20 – LA FIN D’ERICK SUNDS

Fandor n’avait point quitté l’atelier de Sunds depuis une demi-heure et l’artiste était encore évanoui, étendu immobile sur le sol, que deux hommes s’arrêtaient à la porte de l’atelier.

Deux hommes qui n’étaient autres que Fantômas et Dick.

Fantômas riait. Dick, très grave, paraissait préoccupé. Il rompit le silence :

— Fantômas, disait-il, vous m’avez promis tout à l’heure, d’épargner Sarah si je vous faisais retrouver les papiers de votre fille. Pour vous faire retrouver ces papiers, je vous ai conduit ici. J’imagine que vous tiendrez votre promesse.

— Dick, vous devriez savoir ce que vaut ma parole. Mais les papiers d’Hélène sont-ils vraiment ici ? Je m’étonne que vous m’ayez conduit en un pareil endroit. Vous m’avez affirmé que ces papiers se trouvaient entre les mains de ma fille. Croyez-vous donc que ma fille les ait cachés dans cet atelier ?

— J’en suis sûr. Ils sont dans une grande potiche, je l’ai su par un espionnage habile.

Fantômas changea d’attitude :

— Vraiment ? Vous en êtes certain, Dick ? Dans ce cas je reconnais que vous avez tenu votre promesse, et c’est pourquoi je tiendrai la mienne.

Il s’arrêta de marcher, regarda fixement l’homme qui était le fils de Valgrand, l’homme dont il avait fait le malheur.

— Je tiendrai ma promesse, répéta-t-il gravement, et je la tiendrai immédiatement. Vous voulez que Sarah Gordon ait la vie sauve, Dick ?

— Certes, répondait l’acteur en blêmissant, ne vous l’ai-je pas dit ?

— Eh bien, si vous voulez sauver Sarah Gordon, il faut immédiatement que vous vous rendiez à la Chapelle, au cabaret du père Korn. Le premier sergent de ville, le premier passant venu vous l’indiquera. Il donne rue de la Charbonnière. Entrez-y, Dick Valgrand. Faites en sorte d’écouter ce qui se dira. Au bout d’un certain temps, vous entendrez un homme parler de la dame d’Enghien. Abordez-le. Ce sera l’un de mes lieutenants. Vous lui montrerez, tenez, cette simple pièce de monnaie, percée de trois trous. Vous lui direz que Fantômas lui ordonne de rester tranquille. Dépêchez-vous. Faites diligence ! Si vous ne rencontrez pas cet homme dans moins de deux heures votre maîtresse sera morte.

— Sarah court un danger en ce moment ?

— Un danger de mort.

— Vous avez donné des ordres, Fantômas ?

— Je n’ai pas à vous répondre. Vous avez tenu votre promesse. Je tiens la mienne. Nous sommes quittes. Allons, dépêchez-vous, courez… Souvenez-vous, Dick, que dès à présent, j’estime que je ne vous dois plus rien, je me souviens seulement que vous êtes en lutte contre moi, et ceux qui luttent contre moi, je les tue.

Fantômas avait tiré de sa poche un revolver, il le braqua sur Dick :

— Je vous dois une leçon encore. Songez que j’étais armé, quoique vous ayez pu croire le contraire, j’ai toujours deux revolvers sur moi. Mais vous le voyez, j’ai tenu ma parole. Vous m’avez conduit vers les papiers de ma fille, je vous donne la vie de Sarah Gordon, et je ne vous tue pas immédiatement, nous sommes quittes vous dis-je, partez !

— Soit, nous sommes quittes en effet, Fantômas, et nous pouvons recommencer à être ennemis. Si nous nous retrouvons face à face, ne me ménagez point, car pour Dieu, je ne vous ménagerai pas. Adieu Fantômas !

— Au revoir, Dick Valgrand.

À peine Valgrand éloigné, le bandit éclatait de rire :

— Quel imbécile que ce jeune homme, murmurait-il. Le voilà qui se rend au cabaret du père Korn, persuadé qu’il va sauver Sarah. La belle histoire. De deux choses l’une. Ou il ne trouvera personne là-bas, ou le hasard voudra qu’il y rencontre le Barbu. Si le Barbu est au cabaret, si Dick lui présente la pièce percée que je lui ai confiée, l’affaire est claire, Dick Valgrand est un homme mort. Et maintenant, au travail.

Brusquement, Fantômas ouvrit la porte. Brusquement il entra dans l’atelier.

— Sunds, appela-t-il, c’est moi.

