le système d’éducation et que Père indigne, par un hasard incroyable, était parti à L.A. contempler des femmes avec des seins.Aussi bien vous le dire crûment, j’étais seule à la maison.

Vulnérable ? Très.

J’ai immédiatement voulu mettre mon invité à l’aise en lui retirant tous ses vêtements (sauf le maillot, auquel il avait pris soin de verrouiller un gros cadenas Master à la taille – semble-t-il que c’est la mode ; enfin, c’est ce qu’il m’a dit). Puis, je suis partie me changer.

Dilemme. Al ais-je, en guise de mail ot, porter mon slip de maternité qui avait tant remué Jean-Louis le 31 décembre dernier ? Combiné avec un soutif d’allaitement rembourré, j’aurais une al ure d’enfer. Mais je risquais de le rendre totalement fou de désir et de le voir s’enfuir, sans nul doute par loyauté pour Père indigne. Non, si je voulais garder Jean-Louis pour l’après-midi, il me fal ait être plus subtile. Aussi, j’ai simplement enfilé mon petit itsi bitsi mini weeny tout petit petit bikini.

Chapitre 4 - Grandeurs (et surtout misères) du corps humain - 155

En arrivant dans la cour, j’ai senti le regard de Jean-Louis glisser sur moi comme sur une peau de banane bien mûre.

Plus bas, encore plus bas… oh, oui, plus bas ! Oups, trop bas.

Les sourcils de Jean-Louis froncèrent comme une robe de collégienne. Mais contrairement aux robes des collégiennes, la figure de Jean-Louis s’allongea.

Jean-Louis — Heu, tu ne crois pas que c’est un peu…

Mère indigne — Un peu… ?

Jean-Louis — Ben, un peu… long, par là ?

Mère indigne — Long ? Tu crois ?

Jean-Louis — En fait, je dirais même… touffu.

Mère indigne — À ce point ?

Jean-Louis — Honnêtement, on sent la négligence.

Mère indigne — Ben, c’est parce que Père indigne est parti pour la semaine et je ne pensais pas que quelqu’un aurait l’occasion de voir…

Jean-Louis — Faudrait être aveugle.

Mère indigne, quelque peu offusquée, d’autant que Jean-Louis n’a pas apporté de vin — N’exagérons rien. Tous les goûts sont dans la nature, et ça, personne ne pourra me dire que ça n’est pas naturel ! En fait, je trouve que ça fait plutôt exotique : jungle, moiteur, cris aigus d’oiseaux en mal d’amour, animaux sauvages en pleine chasse… Ça ne t’inspire pas ?

Jean-Louis — Pour dire la vérité, je préfère un terrain de jeux bien dégagé.

Mère indigne — Holà ! Mais c’est que ça prend du temps à entretenir, et c’est toujours à refaire ! Et puis, Père indigne est assez indifférent sur la question. Quand l’envie me prend, il me donne rarement un coup de main… et pis, toute seule, c’est moins motivant.

Dans l’œil de Jean-Louis, une lueur soudaine d’intérêt.

156 - Chroniques d’une mère indigne 2

Jean-Louis — Père indigne ne t’aide pas ? Il…

Mère indigne — Ben, parfois, il me regarde, mais j’ai l’impression que ça ne le branche pas vraiment.

Jean-Louis s’était mis à tripoter fébrilement son Master.

Jean-Louis — Heu, écoute, si tu veux, je pourrais… en toute amitié… pour t’aider… si t’es d’accord…

Mère indigne — Ooooh… Tu ferais ça ??

Jean-Louis — Ben… à vrai dire… je… c’est mon fantasme secret.

Sincèrement, les filles, qu’est-ce que je pouvais faire ?

Appelez-moi la Mozer Térésa des fantasmes, parce que je me suis étendue dans la chaise longue, j’ai respiré un grand coup, et là, dans la cour arrière de mon bungalow lavallois, j’ai laissé Jean-Louis tondre la pelouse.

Chapitre 4 - Grandeurs (et surtout misères) du corps humain - 157

Chapitre 5

Les copines… et les copains

Si le tome I des Chroniques pouvait passer pour le parcours initiatique d’une jeune mère découvrant le monde tel qu’il était, où les couches et les « cocos » constituaient les désillusions les plus flagrantes, cela change radicalement dans le tome II. Ici, c’est à une Mère indigne littéralement héroïque qu’on a affaire. Aucune hésitation, aucun compro-mis. De Candide, on arrive à Luke Skywalker. Ce n’est plus la maternité qui la pousse à l’indignité, c’est son indignité qui redéfinit la maternité. Cela n’augure pas nécessairement bien pour l’avenir de notre civilisation.

Éric Vignola, Mère indigne ou la procrastination littéraire, p. 6.

Je me trompe, ou ce monsieur est en train de traiter Papi indigne de Darth Vader ?

Mère indigne

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 159

C’t’une fois deux mères,

authentique et non censuré

Mère indigne — Bébé commence à parler vraiment beaucoup.

Copine — Super ! Elle dit quoi ?

Mère indigne — Ballon.

Bébé — Bayon !

Copine — Bravo, Bébé, c’est génial !

Bébé — Nal !

Mère indigne — Mais on a un petit problème, ces jours-ci.

Copine — Ah, bon ?

Mère indigne — Bébé a été passer deux jours chez Mamie, et chez Mamie ils ne lui ont pas dit « ballon ».

Copine — Ils ont dit quoi ?

Mère indigne, tout bas — Balloune.

Copine — Et alors ?

Mère indigne, qui chuchote toujours — C’est parce que Bébé ne dit pas « bayoune », elle dit…

Fille aînée, à la fille de Copine — Ah ouais ! Écoute, écoute !

Bébé, as-tu vu la belle balloune ?

Bébé — Manoune ?

Fille aînée et fille de Copine — Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Bébé — Manoune ! Manoune !

Copine — Ah, d’accord, je vois. Ben, c’est rigolo…

Bébé — Manounemanounemanounemanounemanounemanounema-

Mère indigne — C’est parce qu’une fois partie…

160 - Chroniques d’une mère indigne 2

Bébé — nounemanounemanounemanounemanounema-Fille aînée et fille de Copine, hystériques — Hiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Mère indigne — Elle n’est pas arrêtable.

Bébé — noune ?

Copine — Bah, c’est pas trop grave. Tant qu’on est entre nous.Mère indigne — Justement ! De quoi tu penses qu’on a l’air, à l’épicerie ?

Copine — À l’épi- ?

Fille aînée, à la fille de Copine — Ah ouais ! Écoute, écoute !

Bébé, aimes-tu ça les belles décorations de Saint-Valentin à l’épicerie ? Les beaux cœurs en baaaa… LOUNE !

Bébé — Maaaa… NOUNE ! MANOUNE ! Manounemanounemanounemanounema-

Fille aînée et fille de Copine, hystériques — Hiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Copine — Oh, boy. Tiens, ton mari arrive, il va sûrement sauver la situation.

Fille aînée, à la fille de Copine — Ah ouais ! Écoute, écoute !

Bébé, il est où, papa ? Hein, il est où, papa ?

Bébé — Ichi ! Ichi !

Fille aînée et fille de Copine, se roulant par terre — Hiiiiiiii iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Copine — Oh. My. God.

Mère indigne — Tu veux pas être à ma place.

Copine — J’avoue.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 161

C’t’encore une fois deux mères :

qu’est-ce qu’on s’éclate

Deux femmes dans un bureau, qui doivent travailler. De gros cernes marquent la figure de la première ; la seconde porte un veston agrémenté de taches suspectes. Ah, tiens, des taches sur le chemisier de la première aussi, finalement. Et la deuxième est également cernée ! Nous avons bien affaire à deux mères.

— Je suis au bord de la crise de nerfs.

— Toi aussi ? Pourquoi ?

— Fiston a dix mois, et c’est un vrai maniaque du sein.

— Les hommes !

— Ces temps-ci, c’est épouvantable. Il halète comme une bête à mon moindre décolleté. Qu’il ait soif ou non.

— Hm. En autant qu’il dorme la nuit.

— Tu veux rire ! La nuit, il veut boire – ou plutôt téter –

aux deux heures ! J’hallucine com-plè-te-ment.

— C’est vraiment le sein qu’il veut, pas la suce ?

— Un boule-O-maniaque avéré.

— Je dis ça comme ça, mais… as-tu déjà pensé à coucher une poupée gonflable avec lui dans son lit ? Comme ça, tu sais, s’il se réveille…

— Arf ! Non mais, tu imagines les manchettes : « C’est ma mère qui m’a offert ma première poupée gonflable. »

— Sérieusement, on ne sait jamais ! Ça pourrait marcher.

Le pire qui puisse arriver, c’est que tu entendes un gros PAF ! en plein milieu de la nuit.

162 - Chroniques d’une mère indigne 2

Hululements de rires de la part des deux mères. C’est maintenant confirmé : elles survivront à cette journée.

Un peu plus tard :

Mère indigne — Alors là, je lui ai dit : « Le pire qui puisse arriver, c’est que tu entendes un gros PAF ! en plein milieu de la nuit. » On a tellement ri !

Père indigne — Hum. Fallait être là.

Mère indigne — Comment ça, fallait être là ? J’étais sûre que c’était super drôle en soi.

Père indigne — C’est parce que tu ridiculises quand même un icone masculin.

Mère indigne — Un ic- de quoi tu parles ?

Père indigne — Les poupées gonflables.

Mère indigne — Ah, ouais. D’accord. Je l’f’rai plus.

Père indigne — Euh, je blaguais.

Mère indigne — Moui, bien sûr.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 163

Hiiiiiiiiiiiiiiiii, suite (et fin ?)

Je partage maintenant mon bureau avec une fille extrêmement sympathique qui rentre de congé de maternité. Elle vient tout juste de décrocher un poste de prof en sexologie.

Vous imaginez mon enchantement.

Moi — C’est quand même fou, faire un doc en histoire de l’art et te retrouver prof en sexo.

Collègue — Prof en sexo ou pas, va falloir que je me tire du lait bientôt, ça va déborder. Je vais juste finir mon maudit paragraphe…

Moi — Sur quoi tu travailles ?

Collègue — Un article sur la représentation intime du corps et la vision du photographe dans les œuvres érotiques virtuelles.

Moi — Bref, le cul sur Internet.

Collègue — Ben là !

Moi — Le cul sur Internet ! Le cul sur Internet ! Ben non, c’t’une blague. Sur quelle image tu travailles ?

Collègue — Sur celle-là.

Je me retrouve alors nez à nez avec une photo en gros plan de deux parties intimes qui font connaissance de manière extrêmement amicale.

Moi — Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Wow ! Excuse-moi, ahahahahahah !

C’est juste que ça fait changement de mes lectures habituelles…

Wouhou ! Hum.

Collègue — J’ai fait mon entrevue d’embauche sur cette image-là. Personne n’a ri.

164 - Chroniques d’une mère indigne 2

Moi — J’imagine que si tu es en sexo et que tu ris hystériquement devant de la porno, tu passes pour un plouc.

Collègue — Pas mal, oui. (Puis, se laissant gagner par son sujet.) Tu vois, ce qui est intéressant avec cette photo, c’est que la fille se regarde elle-même sur son écran d’ordi. Elle ne regarde pas le gars, ni la caméra, elle se regarde.

Moi — Ah, ben oui. Ben oui, r’garde donc ça. Elle se regarde.

Silence.

Moi — Hum, est-ce que ça te dérange si, euh, je prends une photo de ton image avec ma webcam et que je l’envoie à Père indigne ? Juste pour rigoler ?

Collègue — Hum. Non, non, vas-y.

Flash de la webcam : Whooosh !

Moi — « Chéri, voici sur quoi travaille ma collègue de bureau. Dans le coin droit, en bas, tu peux entrevoir mon oreille. » Hin, hin, hin. Merci.

Collègue — … De rien.

Silence.

Moi — Ah ! Tiens, Père indigne a répondu ! « Tu peux apporter le livre à la maison ce soir ? Je voudrais vérifier quelques petits détails. » Ahahahahahah ! Les hommes.

Silence.

Moi — Est-ce que tu travailles juste sur cette image-là ?

Je veux dire, c’est beau d’écrire un article, mais juste sur une image ?

Collègue, perspicace — Tu vas encore déconner si je t’en montre une autre.

Moi — Mais non ! C’était juste le choc initial. Écoute, je travail e sur l’analyse du rapport Gomery, ces temps-ci… Laisse-moi une chance de m’acclimater.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 165

Collègue — Bon, OK, je travaille aussi sur celle-ci. Note qu’ici…

Moi — Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! OH MY GOD ! (Whooosh !) Père indigne va halluciner !

Gros soupir de la part de la collègue de bureau.

Collègue — Bon, c’est pas tout, ça. Il faut que je me tire du lait.

Moi — J’comprends ! Faut quasiment que je m’en tire moi aussi, pis ça fait un an que j’allaite plus !

Collègue — Arrête donc !

Elle sort alors son tire-lait automatique et entreprend de se déboutonner le chemisier. Whooosh !

— Hiiiiiiiiiiiiii !

— Argh ! T’es conne !

J’aime beaucoup, beaucoup ma nouvelle collègue de bureau. Reste juste à savoir combien de jours elle va m’endurer avant de me mettre dehors.

166 - Chroniques d’une mère indigne 2

Milieux humides

L’autre soir, Père indigne et moi avons eu un de ces petits moments de négociation-éclair qui jalonnent la vie des parents.

Père indigne — Je vais donner le bain à la petite ?

Mère indigne — Je peux lui donner, si tu veux.

Père indigne — Non, non. Je vais le faire. Tu sais bien que, dans cette maison, c’est moi le spécialiste des milieux humides. Sur quoi, on a bien rigolé. Mais ça m’a aussi rappelé le fait qu’avant que je retourne au travail (enfin, aux études, mais à 35 ans, on se sent mieux si on dit « au travail »), la question du

« qui donne le bain à Bébé » ne se posait même pas. Après toute une journée passée à faire des gagagougous, pas de négo possible. Laissez-moi vous dire que, quand Père indigne rentrait à la maison, il était en charge du bain. Moi, j’étais en charge de me faire un gin tonic, et plus vite que ça.

Tout ça pour vous dire qu’après mes angoisses de septembre (et octobre, et novembre) à l’idée de laisser Bébé en garderie, je suis maintenant totalement enchantée d’être de retour au travail.

Premièrement, de retour au travail (j’aime vraiment ça dire

« au travail »), on se maquille pour autre chose qu’aller acheter une pinte de lait au dépanneur. Bon, en réalité, même quand je restais seule à la maison avec Bébé, je me maquillais quand même ; beaucoup plus facile de se mettre un peu de fond de Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 167

teint et de rouge à lèvres que d’essayer de plonger avec un bébé dans les bras pour éviter les miroirs. Ah, et puisque vous voulez vraiment tout savoir, je me suis même maquillée à l’hôpital, avant la visite des amis. « Oh, comme tu as l’air en forme ! »

est une véritable musique pour les oreilles d’une femme résolument moderne qui vient de passer huit heures à gémir de douleur. Outlash de CoverGirl, ça ne sauve peut-être pas des vies, mais ça peut sérieusement vous abréger un post-partum.

Mais bon, se maquiller pour aller travailler, ça donne quand même un peu plus de sens à notre petit rituel, n’est-ce pas ? Et s’habiller, aussi. Vous savez, mettre des vêtements dont vous avez la garantie presque absolue qu’on ne régurgitera pas dessus pendant au moins six heures ? Ça donne le goût de vous écrier, devant tous vos collègues : « Voici un col roulé que j’ai acheté 20 $ en solde, 70 % coton, 22 % viscose, 8 % lycra et absolument 0 % vomi ! (ou alors si peu) ». Amenez-en, des petits plaisirs simples de la vie ! Quand on redécouvre l’existence d’un monde extérieur, on est capable d’en prendre !

Et on redevient aussi capable d’en donner. Car, honnê-

tement, que répond la mère au foyer à la question, posée de bonne foi par un époux tendre et intéressé, « Qu’as-tu fait de beau aujourd’hui ? » « Euh, laisse-moi réfléchir… Oups, j’ai un trou de mémoire ? Non, c’est juste qu’il ne s’est rien passé. Enfin, euh, j’ai changé sept couches et j’ai aussi… agaga-gougou-doudou-ahrrrrreuh… Oh, pardon, chéri, je commence à oublier mon français. » Retourner au travail, c’est revenir avec, au minimum, le récit d’une journée ordinaire et, au mieux, avec des potins bien juteux. La conversation, la vraie, peut enfin regagner ses lettres de noblesse.

168 - Chroniques d’une mère indigne 2

Licence enqc-62-5026113-sg73071120 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Mais le plus incroyable, ce sont les 5 à 7. Surtout quand ils sont organisés par des étudiants (je veux dire des collègues de travail) dont on peut être absolument certaine qu’ils ne nous poseront aucune question sur nos enfants à moins d’avoir vraiment, mais vraiment beaucoup trop bu – jusqu’à présent, je n’en ai jamais rencontré qui soient arrivés à ce stade de dé-

générescence ultime.

Justement, j’avais un 5 à 7 vendredi dernier. Sérieusement, je crois que j’étais même plus heureuse que Fille aînée quand elle a reçu une carte d’invitation avec Arthur et les minimoys dessus pour l’anniversaire d’une copine de classe. J’étais même un peu déçue de ne pas être obligée de demander la permission à ma mère pour y aller, juste pour le plaisir d’annoncer au plus de gens possible que j’étais invitée à un 5 à 7.

Duquel je suis rentrée à 1 heure du mat’.

Père indigne — Puis, comment c’était ton 5 à 7 ?

Mère indigne — Génial. On devait être huit, mais finalement on était trois.

Père indigne — Trois ? Et les deux autres étaient…

Mère indigne — Ah, euh, deux gars de 27 ou 28 ans. Tu n’as absolument pas à t’inquiéter, chéri. Ils étaient juste charmants, drôles et intelligents. Très charmants, en fait.

Père indigne — Effectivement, rien d’inquiétant là-dedans.

Et vous avez parlé de…

Mère indigne — Euh, de la vie, de philo. Genre, les théories de la démocratie, style ?

Père indigne — Vous n’avez pas parlé de sexe ?

Mère indigne — Si peu, si peu. (Flashes dans la tête de Mère indigne d’une conversation totalement outrageante sur les 10 meilleurs films porno de tous les temps tels que recensés par un magazine quelconque.) Presque pas, en fait.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 169

Père indigne — Je ne suis vraiment pas du tout inquiet.

Mère indigne — Tu as raison de ne pas l’être, chéri. Après tout, tu possèdes certainement une expertise beaucoup plus vaste qu’eux en ce qui concerne l’entretien et la sauvegarde des milieux humides.

Qu’est-ce que je vous disais ! Quand on retourne au travail, on a aussi des conversations beaucoup plus intéressantes avec notre mari, le soir, à la maison…

170 - Chroniques d’une mère indigne 2

L’avis des bêtes

Ah, là là, les filles. Faut que je vous raconte.

J’ai été au restaurant avec un homme hier soir. Pas avec Père indigne, non. Avec une de ces créatures étranges et fascinantes qui forment la race des « ex ». Afin de rester dans le ton, ce qui est l’une de mes préoccupations principales en tant qu’écrivaine sérieuse, j’ai décidé que nous appellerions cet ex, Ex indigne.

En femmes accomplies et expérimentées que vous êtes, les poulettes, vous savez que ce genre de relation est parfois un peu difficile à gérer. Surtout quand, vous rappelez-vous vaguement, vous avez peut-être certains torts assez gratinés à vous reprocher. Personnellement, j’ai trouvé une recette infaillible pour entretenir des relations harmonieuses avec mes ex, en tout cas avec Ex indigne : couper complètement les ponts pendant 12

ans. Ensuite, quand on recommence à se parler, non seulement on ne se souvient plus exactement de qui a fait quoi de mal, mais on s’en fiche complètement.

Et après 12 ans, ce qui est chouette, c’est que, quand on ne veut pas parler des méchants fantômes du passé, on parle des enfants qu’on a faits entretemps.

Mère indigne — L’autre jour, je pense que j’ai été un peu bête avec Fille aînée.

Ex indigne — Toi, bête ? Voyons, c’est impossible !

(N.D.M.I. Voyez ce que ça fait, 12 ans de silence ? L’harmonie.

Génial.)

Mère indigne — Non, je te jure. Même Père indigne était un peu furieux. Fille aînée est venue me voir pour m’annoncer Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 171

en grandes pompes qu’elle avait réussi à faire fonctionner le DVD. J’ai dit « Bravo, chérie, c’est très bien »…

Ex indigne — Et… ?

Mère indigne — Figure-toi qu’elle m’a regardé d’un air un peu méprisant et qu’elle m’a dit : « Ben là. J’aurais cru que tu aurais été un peu plus… enthousiaste. » Ça, moi, ça me fatigue. Les enfants, aujourd’hui, on s’extasie au moindre truc, et ensuite ils en veulent toujours plus. « Maman, maman, j’ai pensé à fermer la lumière de ma chambre ! » « Oh, mais c’est super, chérie, on va organiser une belle fête en ton honneur ! »

Pu capable. Alors j’ai répondu à Fille aînée, un peu sèchement,

« Quoi ? Est-ce qu’il faudrait que je me roule par terre en plus ?

Que je te fasse un gâteau ? » Père indigne a trouvé ça bête.

Ex indigne — Hm. J’avoue. Et personnellement je la trouve quand même bonne d’avoir réussi à faire fonctionner un DVD.

L’autre jour, au chalet, je n’y suis jamais arrivé. Trop de fils derrière la télé, trop de boutons sur la télécommande…

Mère indigne — T’as raison ! C’est comme à la maison !

Comment ça se fait qu’en 2008 il ne faut pas simplement brancher un fil dans un trou pour faire marcher un DVD ? Ça me rend folle chaque fois. Pour faire fonctionner le DVD chez nous, il faut commencer par allumer le lecteur VHS, mais pas juste l’allumer. Il faut mettre une cassette dedans, appuyer sur Play et ensuite sur Stop. C’est juste s’il ne faut pas dire abracadabra. C’est hyper-complexe, je n’y arrive pas la moitié du temps.

Ex indigne — …

Mère indigne — (Cligne, cligne.) Merde. Fille aînée.

J’aurais peut-être effectivement dû faire preuve de plus d’enthousiasme…

Ex indigne — Hm.

172 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne — … Mais elle va s’en remettre.

Ex indigne — Hm.

Mère indigne — En fait, elle s’en est déjà remise. Comme je trouvais que j’y étais quand même allée un peu fort, j’ai fait amende honorable. Je l’ai amenée au Dairy Queen.

Ex indigne — Ah, ça, ce n’est pas bête… Tiens, changement de sujet, tu as lu la chronique de Josée Blanchette dans Le Devoir ? Celle qui parlait des ex ?

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 173

(Ex indigne est un grand fan de Joblo. Depuis des années.

