3 – ENLÈVEMENT D’UNE FEMME
Delphine Fargeaux n’avait peut-être pas été la seule personne à éprouver à la fois de la surprise et de l’angoisse, lorsque après avoir parlé avec les deux hommes mystérieux à l’accent espagnol rencontrés derrière le pavillon de chasse, elle avait entendu, provenant de la colline de sable voisine, une sorte de bruissement doux et sourd qui la faisait tressaillir en même temps qu’elle recevait sur le bas de sa jupe une pluie de sable fin et de gravier.
Les hommes, de leur côté, s’étaient éloignés et dès lors, dans le silence et l’obscurité, semblaient devoir renaître un calme et une immobilité absolus aux abords du pavillon de chasse.
Au bout de quelques minutes, cependant, un léger bruit se produisit et les lianes touffues de vignes vierges aux larges feuilles qui obstruaient presque complètement l’entrée d’une petite tonnelle accotée au pavillon, s’écartèrent lentement pour laisser passage à une personne qui fit quelques pas hésitants, puis s’arrêta net, réprimant un léger cri d’inquiétude, de peur.
C’était une femme qui sortait de cette cachette improvisée.
À quelques mètres d’elle, sur le flanc de la colline, elle aperçut tout d’un coup une sorte de chose ronde et sombre qui, après avoir effleuré le sol, s’y enfonçait avec rapidité et violence, soulevant autour d’elle un véritable nuage de poussière sablonneuse.
La femme ayant assisté à ce spectacle était dans l’espace d’un instant, tout comme Delphine Fargeaux, brusquement saupoudrée de sable fin des pieds jusqu’à la tête.
Elle recula machinalement, rentra dans la tonnelle, mais dès lors, comme rien de suspect ne se produisait à nouveau, elle s’enhardit et sortit de sa cachette.
Cette tonnelle était placée juste à l’opposé du pavillon devant lequel s’étaient entretenus Mme Fargeaux et ses deux interlocuteurs. Cette disposition avait fait que la femme cachée à l’intérieur n’avait certes rien pu entendre de leur conversation. Elle ne paraissait d’ailleurs que médiocrement troublée, et sitôt l’incident de la pluie de sable terminé, elle n’hésita pas à venir s’asseoir au pied d’un arbre, ne souffrant aucunement, semblait-il, de la température fraîche de la nuit, tant elle paraissait préoccupée.
Cette femme, jeune, élégante, à la silhouette distinguée, n’était autre qu’Hélène, la fille de Fantômas.
La tête appuyée entre les mains, Hélène réfléchissait au milieu de la nuit et se rappelait le passé. Toutefois, sa pensée se reportait plus volontiers sur les huit derniers jours qu’elle venait de vivre.
Au début de la semaine qui s’achevait, Hélène avait quitté Paris en compagnie d’une pierreuse, Fleur-de-Rogue, que la fille de Fantômas avait connue lorsqu’elle habitait Belleville où elle-même était connue sous le sobriquet de la Guêpe, qui lui avait été donné eu égard à la finesse de sa taille.
Hélène, à la suite de péripéties sans nombre, et n’écoutant que son bon cœur, avait recueilli un malheureux bébé, un orphelin dont la mère était une victime du sinistre Fantômas, mais après ce geste de dévouement, la jeune fille, en envisageant sa vie si tourmentée, si peu tranquille, avait cherché à mettre en lieu sûr ce pauvre petit être que l’existence n’avait pas encore armé pour la lutte. Dupée par Fleur-de-Rogue, Hélène avait accepté de partir avec la pierreuse et l’enfant, pour un village perdu au milieu des Landes, où le petit Jacques – c’était le nom du bébé – devait, lui assurait la pierreuse, trouver une brave femme qui s’occuperait de lui. Confiante et naïve en la circonstance, Hélène avait accepté avec joie la proposition de celle qu’elle considérait comme une amie.
Elle était donc arrivée avec sa compagne et l’enfant, il y avait de cela neuf jours exactement, au village de Beylonque, à deux kilomètres de la station du chemin de fer de Bordeaux à Bayonne.