Fantômas avait-il donc des relations avec l’extraordinaire fabricant de vieux neuf ?

Le bandit s’étonna de ne pas obtenir de réponse :

— Tu n’es point là, Sunds ?

Dans un coin de l’atelier, Fantômas venait d’apercevoir le corps de l’artiste, étendu de tout son long.

Il se précipita vers l’homme écroulé, le releva, le porta sur le divan.

— Sunds, demanda-t-il, m’entends-tu ?

Mais Sunds restait évanoui.

Alors Fantômas avisa un flacon de rhum traînant sur une table, il entrouvrit de force les lèvres du blessé, y versa quelques gouttes de la puissante liqueur.

— Bon Dieu, que m’est-il arrivé ? demandait Sunds, ouvrant enfin les yeux.

— Je n’en sais rien, mais tu sembles mal en point, camarade.

Or, à ce moment, la mémoire revint au malheureux Danois :

— Tiens, c’est toi Fantômas ? Ma foi, tu aurais bien fait d’arriver cinq minutes plus tôt.

— Pourquoi ?

— J’ai reçu une tripotée numéro un. Ça je peux m’en vanter.

— De qui ?

— De Mathusalem.

— C’est Mathusalem qui t’a mis en cet état ? interrogea Fantômas. Qui est-ce Mathusalem ? Il vit encore ?

— Mathusalem ? C’est un vieux qui est un jeune. Voilà. C’est exactement la même chose que Daniel qui est une femme. Vrai, Fantômas, depuis quelque temps, je ne sais plus comment je vis. Je ne sais pas ce qui se manigance autour de moi, mais tout se complique bigrement.

Le pauvre Sunds se frottait toujours les membres. Levant les yeux, il finit cependant par remarquer le visage sombre et l’air irrité de Fantômas.

— Au fait, demanda-t-il, qu’est-ce que tu viens faire chez moi, toi ? Il était convenu entre nous, depuis l’affaire de Bagatelle, que tu ne remettrais pas les pieds dans mon atelier. Je ne comprends pas ta présence ici.

— Tu vas comprendre, déclara sardoniquement Fantômas. Es-tu en état de me répondre ?

— Assurément, je suis aussi en état de me frictionner avec de l’essence de térébenthine. Bon Dieu, cet animal de vieux m’a littéralement coupé la peau. Demain je serai noir et bleu. Drôle de drapeau.

Sunds était gai. Fantômas, brutalement le rappela à l’ordre :

— Tais-toi, ordonna-t-il, tu riras plus tard, si tu en as le temps.

— Ah ça, qu’est-ce qui te prend, Fantômas ? Tu n’as pas l’air de bonne humeur ?

— Où sont les papiers de ma fille ?

— Les papiers de ta fille ? Quels papiers ? Je ne connais même pas ta fille.

— Si, tu connaissais Daniel ?

— Daniel ? Allons bon. Voilà que Daniel était ta fille.

Mais Fantômas n’était pas en disposition d’esprit pour entrer dans des explications. Il répéta brutalement :

— Parle… Où sont les papiers de ma fille ?

— Je n’en sais fichtre rien !

— Et moi, Sunds, je te dis que tu dois le savoir. Ils sont cachés chez toi, ici.

— Ici ? fit Sunds d’un air incrédule.

— Ici, oui, dans une potiche.

Or, Fantômas n’avait point dit ces mots : « dans une potiche », que Sunds se redressait.

— Ah bon Dieu de bon Dieu, jurait l’artiste, mais alors, je comprends, je comprends tout ! Ce sont ces papiers que ramassait le vieux-jeune pendant que je cognais dessus, avec tant de plaisir. Eh bien, c’est du joli ! S’il y avait des papiers, Fantômas, ils étaient dans la potiche que tu vois brisée par terre, et s’ils sont quelque part maintenant, ils sont dans la poche de l’individu qui m’a si promptement roué de coups.

La déclaration que faisait Sunds était en tout point sincère.

Fantômas cependant, fronça les sourcils, prit un air plus terrible encore :

— Tu mens, jurait-il, je sais que tu mens ! Sunds, c’est toi qui as pris ces papiers.

— Mais non, ce n’est pas moi.

— Si, et le vieux dont tu parles n’existe que dans ton imagination. Tu me joues la comédie en ce moment. Peut-être m’as-tu entendu parler devant ton atelier avec Dick Valgrand, et as-tu décidé de me jouer la scène que tu me joues ? Oh, oh, Sunds, il faut avoir bien de l’audace pour tenter de me faire chanter, moi ! Rends-moi ces papiers immédiatement, ou apprête-toi à apprendre ce que j’ose dans ma colère.