Un fan noble, d’ailleurs, qui, comme pour le Playboy, ne lit pas Josée pour ses propos occasionnels sur le sexe, mais pour sa profonde spiritualité. J’étais jalouse, dans le temps.) Mère indigne — Oui, oui, je l’ai lue… Rassure-moi, on ne va pas parler des méchants fantômes du passé, là ?

Ex indigne — Ça va, ça va, je respecte ton déni. En tout cas, tu sais que je ne lis pas Josée Blanchette pour ses propos occasionnels sur le sexe, je préfère son profond côté spirituel…

Mère indigne — Moui, bien sûr.

Ex indigne — … mais, l’autre jour, elle parlait des ex qui veulent encore coucher avec leur ex.

Mère indigne — Oh ! Seigneur. Moi, ça, ça me DÉGOÛTE.

Ex indigne — …

Mère indigne — Ça ne m’est jamais arrivé et, je peux te le dire, ça ne m’arrivera JAMAIS.

Ex indigne — …

Mère indigne — Sérieusement. Quelle HORREUR.

Ex indigne — …

Mère indigne — (Cligne, cligne.) Oh. Je… J’ai pas réalisé…

J’ai encore été bête, là, hein ?

Ex indigne — …

Mère indigne — On va au Dairy Queen ?

174 - Chroniques d’une mère indigne 2

La voie lactée

L’autre jour, chers lecteurs, je me suis réveillée en songeant à quel point je vous aimais. À un tel point que je me suis dit que la moindre des choses serait de vous écrire un magnifique billet avec plein de mots réfléchis et d’introspection, de longues descriptions de steppes sauvages, le tout entrelacé de pensées profondes qui contribueraient à vous emporter au-dessus des contingences de la vie, dans les nuages de la poésie.

Mais ça n’a pas marché.

Alors, à la place, j’ai écouté les ordres d’Éditeur indigne :

« Si tu veux un tome 2, la mère, va falloir y mettre plus de sexe. » Alors voilà. Le texte que vous lirez maintenant, c’est de sa faute à lui.

Future Maman — Faut que je te dise. J’ai un peu d’appré-

hension à propos de l’allaitement.

Mère indigne — Le dilemme classique, allaiter deux jours ou bien deux ans ? Dans mon cas, c’est Bébé qui a décidé. À

4 mois, elle a fait une grève de la faim, refusé le mamelon tendrement offert pendant je ne sais plus combien de boires, et ensuite elle a avalé trois fois huit onces de suite dans un biberon. Pire que moi avec le gin tonic.

Future Maman — Tu as dû te sentir trahie ?

Mère indigne — J’ai pleuré pendant deux jours. Surtout que le lait accumulé, ça vous bétonne une poitrine. J’ai eu l’impression de porter deux gongs dans le soutif pendant une Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 175

semaine. Mais ensuite je suis allée au cinéma onze soirs de suite… L’extase.

Future Maman — T’aurais peut-être pu insister un peu plus pour qu’elle boive au sein ?

Mère indigne, songeant au caractère de Bébé — Insister ?

Avec Bébé ??? Des plans pour me faire transformer en Amazone sans anesthésie. Non merci. Puis honnêtement, point de vue sexuel, c’était aussi préférable. Allaiter, ça dégoûte.

Future Maman — Ça dégoûte les hommes ?

Mère indigne — Non, non. Ça dégoûte tout court. Tu sais, t’es en pleine action et PAF !, la machine s’emballe. Cléopâtre aimait peut-être le lait en bains, mais en douche, Père indigne a trouvé ça moyen. « Humide, trop humide », comme dirait Nietzsche.

Future Maman — Seigneur. On a peut-être commis une erreur, là, Futur Papa et moi… Avez-vous trouvé une solution, au moins ?

Mère indigne — Oui, mais ça crée un léger paradoxe. On conserve le soutien-gorge dans l’intimité, et hop ! on s’expose devant tout le monde pour allaiter.

Future Maman — Justement ! C’est ça qui me dérange avec l’allaitement. Devoir le faire en public. Tu sais, moi, montrer ma poitrine à tout le monde…

Mère indigne — Mais ce ne sera plus une poitrine sexuelle, chérie ! Sortir un mamelon du soutien-gorge ou sortir un Tupperware du frigo, même combat. D’ailleurs, ça peut même être pratique. Une fois, je n’avais pas de lait pour mon café.

Pfuit, pfuit, deux jets, et hop ! Cafe con leche, mama style.

Future Maman — Ah, pouache. Une chance que personne ne t’a vue.

Mère indigne — J’étais à la cafétéria de l’université.

176 - Chroniques d’une mère indigne 2

Future Maman — Arrête !

Mère indigne — Ils ont appelé la sécurité.

Future Maman — Non !

Mère indigne — T’inquiète. Je les ai tenus en respect avec mes deux mamelons agressivement pointés vers eux, prêts à l’attaque. Ça t’immobilise un homme, une mitraillette à lait.

Future Maman — Tu me niaises !

Mère indigne — Ben oui. Mais, sérieusement, je connais quelqu’un qui n’avait vraiment plus de lait pour le café de ses invités. Elle allaitait, alors elle s’en est tiré un petit pot en cachette et elle l’a apporté au centre de la table.

Future Maman — …

Mère indigne — Éthiquement discutable, j’en conviens…

Future Maman — …

Mère indigne — … mais, entre toi et moi, on boit bien du lait de vache…

Future Maman — …

Mère indigne — … et les invités n’y ont vu que du feu.

Future Maman — Je pense qu’on va changer de sujet.

Mère indigne — On fait comme tu veux, ma belle. Mais, une fois mère, tu vas voir. Tu vas devenir COMME NOUS

AUTRESMD.

Future Maman — (Soupir.) Dis donc, je voulais te demander. C’est vrai qu’enceinte on fait parfois des rêves bizarres ?

Mère indigne — Comme rêver que tu portes un extraterrestre au lieu d’un fœtus, qui jail it de ton ventre comme dans Alien ?

Future Maman — Nnnnon. Plus comme rêver de, comment dire, prodiguer certaines faveurs à Nicolas Sarkozy dans la Maison-Blanche.

Mère indigne — Mon Dieu. J’espère que ça n’est pas pré-

monitoire.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 177

Future Maman — Ben voyons ! Je n’aurai jamais l’occasion de rencontrer Nicolas Sarkozy.

Mère indigne — Ça ne veut pas dire que ton bébé ne res-semblera pas à Nicolas Sarkozy.

Future Maman — Arrête, j’attends une fille.

Mère indigne — Mes sympathies.

Future Maman — Sérieusement, j’étais vraiment embêtée.

Je me demandais vaguement où était Carla.

Mère indigne — Elle devait être avec W. Ou bien avec Futur Papa.

Future Maman — C’est ce qu’il pense lui aussi. Et puis, dans mon rêve, je me disais qu’il y avait sûrement plein de caméras cachées dans la Maison-Blanche, et puis que nos cabrioles se retrouveraient sur YouTube.

Mère indigne — Et là ? T’as arrêté ?

Future Maman — Ben… non. Je me suis dit que j’écrirais un livre sur mon expérience et que je deviendrais riche.

Mère indigne — … Tsé, euh, allaiter en public ?

Future Maman — Oui ?

Mère indigne — Je pense honnêtement que ça ne sera pas un problème pour toi.

178 - Chroniques d’une mère indigne 2

Changement de paradigme*

Moi, je dois vous dire franchement, en tant que parent, je suis éblouie. Éblouie de voir à quel point avoir des enfants change notre vision du monde.

C’est vrai, tout le monde le sait, quand on a un enfant, on recommence à voir les bourgeons qui fleurissent au printemps (en même temps que les crottes de chiens qui émergent au parc et qui fascinent nos tout-petits) et on apprécie davantage le moment présent (surtout quand les enfants sont au lit). Puis prendre un enfant par la main, comme disait Yves Duteil, c’est tellement émouvant… Remarquez, on pourrait aussi changer les paroles pour :

Prendre un enfant par le bras

Pour le sortir du IGA

S’il pète une crise devant le rack à bonbons Et qu’il prend ses parents pour des cons

… mais bon, on y reviendra sûrement dans une autre chronique.

Tout ça pour dire que les enfants, ça nous transforme d’une manière qu’on n’avait pas prévue. Par exemple, je ne sais pas pour vous, mais maintenant, quand je porte des souliers à lacets, je fais toujours des doubles nœuds, sinon, je me sens moins en sécurité. Et quand je vois certaines personnes se promener dehors à -10º C sans leur tuque, je me demande quel genre de parents ils ont pour les laisser sortir comme ça de la

* Chronique radiophonique diffusée en avril 2008 à l’émission Nulle part ailleurs, Radio-Canada, Sudbury.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 179

maison le matin. D’ailleurs, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour dire à mes collègues de travail que c’est moi qui ai cousu leurs gants à leurs manches de manteau. Ils ne m’ont jamais remerciée, mais je sais qu’ils savent que c’était pour leur bien.

Aussi, depuis que j’ai des enfants, je ne pourrais pas être serveuse au restaurant. Les clients ne pourraient pas me commander une bavette de bœuf sans que j’essaie de l’attacher autour de leur cou. En plus, je serais toujours en train de souffler sur leur assiette en disant : « Attention ! C’est chaud-chaud-chaud ! » Et je ne sais pas jusqu’à quel point ils apprécieraient de se faire débarbouiller le bec après leur dessert.

Quand on a des enfants, on reconnaît aussi, infaillible-ment et chez n’importe qui, le twist de l’envie de pipi. Dès les premières nanosecondes, on sait ce qui se passe dans la région de leur slip et, après une minute, on a envie nous aussi : envie d’en finir et d’aller les asseoir nous-mêmes sur la toilette. C’est pour ça que, si je donne une conférence dans un colloque et que je vois quelqu’un s’agiter sur son siège de plus en plus nerveusement, je n’hésite pas à m’interrompre : « Les toilettes sont au bout du couloir à gauche, Monsieur. Oui, vous, avec la cravate rayée. Allez-y, sinon vous allez avoir un accident ! » Je ne sais pas pourquoi, mais en général les gens à qui je dis ça, ils ne reviennent jamais pour entendre la fin de ma présentation.

Mais je dois dire que l’autre jour, dans l’avion, j’ai atteint le fond du baril. Mon voisin de siège, un inconnu, s’est mis à me raconter tous ses malheurs en long et en large. Si encore il avait été question de mésaventures sexuelles avec des personnalités connues, je l’aurais écouté jusqu’au bout, mais non. Il m’entre-tenait d’hypothèque et de prêts REER et, horreur, il s’est même mis à me parler de ses enfants. Puis, au bout d’un moment, il 180 - Chroniques d’une mère indigne 2

s’est mis à se débattre. C’est parce que, sans même m’en rendre compte, j’essayais de lui fourrer dans la bouche une vieille suce qui traînait dans le fond de ma poche. Ça n’a pas tellement bien marché. Il a appelé ça une « atteinte à son intégrité physique », les agents de sécurité sont intervenus… Je leur ai dit que ça suffisait, j’ai compté jusqu’à trois et, comme ils ne me lâchaient pas, je les ai tous envoyés réfléchir dans leur chambre.

Ça non plus, ça n’a pas tellement bien marché. En ce moment même, je vous parle en direct d’une cellule capiton-née et insonorisée, vêtue d’une chemise blanche à très longues manches. Mais ce n’est pas si désagréable. Ils m’ont laissé la su-suce et Père indigne est venu me porter un biberon de gin tonic. J’espère seulement que ma maman viendra me lire une histoire avant le dodo…

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 181

Le homard en héritage

Les filles, faut que je vous dise. C’est encore arrivé.

Vous vous souvenez d’Ex indigne ? Le gars qui ne m’a pas adressé la parole (et vice-versa, d’accord) pendant douze ans, sous prétexte qu’on avait rompu de manière un peu brutale ?

Et avec qui je me suis finalement réconciliée, parce que je suis comme ça, moi, bonne pâte, magnanime, parfaite ?

Bon, ben l’autre soir j’ai encore été au resto avec lui.

Comprenez-le, le pauvre homme : il vient tout juste de divorcer, ça n’a pas été facile, et il voulait marquer l’occasion avec une bonne amie, tout simplement.

Touuuut simplement.

(Sans blague, j’adore raconter cette histoire. Non, mais, vous vous rendez compte ? Tout le monde à qui j’en parle prête de mauvaises intentions à Ex indigne. À lui ! Pas à moi ! Et ça, je vous prie de me croire, c’est rarissime.

Évidemment, je profite de ma position de victime pour en rajouter.)

Mère indigne — Tu sais, quand on était ensemble, il y a quinze ans, tu m’impressionnais tellement que ça me poussait à faire plein de conneries pour que tu m’apprécies.

Ex indigne, bonne pâte, magnanime, parfait — Tu sais bien que tu n’avais pas à faire ça.

Mère indigne — Mais j’étais tellement jeune ! Et il y avait une certaine différence d’âge entre nous, il faut bien l’admettre.

Pour ne pas dire une différence d’âge certaine. Je ne voulais pas me l’avouer à moi-même, mais ça m’affectait.

182 - Chroniques d’une mère indigne 2

Ex indigne, un peu déçu tout de même — Je n’ai pas l’impression que ça t’affecte encore.

Mère indigne — Tu te trompes. J’ai l’impression que tu es mieux installé que moi dans la vie. Tu vois, tu peux te permettre de m’inviter dans un resto chic, et ça… ça m’intimide.

Terriblement. Et c’est d’ailleurs parce que je suis toujours très intimidée, et qu’inconsciemment je te hais, que je vais commander l’entrée de foie gras poêlé à 55 dollars.

Ex indigne — C’est effectivement ce que j’appellerais de l’intimidation.

Mère indigne — Tu rigoles…

Ex indigne, grommelant — Non.

Mère indigne — … mais tu ne devrais pas. C’est important, ce que je te dis là. Parce que je constate que je transmets sans le vouloir mes insécurités à mes enfants. Prends Fille aînée.

Elle est pareille comme moi, une vraie catastrophe ! Toujours à vouloir faire plaisir, même s’il faut qu’elle se livre à toutes les bassesses pour y parvenir. En tant que mère qui ne veut pas que sa progéniture commette les mêmes erreurs qu’elle, ça m’inquiète. Et c’est pour ça que, l’autre jour, je lui ai parlé de toi. Je lui ai raconté la fois du homard.

Ex indigne — La fois du homard ?

Mère indigne — Oh, c’est vrai. Tu ne sais pas. Mon Dieu, ce qui est arrivé ce jour-là… c’était horrible. Je crois bien que c’est à ce moment précis dans notre relation que j’ai atteint le fond de la cage à crustacés.

Ex indigne, l’air incrédule — Un homard ?

Mère indigne — Mais oui, tu ne te souviens pas ? On avait décidé d’aller au restaurant, et tu m’as demandé si j’avais déjà mangé du homard. Moi, je pensais que tu voulais dire du homard au restaurant. Alors j’ai dit non. Mais toi, tu as pensé Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 183

que je n’avais jamais mangé de homard de ma vie. Tu étais tellement fier de me faire goûter à cette bestiole pour la première fois… Et moi, je voulais tellement bien faire… Je suis désolée de te dire ça comme ça, mais j’ai dû faire semblant du début à la fin.Ex indigne, estomaqué — Mais c’était absolument inutile !

Mère indigne — Je… j’avais besoin de ton approbation…

La différence d’âge considérable que nous avions alors… et que nous avons toujours, je te signale…

Ex indigne — Oui, bon, ça va…

Mère indigne — Enfin bref, j’ai menti. J’ai fait semblant d’utiliser des pinces à homard pour la première fois de ma vie, de ne pas savoir comment les tenir, d’hésiter avant de prendre la première bouchée. Et, arrivée là, j’ai levé les yeux au ciel en signe d’extase, j’ai fait des « oooh » et des « aaaah » d’une voix rauque de plaisir, en espérant que j’aurais l’air suffisamment convaincue. Tu te rends compte ! J’ai feint l’orgasme gustatif. Et toi, tu trouvais ça follement émouvant.

Ex indigne — Dis donc, cette fois-là, justement, tu ne m’avais pas foutu plein de jus de citron dans l’œil ? Il me semble que j’avais dû aller aux toilettes pendant une quinzaine de minutes, le temps de retrouver la vue.

Mère indigne — Je pense que je n’avais pas fait exprès – j’en suis presque certaine –, mais au moins ça m’avait permis de finir mon homard tranquille.

Ex indigne lève les yeux au ciel.

Mère indigne — Quoi qu’il en soit, je me suis dit qu’il n’était pas question que ma fille suive les traces pathétiques de sa génitrice. Je lui ai tout avoué, en espérant qu’elle sache en tirer les leçons.

Ex indigne — Et les leçons furent-elles tirées ?

184 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne — Elle m’a dit que je lui avais déjà raconté cette histoire quatre fois, mais qu’à cause de mon plaisir manifeste à lui en parler, elle n’avait pas osé m’interrompre.

Ex indigne — Ça doit être la différence d’âge entre vous…

Ça doit l’intimider.

Mère indigne — En tout cas, de t’avoir avoué tout ça, ça me soulage, tu ne peux pas savoir à quel point. On devrait fêter ça. (Se tournant vers les cuisines.) Garçon, champagne ! Pour tout le monde !

Ex indigne, le visage tout blanc, soudain — ???

Mère indigne, battant des cils — Est-ce que je t’ai déjà dit que je n’avais jamais, jamais bu de champagne ? De toute ma vie ? Pour le moment, tu es sous le choc, mais tu vas voir, tu vas finir par trouver ça follement émouvant.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 185

En-cas d’urgence

Mère indigne reçoit la visite d’Amie-célibataire-indigne-femme-fatale-sulfureuse-et-dégénérée (pour faire court, nous l’appellerons Emmanuelle-l’anti-vierge. Bon, peut-être juste Emmanuelle, finalement, mais vraiment par souci d’espace). Toutes deux tentent d’avoir une conversation de filles autour d’un café.

Mère indigne — Attends, là, je comprends mal. Ton mec, il t’a dit qu’il avait une pépine ? Je croyais qu’il était médecin.

Bébé — WAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!!

Emmanuelle — Non, pas une pépine. Il s’est dégoté une

[AAAAAAAAAAAAAAAAAAA]ine.

Mère indigne — Il s’est fait tatouer quelque chose sur la p[AAAAAAAAAAAAAAAAAAA] ???

Emmanuelle — (Soupir.) Tu comprends ri[OUAIIIIII-IIINNNNNNN].

Mère indigne — Merde. Attends deux secondes. (Puis, se tournant vers Bébé.) Mais qu’est-ce qui se passe, chérie ?

(Note aux futurs parents : la crise qui suit est authentique.

Comprendrez que vous auriez dû vous retenir. Je sais. Dommage. Trop tard.)

Bébé, se jetant par terre avec grand fracas — WAAAAAAAAAAA ! Moi l’a tombééééééééaaaaaHHAAAA !

Mère indigne — Mais non, tu n’es pas tombée. Tu t’es jetée par terre.

Bébé — NonmoilaPAjetéparterre ! MOILATOMBÉ ! BON !

WIIIIIIAAAAAAAAAAHHH !

186 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne — Bon, d’accor-

Bébé — NANPADACCORAAAAAAAAA !!!

Mère indigne — Viens me voir, ma chouette, on va trouver une solution.

Bébé — NooooOOOOOooooon ! On trouvera PAS de solution !!! On va trouver du CACA !!!

Mère indigne — …

Bébé — On va trouver de la CROTTE !!!

Mère indigne — …

Bébé, de plus en plus féroce — ON VA TROUVER DU

CACA-CROTTE !!!

Mère indigne — Oké. J’ai compris. Tiens.

Bébé — NANMOIVEUXPAAAAAAaa. Marsi.

Suit un silence inespéré et quasi insoutenable.

Emmanuelle — C’est quoi ? C’est… c’est des bonbons ?

Mère indigne — Oui. D’habitude, ça fonctionne avec un ou deux mais, étant donné l’ampleur de la crise, j’ai pensé que ça valait la peine de lui filer le sac.

Emmanuelle — Attends, là, je rêve. Tu es en train d’apprendre à ta fille à manger ses émotions ?

Mère indigne — Si je peux au moins lui apprendre une chose utile dans la vie, que ce soit celle-là.

Emmanuelle — Ben voyons ! Ça n’a aucun sens ! Il faut lui apprendre à gérer ses colères, à renforcer son estime de soi, à canaliser ses sentiments négatifs dans quelque chose de productif…

Mère indigne — Dans quelque chose de prod- non. J’ai assez de bricolages qui traînent partout, s’il faut que j’en ajoute un à chaque crise…

Emmanuelle — Tu pourrais au moins essayer de la raisonner, je ne sais pas, moi…

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 187

Mère indigne — Ben voilà. Justement. Tu ne sais pas.

Emmanuelle, levant les yeux au ciel — Classique. Je n’ai pas d’enfants, je ne peux rien dire.

Mère indigne, doctement — Ce n’est pas une question d’enfants, c’est une question de savoir-vivre. Je dirais même plus, c’est une question de sauce-yolodgie. Tout le fonctionnement de la société est élaboré autour de la dégustation des émotions.

Et d’ailleurs, j’irais même encore plus loin et je dirais que celui qui ne mange pas ses émotions ne mérite pas d’en avoir.

Emmanuelle — Bon, v’là autre chose.

Mère indigne — Pourquoi on va au restaurant, hein ?

Hein ? Pour fêter des trucs ! Pour célébrer ! D’ailleurs, dans les magazines de bouffe, c’est toujours ça : préparer des banquets, des soupers entre amoureux… T’es heureux ? Tu manges. Et les chips, mon Dieu. Les chips. C’est conçu pour la célébration, les chips. Surtout les Pringles, t’as vu la forme de la boîte…

Emmanuelle — Mais là, c’est la crise de nerfs de ta fille que tu célèbres en lui donnant des bonbons.

Mère indigne — Bon, bon, t’as raison, je vais faire un peu de renforcement positif. Bébé, ça va, t’es contente maintenant ?

Bébé, la bouche pleine d’une masse collante — Mvfoui.

Mère indigne — Excellent. Tiens, fête ça avec une couple d’autres framboises en gelée.

Bébé — Mfwarsi.

Mère indigne — Elle est tellement polie. Je devrais la ré-

compenser.

Emmanuelle — Ah, mon dieu ! Arrête ! C’est super cho-quant.

Mère indigne — Peut-être, mais en attendant je vais pouvoir comprendre ce que tu essayais de me dire depuis tout à l’heure.

188 - Chroniques d’une mère indigne 2

Emmanuelle — Ah. Oui. Écoute. C’est encore plus cho-quant.

Mère indigne — Quoi ? Tu t’es mise au scrapbooking ?

Emmanuelle — Es-tu folle, jamais. Non. Figure-toi que mon amant s’est fait une copine.

Mère indigne — « Ton » amant ? Excuse-moi, je croyais que t’en avais dix-huit.