Les voyageuses avaient fini par atteindre, après plusieurs heures de marche, une maison délabrée. Cette maison était vide, déserte. Fleur-de-Rogue s’y était installée, comme si elle eût été chez elle, et son attitude était si naturelle, si simple, qu’Hélène n’en avait pris aucun ombrage. Mais la situation avait brusquement changé. L’attitude de la pierreuse se modifiait brusquement et celle-ci, jetant son masque d’hypocrisie, se montrait à Hélène telle qu’elle était réellement, c’est-à-dire la farouche maîtresse du sinistre Bedeau, le plus redoutable des apaches parisiens.
Fleur-de-Rogue s’était révélée aussi vindicative, hargneuse, jalouse surtout et, s’armant d’un couteau, elle avait menacé la fille de Fantômas.
La lutte avait été courte, mais son issue, sans aucun doute, allait être fatale à la malheureuse fille de Fantômas.
Fleur-de-Rogue la terrassait et Hélène se rendait compte que s’il ne survenait pas quelque chose d’extraordinaire dans l’espace d’une demi-minute, c’était pour elle la mort la plus affreuse et la plus certaine. Mais ce quelque chose était survenu. Brusquement, Fleur-de-Rogue avait lâché sa victime, elle était retombée en arrière en poussant un terrible gémissement. Une balle tirée du dehors avait fracassé la mâchoire de la pierreuse, transperçant aussi la gorge, et Fleur-de-Rogue, gisant dans une mare de sang, n’avait pas tardé à rendre le dernier soupir.
Atterrée, stupéfaite, puis, prise d’une inquiétude folle, Hélène qui avait considéré ce spectacle avec des yeux hagards, pleins d’épouvante, réagit alors, faisant sur elle-même un effort surhumain.
— Quelqu’un, se disait-elle, a tiré, quelqu’un a tué Fleur-de-Rogue.
La jeune fille se précipita à la fenêtre et elle entrevit, se profilant confusément sur l’ombre, une silhouette qui s’enfuyait, une silhouette féminine. N’écoutant que son courage, voulant à toute force assouvir sa curiosité, Hélène s’élança à la poursuite de cette ombre. En vain.
La jeune fille alors, malgré l’appréhension qu’elle éprouvait, était revenue sur ses pas. Elle voulait rentrer dans la maison tragique pour y reprendre l’enfant qui s’y trouvait encore. Toutefois, lorsque Hélène était arrivée devant la masure qui avait été le théâtre d’un drame aussi bref qu’incompréhensible, elle s’était heurtée à une porte rigoureusement verrouillée, à des volets hermétiquement clos. Il lui avait été impossible de rentrer dans la demeure qu’elle venait de quitter. Pendant près d’une heure, au milieu de la nuit, la jeune fille s’était efforcée de franchir les obstacles que des êtres inconnus opposaient ainsi à sa volonté.
Ne pouvant réussir, elle avait reculé.
Qu’était devenue, depuis lors, la fille de Fantômas ?
Elle avait erré pendant toute la nuit, puis, au jour, s’étant approchée du village, espérant y apprendre quelque nouvelle, Hélène avait procédé avec précaution dans ses enquêtes, sachant par expérience combien il lui fallait être prudente. N’était-elle pas perpétuellement suspecte elle aussi et obligée, par suite de la redoutable personnalité de son père, de tenir secrète sa propre personnalité ? Et puis, en somme, avait-elle eu affaire à des ennemis ? Il lui était permis d’en douter. Car, si les gens qui étaient intervenus l’avaient séparée de l’enfant qu’elle voulait sauvegarder, ils l’avaient, d’autre part, sauvée de Fleur-de-Rogue qui allait l’assassiner. Allant de village en village, passant quelques nuits dans les huttes des bûcherons, Hélène avait vécu dans la forêt de pins, dans les landes désertes.
Elle était arrivée à Dax, où elle était restée plusieurs heures. Puis, s’apercevant que sa présence dans la modeste auberge où elle était descendue commençait à être suspecte, elle était partie. Hélène était particulièrement étonnée de voir, en lisant les journaux, que ceux-ci n’annonçaient pas la découverte du cadavre de Fleur-de-Rogue. Ceux qui l’avaient tuée s’étaient-ils donc avisés de faire disparaître les traces de leur crime ?
