PROLOGUE

Arrivée d’un personnage au visage peint en bleu, vêtu d’un costume très expressionniste, sorte de sorcier contemporain, mélange de cape moirée et de guenilles, luxe et boue. Il a une canne et un chapeau. Sa démarche est parfois celle d’un dandy parfois celle d’un bossu. Il parle d’une façon exaltée puis langoureuse et persuasive, cherche la complicité avec le public pour l’entraîner dans son univers puis la rompt avec cynisme et ricanement. Nous nommerons ce personnage : le récitant.

 

LE RÉCITANT.  Mesdames, messieurs ! Jolies vierges, boutiquiers, princes et duchesses, s’il en reste ?!, grosses automobiles de velours, réparateurs de sanitaires, sous-préfets dorés de chênes. Accourez ! Musique ! Musique ! (Les musiciens jouent un court morceau.) Suicidaires, retenez vos revolvers, les vraies raisons d’appuyer vont venir. Entrez ! Entrez ! Les capitaines, les mirlitons, les jardiniers, vous êtes tous dans la ronde ! Musique ! Musique ! (Les musiciens jouent à nouveau un court morceau.) Allons-y ! Allons-y ! Financiers véreux entrez ! Non ne laissez pas vos bestioles au vestiaire, gardez vos larves dans la tête, parachutistes sautez ici. Come in ! Come in ! Suceuses d’ice-cream, bateau de plaisance et de plaisir, capsule de coca-cola come in ! Come in ! Musique ! Musique ! (Les musiciens jouent un autre morceau.) Rampez, glissez, lustrez-vous les uns aux autres, curés, bêtes à poils, gallinacés chevelus, vaches, aigles au bec de duc édenté, dromadaires avec lune et soleil sur l’échine, clipe, clope, clipe, clope. Je vous entends, vous êtes là les souriceaux de Mongolie suivis d’une longue liste de journalistes… Liste… Liste. Bravo ! Musique ! (Les musiciens jouent un morceau.) Non ! Non ! Je ne vous avais pas oubliées les speakerines de télévision, marionnettes en couleurs pour peuples noirs et blancs, les habilleuses à l’haleine dragueuse, laissez-les passer ! Faites asseoir le tracteur que conduit cette danseuse de castagnettes ; égalité pour tous ! Encore deux rats et une marquise ? Par ici s’il vous plaît, voilà tout le monde est là ? Non ? Un morceau de banquise et la reine de Saba accompagnée par trois ministres d’État. Petit enfant blondinet ne cherche pas le Diable il est de ce côté… Voilà full up ! Lleno (plein en espagnol). Stop ! Complet !… À vous, mesdames aux gros bidons, vous pouvez pousser vos quintuplés pour les mettre au monde devant le monde ! Le vrai, le nôtre ! Nous allons commencer ! Musique !

Morceau de musique. Ouverture.

VOIX OFF.  Cette histoire appartient à l’histoire si toutefois l’histoire peut se raconter comme une histoire !

LE RÉCITANT.  Moyen Âge ! Moyen Âge ! Moyen Âge !

La scène s’éclaire. Tous les acteurs sont en scène immobiles ou remuant dans des poses arrêtées ou faisant des actions simultanées. Vision kaléidoscopique d’un Moyen Âge âpre, courtois, cruel, grotesque.

1 – Bruit de galop de chevaux allant furieusement l’un vers l’autre. Au moment où ils vont se rencontrer un acteur tape sur un monticule de ferraille qui s’éparpille dans un choc éclaté et métallique sur la scène. Deux jeunes filles courent en riant, se jettent sur le vainqueur du tournoi et le couvrent de baisers et de caresses, ils roulent à terre.

2 – Musique accompagnant sur un rythme et une tonalité soit en adéquation avec l’action (musique douce et sereine pour l’amour), soit en contraste avec ce qui se passe sur le plateau.

3 – Trois chevaliers à travers le plateau en répétant comme des messagers qui arrivent essoufflés à leur destination : Monseigneur par Dieu et par le Roi, Monseigneur par Dieu et par le Roi, etc.

4 – Viols, poètes de cour, Seigneur précieux, etc. Ouverture vivant et visuelle.

L’EMPEREUR BARMADAN. Je suis l’Empereur Barmadan1 / Traîné par deux bœufs géants / Parce que je suis trop fainéant / Pour parcourir mon territoire / Qui s’étend d’l’Eurasie au Maine-et-Loire. / (Combat entre les deux chevaliers, l’un meurt.) Mon cousin est mort comme un percheron / D’un coup d’épieu dans le colon / Qu’on me donne son blason son gonfanon / Ses poulains et ses poulaines / Je suis comte ! Depuis la mer des baleines / Je suis comte / Jusqu’aux plaines de l’arithmétique.