Emmanuelle — Quatre. Cinq. En tout cas, depuis trois jours, j’en ai juste quatre, ça a l’air.

Mère indigne — Tu es phobique de l’engagement, tu m’as déjà dit que la tendresse, c’était « gluant », ça devrait te faire plaisir de voir que ton attitude n’est pas contagieuse. Et aussi de voir que le gars continue d’être attiré par des filles, même après son expérience avec toi.

Emmanuel e — Tu peux rigoler, mais ça m’affecte vraiment profondément. Le truc, c’est que j’aime que ma vie soit régie par des règles, comment dire, cosmiques. Genre, je suis le Soleil, pis là y’a plein de petites planètes qui gravitent autour de moi. Et dans un système solaire, y’a combien de Soleils ?

Mère indigne — Euh, attends…

Emmanuelle — Juste un. Y’en a juste un. Là, un amant qui se fait une blonde, c’est comme deux Soleils dans un même système solaire. Ça perturbe le cours normal des lois de la nature.

Mère indigne — T’as quand même pas le don d’ucubit-pardon, d’ubiquité. C’est pas fatigant d’être le seul Soleil ?

Emmanuelle, le regard rêveur — C’est une bonne fatigue.

Mère indigne — J’ai une idée : tu rebaptises ton amant

« Pluton » et pouf !, c’est même plus une planète.

Emmanuelle — Ce n’est pas si simple. Enfin bref, ça m’a mise tout à l’envers, ça fait trois jours que je mange à peine.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 189

Licence enqc-62-5026113-sg73071120 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Mère indigne — Eh ben, voiiiilà ! La candidate parfaite pour une rééducation ! Ma chère, aujourd’hui, tu vas manger tes émotions. Que dis-je, tu vas les dévorer. Et je vais t’accompagner dans ta démarche.

Emmanuelle — Je n’aime pas les bonbons.

Mère indigne — Minute, minute. Les bonbons, c’est le stade 1, pour les enfants, puisque leur goût n’est pas encore de toute première qualité. Pour nous, j’ai ÇA.

Mère indigne ouvre le frigo et dépose sur la table un pot de foie gras tout neuf et une bouteille de Barsac. Toute neuve aussi. Mais rassurez-vous, pas pour longtemps.

Mère indigne — Le stade 2. C’était pour Père indigne et moi, mais il va comprendre ta détresse. Enfin, je crois…

Une heure plus tard…

Mère indigne — Pis ? (hic !) Pluton ?

Emmanuelle — Il en reste un petit peu au fond…

Mère indigne, déçue — Oh. J’aurais vraiment cru que ça t’aurait totalement guérie.

Emmanuelle — Non, je veux dire, il reste un petit fond de foie gras. Quoique (hic !), pour Pluton, je vais quand même m’ennuyer de ses cu[WAAAAAAAAAAAAAA]us.

Mère indigne, jetant un bonbon à Bébé — De ses quoi ??

Emmanuelle — Nevermind. Donne-moi le fond de Barsac, ça va finir de guérir le bobo.

Mère indigne — J’aime ça quand l’élève dépasse le maître.

Plus tard, Bébé est au lit, Emmanuelle est partie, et Père indigne questionne.

Père indigne — Puis ? De quoi vous avez parlé avec Emmanuelle ?

190 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne — D’astronomie, figure-toi. De système solaire, de planètes, d’harmonie dans l’univers…

Père indigne — Des cerveaux comme vous deux, vous devez avoir réglé la question de savoir si l’univers se rétracte ou s’il est en expansion ?

Mère indigne — Ben, le sien s’est rétracté, je pense. Elle a aussi vaguement fait allusion à des cumulo-nimbus… Enfin, je crois, je ne suis pas certaine, y’a Bébé qui faisait une crise.

Père indigne — C’est Bébé qui a bouffé le foie gras ?

Mère indigne — Non, c’est, euh, c’est nous… Avec Emmanuelle en pleine crise galactique…

Père indigne — Notre foie gras. De couple. Ça me fait mal.Mère indigne — T’es triste ? Tu devrais manger au lieu de te plaindre. Tu sais, sociologiquement, c’est plus civilisé.

Père indigne — …

Mère indigne — Tu veux un bonbon ?

Père indigne — Je n’aime pas les bonbons.

Mère indigne — Je parle de « bonbons ». Stade 3. On les trouve en général dans la chambre, sous les couvertures.

Père indigne — Oh. Je vois… Tiens, c’est drôle, je sens que mon univers est en expansion.

Mère indigne — Tu vas voir, je suis une thérapeute super professionnelle. Et, pour mon salaire, je prends les chèques personnels.

Père indigne — Bien essayé, docteur Maman, mais je vais mettre ça sur ma carte soleil.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 191

Inédit

Le saucisson d’Ex

Quelle peau de vache, tout de même, cet Ex indigne !

On se bat froid pendant douze ans, puis c’est la réconciliation. D’accord, c’est beau et gentil les réconciliations, ça nous tire des larmes d’attendrissement, mais ce n’est qu’un début.

Encore faut-il respecter le code.

Mais oui, quoi. Le code.

Le Code des ex.

Quoi ? Vous ne connaissez pas le Code des ex ? Je vous avertis tout de suite : le Code des ex, ce n’est pas bébé-facile comme le Code Da Vinci. Le Code des ex, ça demande un vrai effort, pas juste trifouiller dans des parchemins pour voir si la Vierge Marie ressemblait à Audrey Tautou.

C’est très difficile d’obéir au Code des ex, parce que ce code, en un mot, exige le renoncement. Faire une croix sur les engueulades du passé, sur les méprises, les erreurs, les doutes.

Il vous a vu partir en porte-jarretelles à un rendez-vous chez le médecin ? Vous l’avez surpris au lit avec un légume de forme oblongue ? Il faut pardonner. Oublier. À la limite, comprendre.

Et surtout être très, très gentil. Parce que, soyons clairs : il n’existe qu’une seule bonne raison de renouer amicalement avec un ex. C’est que ça nous fasse nous sentir bien. Parce que si c’est seulement pour ressasser de vieux souvenirs, régler des comptes ou avoir des relations sexuelles passée la date d’expi-ration, organisons des soirées de speed-exing et, après, merci beaucoup, bonsoir et pas à la prochaine.

192 - Chroniques d’une mère indigne 2

Non. La seule et unique raison de renouer amicalement, donc durablement, avec un ex, c’est la perspective qu’il nous fasse nous sentir bien.

Par exemple, moi, bonne pâte, je respecte le code. Je fais preuve de la bonne foi la plus totale. Aucun reproche sur des événements passés. J’ai tout pardonné, tout oublié et, à la limite, tout compris. Surtout que je n’ai jamais été aux prises avec la situation du légume.

En fait, je veux tellement lui faire du bien, à mon ex, que lorsqu’il nous arrive de nous croiser, les soirs de pleine lune, je me permets des allusions à sa grande virilité. (Oh, vous ne saviez pas ? Eh ben voilà, la surprise du chef sort du sac.) J’y vais même à grands coups de « Rhô, mon Dieu, chaque fois qu’ils montrent la navette Atlantis à la télé, ça me rappelle des souvenirs, et pis si les autres elles savaient tu ne pourrais plus sortir de chez toi sans ceinture de chasteté, et pis ci, et pis ça, etc. »

Cela, évidemment, flatte délicieusement son égo et lui permet de se visualiser possédant la force brute du gorille déambulant nu dans la jungle, les attributs au vent et les femelles aux fesses.

Et je le fais parce que c’est dans le code, ça ! Article 42 : « Tout ex a besoin de savoir que vous n’avez pas oublié la valeur de son amour en centimètres cubes. »

Je le respecte, le code, moi.

Alors, la moindre des choses, ce serait que mon ex le respecte aussi.

Or, c’était mon anniversaire il y a quelques semaines. Et le Code des ex est très clair à ce sujet. Ex indigne devait m’inviter dans un resto chic en passant la soirée à me répéter que « Rhô, les années n’ont aucune emprise sur toi, des-pattes-oies-mais-voyons-où-ça-tu-rêves ? », ce qui aurait délicieusement flatté mon égo et m’aurait permis de me visualiser possédant la grâce Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 193

et la jeunesse de, je ne sais pas, moi, Dora l’exploratrice. En plus sexy. Et ça, en vérité je vous le dis, c’est dans le Code des ex.

Article 237 : « Toute ex a besoin de savoir que vous n’utiliserez jamais son nom et “besoin urgent de Botox” dans la même phrase. »

Eh bien, vous savez quoi ?

Le jour même où nous devions aller souper ensemble dans un restaurant chic afin de ne pas parler de Botox, Ex indigne se fait hospitaliser.

Le déserteur.

Moi, évidemment, après quelques semaines, je suis allée le visiter. (D’après le code, j’aurais dû y aller avant, mais j’en avais trop gros sur le cœur.)

Ex indigne — Une infection au pied, figure-toi donc. Ça a été fulgurant.

Mère indigne — Hm.

Ex indigne — J’ai été à deux doigts de me faire amputer.

Streptocoque. Il était moins une.

Mère indigne — Ah bon.

Ex indigne — C’est monté jusqu’au genou. La douleur était horrible.

Mère indigne lève les yeux au ciel et pousse un soupir blasé.Ex indigne — Ils ont confirmé. C’était la mangeuse de chair.Mère indigne, maîtresse du sarcasme — En voilà au moins une qui aura eu un bon repas.

Ex indigne, abracadabré — Bon. Je n’en reviens pas. Je frôle la mort et tu boudes à cause du resto manqué. La mangeuse de chair, bordel !

194 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne — J’avoue que ça prenait de l’imagination pour somatiser à ce point-là.

Ex indigne — Ça fait deux semaines que je mange de la nourriture exécrable. Tu crois que je n’aurais pas préféré le resto ? Et toi, tu te pointes à l’hôpital avec une mine d’enterre-ment pour seul cadeau.

Mère indigne, fronçant les sourcils — Ah, zut. Le cadeau.

J’avais justement pensé à un cadeau génial pour quelqu’un pris à l’hôpital pendant des semaines à manger de la nourriture horrible. Un saucisson, tu sais, un vraiment bon. (Puis, songeant au Code des ex.) D’ailleurs, c’est incroyable, je ne peux pas voir un saucisson sans songer à… Enfin bref, je t’aurais aussi offert un beau couteau suisse pour aller avec. Super pratique. Et très efficace ensuite, si tu te perds en forêt et que tu dois t’amputer au pied levé.

Ex indigne — Ton sens de l’humour est tout à fait enchan-teur.Mère indigne — Enfin, l’important, c’est que tu retombes sur tes deux pattes.

Ex indigne — Très drôle.

Mère indigne — Oh, pardon. C’est vrai que tu n’as pas besoin de quelqu’un qui fait de l’esprit de bottine dans cette situation.

Ex indigne — J’aurai tout vu. Tu fais de l’esprit de bottine avec l’expression « esprit de bottine ».

Mère indigne, rose de plaisir — Je sais…

Ex indigne — Quoi qu’il en soit, l’absence de cadeau, c’est noté. Quand je pense que tu as des enfants ! Tu devrais pourtant savoir que, dans de telles situations, on apporte systématiquement des cadeaux.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 195

Mère indigne — Comme si je revenais de voyage, en quelque sorte ? Fallait que j’apporte un souvenir du monde extérieur ?

Ex indigne — Quelque chose du genre, oui.

Mère indigne, contrite — Tu as raison. J’ai été en dessous de tout. La prochaine fois, je te promets de faire des pieds et des mains.

Ex indigne — (Soupir.)

Quelques jours plus tard, Mère indigne retourne à l’hôpital, fin prête à faire amende honorable.

Mère indigne — Me revoilàààà ! Avec un beau cadôôôô ! Tu vas être fou de joie. Ça…

Elle hésite.

Ex indigne attend.

Mère indigne, penchant honteusement la tête — Ça va être le pied ?

Ex indigne, levant les yeux au ciel — Je le savais. Mais bon, au moins, le cabotinage est expédié. Et tu as apporté un cadeau.

Je peux voir ?

Mère indigne tend un petit sac de papier brun à Ex indigne. Un petit sac contenant un sandwich au baloney qui a l’air d’avoir veillé tard et en peu recommandable compagnie.

Ex indigne — Quoi ?? Mais c’est ce qu’on m’a servi ce midi !

C’était horrible ! C’est une blague ? Mais oui, évidemment, c’est une blague. Où est le saucisson ?

Mère indigne — Ben, c’est que… Tu vois, quand je vais en voyage, j’oublie toujours d’acheter une surprise aux enfants pendant mon séjour à l’étranger. Et c’est juste au retour, à l’aéroport, que je me rappelle qu’il fallait que je rapporte 196 - Chroniques d’une mère indigne 2

quelque chose… Alors, tu vois, c’est très freudien tout ça, mais comme tu m’as mis cette situation dans la tête, je pense que ça m’a poussée à oublier ton saucisson… même si, euh, même si ton saucisson est proprement inoubliable…

Ex indigne — Oui, oui, c’est ça. Bref, avant de monter à la chambre, tu as été piquer un sandwich aux cuisines.

Mère indigne — Pas piqué. J’ai demandé. Ils ont eu l’air tout surpris que quelqu’un en veuille.

Ex indigne croise les bras. On dirait qu’il boude, ma parole.

Mère indigne, scandalisée devant l’injustice (elle a vraiment fait tous les efforts) — Tu ne me fais pas sentir bien du tout, là ! C’est… c’est contre le code ! Et mes enfants, eux, ils sont toujours contents de leur cadeau nul.

Et Mère indigne de quitter la chambre, non sans entendre un bruit qui ressemble étrangement à un sac en papier qu’on lance rageusement dans une poubelle.

Alors, oui, c’est bien beau la réconciliation, mais cet Ex indigne, tout de même… Quel casse-pied.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 197

Inédit

Peau de vache

Mère indigne sirote un gin tonic sur une terrasse, sous l’œil envieux de Copine-jeune-maman qui doit se contenter d’un thé à la menthe, allaitement oblige.

Copine, regardant son bambin gazouiller dans la poussette — J’adore Georges-Étienne, mais j’exècre l’abstinence non volontaire.

Mère indigne — Hm. Je me suis toujours demandée si l’alcool passe vraiment dans notre lait quand on allaite.

Copine — Je suis sûre que ça a déjà été testé, voyons.

Mère indigne — Expérimentation sur sujets humains ?

Des bébés en plus ? Nan, nan, nan, personne ne voudrait se taper les formulaires. Non, c’est le genre de projet qu’il faut entreprendre nous-mêmes, dans un sous-sol sombre, à l’abri des caméras cachées. Et comme c’est terminé pour moi, il n’y a que toi qui puisses mener à bien cette mission.

Copine — Primo, pas question, et deuxio, comment est-ce que je pourrais savoir si mon test est concluant ou non ?

Mère indigne — Si Georges-Étienne se mettait à t’appeler Roger et te réclamait une grosse Mol’ tablette ?

Copine lève les yeux au ciel. « De toute manière, c’est pas compliqué, TOUT passe dans le lait. L’autre jour, j’ai mangé un cari rouge extra épicé. Deux heures après que j’eus donné le sein, la couche de Georges-Étienne avait des relents de parfums de l’Orient. »

Georges-Étienne, entendant le mot sein, s’agite tel le chien de Pavlov au son de la cloche. Il se met à saliver salement et tend les bras vers Copine, qui le prend en soupirant.

198 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne — Regarde-le comme il est mignon. Il a soif, il est tout rouge. C’est tout juste s’il ne dégrafe pas ton soutien-gorge lui-même.

Copine lève les yeux au ciel. « Honnêtement, j’en ai ras le pompon d’entendre les gens s’extasier devant l’allaitement. »

Mère indigne — Ben oui mais r’garde-le ! Il a les yeux tout exorbités ! Il met de la bave partout ! Il est tellement meeeeuuuuggnnnnooonnnn !

Copine — Mignon, mignon… Ça me faisait tellement mal d’allaiter les deux premières semaines, je te garantis que je ne le faisais pas pour le côté croquignolet de la chose.

Mère indigne — C’est vrai que moi aussi, les premiers temps, ça m’avait assez torturée. Ils disent que c’est parce que l’enfant ne prend pas bien le sein. Sous-entendu, que sa conne de mère lui présente mal le mamelon.

Copine — La conne de mère s’objecte. Si ça fait mal, c’est parce que l’enfant pompe le mamelon comme une balayeuse industrielle, et ce, dès sa sortie de l’utérus.

Copine prend une gorgée de thé comme si c’était du whisky, et poursuit : « En tout cas, on s’habitue à tout. La preuve, je suis sûre que j’endurerais une trayeuse à vache sans problème. Mais trouver ça charmant ? Non. Non. »

Mère indigne — Oui mais regarde, tout le monde autour trouve ça charmant !

Sur la terrasse, se croyant pris en flagrant délit de voyeu-risme, plusieurs messieurs émus par la scène détournent le regard en vitesse.

Copine — C’est sûr que c’est charmant. Sous prétexte qu’ils ont une belle sensibilité, les hommes de mon entourage peuvent enfin lorgner ouvertement mon décolleté.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 199

Mère indigne — C’est pas beau de prêter de mauvaises intentions aux z’hommes. Ils ont beaucoup évolué. Ce ne sont plus des brutes velues qui ne nous considèrent que comme des objets. (Mère indigne pousse un soupir dont le sens échappe à l’auteure.)

Copine, déposant Georges-Étienne endormi dans sa poussette sans qu’il se réveille, ô miracle (ou alors ce sont les vapeurs du gin tonic) — Moui, bon, enfin. En réalité, je ne déteste pas l’allaitement. Je trouve ça super, comme mécanisme. La nature m’épate.

Mère indigne — Mais…

Copine — Mais purement d’un point de vue fonctionnel.

Mère indigne — Mais, mais, mais… Les feuilles d’automne qui rougissent et qui tombent ? Tu ne trouves pas ça charmant ?

Les chutes d’eau majestueuses ? Ce n’est pas émouvant ?

Copine — Oui. Et ?

Mère indigne — Et c’est la nature ! C’est beau, c’est atten-drissant. Quelle différence avec l’allaitement ?

Copine — Les feuilles ne me réveillent pas la nuit pour rougir. Les feuilles n’exigent pas que je m’exhibe la poitrine avant de tomber. Les chutes d’eau majestueuses ne régurgitent pas chaque fois à côté de la bavette. Les chutes d’eau ne font pas exprès de faire déborder leur couche pendant que je-Mère indigne — Oui, bon, ça va. (Puis, se penchant vers Copine.) Mais regarde-moi ça… Oh, là, là. C’est quand même super mignon.

Copine — Hum. Georges-Étienne a arrêté de boire. C’est mon décolleté que tu es en train de lorgner ouvertement.

Mère indigne — J’ai toujours eu une belle sensibilité.

200 - Chroniques d’une mère indigne 2

Listes d’attentes

Telle Rate-des-Champs en visite chez sa copine glamour, Mère indigne sirote un Cosmo dans un bar du centre-ville avec son amie de toujours, Emmanuelle l’anti-vierge.

Mère indigne, pressée d’en arriver au fait — Et sinon, les amours, ça va ?

Emmanuelle — Ben, depuis que Pluton est parti…

Mère indigne — Ah, oui, Pluton ! Ton cinquième amant, si je ne m’abuse ? Celui qui a lâchement abandonné votre relation non officielle et chaotique parce que, le traître, il a trouvé ailleurs le véritable amour ?

Emmanuelle, manifestement toujours agacée — Hmffoui.

Lui. Enfin, bref, depuis qu’il est parti, j’essaie de gérer la diver-sité comme je peux.

Mère indigne — Attends, attends, je ne comprends pas. T’as moins d’amants. En quoi est-ce que c’est plus difficile à gérer ?

Emmanuelle — Eh bien, tu comprends, avec cinq amants, c’était parfait. Un par semaine, donc pas tout à fait une fois par mois chacun. Ça gardait une distance convenable, ça évitait un engagement trop lourd. Mais maintenant, avec quatre…

Mère indigne — … C’est chacun une fois par mois.

Emmanuelle — Voilà. Et « une fois par mois », ça fait moins occasionnel. Ça sonne plus… régulier, tu vois. Ça leur donne des idées romantiques, des ambitions.

Mère indigne — L’espoir horripilant d’une relation normale.Emmanuelle, hochant la tête — C’est dur.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 201

Mère indigne — Je vois… Euh, je dis ça comme ça, sans être experte en maths ni rien, mais… tu pourrais t’abstenir une semaine ? Comme ça, abracadabra ! Psychologiquement, ils en sont au même point qu’avant. Moins de stabilité, moins d’ambitions, moins de ce romantisme poisseux qui rendrait n’importe qui complètement dingue.

Emmanuelle — C’est très facile d’être sarcastique quand on ne vit pas soi-même ce genre de casse-tête. Et pour ta gouverne, oui, arrêter une semaine, j’y ai songé. Mais ça va être difficile. Mon work-out du jeudi soir…

Mère indigne — Quel drame. L’autre solution, ce serait le remplacement. Pas d’autres météores à l’horizon ?

Emmanuelle — Ben, c’est-à-dire que…

Mère indigne — Ah, ah…

Emmanuelle — Il y aurait bien un intéressé, mais le problème, c’est moi. Je ne suis pas certaine de l’être.

Mère indigne — Mon Dieu, qu’est-ce qu’il a ? C’est un cul-de-jatte à deux têtes qui a mauvaise haleine ? T’es pas si regardante d’habitude.

Emmanuelle, levant les yeux au ciel — Nooon. C’est un ami, il est marié…

Mère indigne — Et… ?

Emmanuelle — Et, et ! Je ne sais pas, moi, je vieillis ! Je commence à avoir des principes.

Mère indigne, avalant sa dernière gorgée de Cosmo — C’est drôle, moi, plus je vieillis et moins j’en ai.

Emmanuelle — En tout cas, pour le moment, ça ne m’inté-

resse pas vraiment. Mais je ne sais pas comment lui dire.

Mère indigne — T’es trop habituée à dire oui à tout. Une vraie mère Térésa de la séduction. Quand on a des enfants, ça aide au moins pour ça. On apprend à dire non rapidement.

202 - Chroniques d’une mère indigne 2

Emmanuelle — Et efficacement ?

Mère indigne — Euh… hum. Oui, bien sûr. Quoi qu’il en soit, si tu veux, j’ai une réplique taillée sur mesure pour cette situation.

Emmanuelle — Tu me fais peur.

Mère indigne — Non, non, écoute, elle est excellente. « Je suis désolée, Rodrigue, mais, comme il y a plusieurs intéressés, tu vas devoir t’inscrire sur ma liste d’attente. Et j’ai bien peur que ce soit comme dans les garderies : le temps que ton tour arrive, tu vas être trop vieux pour ce que je vais avoir à te proposer. »

Emmanuelle — …

Mère indigne — Pis ? C’est bon, hein ?

Emmanuelle — C’est sûr que faire une métaphore de garderie à un fringant soupirant, ça risque déjà de le refroidir.