Mais Sunds, sans se rendre compte peut-être de l’état d’énervement où était Fantômas, demeurait fort calme et fort souriant :

— Patron, ripostait-il, je me demande ce que tu as aujourd’hui. Une fois, deux fois, trois fois, je n’ai pas ces papiers. Si d’ailleurs quelqu’un doit se plaindre, c’est moi, Fantômas, et pas toi. Car enfin, d’après ce que tu me dis, je comprends que la correction que je viens de prendre, je l’ai prise à propos de ces maudits papiers, dont je ne soupçonnais pas l’existence. Que diable, pourquoi donc aussi t’étais-tu amusé à les cacher chez moi, sans me prévenir ?

La bonne foi de Sunds était évidente. Mais la colère aveuglait Fantômas :

— Ce n’est pas moi qui ai caché ces papiers, hurlait-il, c’est ma fille, c’est Daniel.

— Dis donc, Fantômas, au fait, est-ce que par hasard le vieux Mathusalem, qui est jeune, ne serait pas un policier ?

— Laissons cela ! dit Fantômas. Je saurai plus tard si tu dis la vérité et je serai toujours en mesure de te châtier si tu mens. Il y a autre chose, Sunds, réponds-moi franchement, où est le tableau ? Je le veux. Il est temps que l’affaire nous profite.

Or, à ces mots, Sunds éclata de rire. Il retrouvait toute sa bonne humeur pour déclarer à Fantômas :

— Vrai, patron, tu exagères aujourd’hui. D’abord, tu me réclames quelque chose que je n’ai pas, et ensuite, tu me demandes autre chose que je ne peux pas avoir.

— Quelque chose que tu ne peux pas avoir ? Sunds, le tableau qui était à Bagatelle, remplaçant le fameux Pêcheur à la ligne, n’a aucune valeur. C’est une croûte. Il est inadmissible que tu ne puisses pas te le faire donner.

— C’est pourtant vrai. Cette croûte, comme vous dites, patron, a une valeur anecdotique, présente un intérêt documentaire. En tout cas, elle est célèbre maintenant, je n’ai pas pu me la procurer. Mais elle sera mise en vente prochainement par l’administration de l’Exposition. Ce n’est que partie remise. Nous l’aurons pour une bouchée de pain.

— Nous devrions déjà l’avoir. Tu me trahis, imbécile ! Je suis sûr que tu me trahis !

Or, à cette accusation, Sunds à son tour, se mit en colère.

— Zut, dit l’artiste, moi j’en ai assez de toutes ces manigances. Je te dis la vérité, Fantômas, et tu ne me crois pas. J’ai essayé d’avoir cette toile, je n’ai pas pu, une fois, deux fois. Crois-moi ou ne me crois pas, je n’y peux rien.

Sunds allait et venait dans son atelier, furibond :

— Voilà ce que c’est, répétait-il, on se donne un mal du diable pour satisfaire le client. On court le risque d’attraper dix ans de travaux forcés au moins, et après ça, on vous accuse de trahir. C’est à devenir neurasthénique.

Il allait continuer à se lamenter, à se plaindre, plaisantant déjà, car, au fond, Sunds était incapable d’une longue colère, lorsque Fantômas l’arrêta au passage, l’empoignant par le bras.

Le bandit, avec sa force herculéenne, attirait près de lui l’artiste en dépit de sa résistance :

— Sunds, dit-il, prends garde, tu n’as point l’air de savoir qu’il ne faut jamais lutter avec moi. Cela finira mal.

Il y avait en ce moment tant de cruauté froide dans l’attitude de Fantômas, sa physionomie respirait si bien la haine, que Sunds eut peur.

— Lâche-moi ! ordonna-t-il, brutal à son tour. Oui, cela finira mal, car si tu le prends sur ce ton, Fantômas, je le prendrai de la même manière. Ce que je disais tout à l’heure est vrai. J’en ai assez de ces manigances. Aussi vrai que je m’appelle Sunds, si tu ne me laisses pas tranquille, je vais raconter à la justice toute la combine, tout notre truc du faux tableau.

Le malheureux n’acheva pas. À peine avait-il proféré cette menace qui, à elle seule, prouvait combien peu l’artiste connaissait mal l’audace de celui qui était devenu son complice, que Fantômas bondissait sur lui, l’empoignait par le cou, l’étranglait à moitié, le renversait sur le sol.