UNE FEMME. Sortez vos dards d’acier scorpions de chevaliers ! Batifole et caracole ! Nos seins sur vos plumets.

LE RÉCITANT (au public). Ah oui, mes dindons, pour la plupart c’était peinard en 731 dans l’Occident petite baignoire tiède et bleue comme la forêt. (Musique : bruit de vent et de feu. Parlant sur le son.) Mais le sable jaune du désert mahométant comme un pet brûlant vint un jour roussir jusqu’aux vitraux des cathédrales ! Peur ! Peur ! Peur !

Un homme et une femme arrivent en courant affolés : dialogues chantés sur un temps rapide de peur et d’essoufflement.

LA FEMME.  Christ Dieu / Voilà les Maures ! / Les turbans saignants.

L’HOMME.  Les Turcs / Les Arabes / Christ Dieu ! / Voilà la mort !

L’EMPEREUR BARMADAN.  Les as-tu vus chapeau pointu ?

LA FEMME.  Oui de grands papillons rouges / qui glissent en grondant / sur les neiges des montagnes / du Nord de l’Espagne.

L’EMPEREUR BARMADAN.  Les aramétèques ont-ils des ailes ?

L’HOMME.  Toutes craquelées d’or ! / Ils sont assis dessus / comme si elles poussaient sur leur cul.

LA FEMME.  Le ciel se couvre / les champs sont noirs / voilà les Maures.

Musique. Arrivée de quatre ou cinq tapis volants qui tourbillonnent dans les airs et s’abattent sur les chevaliers, les paysans, et l’empereur en les étouffant : cris – silence. Sur chaque tapis un emblème de l’Islam est fixé. Après un instant de calme un homme parvient à sortir de l’emprise d’un tapis en rampant à terre. Il a dans ses mains un lourd marteau de fer. Il assène un violent coup sur une plaque de métal, à ce moment sous les tapis on commence à bouger, un murmure se fait entendre : “Martel ! Martel ! Martel !” Le murmure va s’amplifiant, bientôt chaque prisonnier des laines arabes parvient à se dégager, il saisit m marteau criant : “Martel ! Martel !” et en tapant sur divers instruments de percussion. Charles Martel orchestre la bataille de son poste. Bientôt les tapis se renvoient en battant en retraite et de l’aile.

Noir.

LE RÉCITANT.  Depuis l’éclosion du petit dans la paille entre le bœuf et le bourrin, il avait été décidé que mille ans étaient bien suffisants pour terminer la comédie ! Mon Dieu mille ans c’est vrai, c’est bien assez pour tout jouer ! Le rideau devait donc tomber sur la terre le premier janvier de l’an mille. Et hop fini ! Le monde devient un trou de mémoire ! (Tout à coup très fort.) Peur de l’an mille ! Peur ! Peur de l’an mille ! Trouille verte !

L’éclairage reprend, sur scène, une immense dame à la robe envahissant presque toute la scène de ses plis et retombées en volutes s’élève de quatre à cinq mètres au-dessus du plateau. Sa tête est formée soit par la coupole d’une église surmontée d’une croix, soit par une icône, soit enfin par me tête de femme ressemblant à une vierge polychrome fin XIXe. À la hauteur de la poitrine deux énormes seins pendent sur sa longue jupe. C’est la mère-Église, sous la robe et les jupons de laquelle, rampant et se traînant, vont se cacher hommes et femmes terrorisés par cette fin du monde qui doit coïncider avec le premier jour de l’an mille. Tous s’agrippent, se bousculent, certains parviennent en poussant des cris à articuler des phrases de superstition et des prières. Cependant qu’à l’avant-scène une jeune femme chante d’une voix mélodieuse et limpide l’approche de la fin du monde, côté jardin avant-scène un homme scande les unes après les autres les années qui passent. Voix basse soutenue par un instrument. Ce “tableau-partition” se compose donc de trois éléments qui s’entremêlent et s’enchevêtrent.

1 – Le chant de la femme annonçant la fin du monde.

2 —Le groupe du peuple apeuré (phrases, halètements, cris).

3 – L’homme ponctuant le temps qui passe + instrument.

Nous donnons les trois textes les uns à la suite des autres sans les mêler, laissant le soin au compositeur de les orchestrer librement selon son désir.