Une chose, toutefois, avait encore surpris, mais rassuré Hélène, elle l’avait lue le matin même. Il s’agissait de l’enfant dont elle avait assumé la protection huit jours auparavant : du petit Jacques, le fils de son amie Blanche et de Didier Granjeard. Or, Hélène avait appris par le journal qu’une femme inconnue « d’allures fort distinguées », était venue, quarante-huit heures auparavant, rendre cet enfant à celle qui, par les liens du sang, sinon par les voies légales, se trouvait être sa grand-mère, c’est-à-dire à Mme Granjeard, la veuve d’un marchand de fer de Saint-Denis. Hélène avait poussé un soupir de satisfaction.
Mais quelle était cette femme qui avait rendu le bébé ? Était-ce celle dont Hélène avait poursuivi, la nuit du crime, l’ombre mystérieuse ? La jeune fille s’était décidée : elle allait retourner à la maison perdue au milieu des Landes, voir si ses mystérieux habitants ne l’avaient pas réintégrée. Elle partirait ensuite pour Bayonne.
Un jour encore elle avait essayé de retrouver la masure, mais n’y avait pas réussi. Alors, elle avait pris un train, puis un autre, espérant arriver avant la nuit à Bayonne, d’où elle repartirait pour Paris. Malheureusement, une correspondance manquée l’obligea à renoncer à son premier projet et à passer la nuit dans un tout petit village. Hélène n’y tenait pas, et plutôt que de descendre dans une auberge suspecte, elle s’était enfoncée dans les bois, convaincue qu’elle y trouverait aisément un asile pour la nuit. Et c’est au cours de ses recherches qu’elle avait découvert cette petite tonnelle accotée à un pavillon de chasse, abandonnée complètement, croyait-elle.
Hélène était très fatiguée par ses pérégrinations sans nombre, et si elle était sortie de cette tonnelle alors qu’il était à peine dix heures et demie du soir, c’est parce que le courage l’abandonnait, que le froid commençait à la saisir.
La jeune fille avait remarqué que, non loin du pavillon auprès duquel elle se trouvait, s’élevait une sorte de château aux fenêtres duquel on voyait des lumières. La jeune fille se rendait compte que, si elle venait à cette heure tardive demander l’hospitalité aux habitants de cette propriété, elle ne manquerait pas de paraître suspecte à leurs yeux. Mais si grande était sa lassitude qu’elle était décidée à faire cette démarche, quitte à se contenter de la plus infime place qui lui serait concédée.
Soudain, Hélène poussa un cri et bondit de côté.
Le même phénomène dont une demi-heure auparavant elle avait été témoin, se reproduisait deux, trois, quatre fois de suite.
Hélène, qui commençait à s’alarmer sérieusement, vit rouler autour d’elle des sortes de boules noires, qui en passant au ras des sables, avant de s’enfoncer dans la colline, soulevaient des nuages de poussière.
À un moment donné, le sentier où se trouvait Hélène longea une route assez large qui s’ouvrait dans la forêt.
Surgissant de l’ombre, deux hommes dont elle n’avait point remarqué la présence, s’étaient élancés sur elle, et, rapidement, mais sans brusquerie, avaient jeté sur ses épaules un large et lourd manteau, dans lequel ils roulèrent la malheureuse.
Puis, bien que la tenant vigoureusement comme pour prévenir toute velléité de fuite, ils attendirent quelques instants. Hélène n’hésita pas, elle cria, elle hurla de toutes ses forces :
— Au secours !
Les cris perçants d’Hélène retentissaient dans le silence de la nuit : la jeune fille se débattait aussi, elle était tombée à terre et cherchait à se débarrasser du grand manteau dans lequel on l’avait enveloppée, mais c’était en vain. Ses agresseurs ne paraissaient pas vouloir l’emporter, l’entraîner au fond de la forêt, ils se contentèrent de l’empêcher de se débarrasser du manteau qui la gênait.
— Ils hésitent, pensa Hélène, avec un peu d’énergie, Je vais peut-être pouvoir me débarrasser d’eux.
Et la courageuse jeune fille, déployant des efforts surhumains, hurlait, se débattait. Il était impossible que du château, tout voisin, on n’entendît pas ses cris.
Les hommes, cependant, ricanaient sans mot dire.
Puis, tout d’un coup, l’un d’eux, se penchant à l’oreille d’Hélène, lui murmura ces étranges paroles :
— Maintenant, señora, cela suffit, nous pouvons nous en aller.
