21 août… et demi
Toutes ces choses que Misty aimait concernant Peter, Angel avait été le premier à les aimer. À la fac d’arts plastiques, c’était Angel et Peter, jusqu’à ce que Misty débarque. Ils avaient planifié tout leur avenir. Non pas comme artistes, mais comme comédiens. Peu importait qu’ils gagnent beaucoup d’argent, lui avait expliqué Peter. Il avait expliqué à Angel Delaporte. Quelqu’un de la génération de Peter allait épouser une femme qui rendrait la famille Wilmot et toute la communauté suffisamment riches pour que personne ne soit plus obligé de travailler. Il n’avait jamais expliqué les détails du système.
Jamais tu n’avais expliqué.
Mais Peter a dit que toutes les quatre générations, un garçon de l’île rencontrait une femme qu’il devait épouser. Une jeune étudiante en art. Exactement comme dans un vieux conte de fées. Il allait la ramener à la maison, et elle allait peindre tellement bien qu’elle ferait de Waytansea Island une île riche pour un nouveau siècle. Lui sacrifiait sa vie, mais ce n’était qu’une vie. Une seule. Rien qu’une, toutes les quatre générations.
Peter avait montré à Angel Delaporte sa joncaille, ses bijoux en toc. Il avait appris à Angel l’ancienne coutume selon laquelle la femme qui allait réagir devant ces bijoux, celle qui serait attirée par eux et prise à leur piège, eh bien cette femme-là deviendrait alors la femme du conte de fées. Chacun des garçons de sa génération était obligé de s’inscrire dans une école d’arts plastiques. Il était obligé de porter un de ces bijoux, tout rayé, rouillé, terni. Il était obligé de rencontrer autant de femmes que possible.
Tu étais obligé.
Cher et tendre Peter bisexuel jamais sorti de son placard.
La « queue sur deux jambes » contre laquelle les amies de Misty avaient tenté de la mettre en garde.
Les broches, ils se les épinglaient dans le front, dans leurs tétons. Leurs nombrils et leurs pommettes. Les colliers, ils se les enfilaient dans des trous aux narines. Ils faisaient exprès d’être révoltants. D’inspirer du dégoût. Pour empêcher les femmes de les admirer, et chacun d’eux priait que ce soit un autre garçon qui rencontre la femme qui serait l’élue. Parce que le jour où ce garçon malchanceux l’épouserait, cette femme, tous les autres individus de sa génération allaient être libres de vivre leur vie. De la même façon que les trois générations suivantes.
De plus, rien à la peau sur les os en trois générations.
Au lieu de progresser, l’île était coincée dans la boucle de ce mouvement répétitif. À recycler le même succès passé. Reconstitution historique d’époque. Ce même rituel.
C’était Misty que ce malchanceux devait rencontrer. Misty était leur femme de conte de fées.
C’est là, sur l’escalier de l’hôtel, qu’Angel lui a expliqué tout ça. Parce qu’il n’avait jamais pu comprendre pourquoi Peter était parti pour aller l’épouser, elle. Parce que Peter n’avait jamais pu le mettre au courant, lui. Peter ne l’avait jamais aimée, elle, lui dit Angel Delaporte.
Tu ne l’as jamais aimée.
Espèce de sac à merde.
Et ce qu’on ne comprend pas, on peut lui faire dire n’importe quoi.
Parce que Peter se contentait d’accomplir quelque destinée de légende. Une superstition. La légende d’une île, et peu importait l’énergie avec laquelle Angel essayait de l’en dissuader, Peter insistait sur le fait que Misty était sa destinée.
Ta destinée.
Peter insistait sur le fait que sa vie se devait d’être détruite, époux d’une femme qu’il n’avait jamais aimée, parce qu’il sauverait ainsi sa famille, ses enfants à venir, son entière communauté, de la pauvreté. Il leur éviterait de perdre le contrôle de leur petit monde magnifique. Leur île. Parce que leur système fonctionnait depuis des siècles.
Affalé sur les marches, Angel explique : « C’est pour cette raison que je l’ai engagé pour travailler sur ma maison. C’est pour cette raison que je l’ai suivi jusqu’ici. » Misty et lui sur l’escalier, le plâtre étendu entre eux deux, Angel Delaporte se penche au plus près, l’haleine chargée de vin rouge, et demande : « Je veux juste que vous me disiez pourquoi il a scellé toutes ces pièces. Ainsi que la chambre qu’il y a ici, la chambre 313, dans cet hôtel ? »
Pour quelle raison Peter a-t-il sacrifié son existence pour l’épouser, elle ? Ses graffitis, ce n’était pas des menaces. Angel estime que c’était des mises en garde. Pour quelle raison Peter voulait-il mettre tout le monde en garde ?
Une porte s’ouvre dans l’escalier au-dessus de leurs têtes, et une voix s’exclame : « La voilà. » C’est Paulette la réceptionniste. C’est Grâce Wilmot et le docteur Touchet. C’est Brian Gilmore, qui dirige le bureau de poste. Et la vieille Mme Terrymore de la bibliothèque. Brett Petersen, le directeur de l’hôtel. Matt Hyland de l’épicerie. C’est le conseil de village tout entier qui descend les marches et se dirige sur eux.
Angel se penche au plus près, il lui serre le bras, et lâche : « Peter ne s’est pas suicidé. » Il pointe le doigt vers les étages et ajoute : « C’est eux. Ils l’ont assassiné. »
Et Grâce Wilmot dit : « Misty chérie. Il faut que tu retournes travailler. » Elle secoue la tête, en claquant la langue, et précise : « Nous sommes si près, mais si près d’en être au terme. »
Et les mains d’Angel, ses gants de conduite en cuir la lâchent. Il bat en retraite, descend d’une marche, et dit : « Peter m’avait prévenu. » Le regard allant de la foule dans les étages à Misty, puis retour, il bat en retraite, en expliquant : « Je veux juste savoir ce qui se passe. »
Dans le dos de Misty, les mains se referment sur ses épaules, ses bras, et soulèvent.
Et Misty, tout ce qu’elle peut dire, c’est : « Peter était gay ? »
Tu es gay ?
Mais Angel Delaporte recule à pas maladroits, dans l’escalier, vers le rez-de-chaussée. Il descend jusqu’à la première porte en contrebas, toujours criant dans la cage d’escalier : « Je vais à la police ! » Il s’écrie : « La vérité, c’est que c’est de vous que Peter essayait de sauver les gens ! »