1°) CHANT DE LA FEMME. Mon enfant / à la peau tendre / vient de tomber doucement / sur les cheveux blancs / du monde aux mains séchées / par mille ans de péchés. / La dernière pomme a chuté / le ciel déjà s’en est allé / laissant un peu de brume / pour emporter la mer, les ruisseaux / et vingt-trois arbrisseaux / loin de la terre / qui s’enterre. / Dans les montagnes du grand nord / quelques chevaux respirent encore / sous les jupes des capitaines / qui ont voulu déjouer le sort / pour sauver une jeune reine / les arbres sans veine ni feuille / ne peuvent devenir cercueil / le bois est mort. / Non ne fuyez pas par là / les forêts sont déjà / gerbes de tibias / ne courez plus il est trop tard / cet œuf encore chaud si tu le casses / pour le mêler avec du lard / tu ne trouveras qu’un peu de glace. / Car voici le premier janvier / de la millième année / où le globe doit éclater / dans les airs violacés.

2°) Intervention des hommes et des femmes se cachant sous la jupe immense de la mère-Église.

A) Cris.

B) Halètements, bavements, onomatopées.

C) Interventions articulées.

UNE FEMME.  Je n’ai que vingt ans mais trente vaches Sainte Vierge ne me tue pas…

UN HOMME.  C’est pas possible j’ai semé mon blé… qui le récoltera…

UN SEIGNEUR.  Je crois en toi mon Dieu / Je crois en toi Sainte Vierge / Je crois en toi Saint-Esprit… / Je crois en tous les saints / Vous m’avez entendu tous les saints… tous, il n’y en a pas un qui…

UNE FEMME.  C’est pas trop tôt qu’il s’annonce l’an mille ! / Je préfère pourrir allongée que sur mes pieds… / par saint Thomas c’est pas vrai !

UN HOMME.  Monseigneur le cardinal Excellence / il reste plus que deux jours apprenez-moi à lire…

UNE FEMME.  Non je veux pas ! Non je veux pas ! / Non je veux pas !

UN SEIGNEUR.  Je suis roi et empereur / ça ne peut pas m’arriver à moi / n’est-ce pas ? N’est-ce pas ?

UN HOMME.  Montre-moi tes fesses princesse.

UN HOMME.  Mais c’est de la foutaise qu’est-ce qui vous prend ! Ce serait trop beau ! / Vous inquiétez pas ça va continuer !

Il tombe foudroyé, etc.

3°) Troisième élément. L’homme et le temps qui passe.

L’HOMME.  890 / 891 / janvier /14 mai / dimanche / 954 / 8 heures / décembre / mars / 32 secondes / 987 / 12 juin / midi / vendredi / samedi / 16 heures / septembre / trois minutes / 998 / mardi / 999 / avril / septembre / 25 secondes / 999 / octobre / jeudi / lundi / 10 novembre / 999 / 11 heures / décembre / 27 / 999 / 29 décembre / midi / 999 / 31 décembre / 21 h/999/23 h / 999 / 31 décembre / 24 h /

Au fur et à mesure que l’on se rapproche de la date fatidique la voix du temps devient de plus en plus présente pour rester seule à la fin. Silence tendu. Les hommes et les femmes sont si crispés les yeux fermés, accrochés à la grande jupe qu’au bout de quelques instants elle craque, rompant silence et tension. Éclatant de rire, apparaît sous la jupe le récitant.

LE RÉCITANT (un ou plusieurs). Bis ! Bis ! Encore un tour ! On double la mise ! Mille ans de plus ! Mille ans pour les pamplemousses ! Mille ans pour le calcaire, les rubis et inventer le mambo ! Mille ans pour l’élasticité des peaux de crocodiles, mille ans de sève pour les palétuviers mouillés et les testicules des crapauds-buffles ! But ! But ! But ! Be careful ! Mille ans et pas un sou de plus ! c’est tout ! Après tout le monde s’allonge dans le lit d’argile on referme le couvercle et hop ! Le grand Dieu aux yeux verts, d’une gifle magistrale vous enverra soit dans le bleu parfumé soit dans les intestins brûlants d’un diablotin constipé. Allons ! Relevez-vous bestiaux et copulez : il faut du nourrisson ! Il reste encore dix siècles à rigoler ! Mille ans pour équationner, dire et contredire, découvrir la douceur angevine, la Légion d’honneur et la girolle atomique ! Bis ! Bis ! En voiture pour le second tour !

Son : explosion s’adoucissant peu à peu en tintamarre de cloches, de plusieurs cloches, cloches, clochettes, carillons, bourdons, etc.

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