Mère indigne — Voiiiilà. Y’a rien comme les conseils d’une maman pour nous guider dans la vie. Et parlant de ça, guide donc ta main vers ton portefeuille : tu me dois un drink.

Chapitre 5 - Les copines… et les copains - 203

Chapitre 6

Sœur indigne s’en mêle

Reste que l’entreprise d’Allard n’est pas sans danger. Son double statut de « mère » et d’« indigne » (ce second statut est partagé par son entourage), constamment mis de l’avant dans ses billets, forme l’essentiel de son personnage. Un peu comme Pierre-Léon Lalonde est le chauffeur de taxi de son blogue, Un taxi la nuit, Caroline Allard devient, de son propre chef et grâce à un travail soutenu de sa part, une mère indigne avant d’être Caroline Allard. De là à dire que la schizophrénie la guette, il n’y a qu’un pas.

Éric Vignola, L’indignité littéraire à travers les âges, tome IV : Le blogue de Mère indigne, p. 121.

Mais est-ce que quelqu’un va enfin pouvoir me dire qui c’est, cette Caroline Allard ?

Mère indigne

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 205

Esprit des fêtes, es-tu là ?

C’est dimanche, et Père indigne livre des paniers de Noël.

Mère indigne, terrorisée à l’idée de passer l’après-midi seule à la maison avec ses deux enfants, atterrit en catastrophe chez Sœur indigne.

Nièce chérie (4 ans) et Fille aînée (7 ans) traînent autour de leurs parents en jouant avec les Playmobils. Bébé (15 mois) et Nièce atomique (9 mois) traînent autour de leurs grandes sœurs en essayant de mettre la main sur leurs Playmobils. Les adultes, eux, boivent du café en regrettant que ce ne soit pas du fort.

Mère indigne — Je n’en reviens pas que tu aies perdu Fille aînée au théâtre hier.

Sœur indigne — Ben là ! Quand Fille aînée me dit qu’elle va m’attendre à l’extérieur des toilettes, je lui fais confiance !

Mère indigne — Fille aînée est distraite.

Beauf’ adoré — Moi, je ne l’aurais jamais laissée toute seule.Sœur indigne — Ben là ! On parle de Fille aînée !

Beauf’ adoré — Quand même, je n’aurais jamais fait ça.

Sœur indigne — Elle est super fiable !

Mère indigne — Mais distraite. (À Fille aînée.) Chérie ?

Comment ça se fait que tu t’es perdue au théâtre ?

Fille aînée — J’attendais tantine à la sortie des toilettes, puis là, j’ai pensé que je l’avais entendue sortir.

Mère indigne — Entendue sortir. Tu ne l’as pas vue sortir, mais tu l’as entendue sortir…

206 - Chroniques d’une mère indigne 2

Fille aînée — Oui.

Mère indigne — Et tu es partie à sa recherche.

Fille aînée — Oui.

Mère indigne, à Sœur indigne — Tu laisses pas ça tout seul.

Beauf’ adoré — Je n’aurais jamais fait ça. Sérieux.

Sœur indigne — Mangez donc tous de la…

Bébé — Wouiiiiinnnnn !!!

Mère indigne — Qu’est-ce qu’il y a, mon poussin ? Tu es tombée ? Viens faire un gros câlin à maman. Voiiiiilà, ça va mieux. Ah, merde. Je me suis encore fait morver dessus.

Fille aînée — Maman ! T’as dit un mauvais mot !

Mère indigne — Mais oui, chérie, ça arrive à tout le monde.

Euh, Sœur indigne, les petites boules bleues dans le sapin, elles sont incassables ?

Sœur indigne — Oui, oui, Bébé peut les décrocher. Faudrait juste pas qu’elle les donne à…

Mère indigne — NON ! Bébé, chérie, il ne faut pas donner les boules bleues à Petite Cousine !

Bébé donne une petite boule bleue à Petite Cousine, qui s’empresse de la mettre dans sa bouche. La communauté adulte la regarde avec fascination alors qu’elle joue avec la mort.

Quelques secondes plus tard, Sœur indigne intervient.

Sœur indigne – Donne à maman, chérie. Donne à maman.

Merde. Donne à maman !

Fille aînée — Maman, tantine a dit un mauvais mot !

Mère indigne — Mais oui, chérie, ça arrive à tout le monde.

Montre donc à tantine la belle médaille que tu as reçue au kin-ball.Sœur indigne me regarde d’un air mystifié. « Kin-ball ? »

Mère indigne, d’un ton enthousiaste — Oui, c’est un très chouette sport, Fille aînée y joue chaque lundi soir et elle adore Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 207

Licence enqc-62-5026113-sg73071120 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

ça ! (En aparté.) Un jeu débile où le ballon est plus gros que toi et où la moitié de l’équipe est composée d’hyperactifs que leurs parents veulent caser pour la soirée. Elle veut qu’on l’inscrive encore en janvier.

Beauf’ adoré — Vous avez dit non ?

Mère indigne — Ben non, on a dit oui.

Fille aînée — Tantine, regarde ma médaille !

Sœur indigne — Ooooooh. Tu l’as eue parce que ton équipe a gagné ?

Fille aînée — Non, tout le monde en a eu une.

Mère indigne — Pour qu’une équipe gagne, il aurait fallu que quelqu’un comprenne les règles du jeu.

Fille aînée — Moi, j’aime ça le kin-ball. Mais maman avait oublié qu’elle m’avait inscrit alors j’ai manqué le premier cours.

Et là, quand j’ai eu la médaille de participation, maman a pensé que c’était le dernier cours. Hein, maman, ça devait être le dernier cours ?

Mère indigne — C’est sûr que oui, mon amour.

Fille aînée — Parce que Francis il a dit qu’hier soir c’était le tournoi.

Mère indigne — Merde.

Fille aînée — Maman, tu as encore dit un mauvais mot !

Mère indigne — Écoute, Francis se trompe. Le kin-ball est fini depuis deux semaines, OK ?

Fil e aînée — Je sais, maman, vu que tu me l’as dit l’autre jour.

Fille aînée fait encore follement confiance à sa mère. C’en est presque pathétique. Sœur indigne vient à sa rescousse en changeant de sujet :

Sœur indigne — As-tu fait ta liste de Noël ?

Fille aînée — Oui, maman m’a montré le catalogue du père Noël et j’ai choisi dedans.

208 - Chroniques d’une mère indigne 2

Beauf’ adoré à Mère indigne — Pas le catalogue de Sears, quand même ?

Mère indigne — Non, le catalogue en ligne d’Indigo/

Chapters. Je lui ai dit que c’était ça qu’il y avait dans l’entrepôt du père Noël cette année, et j’ai tout commandé par Internet.

Sœur indigne — Pas de magasinage ?

Mère indigne — No. Way.

Fille aînée — Mais maman, il n’y avait pas le Winnie l’Ourson déguisé en étoile de mer dans l’entrepôt du père Noël, et j’en voudrais vraiment un !

Mère indigne — Ah, tiens, justement, je voulais te dire. Les Winnie l’Ourson déguisés en étoile de mer, c’est chez tantine que le père Noël vient les livrer…

Sœur indigne — Bitch.

Mère indigne — … Alors ton Winnie, c’est tantine qui va te l’offrir pour Noël.

Sœur indigne, écœurée, murmure à Mère indigne — Savais-tu que ces Winnie-là, ils sont dans des machines à sous ? J’espère que ça ne me coûtera pas cinquante piastres pour tomber sur le Winnie-étoile.

Mère indigne — Bonne chance.

Sœur indigne — Bitch.

Fille aînée — Maman, est-ce que « bitch », c’est un mauvais mot ?Mère indigne, en soupirant — Non, non, chérie, oublie ça.

Fille aînée — C’est parce que ça sonnait comme un mauvais mot.

Beauf’ adoré — Oh putain !

Beauf’ adoré vient de remarquer que Bébé a enlevé toutes les petites boules bleues à sa portée dans le sapin et qu’elle et Petite Cousine les sucent allégrement. La communauté adulte Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 209

les regarde avec fascination tandis qu’elles jouent avec la mort, puis, quelques secondes plus tard, nous nous ruons vers elles pour leur arracher leurs nouveaux jouets préférés.

Bébé — Wouiiiiinnnnn !

Petite nièce — Wouiiiiinnnnn !

Heureusement que le vert est de saison, car c’est le festival de la morve.

Mère indigne — Merde !

Sœur indigne — Merde !

Fille aînée — Maman, TANTINE ET TOI VOUS AVEZ

DIT UN MAUVAIS MOT !!!

Sœur indigne — Coudonc, est-ce qu’elle va se calmer avec les mauvais mots, l’ayatollah ?

Mère indigne — Les filles, ça vous tente d’aller faire un tour dehors ?

Fille aînée et Nièce chérie — Ouiiii !

Mère indigne et Sœur indigne se retiennent pour ne pas se faire un high five.

Fille aînée — Maman, il fait assez chaud, je ne suis pas obligée de mettre ma salope, hein ?

Sœur indigne — FILLE AÎNÉE A DIT UN MAUVAIS

MOT !!!

Mère indigne — Chérie, tu n’es pas obligée de mettre ta salopette. Et « salope », c’est un mauvais mot.

Sœur indigne — Ta salope, mets-la pas, pis fais-la pas.

Mère indigne — T’es conne.

Fille aînée — Qu’est-ce qu’elle a dit, tantine ?

Mère indigne — Rien. Elle se parle toute seule.

Sœur indigne — Hin, hin.

210 - Chroniques d’une mère indigne 2

À oublier au plus vite

Sœur indigne — J’ai l’œil gauche qui saute depuis trois jours.

Moi — Fatigue ?

Sœur indigne — Méchantes nuits. Surtout la dernière. Et disons que je ne pouvais pas vraiment compter sur la Belle au bois dormant.

La Belle au bois dormant, alias Beauf’ adoré, qui avait oublié la veille que quatre consommations alcoolisées plus deux Sudafed, ça fait faire dodo longtemps, et ça fait faire dodo n’importe où.

Beauf’ adoré — Non mais, sérieux, je fais une grosse sinusite (Sœur indigne lève les yeux au ciel.), pis hier j’ai été au forum avec ton frère. J’avais pas pensé aux Sudafed, j’ai pris trois ou quatre bières, pis je me suis endormi en pleine game.

Toronto-Montréal, peux-tu t’imaginer ? Le monde autour était comme « AAAHHHHAAAAHHHOUHHH !!!! », moi, je dormais. (Sœur indigne re-lève les yeux au ciel.) Je me suis réveillé pour les prolongations, ensuite, je me suis rendormi chez ton frère. Je me souviens vaguement m’être mis au lit chez nous, pis après ça a été le noir total. (Beauf’ adoré secoue la tête d’un air émerveillé.) To-tal.

Sœur indigne — Le noir total, avec la petite qui hurle pendant quarante minutes aux trois heures.

Beauf’ adoré — Rien entendu. En tout cas, je me sens vraiment tout croche aujourd’hui.

Moi — C’est gentil d’être quand même venu faire un tour.

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 211

Sœur indigne — Oh, il n’a pas trop eu le choix. J’avais fait exprès de dire à ma fille qu’on allait jouer avec la tienne. Après ça, plus de retour en arrière possible.

Sœur indigne est diabolique. Je prends des notes.

Beauf’ adoré — En tout cas, essaye pas de me faire boire du vin ou quoi que ce soit aujourd’hui. Pas question. No way.

Moi, l’air innocent — Correct. Je vais partager le reste du Gewurtz d’hier soir avec Sœur indigne.

Beauf’ adoré — Du Gewurtz ?

Moi — Ouaipe.

Beauf’ adoré — Bon. Un demi-verre, ça ne me tuera pas.

Sœur indigne — Quoi ? Tu vas boire après hier ?

Nièce chérie sauve la situation en pointant du doigt sa sœur d’un an, qui, en faisant semblant de rien, dérive dangereusement vers l’escalier.

Nièce chérie — Maman, faudrait mettre la barrière pour ma petite sœur.

Sœur indigne — Ah. Ouais. (Sœur indigne met la barrière et se frotte le visage.) Ostie d’œil.

Fille aînée, de ma chambre où elle s’occupe à on ne sait quoi — Maman, « ostie », est-ce que c’est un mauvais mot ?

Moi, appliquant le principe selon lequel la meilleure défense, c’est l’attaque — Chérie, qu’est-ce que tu fais dans la chambre de papa et maman, là ?

Fille aînée — Rien !

Beauf’ adoré, dans le but de faire oublier son demi-verre de vin à Sœur indigne, nous tourne le dos au comptoir et, tant qu’à faire, commence à préparer le lunch.

Sœur indigne — Faut mettre l’ail, les tomates et ensuite les crevettes.

212 - Chroniques d’une mère indigne 2

Moi, porte-panier réjouie — Y’a mis les crevettes avant les tomates, y’a mis les crevettes avant les tomates !

Sœur indigne — T’AS PAS MIS LES CREVETTES AVANT

LES TOMATES ?

Sœur indigne et moi sommes la terreur des hommes.

Beauf’ pourrait vous en parler longtemps.

Mais Beauf’ adoré est aussi un mâle alpha qui résiste vaillamment à l’émasculation. « Tu m’as dit qu’on mettait un peu n’importe quoi dans la sauce ! »

Sœur indigne, aussi une femelle alpha devant l’éternel —

N’importe quoi, mais pas n’importe comment !

J’ai quand même un peu pitié.

Moi — Tiens, sœur, un verre de vin. Ferme les yeux, bois, et si le lunch est dégueulasse, on ne lui permettra jamais de l’oublier.

Nièce chérie vient, une fois de plus, au secours de son papa. « Maman, faudrait enlever les billes dans la bouche de ma petite sœur. »

Bébé nièce — Gurgl.

Sœur indigne — Ah. Ouais. (Elle extirpe expertement quatre ou cinq billes de la bouche de Bébé nièce.) Sérieusement, faut que je dorme, là. Mon cerveau arrête de processer.

Moi — Heille, ça me fait penser. Moi, je dors, mais je fais des rêves malades.

Sœur indigne — Genre, tu rêves que tu peux te reposer ?

Moi — Non. Je sais pas comment te dire ça, c’est dégueulasse, mais j’ai rêvé que je frenchais George Bush.

Sœur indigne — HEIN ??? T’es ben folle !

Beauf’ adoré profite de la confusion pour s’approprier le reste de la bouteille.

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 213

Moi — Je pense que c’est mes histoires de livres. Tsé, c’est comme si j’avais peur de devenir populaire, qu’être populaire c’est comme, genre, mauvais.

Sœur indigne — Ben, là ! La popularité ! T’aurais pu rêver que t’embrassais Brad Pitt ! George Bush, mon Dieu.

Moi — Je sais, c’est dégueu.

Fille aînée, toujours enfermée dans ma chambre — Maman,

« George Bush », est-ce que c’est un mauvais mot ?

Moi — Coudonc, toi, veux-tu bien me dire ce que tu fais dans la chambre de papa et moi ?

Fille aînée — Rien !

Moi — Viens jouer avec ta cousine, elle est venue pour te voir !Fille aînée — J’peux pas !

Je décide d’aller voir si ma progéniture n’aurait pas eu la mauvaise idée de fouiller dans notre tiroir aux trésors.

J’ouvre la porte sur une vision de Fille aînée qui saute sur notre lit, flambette. Pour les lecteurs venus d’ailleurs, « flambette », ça signifie completely deshabilled.

Moi — Ben voyons, chérie ! Qu’est-ce que tu fais ?

Fille aînée — Je me pratique à danser nue.

Moi — Gurgl.

Je referme la porte, doucement. Je prends possession du verre de Beauf’ qui m’apparaît, ma foi, pas mal plus qu’à moitié plein. Je le cale. À Beauf’ : « Aurais-tu une couple de Sudafed ? »

Beauf’ adoré — Qu’est-ce que t’as ?

Moi — Je… J’ai les deux yeux qui sautent sans arrêt. Je pense que c’est une fillusite. Aiguë.

Beauf’ n’avait pas ses Sudafed. Ou peut-être qu’il ne voulait pas partager.

214 - Chroniques d’une mère indigne 2

Moi — Heille, champion, je suis sûre que ton dîner va être excellent, mais si tu permets je passe mon tour.

Parce que moi, si je ne voulais pas craquer, fallait que je me fasse de la soupe.

Et où était Père indigne pendant ce temps-là ? Il montait une piste de chemin de fer dans le sous-sol, soi-disant pour que les filles puissent s’amuser avec.

Moi — J’ai trouvé ça un peu raide de ta part de jouer en bas avec des locomotives alors que, moi, je dois gérer un stress épouvantable avec une future reine du pole dancing.

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 215

Et Père indigne de répliquer : « Moi, au moins, j’ai pas frenché George Bush. »

J’ai alors eu l’impression d’être télétransportée au beau milieu d’un immense désert, dont une nuit noire aurait pris possession à tout jamais. C’était glacial, inhospitalier. Un cha-meau qui passait par là m’a regardé avec plein de mépris dans ses yeux globuleux, et il m’a dit : « T’aurais vraiment dû te taire au sujet de ton cauchemar, parce que là, Père indigne, t’en as pour des années à ne rien pouvoir lui reprocher. »

216 - Chroniques d’une mère indigne 2

Moi maman, toilettes

(c’est supposé être un jeu de mots,

mais pas nécessairement génial)

(Certaines parties de cette histoire sont vraies. Je vous laisse choisir lesquelles.)

Mère indigne — Vraiment, je suis désolée de m’être emportée tout à l’heure.

Sœur indigne — Même Nièce indigne t’a entendue crier par le combiné.

Mère indigne — Écoute, j’haïs vraiment ça être dérangée quand je suis aux toilettes. Je veux dire, avec les enfants, on s’y attend, mais là, Père indigne qui frappe à la porte pour me dire que ma sœur veut me parler au téléphone ? C’était comme trop.

Sœur indigne — Je comprends.

Mère indigne — Pourquoi on ne peut pas avoir la paix aux toilettes ? Pourquoi ? Même les animaux dans la jungle ont le réflexe de s’isoler. Et on les laisse faire. Pourquoi les mères ne peuvent-elles pas être tranquilles ?

Sœur indigne — Mm.

Mère indigne — C’est pareil chez vous, je peux pas croire.

Sœur indigne — Mm.

Mère indigne — Écoute ça. L’autre jour, je suis aux toilettes.

Concentrée. Et là Fille aînée frappe à la porte.

Sœur indigne — Classique.

Mère indigne — Bon, c’est déjà beau qu’elle ait frappé au lieu d’entrer et de s’asseoir sur le bord du bain en me fixant jusqu’à ce que j’aie terminé…

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 217

Sœur indigne — Qu’est-ce qu’elle voulait ?

Mère indigne — J’en ai tellement marre, si tu savais. Je lui ai demandé si ce qu’elle avait à me dire était vraiment important.

Sœur indigne — Et ?

Mère indigne — Voyons. Bien sûr que c’était d’une importance ca-pi-ta-le. Ça ne pouvait pas attendre.

Sœur indigne — Elle n’avait pas déjà ses règles à huit ans ?

Mère indigne — Non. El e venait d’écouter les nouvel es du sport. El e voulait savoir ce que « neige synchronisée » voulait dire. Évidemment, le temps que je lui explique, ça m’a perturbée.

Sœur indigne — Le blocage.

Mère indigne — Total. Je n’ai pas pu procéder pendant trois jours.

Sœur indigne — Et Bébé ? Elle te fout la paix ?

Mère indigne — C’est pire ! Pourtant, j’essaie vraiment d’être décontract. Je m’installe sur la cuvette pendant qu’elle est dans son bain, en me disant qu’au moins, comme elle est déjà dans la salle de bain, je sais à quoi m’attendre.

Sœur indigne — Mais non.

Mère indigne — Non. Non seulement elle me regarde fixement elle aussi, mais elle sort du bain et essaie de m’écarter les jambes pour vérifier où j’en suis. Et si j’ai le malheur de faire un numéro 2, il faut que je lui donne un nom.

Sœur indigne — Fuck.

Mère indigne — Fais-moi plaisir, n’appelle jamais ton chat

« Ti-Brun ».

Sœur indigne — En tout cas, moi, j’ai réglé le problème. Je verrouille la porte.

Mère indigne — Comment tu fais ? Suffit qu’ils entendent le « clic » pour que toute la maisonnée soit soudainement prise d’une envie irrépressible.

218 - Chroniques d’une mère indigne 2

Sœur indigne — Non. Plus chez nous. Pour les toilettes, j’ai adopté l’approche « tough on crime ». T’as envie quand j’occupe la place, tu vas ailleurs. On a trois salles de bain, c’est pas comme si je leur demandais d’aller faire ça dans la cour.

Mère indigne — Et ça marche ?

Sœur indigne — Ils se débrouillent. Et j’ai la paix. En fait, je dois dire que, maintenant, c’est aux toilettes que je mène la plupart de ma business.

Mère indigne — Euh… C’est-à-dire… ?

Sœur indigne — J’apporte le téléphone et mon ordi avec moi, je verrouille la porte et je prends un grand respir. Je peux rester là deux heures.

Mère indigne — Tu me niaises ? Et Beauf’ adoré ? Il est d’accord ?

Sœur indigne — Tony fait pareil. D’ailleurs, je suis aux toilettes en ce moment même.

Mère indigne — J’hallucine. Tu me parles au téléphone assise sur la bol.

Sœur indigne — Si je ne te l’avais pas dit, tu ne l’aurais jamais su. Faut juste que je fasse attention de ne pas flusher quand je suis au téléphone avec un client. Remarque, Tony le fait régulièrement et ses affaires ne se sont jamais mieux portées. Je pense que notre société est vraiment sur la pente descendante.

Mère indigne — Seigneur. Et les filles ?

Sœur indigne — Tony et moi, on prend nos tours de toilettes. Pour le moment, Tony s’en occupe. Il me reste encore un bon 15 minutes avant de lui céder la place.

Mère indigne — Tu, euh, ne manques jamais de papier de toilettes ?

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 219

Sœur indigne — C’est drôle que tu en parles. C’est arrivé la semaine dernière en pleine gastro, alors on a fait le plein chez Cosco. Rouleaux doubles. Les armoires des trois salles de bain sont remplies à pleine capacité.

Mère indigne — Et t’as ton ordi avec toi, là, là ?

Sœur indigne — Mon laptop. C’est vraiment génial. Dans un petit endroit clos comme ça, j’ai l’impression de me retrouver dans l’utérus de maman, mais avec tout le côté pratique de la techno. D’ailleurs, tiens ! Je viens de te poker sur Facebook.

Mère indigne — Tu viens de me… J’ai mon voyage. C’est ce qui s’appelle avoir le wireless collé aux fesses.

Sœur indigne — Ah, shit.

Mère indigne — Non, s’il te plaît. Too much information.

Sœur indigne — Non, non, c’est pas ça.

Mère indigne — Quoi ?