Cet homme avait un accent espagnol très prononcé, et, comme il s’était approché tout près d’Hélène pour lui parler bas, celle-ci put considérer son visage à la lueur d’un faible rayon de lune qui perçait à travers les nuages : l’homme était brun, avait des yeux noirs très vifs, paraissait élégamment vêtu, son allure très correcte, contrastait étrangement avec son attitude, avec les gestes de bandit que lui et son complice venaient d’avoir à l’égard d’Hélène.
La jeune fille reprit un peu d’espoir. Peut-être n’avait-elle pas affaire à de sinistres brutes ? Elle supplia :
— Lâchez-moi, laissez-moi m’en aller.
Puis elle reprit :
— Au secours, au secours !
L’homme se contentait de sourire, et, sous sa moustache noire, étincelait une ligne nacrée de dents régulièrement plantées et d’une blancheur éblouissante.
Il hocha la tête évasivement, puis, sur un signe fait à son compagnon, les deux hommes enlevèrent Hélène, l’un par les épaules, l’autre par les jambes, emportèrent la jeune fille vers la route.
Hélène se débattait en vain. Les hommes sourirent cependant que celui qui déjà lui avait parlé répétait :
— N’ayez aucune crainte, señora, vous avez assez crié, ils vous auront entendue.
Ses agresseurs la portèrent pendant une vingtaine de mètres, puis s’arrêtèrent devant une voiture automobile, une superbe limousine qui stationnait sur le bord de la route. Ils firent monter la fille de Fantômas.
Un homme s’installa avec elle dans la voiture, l’autre mit le moteur en marche, prit le volant, le véhicule démarra. À la lueur de ses phares il troua d’un éclat blafard l’obscurité épaisse de la nuit.
Terrifiée, paralysée par l’inquiétude, Hélène demeurait immobile, enfoncée dans un recoin de cette voiture secouée sur les ornières de routes défoncées.
Son voisin n’était pas l’homme dont elle avait entendu les encouragements et les paroles quelques instants auparavant. Hélène s’enhardit à lui parler, elle l’interrogea :
— Que me voulez-vous ? Pourquoi m’enlève-t-on ? Sur l’ordre de qui ?
L’homme sourit, ne répondit pas. Au fur et à mesure qu’elle parlait, Hélène sentait monter en elle la colère. Elle s’agita, serra les poings, le menaça :
— Oh, fit-elle, vous me direz pourquoi on me traite ainsi ?
Mais elle avait beau se plaindre, son interlocuteur demeurait muet. Brusquement la colère d’Hélène tomba.
— Parlez-vous français ? demanda-t-elle.
Son voisin, alors, avec un accent espagnol formidable, lui répondit sur le ton de quelqu’un qui s’excuse :
— Tout petit peu, señora, pas beaucoup comprendre.
Désormais résolue au mutisme, Hélène étudia en détail sa prison roulante. C’était une automobile de très grand luxe, toute tendue d’une étoffe chère, ornée de ces mille petits détails qui témoignent du souci qu’apportent les propriétaire à rendre leur voiture aussi confortable que possible. C’était assurément un engin muni d’un très puissant moteur. D’ailleurs, depuis quelques instants déjà, on avait quitté la mauvaise route du cœur de la forêt, et désormais, l’automobile filait à toute vitesse sur une grande et belle ligne droite, cependant qu’à l’horizon s’apercevaient les lumières d’une grande ville.
La voiture ralentit à l’entrée des faubourgs, puis reprit sa marche rapide. Le pilote la faisait évoluer avec audace et dextérité à travers des rues tortueuses, étroites, et soudain la vitesse s’accéléra à nouveau, l’automobile se replongeait dans la nuit de la campagne.
Hélène ignorait la localité que l’on venait de traverser, mais elle l’apprit soudain : son voisin, plein de prévenances pour elle, s’était incliné de son côté, et avait murmuré :
— Bayonne.
— Bayonne, se répéta Hélène. Drôles d’agresseurs que ces gens-là, ils vous enlèvent une femme pendant la nuit et n’ont rien de plus pressé que de lui expliquer les endroits où ils passent. Comment cela va-t-il finir ?
L’Espagnol revenait à la charge, et s’enhardissant à prononcer quelques mots de français, après avoir désigné de la main de nouvelles lumières scintillant au loin, il articula :
— Biarritz. Cinq minioutes.
L’Espagnol avait à peu près pronostiqué la durée du trajet. Dix minutes après, en effet, l’automobile pénétrait dans la ville élégante. La voiture, subitement, s’arrêta. Hélène, instinctivement, avait bondi hors du véhicule.