— Qui me résiste meurt ! hurlait Fantômas. Ah, vraiment, tu parles de tout raconter à la police. Eh bien, nous verrons si les muets peuvent trahir. Car tu vas être muet, Sunds, muet pour toujours. Pas de bavards dans les cimetières.

Fantômas était à genoux sur le malheureux peintre, ses doigts l’étranglaient à moitié. Un instant, sa main desserra son étreinte, mais Sunds n’avait pas eu le temps seulement d’appeler au secours, que Fantômas avait tiré de sa poche un long bandeau de soie, qu’il portait toujours.

Il lui fallut moins d’une seconde pour bâillonner Sunds.

— Oh, oh, railla le Maître de l’Effroi, je crois que tu commences à te taire. Mais tu te tairas bien davantage dans deux heures.

Fantômas riait. Lentement, méthodiquement, il attachait les poignets de Sunds, il lui liait les jambes aux chevilles :

— Eh bien, imbécile, demandait-il, comprends-tu que j’avais raison en te disant que tout cela finirait mal ?

Sunds, à cet instant, était au comble de l’effroi : Que faisait Fantômas, que préparait-il ? À quelle diabolique besogne se livrait-il ?

Fantômas avait tiré au milieu de l’atelier une grande échelle qu’il appuyait au vasistas s’ouvrant sur le toit de la bâtisse :

— Sunds, annonça le tortionnaire, je n’aime pas les morts rapides. J’ai toujours la clémence d’accorder à mes victimes quatre ou cinq heures pour voir la mort en face et se repentir. Je te prépare un petit trépas qui te laissera tout le temps de réfléchir à la sottise dont tu as fait preuve.

Fantômas était revenu près de Sunds. Comme s’il eût soulevé un fardeau léger, il empoignait le corps de l’artiste, le jetait sur ses épaules. Fantômas, alors, gravit la haute échelle. Il ne semblait pas sentir le poids de Sunds, il agissait avec une parfaite liberté de mouvement.

Parvenu au haut de l’échelle, Fantômas ouvrit le vasistas, il se glissa sur le toit.

Il était six heures du soir. L’obscurité commençait. La ruelle près de l’atelier était déserte.

— Tout est fort bien, murmura Fantômas.

Il jeta Sunds sur le toit, le tira par les pieds, sans s’occuper des terribles blessures qu’il faisait au visage du malheureux, écorché aux aspérités des ardoises.

Fantômas roula Sunds jusqu’à la gouttière. Il y coucha l’artiste, en équilibre, le corps pendant à moitié dans le vide.

— Écoute-moi bien, déclarait le bandit, se penchant à l’oreille de sa victime, voici ce que je vais faire. À ton pied, j’attache une corde, cette corde rejoint la porte d’entrée de ton atelier, quand on ouvrira la porte, on tirera sur la corde, tu seras précipité dans le vide. Ne crois pas, Sunds, que ce soit tout. Il se pourrait que tu en réchappes. Somme toute, tu ne vas tomber que de cinq ou six mètres. Or, mon camarade, j’ai décidé ta mort. Écoute. Regarde : tu vois ce fil de fer ? Il est terminé par un nœud coulant, je le passe autour de ton cou, il y fera l’office d’un couteau de guillotine. Mon cher, quand tu dégringoleras dans le vide, tu te sentiras brusquement arrêté par ce licol tranchant. Le fil de fer n’est pas assez long pour que tu atteignes le sol. Tu seras suspendu et pendu si brusquement que j’aime à croire que tu auras la tête tranchée. Voilà ce qui t’attend, Sunds. Penses-y et demandes-toi s’il n’eût pas mieux valu me servir fidèlement ?

***

Pendant que cela se passait, qu’était devenu Fandor ?

Fandor, au sortir de l’atelier de Sunds, s’était précipité comme un fou dans les rues de Montmartre, cherchant à retrouver Hélène.

Ses recherches, malheureusement, étaient demeurées vaines et Fandor devait se résigner à comprendre que si la jeune fille l’avait reconnu, comme il était probable, au moment où il s’était précipité sur Sunds, elle n’en avait pas moins voulu s’enfuir, ne pas se montrer, ne pas se faire reconnaître.

« Peut-être, Hélène s’imagine-t-elle que je ne l’ai pas identifiée », pensait Fandor.

De guerre lasse, ayant battu les environs de l’atelier, Fandor s’était décidé à aller trouver Juve.