Sœur indigne — Tony vient aussi de me poker sur Facebook. Il doit être dans la salle de bain à l’étage. Le maudit. Je pensais qu’il s’occupait des filles. Attends, je vais le skyper.

Boop ! Boop ! Boop !

(Bon, résumons, voulez-vous ? On s’amuse tellement qu’on pourrait s’y perdre : Mère indigne, au moyen de son téléphone cellulaire, s’apprête à épier une conversation Skype entre sa sœur et Beauf’ adoré.)

Sœur indigne — Chéri ?

Beauf’ adoré — Ouais ?

Sœur indigne — Comment ça tu me pokes ?

Beauf’ adoré — Ben, quoi. J’aime pas ça perdre l’avantage du poke.

Sœur indigne — Je veux bien, mais les filles ? Tu t’en occupes ?

Beauf’ adoré — Pas vraiment. Je suis aux toilettes en haut.

220 - Chroniques d’une mère indigne 2

Sœur indigne — Je vois bien !

Beauf’ adoré — Il est 4 h. Ton tour de toilettes est fini.

Sœur indigne — Tu pourrais me prévenir ! Où sont les filles ?Beauf’ adoré — Euh… Écoute, faut que je te laisse. J’ai vraiment envie.

Sœur indigne — Mais où sont les fiiiilles ??

Il s’avéra que les deux nièces de Mère indigne, suivant l’exemple de leurs parents, avaient investi la troisième salle de bain, celle du sous-sol. Par contre, boudant résolument la techno, elles s’étaient consacrées à une tâche manuelle et beaucoup plus terre à terre consistant à bourrer systématiquement la cuvette avec des rouleaux doubles de chez Cosco.

Moi, ensuite, j’ai fait une recherche sur Google, et c’est écrit noir sur blanc : on est toujours puni par où on a poké.

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 221

Redécouvertes*

Moi, je vais vous dire franchement, en tant que parent, je trouve qu’on exagère un peu le côté émouvant du regard d’un enfant.

Vous savez, quand on entend dire que c’est tellement chouette d’avoir des enfants, parce qu’on redécouvre le monde à travers leurs yeux ? Qu’on retrouve la magie des choses qu’on a fini par trouver ordinaires avec les années qui s’accumulent ?

Personnellement, j’ai l’impression qu’on a parfois de bonnes raisons de trouver certaines choses ordinaires : c’est parce qu’elles le sont.

Voir le monde avec des yeux d’enfants, c’est voir une limace dans le jardin et avoir envie de la manger. C’est aussi s’extasier sur quelque chose d’aussi improbable que, disons, du sable.

« Maman, maman ! Viens toucher comme c’est doux et chaud, du sable ! » La première fois, vous souriez de l’enthousiasme de votre enfant devant une matière qui, elle le saura bien assez vite, est peut-être chaude et douce entre les doigts mais se transforme en saloperie rugueuse lorsqu’elle s’infiltre dans vos chaussures, vos cheveux, ou même pire. Néanmoins, en bon parent, vous vous exclamez, enthousiaste : « Maman change la couche de ton petit frère et elle arrive tout de suite. » Mais l’autre matière douce et chaude qui a envahi la couche de Bébé vous fait cependant oublier tout le reste.

* Chronique radiophonique diffusée le 3 mai 2008 à l’émission Nulle part ailleurs, Radio-Canada, Sudbury.

222 - Chroniques d’une mère indigne 2

Licence enqc-62-5026113-sg73071120 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

« Maman ! T’es pas encore venue toucher mon sable ! », vous répète-t-on une demi-heure plus tard, d’un ton légèrement agacé. C’est que, bon sang, le sable, vous l’avez touché et retouché de nombreuses fois au cours de votre vie, et pour être franche, en tant qu’adulte, vous avez depuis longtemps découvert qu’il existe d’autres choses douces et chaudes que vous toucheriez plus volontiers que du banal sable de chez Canadian Tire.

« J’arrive dans cinq minutes ! », hurlez-vous, en vous em-pressant immédiatement d’oublier ce que vous venez tout juste de promettre.

Deux heures plus tard, on tire sur votre jupe : « Maman. Le sable. » Excédée, vous déléguez alors Bébé pour aller y toucher à votre place, au maudit sable. Ce qu’elle s’empresse de faire. Et non seulement elle le touche, mais elle le prend à pleines mains et elle le jette dans les yeux de sa grande sœur qui expérimente alors la douceur et la chaleur des grains de sables coincés sous la paupière. Elles pleurent et vous priez pour que votre conjoint arrive au plus vite pour lancer vos deux petits monstres dans ses deux bras doux et chauds, et qui sont bien mieux d’être accueillants.

Parfois aussi, être soi-même vu à travers des yeux d’enfants, c’est pas nécessairement positif. Quand votre rejeton, dans l’autobus, vous demande de sa voix haute et claire :

« Maman, pourquoi le monsieur assis à côté de nous a les dents oranges ? », vous aimeriez bien qu’il ferme ses yeux d’enfants une fois de temps en temps. Et sa bouche aussi, par la même occasion.

Et même quand ça a l’air positif d’être vu par des yeux d’enfants, on peut se poser de sérieuses questions. Vous savez par exemple que la petite voisine cultive un fétichisme avancé Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 223

pour les robes de princesses et que ses yeux s’écarquillent à la moindre poupée Barbie peinturlurée comme un travesti qui se serait fait capturer par le Cirque du Soleil. Or, quand cette même petite voisine pose sur vous ses yeux d’enfants, les écarquille et s’exclame « T’es tellement bellllle Madame » alors que vous vous apprêtez à partir pour une importante réunion d’affaires, vous avez tendance à vous poser des questions sur la couleur peut-être un peu trop vive de votre nouveau rouge à lèvres ou sur la bienséance de vos talons hauts. Vous résistez à l’envie de fondre en larmes, mais vous rentrez quand même à la maison vous changer encore quatre fois avant de partir.

Et puis la redécouverte, comme son nom l’indique, c’est pas la vraie nouveauté. Ça enlève quand même le « oumph » d’une histoire de savoir à l’avance comment elle va finir. Pourtant, les enfants, ils peuvent écouter Aladin cinq fois de suite sans aucun problème, et ce, tous les jours pendant trois ans. Avouons que c’est tout de même préoccupant. Et parlant d’histoires qu’on répète à n’en plus finir, c’est quand on est parents qu’on se rend compte que l’humanité roule sur un capital de blagues assez restreint. Voulez-vous bien me dire comment ça se fait qu’au e siècle, on est encore pognés avec Pète pis Répète ?

Pis la madame qui avait deux fils, Sam et Pique ? Aujourd’hui, vous vous plaisez à imaginer Pète et Répète assis dans leur chaloupe, tout vieux et ridés, en train de tourner une publicité de couches pour adultes : « Tu sais comme moi, Répète, que passer sa vie sur un bateau, ça exige des solutions alternatives pour se soulager. » Et Sam et Pique, on peut espérer qu’ils ont enterré leur fatigante de mère depuis longtemps. Et on peut même imaginer qu’ils sont eux-mêmes parents de deux enfants, deux filles, qu’ils ont appelées Calamine et Vagisil, question de remettre un peu d’équilibre dans l’univers.

224 - Chroniques d’une mère indigne 2

Sur ce, permettez-moi de me changer les idées d’Aladin et de retourner tranquillement à la lecture de mon roman policier. C’est vrai, les intrigues sont aussi toujours les mêmes, mais au moins c’est pas comme les vieilles blagues : les noms des personnages changent. Et tiens, je vais peut-être même accompagner ma lecture d’un petit gin tonic. Le gin tonic…

Voilà bien quelque chose que je ne me lasserai jamais de redé-

couvrir…

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 225

Faites ce que je dis, pas ce que je fée Sœur indigne — Je t’annonce officiellement que Fille aînée est une pré-adolescente.

Mère indigne — Quoi ? Je te la fais garder deux jours et tu me la pervertis moralement ?

Sœur indigne — En fait, c’est elle qui m’a posé la question.

« Tante indigne, à quel âge est-ce qu’on devient une pré-

adolescente ? »

Mère indigne — Et tu lui as répondu… ?

Sœur indigne — « Ton âge. »

Mère indigne — Génial. Merci.

Sœur indigne — C’est tout naturel.

Mère indigne — Non, sérieusement, je suis bien prête à croire que Bébé est dans sa pré-adolesc-Bébé — NOOOOON !! ! Moi lé PAS dans la p’éadolesse, BON ! Moi z’a le DROIT ! Moi z’a BESOIIIIN !

Mère indigne — Enfin, tu vois ce que je veux dire. Mais Fille aînée ?

Sœur indigne — T’aurais dû voir ça. C’était super mignon.

Quand je lui ai annoncé la bonne nouvelle, elle s’est plantée devant le miroir et a déclaré d’un air extrêmement satisfait :

« Aujourd’hui, je suis devenue une pré-adolescente. »

Mère indigne — Le pouvoir des mots. Qu’est-ce qu’elle a fait ensuite ? Elle est allée se faire tatouer le nom de son moni-teur de camp de jour sur la fesse gauche ?

Sœur indigne — En fait, elle a continué à jouer aux petits bonhommes de princesse avec sa cousine.

226 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne — Voyez-vous ça. En plus, ça se déclare pré-

ado, mais ça croit encore au père Noël.

Sœur indigne — Et à la fée des dents, non ?

Mère indigne — Sans parler du lapin de Pâques. Je t’ai déjà parlé de ma grande crainte ? J’ai peur que le moment où elle va frencher un gars pour la première fois chevauche sa période

« je crois encore au père Noël ». Et pas nécessairement parce qu’elle va être précoce sur les frenchs.

Sœur indigne — Moi, ta fille, je pense qu’un gars qui va vouloir la frencher, ça va être super facile.

Mère indigne — Arrête ! Comment ça ??

Sœur indigne — Il va seulement avoir à lui demander

« Savais-tu que le génie de la langue apparaît si on les frotte ensemble ? »

Mère indigne — …

Sœur indigne — (Cligne, cligne.)

Mère indigne — En tout cas, j’en connais une que la fée Tais-Toi-Bordel s’est pas penchée sur son berceau quand elle était bébé.

Sœur indigne — Gnac, gnac.

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 227

Ville (Lumières)

Père indigne et moi, nous sommes présentement en voyage mi-affaires mi-plaisir dans une petite ville reculée mais qui possède néanmoins un certain charme rustique. Attendez, je vérifie le nom ; ah, voilà. Paris. Vous connaissez peut-être ?

C’est dans la lointaine banlieue de Laval.

Pour ce faire, nous avons dû nous résoudre à confier nos deux filles aux soins de Sœur indigne et de Beauf’ adoré. Vous vous imaginez ? Pour quelques jours, Sœur indigne et Beauf’

adoré auront quatre enfants ! Quatre ! Père indigne et moi, on imagine la situation, et on en a des crampes d’angoisse. Mais non, voyons, qu’est-ce que je dis là, moi. Pas d’angoisse, de rires.(En passant, j’ai été frappée par le calme qui règne dans les aéroports de nos jours. On se balade, on mange, on prend un pot au bar, sans aucun stress ! Ah oui, c’est vrai, je n’avais pas les enfants.)

Enfin bref, j’ai reçu tout à l’heure ce courriel de Sœur indigne que j’ai cru bon de partager avec vous.

À : Mère indigne

De : Sœur indigne

Sujet : Voir la lumière

Chers vacanciers,

Nous sommes sortis après souper avec les Fantastic 4 voir les lumières de Noël sur la rue du Coteau.

228 - Chroniques d’une mère indigne 2

Question : « Les filles, quelle est votre couleur de lumière préférée ? »

Réponses :

Nièce adorée — Bleu.

Petite Nièce atomique — Vert.

Fille aînée — Rouge.

Bébé (avec beaucoup d’enthousiasme) — BRUN !

Cela dit, on s’amuse follement. Les filles sont d’humeur festive.

Signé : Sœur indigne prête pour un apéro Quand Sœur indigne dit que les filles sont d’humeur festive, j’imagine, non, je sais que ça doit y aller très fort sur les bricolages des fêtes dans sa chaumière. Mais Sœur indigne, elle aime ça, le bricolage. Elle a même, chez elle, autre chose pour en faire que du papier construction et un gros sac de boules d’ouate. J’avais acheté ces boules la fois où Fille aînée a fait une otite, il y a cinq ans. Un sac énorme, tellement je croyais qu’elle allait y rester si je ne lui bourrais pas les oreilles avec. J’en ai finalement utilisé trois ou quatre, au plus, mais côté bricolage ce fut un bon investissement. Pour faire la barbe et les roustons du père Noël, c’est d’un chic !

Bref.

Des lumières brunes.

Je vois déjà Bébé plus tard. « Je pense que je vois la lumière au bout du tunnel. C’est beau, c’est tout brun, ça me rappel e Noël. »

Dans le jargon technique, je crois qu’on appelle ça une phrase anale.

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 229

Inédit

Bébé ne répond plus

À : Mère indigne

De : Sœur indigne

Sujet : Pâtes problèmes

Chers vacanciers,

Bébé m’a fait une de ces peurs ! Ça s’est passé ce soir, lors du repas. Tout ce que je voulais, c’est savoir si elle reprendrait des pâtes.

Sœur indigne — Bébé, tu veux encore des pâtes ?

Bébé – (Silence.)

Sœur indigne — Bébé ? Ça va, les pâtes ? J’en remets dans ton assiette ?

Bébé — (Silence.)

Sœur indigne — Bébé ! Youhou ! Toi vouloir encore délicieuses pâtes de tantine pour mettre dans joli petit bedon affamé ?

Bébé — (Regarde ailleurs. Ne souffle toujours mot.) Je te jure, toute la tablée croulait sous le suspense, sauf Fille aînée qui avait l’air d’en avoir vu d’autres. Moi, je t’avoue, j’ai cru que ta plus jeune avait déjà besoin de prothèses auditives.

Je me voyais à ton retour, t’annonçant la nouvelle, blâmant ta détestable habitude de lui faire écouter du Plastic Bertrand à la moindre provocation. En désespoir de cause, j’ai choisi l’approche directe.

Sœur indigne — Hum. Euh, Bébé ? Tu vas me répondre un jour, oui ou non ?

Bébé — Non.

230 - Chroniques d’une mère indigne 2

Bref, ta fille n’a absolument pas besoin de prothèses auditives. Mais les adultes autour d’elle ont, eux, ressenti un besoin urgent de digestif.

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Pour en finir avec le bricolage*

Moi, je dois vous dire franchement, en tant que parent, je ne crois plus tellement à l’art.

C’est pas que je ne trouve pas de mérite aux toiles de Picasso ou de Monet. C’est juste que je ne peux pas voir une de leurs toiles sans penser à ce qu’ils ont dû faire endurer à leurs parents quand ils étaient petits, côté bricolage.

Parce que moi, je déteste le bricolage.

En fait, non, je ne déteste pas le bricolage. Ce que je ne peux pas supporter, c’est qu’on fasse faire du bricolage aux enfants pour les mauvaises raisons. Est-ce que quelqu’un parmi vous croit réellement que jouer avec de la colle, du papier journal chiffonné et des boules de ouate aide à développer chez les enfants leur sens artistique ? Mettons quelque chose au clair : des rouleaux de papier de toilette et des boîtes d’œufs vides, ce n’est pas artistique.

C’est laid.

Si votre enfant vous demande s’il peut faire du bricolage avec le contenu du bac à recyclage, dites NON ! Parce que non seulement rien ne ressemble plus à un rouleau de papier de toilette vide qu’un bricolage fait en rouleau de papier de toilette vide, mais en plus, comme les fameux rouleaux de papier de toilette auront, dans la tête de votre artiste en herbe, accédé au statut d’ART, ce sera ensuite impossible pour vous de remettre le bricolage à l’endroit qui lui convient, c’est-à-dire dans le bac

* Chronique radiophonique diffusée le 1er mars 2008 à l’émission Nulle part ailleurs, Radio-Canada, Sudbury.

232 - Chroniques d’une mère indigne 2

à recyclage. Vous devrez laisser traîner, pardon, trôner ces œuvres dans les rayons de votre bibliothèque et vos amis riront de votre bordel dans votre dos pendant des années.

Mais, me répliqueront certains idéalistes qui ne se sont pas encore reproduits, peut-être que le bricolage sert à développer la dextérité des tout-petits ? Peut-être que découper du carton ou jouer avec de la pâte à modeler prépare en fait nos enfants à gagner leur vie en faisant de vrais métiers, comme chirurgien ou réparateur de nids-de-poule ?

Je vais vous dire une chose, messieurs-dames qui n’y connaissez rien aux enfants, au bricolage et à leurs périls combinés : ce genre d’activité développe certes l’habileté manuelle, mais pas celle des enfants, non. Celle des parents. Et quand on est un parent qui se démène pour terminer le souper, se faire demander : « Maman, qu’est-ce que ça veut dire “Colle les cer-cles l’un au-dessus de l’autre en faisant coïncider les pliures” ? », ça… comment dire… ça nous fait vraiment rêver à un monde sans papier de construction.

Mettons les choses au clair : quand vous voulez faire un cadeau à votre nièce de 7 ans et que c’est écrit sur la boîte :

« Magnifique chat 3D à assembler, 153 morceaux, 8 ans et plus, assistance parentale peut être requise », vous n’achetez pas.

Vous. N’achetez. Pas. Bien sûr, votre nièce deviendrait votre amie pour la vie. Mais vous brûleriez aussi tous les ponts entre vous et ses parents, c’est-à-dire les personnes qui comptent vraiment. Car ce sont nous, et pas les enfants, qui avons le pouvoir de vous inviter à souper ou de vous prêter de l’argent.

La grande différence entre nous et les enfants, c’est que les enfants, ils veulent avoir leur chat 3D mais ils ne sont pas capables de le faire. Nous, les parents, on est capables de faire coïncider les pliures, mais on n’en a rien à cirer du chat 3D. On Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 233

a d’ailleurs remarqué son air vaguement hébété d’animal dont les parties intimes ont été éparpillées dans une boîte et portent maintenant les numéros 12, 34 et 126. Et on n’en veut pas sur les tablettes de notre bibliothèque.

Oubliez le sens artistique et la dextérité. La seule et unique bonne raison pour mettre un pinceau dans la main d’un enfant, c’est que ça nous libère un quinze minutes pour finir notre roman policier ou nous servir un apéro.

Et comprendre ça, c’est s’ouvrir à une toute nouvelle manière d’aborder le bricolage. Puisque le vrai objectif est désormais de gagner du temps, on ne se casse plus la tête à trouver des endroits propices à faire sécher les peintures hideuses de Junior. On les empile plutôt les unes par-dessus les autres, encore humides des envolées van goghiennes de notre progéniture, afin qu’elles sèchent en petits tas pratiques, jetables à la poubelle en une seule étape facile. (Enfin, en deux étapes : car il faut en plus enterrer les dessins sous les pelures de pommes de terre, pour ne pas que Junior tombe dessus en jetant sa gomme et nous fasse sa crise de l’artiste incompris.) De même, lorsque, avec sa gouache ultra-lavable, Bébé peinture sur la table plutôt que sur la feuille, on n’intervient pas. Tant qu’on a la paix pendant quinze minutes, on laisse faire la nature. Idem si Bébé décide de se tatouer le corps avec ses crayons-feutres non toxiques. Elle s’amuse, alors profitons-en pour chiper quelques barres Mars dans le fond de son sac d’Halloween. Veillons tout de même à ce que notre enfant ne se colore pas le dedans des yeux avec son marqueur de teinte asperge. Voir son bébé pleurer vert pendant dix minutes, c’est tout de même un peu culpabilisant, et ça nous empêche de profiter pleinement de sa dernière mini KitKat.

234 - Chroniques d’une mère indigne 2

Certains m’accuseront de n’avoir aucune limite, allant jusqu’à dire que je n’interviendrais pas si Junior mangeait ses crayons, pourvu que je puisse terminer mon Sudoku tranquille.

Alors là, je dis non. Si Junior grignote le matériel, il faut en racheter, et ça coûte quand même cher, ces cochonneries.

Enfin, tout ça pour dire que je n’ai absolument rien contre Monet et Picasso. À la limite, je serais même prête à accrocher une ou deux de leurs toiles chez moi, pourquoi pas ? Mais qu’on ne vienne pas reprocher à maman Picasso d’avoir jeté les bricolages de son fils quand il était petit. Si elle les avait gardés, les amis de monsieur et madame Picasso auraient ri de leur bordel dans leur dos pendant des années. Et Picasso aurait peut-être pensé que c’était joli, des mobiles faits en rouleaux de papier de toilette et, à cause de cette sale manie, il n’aurait jamais connu le succès.

Sur ce, vous m’excuserez, mais y’a la petite qui s’apprête à se faire une teinture capillaire bleue avec sa peinture à doigts…

le moment idéal pour moi d’aller me bricoler un petit gin tonic.

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 235

Inédit

Fais dodo, mon petit hamster

Sœur indigne et Beauf’ adoré ont pris une semaine de vacances. Ils sont un peu fous, ces deux-là ; ils ont décidé d’amener les enfants avec eux. Vu qu’il fallait bien qu’ils nous donnent une tâche quelconque, pour se venger de notre visite à Paris, ils nous ont laissé leur hamster, une jolie petite rousse qui s’appelle Léa.

Ou Dora, ou Bianca, ou Empenada, ou Casablanca. Ou…

Kèssquejensémoi ! Vous savez, c’est compliqué de retenir le nom des animaux pour lesquels on n’éprouve aucune sympathie. Par exemple, ça doit bien faire quatre ans qu’on se connaît, moi et la grande brune pulpeuse aux cheveux ondulés qui travaille (toujours en chaussures à hauts talons) dans la même entreprise que Père indigne, et du diable si je sais comment elle s’appelle !

Bref, je n’arrive jamais à me souvenir du nom de ce fichu hamster, alors je l’appelle Anastasia. C’est compliqué à dire, ce qui fait que c’est plus facile de refuser à Bébé le privilège de la prendre dans ses petites menottes.

Bébé — Maman, moi veux prendre Anat…, non, Astan…, non, Amanastanésia !

Mère indigne — Je ne vois pas de qui tu parles, chérie.

J’ai l’air dure, comme ça, mais soit je joue les méchantes idiotes, soit Bébé prend le hamster et l’étouffe lentement et dans l’al égresse avec ses petites menottes de serial kil euse. Ce n’est pas que j’aime vraiment ce hamster qui ne tardera pas à me réveiller la nuit avec ses exercices de marathonien compulsif.

236 - Chroniques d’une mère indigne 2

(D’ailleurs, tiens, appelons-le donc Morora, par pure méchanceté.) Mais je ne souhaite quand même pas sa mort.

Et puis, Sœur indigne et Beauf’ adoré nous ont rendu nos filles en parfaite santé, la dernière fois, je me sens comme une obligation de faire attention.

Enfin, je me sentais une obligation.

Parce que, l’autre jour, ça a un peu changé.