Elle n’était plus inquiète, mais furieuse, et se jurait bien que d’ici quelques secondes, elle saurait profiter de la confiance trop grande évidemment que ses ravisseurs lui accordaient.
Hélène avait à peine mis le pied à terre, elle s’apprêtait à courir, à fuir, jusqu’au premier passant, pour lui demander protection, voire même simplement, jusqu’au premier carrefour. Mais ses intentions furent sans doute devinées, car ses deux compagnons de route, plus rapides encore qu’elle, la prirent chacun par un bras, lui firent faire volte-face et la poussèrent pour ainsi dire, dans une maison dont la porte basse venait de s’entrouvrir. Entraînée par ses ravisseurs, Hélène suivit un couloir obscur, elle entra dans une sorte de cabine dont on ferma la porte, puis, cette cabine trembla, s’éleva doucement. Hélène se trouvait dans un ascenseur, toujours en compagnie des deux Espagnols.
Au deuxième, l’ascenseur s’arrêta. Les Espagnols de plus en plus respectueux, mais ne quittant pas leur prisonnière d’une semelle, lui firent traverser une galerie déserte et l’introduisirent dans un appartement qui soudain s’illumina.
Les anges gardiens disparurent aussitôt, non sans fermer derrière eux la porte à double tour.
Celle-ci regarda autour d’elle. C’était un vaste salon, assez élégamment meublé, mais dont l’aménagement aux allures banales et officielles révélait aussitôt qu’on se trouvait non point dans une maison particulière, mais bien plutôt dans quelque local destiné à des gens de passage, à des voyageurs sans doute. Une porte s’ouvrait dans une cloison située à l’extrémité du salon, et faisait communiquer cette pièce avec une autre, également illuminée.
De plus en plus stupéfaite, Hélène y pénétra. C’était une chambre à coucher avec un grand lit de milieu, confortable, élégant, soigné.
— Comme je serais bien dans ce lit, se dit Hélène.
Mais soudain, son regard s’arrêta sur une pancarte qui pendait au mur. Cette pancarte était imprimée et l’entête portait : Impérial Hôtel de Biarritz.
Suivait une série d’instructions pour les voyageurs, en plusieurs langues.
— Ah çà, murmura la jeune fille interloquée, me voilà donc à l’Impérial Hôtel de Biarritz. C’est incompréhensible.
Fébrilement, Hélène appuya sur le bouton de sonnette, résolue à sonner jusqu’à la venue de quelqu’un. Un instant, elle craignit que ce mode de communication avec l’extérieur n’eût été interrompu. Pas du tout. Elle entendit, en effet, au lointain, résonner le timbre qu’elle faisait vibrer. Hélène prêta l’oreille, des pas légers retentirent dans le couloir, une clef tourna dans la serrure, le porte s’ouvrit, une femme de chambre apparut :
— Madame désire ? demanda-t-elle, d’un air calme et nullement étonné.
Si la domestique n’était pas surprise, c’était Hélène qui demeurait abasourdie, en présence du flegme de son interlocutrice.
Ah çà, était-elle donc attendue à l’hôtel ? Savait-on qu’elle allait y venir ? Oui, sans doute, et cet appartement avait dû être retenu depuis quelque temps déjà pour qu’elle vînt s’y installer.
Du coup, la jeune fille résolut de ne plus chercher à fuir et n’osait même pas interroger. Plus de doute, c’étaient des amis qui l’avaient amenée là. Il ne fallait manifester ni surprise, ni étonnement, ne pas essayer de fuir. Si on ne l’avait pas prévenue, c’est que cela n’avait pas été possible. Voilà tout.
— Je meurs de faim, dit-elle à la camériste, ne pourrait-on me servir quelque chose ?
La femme de chambre énumérait ce qu’on pouvait se procurer à cette heure tardive. Hélène commanda un repas frugal. Un quart d’heure plus tard, elle était servie. Malgré ses émotions, ses inquiétudes et ses angoisses, Hélène fit honneur au souper fort appétissant qu’on lui servait. Au fur et à mesure qu’elle se réconfortait, qu’un agréable vin blanc de Bordeaux rosissait ses joues pâles, elle se sentait envahie d’un bien-être d’autant plus délicieux qu’il survenait après de rudes fatigues.