« Il faut que je le mette au courant, pensait le journaliste, il faut surtout que je lui rende ces fameux papiers, si miraculeusement retrouvés. Par exemple, je me demande comment Juve m’expliquera qu’ils étaient au fond d’une potiche, dans l’atelier de Sunds. Du diable si nous aurions pensé à cela. »

Rue Tardieu, Fandor eut la chance de trouver le policier à domicile.

Juve était à plat ventre par terre, et fumait avec conviction une pipe énorme. Il était d’une humeur massacrante :

— Qui va là ? demandait-il sans se retourner, comme Fandor ouvrait la porte de son cabinet de travail. Si c’est vous, Jean, allez au diable !

— Ça n’est pas Jean, c’est moi.

— Eh bien, vas-y quand même.

Fandor ne se démonta pas pour si peu.

— Mon vieux Juve, ce qui me plaît en vous, c’est que vous avez l’humeur agréable aujourd’hui. Enfin cela ne fait rien. Il paraît que je dois être mal reçu partout : en haut de la Butte, j’ai reçu une tripotée formidable, en bas de la Butte, je me fais envoyer au diable. Je vais tâcher de descendre sur les boulevards, peut-être qu’on ne m’y engueulera pas.

Juve, cependant, demeurait étendu. Sans même tourner la tête, il interrogea :

— Pourquoi as-tu reçu une tripotée au haut de Montmartre ? Et avec qui te l’es-tu flanquée ?

— Avec Sunds.

— Avec Sunds ? Qu’est-ce que tu fichais chez Sunds ? Il a eu raison de te fiche à la porte, cet homme, si tu venais l’embêter comme tu viens m’embêter.

— Juve, ce qu’il y a précisément d’injuste dans l’histoire, c’est que je suis aussi mal reçu par vous que par Sunds, or, je fais chez vous le contraire de ce que j’ai fait chez Sunds.

— Qu’y faisais-tu, animal ?

— Juve, j’ai pris chez Sunds, quelque chose… et ce quelque chose, je vous l’apporte.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Cela.

Fandor, d’un geste rapide, jeta les papiers d’Hélène à Juve.

Sur ce, il fit à son vieil ami, le récit de ses aventures.

— Et voilà, qu’est-ce que nous allons faire ?

Juve n’hésita pas.

— Ce que nous allons faire ? Aller trouver Sunds, parbleu ! Il y a gros à parier que c’est cet individu qui s’est glissé chez moi, en prenant ma tête pour voler les papiers d’Hélène, puisque en somme, c’est chez lui que tu viens de retrouver ces papiers. Sunds, c’est sûrement un complice de Fantômas.

***

Juve et Fandor se hâtèrent de remonter la Butte Montmartre. Vers sept heures et demie ils arrivaient à l’atelier du peintre.

— Attention, recommanda Juve, j’ai tout lieu de croire que le bonhomme doit être sur ses gardes. S’il s’est battu avec toi, Fandor, tu admettras bien que, tout déguisé que tu étais, il a dû supposer que tu jouais un rôle louche. Donc, quand il va nous apercevoir, il va tâcher de se défiler le plus vite possible. Tu vois ce qu’il y a à faire, Fandor ?

— Oui, nous entrons dans le jardinet sans faire de bruit, nous nous glissons jusqu’à la porte. Cette porte, nous l’ouvrons rapidement, et, non moins rapidement nous nous précipitons sur le nommé Sunds que nous accablons de questions.

Juve et Fandor se glissèrent, comme ils venaient d’en convenir, dans le jardinet qui précédait l’atelier de Sunds.

— Doucement, recommandait Juve.

Au même instant, Fandor posa son bras sur l’épaule du policier.

— Entendez-vous ?

— Non, quoi ?

— On aurait dit un gémissement.

— Tu es fou.

Le policier, pourtant, prêtait l’oreille. Fandor ne s’était pas trompé. Quelqu’un gémissait, un cri étouffé s’entendait à peu de distance.

Alors Juve prit son parti :

— Vite, dit-il, et le revolver au poing.

Ils se précipitèrent au même instant vers la porte de l’atelier, l’ouvrirent brusquement.

Mais, en ouvrant cette porte, Juve réalisait, à son insu, les horribles prévisions de Fantômas :

La corde tirait hors de la gouttière le malheureux Sunds, Juve et Fandor n’avaient pas le temps de se reconnaître qu’un corps leur tombait sur la tête, cependant qu’à quelques pas d’eux une sorte de boule ronde, sanglante, roulait.

C’était la tête de Sunds, la tête que le fil de fer avait tranchée net, comme l’avait prédit Fantômas.