Bébé — Maman, moi veux prendre Anat…, non, Astan…, non, ANASTASIA !

Flûte.

Mère indigne — Je ne vois pas de qui tu parles, chérie. La chose, là, avec des poils, enfin, le hamster, il s’appelle Morora.

Bébé — Moi, veux prendre Mororaaaaa. Z’a bezoin. Z’a…

Mère indigne — Non, tu n’as pas le droit de prendre Morora et de la serrer dans tes petites menottes jusqu’à ce qu’elle y laisse son dernier souffle de vie. Et d’abord, regarde : Morora semble dormir très profondément.

(Ça, c’est parce que Morora a un instinct de survie extraor-dinairement aiguisé. Avant de partir, Sœur indigne m’a confié que la petite bête était, en effet, un peu méfiante envers les enfants. « Dès qu’elle voit Nièce atomique arriver, elle se met en boule et fait le mort. » Avec Bébé, je crois même qu’elle se met à ronfler.)

Bébé — Moi veux prendre Morora.

Mère indigne — Mais elle fait dodo ! Écoute, mon amour…

On dirait même qu’elle ronfle. Et de toute manière, il faut s’habiller pour aller à la garderie, et ça presse. Maman est déjà en retard.

Bébé — Non, moi veux prendre Morora.

Mère indigne — Allez, chérie. Mets ta culotte… Non, pas sur ta tête, sur tes-Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 237

Bébé — Non, moi veux prendre Morora.

Mère indigne — Attends, regarde, lève ta jamb–

Bébé — NON, moi veux prendre Mororaaaaaaaaaaa-aaAAAAAAAAAHHHHHH !

Mère indigne — Bon, écoute. Si tu prends Morora, vas-tu t’habiller ensuite sans rechigner ?

Bébé — Oui.

Mère indigne — C’est promis ?

Bébé, qui maîtrise déjà expertement l’art de la négociation —

P’omis.

Mère indigne — OK alors, tiens. Mais seulement dix secondes, pour ne pas l’assass- pour ne pas trop la déranger.

Je soulève doucement Morora. La pauvre créature me regarde de ses deux petites billes noires, avec un étonnement mêlé de tristesse et de dégoût ; je l’entends presque murmurer

« vile traîtresse » alors que Bébé la saisit et commence à mettre en pratique la manœuvre d’Eimlich sur la pauvre bête qui ne s’est même jamais étouffée avec une croquette.

Dix secondes.

Mère indigne — Voilà, chérie. Tu as pris Morora. Maintenant, tu t’habilles.

Bébé — Oui.

Et elle le fit.

Incroyable.

Plus tard dans la journée, je tentai une nouvelle fois de protéger Morora mais, je l’avoue, ce fut avec un peu moins de conviction.

Bébé — Moi veux prendre Morora.

Mère indigne — Mais noooon, chérie ! Tu l’as déjà prise ce matin, et puis elle dort – écoute-la ronfler ! –, de toute manière, 238 - Chroniques d’une mère indigne 2

on va manger, alors ce n’est pas le temps de prendre Morora mais d’aller te laver les mains.

Bébé — Non. Moi veux pas laver mes mains. Moi veux prendre Morora.

Mère indigne, qu’on dira ce qu’on voudra mais elle apprend rapidement — Si tu prends Morora, tu voudras bien te laver les mains ensuite ?

Bébé — Oui. P’omis.

Mère indigne — Dix secondes.

Et le miracle se produisit à nouveau.

Je dus me rendre à l’évidence : Morora faisait un superbe aidant naturel. Ne serait-il pas idiot de me priver de ses services dans des circonstances aussi déterminantes de la vie ? Et puis dix secondes, après tout, c’est très court. Morora devrait savoir que dans la vie, en général, on supporte des choses pires que ça et pendant beaucoup plus longtemps : remplir sa déclaration d’impôts, patienter avant que le Monistat fasse effet, attendre que nos seins remontent après l’accouchement… Tiens, parfois, on peut même attendre et attendre sans que ce qu’on souhaite n’arrive jamais. Bref, le sort de Morora ne m’apparaissait pas si cruel.

Ainsi donc, plus tard…

Mère indigne — Bébé, c’est l’heure de te brosser les dents.

Bébé — Moi veux prendre Morora.

Mère indigne — Et après tu… ?

Bébé — Oui. P’omis.

Mère indigne — Dix secondes.

Encore plus tard…

Mère indigne — Bébé, c’est l’heure du dodo.

Bébé — Moi veux-

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 239

Mère indigne, lui tendant un petit paquet de poils tétanisé —

Tiens.

Bébé — Oui-p’omis-dix secondes.

Morora, qui apprenait également très vite, avait depuis longtemps cessé de faire seulement semblant de ronfler et tentait maintenant de se camoufler sous les copeaux de bois qui tapissaient sa cage. Mais Bébé, véritable œil de lynx, arri-vait toujours à la repérer. Malgré sa détresse mentale, Morora restait tout de même en très bonne forme physique. Comme prévu, elle se défonçait la nuit dans sa grande roue et, qui plus est, elle mangeait comme dix. Espérait réussir à se faire aussi grosse que le bœuf pour me faire subir, à mon tour, quelque dix secondes de sport extrême ? Ça ne réussirait jamais, ce n’est qu’une fable, mais si me faire jouer le rôle de la victime dans ses sanglants fantasmes de vengeance pouvait aider psychologiquement Morora, j’étais d’accord.

Sa semaine de vacances terminée, Sœur indigne est finalement revenue chercher sa petite bête.

Sœur indigne, jetant un coup d’œil dans la cage — Où est le hamster ?

(Sœur indigne non plus n’aime pas tellement ces machins.

Moi, ça m’avait pris une demi-heure à oublier le nom de Morora, imaginez une semaine…)

Mère indigne — Morora ? Tiens, c’est fou, où peut-elle bien… Ah ! La voilà ! Oh, comme c’est étrange, on dirait qu’elle s’est fabriqué une couverture en copeaux…

Sœur indigne — Bizarre. On dirait même qu’elle ronfle.

C’est fou, d’habitude, à cette heure-ci, elle se promène partout dans sa cage.

Mère indigne — Hum. Elle a peut-être besoin de sommeil ?

Sérieusement, elle a été comme ça une bonne partie de la 240 - Chroniques d’une mère indigne 2

semaine. Je… Je pense qu’elle est dans sa préadolescence. On dort beaucoup, à la préadolescence.

Sœur indigne, d’un ton étrangement incrédule — Dans sa préadolescence.

Mère indigne — Euh, enfin, oui… L’autre jour, elle s’est comme plantée devant son petit miroir et j’aurais pu jurer qu’elle murmurait « je suis devenue une pré-ado… »

Sœur indigne, après un moment de silence — Une chance qu’on ne vous a pas laissé les filles.

Épilogue : Je n’ai plus jamais revu Morora. Semble-t-il qu’elle s’est un jour enfuie de sa cage pour aller retrouver Bianca à Casablanca afin de vivre d’amour et d’empenadas.

Adieu, Morora. Peut-être, un jour, au hasard d’une escapade marocaine, je reconnaîtrai ton ronflement et te retrouverai, roulée en boule, camouflée dans la poussière d’une rue inconnue aux parfums exotiques d’empenadas ? Et peut-être qu’alors je pourrai t’expliquer, et nous pourrons nous réconcilier ? Non ?

T’es sûre ?

Pffff.

Pas étonnant que je déteste les hamsters. Il n’y a pas plus rancunier comme bestiole.

Chapitre 6 - Sœur indigne s'en mêle - 241

Chapitre 7

Comment se servir des enfants

comme prétexte pour parler de sexe

L’ordre dans lequel Caroline Allard a disposé ses catégories donne un bon aperçu du message qu’elle souhaite transmet-tre dans ses Chroniques. Que le premier chapitre traite de la personnalité de Mère indigne, cela va de soi ; on la sait trop narcissique pour se reléguer au second plan. Mais le sexe n’est évoqué que dans le tout dernier titre de chapitre.

Une telle observation impose deux conclusions : d’abord, cela relativise l’importance accordée au sexe dans l’œuvre de Caroline Allard, ensuite, il nous faudrait peut-être plaindre Père indigne.

Éric Vignola, Le destin d’une littérature : de L’Art poétique au zizi-pénis, p. 47.

Pères indignes de ce monde, unissons-nous ! « C’est la dure lutte finale… »

Père indigne

Chéri, t’es vraiment le meilleur en jeux de mots cryptiques et douteux…

Mère indigne

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 243

Exhibitionnouille

L’autre jour, Père indigne a acheté une webcam. Strictement à caractère familial, je vous rassure tout de suite. C’est pour que sa mère puisse, de la Belgique, voir ses petites-filles pendant qu’elles lui parlent au téléphone.

Mais bon, une webcam. Il y a quand même tout un folklore rattaché aux webcams, non ? En tout cas, dans ma tête, il y en a un.Alors quand Père indigne a mis le programme de la webcam en réseau sur les deux ordis de la maison (c’est-à-dire qu’on pouvait voir sur le second ordinateur les pitreries faites devant le premier), je n’ai pas pu résister. J’ai voulu faire une blague.

En fait, j’ai fait une connerie.

Père indigne a appelé Fille aînée pour qu’elle puisse venir admirer sa mère (yours truly) sur l’écran. Avant que Fille aînée n’arrive, j’étais persuadée que j’avais le temps de flasher mes œufs sur le plat, euh, je veux dire mes appétissants melons d’eau, à Père indigne par le truchement de la webcam. Ben quoi, c’est ça qu’on fait avec une webcam, non ?

Sauf que Fille aînée était vraiment tout près.

Fille aînée — Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Père indigne — Chérie, on a tout vu.

Mère indigne — Euh, quand tu dis « on »… ?

Fille aînée — Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Maman, on a vu tes seins-seins !

244 - Chroniques d’une mère indigne 2

Père indigne, fixant sa femme par écran interposé — Si jamais il y a quelqu’un qui s’amuse avec la webcam quand elle sera ado, tu t’arranges avec.

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 245

Raviver la flamme, un fantasme à la fois Les filles, faut que je vous dise.

Ce soir, je vais réaliser un fantasme de Père indigne.

Ce n’est pas rien, vous savez. Encore faut-il savoir que l’autre en a, des fantasmes, et, si oui, lesquels. Moi, par exemple, si on me demande si j’ai des fantasmes, je dis « No sir, pas pan-toute ! Moi, des fantasmes ? Oh, que non. Que du mépris pour ces séances parsemées d’uniformes de policier, de cuisinier, de voleur, de sa femme ou de son amant. Un t-shirt troué me suffit pour atteindre l’extase (surtout si c’est moi qui le porte) ».

Ouais, si on me demande si j’ai des fantasmes, c’est ça que je réponds. Et il faudrait vraiment avoir de la finesse pour me tirer les vrais vers du nez et me faire avouer de quelconques rêveries torrides impliquant les deux Bob (le bricoleur et l’éponge), et Tinky Winky qui filme le tout avec sa webcam.

Bref, tout ça pour dire que Père indigne en a, des fantasmes, mais pour les réaliser, encore fallait-il que je les connaisse. Et que je ne les aie pas déjà réalisés ! Car rien ne sert de se cacher la tête dans le tiroir à slips : après 11 ans de vie commune, on a parfois l’impression d’avoir fait le tour. Tourniquet islandais : tchèck. Marinade tériaki : tchèck. Rififi martien, exploration sous-marine, prise du yéti : fait, fait et même, dans certains cas que la pudeur m’empêche de préciser, refait.

Vous pouvez donc vous imaginer ma joie, aujourd’hui, quand j’ai eu la certitude que j’allais non seulement surprendre, mais encore ravir mon mari avec un de ces trucs auquel moi seule aie l’audace de songer.

246 - Chroniques d’une mère indigne 2

Vous voyez, Père indigne se plaint toujours qu’on ne trouve que des chaussettes dépareillées dans les tiroirs des filles.

Parfois même, il lui arrive de s’écrier, la rage au ventre : « Ah, quand donc viendra le jour où elles n’auront que des chaussettes pareilles ? » Alors aujourd’hui, quand je suis tombée sur les soldes chez Sears, mon cœur d’épouse a bondi : je pouvais réaliser le fantasme de chaussettes de mon mari adoré !

Je n’ai fait ni une, ni deux, ni même trois ou huit. J’ai plutôt acheté DOUZE paires de chaussettes i-den-ti-ques ! Six pour Fille aînée et six pour Bébé. Quelle hardiesse dans l’innovation !

Quelle insolence dans la bravoure ! Oui, j’avais conscience de repousser sans vergogne les limites de la décence. Mais je devais le faire. Pour mon couple.

Je me suis dirigée vers la caisse en essayant tant bien que mal de camoufler mes appétits de luxure, mais la caissière, qui a dû en voir d’autres, m’a regardé d’un air complice. Je compris qu’elle avait percé à jour mes intentions coquines. Qu’à cela ne tienne ! J’ai assumé.

Et pour couronner le tout, les chaussettes, vous savez c’était combien la paire ? Soixante-neuf sous. Ça ne s’invente pas.

Ah, ça, Père indigne, quand il va plier les vêtements ce soir, il va être fou de joie.

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 247

On n’apprend pas à une maman singe…

Vous aurez beau dire ce que vous voulez, bande de coquines, je vous connais.

On vaque à ses occupations de mère au foyer, on a l’air de ne penser qu’aux purées bios et aux couches à changer, mais, dans le fond du soutien-gorge d’allaitement, on ne rêve que d’une chose : parler de sexe ! (Attention hein. J’ai bien dit

« parler ». Parce que « faire », non. Jamais. Hum.) Alors je me suis dit, comme ça, pourquoi ne pas aller leur titiller un peu la glande du Jean-Louis aujourd’hui ? Mais sans vous parler de Jean-Louis, hein. Oh, que non.

Ne vous inquiétez pas pour Jean-Louis, mesdames. Il va bien. Très bien. Mais, entre nous deux, c’est fini. Je n’ai pas eu le choix de rompre : il a offert un slip transparent à Père indigne pour ses 40 ans. Et plus tard, dans l’intimité, Père indigne, au lieu de le brûler (le slip, pas Jean-Louis) sur l’autel de l’hétéro-sexualité aveugle, a eu l’audace de l’enfiler (le slip, hein, pas…).

Le pire fou rire que j’ai eu de ma vie pendant les préliminaires.

Ça a failli tout faire rater. Alors voilà. Exit Jean-Louis.

Mais ne dit-on pas « Le roi est mort, vive le roi ? » Parce que, mesdames, il faut que je vous présente Jean-Jules.

Jean-Jules, c’est un vieil ami. Le genre d’ami qui, au lieu de se mettre tranquillement en ménage et de faire des gentils enfants comme le font les gens les plus intelligents de la planète (nous, par exemple), continue à vivre une vie de dégénéré dans un célibat éclaté et jouissif. Euh, je veux dire, un célibat morne 248 - Chroniques d’une mère indigne 2

et triste, hein. Comme le sont tous les célibats, n’est-ce pas ?

Ouais, enfin bref. Jean-Jules.

Il se croit très fort, le Jean-Jules, avec ses trente-huit maîtresses dans chaque ville du monde et ses occasionnelles escapades dans des endroits sombres où l’on peut se faire faire des guilis-guilis par plus de dix doigts à la fois (pour moi qui suis horriblement chatouilleuse, un véritable cauchemar).

Il se croit fort, mais il y en a des bien plus fortes que lui.

J’ai nommé : les mères de famille. À preuve, cette conversation que nous avons eue la semaine dernière, chez lui, lors de la pause-lunch d’une réunion de travail. Si si, de travail.

Jean-Jules, entre deux bouchées de patates pilées — Tu sais pas quoi, l’autre jour, j’ai parlé à une nana dans un bar. Une habituée des clubs échangistes. Et là…

Mère indigne — Mon Dieu ! Tu me fais penser. Faut absolument faire la pige pour les échanges de cadeaux de Noël. Ça s’en vient tellement vite. Bordel.

Jean-Jules — Allô ? Tu m’écoutes ? Clubs échangistes ?

Mère indigne — Euh… Oui, oui, je… c’est justement ça que je voulais dire par « bordel ».

Jean-Jules — Ouain. Bon, bref, j’ai parlé avec une nana dont le rêve était de se faire prendre par deux gars en même temps, au même endroit !

Mère indigne — Dans le club échangiste ?

Jean-Jules — Hein ?

Mère indigne — Quand tu dis « au même endroit », tu veux dire dans le club échangiste ?

Jean-Jules — (Soupir.) Oui, dans le club échangiste, mais aussi AU MÊME ENDROIT. Même. Endroit.

Mère indigne — Même endroit, même endroit. La zézette, genre ?

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 249

Jean-Jules — La quoi ?

Mère indigne — La zézette. C’est le petit mot gentil qu’on a trouvé avec les filles pour dire vag-Jean-Jules — OUI ! C’est ÇA. Bravo.

Mère indigne — C’est gagné ! We did it ! Hourra !

Jean-Jules — Euh… oui, c’est ça. You did it. Deux dans un.

Peux-tu croire ça ?

Mère indigne, se resservant de la salade — Ouais.

Jean-Jules — T’as pas l’air impressionnée.

Mère indigne — Ben non. Pourquoi ?

Jean-Jules — La Terre appelle la Lune ? Deux dans un ?

Même dans les films pornos, j’ai rarement vu ça.

Mère indigne, déposant délicatement son couteau au bord de l’assiette — Écoute, mon petit poussin. Moi, j’ai des BÉBÉS

qui sont passés par là. Deux. La madame, elle sait ce que c’est, avoir du gros trafic sur l’autoroute. C’est pas deux baguettes, aussi magiques soient-elles, qui vont épater une parturiente expérimentée.

Jean-Jules, un peu mélangé entre les métaphores de circu-lation et de sorcellerie — Ouais, ouais, bon. Quoi qu’il en soit, cette femme-là, elle m’a aussi dit qu’elle était super soumise.

Mère indigne — Oh. Une soumise de nuit.

Jean-Jules — ???

Mère indigne — Soumise de nuit, chemise de nuit…

Prrfff… Non ? C’est pas drôle ? Je suis sûre que Père indigne l’aimerait, pourtant…

Jean-Jules, les yeux levés vers le ciel — Si tu pouvais arrêter de niaiser, je pourrais te dire que ce qui la branchait vraiment, mais alors là incroyablement, c’était de se faire mettre la tête dans…

250 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne, véritablement inquiète — Pas dans le bol de toilettes ?

Jean-Jules, lâchant sa fourchette — Dans le… ? Ben là, franchement ! J’essaie de créer du suspense, moi, et toi tu me parles de bol de toilettes ! Comment veux-tu que je dépasse ça ?

T’es pas très cool.

Mère indigne, d’un air désolé — C’est parce que Bébé a jeté sa poupée dans les toilettes l’autre jour pour lui montrer qui était le vrai patron, et heureusement elle n’a pas tiré la chasse, mais là, la tête de la poupée a rétréci dans la sécheuse et… en tout cas. Ton histoire, ça m’a fait penser à ça.

Jean-Jules — …

Mère indigne — Encore un peu de poulet ? Patates pilées ?

Jean-Jules — Oui. Oui. Merci. (Soupir.) C’était dans un oreiller. Qu’elle voulait mettre sa tête. La fille au bar.

Mère indigne — Ah, bon. C’est vrai que, pour le punch, c’est un peu raté. Désolée.

Un silence. Puis :

Jean-Jules, regardant Mère indigne d’un air sournois — Tu sais, j’ai toujours pensé que tu ferais une superbe soumise.

Mère indigne avale la dernière bouchée de sa salade. Va mettre sous clé tout objet dont elle pourrait faire un usage abusif dans les prochaines minutes pour le regretter par la suite (couteau, fourchette, talons aiguilles, scie ronde). Puis : Mère indigne — Jean-Jules, la soumise, elle a deux enfants, tu te souviens ?

Jean-Jules, l’air inquiet — Voui.

Mère indigne — Alors tu sais ce qu’elle te dit, la soumise ?

Elle te dit de terminer ta viande et tes patates pilées. TU ME

NETTOIES CETTE ASSIETTE. IMMÉDIATEMENT. Ensuite, tu me débarrasses la table. Et finalement, tu vas réfléchir dans Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 251

ta chambre. Pendant une demi-heure, le temps de te calmer.

Après ça seulement, tu auras la permission de revenir ici. Tu devras alors m’expliquer EN DÉTAILS pourquoi tu as été puni et quelles leçons tu en as tiré. Compris ?

Jean-Jules, fixant le sol — Voui.

Mère indigne — Voui QUI ?

Jean-Jules — Voui… Madame ?

Mère indigne — Voilà. Bien. Très bien. Et ensuite, tu me raccompagnes à la maison. Il y a du ménage à faire.

252 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne sur la corde raide

(une fiction dindo-masochiste)

Mère indigne — C’est super que tu aies pu te libérer pour venir prendre un café à la maison. Avec les fêtes de famille, et tout…

Copine indigne — Je me suis dit que, comme t’étais toute seule avec les deux petites…

Mère indigne — M’en parle pas. Je suis au bord du préci-pice mental. Je reçois la famille avec de la dinde ce soir, et Père indigne a décidé de prendre une petite journée de vacances.

« Mais on EST en vacances, chéri », que je lui ai dit.

Copine indigne — Un argument de taille. Mais il est parti quand même ?

Mère indigne — Ouais, ben c’est parce que moi, je m’en suis pris deux jours de vacances depuis le début des vacances.

Copine indigne — T’as brûlé tes cartouches, ma vieille.

Moi, je suis plus maligne. Je triche.

Mère indigne — Comment ça ?

Copine indigne — Ben, je dis que j’ai des courses urgentes à faire, et ensuite, au lieu de rentrer, je vais prendre un café chez une copine accueillante…

Mère indigne — Wouah ! T’es géniale. Je me demande si je pourrais partir comme ça un après-midi et faire un voyage au Mexique en catimini ? J’essaie de convaincre Père indigne d’acheter un forfait, mais il tient à ce qu’on attende d’avoir remboursé les dépenses des fêtes. Dieu sait pourquoi.

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 253

Copine indigne — Oui, bon, c’est pas tout ça, le soleil et la plage. J’ai quelque chose d’encore plus intéressant à te montrer.

Copine indigne met sous le nez de Mère indigne un petit sac de plastique.

Mère indigne — Fabricville ? Tu t’es mise à la couture ?

Copine indigne — Non. Je… Enfin… J’ai acheté de la corde.

Mère indigne — T’es sérieuse ? T’en as pas mal ? Je suis justement en manque de ficelle pour la dinde de ce soir…

Copine indigne — Non, non. Ce n’est pas pour de l’alimen-taire.Mère indigne — Mon Dieu… Tes enfants sont si insupportables ?

Copine indigne — Mais non ! Pas pour les enfants, franchement ! C’est Copain indigne qui… enfin, il veut expérimenter.

Mère indigne — Expé… Non.

Copine indigne — Voui.

Mère indigne — Attends. Attends. Je suis sous le choc.

Copine indigne — Ben là, tu m’énerves. T’en as pas, toi, des fantasmes ?

Mère indigne — Partir au Mexique ?

Copine indigne — Je parle de vrais fantasmes. De trucs qui impliqueraient des pompiers et des tuyaux, des dompteurs et des tigresses sauvages, des cowboys et des lassos, Dora et Chippeur, ce genre de truc…

Mère indigne — Ben, une fois, j’ai proposé à Père indigne de jouer à la Belle au bois dormant. Moi, j’aurais été la Belle, endormie…

Copine indigne — Et Père indigne aurait été le prince charmant qui t’aurait éveillé d’un doux baiser sur la-254 - Chroniques d’une mère indigne 2

Mère indigne — Non, non, justement ! Père indigne aurait été un malappris qui se serait introduit par effraction dans le château et aurait profité, tsé veut dire genre, de la Belle, sans que jamais elle ne se réveille !

Copine indigne — …

Mère indigne — Tu comprends ? Elle ne se réveille pas, parce que c’est pas le vrai prince !

Copine indigne — …

Mère indigne — J’étais crevée ce soir-là.

Copine indigne — Bon. En tout cas. T’essaieras d’aller acheter pour 90 pieds de corde…

Mère indigne — Quatre-vingt-dix pieds ??

Copine indigne — C’est beaucoup, mais on sait jamais…

En tout cas, quand la vendeuse m’a demandé si elle pouvait me conseiller, j’ai complètement figé.

Mère indigne — T’aurais dû lui dire que c’était pour ficeler une belle grosse dindonne…

Copine indigne — Ah, ah, ah. J’ai dit que c’était pour ma fille, pour un jeu de cour de récré…

Mère indigne — La tag-bisou, sauf qu’on ne peut pas courir, on sautille ?

Copine indigne — T’es conne. En tout cas, je lui ai dit que j’en prenais beaucoup parce que, comme ça, Fifille en aurait pour plus longtemps et que je ne devrais pas revenir à tout bout de champ. Elle m’a dit que c’était dommage, que si je prenais une carte Élite cliente fidèle, j’aurais déjà un rabais de 20 % sur mon achat.

Mère indigne — Laisse-moi deviner.

Copine indigne — Ben oui, j’ai pris la carte.

Mère indigne — 20 % sur 90 pieds, ça a dû valoir la peine.

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 255

Copine indigne — Surtout qu’en fait la vendeuse m’a conseillé d’en prendre plus, de plusieurs couleurs. Paraît que les jeunes aiment ça, les couleurs. Alors j’ai pris 30 pieds de plus, en vert.

Mère indigne — Oh, boy. Ça va être joli, ce soir. T’as aussi pensé à utiliser les lumières du sapin ?

Copine indigne — Ça va, hein, la Belle au bois dormant. Au lieu de te moquer, tu devrais en prendre de la graine…

Mère indigne — Oui, mais ça ne te fait pas un peu peur, quand même ? De la corde ? Verte ?

Copine indigne — Copain indigne m’a dit…

Mère indigne — Je sais ! Il t’a dit : « T’inquiète pas chérie, c’est nouveau alors ça va juste durer cinq minutes » ?

Copine indigne — Pfff. Non, il a dit : « Sois courageuse.

Tu n’auras qu’à fermer les yeux, ça ne fera pas mal, je te le promets. »

Mère indigne — Je suis rassurée…

Copine indigne et Mère indigne sirotent leur café, pensives.

Puis :Mère indigne — Sérieusement, 120 pieds de corde… Je peux te demander un service… ?

PLUSIEURS HEURES PLUS TARD. LES INVITÉS SONT

VENUS, PUIS REPARTIS. MÈRE INDIGNE ET PÈRE

INDIGNE SE METTENT AU LIT…

Père indigne — En tout cas, la dinde, bravo.

Mère indigne — Tu as aimé ? Vraiment ?

256 - Chroniques d’une mère indigne 2

Père indigne — Qu’est-ce qu’on pouvait ne pas aimer ? La corde en nylon vert, les nœuds coulants autour des pattes, la poitrine et les cuisses expertement ficelés…

Mère indigne — C’était joli, hein ? J’ai potassé mes nœuds sur Internet, et j’ai pratiqué tout l’après-midi.

Père indigne — Dommage que ça ait déteint.

Mère indigne — C’est pour ça que je l’ai servie un peu sous la salade. Pour camoufler.

Père indigne — Hum.

Mère indigne — Écoute, je suis contente que tu aies aimé la corde verte. Regarde… Il en reste…

Père indigne — Mon Dieu… Les filles ne sont pourtant pas si insupportables…

Mère indigne — Pas pour les filles, franchement. Pour nous. Pour expérimenter.

Père indigne — Expé… Non.

Mère indigne — Voui. Allez, laisse-toi faire, mon amour. Et hop ! Un petit nœud par ci, un autre par là… Ne t’inquiète pas, je ne vais pas m’endormir en te laissant comme ça…

Père indigne, dûment immobilisé — Et maintenant, quoi ?

Mère indigne — Maintenant, je sors mon ordinateur… Je fais une recherche avec « vacances destination soleil Mexique »… Ahahahaha ! Je vais nous réserver un forfait, et tu ne peux rien faire pour m’en empêcher !

Père indigne — NON !

Mère indigne — Allez chéri, sois courageux. Tu n’as qu’à fermer les yeux, ça ne fera pas mal, je te le promets…

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 257

L’amour à trois, ou les alexandrins

de la frustration

Dans la maison indigne, au lit sont les petites Et Père indigne, l’œil vif, y va de son invite PÈRE INDIGNE

Les filles sont couchées, sans gastro ni bronchite Profitons du sommeil qui enfin les habite Si tu oses, de l’amour, accomplissons le rite Ma baguette magique, c’est de la dynamite (Mais leurs premiers ébats, leur future inconduite Sont interrompus par un virulent pruït ! pruït !) MÈRE INDIGNE

Qu’est-ce donc que ce bruit, interruption fortuite Qui distrait mon esprit de ton bloc de granite ?

PÈRE INDIGNE

Heu, parlant de baguette, c’est Bébé qui agite Celle que tu as achetée dans un Dolloramite MÈRE INDIGNE

Que fait-elle dans son lit, cette baguette maudite ?

PÈRE INDIGNE

C’est moi qui l’y ai mise, c’est sa favorite Mais rétrospectivement, je me traite de twit !

MÈRE INDIGNE

Ouain, si ça continue tes carottes sont cuites Ce bruit (pruït !) mettra ma libido en faillite PÈRE INDIGNE

Attendons dans le noir, peut-être bien que (pruït !) 258 - Chroniques d’une mère indigne 2

Licence enqc-62-5026113-sg73071120 accordée le 14 avril 2011 à Archambault.ca 5026113

Bébé s’endormira, et nous pourrons ensuite (Pruït !) Jouer à explorer grotte et stalagmite Les parents tendent l’oreille vers les bruits parasites Et après quinze minutes ponctuées de pruït !

Le dodo semble enfin imposer ses limites…

PÈRE INDIGNE

Plus de pruït !, ma chérie, ne soit pas déconfite !

Bébé dort ! À l’attaque ! Enlève-moi cette (pruït !) (Pruït ! pruït ! pruït ! « Fèreuh Zak ! » Pruït ! « Matineuh ! »

Pruït, pruït !)

MÈRE INDIGNE

Range la tienne, la baguette, parce que tous ces « pruïts ! »

M’ont jusqu’à enlevé le goût d’une petite vite PÈRE INDIGNE

Je comprends, ma chérie. Que ce destin m’irrite !

J’aurai toute la nuit une crampe à la frite.

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 259

Échec et maths

Les filles, faut que je vous raconte.

Quand j’ai été au dépanneur l’autre soir, je me suis fait outrageusement draguer. Et pas par n’importe qui, hein ! Par un membre de l’espèce sauvage communément appelée « les petits jeunes ». Incroyable, hein ? Le machin, là, derrière le comptoir, ça avait à peine 20 ans ! Et ça me draguait, j’en suis sûre !

Comment je le sais, qu’il me draguait ? Trop facile ! Trop

« faf », comme dirait Fille aînée.

Il me tutoyait.

Si c’est pas la haute-voltige de la séduction, ça, Mesdames, je ne sais pas ce que c’est.

Non mais, c’est vrai. Tout le monde le sait. Avant trente ans, on a besoin d’un paquet de flaflas pour comprendre que ces messieurs, si timides, si réservés, nous feraient bien une place dans leur cœur à côté du dernier modèle d’iPod. Ça nous prend des regards sulfureux mais pas trop, des jeux de genoux éloquents mais juste assez ; parfois même on exige de la conversation. Fariboles ! Carabistouilles !

Après trente ans, on devient beaucoup plus désesp- avisées.

D’entrée de jeu, on comprend que le tutoiement, loin d’être un banal choix de langage, signifie « je te considère comme mon égale, l’âge n’a pas d’importance, envolons-nous ensemble sur les ailes d’un transporteur aérien à rabais afin d’aller découvrir les méandres des paradis tropicaux ainsi que les nôtres, et tout cela, alcool inclus. »

260 - Chroniques d’une mère indigne 2

Alors quand le petit jeune m’a dit « Salut ! Ça vas-tu bien ? », j’en avais déjà les jambes toutes ramollies.

Je me mis à arpenter les allées du dépanneur en fredonnant

« Il était une fois nous deux ». J’étais hypnotisée par les pots de mayonnaise, dans lesquels je voyais la crème solaire que nous glisserions dans nos bagages, moi et le petit jeune, afin de vivre sans insolation notre rêve fou.

C’est au moment de payer que les choses se sont gâchées.

Je déposai mon Canada Dry et mes deux contenants de lait sur le comptoir, et le jeune me posa la question fatale : Petit jeune — T’as-tu la carte du CAA ?

Remarquez le tutoiement doublé. Ah, ça, il y allait fort, le jeune homme. Il avait compris que la qualité, ça ne se négocie pas. De mon côté, c’est là que j’ai commis ma première erreur.

J’aurais dû comprendre que c’était une question purement rhé-

torique. Que la carte du CAA, y’a que les vieux qui en ont une.

Que les femmes avec qui on rêve d’aller explorer l’Amazone en string ne possèdent pas de carte du CAA. « La carte du quoi ? »

aurais-je dû répondre avec dérision.

Mais non. J’ai choisi la voie de l’échec.

Moi — Euh… Ça donne quoi, au juste, la carte du CAA ?

Petit jeune — 2 % de rabais sur les achats.

Il n’a pas dit « un dérisoire 2 % qui ne vaut pas le fait qu’en me présentant ta carte, tu deviendras à mes yeux, et à jamais, une vulgaire matante », mais de toute manière ça n’aurait pas changé grand-chose. Parce que moi, j’étais déjà en train de faire le calcul.

2 % sur deux fois 3,25 plus 1,25, ça fait, euh… euh… Deux fois trois, six, plus 1, plus trois fois vingt-cinq, et là on parle de sous, alors… tralala, j’économise un peu plus de 8 sous. HUIT

SOUS ! Wow. Malade ! J’ai réussi à faire le calcul !

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 261

Mon regard éclatant traduisait ma joie d’avoir vaincu la multiplication des pourcentages. Son regard méprisant traduisait le fait qu’il pensait que mon regard éclatant signifiait que je m’énervais pour même pas dix cennes.

Le reste ne fut qu’une suite d’erreurs tragiques. Les miennes. Moi — Oui, euh, c’est parce que, du lait, j’en achète souvent, c’est pour les enfants…

Sourcils froncés du commis qui ajoute quelques années à mon curriculum et qui, horreur, comprend que ce corps caché sous six couches de vêtements a servi à autre chose qu’à s’abandonner aux plaisirs débridés de la chair.

Moi — Euh, en fait, c’est mon mari qui insiste pour qu’on ait la carte du CAA…

Regard inquisiteur du commis qui remarque mon alliance et qui s’imagine alors, j’en suis certaine, sa cliente debout sur une chaise, ridiculement hilare, en train de se faire arracher la jarretière par un inconnu bavouillant, devant une foule qui a trop profité du bar ouvert.

Et le massacre n’était même pas terminé.

Moi — Et, euh… du Canada Dry, je… j’en bois jamais d’habitude, c’est juste que ce soir, euh…

Non, non, malheureuse !, me criait mon instinct millénaire de chasseresse. Ne dis rien ! Ne-Moi — … J’ai des problèmes de digestion.

Le commis, dégoûté — Ça vous fera 7,75 $.

Vous ! Il m’avait dit vous.

Oubliées, nos promenades sans fin sur les plages de Bali, nos courses folles dans la mer, les coquillages qu’il m’aurait offerts en me lançant de timides regards d’admiration et de déférence, nos après-midis passés à nous éclabousser en riant, 262 - Chroniques d’une mère indigne 2

riant… Tout ça, mort et enterré, parce que ce jeune blanc-bec ne pouvait pas (ou ne voulait pas ?) comprendre que j’avais mangé trop de crème fouettée avec les fraises, au dîner.

Je saisis mes emplettes d’un geste rageur et me dirigeai vers la sortie sans un regard en arrière. Je ne pus cependant m’empêcher, avant de claquer la porte, de lui décocher ce trait assassin :

— Je n’en portais même pas, de jarretière, à mon mariage !

Traître !

Cassé-bouché, il était, le petit. Je pense même que j’ai vu son doigt frôler le bouton panique.

Père indigne — Tu as parlé de tes problèmes de digestion ??

Mère indigne — Ouiiiii ! (sniff) Et après… après… il m’a vouvoyée !

Père indigne — Allons, allons. Je te prépare une vodka-orange, et on n’en parle plus. De toute manière, tu oublies le principal.

Mère indigne — (sniff) Quoi ?

Père indigne — Eh bien, tu t’es trompée dans ton calcul.

Ce n’est pas huit sous que tu as épargnés, mais bel et bien QUINZE !

Mère indigne — Mais… mais alors… Je suis une héroïne ?

Père indigne — Avec cette carte du CAA, plus rien ne pourra t’arrêter.

Mère indigne — Oh, chéri… Comme tu sais parler à ta femme…

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 263

Père indigne — Qui plus est, il me vient à l’esprit une excellente suggestion : pour exorciser tout ça, on se rejoue la scène du dépanneur. Mais, cette fois, c’est moi le commis…

264 - Chroniques d’une mère indigne 2

Les joies de la lecture*

Moi, je dois vous dire franchement, en tant que parent, je suis 100 % pour l’alphabétisation des enfants. Et plus vite on les alphabétise, mieux c’est.

Bon, c’est sûr, on veut tous que nos enfants aiment la lecture. Au début, c’est pour des raisons nobles. On nous a tellement répété que lire, c’est important pour le bien-être de nos tout-petits. Toutes les belles couleurs dans les livres, ça les stimule – c’est sûr, ça les stimule à laisser des traces de dents sur la couverture, à déchirer les pages et à barbouiller les images, mais qu’à cela ne tienne. De toute manière, la lecture, c’est une si belle activité à faire avec son enfant : on lit une belle histoire ensemble avant le dodo, jusqu’au moment où on tombe nous-mêmes endormis dans le lit de Fiston pendant que ce dernier se relève pour aller dévaliser la crème glacée. Mais, surtout, la lecture éveille nos bambins à la fantaisie, à l’imagination, à la manière de raconter des histoires, un art qui leur sera bien utile lorsqu’ils auront atteint l’adolescence.

C’est avec toutes ces excellentes raisons en tête qu’on ins-taure avec Fiston la jolie tradition de l’histoire avant le dodo. Et c’est là qu’on fait la connaissance de monsieur Zozo, qui adore aller au zoo.

Votre enfant, lui, adore monsieur Zozo. Il ne s’en lasse pas. Et si ça continue comme ça, vous avez peur qu’il ne s’en

* Chronique radiophonique diffusée le 10 mai 2008 à l’émission Nulle part ailleurs, Radio-Canada, Sudbury

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 265

lasse jamais et n’accepte pas de s’en séparer même lorsqu’il sera plutôt en âge de lui préférer le Kama Sutra.

A priori, vous n’avez rien contre monsieur Zozo. Les dix premières lectures sont même plutôt agréables. Le méchant et énorme lion, qui capture monsieur Zozo lorsque ce dernier s’approche trop près de sa cage, voulait seulement briser sa solitude et ne cherchait après tout qu’à se faire un ami. Vous tenez d’ailleurs à peu près le même raisonnement lorsque vous sortez le gin tonic après une dure journée au boulot. Mais, après la 1425e lecture de Monsieur Zozo va au zoo, comment dire ? Il vous vient comme une étrange envie de mettre un peu de variété au menu.

Par exemple, après avoir annoncé que s’avançait « le méchant et énorme lion », vous succombez à l’envie d’ajouter un original « poil au menton ». Mais mal vous en prend. Vous découvrez en effet que Fiston est en réalité un véritable gardien du culte de monsieur Zozo, et ne supporte pas que vous salissiez cette littérature sacrée. Le lion, tu sauras, maman, que ce n’est pas parce qu’il porte une crinière qu’on peut lui dire impunément « poil au menton ». Pas non plus de poil aux doigts pour la girafe Rita, et les perroquets Pico et Tutu n’ont pas non plus de poil… nulle part.

Ce manque total de souplesse venant de votre progéniture ne cesse de vous attrister. En effet, lorsqu’on y pense un peu, nos enfants sont horriblement à plaindre. Dans leurs livres à eux, point des merveilleux ingrédients qui rendent la littérature pour adultes vraiment supérieure, j’ai nommé l’amour torride et le sang. Vous rêvez de pouvoir raconter la vraie histoire de monsieur Zozo, dans laquelle l’énorme lion, en réalité un agent de l’escouade antidrogue, capture monsieur Zozo et l’éventre de ses griffes acérées pour trouver dans son estomac des sachets 266 - Chroniques d’une mère indigne 2

remplis d’héroïne. Ces sachets, monsieur Zozo devait les livrer aux cruels perroquets, Pico et Tutu, membres de la filière co-lombienne. Mais le lion est lui-même corrompu jusqu’à l’os et, avec l’argent de la drogue, il s’enfuira avec le gardien de sécurité du zoo sur une île du Pacifique où pourra enfin s’épanouir leur amour interdit, au milieu des palmiers et des noix de coco aux formes évocatrices. Ils vivront heureux… enfin, jusqu’à ce que les perroquets les retrouvent et rapportent leurs yeux, en guise de trophée, à la girafe Rita, qui menait tout depuis le début.

Évidemment, il est hors de question que vous racontiez cette belle histoire à Fiston et, chaque soir, vous vous retrouvez face à face avec monsieur Zozo, qui semble vous narguer un peu plus chaque fois en ayant l’air de dire : « Si tu me touches, tu vas avoir affaire au cartel de Medellín. »

C’est ainsi qu’un soir votre mari remarquera de nouvelles traces de dents, les vôtres, sur la couverture du livre maudit, et il vous jettera le regard résigné de celui qui comprend que, dorénavant, c’est lui qui sera de corvée de Zozo.

C’est aussi à peu près à ce moment-là que vous comprenez qui a orchestré les premières campagnes d’alphabétisation : des parents, comme vous, qui n’en peuvent plus de Zozo et du zoo et qui veulent à tout prix que les enfants, surtout les leurs, apprennent à lire au plus sacrant.

Mais il y a de la lumière au bout du tunnel. Hier soir, Père indigne m’a proposé une thérapie : son plan consiste à nous faire reconstituer l’histoire de Zozo qui va au zoo, mais au lieu d’être Zozo, le héros, c’est moi, Zézette, et je me fais capturer par un gros gorille poilu qui tient beaucoup à briser sa solitude.

Si c’est ce que ça prend pour me réconcilier avec le livre préféré de Bébé, je crois que je suis prête à faire un effort…

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 267

Mère indigne exagère,

mais il faut bien gagner sa vie

Mère indigne — L’autre jour, j’ai voulu faire un test dans Facebook, mais je n’ai pas osé me rendre jusqu’au bout.

Père indigne — Pas « Quel personnage de Passe-Partout êtes-vous ? », j’espère ? Je ne pourrais pas supporter d’avoir la confirmation officielle que j’ai épousé Alakazou.

Mère indigne — Non, non. J’ai commencé le test « Quel genre de criminel êtes-vous ? ». Oh, là là.

Père indigne — « Oh, là là » quoi ?

Mère indigne — Tu vois, il fallait classer des crimes dans l’ordre, en commençant par celui qu’on était le plus susceptible de commettre jusqu’à celui qu’on ne commettrait jamais.

Père indigne — Tu as mis « souper avec un ex » en premier, j’imagine ?

Mère indigne — Ce n’était pas sur la liste. Par contre, je me suis rendu compte que je classais « se faire payer en échange de faveurs sexuelles » en deuxième place ! Tu te rends compte ? J’ai réalisé que je n’aurais vraiment presque pas de problème avec le concept.

Père indigne — Hm.

Mère indigne — Euh, je veux dire, je n’aurais pas eu de problème avec ça avant de te rencontrer, évidemment.

Père indigne — Évidemment.

Mère indigne — Non, mais c’est vrai, je n’avais jamais vraiment réfléchi à la question, mais tant qu’à avoir un one night stand poche, aussi bien s’arranger pour pouvoir s’acheter une 268 - Chroniques d’une mère indigne 2

nouvelle paire de chaussures le lendemain, non ? Si on est bien prudent, au lieu de ramener une MTS à la maison, on ramène une paire de Manolo Blahnik.

Père indigne — Est-ce que tu as vraiment suivi des cours d’éthique à l’université ?

Mère indigne — Tu me prends pour qui ? Je n’achèterais pas de souliers en peau de serpent ou quoi que ce soit du genre.

Père indigne, une drôle de lueur dans le regard — Écoute, je ne suis pas certain que ton attitude soit tout à fait normale, mais juste comme ça, par curiosité… Combien tu aurais chargé ?

Mère indigne, super capitaliste, super vite — Pour la soirée ?

Service complet ? Genre, cinq cents piastres. (Et, regardant Père indigne par-dessous d’un air éminemment sexy, enfin, elle essaie.) Mais pour certaines personnes très, très spéciales, j’aurais fait un prix d’ami. Cent cinquante. Taxes et tendresse post-coïtale incluses.

Père indigne — Écoute, je comprends que cette histoire de te faire payer pour des services sexuels est en quelque sorte un fantasme inassouvi chez toi. Si tu veux, et en tout respect pour ta valeur intrinsèque en tant qu’être humain, je serais prêt à…

Mère indigne — OUIIIIIII !

Père indigne sort un chèque et le remplit en ne se trompant même pas une seule fois, ce qui, pour lui, relève presque du miracle. Puis il le dépose triomphalement sur la table, devant Mère indigne qui s’en saisit d’une main, alors que, de l’autre, elle clavarde déjà avec les copines pour discuter des meilleures marques de chaussures de luxe.

Mère indigne, examinant le chèque — Tu es certain que tu veux me payer tout de suite ? On ne sait jamais, tu pourrais peut-être ne pas être satisfait…

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 269

Père indigne — J’ai toute confiance en ton professionna-lisme.

Plus tard, dans la chambre à coucher…

Père indigne — Ooooh. Il fait noir ici. Ça augure bien.

Mère indigne, de sous les couvertures — Grufahdkjgaomf.

Père indigne — Et ces grognements… Des cris d’amour ?

Mère indigne — Mal à la tête.

Père indigne — Mal à… Excuse-moi, mais les vrais professionnels ne demandent pas de congé de maladie quand ils sont sur un gros contrat.

Mère indigne — Écoute, entre le moment où tu m’as donné le chèque et maintenant, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’amour.

Père indigne — Mais… ça fait à peine une heure !

Mère indigne — Ouais, ben en une heure, je me suis tapé la méga-crise de Bébé qui ne voulait pas prendre son bain, pas brosser ses dents, pas se coucher, bref, pas collaborer. Bruyamment.Père indigne — D’où le mal de tête ?

Mère indigne — Non, ça je pense que c’est quand Fille aînée m’a demandé de lui trouver des extraits sonores de la maturité sexuelle des orangs-outangs.

Père indigne — Bon, d’accord, ça va. Je suis un client compréhensif. Redonne-moi mon chèque et on n’en parle plus.

Mère indigne — Je… Écoute, mon mal de tête est terrible, je ne sais plus où je l’ai cach- où je l’ai rangé…

Père indigne — Tu ne sais plus… ?

Mère indigne — Je l’ai peut-être même perdu… Va falloir que tu m’en fasses un autre.

270 - Chroniques d’une mère indigne 2

Père indigne — Dis donc, juste comme ça, dans ton test Facebook, c’était quoi le premier crime que tu étais susceptible de commettre ?

Mère indigne — Hum. Fraude.

Père indigne — Merde.

Mère indigne, après un bref silence — Quand je pense que tu as osé dire que je ne suis pas professionnelle.

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 271

Rapports préliminaires

Copine de longue date — Dis donc, ça fait combien de temps que tu es mariée, déjà ?

Mère indigne — Dix ans depuis une semaine. Dans la joie et l’allégresse.

Copine — Bon. J’imagine que tu vas pouvoir répondre à une question délicate.

Mère indigne — Tu sais que je suis la délicatesse incarnée.

Envoye, shoote !

Copine — OK, je me lance… (Copine prend une grande respiration.) Es-tu pour ou contre ça, toi, les préliminaires ?

Mère indigne — Les rapports préliminaires ? Moi, j’haïs ça.

Je me dis que, tant qu’à écrire un rapport, aussi bien faire le rapport final tout de suite.

Copine — T’es nulle. Je parle des rapports sexuels préliminaires.

Mère indigne — Aaaaaah. Ben là, tu rentres pas mal dans mon jardin secret.

Copine — Comme si ça t’avait déjà dérangé.

Mère indigne — D’accooooord, on peut en parler, mais c’est bien parce que c’est toi. Les préliminaires… Pouf, pouf.

Bon. Ces temps-ci, par exemple, y’a Bébé qui…

Copine — Change pas de sujet !

Mère indigne — Non, non ! Je veux dire que Bébé, à la garderie, elle a vu un spectacle de Dan Cowboy, et ensuite elle a passé deux semaines à appeler Père indigne « Dan Cowboy ».

Puis elle a suivi des ateliers de prévention des incendies avec le 272 - Chroniques d’une mère indigne 2

pompier François. Maintenant, quand elle revient à la maison, elle appelle Père indigne « Pompier François ». À force de l’entendre, j’ai décidé d’essayer ça moi aussi. On s’est bien amusés.

J’ai écrit à Sacha Distel pour lui dire qu’on avait retrouvé les tuyaux. Dans l’écurie.

Copine — Sacha Distel est mort. Et les pompiers pis les cowboys, c’est des jeux de rôle, pas des préliminaires.

Mère indigne — Pffff. Franchement, si le résultat est le même, je ne vois pas pourquoi on s’enfargerait dans les fleurs du préservatif.

Copine — En tout cas, moi, après sept ans et deux enfants, les préliminaires, ça me branche moins. Tu sais, au début, quand j’étais dans une humeur séductrice et que Copain me disait « Trouve des arguments pour me convaincre », j’étais en forme. Je pouvais aller mettre des sous-vêtements sexy…

Mère indigne — … Faire un strip-tease…

Copine — … Sortir la crème fouettée…

Mère indigne — … Le fouet…

Copine — C’est un jeu de rôle, ça, Seigneur. Essaie de te concentrer un peu.

Mère indigne — Le fouet est un jeu de rôle, le fouet est un jeu de rôle, le f-Copine — Ça va, ça va… En tout cas, tout ce que je veux dire, c’est que maintenant, avec toute la routine des enfants avant le dodo, les tâches ménagères, les sandwichs du lendemain à préparer… ben, les préliminaires, ça fait un peu perte de temps.

Mère indigne — Tu es plus du genre « Prends-moi comme une bête, que j’aille préparer les lunchs ensuite ».

Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 273

Copine — Ouain. En fait, l’autre soir, je pense que j’ai atteint les bas-fonds de la séduction. S’il y avait une police du sexe, j’aurais eu un ticket et au moins trois points de démérite.

Mère indigne — Mon Dieu. Qu’est-ce que tu as fait ?

Copine — Ben, j’étais dans une sorte d’humeur séductrice, alors Copain m’a dit « As-tu des arguments pour me convaincre ? »…

Mère indigne, haletante — Et…

Copine — Et je venais de prendre ma douche. Alors j’ai dit :

« Je suis propre. »

Mère indigne — …

Copine — …

Mère indigne — Ton argument de séduction, c’était que tu venais de te laver ?

Copine — … C’est pathétique, hein ?

Mère indigne — Ça va être quoi, ton argument, dans quatre ou cinq ans ? « Je suis LÀ » ?

Copine — Tu ris, mais ça a fonctionné quand même.

Mère indigne — Tu devrais faire de la politique. « Des parties propres au Québec. »

Copine — Bon. Ça y est. Je pense que je vais nous réserver une fin de semaine dans une auberge, sans enfants. Pour renouer avec les préliminaires et m’éviter tes blagues à l’avenir.

Mère indigne — Ça, c’est des promesses électorales comme on les aime.

274 - Chroniques d’une mère indigne 2

Inédit

Mathématiques, le nouveau programme

Aussi bien vous le dire tout de suite, quand il m’arrive d’élever mes enfants, je n’utilise jamais tellement de méthode éducative.

J’ai terriblement honte de l’avouer, mais je dédaigne autant les bons vieux adages qui ont fait leurs preuves (comme

« Braille, tu pisseras moins » et « Si t’es pas joli, sois poli ») que les trucs nouvelle génération du 3e millénaire, genre Bébé Einstein et, hum… nous n’avons qu’à songer à… Bon, à vrai dire, je les dédaigne tellement que je ne les connais même pas.

Non, mais, sans blague. Bébé Einstein ! Mes filles faisaient déjà leurs fanfaronnes à seize mois. S’il avait fallu en plus que je les branche sur Bébé Einstein alors qu’elles baignaient encore dans le liquide amniotique, je me serais retrouvée avec des bébés qui sifflotent le concerto brandebourgeois la tête à peine sortie de mon ventre meurtri ! L’horreur. Et j’ai bien eu une époque « Variations Goldberg », mais là c’est terminé ; ce n’est pas un terrible two qui va se mettre à me les infliger sur un xylophone Fisher Price alors que moi, je ne sais même pas jouer Frère Jacques avec, euh, ma bouche.

Comprendre les grands fondements de la relation parent-enfant, ça, je suis d’accord. « Parents efficaces », génial. Tout ce qui fait en sorte que le petit est au lit à 8 h et votre gin tonic sur la table à 8 h 07, parfait. Le reste ? C’est au goût.

Je répète : au goût ! Ça vous allume ? C’est tout ce qui compte !

Vous aimez Eine Kleine Nachtmusik à la flûte à bec va-seuse agrémentée de petits coups de triangle, pfruittt, pfruittt, Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 275

tching-a-cling ? Allez-y pour Bébé Einstein. Vous préférez les airs plus explicites où l’on chante l’amour entre les oiseaux et les écureuils ? Optez pour la Compagnie créole. La pochette de disque montre des Antillo-Guyanais en sueur qui se dandinent lascivement sur une piste de danse plutôt que des gorilles sou-riants, des alligators végétariens et des chatons pas de griffes ?

Qu’à cela ne tienne ! Soyez fous ! Ce n’est pas parce que c’est fait pour les grands que les enfants ne peuvent pas apprécier. Et vice versa, d’ailleurs. Hein, les papas avec Annie Brocoli ?

Mais, se demandent certains, le regard effaré par tant de criminel laisser-aller parental, les vertus éducatives, dans tout ça ? Mère indigne — En tout cas, moi je dis que, si tout le monde s’amuse, c’est parce que ça marche. Que ce soit écrit

« jeu éducatif » sur la boîte ou non.

Amie jeune maman — Mais quand même. Ils font des recherches, là, ceux qui conçoivent des jouets éducatifs. Ils expérimentent. Ils doivent bien…

Mère indigne — Pfff ! Ils expérimentent ! Je ne crois pas à ça, moi, qu’ils expérimentent. T’as déjà vu les formulaires qu’il faut remplir avant d’expérimenter sur les sujets humains ?

Amie jeune maman — Mais ils doivent bien faire des tests !

Prends Bébé Einstein…

Mère indigne — Bébé Einstein ! Ne me parle pas de Bébé Einstein ! Tu sais c’est quoi, leur slogan, à Bébé Einstein ?

Amie jeune maman — N… non ?

Mère indigne — « Bébé Einstein éveille les bébés du monde entier » ! Éveille les bébés ! Est-ce qu’on peut se calmer ? Après tous les efforts qu’on fait pour les endormir ? Les salauds.

Amie jeune maman — J’avoue. Mais l’autre jour, quand même, j’écoutais un documentaire fascinant. Ça parlait de 276 - Chroniques d’une mère indigne 2

l’importance, pour un enfant, de marcher à quatre pattes.

C’était tellement convaincant, je te jure, je vais tout faire pour que Justin ne passe pas directement du stade assis au stade debout, sans marcher à quatre pattes.

Mère indigne, sur la défensive — Fille aînée n’a jamais marché à quatre pattes.

Amie jeune maman — Eh bien, semble-t-il que, quand un enfant n’a pas marché à quatre pattes, il risque d’avoir des difficultés plus tard, au niveau des mathématiques.

Mère indigne — Au niveau des ma- ? Et puis quoi, encore ?

Amie jeune maman — Je te jure ! Même que les enfants plus vieux, là, de sept ou huit ans, qui avaient des problèmes en mathématiques, eh bien, ils les ont fait marcher à quatre pattes et ça a fonctionné ! Ils se sont améliorés.

Mère indigne — (Cligne, cligne. Cligne.) Amie jeune maman, légèrement mal à l’aise — C’est vrai.

Sérieusement. Ils ont mieux performé. En maths.

Mère indigne — Force-moi à marcher à quatre pattes, je te garantis que je vais l’apprendre, ma table des multiplications.

Amie jeune maman — Ah, ouais… Je n’y avais pas pensé.

Mère indigne — Même pas besoin de faire une étude pour en être sûr.

Plus tard…

Mère indigne — Alors là, moi, j’y dis, « Force-moi à marcher à quatre pattes, tu vas voir que je vais l’apprendre, ma table des multiplications » ! Non mais, c’est vrai ! Être forcé de marcher à quatre pattes ! Tu t’imagines ? La honte ! Ils vont faire un doctorat en géométrie algébrique, ces enfants-là, pour ne plus être obligés de se tortiller comme des imbéciles devant leurs copains. Moi, je dis, ils ne veulent pas marcher à quatre pattes, laissons-les libres ! Moi, je dis, ils sont nuls en maths, essayons Chapitre 7 - Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe - 277

de trouver une méthode d’apprentissage qui va les allumer !

C’est tout ce qui compte !

Père indigne — Oui, chérie. Tu as parfaitement raison.

C’est tout ce qui compte. D’ailleurs, tu me dis si je me trompe, mais toi-même, tu es passablement nulle en maths.

Mère indigne — Euh…

Père indigne — N’est-ce pas ?

Mère indigne — C’est assez vrai…

Père indigne — Alors…

Mère indigne — Alors… ?

Père indigne — Alors… Moi je dis que je ne te ferai pas marcher à quatre pattes. Jamais.

Mère indigne — J… Jamais ?

Père indigne — Jamais.

Mère indigne ne dit rien.

Mais prend un air étrangement déconfit.

Père indigne — Enfin… sauf si ça t’allume.

Mère indigne semble tout à coup ragaillardie. « C’est vrai que j’ai toujours fantasmé sur la géographie algébrique… Mais va falloir travailler fort… »

Père indigne — Tu peux compter sur moi.

278 - Chroniques d’une mère indigne 2

Inédit

Épilogue

Ça y est.

C’est fait.

Fille aînée ne croit plus au père Noël.

Par une belle fin d’après-midi de décembre, ma fille de neuf ans et demi a émergé de son territoire (le sous-sol du bungalow, où il y a la télé), s’est introduite dans mon territoire (la cuisine, où il y a tout pour l’apéro) et m’a demandé, l’air trop innocent : « Maman, qu’est-ce que je vais recevoir comme cadeaux, à Noël ? »

Moi, évidemment, je me suis plongée dans mon rôle de mère de jeune enfant comme un lutteur professionnel se jette sur son adversaire du haut de la quatrième corde : « Mais, je l’ignore, ma chérie ! C’est le père Noël qui sait quels seront tes cadeaux. Qu’est-ce que tu lui as demandé, au père Noël, dans ta lettre ? »

Fille aînée — Hin, hin. Rien, rien. C’est correct.

Derrière elle, se fit entendre un autre petit « hin, hin »

amusé et supérieur.

Pas Bébé, non. Eugénie.

Eugénie, dont le regard fourbe traduisait les sinistres pensées : « Eh oui, madame la Folle ! Pendant tous ces mois, j’ai joué la petite fille sage, mais je préparais en fait mon grand coup. Exit, le gros bonhomme rouge ! Plus d’excuse de lettre soi-disant perdue sur le chemin du pôle Nord pour expliquer l’absence de la Wii sous le sapin ! Grâce à moi, Fille aînée est enfin devenue une véritable préado. »

Épilogue - 279

À partir du moment où Eugénie s’en était mêlée, j’ai su qu’une discussion familiale sérieuse (c’est-à-dire autour de la table, à l’heure du souper, quand tout le monde a la bouche pleine et qu’il n’y a que moi qui puisse donner mon point de vue) s’imposait.

C’est ainsi que plus tard, devant les pâtes…

Moi — Chérie, dis-moi, pourquoi m’as-tu demandé quels seraient tes cadeaux à Noël ? Pourquoi crois-tu que je puisse le savoir ?

Père indigne, au courant de toute l’affaire, et décidé à y aller directement — Est-ce que, par hasard, tu aurais reçu quelques informations quant à l’existence, ou plutôt à la non-existence, d’un personnage reconnu pour sa longue barbe blanche et son habit rouge ?

Devant tant de franchise, je me suis sentie presque malade.

J’ai fait de grands yeux pour l’implorer de ralentir, de ne pas démolir avec tant d’allégresse les fondements du mythe de la bonté, du traîneau magique et de l’exploitation de la classe lutine. Mais Fille aînée n’a pas semblé traumatisée ; au contraire, elle rigolait. « Oui, c’est ça. »

Père indigne, d’un ton faussement intrigué — Es-tu en train de nous dire que ce personnage, c’est le père Noël, et que tu n’y crois plus ?

J’ai cru m’évanouir devant tant de brutalité. Mais Fille aînée rigolait toujours. « Ouain, c’est ça. J’y crois plus vraiment. »

Moi — De… Depuis quand ?

Fille aînée — Ben, ça fait déjà un bout de temps. Quand j’ai fouillé une fois dans le fond de votre garde-robe, j’ai vu que les rouleaux de papier d’emballage de Noël qui traînaient là étaient pareils comme le papier des cadeaux amenés par le père Noël.

(Note à moi-même : On a tellement bien fait d’installer une 280 - Chroniques d’une mère indigne 2

serrure sur le tiroir du haut de la commode !) En tout cas, je le sais pas mal depuis cet été, mais je ne voulais pas vous le dire, pour ne pas vous faire de peine.

S’ensuivit une discussion sur les ficelles et les rouages de la supercherie. Je suis sûre que Bébé, qui faisait mine de se fabriquer une perruque avec ses spaghettis bolognese, prenait en fait des notes.

Père indigne — Alors là, pendant que tu dormais, on pla-

çait les cadeaux sous le sapin…

Moi — Et c’est ton père qui bouffait les biscuits, même que, parfois, il allait s’en servir une autre assiette…

Père indigne — Bref, c’était bien, cette histoire de père Noël, mais il faut bien arrêter d’y croire un jour, n’est-ce pas ?

C’est ça, grandir, ma chérie…

Père indigne et moi, nous nous sommes regardés d’un air attendri. Voilà, c’était fait. Notre petite fille ne croyait plus au père Noël. Quelles seraient ses interrogations, désormais ?

Quelles autres illusions devrions-nous l’aider à démystifier dans sa voie vers la vie adulte ? Et, même comme adultes, tant de chimères peuplent notre esprit crédule… Quoi qu’il en soit, nous serions toujours là, nous, sa mère et son père, afin de l’aider à grandir dans la-Fille aînée — Le père Noël, j’y crois plus vraiment. Mais ses rennes, par exemple, je pense quand même qu’ils existent.

Parce que l’avoine que je mettais dans la pantoufle, dehors, pour les rennes, il avait quand même disparu, le matin.

Moi — Euh. Ben c’est moi qui l’enlevais.

Fille aînée — Mais l’intérieur de la pantoufle était mouillé !

Comme s’il y avait eu de la salive !

Moi — …

Épilogue - 281

Fille aînée — Non, mais, vraiment. Je suis sûre que les rennes existent.

Euh, Eugénie… ? Tu veux bien revenir jouer à la maison un de ces quatre ? Je pense qu’on a besoin d’un exorcisme.

FIN

Table des matières

Qu’est-ce qu’on dit… ?

9

Introduction : Indigne un jour…

10

Fiches signalétiques

14

Chapitre 1

Mère indigne est bête et méchante

19

Jeu drôle (une fiction cathartique)

20

Appétit de destruction (une fiction cathartique) 23

C’t’une fois deux mères : mal et diction 26

Bonne pâte

30

Reproduction, mensonges et mousse au chocolat 33

Sœur fou rire

37

Un amour interminable

39

Un amour irrévocable

43

Le sadisme, la brutalité et autres passe-temps familiaux (une demi-fiction cathartique) 46

À névroses, névroses et demies

51

Pinocchio serait fier de moi

54

Ne pelure pas, Jeannette

58

Chapitre 2

La vie selon Bébé

59

Les vraies affaires

60

Pourquoi nous rions de nos ados devant leurs amis 62

Toupie et Binou au pays du jambon magique 65

La sirène de l’autorité, ou la tentation de la vodka-orange en intraveineuse

68

Routine, shmoutine

71

L’estime de soi : ça sera pour une autre fois 76

Ça sent le printemps

78

Comme dirait Adamo, c’est ma vie

78

L’étiquette, encore et toujours

78

Fichu tissu

79

Terrible taxi

80

Poisson à un autre appel

82

La déprime hivernale

87

C’est lui, son idole

91

Quotidien ingrat

93

Mots de Bébé

94

Et vlan dans les dents

96

Suis-moi, je te fuis…

100

Chapitre 3

Fille aînée superstar

101

My heart belongs to Daddy

102

Oui aux engueulades

106

Père indigne, détective privé (de dessert) 109

Ça change du jambon roulé

111

Mère indigne et les doigts humains

114

Parle plus fort, j’ai un cartable dans l’oreille 117

Rhétorique d’enfer

119

Coma Chameleon

121

Les vacances d’été

123

L’ignorance, c’est le pied

127

Surprises et autres singeries

128

Le père Noël du campeur

131

Fille aînée, ou le côté obscur de la candeur (Une pas-fiction pas-cathartique)

135

Chapitre 4

Grandeurs (et surtout misères) du corps humain 137

Atchoum n’est pas seulement un ami

de Blanche-Neige

138

Atchoum est aussi un sale pervers

140

À la recherche de l’élégance perdue

142

Pitié pour papa

146

La prochaine fois, je vais même enlever les croûtes 148

Haleine(s)

149

C’t’une fois deux-trois mères : obsession sécuritaire 150

Il n’y a pas de hasard

154

La taille de Jean-Louis

155

Chapitre 5

Les copines… et les copains

159

C’t’une fois deux mères, authentique et non censuré 160

C’t’encore une fois deux mères : qu’est-ce qu’on s’éclate 162

Hiiiiiiiiiiiiiiiii, suite (et fin ?)

164

Milieux humides

167

L’avis des bêtes

171

La voie lactée

175

Changement de paradigme

179

Le homard en héritage

182

En-cas d’urgence

186

Le saucisson d’Ex

192

Peau de vache

198

Listes d’attentes

201

Chapitre 6

Sœur indigne s’en mêle

205

Esprit des fêtes, es-tu là ?

206

À oublier au plus vite

211

Moi maman, toilettes (c’est supposé être un jeu de mots, mais pas nécessairement génial) 217

Redécouvertes

222

Faites ce que je dis, pas ce que je fée 226

Ville (Lumières)

228

Bébé ne répond plus

230

Pour en finir avec le bricolage

232

Fais dodo, mon petit hamster

236

Chapitre 7

Comment se servir des enfants comme prétexte pour parler de sexe

243

Exhibitionnouille

244

Raviver la flamme, un fantasme à la fois 246

On n’apprend pas à une maman singe…

248

Mère indigne sur la corde raide (une fiction dindo-masochiste)

253

L’amour à trois, ou les alexandrins de la frustration 258

Échec et maths

260

Les joies de la lecture

265

Mère indigne exagère, mais il faut bien gagner sa vie 268

Rapports préliminaires

272

Mathématiques, le nouveau programme

275

Épilogue

279

Pour effectuer une recherche libre par mot-clé à l’intérieur de cet ouvrage, rendez-vous sur notre site Internet au www.septentrion.qc.ca Tous les livres de la collection Hamac sont imprimés sur du papier recyclé, traité sans chlore et contenant 100 % de fibres postconsommation, selon les recommandations d’ÉcoInitiatives (www.ecoinitiatives.ca).

En respectant les forêts, le Septentrion espère qu’il restera toujours assez d’arbres sur terre pour accrocher des hamacs.

composé en warnock corps 10

selon une maquette de pierre-louis cauchon ce quatrième tirage a été achevé d’imprimer en novembre 2009

sur papier enviro 100 % recyclé

sur les presses de l’imprimerie marquis à cap-saint-ignace

pour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion

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